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Encerclé par les disciples d’Ezra dans un cimetière, le destin de Jules semble scellé. Alors qu’il se prépare à affronter une disparition certaine, une aide inattendue se manifeste. Mais la bataille est loin d’être terminée : L’Ange de la mort, désormais en possession de l’Artefact, prévoit de ramener les morts à la vie. Depuis une décennie, Ezra a toujours une longueur d’avance. Pour déjouer ses plans et venger la mort de sa sœur, Jules devra révéler à ses amis la vérité sur son exil au Cap Ferret. La clé pour inverser le cours de cette bataille pourrait bien se trouver dans sa toute première enquête : celle du Sculpteur d’ombres…
À PROPOS DE L'AUTEUR
Adrien Zervo prend la plume afin de partager son univers fantastique, élaboré à partir de sa passion pour les superhéros.
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Adrien Zervo
La chute de l’étoile
Tome IV
Les enfants de l’autre monde
Roman
© Lys Bleu Éditions – Adrien Zervo
ISBN : 979-10-422-4632-7
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— Nous savons tous les deux que tu es beaucoup trop dangereux pour que je prenne le temps de te faire souffrir.
Il fit un petit signe aux autres Anges qui formèrent un cercle plus rapproché autour de lui. Et c’est alors qu’une musique retentit autour d’eux. Jules la connaissait bien : c’était « Friction », du groupe Imagine Dragons. Une musique qu’il affectionnait particulièrement, car elle lui rappelait l’époque où il jouait aux enquêteurs avec ses amis, dans les rues du Cap Ferret.
— Va voir ce que c’est, dit l’Ange qui tenait Jules en joue.
Le jeune homme sourit tandis que la musique se rapprochait d’eux.
— Rien de grave, dit son coéquipier ailé, ce n’est qu’une enceinte posée sur une pierre tombale.
— Fais-la taire !
Il la détruisit, mais la musique ne s’interrompit pas pour autant. Il y avait en réalité deux enceintes dont une qui se trouvait à l’extérieur du cimetière.
— C’est une belle mélodie pour mourir, tu ne trouves pas ? demanda l’Ange qui s’apprêtait à l’exécuter. Adieu, Zoydra. C’est la fin.
« You can’t fight the friction », hurlait l’enceinte qui diffusait la musique. C’était peut-être sa seule chance de s’en sortir et il allait la saisir.
— Non, répondit-il avec sérénité. C’est loin d’être la fin.
La lame tranchante de la lance vint se poser sur son cou. Elle était glaciale.
— Comment peux-tu espérer t’en sortir vivant ? demanda son bourreau, décontenancé.
Quelqu’un volait à son secours, la musique n’était qu’une diversion.
— Tu es défait, Jules, reprit l’Ange. Ton alter ego et toi allez nous quitter pour de bon. Ensuite, je m’occuperai de ce minable qui n’arrête pas de s’agiter dans son cercueil.
Florent gesticulait. Il poussait de petits gémissements. Fie-toi à moi, pensa Jules, ils ne vont pas s’en sortir. Le volume sonore augmenta d’un cran supplémentaire.
— Faites donc taire cette musique insupportable ! aboya l’Ange-bourreau en se retournant. Tout de suite ! Je vais finir par devenir dingue.
Jules ressentit comme un pincement au niveau du cœur. Il associait ce son au film Mission Impossible, avec Tom Cruise, un acteur que son amie Nina affectionnait particulièrement. Ce n’est pas le moment de te laisser distraire par tes émotions, se dit-il.
— Je ne suis pas tout seul dans cette histoire, murmura-t-il avec un sourire en coin.
Tous les Anges firent volte-face. La musique d’Imagine Dragons résonnait dans la forêt qui bordait le cimetière. Derrière les arbres était positionnée une silhouette qui tenait une autre enceinte portable dans les mains.
— Salut à tous ! dit la voix. La musique n’est pas trop forte, j’espère ?
Au deuxième refrain de Friction, Jules lança sa contre-attaque. Il tira d’un coup sec sur la lance qui effleurait sa jugulaire pour déséquilibrer son ennemi. Toujours avec autant de précision, il saisit le poignard qui était accroché à sa ceinture et le lui enfonça dans la gorge.
La musique était si forte que lorsque l’Ange s’écrasa contre le sol, aucun de ses coéquipiers ne l’entendit tomber. Jules les exécuta un par un en les poignardant dans le dos.
Le volume sonore diminua, la silhouette s’avança. La diversion était tout simplement parfaite tant au niveau de la forme que du timing. Jules se précipita vers Florent, sectionna ses liens et lui retira son bâillon.
— Mon Dieu, dit-il en lui caressant les cheveux, je suis… je suis tellement désolé, Flo.
Son ancien meilleur ami ne bougeait presque plus. Il remua lentement les mains.
— Aide-moi… articula-t-il avec souffrance.
— Je vais nous sortir de là, je te le promets !
Jules fit basculer le cercueil, car beaucoup d’eau de pluie était tombée à l’intérieur. Il eut un haut-le-cœur en voyant inscrit « Camille Rispal » sur le dessus, avec ses dates de naissance et de mort, le tout gravé sur une petite plaque dorée.
— Baptiste est complètement taré ! dit-il en retombant sur ses fesses.
Il respira un grand coup pour faire partir son envie de vomir. Se tournant vers Florent, il demanda :
— C’est bon, tu peux respirer normalement ?
— Plus… ou… moins.
Jules hocha la tête avant d’adresser un regard intrigué à son ami qu’il n’avait revu depuis plusieurs années. Il se releva et rangea à sa ceinture le poignard qu’il avait dérobé. C’était désormais la seule arme qui lui restait.
— Tu tombes à pic, comme toujours. Je t’avoue que j’étais à court de solutions.
— Crois-le ou non, mais au départ, je n’étais pas venu pour te sauver.
Il s’appelait Eneko Castillas et mesurait moins d’un mètre soixante-dix. De tous ses amis, c’était lui le plus petit. Les épaules larges, le corps sculpté en V, il avait des cheveux blonds et bouclés qu’il laissait longs sur le dessus et rasés sur les côtés. Son nez était légèrement de travers, mais ça lui donnait un certain charme. Son prénom lui venait de sa mère qui était originaire du Pays basque. Son nom avait des origines espagnoles parce que son père était né en Andalousie, près de Séville.
Eneko et Jules s’étaient connus il y a presque dix ans, lorsque le jeune Domaire avait rejoint le lycée d’Andernos-les-Bains pour suivre ses cours de BTS.
Depuis l’affaire du Sculpteur d’ombre, ils n’avaient pas repris contact.
— Qu’est-ce que tu fais dans le coin ? finit-il par demander.
— Je te cherchais pour discuter avec toi. Tu n’es pas content de me voir ? Je m’attendais plutôt à un « merci » de ta part.
Poignée de main à la fois chaleureuse et solennelle.
— Merci, Eneko. Sans toi, je serais probablement mort.
— Tu n’as pas eu mon message ? Tu n’utilises plus WhatsApp ?
— Non, je n’ai pas reçu ton message. Quant à WhatsApp, je n’y vais plus depuis…
— Depuis que Nina est partie ?
Ils baissèrent la tête parce qu’ils se sentaient toujours responsables de ce qui était arrivé à leur amie.
— Tu as tout compris, répondit Jules à voix basse. En plus, il ne m’arrive que des galères et je casse souvent mes téléphones. Il faut toujours tout reparamétrer correctement avec les mots de passe et ainsi de suite. Je ne prends pas le temps de le faire et je perds patience. J’imagine que tu as dû m’envoyer plein de messages ?
Eneko haussa les épaules.
— Oh, pas tant que ça. On avait tellement l’habitude de parler par WhatsApp que je n’ai même pas pensé à t’envoyer un SMS.
— C’était urgent ?
