La Ferme sans hommes - André Crépet - E-Book

La Ferme sans hommes E-Book

André Crépet

0,0

Beschreibung

La découverte de la ruralité au travers d'un récit d'expérience.

André Crépet a déjà témoigné longuement de son expérience d’aide-soignant en EHPAD. Il a décrit le quotidien des résidents et celui des soignants assorti de nombreux conseils aux soignants agrémentés de situations vécues. Avec ce nouveau livre, son premier roman, il explore le domaine de la France rurale au début du 21e siècle en remontant jusqu’aux années 70. Lui-même , fils de petit agriculteur, il relate la vie des paysans durant la seconde guerre mondiale et la période trouble qui a suivi car la guerre de 39-45 pose de nombreux problèmes aux fermiers, tout comme les 2 soldats allemands restés au village qui alimentent l’intrigue.
En s’appuyant sur son vécu et de nombreuses recherches, il nous emmène dans la campagne du Haut Forez de son enfance, dans le département de la Loire. Les diverses innovations technologiques ont du mal a y parvenir, alors que les grandes fermes de la plaine du Forez les expérimentent depuis plusieurs années.

Basés sur des faits réels d'après les observations de l'auteur, ce roman vous emmènera au cœur du quotidien et de l'histoire d'une famille rurale, en apparence banale...

EXTRAIT

Le soir, à la veillée au coin du feu, elle raconte à ses petites-filles, au valet, la vie dure qu'elle a eue, le manque de confort, le dur travail avec Louis son mari. Furth qui comprend de mieux en mieux le Français semble lui aussi intéressé. Il parle de la ferme où il travaillait en Allemagne. Le fermier n'était pas du tout sympathique et même assez dur avec ses valets. Il trouvait qu'il travaillait trop lentement. Durant la journée, il ne lui laissait pas une minute de répit. Il préférait la France et la ferme de Joseph et Francine. Les fermiers étaient très satisfaits de son travail.
C'est vrai qu'il ne travaillait pas très rapidement. Cependant, le fermier n'a pas besoin de passer après lui pour contrôler et refaire le travail. Furth est à la ferme depuis plusieurs semaines. Il fait presque partie de la famille. Il est logé, nourri et habillé. En attendant, il porte les habits d'un des deux fils décédés. Joseph lui donne un peu d'argent de poche pour qu'il puisse sortir et s'acheter du linge… Lorsqu'un marchand de bestiaux vient parfois acheter un veau à la ferme, Furth a toujours un peu d'argent en plus.
Les fermiers, s'ils gardent leur valet, ils pensent lui donner un peu plus d'argent tous les mois. Furth avait appris à jouer de l'accordéon en Allemagne, lorsqu'il était adolescent. Entre ses mains, l'accordéon du grand-père Louis, décédé, reprend vie grâce à lui.

À PROPOS DE L'AUTEUR

André Crépet a passé son enfance dans un village. Son père, ouvrier, y cultivait quelques terres. Près de 70 ans après, il garde encore le souvenir de ses racines. Au fil des pages, il décrit le terroir du village sur fond de guerre (1939-1945). Il illustre des faits réels tout en les romançant. Le village de son enfance est assez proche de celui où se passe l’action dans le Haut Forez.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 265

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



La ferme sans hommes

André Crépet

La ferme sans hommes

Roman

© Lys Bleu Éditions–André Crépet

ISBN : 9782378774158

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Du même auteur

« Aider à mieux vivre la mort » : Editions de la Chronique Sociale à Lyon, 1988

« Aide-soignant(e)s en gériatrie » : Editions de la Chronique Sociale à Lyon, 1998

« Améliorer les relations soignant-soigné » : Editions Théles à Paris, 2002

« Soignants en gériatrie » (Donner des années à la vie) Editions de la Chronique Sociale à Lyon, 2010

Préface

André Crépet est né dans le Forez, à Montbrison. De ces solitudes à la vie dure, de ces froids, de ces neiges, de cet âtre où mijote la viande dans la crémaillère il a tiré un roman paysan. Plus : une saga de la vie paysanne en trois générations. Si nous vivons, au fil des pages, un roman authentique avec ses inattendus, ses personnages et ses rebondissements, nous apprenons aussi l'histoire. L'histoire d'une contrée, l'histoire d'une époque. Nous traversons le XXe siècle avec des boeufs puis avec un tracteur.

