La folie d’un ange - Tome 1 - Stéphane Breguy - E-Book

La folie d’un ange - Tome 1 E-Book

Stéphane Breguy

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Beschreibung

"La folie d’un ange" prend naissance dans la campagne vendéenne d’après-guerre où les jeunes, insouciants, se préparent au certificat d’études sans grandes aspirations. Entre les traditions familiales et une carrière professionnelle prédestinée, l’avenir est déjà bien dessiné. Que se passerait-il si ces jeunes bifurquaient vers des chemins différents de ceux tracés pour eux ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Stéphane Breguy tire son inspiration des récits des anciens et de la simplicité valeureuse d’une vie à la campagne. Intrigué et parfois choqué par les injustices tolérées dans une société attachée à ses coutumes, il explore ces non-dits dans "La folie d’un ange".

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Couverture

Page de titre

Stéphane Breguy

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

La folie d’un ange

Tome I

Roman

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Copyright

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

© Lys Bleu Éditions – Stéphane Breguy

ISBN : 979-10-422-3232-0

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Tous droits réservés. Aucune partie de cette publication ne peut être reproduite, stockée ou transmise sous quelque forme que ce soit, électronique, mécanique, par photocopie, enregistrement, balayage ou autre, sans autorisation écrite de l’éditeur. Il est illégal de copier ce livre, de l’afficher sur un site web ou de le distribuer par tout autre moyen sans autorisation. Les éditeurs et le livre ne sont associés à aucun produit ni aucune marque mentionnée dans ce livre. Aucune des sociétés citées n’a validé le livre.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

L’histoire qui va vous être contée dans ce livre est une fiction. Les lieux évoqués à travers ce récit ont été choisis uniquement pour créer un cadre géographique crédible. Toute ressemblance à des personnes ou des situations existantes ou ayant existé serait purement fortuite.

 

 

 

 

 

Préface

 

 

 

Dans cette campagne vendéenne d’après-guerre, le parcours scolaire de la majorité des adolescents s’arrête au certificat d’études. En effet, la voie est, en général, toute tracée. Ma Fille, tu feras les ménages chez M. et Mme « Un tel ». Mon fils, tu reprendras la ferme ou le commerce familial.

Lorsque la fratrie est plus importante, les terres sont divisées, le commerce est transmis à l’aîné et les frères sont employés dans l’entreprise familiale ou envoyés à l’usine, voire au séminaire. Car la Vendée est restée très pieuse, un certain héritage du passé, une certaine fierté chouanne.

Cette évidence ne choque ni les parents ni les enfants, car chacun trouve son compte dans cette tradition bien ancrée dans la filiation professionnelle. Rares sont ceux qui continueront les études après le certificat si ce n’est celui ou celle qui rêve d’une ascension sociale plus ou moins utopique, lorsqu’on est né dans les champs. Mais à Palluau, ce n’est pas la tendance. Ici, on est beaucoup plus terre à terre, beaucoup plus proche de sa campagne, tout simplement.

Alors, quand un jeune ambitionne de continuer ses études après le certificat, d’intégrer un pensionnat ou un séminaire, et qu’il est retenu surtout, c’est un événement au village. Mais à Palluau, ce n’est pas la tendance.

À Palluau, on se contente de sa simple condition. Oui, parce qu’à Palluau, on vit bien, on ne demande rien à personne, on est heureux ou plutôt « benaise », comme on dit ici.

 

 

 

 

 

Dans un village de Vendée, du nom de Palluau, un peu avant 1950, Louis Duchesne est un jeune homme dynamique de 12 ans. Certes un peu turbulent, il aime être reconnu comme le meneur de son petit groupe de camarades de classe et séduire les demoiselles du village par son humour et son physique de beau gosse un peu excentrique, pour l’époque. Son excentricité réside, tout simplement, dans un coiffé décoiffé bien maîtrisé et un col de blouse d’école non boutonné.

Louis, est toutefois, très bon élève sans pour autant chercher à l’être. Ses facilités inspirent son professeur et sa maman qui voient chez lui un potentiel ambitieux. Son père a, lui, une ferme à faire tourner et préférerait voir son fils aîné prendre la suite de l’affaire familiale plutôt que de se diriger vers des études menant à un milieu qui n’est pas le sien. Louis se raccrocherait aisément aux ambitions paternelles plus qu’aux rêves maternels, son goût des études étant plutôt limité ou tout au moins au bas de son échelle des priorités. Louis a un petit frère de 8 ans. Un petit garçon, appelé Rémi, ou Mimi pour les intimes, au physique très sage, mais qui vénère son frère et suit ses exemples tout en malice. On ne touche surtout pas à Mimi si on ne veut pas s’attirer les foudres de Louis. Car si Louis séduit par son physique et son humour, les copains savent aussi qu’il n’est pas très réceptif à la contrariété et encore moins à la provocation.

 

 

 

 

 

En cette fin d’année scolaire, alors que la majorité des élèves de la classe se focalise sur le certificat d’études de fin d’année, Louis et ses camarades, eux, préfèrent continuer à s’amuser à travers les champs, construire leur cabane idéale qui accueillera leurs copains et copines au soir même de la fin des examens. Ils imaginent, autour d’une bouteille de vin, dérobée dans la cave du père Joseph, leurs plans entremetteurs pour que cette future soirée soit mémorable pour tous. Bien évidemment, un événement comme celui-ci ne pourrait se faire sans un grand banquet. Mais rien à faire des poules au pot, ou boudins noirs ou autres rôtis suggérés par Benoit, ou Ben ou Bouboule pour les intimes, le fils du boucher qui mettait là en avant le commerce familial. Non, on se tournerait plus vers Lulu, Lucien, le fils de l’épicière chez qui on trouve les roudoudous, têtes de nègres, ou autres guimauves. Chez qui on trouve aussi le chocolat, en tablette ou en poudre, d’ailleurs. On se tournerait également, volontiers, vers Gus ou Gustave, parce que dans la boulangerie familiale, on bave devant les madeleines, les tartes, les brioches et les meringues. Et puis bien sûr, on n’oubliera pas non plus Jésus, de son vrai prénom Julien, qui est surtout le fils du père Joseph, chez qui ont se fournit en jus de raisin et sa version alcoolisée. Une version que les habitants du village ont du mal à appeler vin, et ont rebaptisé « piquette du Père Joseph », allez savoir pourquoi ? Pour autant, jamais ils n’ont été chercher ailleurs un meilleur breuvage, et il semblerait que les jeunes y soient traditionnellement convertis dès le plus jeune âge.

 

Ce sera donc un banquet plutôt sucré qui sera mis en place, agrémenté de quelques poires, mûres sauvages et autres prunes cueillies dans les jardins du village. Il faudra aussi des jeux au programme de cette soirée car « hors de question que l’on passe not’ temps à tab’ comme des vieux ».

On prévoit donc un Colin Maillard, une balle aux prisonniers, un chat perché, et puis, si on veut que la soirée soit réussie, ce serait bien de pouvoir flirter avec les filles… C’est sûr, il faudra un bal, il faudra de la musique…

— Tiens, ce serait bien que le père Roger nous prête son phonographe.

Le problème c’est que le père Roger, menuisier du village, n’a pas d’enfant. Ce n’est pas sa femme Lucienne qui aidera à négocier parce que si vous demandez à Lucienne :

— Mme Lucienne, est-ce que vous pouvez nous prêter le phonographe pour une soirée ?