La question était tout à fait rhétorique. Jules se doutait bien que si Eneko avait cherché à le joindre, après presque sept années sans se parler, c’était parce que la situation l’exigeait.
— Assez, oui. Mais ne t’en fais pas, je comprends que tu avais d’autres problèmes à gérer.
— C’est peu de le dire.
Eneko avait le visage marqué. Avec sa barbe, il semblait avoir cinq ans de plus.
— Je t’avoue que je suis un peu déboussolé avec ce qui vient de m’arriver ces dernières soixante-douze heures. Comment ça se fait que tu sois là ?
Le Basque s’avança vers Florent et posa deux doigts sur sa gorge.
— Il est mal en point, le bougre.
— Il a eu une sale journée, lui aussi. Bref, tu n’as pas répondu à ma question.
L’air grave, son ami lui annonça la terrible nouvelle.
— Je t’ai laissé plusieurs messages parce que le dossier qui concerne le Sculpteur d’ombre doit être rouvert.
Jules se figea. Eneko était le seul à comprendre les enjeux de cette enquête. Il avait pratiquement tous les tenants et les aboutissants de cette rude épreuve qu’ils avaient traversée ensemble. C’était l’une des rares personnes à avoir eu affaire à ce malade.
— Tu es en train de me dire qu’il est de retour ?
— Non, non, tu sais bien que c’est impossible.
— Alors, que se passe-t-il ?
— Ça a un lien indirect avec le meurtre de ta sœur, expliqua Eneko. D’après ce que j’ai compris, tu t’es lancé à la recherche de cette femme, Christine.
— Comment le sais-tu et qu’est-ce qu’Adèle vient faire là-dedans ?
— Je t’ai entendu parler de Christine tout à l’heure, quand cet Ange flippant était encore là. Celui avec les yeux rouges.
— Ça fait combien de temps que tu es arrivé ?
— Je ne saurais pas te le dire exactement. Je suis arrivé au moment où Baptiste évoquait ses souvenirs d’enfance. Figure-toi que j’ai eu du mal à retrouver ta trace. J’ai fait irruption dans l’église de Lacanau et ce sont tes amies les sœurs jumelles qui m’ont aiguillé.
— Pourquoi me cherchais-tu ?
— Ce n’est pas exactement toi que je cherchais. Christine est la raison pour laquelle je suis ici. Je souhaite aussi la retrouver.
— Je suis surpris… Tu étais au courant pour l’Artéfact et le projet de Paul Cheminade ?
— Non, de quoi tu me parles ? C’est qui ce mec-là ? Je viens de te le dire : je suis ici pour Christine. J’étais sur une piste, du côté de Loudenvielle. Je suis arrivé trop tard, comme d’hab. Et c’est là que des témoins m’ont donné ton signalement. D’où les messages sur WhatsApp. Je savais que si tu étais dans les Pyrénées, ce n’était pas une coïncidence. Je me suis permis de te géolocaliser, mais ton signal s’est brouillé lorsque tu es arrivé à Lacanau.
— Si tu n’es pas au courant pour l’Artéfact, pourquoi voulais-tu absolument retrouver Christine ?
— Tu as passé ces dernières heures à la chercher, moi ça va faire bientôt sept ans que j’attends ce moment…
La déclaration d’Eneko lui fit l’effet d’une décharge électrique. Il s’assit sur la pierre tombale la plus proche.
— Jules, ce que je vais te dire a énormément d’importance.
Il y a quelques minutes à peine, il découvrait que Baptiste Folio était l’assassin de sa sœur. Le jeune homme ne parvenait pas à réaliser qu’il était passé à côté du petit frère de Florent depuis tout ce temps. Et maintenant, son camarade de BTS s’apprêtait à ressortir un dossier vieux comme le monde que Jules pensait avoir définitivement refermé.
— Je t’écoute, répondit-il, encore perdu dans ses pensées. Parle-moi franchement.
— Christine est la sœur du Sculpteur d’ombre.
Jules ferma les yeux. Comment la situation qu’il vivait pouvait-elle être pire ? La convergence de ces deux histoires ne lui laissait aucun répit.
— Je sais à quel point cette information peut être choquante pour toi, lui dit Eneko après lui laissé plusieurs secondes pour digérer la nouvelle.
— Non, tu n’as pas idée.
Le tout premier individu à qui Jules avait ôté la vie. Il se revoyait en train de l’égorger pour protéger à la fois son grand-père, Eneko et tant d’autres personnes. La partie devait être terminée ce soir-là et aucun autre élément ne devait donner lieu à un épilogue.
— Après mon départ du Cap Ferret, reprit le Basque, je l’ai ardemment cherchée. Ce n’était qu’une rumeur, presque un mythe.
— Elle était présumée morte… murmura Jules. Son appareil ne fonctionnait plus. Et une créature comme ça ne saurait passer inaperçue. Ce n’est pas sa sœur, je refuse d’y croire…
Il disait ça pour se rassurer. La première des leçons qu’il aurait dû apprendre avec Baptiste c’était que rien ne devait être pris pour acquis.
— C’est vrai, elle était présumée morte, mais j’ai préféré vérifier par moi-même. Tu n’imagines pas tout ce que j’ai entrepris rien que pour obtenir le début d’une piste sérieuse. Ça a bien failli me rendre fou, cette histoire.
— Il y a de quoi perdre la raison…
Jules fermait toujours les yeux. Il se remémorait la scène, dans le chalet près de Loudenvielle, avec ladite Christine. Si près du but…Elle s’est bien moquée de nous !
— C’est une véritable guerre que je vais devoir mener, constata le jeune homme en rouvrant les yeux. Je ne peux pas me battre sur tous les fronts.
— Ce n’est pas nécessaire. D’après ce que j’ai compris, Christine n’a pas sombré dans la folie, contrairement à son frère. J’ai toujours eu un train de retard sur elle, mais a priori, elle n’a tué personne. Je ne sais même pas si elle se souvient de qui elle est réellement.
Peut-être était-ce un avantage considérable si les dires d’Eneko venaient à se confirmer. Dans tous les cas, son existence même représentait un danger.
— Qu’importe, je ne peux ignorer les faits : Christine, ou quel que soit son vrai nom, est une menace. Sauf que je suis dans une merde pas possible : je ne peux la combattre si je dois aussi affronter Baptiste, qui au passage, est l’assassin de ma sœur.
Eneko s’assit à son tour sur une autre pierre tombale, en face de lui.
— Alors, c’était lui, l’Ange aux ailes noires ?
Jules ne lui avait jamais parlé de son passé. Il avait juste raconté à son ami que sa petite sœur avait été assassinée et à l’époque, le terme d’« héristar » commençait à être évoqué. C’était si paradoxal qu’Eneko fut l’un des premiers à connaître sa double identité et qu’ils en viennent à partager tellement de choses au cours de ces trois années au Cap Ferret alors qu’en réalité, il ignorait tout du passé de Jules. L’autre raison pour laquelle le jeune homme avait quitté le domicile de ses parents, c’est-à-dire l’incendie et son histoire avec Camille.
— Ne t’inquiète pas, lança Jules en agitant les mains, je n’abandonne pas. J’ai juste besoin d’un petit peu de temps pour mettre en place une stratégie.
— Cette fois, nous ne pourrons pas agir en petit comité, comme tu l’as fait avec le Sculpteur d’ombre. C’est de plus en plus compliqué de garder cette histoire secrète.
Jules leva un sourcil. La déclaration d’Eneko était plutôt incompréhensible au regard du serment qu’ils avaient fait.
— Je suis surpris de t’entendre dire ça. Que me conseilles-tu de faire ?
— Commence par récupérer l’objet que le Sculpteur d’ombre avait en sa possession. Enfin, si tu l’as toujours…
— Il est enterré dans le jardin de mon grand-père.
— De quoi ? L’objet ou la dépouille du Sculpteur d’ombre ?
— Les deux.