Nous entrons aussi dans le quotidien de la guerre de 1939-45 avec les deux fils faits prisonniers, retenus en stalag. Aucun des deux ne reviendra. Chacun aura une mort tragique, surprenante, qu'il n'aurait pas dû avoir. Alors il manquera ces quatre jeunes bras à la ferme. Les deux filles de la maison vont s'établir. Chacune trouvera un mari mais là où le récit authentique de cette vie de fermiers prend une couleur romanesque c'est que la plus jeune prendra un mari allemand !

C'est alors une autre histoire qui s'ajoute à l'histoire des paysans de Margerit-Chantagret. Dans une ferme abandonnée, proche de la ferme des héros du livre, se cachent deux jeunes Allemands. C'est par hasard qu'on voit, un jour, une fumée sortir de la cheminée de ces ruines. Pourquoi sont-ils là ? Que fuient-ils ? Que cachent-ils ? L'un est très sympathique. Il va bientôt être valet de ferme chez Joseph et Francine. Et un beau jour il deviendra plus que valet de ferme puisqu'il épousera la plus jeune des filles. L'autre Allemand vit retranché, peu sociable, mystérieux, fuyant les gens. Il tentera sa chance lui aussi avec l'autre fille. Sans succès. Sa vengeance sera terrible.

Le récit d'André Crépet se déroule sous nos yeux avec tout le pathétique d'un roman. En tournant une page on se dit : Joseph va-t-il remarcher après sa terrible chute d'une échelle ? Benoîte va-t-elle se laisser séduire par Willy, le fourbe Allemand ? D'où sortent tous ces bijoux cachés dans la ferme abandonnée ? Mais à côté de ces rebondissements on peut être également sensible à la description, toute en précisions, de la vie de la ferme. C'est une mine de renseignements ethnologiques. Quelques exemples glanés ici et là : on payait l'impôt sur les portes et les fenêtres, c'est pourquoi la fenêtre de l'évier était toute petite ; on coupait le pain de seigle de la maison à la hache s’il était trop dur; on se régalait des gâteaux à la farine de froment, cuit au four à pain avec des tranches de pommes…

André Crépet chante l'histoire de son haut Forez et nous promène dans le temps. Une fois le livre refermé on reste imprégné d'une atmosphère : celle des histoires, la veillée, devant la cheminée ; celle des neiges de 1900 ; celle du marché noir et des quartiers de veau que l'on cache pour les soustraire aux Allemands. C'est la réussite de cet auteur, pour la première fois romancier, que de nous laisser dans la mémoire ce quelque chose qui ne s'efface plus : la couleur d'une époque.

Louis Pralus

Journaliste honoraire

Lauréat de l'Académie française

Avant-propos

Dans un petit village du haut Forez situé dans le département de la Loire, en ce mois d'août 1939, la vie est tranquille. Près de la ferme, la plus grande du village coule la Curraize. Il fait très chaud, comme souvent les étés. Les moissons sont en grande partie terminées. Deux grandes meules « meilles » en patois local, composées de gerbes de blé, se dressent fièrement derrière la ferme.

Les deux fermiers, Francine et Joseph ont quatre enfants. Les deux aînés, Jean et Mathieu ne sont pas de trop pour aider à la ferme. Les deux filles, Marie et Benoîte, aident leur mère à l'intérieur de la maison qui comprend cinq chambres, une très grande cuisine qui sert aussi de salle à manger, la pièce de vie où toute la famille se retrouve, près de l'âtre où flambent de grosses bûches de bois. La grande table est constituée de gros plateaux de bois massif, les chaises, elles aussi, sont en bois rustique.

Il n'y a pas encore les diverses commodités actuelles, comme la douche, le lavabo, les toilettes, le frigidaire, le congélateur, l'eau courante à l'évier. L'eau potable est tirée du puits de la ferme. Une source captée il y a quelques années fournit l'eau au bétail : vaches, cochons, volaille… Les deux filles aident parfois leur père et leurs frères, en particulier pour les foins et la moisson.

Cette ferme qui comporte 12 vaches laitières, 2 paires de bœufs et 2 chevaux de trait est à l'époque une des plus grandes et des plus modernes du village. Bien sûr, il n'y a pas encore de tracteur. Les foins et les moissons se font déjà avec des machines mécaniques tirées par des bœufs ou des chevaux. Mais il faut encore de nombreux bras.