Sa réponse sera claire :

— Ah, je sais pas, demandez à M. Roger…

— Mme Lucienne, est-ce qu’on vous voit à la messe dimanche ?

— Ah, je sais pas, demandez à M. Roger…

— Mme Lucienne, quelle heure est-il ?

— Ah, je sais pas, demandez à M. Roger…

Et si vous demandez au père Roger son phonographe, sa réponse sera aussi limpide :

— Ça va pô non, pour qu’vous m’le casse.

Non, le père Roger ne s’embête pas avec les accords grammaticaux ou autres règles de conjugaison. Alors, il restera une solution : attendre le vendredi soir jusqu’à 22-23 h, à la sortie du bar du village. Oui, parce que, c’est un rituel chez le père Roger, vendredi soir après le boulot :

— On rent’ pô souper, on s’en met dans l’gosier et on r’vient déchiré.

Il paraît que ça lui fait faire des économies parce que :

— Quand t’es menuisier, qu’t’as pô d’jardin, manger ça coût’ cher. Et pi quand t’es menuisier et qu’t’as Lulu (Lucienne) aux fourneaux, eh bein… eh bein, t’as Lulu aux fourneaux et pi j’préfère le vin à Jojo.

Alors au village, on le sait, lorsqu’on a des affaires à faire avec Roger, on attend le vendredi soir pour négocier.

 

La logistique semble donc actée. L’organisation prend forme autour de la table de discussion présidée par Louis. Il faudra bien une bonne soirée à la fois romantique et festive pour évacuer le stress de l’examen (même si, à seulement quelques semaines des épreuves, celui-ci ne semble pas avoir encore d’emprise dans l’esprit de ces joyeux camarades). Sous la direction de Louis, les travaux avancent à grands pas, les préparations du banquet sont à l’ordre du jour. Même le service de sécurité anti-adulte et les équipes de restauration sont pensés. Elles seront jeunes, mais efficaces sous la direction du chef Mimi. Les filles serviront au banquet et les gars joueront les sentinelles perchées dans les arbres autour du lieu de réception. Organisation machiste ? Pas pour l’époque. Les copines de Mimi sont ravies de pouvoir participer à la fête des grands et observer les techniques de séduction qui seront mises en place ce soir-là. Les petits mecs, eux, sont fiers de la mission de surveillance qu’on leur a attribuée.

Et Mimi est aux anges d’avoir été désigné Chef, par son frère, certes, mais ça, c’est anecdotique.

 

Mais à l’approche du certificat et sous la pression des parents, l’équipe perd, peu à peu, des unités. Ce qui a le don d’agacer leur leader, qui ne comprend pas pourquoi on s’acharne à passer un examen qui n’apportera rien puisque, tout comme pour lui, l’avenir des enfants du village est d’ores et déjà tout tracé : le fils du Boucher sera boucher, le fils du boulanger deviendra boulanger et le fils d’agriculteur travaillera à la ferme.

— Allez-y, faites plaisir à vos darons et vos daronnes, enfermez-vous dans vos foyers en bout de table à manger et endormez-vous sur vos cahiers ! C’est pas ça la vie, s’énerve Louis.

L’aîné des « Duchesne », pendant que les copains révisent, par orgueil, met les bouchées doubles pour que ce projet de fête mémorable aboutisse, bien aidé par Mimi et ses copains qui eux ne se tracassent pas avec les examens pour le moment. Il ne se mettra aux révisions que deux jours avant l’examen pour prouver à ses copains que c’est lui qui avait raison, que réviser 3 semaines durant était de la perte de temps.

 

***

 

Le jour de l’examen est enfin arrivé. Pour Louis, c’est un grand jour, pas franchement en raison du certificat d’études. Certes, c’est la fin du cycle primaire, mais cela est secondaire puisqu’au final, très peu d’élèves partiront au collège l’année prochaine, tous étant voués à une carrière locale, ils se tourneront vers la classe de fin d’études avant d’entamer un apprentissage dans leurs voies respectives. C’est surtout une fin d’année scolaire qui, dans quelques heures, sera ponctuée par une fête mémorable. Les résultats n’étant pas d’actualité, cette soirée rassemblera tous les jeunes sans les parents (même si ceux-ci tenteront de garder un œil sur le bon déroulement de cette traditionnelle fête de fin de cycle). Ce matin, les deux enfants Duchesne, habituellement éteints au réveil, sont surexcités. Louis est focalisé sur sa soirée et l’aboutissement d’une organisation menée de main de maître. Mimi, lui aussi est euphorique, mais plus par mimétisme vis-à-vis de son idole de frère que par les responsabilités qui l’attendent ce soir, même si, assurément, il prendra son rôle de chef de la sécurité à cœur.

— Eh bien, mon Louis, je ne croyais pas que le certificat d’études te rendrait si enjoué ce matin, intervient la maman.

— Ah ah ah, non, maman, c’est l’après qui me rend joyeux, ah ah, reprend le fiston…

— ah ah ah ah, y s’en fiche de l’exa…

— Mais tais-toi, Mimi, qu’est-ce que tu racontes !

Louis interrompt son frère, mais un peu tard :

— Ah, j’espère bien que tu n’y vas pas les mains dans les poches à cet examen ? S’amuser c’est bien, mais dans la vie, on n’a rien sans rien, et surtout pas sans travail, recadre la mère, rappelles-toi bien la devise Palludéenne : par un travail constant, du marais est sorti le champ…

— Tu pouvais pas la fermer ? chuchote, énervé, le pris au piège.

— Oups, pardon, Louis, se désole le petit frère, j’te jure Louis, j’pensais pô à mal.

— C’est bon, laisse tomber… conclut le grand frère en hochant les épaules.

Ce petit intermède aura eu un effet apaisant sur le comportement des deux petits Duchesne qui avalèrent tout de même rapidement leur petit-déjeuner, pour s’empresser de retrouver les copains et fignoler les derniers détails logistiques de la grande fête du soir.

— Louis, ferme ton col de blouse, on se présente impeccable à un examen…

— Mais, maman…

— Il n’y a pas de mais.

C’est à ce moment que Jean revient de sa traite des vaches pour un encas matinal.

— Salut, les gamins ; bon, t’es prêt toi pour ton certificat ?

— Oui, papa…

— Bon… bah, déboutonne ta blouse, tu vas pas l’faire en apnée ton examen, non ? Allez, filez…

La contradiction du paternel provoqua un sourire moqueur chez les garçons, mais aussi un sourire de résiliation accentué par un balancement de la tête dépité chez Jacqueline, la maman.

Arrivés dans la cour d’école, l’ambiance est partagée entre anxiété pour l’examen et impatience d’en terminer pour participer à la fête de fin de journée. Alors que les détails se finalisent enfin entre les copains, la sonnerie vient interrompre brusquement les élèves. La pression s’impose instantanément à chacun des jeunes qui s’installent rapidement en rang, plus disciplinés que jamais, comme si la notation avait déjà débuté.

Même les élèves, officieusement, détachés de ces « futilités scolaires inutiles pour l’avenir », comme considérées par Louis et certains de ses camarades, semblaient soudainement habités par cette tension paralysante.