— Parfait, répondit Eneko en déglutissant. Il faut récupérer cet obélisque, il se peut que nous en ayons besoin.
— Et celui de Christine, tu as une vague idée de l’endroit où il pourrait être ?
— J’ai fini par mettre la main dessus. Comme on nous l’avait dit, il est endommagé. Je l’ai quand même gardé au cas où, mais je suis incapable de le réparer. Il a quand même marché à deux reprises.
— Tu t’en es servi ?
— À ton avis ?
Jules soupira.
— Tu es conscient que si je parle de cette histoire, je ne pourrais plus revenir en arrière ? C’est un peu comme si j’ouvrais la boîte de Pandore.
— Nous l’avons déjà ouverte l’été 2016, Jules.
— Et je me demande encore comment nous sommes parvenus à étouffer cette affaire. Tu me conseillerais donc d’en parler à des personnes de confiance ? C’est tellement risqué… Comment rester de marbre après des révélations pareilles ?
— C’est vrai que tu sembles être totalement passé à autre chose, alors que moi… Eh bien, j’ai continué d’enquêter. Enfin, là n’est pas le sujet. Bien sûr que tu te dois d’en parler à tes proches. Ils pourront peut-être nous aider ou en tout cas, ils pourront au moins comprendre de quoi il en retourne. As-tu vraiment un autre choix, Jules ?
L’intéressé se passa une main dans les cheveux.
— Mes deux pires cauchemars sont en train de devenir réels. Je suis incapable de tuer Ezra et l’histoire du Sculpteur d’ombre m’oblige à remuer une affaire que j’ai tenté de dissimuler depuis toutes ces années.
— Nous avons fait notre devoir, tu ne dois pas te flageller pour ça. Tôt ou tard, nous savions tous les deux que nous serions confrontés à une telle situation. Un truc comme ça ne pouvait pas rester sous terre indéfiniment. Dans tous les sens du terme.
Un truc comme ça, se répéta Jules comme s’il s’agissait d’un secret entre lycéens.
— Et tu connais mon dicton préféré : « Mieux vaut tard que jamais ».
Eneko se releva de la pierre tombale et s’avança vers lui. Le sourire en coin, il lui dit :
— Grâce aux logiciels informatiques que tu m’avais passés, j’ai pu obtenir une description précise de son visage.
— Ils sont très difficiles à repérer, dans la famille.
— Christine est différente. Elle est davantage comme nous. Enfin, tout ça m’a mené jusqu’à Lacanau. Quand je suis arrivé, j’ai entendu l’église s’effondrer. Je suis resté en retrait jusqu’à ce que je te voie sortir et te lancer à la poursuite de ce géant aux cornes de gazelles. D’ailleurs, il sort d’où ce mec ?
— C’est le père des jumelles à qui tu as parlé.
Eneko marqua une pause avant de commenter :
— Tu as l’art de côtoyer des gens qui ont de sacrés problèmes familiaux.
Jules laissa échapper un petit rire nerveux. Eneko était toujours aussi drôle et il avait l’art d’ironiser sur des situations dramatiques.
— Je suis parti en même temps que les jumelles.
— Ça veut dire que Lucie n’est pas loin…
— Je t’avoue que je ne sais pas qui est qui. J’ai rarement vu des sœurs qui se ressemblaient autant.
— Elle ne sait pas qu’Amandine a été enlevée… Il faut que je la retrouve.
— Oui, ça me semble important.
Cette amitié avec Eneko lui avait manqué. Après la mort du Sculpteur d’ombre, les deux hommes s’étaient perdus de vue. Jules s’approcha de Florent et lui caressa le front.
— Je vais te sortir de là, dit-il à son ancien meilleur ami.
— Pas… Lothaire, articula ce dernier.
— Il n’en est pas question. Tu ne retourneras pas dans cet asile. Il est temps que j’assume mes responsabilités. Je vais te raccompagner chez moi, auprès de mes amis.
— Il… est ma-la-de. Fou à lier.
Un peu plus tard, du côté de Mios…
Rose marchait depuis des heures, sans téléphone ni lumière, lorsqu’elle aperçut le panneau de la commune de Mios, à l’entrée du bassin d’Arcachon. Ses chaussures lui faisaient mal aux pieds. Malgré la pénombre, elle pouvait encore apercevoir le sang d’Océane qui avait taché ses tennis. Difficile pour elle de chasser l’image de l’ex-commissaire qui se faisait violemment taillader le corps par un Ezra impitoyable.
Essoufflée, des cloques sous la voûte plantaire, Rose s’appuya sur le panneau métallique et essaya d’interpeller les voitures qui passaient dans le coin. À peine visible, les conducteurs ne la voyaient que trop tard et ne pouvaient pas s’arrêter en plein milieu de la chaussée.
— Ce n’est pas vrai ! pesta la fille de Martin qui venait d’essuyer son quatrième refus.
Résignée, elle poursuivit son chemin sur la route qui n’était pas éclairée. Elle se massa les tempes et fit fonctionner ses méninges. Dans ses souvenirs, la ville de Mios comptait de grandes maisons pavillonnaires dont la plupart se situaient autour d’un grand supermarché. Rose aperçut enfin l’enseigne lumineuse qui paraissait très éloignée. Elle ne se sentait pas capable de marcher encore très longtemps.
Sans GPS, elle s’était perdue. Après avoir quitté précipitamment le domicile de feu M. Folio, Rose avait couru tout droit en direction de la forêt pour s’éloigner le plus possible de Biganos et tentait de tenir le coup après le traumatisme qu’elle venait de vivre. La blondinette avait alterné la course et la marche pendant des heures, sans trop savoir dans quelle direction elle allait.
À présent, elle venait de retrouver la civilisation et c’était pour elle une très bonne chose. Rose espérait dénicher rapidement un téléphone pour prévenir Jules de tout ce qu’elle venait de vire. Mais après réflexion, elle risquerait d’effrayer les habitants de Mios avec sa tenue tachée de sang. Réfléchis, réfléchis, martelait Rose dans son esprit.
Elle s’arrêta près du petit ruisseau qui traversait la forêt et s’aspergea le visage. L’eau était absolument dégoûtante, mais Rose avait une idée derrière la tête. Elle frotta ensuite ses vêtements et ses chaussures pour faire partir le sang d’Océane le plus possible. Pour terminer, elle prit un peu de terre qu’elle étala sur ses genoux et sur ses coudes.
Déterminée, Rose poursuivit sa route et s’arrêta à quelques dizaines de mètres plus loin devant une petite maison. Le portillon était noir, à peine plus petit qu’elle. À sa droite, une sonnette sur laquelle Rose appuya deux fois.
Un homme âgé d’une quarantaine d’années alluma la lumière du perron et s’approcha timidement du portail.
— Bonsoir, c’est à quel…
Il ne put terminer sa phrase. Il écarquilla les yeux en voyant l’état dans lequel elle se trouvait.
— Mon Dieu, tout va bien, madame ?
— Euh, oui, oui, ce n’est rien. Je faisais une petite balade à vélo et je suis tombée dans un fossé. Je… Je voulais savoir si je pouvais utiliser votre téléphone pour appeler mon compagnon. Le mien s’est cassé durant la chute.
— Bien sûr, madame, répondit spontanément le propriétaire des lieux.
Une petite fille pointa sa jolie frimousse et demanda au monsieur :
— Papa, qui c’est cette dame ?
— Ce n’est rien ma chérie, retourne prendre ton dessert.
Puis, se tournant vers Rose :
— Voulez-vous entrer une minute pour passer votre coup de téléphone ?
La fille de Martin accepta l’invitation. Mieux éclairée par la lumière du perron, le père de famille se mordit l’index en la scrutant.
— Je peux vous conduire à l’hôpital de La Teste, ça m’a l’air sérieux tout ça.
— Inutile, répondit Rose poliment, ce n’est pas aussi grave que ça en a l’air.