Le fermier, Joseph, âgé de 50 ans, est une force de la nature. Il est grand et costaud. Il manie la fourche et le râteau avec une dextérité remarquable. Il sait très bien commander et obtient des autres ce qu'il veut sans pour autant se fâcher.

La fermière, Francine, âgée de 51 ans, respire la bonté même, la gentillesse. Elle est beaucoup plus menue que son mari. Elle est toujours occupée. En plus des travaux d'intérieur avec ses deux filles, elle s'occupe de la volaille, des lapins… De plus, elle fait de délicieux fromages de vache en forme de brique appelés des « vachards ». Tous les samedis, le matin, elle prend le car pour aller vendre ses fromages au grand marché de Montbrison. Elle revient au village l'après-midi avec le même car. Mais le plus apprécié chez Francine, c'est ses gros pains de seigle qu'elle façonne et fait cuire régulièrement une fois par mois. Il faut dire que Joseph, son mari, cultive chaque année un champ de seigle. Le pain de seigle est apprécié de toute la maisonnée et même parfois les animaux de la ferme lorsqu'il est trop dur. Les pains sont alignés sur des râteliers étudiés pour. Même sec et dur, le pain est encore bon. On le coupe à la hache. Arrosé de lait, de café ou de chocolat chaud, il figure au menu du petit déjeuner. Marie l'utilise également pour faire la soupe.

Avec la fournée de pain de seigle, elle cuit deux gâteaux à la farine de froment. Elle y ajoute des tranches de pommes. C'est un régal pour les enfants que ce gâteau. Quant au pain blanc, à l'époque, il est réservé aux malades. Pour les fêtes, Marie adore préparer la daube de bœuf cuite à feu doux durant près de trois heures. Elle prend un rôti de bœuf. Elle le recouvre de vin rouge. Elle y ajoute carotte, oignon, échalote, thym, laurier, girofle, grains de poivre, ail. Elle laisse mariner durant deux jours. Après, elle fait sécher la viande, saler, poivrer. Elle fait rôtir dans un corps gras. Elle saupoudre d'une cuillerée à soupe de farine. Elle mouille avec la marinade. Enfin, elle fait cuire à feu doux durant 2 heures et demie à 3 heures. Pour faire le rôti à l'orange, elle le fait cuire à feu doux autant de temps. À l'époque, vers 1940, les menus pour les mariages sont améliorés.

Jean est le plus jeune des fils. Il est âgé de 25 ans. Il ressemble physiquement à son père.

Il est hardi et costaud comme lui. C'est, comme on dit « une bonne pâte ». Avec lui, il n'y a pas d’histoire, il est toujours content heureux et optimiste.

Son frère aîné, Mathieu, est âgé de 27 ans. Il est plus frêle et plus fier que son frère. Il se fâche plus facilement. Il aurait bien voulu quitter la maison familiale, mais il ne sait pas faire autre chose que s’occuper des bêtes de la ferme et cultiver la terre. Il ressemble plus physiquement à sa mère.

Quant à Marie, la plus jeune des filles, elle a tout juste 20 ans. Elle ressemble beaucoup à son père. Elle est grande, forte, comme son frère Jean. Elle aide plus facilement à la ferme pour les travaux qui demandent beaucoup de bras, comme les fenaisons, les moissons… Elle a un très bon caractère. Elle est toujours contente et facile à vivre.

Sa sœur aînée, Benoîte, a 24 ans. Elle est plus proche de sa mère et lui ressemble physiquement. Elle est plus petite que sa sœur et frêle. Elle préfère les travaux d'intérieur comme le ménage, la cuisine... Elle s'emporte pour un rien. Elle non plus, elle n'a pas appris de métier, alors elle reste dans le cocon familial. Tout comme sa sœur, elle fréquente peu les bals organisés au village.

Les soirées se passent surtout au coin du feu. Les deux filles, tout comme leur mère, tricotent. Quant aux longues soirées d'hiver, après la traite des vaches, à la main, et le souper, les hommes et un voisin jouent souvent aux cartes. À cette époque, il n'y a pas encore de poste de radio et encore moins de téléviseur comme aujourd'hui.