Le programme est d’une intensité inhabituelle et éreintante. Ce qui attend les enfants lors de ce CEP :

une épreuve de rédaction (50 min) sur 10 points avec deux sujets au choix ;

une épreuve d’orthographe (50 min) sur 20 points ;

une dictée d’environ 100 à 150 mots sur 10 points et trois questions :

– une question de compréhension générale

– une question d’explication d’une expression

– une question de grammaire

une épreuve de calcul (50 min) comprenant deux exercices ou problèmes de 8 et 12 points ;

une épreuve de sciences (20 min) sur 10 points ;

une épreuve d’histoire et géographie (20 min) sur 10 points ;

une épreuve de calcul mental (cinq questions) sur 5 points ;

une épreuve de lecture sur 5 points ;

une épreuve de chant sur 5 points.

Parmi les épreuves de chant, il y a la Marseillaise, le Chant des Partisans, ainsi que le Chant du Départ, Louis choisira le Chant du Départ.

une épreuve de dessin, travaux manuels ou couture (50 min) sur 10 points.

Pour Louis, ce sera un dessin dans lequel il évoquera le travail à la ferme, une sorte de projection sur son avenir.

l’écriture est évaluée sur 5 points.

Pour être reçu, il faut n’avoir eu zéro ni en orthographe ni en calcul, avoir obtenu la moyenne à l’ensemble des épreuves.

Le jeune Duchesne s’appliquera sur l’orthographe, son point faible. Ce serait dommage d’échouer à un concours de connaissance pour une faute d’orthographe.

Au fur et à mesure de la journée, on voit apparaître des changements de comportements entre le stress du sujet mal maîtrisé et le défaut de concentration. La fatigue et la chaleur estivale viennent également impacter le moral des troupes. Puis, le coup de sifflet final vient mettre un terme au supplice.

La délivrance, c’est fini ! C’est une véritable explosion de joie communicative qui s’installe dans la cour d’école. Tous les élèves se jettent dans les bras les uns des autres. Même les plus stressés par l’enjeu se laissent déborder par cette euphorie. Puis, au bout d’un bon quart d’heure de liesse, Louis reprend naturellement son rôle de meneur :

— Bon, c’est bien joli tout ça, mais maintenant on va faire la fête !

— Ouais ! répondent les copains, à l’unisson.

— Les amis vous avez une heure pour vous endimancher, vous mettre plus beau que jamais, et récupérer vos victuailles pour not’ super Soirée sans adulte !

— Ouais !

La cour se vide en une fraction de seconde, laissant place à un espace déserté au silence inhabituel presque glaçant.

 

Chacun est rentré chez lui pour enfiler, la plus belle robe estivale chez les jeunes filles avec la petite note sensuelle de maquillage, ou, la chemise blanche du dimanche et le bermuda à bretelles et la petite touche de gomina sur le cheveu pour un look de séducteur irrésistible chez les garçons. Ils sont fin prêts, direction la salle des fêtes ou plutôt la cabane festive.

Un lieu unique, pensé et édifié fièrement par les hommes de la soirée, fait de briques et de brocs, dénichés ici et là, honnêtement ou presque, mais édifié quoiqu’il en soit pour une soirée mémorable. La bande à Louis est fin prête à recevoir les copines de cette promotion.

 

La bande à Mimi est également au garde-à-vous, chacun et chacune à son poste. Les guetteurs guettent, les serveuses sont alignées derrière la grande table des banquets, prêtes à servir. Et Mimi, le maître d’hôtel (et chef de la sécurité), est à l’entrée de la clairière, droit comme un I, un petit i certes, mais droit comme un i, à côté d’une demi-barrique en bois, dans laquelle reposent un bouquet de 30 grosses roses rouges que les garçons ont réussi à obtenir de mamie Gilberte, une petite dame âgée du village qui voue une passion pour la rose et a fait de son jardin, la plus belle roseraie du village, la seule, c’est vrai aussi. Ces roses étaient évidemment destinées à chacune des participantes à cette soirée.On entend arriver, de loin, le cortège des princesses de cette nuit qui s’annonce.

Les guetteurs n’ont pas besoin d’user de stratagèmes pour avertir leur chef. En effet, les éclats de rire et petits cris aigus propres à l’euphorie féminine résonnent à travers la forêt. Les voilà arrivées à l’entrée de la clairière. Mimi leur souhaite la bienvenue en leur offrant cette belle rose. Une attention qui émoustille chacune des invitées, qui naturellement et instinctivement, tamponne les joues et le front de Mimi de leur rouge à lèvres. Un réflexe auquel ne s’attendait pas forcément, le chef de la sécurité du haut de ses 8 ans. Une intimidation qui, il faut bien l’avouer, lui fera perdre une certaine crédibilité dans sa posture de meneur de troupe.

 

Les garçons invitent donc désormais les jeunes filles à se rapprocher de la cabane, où, impressionnées, elles découvrent une superbe table habillée d’un grand drap blanc, sur lequel repose trois beaux bouquets champêtres et une bonne dizaine de bocaux remplis de réglisses, guimauves, sablés, langues de chats… Devant cette grande table, une sorte de salon campagnard avec, positionnées en cercle, des bottes de paille qui serviront de banquettes et qui entourent un espace vide, la piste de danse vraisemblablement. Derrière la grande table, alignées en brigade, les demoiselles de service, fières de participer à l’événement, attendent le top départ des festivités. Derrière, cette parade de serveuses, une table encore plus grande, sur laquelle repose, les bouteilles de limonade, jus de pomme, jus de raisin et même du lait. On y trouve aussi de belles et grandes brioches tressées, de belles miches de pain, des assiettes de pâté, rillettes, jambon sec ou autres morceaux de lards fumés et enfin de jolies corbeilles de fruits.

Les organisateurs ont pensé à tout, les demoiselles sont impressionnées. Il y a même sur le côté du coin salon, perché sur un guéridon :

— Un phonographe, ce s’rai pas celui du père Roger ?

— Tu crois ? Pas possible, jamais il l’aurait prêté…

— En tous cas, qui dit phono, dit danse à gogo… hihihi.

La réaction des filles ravit les garçons qui, déjà, ont fait un grand pas vers la réussite de leur soirée en impressionnant ces jolies princesses. Naturellement, Louis, en chef de cérémonie, prend la parole :

— Mesdemoiselles, chers amis. Nous sommes ravis de voir que nos efforts pour préparer cet événement semblent vous séduire, euh non, vous plaire…

Un petit gloussement de la jolie Nicole au mot séduire, a fait réagir Louis.

— Nous avons tous bien planché aujourd’hui et nous avons tous mérité de fêter la fin de cycle, la fin de ce certificat. Ce soir, on s’en fiche de savoir si on l’a, si on l’a pas, ce soir on s’amuse !

Termine-t-il en sortant de dessous la table du banquet une bouteille du père Joseph, en la brandissant comme un trophée. C’est alors qu’un mélange de « ouaiiis » masculins et de « rooooh » féminins se fait entendre tout en révélant toutefois l’approbation unanime au lancement de cette soirée !

 

Les garçons et les filles se mélangent enfin. Et on lance les hostilités, d’emblée, par le Colin Maillard. Ce jeu qui tire son nom d’un guerrier hutois qui, les yeux crevés, continuait à se battre, avait dans les cours d’école un véritable succès bien loin de son origine.

Il avait même pour effet d’agiter les sensibilités lors de parties mixtes quand le garçon aux yeux bandés attrapait une jeune fille ou inversement. Dans cette partie de rigolade, les proies du « loup » étaient naïvement orientées par les affinités et espoirs de relations amoureuses.