— Vous plaisantez ? demanda l’hôte en refermant la porte d’entrée. Vraiment, ça ne me pose aucun problème, le Pôle Santé est à moins de vingt minutes en voiture.
— Ce n’est pas nécessaire, vraiment. J’ai eu beaucoup de chance. Une voiture a déboulé de nulle part à l’entrée de la ville et son rétroviseur a tapé dans mon guidon. J’ai perdu l’équilibre.
— Les gens sont vraiment malades sur cette route.
— À qui le dites-vous…
La petite fille, visiblement curieuse, sortit de table et revint avec un faux téléphone portable.
— La dame peut utiliser mon téléphone si elle veut. Il peut appeler sur Mars.
Rose décrocha un sourire et s’accroupit, feignant d’avoir mal aux genoux pour conforter ses hôtes dans l’idée qu’elle avait fait une violente chute.
— C’est très gentil, mais je doute que mon amoureux puisse m’entendre avec ton téléphone.
— Même s’il peut appeler sur Mars ? demanda l’enfant en faisant la moue.
— Range ça, lui demanda son père qui ne pouvait lui aussi dissimuler son envie de rire.
La petite fille fronça les sourcils, croisa les bras et fit demi-tour de manière très théâtrale.
— Votre compagnon habite dans le coin ?
— Non, il habite à Petit Piquey. C’est super loin, je sais. En fait, j’ai pris mon vélo ce matin pour faire le tour du Bassin.
La tenue qu’elle portait ne s’y prêtait guère. Pas de sac à dos pour transporter une gourde ni de quoi se ravitailler. Heureusement que ce monsieur était trop occupé à regarder ses blessures, autrement il aurait vu que l’histoire de Rose ne tenait pas la route.
— Je suis sincèrement navré que la balade ne se soit pas déroulée comme prévu.
L’hôte lui tendit son téléphone portable.
— Au fait, dit-il, moi c’est Martin.
Rose sentit son estomac se nouer en entendant le prénom de son père.
— Rose, répondit-elle en lui serrant la main.
Il s’éloigna pour lui laisser un peu d’intimité afin qu’elle puisse passer son appel téléphonique tranquillement.
— Allô ? demanda Jules en décrochant au bout de la troisième sonnerie.
— Mon cœur ? C’est Rose.
— Où es-tu ? J’ai essayé de t’appeler plusieurs fois.
— Je suis à Mios…
— Mais qu’est-ce que tu fabriques là-bas ?
— C’est un peu long à t’expliquer. J’ai fait une découverte…
— Pas aussi importante que la mienne, la coupa Jules. Rose, c’est Baptiste qui se cache derrière la capuche d’Ezra.
— Baptiste ? s’étonna-t-elle. Tu en es sûr ? Florent s’est échappé de Lothaire de Grasse et il a une bonne raison de vouloir se venger de toi.
— Le coupable idéal, hein ? Ce n’était qu’une diversion. Je suis chez mon père, j’ai ramené Florent. Je t’expliquerai.
— Jules, il faut que tu viennes me chercher.
— Non, ma chérie, je ne peux pas. Je dois absolument me rendre chez mon grand-père. Mais ne t’en fais pas, Mehdi est là, lui aussi. Il va venir te récupérer. Je vais t’envoyer son numéro et tu lui diras où tu es. Tu n’es pas blessée ?
— Je n’ai rien, je vais bien.
Jules poussa un soupir de soulagement.
— Je suis tellement désolé de t’infliger ça, mais je n’ai pas le choix. Je dois récupérer un objet d’une importance cruciale et il faut mettre mon grand-père à l’abri d’Ezra.
— Pourquoi, André est en danger ?
— D’après Florent, c’est plus compliqué que ça.
— J’ai absolument besoin de te parler quand tu rentreras.
— Tu es sûre que tout va bien ?
— Sur le plan physique, ça va. Je ne suis pas blessée ni en danger.
— Bon… d’accord. Il faut que je raccroche. Mehdi te rappellera sur le numéro avec lequel tu me parles. Je fais au plus vite.
Quelques dizaines de minutes après l’appel téléphonique, dans la demeure d’André Domaire…
Le portail était grand ouvert. Lorsqu’il atterrit devant l’entrée, ses bottes noires s’enfoncèrent dans l’herbe. Zoydra écrasa quelques pommes de sous ses pieds. Les lumières disposées de chaque côté de l’allée s’allumèrent et l’Ange ouvrit la porte d’entrée avec précipitation.
— Qui est là ? demanda son grand-père d’une voix forte.
À l’autre bout du couloir, Zoydra l’entendit recharger son fusil de chasse.
— Doucement papi, c’est moi.
André risqua un œil, l’arme pointée dans sa direction.
— Bon sang, Jules ! s’emporta le vieil homme. Je ne suis plus tout jeune, moi. Tu pourrais au moins t’annoncer. À moins que tu veuilles que je fasse une attaque…
Zoydra s’approcha et le prit dans ses bras.
— Qu’est-ce que tu fabriques chez moi à une heure pareille ?
La télévision était allumée. Il reconnut l’inspecteur Elliot Stabler de New York : Unité spéciale. Une tasse vide était posée sur la table en verre à côté du fauteuil relaxant. La lampe halogène, située à l’autre bout de l’immense salon, émettait une faible lumière. À coup sûr, André s’était endormi devant la télé.
— Il faut que tu fasses tes valises. Maintenant.
Son grand-père rangea le fusil dans son armoire prévue à cet effet.
— Tu sais quel âge j’ai ? Je vais fêter mes quatre-vingt-cinq ans en novembre. Est-ce que tu crois que tu peux me flanquer la trouille à une heure du mat’ en débarquant à l’improviste et en me demandant de faire mes bagages pour aller je-ne-sais-où ?
Zoydra posa les mains sur ses épaules et soupira.
— Depuis que je suis parti, je n’arrête pas de venir à l’improviste, de te causer des frayeurs et de ne plus te donner de nouvelles pendant des mois. Très honnêtement, cela ne m’enchante pas plus que ça.
— Tu vas compléter ce beau laïus en me disant que c’est hyper important ? Comme quand tu as décidé de partir en Égypte ?
Zoydra éteignit la télévision et retira sa capuche.
— Je peux t’annoncer quelque chose de très grave ou bien il te faut encore un peu de temps pour te remettre de tes émotions ?
André laissa échapper un sourire en coin.
— Tu sais, dans le fond, l’âge c’est dans la tête.
Il accompagna sa petite boutade par un clin d’œil. Jules l’invita à s’asseoir sur le fauteuil, ce que le vieil homme fit.
— Je sais qui a tué Adèle.
André serra les poings. Il était prêt à encaisser le choc.
— Ezra, c’est Baptiste Folio.
— Le frère ton ami d’enfance ?
— Exact.
— Je ne peux pas le croire !
— Moi non plus. Et tu ne peux pas imaginer à quel point je m’en veux de ne pas avoir découvert la vérité plus tôt…
Jules prit dix bonnes minutes pour lui raconter dans les détails la soirée qu’il venait de vivre. André serrait toujours les poings. Il restait là, silencieux, à écouter son petit-fils lui expliquer pourquoi Ezra avait tué Adèle. Après un long silence, il demanda :
— Si Ezra t’a laissé aux mains de ses sbires, comment as-tu fait pour t’échapper ?
— Un vieil ami à moi m’a sorti de ce pétrin. Eneko, tu te souviens de lui ?
— Comment l’oublier après ce que nous avons vécu…
— Je ne te le fais pas dire.
— Comment il se porte ?
— Bien. Enfin, je crois. Nous devons aller le retrouver. Fais tes valises. Nous partons.
— Pourquoi est-ce que je sens que cela ne va pas me plaire ?
— Nous allons tous chez Papa. Nous ne sommes plus en sécurité ici.
André se leva et augmenta l’éclairage de la lampe allogène.