Les grands-parents sont encore vivants. Louis, le grand-père, est âgé de 78 ans. Il a un caractère dur et volontaire. Il est encore costaud et fort pour son âge. Il est grand, avec des mains calleuses, le visage buriné, signes du travail dur à la ferme où il fait tout à la main. Il s'est retiré de la ferme, il y a une dizaine d'années, tout comme sa femme Léontine.

Léontine, sa femme, a 76 ans, elle est encore un peu active en dehors de la maison comme à l'intérieur. Elle a encore une bonne vue. Cela lui permet encore de tricoter un peu pour toute la famille. Physiquement, elle est menue et elle a vieilli avant l'heure à cause des durs à la ferme. Elle a des rides prononcées. Comme Louis, son mari, elle a un caractère jovial.

Les deux anciens se sont retirés dans deux grandes pièces sur le côté de la ferme. Leur appartement comporte une salle à manger, une grande chambre et une petite cuisine aménagée pour leur retraite. Le couple vient avec toute la maisonnée aux repas de midi et du soir. Le matin, ils déjeunent dans leur cuisine. Ils se couchent un peu plus tôt que les autres membres de la famille. Ils restent parfois à la veillée au coin du feu. Ils adorent raconter leur vécu très dur, autrefois à la ferme. Les plus jeunes écoutent attentivement. Mais, d'habitude ils ne parlent pas beaucoup à la famille de la vie de la ferme actuelle et ancienne.

Ils ont travaillé très dur à la ferme qu'ils ont créée. Joseph, leur fils unique, a pris la succession à la ferme, il y a déjà quelques années. Depuis qu'ils se sont retirés de la vie active de la ferme, ils sont très réservés. Cependant, à la demande de leur fils, le fermier, ils acceptent volontiers de lui donner des conseils, sans pour autant l'influencer ni s'imposer.

Louis, le grand-père, qui est né à 1861, à ses débuts à la ferme, faisait tout le travail à la main, les foins à la faux, les moissons à la faucille... Lors des longues veillées au coin du feu, surtout durant les hivers longs, froids et enneigés, il racontait sa dure vie passée à ses petits-enfants : Jean, Mathieu, Marie et Benoîte.

Chapitre 1

Les travaux à la ferme

Le labour

Parfois à la veillée, les petits-enfants aiment questionner leur grand-père, pour qu'il leur raconte la vie de la ferme autrefois.

— Dis pépé, peux-tu nous raconter la vie de la ferme lorsque tu as commencé à y travailler ?

Louis, blotti contre les quatre petits leur a répondu :

— Oui, la vie à la ferme était très dure autrefois beaucoup plus qu'aujourd'hui en 1939.

— Pour labourer, leur dit-il, je me servais de l'araire, une sorte de crochet formé de pièces de bois de fabrication familiale. Je l'ai utilisé à partir de 1881. Elle était tirée par des bœufs.

— Quand l'as-tu abandonnée ?

— En 1900, ma ferme a été la première du village à utiliser une charrue, le brabant double. Mais, vers 1914, elle était couramment utilisée. J'ai toujours été à l'affût des nouveautés utilisées dans la plaine du Forez. Le travail était moins pénible et moins monotone, mais la terre était moins ameublie.

— Venez voir derrière la grange, a dit le grand-père. J'ai gardé mon dernier araire. Cet outil était très vieux par rapport à la charrue.

La fenaison

Une autre soirée grand-père Louis a raconté comment il faisait les foins. Cette fois, c'est Matthieu qui l'a interrogé.

— Pépé, raconte-nous comment tu faisais les foins de ton temps.

— Quand j'ai pris la direction de la ferme de mes parents en 1881, je coupais l'herbe à la faux. Ce n'est qu'en 1909 que j'ai acheté une faucheuse à traction animale. J'ai été le premier à en avoir une dans le village. Je l'ai gardé jusqu'à ma retraite. Le tracteur est arrivé près de 50 ans plus tard, vers 1955.

— Qui tirait la faucheuse a poursuivi Matthieu ?

— C'était un attelage composé de deux bœufs. À l'époque nous avions deux paires de bœufs à la ferme. Les bœufs de 4 ans, on les vendait après la fenaison. Les premiers bœufs, je les ai payés 900 francs. Tous les 4 ans, j'en dressais de nouveaux. Il fallait qu'ils soient identiques.

— Comment faisais-tu les foins quand tu as débuté la ferme ?