Alors quand la petite Jeanne attrapa Benjamin, qu’elle caressa amoureusement son visage, qu’elle fit glisser sensuellement ses mains sur son torse et qu’elle s’écria :

— Il sent rudement bon, c’est sûr, c’est Jésus ! (Julien, le fils du père Joseph.)

L’assistance éclata de rire, elle retira alors le bandeau et repoussa par réflexe le pauvre Benjamin, qui comme d’habitude prit la situation avec sourire et beaucoup de philosophie.

— Au moins, je sens bon.

Ce qui eut le don de décupler le fou rire. Jésus, lui avait compris que ce soir-là, il y aurait une ouverture possible avec Jeanne. Quand ce fut le tour de Louis de jouer le Colin Maillard, il n’eut pas de mal à reconnaître celle qui avait habilement été poussée dans ses bras par le délicat Ben ou Bouboule (fils du Boucher). Sans suspense, mais en se dévoilant lui-même, il annonce :

— Ça, c’est ma Nicole…

— Qu’est-ce qu’il a dit ?

— Il a dit ma…

— Mais oui, roooh tu te rends compte, il a dit ma… eh bien, elle va passer une bonne soirée la Nicole…

Un détail, que Nicole avait bien saisi aussi et qui la fit rougir, tout en lui illuminant le regard.

 

Cette partie de plaisir avait annihilé toutes les perspectives de nouveaux jeux. En effet, les couples étant déjà dessinés, à quoi bon perdre du temps avec les futilités. Pour ceux qui ne trouveraient pas chaussure à leurs pieds, ce soir, il resterait toujours le banquet, les bouteilles du père Joseph ramenées en cachette par Jésus et le paquet de cigarettes piqué par plusieurs à leurs darons. Et puis on passe de bonnes soirées aussi à se raconter des blagues ou à se moquer de la fébrilité ou de la maladresse des premiers baisers. Benjamin, quant à lui, s’occupait du phonographe et donc de l’ambiance musicale. Ce qui lui apporta un succès inattendu auprès des demoiselles qui lui réclamaient leurs titres préférés, et qui lui valait en retour un baiser de remerciement à quasiment chaque morceau. Benjamin était sur un nuage.

 

Et puis à chaque cri de hibou, les cigarettes et les bouteilles du père Joseph disparaissaient sous la table du banquet, les couples se séparaient pour se rasseoir sur les bottes de paille comme si les tentatives d’intrusions voyeuristes des adultes orchestraient une partie de chaises musicales. Et puis le roucoulement des pigeons, synonyme de danger écarté, relançait l’ambiance exaltante de la fête. La soirée durera ainsi jusqu’à près d’une heure du matin. Jusqu’à ce que les premiers parents, inquiets de l’heure tardive, outrepassent leur promesse de laisser faire les jeunes comme ils l’entendaient, comme eux même l’avaient certainement fait à leur époque. Pour certains, ce sera une frustration que d’écourter cette merveilleuse soirée, pour d’autres ce sera une catastrophe que de se faire choper par la mère ou le père, en état d’ébriété à seulement 12 ou 13 ans. D’autres parents seront surpris de voir que le banquet était habillé de draps hérités de l’arrière-grand-mère ou que les couverts du service faisaient partie de l’argenterie de leur mariage. Le boucher sera aussi surpris de voir que le pâté et la rillette qu’il avait gracieusement offerts, avaient eu bien moins de succès que le gros jambon sec, qui venait bien de son étal, mais qu’il n’avait pas proposé.

— Au nom de Dieu, Benoit, Beenoiit ! C’est quoi ce jambon ?

— Hop, hop, hop, t’as bu pap’ hic, ou quoi ? C’est ton tieeeeennnn…

— Mais t’es bourré ?

— Euh, hic, non…

— Oh, bordel de merde, oh, Bon Dieu d’cent mille noms de Dieu, tu vas prend’ cher…

Il prit son fils par le col et par un rustre coup de pied aux fesses le fit prendre le chemin du retour.

Devant la scène plutôt virile qui venait de se jouer, Benjamin qui avait le sens de la formule conclue.

— Je pense que bouboule va avoir du mal à s’asseoir pendant quelques jours, il va manger du nerf…, évoquant le nerf de bœuf qui servait notamment au guidage des troupeaux.

 

Cette altercation mit un point final à la soirée. Un final en eau de boudin, comme on dit dans le coin, opposé à la magnifique ambiance de cette soirée qui restera, pour les jeunes du village, inoubliable. Une fin de soirée qui aura fait sortir de leurs gonds certains parents, mais qui alimentera, avec sourire et une certaine fierté finalement, les conversations de ces mêmes adultes durant les semaines à venir, les replongeant même, par moment, dans la nostalgie de leur époque.

La soirée passée, la récupération effectuée, quelques idylles perdureront et viendront agrémenter une routine quotidienne durant l’été ou le travail aux champs ou dans les commerces du village a repris ses droits. On en aurait même oublié que le certificat d’études passé, on attendait toujours les résultats.

 

***

 

Mais la publication des résultats avait quelque chose de solennel. Le professeur avait pour habitude d’organiser à l’école du village une petite réception un samedi soir autour d’un barbecue pour la remise des diplômes. Cette année, elle n’aura pas lieu le samedi soir, mais le dimanche après-midi autour d’une petite kermesse improvisée avec un village voisin. Curieux et perturbant pour une population peu encline aux changements.

Non pas qu’on soit contre le fait de rencontrer les villageois voisins, car on s’entend plutôt bien dans cette campagne vendéenne d’après-guerre, mais ce ne sont pas les habitudes. Lorsqu’on interpelle M. le professeur sur cette curieuse initiative, celui-ci donne une explication peu convaincante sur la volonté de rapprocher les deux villages pour une cérémonie deux fois plus festive.

 

Cette initiative perturbe plus, il faut bien l’avouer, les adultes que les enfants qui ne se préoccupent guère de ce changement. Au contraire, ce sera le moyen de prouver aux voisins combien on est valeureux dans le village que ce soit par les résultats d’examen ou par les activités organisées à cette occasion. Et les deux professeurs organisateurs ont prévu les choses en grand pour que cette kermesse soit une réussite. Au programme des réjouissances, on trouvera la course en sac, le jeu de la meule, les sabots aux palets, la roue aux lapins (une roue de la Fortune où ce sont des lapins qui font office de lots), les anneaux aux canards (sorte de piscine dans laquelle pataugent des canards. On lance des anneaux en essayant de viser le cou des canards pour les remporter), des courses de sulky (par équipes de 2 : un jockey et un tireur qui remplace le cheval), le tir à la carabine pour les adultes, le tir au lance-pierre pour les enfants et encore beaucoup d’autres activités qui feront le bonheur des petits et des grands. Sans oublier que la buvette aura son succès habituel et que dire des cochons à la broche et mogettes qui précéderont le bal de clôture. Les villageois sont impressionnés par cette initiative des deux professeurs.

Il ne faudra pas longtemps pour que l’objectif annoncé de regrouper les deux communes pour une ambiance deux fois plus intense trouve toute sa légitimité.

 

Alors que cette kermesse se passe sous les meilleurs hospices et que les résultats n’ont toujours pas été communiqués, une magnifique Citroën Traction noire vient d’arriver au milieu de la prairie festive, près de l’estrade, installée en guise de podium pour la remise des diplômes.