— Parce que chez ton père, ce sera mieux ?
— Non, mais nous serons unis.
— Bon, tu vas m’aider à charger mes affaires.
— Pas tout de suite. Fais une pile devant l’entrée, je les mettrai dans la voiture au moment de partir.
Jules renfila sa capuche et fit demi-tour, direction le jardin. À l’autre bout du couloir, André demanda :
— Puis-je savoir ce que tu vas faire pendant ce temps ?
En chuchotant, l’Ange répondit :
— Déterrer un cadavre.
La porte du garage grinça. La lumière jaune donnait un aspect ancien à cette pièce pourtant très moderne. Les outils étaient rangés comme autrefois, c’est-à-dire les uns à côté des autres, suspendus par un crochet. Scie à main, râteau, tenailles, pelles, sécateurs… André Domaire avait là une très jolie collection. Au regard du travail nécessaire pour entretenir le jardin, un tel équipement était de rigueur.
Zoydra attrapa l’une des pelles et sentit un frisson lui parcourir le bras. Les cadavres finissent toujours par remonter à la surface, tu t’attendais à quoi ? L’Ange éteignit la lumière et fit le tour de la maison. Ses ailes blanches lui permettaient d’y voir malgré la pénombre. Le mimosa envahissait une partie du jardin sauf à un endroit précis. Avec le temps et les fortes chaleurs, André jardinait de moins en moins souvent.
Quelques années plus tôt, le jour où Jules avait appris la mort de Camille, son grand-père et lui déjeunaient au restaurant. Le vieil homme avait évoqué le fait que le mimosa ne poussait plus à l’endroit où le Sculpteur d’ombre avait été enterré. Et pour cause, même après sa mort, cette créature serait toujours-là pour lui rappeler le poids de ce secret.
Zoydra enfonça la pelle dans la terre et commença le travail.
— Jules, mes affaires sont prêtes, ça fait vingt minutes que j’attends et… Oh, mon Dieu.
André Domaire éclairait le jardin avec le flash de son portable. Zoydra était à genoux, la pelle posée à côté de lui. Le cadavre du Sculpteur d’ombre venait d’être déterré et l’Ange était tout bonnement incapable de décrocher son regard de la dépouille aux cheveux gris.
— Même après tout ce temps, je suis encore captivé par cette créature. J’avais oublié à quel point cette enquête m’avait obsédé, au point d’oublier les raisons pour lesquelles j’avais quitté Bordeaux.
Tout avait été si captivant, si addictif. Pas que pour lui, également pour son grand-père et pour Eneko qui d’ailleurs n’avait jamais vraiment décroché de cette enquête.
— Pendant toutes ces années, dit André, j’ai pris sur moi pour ne pas te poser trop de questions à son sujet. J’avais cette envie folle de traverser le jardin, en pleine nuit, pour voir une nouvelle fois le visage de ce tueur en série. Cette soirée avec Michael et Isabelle ne cesse de me hanter, même après tout ce temps.
Le cadavre du Sculpteur d’ombre était si parfait. Ses longs cheveux gris, raides et soyeux, ne s’étaient pas abîmés le moins du monde après toutes ces années. Il portait une chemise sombre en lin, un pantalon assorti et des chaussures noires faites de cuir. Son teint blanchâtre, sa peau lisse et ses sourcils si bien coiffés… rien n’avait changé.
— On dirait que tu l’as enterré hier soir, commenta André. Il est si…
— Propre ?
Son grand-père déglutit. Zoydra fixait toujours son tout premier adversaire aux pouvoirs surnaturels. Le Sculpteur d’ombre avait un visage si enfantin, si innocent. S’il n’avait pas cette profonde entaille à la gorge, on aurait pu croire qu’il était simplement endormi.
— Il n’est pas humain, pas vrai ?
L’Ange ne répondit pas.
— Inutile de le nier, continua André. Depuis bientôt dix ans, de nombreux héristars sont morts. On l’aurait su si des années après leurs cadavres étaient restés intacts. Le Sculpteur d’ombre n’est pas l’un des vôtres.
— Tu n’imagines pas la pression que j’ai sur les épaules depuis le soir où on l’a enterré. J’ai tout fait pour étouffer cette affaire et tenter de vous faire oublier ce qui était évident. Ce jeune homme répond à une question que l’on se pose depuis des millénaires : sommes-nous seuls dans l’univers ?
Zoydra se releva.
— La réponse est non.
André manqua de s’étouffer.
— Qu’est-ce que tu as dans la main ?
— Un souvenir.
Il glissa l’objet en question dans la poche de son costume. C’était un petit obélisque.
— Je vais t’aider à charger tes affaires. Je prendrai son cadavre avec moi. Il faut à tout prix éviter qu’une personne mal intentionnée ne mette la main dessus. Nous nous retrouverons chez Papa et je vous expliquerai tout.
Une heure plus tard, dans la maison d’Yves Domaire…
Lucie Cheminade avait fait le trajet seule pour venir jusqu’ici. Juste après avoir quitté le cimetière avec le Florent, Zoydra lui avait fait part de la terrible nouvelle : Ezra était au fait de la trahison d’Amandine et il l’avait enlevée. Les retrouvailles entre les sœurs jumelles furent de courte durée. Malgré ce retournement de situation, Zoydra l’avait trouvée anormalement calme. Le choc, sans doute. La Lucie qu’il connaissait aurait foncé tête baissée pour retrouver sa jumelle. Surtout après avoir passé plusieurs années à chercher sa sœur au point d’en perdre la raison.
Il s’était écoulé plusieurs dizaines de minutes avant qu’Amandine ne les rejoigne au cimetière. Ezra, furieux, n’avait fait qu’une bouchée d’elle. Il était évident qu’après avoir perdu des alliés importants dans l’église de Lacanau, l’Ange de la mort ne pouvait sciemment exécuter son bras droit, malgré sa trahison. Il ferait tout possible pour exploiter une nouvelle fois son potentiel et essayer de la ramener à la raison. De ce fait, Amandine n’allait pas mourir de sitôt.
Tous les volets étaient fermés, aucune lumière n’était visible depuis l’extérieur. Les invités étaient entrés au compte-gouttes. M. Domaire les accueillait comme s’ils étaient les gardiens d’un secret d’État. Tous assis autour de la table rectangulaire de la salle à manger, personne n’osait prendre la parole.
Mehdi et Alice étaient arrivés les premiers. Le profiler, encore épuisé par ses mésaventures à Loudenvielle, avait dû repartir précipitamment, en même temps que Jules, pour récupérer la compagne de ce dernier qui s’était égarée dans la ville de Mios. Alice et Yves étaient restés pour veiller sur Florent, en piteux état depuis que Jules l’avait sauvé d’une mort certaine. Entre-temps, le jeune homme avait pris le temps d’expliquer à son père et à ses camarades aventuriers le dénouement final de la soirée, à savoir la révélation sur l’identité d’Ezra.
Yves était effondré. Après tout ce temps sans connaître l’identité du meurtrier de sa fille, il avait enfin obtenu la réponse. Le père de Jules, tout comme lui, avait encore beaucoup de mal à réaliser. Le petit Baptiste était si timide, si solitaire, comment avait-il pu en arriver là ?
L’horloge fixée au mur indiquait deux heures quarante-cinq. Avec l’adrénaline, aucun des invités n’était fatigué. Ils étaient tous assis sur de magnifiques fauteuils couleur crème. Zoydra présidait. Avec ses ailes lumineuses, il avait fière allure. Rose se situait à sa gauche. Le visage et les habits encore recouverts de terre, elle n’avait pas perdu une once de son charme. Peu importe les vêtements ou l’état dans lequel elle se trouvait, Jules l’aimerait toujours.