— Au début, avant 1909, c'était très dur, il fallait tout faire à la main : couper l'herbe à la faux, tourner le foin avec le râteau et faire des andins, ratteler, charger le foin dans la charrette et la décharger dans la grange. Comme j'étais à l'époque, une ferme un peu pilote, j'ai acheté en 1919 une râteleuse. Elle était attelée à un cheval. Elle ramassait le foin, le mettait en roules.

— Pépé, parle-nous des foins à la faux.

— C'était très pénible de faucher avec la faux manuelle. J'ai usé plusieurs faux, tout comme des pierres à aiguiser. Cette dernière devait toujours être mouillée. C'est pour cela que je la portais à la ceinture dans le coffin rempli d'eau.

Dès le lever du jour, en juin, avant 6 heures du matin, je partais, la faux sur l'épaule, couper l'herbe. Cette dernière était un peu humide, mais cela coupait mieux. À 9 heures, ma femme Léontine m'apportait un casse-croûte. Vers 13 heures, je revenais à la ferme pour un bon repas. Après une petite sieste, vers 15 heures, si je n'étais pas trop fatigué, je partais faucher de nouveau. S'il faisait très chaud, à la fourche ou au râteau, j'étalais le foin coupé le matin pour le faire sécher. Une fois sec, il fallait le retourner de l'autre côté pour le faire sécher également. Une fois sec, il fallait faire des andins et le charger à la fourche dans la charrette tirée par une paire de bœufs. Ensuite, il fallait le décharger dans la grange au-dessus de l'écurie. C'est dire si la râteleuse mécanique a été la bienvenue à notre ferme.

Comme j'étais toujours à l’affût du progrès, j'ai acheté une faneuse pour remuer et tourner le foin. Mais, il fallait toujours le charger à la fourche dans la charrette. Vers 1900, j'ai même travaillé avec la fourche en bois. Sur le char, souvent le valet ou une femme arrangeait le foin afin que le chargement reste en parfait équilibre. Parfois, mais rarement, le foin tombait du char avant l'arrivée à la ferme.

Selon une coutume, le valet de ferme achetait une paire de pantoufles à la servante qui chargeait le foin, après la fenaison si aucune charrette ne s'était démolie. Le dicton « pendré l’os paros » est resté longtemps pour qualifier quelque chose qui se démolissait.

Par la suite, sur les côtés du char, on a mis des grandes clefs ou ridelles. Cela rendait le chargement plus facile. Mais, avec les chemins étroits, cela n'était pas facile. Aujourd'hui, avec le tracteur, tout est mécanisé. La faucheuse s'adapte au tracteur, tout comme la faneuse qui tourne le foin. Il en est de même pour « l'andéneuse, la botteleuse ».

Le grand-père nous racontait également toutes les transformations qu'il y avait eu à la ferme et à la maison d'habitation.

La moisson

Jusqu'à vers les années 1914, grand-père, coupait le blé à la faux. Derrière lui, le valet ou son fils Joseph, ramassait les épis de blé tournés du même côté. Une brassée de blé se faisait à la javelle et constituait des petits tas. Bien avant le coucher du soleil, avec une poignée de paille, ils faisaient un lien pour attacher la brassée pour former une gerbe. Cela faisait l'objet de paris. Certains arrivaient même à faire cent gerbes en une heure. Jean a continué :

— Cela devait être fatiguant Pépé. Avec les gerbes que faisiez-vous ?

— Avec les gerbes, on faisait des grands tas dans le champ. Une fois bien sèches les gerbes étaient transportées à côté de la ferme pour faire une ou plusieurs meules. La batteuse s'installait à côté. La meule ou « la meille » était bâtie en forme de cône, les épis tournés vers l'intérieur pour être protégés de la pluie.

— Dis Pépé, il y avait combien de gerbes dans une meule ?

— On comptait plus de mille gerbes par meule. C'était assez difficile à bien construire tout à la main. Les gerbes étaient prises sur la charrette à la fourche pour être déposées sur la meule. Jean très curieux, lui demanda :

— Alors Pépé, moissonner de cette façon, est-ce que cela a duré longtemps ?

— Je crois que c'est jusqu'en 1920. En 1908, j'ai acheté une faucheuse à traction animale.