Les adultes sont interpellés par cette intrusion. Qui, de haut placé, vient participer à cette fête populaire ? Est-ce pour une merveilleuse nouvelle ou la fête va-t-elle être gâchée par une annonce dramatique ? Au vu des réactions euphoriques, à peine retenues, des deux professeurs, organisateurs de cette kermesse inhabituelle, on comprend assez vite chez les adultes que cette arrivée inattendue a une consonance plutôt positive. Une euphorie partagée par les prêtres des deux villages, invités comme de coutume aux fêtes des villages. C’est alors qu’en sort un religieux, grand et sec, presque hautain. Certaines personnes semblent le reconnaître dans le village voisin, car une excitation semble transpirer chez deux ou trois femmes qui se cachent la bouche pour ne pas exalter. Pour les parents de notre petite bande de camarades, c’est l’inconnu. Quoiqu’il en soit, cette intervention au beau milieu de la kermesse, n’a pas perturbé, le moins du monde, les activités des jeunes futurs diplômés qui prennent un plaisir immense sur cette kermesse à l’initiative des deux professeurs de ces villages.

Ces derniers mettent fin à cette euphorie ludique en agitant énergiquement avec un sourire presque hébété par l’excitation, deux cloches en laiton.

Les enfants stoppent, net, leurs activités, interpellés par cette interruption aux sonorités religieuses. Habituellement, c’est au sifflet que M. Loiseau, le professeur, interrompt les récréations. Une frustration renforcée par la présence de ce religieux presque austère arrivé à leurs côtés. Louis, interpelle ses copains :

— Dites-moi pas que c’est pas vrai, ils vont quand même pas nous faire une messe, on y était déjà ce matin.

Et Mimi de reprendre en boudant la tête dans les épaules et les bras croisés et serrés sur le torse :

— Oh, non, non, non pas une Messe, non pas encore…

Tout le monde se rassemble donc au pied de cette estrade. Les parents sont partagés entre impatience d’assister à la remise des diplômes de leurs enfants et interrogation liée à la présence de ce religieux à qui professeurs et prêtres semblent faire beaucoup de courbettes. Les enfants rejoignent leurs parents avec toujours les mêmes questions :

— Pourquoi y a un prêtre manman ?

— Je ne sais pas, Mimi…

— C’est pô pour une messe, un manman, c’est pô pour une messe ?

— Je ne sais pas Mimi, je ne sais pas…

— J’aime pô les messes, manman…

Le suspens ne durera pas longtemps puisque M. Loiseau prend la parole pour introduire l’homme de fois mystérieux et ouvrir la cérémonie de remise de Diplômes.

— Chers parents, chers enfants, j’espère que vous avez d’ores et déjà pris du bon temps autour des différentes activités que nous vous avons réservées. Nous avons le plaisir de recevoir aujourd’hui le Père Donatien qui dirige le très réputé pensionnat pour garçons du Saint-Père et qui nous fait le plaisir d’être présent pour cette cérémonie des résultats du Certificat d’études des communes de Palluau et Saint-Paul-Mont-Pénit. Vous pouvez applaudir sa présence, les amis.

 

***

 

La présentation de ce Père Donatien, à la tête du séminaire le plus côté de Vendée suscite des réactions diverses chez les parents, partagées entre le rêve de certaines mères de voir leur progéniture s’engager vers des études supérieures synonymes de réussite sociale et l’indifférence de paternels qui de toute manière ont déjà prévu l’avenir de leur garçon dans l’entreprise familiale. Une certaine frustration peut également se faire sentir pour les mères des jeunes filles futures diplômées qui ne sont, de toute manière, pas concernées par cette intervention. Nos demoiselles suivront donc le chemin tout tracé des bonnes épouses, fées du logis, fins cordons bleus et aux petits soins de toute une maisonnée.

Les enfants, eux, sont heureux et rassurés. Ils viennent de comprendre que ce religieux n’était pas là pour leur imposer une nouvelle messe… À partir de ce moment-là, ils n’ont que faire des raisons de sa présence, ils sont maintenant impatients de recevoir ce fameux diplôme qui rendra fiers leurs parents et que l’on encadrera dans la pièce de vie.

Ils sont aussi très pressés de retourner s’amuser avec les copains avant de partager les cochons grillés à la broche et les mogettes sur une tartine beurrée qui précéderont le grand bal.

 

— Nous allons donc, sans plus attendre, vous dévoiler le nom des élèves qui ont obtenu ce merveilleux diplôme. Nous commencerons par les élèves de Saint Paul, je laisse donc la parole à M. Charrier, leur professeur.

La cérémonie commence donc par la remise des diplômes du village voisin. C’est l’occasion pour nos jeunes Palludéens (habitants de Palluau) de s’imprégner enfin de l’atmosphère solennelle de l’événement. Les questions intérieures commencent à se lire sur les visages et notamment sur celui de Louis :

« J’espère que je serai appelé. Est-ce que je fais partie des non récompensés ? Si je n’ai pas ce diplôme, comment vont réagir les copains ? Est-ce qu’ils vont se moquer ? J’aurais dû réviser plus… »

Alors que les récompenses du village voisin arrivent à leur terme, les réactions de joie et de fierté commencent à trancher avec le désarroi des élèves non appelés. Des éclats de voix de parents frustrés et des larmes d’enfants accablés par la déception sortent brutalement Louis de ses pensées. Le professeur est obligé de ramener à la raison les plus radicaux en leur rappelant que si le Père Donatien était présent, c’était pour une raison précise et que celle-ci ne serait justifiée qu’après la remise des diplômes des élèves de Palluau. Une mise au point qui eut le don de calmer les plus virulents, qui purent se replonger dans leurs rêves orgueilleux.

 

Pour les jeunes déçus, cela permit à certains d’apaiser la déception. Pour d’autres qui n’avaient rien compris de sa présence et juste retenu qu’il n’était pas là pour assurer une messe, l’intervention rassurante du professeur n’eut pas d’impact.

 

Cette interruption cérémoniale servait donc de transition avec la remise des diplômes des Palludéens. M. Loiseau avait pris soin de séparer les récompenses des demoiselles et des garçons, ce qui perturba légèrement le professeur voisin qui avait bâclé cette juste attention, approuvée par un discret signe de tête du Père Donatien. Toutes les jeunes filles du village obtinrent ce certificat à la plus grande fierté des parents, et le plaisir partagé des petits copains de l’école.

Puis ce fut le tour des garçons.

Là encore, la personnalité des parents ressort sans contrôle. Si les mamans réagissent spontanément avec émotion, le jeu d’acteur des Darons est risible. Entre ceux qui bombent le torse et ceux qui affichent une fausse humilité, le langage corporel vient trahir les réactions. Alors qu’on arrive à la fin des récompenses, 5 élèves dont Louis n’ont pas été appelés. Louis s’en veut d’avoir focalisé sur cette soirée de fin d’année scolaire et d’avoir voulu, par orgueil, se détacher de l’exemple studieux des copains. Il se retrouve ainsi au même niveau que Benjamin, qui, lui, ne semble pas décontenancé puisque de toute manière, il savait bien qu’il ne l’aurait pas. Le père de Louis reste stoïque face à la situation. Pour lui, ce certificat n’a pas d’intérêt puisque quoiqu’il en soit, Louis travaillera à ses côtés et reprendra la ferme dans quelques années.