Alice et Mehdi, plus proches que jamais, s’échangeaient des regards complices malgré la gravité de la situation. André s’était installé à l’autre bout de la table en noyer. Yves, qui venait de l’aider à décharger ses affaires, n’avait pas souhaité s’asseoir pour écouter ce que Jules avait à dire. Quant à Lucie, elle s’était assise à côté de son ami héristar, à sa droite.
Zoydra avait exposé le cadavre du Sculpteur d’ombre sur la table. Aussi surprenant que cela pût être pour les invités, qui ignoraient tout de la nature du défunt, aucune odeur n’était perceptible. La mâchoire carrée de cet individu à l’âge incertain lui donnait un air grave qui venait en contradiction avec son visage juvénile, son nez droit et ses lèvres presque roses.
— Qu’attendons-nous, au juste ? demanda André pour briser le silence.
— Un invité surprise devrait arriver.
Quelques murmures. Des chuchotements. Personne n’avait la moindre idée de qui allait franchir la porte. Zoydra reçut une notification sur son téléphone portable et se leva pour accueillir son ami de longue date.
— Tu as pu trouver facilement ? demanda-t-il.
— La route est longue depuis les Landes, répondit Eneko. Tu sais que je n’ai pas l’habitude de me déplacer.
— Dois-je comprendre que c’est bien toi que j’ai en face de moi ?
— Absolument, tu en doutais ?
— Je te connais un peu. Au cimetière, ce n’était pas vraiment toi, n’ai-je pas raison ?
Derrière sa capuche, Zoydra souriait. Il adorait l’accent du Sud-Ouest que son ami Basque avait toujours conservé.
— Bien joué.
— Entre, j’attendais ton arrivée pour commencer à leur expliquer la situation.
Les invités le dévisagèrent avec étonnement. Nerveux, Eneko avait le sentiment d’être observé au microscope par cinq des six personnes assises autour de la table.
— Je vous présente Eneko, annonça Zoydra. C’est un ancien camarade du BTS qui habite dans les Landes. Je ne l’ai pas revu depuis mon retour à Bordeaux.
— Techniquement, nous ne nous sommes pas vus beaucoup de fois, répondit l’intéressé avec un clin d’œil.
Cette private joke amusa beaucoup l’Ange qui ne souhaitait pas s’étaler sur le sujet. Chaque chose en son temps.
— Papa, je ne t’ai pas demandé comment allait Florent ?
— Je l’ai laissé dormir dans la chambre d’amis. Je suis passé le voir il y a dix minutes.
Son ancien ami, déboussolé, avait bien failli y passer. Zoydra l’avait déposé chez son père, lui avait trouvé d’autres vêtements et s’était assuré qu’il ne manquait de rien.
— Bon, très bien. Installe-toi, Eneko, je t’en prie.
L’invité surprise déclina poliment l’invitation en voyant le cadavre du Sculpteur d’ombre allongé sur la table.
— Il n’a pas pris une ride, le salaud… C’est terrifiant !
Plus Zoydra fixait Eneko, plus il s’en voulait de ne pas avoir pris de ses nouvelles pendant presque sept ans. Jules, pour changer, était passé d’une obsession à l’autre et comme avec Naya, il avait fini par s’éloigner des gens qu’il fréquentait autrefois. Il n’avait toujours pas saisi l’importance de donner signe de vie à ses amis, ne serait-ce qu’une fois par mois, pour ne pas que ces derniers pensent qu’il coupait les ponts.
— Eh bien, puisque tout le monde est ici, reprit-il, nous allons pouvoir commencer.
— Qui c’est ce… monsieur ? lança Mehdi.
— Je vous présente celui qui se faisait appeler le Sculpteur d’ombre. J’ai déjà évoqué ce nom à certains d’entre vous, mais je ne suis jamais entré dans les détails.
— C’est donc le moment que tu redoutais tant, commenta son père.
— En effet. Je n’ai pas le choix : en plus de tout ce qui se trame avec Ezra, l’histoire du Sculpteur d’ombre revient interférer dans ma vie. L’heure est grave et je dois vous en parler parce que les évènements m’y obligent. Il va falloir que je vous raconte dans les moindres détails tout ce que j’ai vécu pendant presque trois ans, lorsque je vivais chez papi, au Cap Ferret.
— Bien que je sois très enthousiaste à l’idée de connaître enfin la vérité, dit Rose, je ne vois pas en quoi tes révélations vont bien pouvoir nous servir. Je veux dire, entre Baptiste et ce… jeune homme, nous avons deux enquêtes distinctes.
— Au premier abord, oui, mais Ezra a sous la main une autre bombe à retardement, bien plus dangereuse que l’Artéfact. C’est pourquoi il faut absolument le contrer avant qu’il ne découvre la vérité.
— C’est étrange, commenta Alice, il me fait penser à… Nooon, ne me dis pas qu’il est la même famille que Christine !
Zoydra hocha la tête.
— Qui est Christine ? demanda Lucie.
— Chaque chose en son temps.
— C’est vrai qu’ils se ressemblent, analysa Mehdi.
— On se disperse, s’agaça Zoydra. Je vais tout vous expliquer, mais en attendant, je dois clarifier deux ou trois choses avec vous.
Chacun cessa de prendre la parole de manière intempestive. L’impatience qui régnait dans la salle à manger de M. Domaire était palpable.
— Nous t’écoutons, affirma ce dernier.
Zoydra inspira profondément.
— Vous vous en doutez, ce que je vais vous révéler va bouleverser le cours de l’Histoire. Je ne plaisante pas. Et je parle de l’Histoire avec un grand « H ».
— Je confirme, ajouta Eneko.
— Tout ce que je vais vous révéler ne devra pas sortir de cette pièce. Vous pourrez poser autant de questions que vous voulez, j’y répondrai dans la mesure du possible. Je serai totalement transparent avec vous. Par contre, vous devez me promettre de garder cela pour vous.
Tous hochèrent la tête.
— Je vous le révèle parce qu’on m’a suggéré de le faire. Cette histoire va attiser votre curiosité comme elle attise la mienne chaque jour depuis sept ans maintenant. Il va falloir prendre sur vous et faire avec. Le danger est beaucoup trop grand pour que l’on puisse envisager de parler de ça à quiconque, même les personnes que vous jugez dignes de confiance. Excusez-moi d’insister lourdement, mais vous devez être conscients des enjeux.
De nouveau, tous hochèrent la tête.
— Si quelqu’un ne se sent pas capable de garder un secret capital, qu’il s’en aille ! Sans rancune, je peux tout à fait le comprendre.
Personne ne quitta la table. En même temps, la curiosité et l’adrénaline devaient susciter tellement d’intérêt pour les invités que de ne pas écouter l’histoire de Zoydra était inenvisageable.
— Alors on y va. J’espère que vous n’avez pas besoin d’aller aux toilettes et que vous n’êtes pas fatigués, parce que la nuit, ou plutôt ce qu’il en reste, va être longue, très longue. Je voudrais que personne ne m’interrompe, que personne ne prenne des notes et que tout le monde pose son téléphone portable éteint sur la table.
Les invités s’exécutèrent et une minute plus tard, chacun était prêt à écouter le récit de Zoydra.
— Tout a commencé le jour où Adèle a été assassinée…
Chers lecteurs,
Ça y est, vous y êtes ! Après presque 1 500 pages, vous connaissez la vérité à propos du meurtre d’Adèle Domaire. Vous avez également découvert le secret de la relation entre Camille et Jules, jusqu’à ce terrible incendie qui a changé leur vie à tout jamais.
Le tome 4, dont vous venez déjà de lire le prologue, s’articule en deux parties. La première, comme cela a été annoncé par Zoydra, débutera le jour où Adèle Domaire a été assassinée. Quelques semaines plus tôt, Camille et Jules se sont séparés. Mais cette histoire, vous la connaissez déjà !