Cette machine pouvait faire même des «javelles» mieux qu'à la main. Je l'avais achetée 410 francs à l'époque. Elle était presque neuve. C'était le prix d'une très bonne vache laitière. Après 1920, toutes les fermes du village en avaient une.

— Pépé, lorsque tu as pris ta retraite en 1926, est-ce que c'était les mêmes appareils à la ferme

— Non, les fermes les plus modernes avaient acheté des moissonneuses-lieuses. Elles demandaient beaucoup de force pour la traction. Au début, je la prêtais parfois aux fermiers du voisinage.

Le battage du blé

Un des deux jumeaux continua à poser des questions.

— Dis Pépé, comment tu battais le blé de ton temps ?

— Avant 1900, je battais le blé avec un fléau en bois. Les gerbes étaient détachées et étendues sur le sol en terre battue de la grange. On tapait avec le fléau sur le tapis formé par les tiges de blé. On continuait ainsi jusqu'à ce que les grains de blé soient bien sortis des épis. Le grain était alors ramassé pour le passer au vannoir. Le grain en sortait propre. De l'autre coté du vannoir sortaient en poussières les déchets. Vers 1900, on avait acheté une batteuse à bras. Ce travail était plus monotone que le fléau. Ensuite, nous avons eu un « manège » avec une grande roue dentée. La barre, de chaque côté de la roue, appelée « timon » aidait à mettre un attelage de bœufs ou de chevaux. L'attelage tournait en rond. Cela faisait tourner la roue dentée et mettait en marche la batteuse.

Ce n'est qu'en 1910 que j'ai vu les grandes batteuses actionnées par des locomotives. Il fallait beaucoup d'ouvriers. En quelques jours, toutes les gerbes du village étaient battues. Durant la guerre de 1914-1918, comme tous les hommes étaient partis à la guerre, cette machine a très peu servi. De plus, elle était gourmande. Il fallait un char de bois pour chauffer la locomotive. Mais petit à petit, les locomotives ont disparu pour faire place aux gros moteurs. Elles étaient automotorisées. Elles transportaient la batteuse d'un village à l'autre. Le changement a été radical.

Chapitre 2

La vie à la ferme autrefois

La maison

Des questions ont continué à être posées par l'un ou l'autre des enfants.

— Est-ce que la maison et la ferme ont changé depuis sa construction ?

— Elle a beaucoup changé. La maison a été construite en 1850. J'avais alors 11 ans. À l'époque, très peu de maisons étaient construites entièrement en pierre. On trouvait parfois des blocs de pierre dans les champs cultivés. La plupart étaient fabriquées en « pisé », avec parfois de la pierre seulement dans la partie basse des murs, comme c'est le cas pour nous. Le pisé était fait avec de la terre argileuse un peu maigre et graveleuse. Elle était comprimée sur place. Le béton est arrivé bien plus tard, à partir de 1950.

— Dis Pépé, pourquoi il y avait peu d'ouvertures de ton temps ?

— Oui, cela gardait mieux la chaleur. Mais, on payait un impôt sur les portes et les fenêtres, sauf pour la petite ouverture donnant sur l'évier. Au rez-de-chaussée, il y avait deux pièces. Une grande pièce servait de salle de vie avec la cuisine et une autre le salon qui servait surtout de débarras. À la cuisine, on trouvait deux alcôves. Entre les deux, on trouvait la pendule à poids et l'armoire garde-manger. L'escalier permettait d'accéder aux chambres très froides l'hiver. Mais pour avoir mieux chaud, on couchait à la cuisine ou à l'étable.

— Pépé, tu avais des sanitaires, des w.c. à ton époque.

— Bien sûr que non mon petit. Il n'y avait rien de tout cela. Quelques rares maisons avaient, au fond du jardin une sorte d'abri avec un trou, cela servait de w.c.. Chacun allait où il pouvait. L'hiver, par grand froid, on allait au fond de l'étable.

Encore plus de 120 ans après, toutes les maisons n'avaient pas de sanitaires. Autrefois, on n'avait pas de douche ni de lavabo pour se laver. On allait chercher l'eau au puits et on la faisait chauffer dans une marmite suspendue au-dessus du feu de bois.

L'électricité

— Pépé, est-ce que tu avais le courant électrique à la maison quand tu étais jeune ?

— Bien sûr que non mon petit. L'électricité a été installée seulement en 1932 dans notre commune.