Pour Jacqueline, il y a de la déception. Mais cette déception est habilement dissimulée pour laisser place aux gestes de réconfort qu’elle réserve à son fils.

 

M. Loiseau laisse alors place à la stature droite et sèche du Père Donatien. Un charisme impressionnant et imposant qui appelle naturellement à l’attention sans faille de l’assistance, qu’elle soit adulte ou juvénile. Une présence presque glaçante en cette chaude journée d’été. Il explique clairement à son public, et notamment aux enfants, les raisons de son déplacement.

— Trois d’entre vous, parmi les 10 ou 12 jeunes gens non récompensés, ont obtenu des résultats de très bonne facture lors de cet examen de certificat d’études. Ces trois garçons auront la possibilité d’intégrer, dès la rentrée prochaine, les rangs de ce prestigieux établissement que je dirige, et qui forme l’élite religieuse, culturelle et professionnelle de demain, le pensionnat du Saint-Père. Ma présence est exceptionnelle, car les places sont comptées au sein de mon établissement et je sais que jamais au sein de vos villages, personne n’a eu cette opportunité privilégiée.

Je tiens donc à féliciter vos professeurs de vous avoir amené à ce niveau et je rencontrerai vos parents, dans la continuité de cette petite fête, pour les formalités d’inscription.

 

Une annonce qui ne laissera que quelques minutes aux parents des jeunes nominés pour décider de l’avenir de leurs progénitures.

 

— Les trois élus pour intégrer le pensionnat du Saint-Père sont René Bourseau, Raymond Ouvrard de l’école de Saint-Paul-Mont-Penit et Louis Duchesne de l’école de Palluau.

À cette annonce, Louis se tourne spontanément vers sa mère :

— Maman, ça veut dire que j’ai mon certificat ?

— Plus que ça mon fils, plus que ça, je suis si fière de toi, mon ange ! répond-elle en le serrant contre elle et en l’embrassant, l’émotion ruisselant sur sa joue.

Les copains sont stupéfaits et ravis pour leur leader de cœur. Louis cherche alors du regard, son père. Il le voit droit, presque tétanisé, les yeux embués, la mâchoire serrée, et lui délivrant un geste d’approbation de la tête rapide et contenu. Ce que Louis prend comme une grande fierté cachée par humilité est en fait un mélange de fierté, certes, mais dépassée par une angoisse certaine sur ce qui vient de se passer. Ce religieux glaçant, vient de lui annoncer qu’il venait ravager le chemin durement tracé durant toutes ces années pour son fils aîné, afin de se l’accaparer pour décider lui-même de l’avenir de Louis. Les parents et enfants du village viennent féliciter l’heureux élu et ses parents. La maman, submergée par les émotions, accueille ces réactions avec larmes de joie non retenues et sourire béat. Alors que le Père ne ressent même pas les tapes sur l’épaule des copains, il n’entend plus les paroles enjouées et les appels à arroser cela. Quant à Louis, d’abord enjoué commence à réaliser la signification du « plus que ça mon fils » de sa mère à l’annonce de sa réussite, lorsque ses copains et copines viennent le féliciter et lui dire qu’il allait leur manquer à la rentrée. Ses émotions prennent alors une direction opposée, calquées sur celles de son père. Il se ferme et commence à voir ses repères disparaître dans un noir opaque. Il fond en larmes.

Ses copains surpris font un pas en arrière. Sa mère réagit de suite :

— Louis que se passe-t-il ?

Cette réaction réveille son père qui prend son fils dans ses bras.

— Tu n’es pas encore parti, Louis, tu n’es pas parti…

Sa mère réagit :

— Pardon, mais qu’est-ce que tu racontes, Jean ?

Louis se relève alors d’un coup et en fusillant sa mère du regard :

— Je ne veux pas partir !

Sans attendre de réponse, il s’enfuit en courant en direction de son village à travers la forêt.

Les deux autres élus, du village voisin, ne sont pas non plus, au contraire de leurs parents, unanimement euphoriques à l’idée de partir au pensionnat, loin du village. Mais à deux, même s’ils ne sont pas forcément les plus grands amis du monde, la nouvelle est, a priori, plus simple à encaisser que pour Louis.

 

M. Loiseau a assisté à la scène. Il se rapproche des parents de Louis au milieu des gens du village restés soutenir les copains. Il les rassure sur la réaction naturelle de leur fils aîné, une réaction instinctive à un changement de vie radical, mais auquel Louis aura, selon lui, toutes les capacités à s’adapter pour devenir un grand Homme. Une tentative de réconfort à laquelle le père de famille réagit sans retenue.

— M. le professeur, à quel changement de vie radical devra-t-il s’habituer ? Celui de s’consacrer au travail des champs et au soin des bêtes sans plus se prendre la tête avec les études ? Car si c’est ça, évidemment, y a pas d’problème… Parce que oui Louis a fini meilleur élève du village, et on est fier de not’ fiston. Et oui il sera récompensé pour ça et on accrochera son diplôme dans la cuisine, mais quoi… ? Parce que le Père Machin est v’nu manger un bout de cochon grillé et féliciter not’ gars, on doit dire oui, prenez not’ fiston et foutez not’ vie en l’air… c’est ça M. le professeur ?

 

M. Loiseau ne s’attendait pas à cette réaction. La surprise hébétée se lit sur le visage du professeur, il se reprend rapidement et invite les parents de Louis à s’isoler pour discuter de l’événement et de l’entrevue prévue dans la foulée avec le directeur du Saint-Père. Réfractaire à l’idée, le paternel refuse dans un premier temps, mais la maman de Louis réagit :

— Jean arrête maintenant, c’est de l’avenir de Louis que l’on doit parler, pas du tien !

Un électrochoc qui fait céder M. Duchesne.

Les trois adultes s’isolent donc des autres gens du village qui se mettent alors à commenter la scène en compatissant au scénario qui se dessine et en se projetant dans ce qui aurait été leur position dans pareille situation. Certains sont finalement très contents que leur progéniture ne soit pas une tête. Beaucoup de mamans se positionnent en faveur de l’avenir radieux qui s’offre à Louis, d’autres pensent plus au vide que le départ d’un enfant peut laisser dans la maisonnée. Les papas, eux, pensent matériel et qui remplacera la main-d’œuvre perdue, d’autres résument leur avis par un :

— Eh bien, ils sont pas dans la merde !

Avant d’aller soigner leur compassion à la buvette de la kermesse.

En ce qui concerne la discussion du trio, isolé pour évoquer l’avenir de Louis, avant de rendre réponse au Père Donatien, le langage corporel parle de lui-même. Il semble qu’une partie à deux contre un est en train de se jouer sur le ring de l’argumentation. D’un côté, Jean, avec une gestuelle ample et saccadée révélant un certain agacement et la contradiction. De l’autre un professeur et une maman aux mouvements plus mesurés et plus fluides, exprimant l’apaisement et la sérénité, renforcés par quelques hochements de tête appuyant alternativement les arguments de l’un et de l’autre.

De son côté, Mimi est un peu perdu, il n’a pas tout compris de ce qui se passait depuis un quart d’heure maintenant. Il avait bien saisi, avec fierté, que son grand frère était le meilleur, une fois de plus… mais pourquoi était-il parti en pleurs ? Pourquoi son père était en colère contre le professeur ?

C’est la maman de Benjamin, qui le prend sous son aile et tente de lui expliquer.