Avant que vous ne découvriez cette première partie, il est indispensable que vous sachiez ceci : je me concentrerai uniquement sur l’enquête du Sculpteur d’ombre, pas sur les évolutions de la société en ce qui concerne les héristars ni les moments difficiles que Jules traverse. Tristesse, colère, doute et incompréhension… Ce sera à vous d’écrire cela, ou du moins de vous l’imaginer. Vous avez malgré tout une idée globale de ce qui lui est arrivé : entre le meurtre de sa sœur et sa rupture avec Camille, ses trois années au Cap Ferret ont été fort difficiles. Mais comme l’a dit Ezra, à juste titre d’ailleurs : « Jules Domaire s’en sort toujours ».
Très bonne lecture à vous !
Il finit par tomber sur la messagerie après six ou sept sonneries. « Bonjour, vous êtes bien sur le portable de Camille Rispal, je ne suis pas disponible pour le moment, mais je vous rappellerai dès que possible ». Elle avait dû enregistrer son annonce lorsqu’elle était au collège. Sa voix était si jeune sur son répondeur !
— Camille, c’est Jules. Encore. Je… je te laisse un message. Encore. Écoute, je sais que tu as besoin de temps pour digérer ce qui s’est passé, mais ça fait des semaines que tu es partie. Je pense que tu as eu suffisamment de temps pour réfléchir. Alors, s’il te plaît, quelle que soit ta décision, rappelle-moi.
Il raccrocha et s’affala sur le canapé rouge du petit salon. Voilà plus d’un mois que Camille avait pris le train à la Gare Saint-Jean, direction Toulouse. Plus aucune nouvelle depuis. Le monde continuait de tourner autour de lui tandis qu’il avait l’impression de rester immobile. Une routine déprimante venait de s’installer.
J’ai été stupide, se dit-il. Je dois lui montrer que je l’aime autrement qu’en lui envoyant des messages.
— Jules, l’interpella son père de l’autre côté de la porte, tu as besoin de la voiture aujourd’hui ?
— Non, vas-y, t’inquiète, répondit-il alors qu’il n’avait strictement aucune idée de ce qu’il allait faire aujourd’hui.
Jules était H-24 focalisé sur son téléphone. Sonnerie plus vibreur, notifications activées sur les réseaux sociaux, sonneries personnalisées pour les messages et les appels de Camille… Malgré tous ces paramètres, Jules actualisait sans cesse ses applications au cas où les notifications passeraient à la trappe. Après tout, l’informatique n’est pas toujours fiable ! se répétait souvent le jeune homme pour se rassurer. Non, il n’était pas fou, loin de là. Il se voilait juste un peu la face, mais en même temps, dans le contexte actuel, seul l’espoir subsistait.
— Jules, l’interpella une nouvelle fois Yves, tu peux aller ouvrir, s’il te plaît ?
Il n’avait même pas entendu que quelqu’un venait de sonner. Avec nonchalance, il se leva du canapé rouge et accueillit les invités.
— Salut, grand garçon, dit Paul Cheminade en lui serrant la main.
Lucie et Amandine étaient coiffées comme les sœurs jumelles de Shining. C’était d’autant plus angoissant étant donné qu’elles se ressemblaient comme deux gouttes d’eau. L’une portait un jean slim couleur nuit avec un tee-shirt marinière, l’autre une chemise à carreaux avec un short beige.
— Allez-y, entrez.
— Je suis assez pressé, annonça Paul avec une impolitesse affligeante. Les filles ont rendez-vous avec ta sœur et ça m’arrange, car je n’avais pas le temps de les déposer au collège.
Amandine (ou Lucie ?) se précipita dans la chambre d’Adèle pour aller la saluer.
— Je vous récupère ce soir, les filles ! lança Paul avant de claquer bruyamment la porte.
Jules, qui vivait dans un monde parallèle depuis des semaines, resta planté devant l’entrée. Il sentit le regard de Lucie qui était posé sur lui.
— Tu as besoin d’un truc ? demanda-t-il, gêné par son regard insistant.
— Euh, non, non, répondit timidement cette dernière.
C’était bizarre cette façon qu’elle avait de le dévisager. Elle semblait avoir envie de lui dire quelque chose et pourtant, elle serrait les poings comme si elle voulait s’empêcher de parler. Jules détourna le regard. Il angoissait à l’idée d’avoir laissé son téléphone dans le petit salon, car il suffisait de quelques secondes pour louper un éventuel appel de Camille.
— Allez, les filles, c’est l’heure ! annonça Yves Domaire en nouant sa cravate.
Le père de Jules portait un costume bleu marine avec une chemise blanche et une cravate bleu ciel. Il avait mis plus de gel que d’habitude dans ses cheveux grisonnants dont l’implantation avait reculé au fil des années.
— Adèle, tu finis bien à dix-sept heures aujourd’hui ? demanda-t-il.
— Naaaan, dix-huit. Je te l’ai dit hier soir, j’ai une réunion des délégués qui dure toute la journée.
Ça sentait le vernis. Sa petite sœur avait acheté, deux jours plutôt, son premier flacon dans la rue Sainte-Catherine. « Tu peux rêver pour espérer te maquiller avant le lycée, mais je tolère le vernis », l’avait prévenue leur mère.
— Mince, ça veut dire que je ne peux pas venir te chercher directement après le boulot.
— Pas grave, j’ai douze ans, je sais marcher.
Adèle aimait bien affirmer son indépendance, surtout devant ses meilleures amies. Paul Cheminade était très protecteur vis-à-vis d’Amandine et Lucie et rares étaient les fois où les jumelles avaient la possibilité de faire ce qu’elles voulaient. Aller au collège à pied relevait de la science-fiction, même si elles n’habitaient qu’à quelques rues de leur établissement.
— En voiture ! s’exclama Yves avec enthousiasme.
— Tu viens, Amandine ? lança Adèle.
Perdu, se dit Jules qui avait confondu les jumelles. C’était bien Amandine qui le dévisageait avec insistance depuis son arrivée. Cette dernière continuait de le regarder de la sorte, jusqu’au dernier moment.
— À ce soir ! lança Jules qui n’avait qu’une hâte : retourner dans le petit salon et arrêter de faire semblant d’être sociable.
Bol de céréales, petit café noisette et direction sa pièce préférée. Il faillit renverser du lait en attrapant maladroitement son téléphone. Pas d’appel, pas de message, rien du tout. Avant de se préparer pour aller en cours (il ne commençait qu’à onze heures ce jour-là), Jules se vidait la tête en regardant la télévision. Petit salon, de quoi grignoter, plaid sur les genoux, dessin animé ou téléfilm, c’étaient ça, les activités de sa routine déprimante.
Malheureusement pour lui, il ne put se vider la tête, car il reçut une notification sur Facebook qui vint tout chambouler : « Camille Rispal a changé sa photo de profil ». Fou de rage, il regarda la date de publication. « Il y a une minute ».
— Elle se fout de moi ! s’énerva le jeune homme.
Camille avait actualisé sa page quelques minutes à peine après le message de Jules. Autrement dit, elle voyait tous ses SMS et ses appels manqués, mais n’y prêtait pas attention.
— Allez, reprends-toi, se dit Jules en se regardant dans le miroir à côté de la télé.
Ses cheveux blonds devenaient châtains lorsque l’automne approchait. Depuis la rentrée scolaire, il s’était laissé pousser la barbe. Ça le vieillissait énormément, lui qui avait eu dix-huit ans en mai dernier. Son reflet dans le miroir lui déplaisait.
Sur un coup de tête, Jules se rendit dans la salle de bains, s’aspergea le visage avant de se passer du gel à raser. Il utilisa l’un des rasoirs jetables de son père et passa plusieurs minutes dans la salle de bains pour remédier à ce laisser-aller.
En y repensant, le jeune homme ne s’était pas rasé depuis le fameux jour où l’Étoile s’était écrasée sur Bordeaux. Quelle journée de dingue ! Le soir, autant dire qu’il avait dormi comme un bébé.