— Alors, avant comment t'éclairais-tu ?

— Avec des bougeoirs avec de grosses bougies, des lanternes, des lampes à pétrole plus tard. Je me souviens, au début, on a eu l’électricité à l'étable et à la cuisine. On allait se coucher avec un bougeoir. Par la suite et progressivement, on a eu l’électricité dans toutes les pièces. Les prises de courant sont venues beaucoup plus tard. Aujourd'hui, tout cela nous semble indispensable. L’électricité me manquait beaucoup pour traire les vaches à l'étable.

L'eau

— Pépé, l'eau devait être un problème pour toi et les animaux de la ferme.

— L'arrivée de l'eau dans la commune est venue seulement en 1965. Avant, on faisait comme on pouvait. La plupart des fermes avaient un puits à côté de la maison. Les vaches avaient de l'eau dans une « boutasse », grand trou creusé qui se remplissait d'eau lorsqu'il pleuvait. Il y avait une source avec des joncs où il y avait toujours de l'eau. L'eau de notre puits, on la faisait bouillir pour boire. Lorsqu'il faisait très sec l'été, le puits n'avait presque plus d'eau. Aussi on allait puiser de l'eau dans une source à près de 500 mètres de la ferme, dans un pré. Sur la place de l'église, il y avait aussi une fontaine d'eau potable en cas de besoin. Mais notre ferme était un peu loin du bourg. D'autre part, il fallait attendre longtemps car le débit du filet d'eau était petit.

Sur la place du village, il y avait également une auge pour les bêtes. Par la suite, il y eut un lavoir. Les femmes venaient y rincer leur linge et papotaient. C'était un lieu de rencontre. Pour la lessive, on puisait l'eau qui descendait des toitures. On la recueillait dans de grands « baquets ».

— Pour faire sa toilette, cela devait être difficile.

— Quand il faisait beau, on allait au ruisseau tout proche. Quant à la rivière, elle était plus loin mais en été, parfois, il n'y avait presque plus d'eau. Les femmes se rendaient à la rivière avec une brouette pour rincer le linge. Elles l'étendaient sur l'herbe et revenaient lorsqu'il était sec.

— Pépé, quand l'eau courante au robinet est-elle arrivée ?

— L'eau courante est arrivée en 1965, après la construction d'un barrage vers le village de Gumières. De nombreuses sources avaient été captées dans le secteur. Ce barrage alimentait plusieurs communes. Après l'arrivée de l'électricité, l'arrivée de l'eau a été une deuxième révolution au village. Cela a changé notre vie. Avant, on avait installé une pompe qui amenait l'eau du puits dans un bassin situé dans la grange.

La cuisson des aliments

— Pour cuire les aliments comment faisais-tu autrefois pépé ?

— Mon petit, à mon époque c'était très rustique. Je me rappelle que jusqu'à mes 53 ans, en 1914, on utilisait que le feu de la cheminée et la crémaillère. À cette époque, le repas de noces se faisait toujours à la maison. Les invités étaient parfois nombreux, plus de 60 personnes On invitait non seulement la famille, mais également les fermiers voisins.

On mettait les tables constituées de grands plateaux et de tréteaux dans la grange ou dehors à l'ombre sous les tilleuls l'été. Les voisins nous prêtaient de la vaisselle, des chaises… Dans la cheminée nous faisions toute la cuisine. Les fourneaux au bois ou à charbon sont arrivés beaucoup plus tard.

On accrochait même deux crémaillères à la même potence. Dans le four à pain, on faisait cuire non seulement le pain, mais également les tartes aux pommes et certains plats. À tous les grands repas, il ne fallait pas oublier la traditionnelle « fouace ». Elle était très grande.

Chaque année, pour la fête patronale on rassemblait tous ses proches pour un repas. Cette tradition a duré jusque vers 1914.

Un peu avant, nous avons eu notre premier fourneau à bois. Après 1918, cela s'est répandu. On a abandonné la crémaillère. Couper le bois pour le feu c'était très fatigant.

Il n'y avait pas de tronçonneuse à l'époque. Cette dernière est arrivée après 1960.

On utilisait le passe-partout et il fallait fendre le bois à la hache en évitant de recevoir des éclats.

Les transports

— Pépé, avant la voiture, quel était le moyen de transport ?