— Mais s’il s’en va, c’est pour toujours ?

— Non, Mimi, il reviendra pour les vacances…

— Mais alors c’est qui qui sera le chef des copains et pi il jouera pu avec moi ?

— Vous n’êtes pas obligés d’avoir un chef chez les copains, mais ça vous verrez ça entre vous, ça se fera tout seul…

— D’accord, mais alors, il jouera pu avec moi ?

— Bien si, quand il reviendra pendant les week-ends ou les vacances.

— Ah d’accord.

 

À 8 ans, les explications les plus simples suffisent souvent à rassurer. Ce fut le cas pour le petit frère qui se replonge rapidement dans l’ambiance de la kermesse et reprend naturellement son rôle de leader des petits de son âge.

 

Pendant ce temps-là, l’échange sur l’avenir de Louis semble se dessiner. Pour les observateurs, il semblerait que ce soit clair et limpide, le geste de conclusion de Jean semble signifier qu’il jette l’éponge devant l’argumentation du binôme. La tape sur l’épaule du père par le professeur et l’accolade pleine de sentiments avec son épouse abondent en ce sens. On voit alors le trio se diriger vers le religieux qui en finit tout juste avec les parents des deux jeunes du village voisin. Pour eux, l’engagement s’est conclu dans la sérénité. On voit des sourires sur les visages. Toutefois, un geste de compassion est adressé au papa de Louis lorsque ceux-ci se croisent près de l’estrade. Un rendez-vous est même fixé pour partager un verre à la buvette après l’entrevue avec le Père Donatien avec les parents d’un des deux jeunes. Comme une fatalité puisque rien n’a encore été acté entre les parents de Louis et le directeur du Pensionnat. Mais cette invitation restera sans réponse.

 

Le cadre de cette entrevue est oppressant. Une table et quatre chaises au centre de l’estrade ayant servi à la remise des récompenses. Une estrade dressée comme un podium au milieu de la prairie, à la vue de tous, comme un hôtel à l’entrée de la nef. Et cet homme, grand et sec au visage fermé et à l’attitude hautaine qui esquisse un léger sourire pour accueillir le couple et le professeur, les invite à prendre place face à lui.

 

Il pose sur la table, face à M. Loiseau, un stylo et un dossier. Celui-ci a compris, il jouera le rôle de secrétaire pendant l’échange. Un échange court, car ce sera surtout un monologue ne laissant que peu, voire pas de place aux interruptions ou au questionnement. L’avenir, forcément radieux de Louis, est évoqué. Les règles strictes du séminaire, porteuses des meilleures valeurs, sont mises en avant. L’engagement financier des parents est évoqué comme un simple détail administratif, puis vient le moment de la signature. Jean Duchesne, pourtant opposé au départ de son aîné, qui aurait tenté d’imposer sa décision face à n’importe qui, ne sait réagir face au charisme intimidant de ce Père Donatien, directeur du pensionnat, qui accueillera son fils dès la rentrée prochaine. C’est donc, sans effusion, que l’avenir de Louis vient d’être acté. Les copains du village accueillent avec compassion le couple à la buvette et les rassurent sur la bonne et courageuse décision qu’ils ont prise, d’assurer à Louis une vie riche et socialement embellie.

 

Ils finiront la soirée sans éclat de rire, l’esprit partagé entre le moment présent et la projection à quelques semaines d’un bouleversement de vie. Ils partageront le cochon grillé et la tartine de mogettes avec les copains, arroseront la réussite des jeunes au fief vendéen puis ne tarderont pas à regagner leurs pénates, au grand désarroi de Mimi, qui serait bien resté jusqu’au bout de la nuit à cette kermesse.

 

***

 

En arrivant à la maison, la première chose que fera Jacqueline, en mère attentionnée, c’est bien sûr d’aller embrasser son fils et de le rassurer.

— Jean ! Louis n’est pas rentré !

— Ça t’étonne ? répond le Père, j’aurais fait la même si on m’avait envoyé vivre chez les churés (curés)…

— Mais enfin, il va pas dormir dehors ? reprend la mère inquiète.

— Et pourquoi ? On dort bien sans drap.

— Il doit être à la cabane, y a de la paille pour la sieste, intervient Mimi en bâillant et se dirigeant vers son couchage à la manière d’un zombie.

— Eh bien, tu vois… Viens t’coucher, il r’viendra demain matin ou on ira l’chercher, conclut le chef de la maisonnée.

Effectivement, alors que Jacqueline avait peu dormi et s’affairait à préparer le petit-déjeuner, on vit apparaître Louis, la mine déconfite, exténué par l’émotion de la veille et la nuit passée dans sa cabane, symbole de son statut de leader des jeunes du village qu’il allait devoir abandonner. Sa mère le prend dans ses bras, soulagée de le voir rentrer, et l’embrasse. Un baiser que Louis esquive sans un mot et se libérant de l’étreinte maternelle calmement, il va s’asseoir à table, tête baissée, en attente du petit-déjeuner. La maman attristée a compris que son fils s’était fait une raison sur ce qui l’attendait, sans pour autant l’encaisser, et que la fin des vacances d’été se ferait dans un climat lourd et pesant. Le Père, qui a déjà entamé sa journée à la ferme, arrive à son tour pour le petit-déjeuner. Lui, qui aurait habituellement recadré, sans délai, son fils pour avoir déserté le foyer sans prévenir, lui adresse sans un mot une petite tape sur l’épaule en signe de réconfort et compassion.

Louis ne semble pas plus réagir, gardant la tête baissée. Mais le regard embué et la crispation de la mâchoire trahissent l’émotion intense qui l’envahie à ce moment-là. Ce n’est pas la colère qui l’habite, mais une résilience accentuée par la fatigue d’une nuit passée à ressasser l’événement et ses conséquences. Alors que Mimi dort encore, le repas matinal se passe sans un mot. Un climat si pesant que même les mouches, très présentes en cette période de l’année, semblent être incommodées par ce silence et ont préféré quitter la pièce. Il faudra la spontanéité de Mimi, à son réveil pour entendre le son de la voix de Louis, ce matin-là.

— Ouais ! Louis, t’es rentré ! T’étais à la cabane, hein ? T’as dormi à la cabane ?

— Oui, Mimi, oui.

— Aaah, j’étais sûr, j’pourrai aller dormir avec Louis à la cabane, papa, manman ? Oh, j’ai trop faim !

 

Une intervention qui aura eu le don d’esquisser un sourire, ou plutôt un léger mouvement des commissures des lèvres du frère aîné. Mais en une soirée, la vie et le comportement de Louis avaient basculé radicalement. Celui qui était, de nature, expansif et surtout meneur des jeunes du village, venait de se refermer sur lui-même, de s’éteindre complètement. Une attitude qui, pour la majorité des enfants, se serait estompée après une ou deux journées venait de s’installer durablement. Seul Mimi réussissait à éclairer ponctuellement le visage de son frère par son insouciance et sa joyeuse naïveté.