Il jeta le rasoir, dont l’une des lames venait de se détacher. Pas de sang. Pas la moindre égratignure sur son visage devenu plus jeune qu’il ne l’était. Jules enleva les quelques traces de mousse à raser qui restaient et retourna dans le petit salon. Machinalement, il attrapa son téléphone portable et une autre notification attira son attention :
« SNCF : Profitez d’une remise exceptionnelle pour découvrir l’Occitanie ! »
Si ce n’est pas un signe du destin, je me demande bien ce que ça peut être ! Depuis ce matin-là, il était possible de se rendre dans une ville de la région voisine pour un prix dérisoire. Et parmi les villes qui se situaient en Occitanie, il y avait son chef-lieu : Toulouse. Une idée fit son bout de chemin dans son esprit : et si j’y allais ? La remise proposée par la SNCF n’était qu’un prétexte pour se rendre à Toulouse. Jules, au bord de la déprime, tentait de se raccrocher au moindre signe que lui envoyait le destin. Que lui restait-il comme option, à part garder la foi ?
Dix-heures trente. Le jeune homme quitta le petit salon et attrapa son sac de cours, posé sur le fauteuil de sa chambre. Il sortit tous les manuels du BTS pour les remplacer par un portefeuille bien rempli, quelques caleçons, des tee-shirts et un pantalon.
Jules quitta précipitamment la maison familiale et prit le bus en direction de la Gare Saint-Jean. Lui qui était un étudiant sérieux et passionné par ce qu’il faisait, il venait de tout balayer pour aller retrouver Camille avec l’espoir infime qu’elle lui laisserait une seconde chance. Elle a risqué gros pour notre histoire lorsque nous étions au lycée. À mon tour de lui montrer à quel point je l’aime et à quel point je suis prêt à tout sacrifier pour elle.
Les passagers étaient beaucoup trop nombreux dans ce bus-accordéon. Cela ralentissait fortement le trajet. Jules étouffait. Il avait hâte de sortir. Il était même prêt à faire le chemin à pied jusqu’à la gare tellement que c’était oppressant de se retrouver au milieu de tous ces gens. Après tout, il n’avait pas de contrainte horaire, car la promotion était valable encore tout le mois d’octobre et des trains pour Toulouse, il y en avait toutes les heures.
De la sueur coulait le long de son dos, sa chemise en lin était trempée. Jules descendit du bus et traversa le hall de la Gare Saint-Jean. Le prochain train partait dans vingt minutes, c’était ce qu’indiquait le tableau d’affichage.
Il se précipita sur le guichet automatique et saisit sur l’écran tactile la destination de Toulouse-Matabiau. La manipulation fut incroyablement longue. Le tactile ne répondait qu’une fois sur deux. Jules avait peur qu’à cause de cela, le train ne parte avant qu’il n’ait pu obtenir son billet.
La voix de la SNCF annonça que le TGV partirait de la voie numéro deux. Jules, très nerveux, valida enfin le paiement de son titre de transport. Il remit son sac à dos sur sa chemise pleine de sueur et se précipita vers le passage souterrain. De nombreux voyageurs circulaient de tous les côtés et l’atmosphère devint très vite étouffante.
Le jeune homme réussit à se faufiler à travers les escaliers et rejoignit la voie numéro deux. Le train en provenance de Paris et à destination de Toulouse s’apprêtait à repartir. Jules entra dans le premier wagon et poussa un soupir de soulagement. Il regarda quelle place lui était attribuée et marcha en direction de la cabine du conducteur.
Il était treize heures quinze lorsque le train arriva à la gare de Toulouse-Matabiau. N’ayant jamais mis les pieds dans la Ville Rose, Jules mit un certain temps pour rejoindre le hall principal. Il s’attarda sur les divers plans des lignes de métro et de bus jusqu’à ce qu’il puisse voir la faculté dans laquelle Camille étudiait.
Le jeune homme était nerveux. Il s’essuya plusieurs fois le front avant de commander de tickets de métro sur une borne prévue à cet effet. Une main dans les cheveux, l’autre prête à composer le code de sa carte bancaire, Jules sentit une vibration dans sa poche : Camille était en train de l’appeler. Étant donné que le jour de la Chute de l’Étoile, son portable s’était brisé, le jeune homme avait perdu toutes les photos de ses deux dernières années. Il n’avait donc pas associé de photo au contact de son ex et ce fut un profil gris qu’il vit juste en dessous des coordonnées de Camille.
— Allô ? demanda-t-il.
— Jules, c’est Camille, répondit-elle d’une voix ferme.
Il ne se débina pas pour autant.
— Je sais, répondit-il avec aplomb. J’attendais ton appel depuis un petit moment déjà. Tu as eu mes messages ?
Elle se racla la gorge.
— Oui. Je les ai tous écoutés.
— Cool. Je commençais à m’inquiéter.
— À propos de tes messages, si je n’ai pas répondu, ce n’est pas parce que je n’avais pas le temps.
— Ah bon ? Alors, pour quelle raison as-tu choisi de m’ignorer ?
— Je n’ai pas envie de te parler, de t’écrire ou même de recevoir d’autres messages de toi. Pas maintenant. Et sans doute pas avant très longtemps.
Jules serra les dents. Il était envahi par la colère.
— Je pense pourtant que nous avons beaucoup de choses à nous dire. Après ce qui nous est arrivé, nous ne pouvons pas nous séparer comme si nous avions vécu une simple amourette d’adolescents.
— Alors qu’est-ce que c’était, si ce n’était pas une histoire de lycéens ?
— Toi et moi, c’était réel.
Il avait la lèvre inférieure qui tremblait, mais sa voix était grave et appuyée.
— Tu as sûrement raison, finit par reconnaître Camille. Mais ça m’est égal ! Je veux que tu arrêtes de m’appeler. J’ai besoin de respirer. Ça veut dire ce que ça veut dire.
Il ne répondit pas tout de suite. Il laissa les secondes défiler. Ai-je bien entendu ? Est-ce bien réel ? Camille n’avait jamais été aussi distante, même lorsque ça n’allait pas. Elle l’avait déjà quitté au cours de leur relation mouvementée, mais cette fois, ça semblait définitif.
— Jules, crois-moi, ça ne me fait pas…
Il raccrocha. Comme ça, sans un mot, sans même prendre le temps d’écouter ce qu’elle avait à lui dire. La dernière lueur d’espoir avait mis les voiles. La main tremblante, il retira sa carte bancaire de l’automate sur lequel l’écran affichait : « Transaction interrompue ».
Le jeune homme avait du mal à retrouver son souffle. Il s’éloigna en titubant lorsqu’une passante s’arrêta, inquiète :
— Tout va bien, jeune homme ?
Il avait les larmes aux yeux. Le visage de son interlocutrice était flou. Il percevait à peine son accent toulousain si chantant.
— Je crois, oui, répondit-il en fixant ses pieds.
— Vos yeux sont si jaunes…
Après avoir déjeuné dans une brasserie, seul, Jules retourna à la gare de Toulouse-Matabiau pour prendre le billet du retour. Les bornes automatiques ne fonctionnaient plus, il dut faire la queue au guichet. En attendant, il saisit son téléphone portable et ouvrir l’application Facebook pour faire ce qu’il adorait le plus faire : consulter le profil de Camille. À sa grande surprise, elle l’avait retiré de ses amis. Son compte n’était plus accessible, il ne pouvait voir que ses nouvelles photos de profil.
Jules ferma les yeux. Pourquoi avait-elle eu une réaction aussi disproportionnée, aussi immature ? Camille était tout simplement en train de tourner la page. Sa photo de profil, qu’elle avait changée le matin même, était en noir et blanc. Ses cheveux bruns étaient plus sombres et plus lisses que jamais. Elle et moi, c’est bien fini.
— Bonjour, jeune homme, dit la personne en charge de l’unique guichet. C’est à nous. Quelle est votre destination ?