— Bien avant 1914, il y avait la diligence. Cela n'allait pas vite. Il fallait, aux relais, changer les 2 chevaux qui la tirait et en prendre d'autres qui s'étaient reposés. Lorsque cela montait trop, il fallait parfois descendre et marcher à pied. Par exemple, pour aller de Saint Étienne à Paris il fallait plus d'une semaine. Les voyageurs passaient la nuit à l'auberge.

Les petits trajets se faisaient en calèche, comme pour aller du village à Montbrison.

Les paysans utilisaient les transports en commun avec le car. Mais peu à peu, ils ont acheté des voitures et ont moins pris le car. En 1958, c'est l'essor de la 2 chevaux Citroën. Elle passe partout. Quant à la bicyclette, elle a été conçue déjà avant 1908. En 1914, elle est encore d'un prix élevé et les routes sont encore difficiles. Le train existait depuis 1851, comme la ligne d'Issoire à Paris. Il y avait très peu de trains de marchandises.

Vie à la campagne

La campagne était davantage peuplée que de nos jours et les naissances étaient nombreuses.

Les commerces étaient très nombreux parce que les gens ne sortaient pas de leur village.

Le premier voyage des jeunes était pour aller au service militaire. Les jeunes filles ne partaient pas avant le mariage. À la ferme, elles filaient la laine des moutons, elles gardaient les moutons, les chèvres, les vaches.

Dans les villages, ils y avaient beaucoup de petits métiers, en particulier en hiver : les sabotiers, les fabricants de jougs, les charrons, les menuisiers… L'été, les hommes fauchaient. Certains étaient ambulants comme les chaisiers, les tailleurs, les couturiers... Cela a duré jusqu'en 1914. Avant 1900 on trouvait aussi des tisserands. Ils fabriquaient des draps. La laine des moutons était utilisée. Avec le chanvre on fabriquait aussi de la toile.

Après le service militaire, beaucoup de jeunes allaient sur Paris pour trouver du travail. Ainsi, certains étaient garçons charbonniers au printemps. Ils aidaient aussi à la ferme paternelle ou se louaient l'hiver comme domestique dans une ferme. On retrouvait d'autres jeunes comme pâtres sur les montagnes.

À la campagne, les jeunes se mariaient toujours entre voisins. Il y avait que peu de moyens de locomotion et pas de connexion à internet. Les enfants étaient parfois envoyés en nourrice chez les grands-parents. Cela faisait des économies pour les parents. Vers les 10-15 ans, les enfants revenaient au village. Les parents cherchaient à acheter une petite ferme. Cela a duré jusqu'en 1914.

La vie à la campagne était très très difficile et il y avait beaucoup d'enfants dans les familles, parfois plus de 10. Ma grand-mère en a eu 13.

Avec l'arrivée de la mécanisation, les paysans ont changé les bovins. La race d'Aubrac était moins rentable. Par contre les bœufs d'Aubrac étaient très bons pour travailler. Ces derniers ont été remplacés par les tracteurs. Les paysans devenus âgés ont croisé des races comme les Charolais avec la race d’Aubrac.

À partir de 1976, de nouveaux bornages sont effectués. Les haies et les murettes commencent à être supprimées car les bornages ne correspondent plus et les parcelles sont beaucoup trop grandes. Avec le remembrement, les bulldozers nivellent. Avec les tracteurs, on allait d'une parcelle à l'autre à travers champ. Les petits chemins sont supprimés. D'un village à l'autre, on fait des chemins plus larges pour que les machines puissent passer.

Avec la voiture à cheval cela n'était pas très pratique, il fallait descendre aux montées et marcher à pied. Mais c'était le seul moyen de locomotion pour aller d'un village à l'autre, pour aller au marché en ville. À partir de 1900, les fermes ont fait des achats de matériels. Par exemple, en 1903, un manège pour battre le blé coûtait 240 francs, un vannoir «tarare» vers 50 francs. En 1912, un moteur et une machine étaient vendus 1600 francs.

Avant 1914, dans les lits, il n'y avait pas de sommier, mais des palliasses souvent en feuilles de hêtre. Au coin du feu, on voyait la grand-mère assise qui faisait tourner la dinde embrochée dans la rôtissoire. On ramassait, avec une pelle et un seau, la bouse de vache et les crottins de chevaux dans les chemins pour fumer les jardins.