 

Une situation de plus en plus préoccupante à l’approche de la fin des vacances estivales ou plutôt du grand départ vers le pensionnat. Malgré les attentions maternelles et la patience inhabituelle de Jean, rien n’y faisait. Louis restait isolé dans ses pensées, en retrait de tous, y compris de son groupe de copains pour lequel il avait volontairement laissé disparaître son leadership pour leur plus grande tristesse mêlée de compassion. Un leadership que semblait naturellement reprendre le petit Duchesne, sans le rechercher, mais tout simplement par un charisme naissant du mutisme de son exemple de frère. Malheureusement, l’engagement avait été signé ce soir de kermesse et était irréversible. On ne pouvait moralement pas rompre un contrat comme çà, juste par état d’âme, sans s’attirer les foudres des cancans locaux. Les valeurs apparentes avaient trop d’importance. Et puis, les difficultés du moment ouvraient tout de même un bien meilleur avenir à Louis et, par ricochet, à sa famille… Socialement en tous les cas. Il fallait donc, pour les parents, attendre patiemment cette rentrée au pensionnat pour se soulager de cette atmosphère pesante. L’enseignement général, exemplaire, qui était promis à leur fils réglerait, sans aucun doute, cette réaction dépressive et l’éclairerait, évidemment, sur l’offrande faite, par ses parents, ce soir de kermesse à la table du Père Donatien.

 

La fin de l’été allait donc se résumer à une histoire sans paroles entre Louis et ses parents.

La fin de l’été allait se résumer à une histoire de tristes confidences entre Louis et Nicole, cette petite amie pour qui il avait mis en avant son charisme de meneur comme argument de séduction.

La fin de l’été allait se résumer à une histoire de transmission entre Louis, le frère protecteur, et Mimi l’héritier du bâton de meneur de troupe au sein du petit village de Palluau.

 

En ce jour, veille du grand départ, Louis est aux champs à garder les vaches en compagnie de Nicole. Ils vivent là, leurs derniers moments en tête à tête avant une longue période. Pendant ce temps-là, Jean, le père, est au four et au moulin à la ferme, cela lui permet de ne pas penser à demain. Jacqueline prépare minutieusement le paquetage de son fils, non sans émotion. Elle plie et déplie, elle prépare et défait, il faut dire que le pensionnat délivrant toute la garde-robe de ses élèves, y compris les sous-vêtements, le paquetage restera, au final, très sommaire, mais Jacqueline a besoin de brasser de l’air, car en cette veille « d’abandon » elle culpabilise, même s’il elle le sait : ils offrent un meilleur avenir à leur petit ange.

C’est sur cette interprétation que Louis, au demeurant réservé sur ses émotions, se livre aujourd’hui auprès de Nicole.

— Ils me font partir pour un avenir meilleur ? Meilleur en quoi, Nicole ? Ici, je suis heureux avec vous, ici j’existe auprès de vous, ici je suis libre dans ma campagne. J’aime le travail à la ferme, les animaux, même si le travail est parfois difficile. Et puis je t’ai toi ! Alors un avenir meilleur en quoi ?

Nicole tente de le réconforter par quelques arguments :

— Tu ne nous perdras pas et puis tu auras, à la fin de tes études, un poste qui t’apportera plus d’argent pour faire vivre ta maisonnée…

— Mais Nicole, si je ne reviens pas souvent, votre vie se fera sans moi… et l’argent…, l’argent, mes parents n’en ont pas des tonnes et pourtant, jusqu’à maintenant, on n’avait pas une belle vie ? Bien sûr que si…

Nicole le prend dans ses bras, la larme à l’œil et, à défaut d’argument, penche sa tête sur son épaule. Ils resteront tous les deux jusqu’à l’heure du dîner, Louis n’ayant pas la force morale de se mêler aux copains pour entendre leur pitié.

 

De retour au bercail, il file prendre son bain, afin d’être, malgré tout, propre et endimanché pour sa rentrée. Autour de la table, un silence de mort impose une ambiance triste et pesante, presque sinistre. Même, Mimi, habituellement spontané, semble être éteint ce soir. Seul le bruit des cuillères dans l’assiette de soupe et quelques déglutitions rythment le repas.

Et puis, Jacqueline n’a pas le choix, il faut évoquer le départ de demain.

— Mon ange, demain on doit prendre le premier bus pour le pensionnat. Il faudra donc qu’on soit sur la place du village à 5 h 45 pour un départ à 6 h et on arrivera au pensionnat à…

Le mot pensionnat fait exploser Mimi en sanglots :

— J’veux pô qu’il parte, j’veux pô… ! Non, pars pô mon Louis, j’veux pô qu’tu partes… !

La réaction de Mimi fait réagir toute la famille. Louis se lève et prend son petit frère dans ses bras, et tout en sanglot tente de le rassurer :

— T’inquiète pas, mon Mimi, je reviendrai souvent, tu seras jamais tout seul… t’inquiète pas, mon Mimi.

 

Jacqueline, la main sur la bouche, réussit à retenir le bruit de ses sanglots, mais les larmes coulent à flots sur son visage. Jean, quant à lui, retient ses émotions en serrant la mâchoire et avant même de craquer à son tour, il se lève brusquement, prend son tabac gris et ses feuilles de cigarettes sur l’étagère, prêt de l’entrée, et sort pour fumer. Adossé au mur d’entrée, la tête légèrement inclinée en arrière, semblant contempler les étoiles, il laisse couler les larmes. L’émotion était trop forte pour la cacher orgueilleusement. Il faut dire aussi, qu’en cette période d’après-guerre, ce genre de séparation, bien que sans rapport, fait ressortir un lourd passé.

Cette nuit-là, la famille Duchesne a bien du mal à dormir. C’est donc sans trop de mal qu’à 5 h, tout le monde se retrouve, une dernière fois, autour de la table pour un petit-déjeuner, certes silencieux, mais moins pesant que la veille. Comme si Mimi du haut de ses 8 ans avait libéré d’un poids toute la famille vis-à-vis de la situation.

— Eh bien, c’est l’heure, Louis, on va devoir y aller, annonce la mère de famille en présentant une valise en carton, flambant neuve.

— Eh oui… soupire, résigné, le jeune homme.

— Je viens avec vous ! s’exclame le petit frère.

— Oui d’accord, mais jusqu’à la place, tu ne pourras pas nous accompagner dans le bus, reprend Jacqueline.

— Oh, oui je sais, j’peux pô v’nir à Chamaille… acquiesce le petit.

— Chavagne pas Chamaille, sourit Louis.

— Chavagne, Chamaille, tout’façon j’peux pô v’nir, marmonne-t-il.

— J’te dis au revoir maintenant, mon garçon, j’ai pas d’temps à perdre, y a du boulot à la ferme, intervient Jean.

Louis n’en veut pas à son père de son attitude détachée. Il sait que ce que redoute le daron est de laisser transparaître la moindre faiblesse émotionnelle au moment où le bus quittera la place, et ça ce n’est pas envisageable pour lui.

— Je sais papa.

Louis s’enlace dans les bras de son père, la tête sur son torse pour sentir une dernière fois son cœur lui envoyer un « je t’aime, mon fils » dans une sorte de langage morse.

Ils partent donc à trois vers la place du village, 100 m plus haut. Et qu’elle surprise pour Louis de découvrir que tous les copains d’école, et même M. Loiseau, sont là, alignés en demi-cercle, venus dire au revoir à leur copain. Quelques mamans sont elles aussi présentes pour souhaiter un bon vent au jeune Duchesne et soutenir Jacqueline. Louis pour cacher son émotion envoie une petite banderille d’humour :

— Mais c’est pas mon anniversaire !

Ce qui provoque l’éclat de rire et agit comme un signal de départ pour les embrassades. Le jeune homme est touché par ce message fort des copains à leur leader naturel.