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Fatima et Joao, un couple de retraités vivant paisiblement au Portugal, voient leur vie basculer lorsque Fatima est victime d’une crise cardiaque et semble décéder, plongeant son mari dans le désespoir. Mais est-ce vraiment la fin pour elle ? Comment expliquer le changement d’attitude de Joao, qui passe de la dépression à un optimisme inébranlable ? Vivez une aventure légère et pleine de rebondissements qui vous emmènera des Hauts-de-France au Portugal en passant par le Brésil…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Professeur d’anglais en lycée depuis plus de 30 ans, Ysa Belaenden est passionnée de littérature anglaise et française. Tout comme son premier ouvrage, ce second roman lui a permis de renouer avec la langue française et fut une véritable thérapie face à la morosité générale due à la Covid et aux confinements qui ont suivi.
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Seitenzahl: 240
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Ysa Belaenden
La force de l’ange
Roman
© Lys Bleu Éditions – Ysa Belaenden
ISBN :979-10-422-0804-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le pardon, Le Lys Bleu Éditions, mars 2023.
Ami lecteur,
Pour tout complément d’information des mots portant l’insigne*, merci de vous rendre au glossaire à la fin de l’ouvrage.
Très bonne lecture…
Quelle heure est-il ? pensa Joao, inquiet de laisser sa chère Fatima trop longtemps seule. Bon, 11 h 30, ça va aller. Le fils arrive à midi et demi pour sa pause déjeuner et il doit repartir pour 14 h, ça me laisse le temps de préparer le repas et de m’assurer que Fatima a tout ce qu’il lui faut. Il termina ses emplettes rapidement et fit la queue à la caisse.
Depuis leur retour à Lens, il avait pris l’habitude de faire les courses au plus près de leur domicile afin de ne pas laisser Fatima seule trop longtemps… On ne savait jamais trop, avec ces maladies de cœur… Il craignait trop de la retrouver inerte, évanouie ou pire… Il n’osait pas y penser. Que deviendrait-il sans sa crida*, sa bien-aimée, celle avec qui il avait tellement partagé de choses au cours de leur longue vie à deux ? Fatima, la mère de leur fils tant désiré… Fatima, cette belle femme, si forte.
Il vérifia son chariot avant de régler à l’aide de sa nouvelle carte bancaire. Jamais il ne s’y ferait au monde moderne ! Toujours se souvenir de ce fichu code à quatre chiffres ! Et surtout ne pas se tromper encore en les tapant devant tout le monde ! Il sentit une sourde angoisse monter en lui… Voyons, la date de naissance de qui déjà ? Celle de Manuel ? Il essaya… Code incorrect ! Aïe, aïe, aïe ! ça recommence ! Un cauchemar, ce truc ! Il ne me reste plus que deux chances… Ah, au Portugal, je n’en avais pas besoin et tout allait bien ! Et puis, c’était Fatima qui s’en occupait des courses ! Bon sang ! C’est cela ! La date de naissance de Fatima ! 19 et 06… Bingo ! Penses-y la prochaine fois, stupido* !
Ce midi, il avait décidé de cuisiner une recette du Nord, des endives gratinées au four. Histoire de changer des petits pois du jardin. Bientôt ils pourraient profiter des haricots qui n’étaient encore qu’en fleurs. Ah, ça, ce n’est pas le même climat qu’à Vila Verde, ici ! Il pensa avec nostalgie à ce beau jardin derrière la maison, là-bas, au Portugal. Tout poussait si facilement… Mais voilà, le médecin de Vila Verde n’arrivait plus à contrôler le cœur de Fatima, épuisé par tant d’années de labeur.
Le premier traitement avait bien fonctionné et Fatima avait réussi à profiter du jardin et l’avait même accompagné en voiture parfois jusqu’à Braga, la ville la plus proche, où ils aimaient flâner dans les rues passantes. Ils avaient pu ainsi profiter de quelques belles années de retraite dans leur maison de Vila Verde. Mais hélas, son état s’était dégradé et le traitement était devenu caduc… À l’hôpital de Braga, on leur avait recommandé un excellent cardiologue qui opérait également. Ce dernier vivait en France, à Lille, et opérait exclusivement à la clinique de Béthune. Ils avaient donc plié bagage et retrouvé leur maison de la Fosse 4 à Lens, non loin de Béthune. Une chance d’avoir gardé la maison, pensa Joao.
Il gara la voiture devant la maison et sortit le grand sac rempli de provisions. Il avait pensé à commander un gâteau, car cet après-midi, Ana et Miguel venaient prendre le café. Une institution, le café de l’après-midi, chez nous, au Portugal ! sourit Joao.
Il poussa un soupir en regardant cette maison qui l’avait accueilli à son arrivée, il y avait si longtemps qu’il en avait oublié l’année. À l’époque, pensa-t-il, il était jeune, et plein de rêves. La France avait besoin de travailleurs comme lui, le bassin minier recrutait des bras comme les siens pour descendre au fond et ramener l’or brun, le charbon… La mine lui avait offert une nouvelle vie : enfin un travail stable et un toit. Enfin accéder à une vie décente pour lui et pour eux quand elle le rejoindrait… Après tant de petits boulots mal payés et surtout incertains, dans un pays appauvri par des années de dictature. Ici, ils pourraient réaliser leurs rêves et être heureux.
La maison n’était pas bien grande, mais elle était pratique. Ils avaient transformé le salon en chambre à coucher pour que Fatima n’ait plus à monter à l’étage où se trouvaient les trois chambres. La cuisine était attenante à une buanderie qui était devenue leur salle de bains. La cuisine était exposée au sud et une porte donnait sur une véranda qu’ils avaient rajoutée. Ils y retrouvaient un peu de leur Portugal : un citronnier et un oranger parfumaient la pièce et leur fragrance pénétrait dans la maison. De la fenêtre de la cuisine ou lorsqu’elle se trouvait au salon dans la véranda, Fatima pouvait voir son mari quand il jardinait ou se reposait tranquillement au soleil, surveillant ses plantations.
Il ouvrit la porte d’entrée et sentit le parfum de sa bien-aimée. Elle était assise dans son fauteuil de la cuisine, absorbée par la lecture de son roman. Il se pencha vers elle et lui déposa délicatement un baiser sur le front. Malgré le temps et la maladie, elle avait gardé toute son élégance. Coquette, elle passait chaque matin le temps nécessaire pour relever en chignon ses longs cheveux ondulés. Elle n’hésitait pas à remettre du fard à joues dans la journée et à souligner le dessin de ses lèvres à l’aide de son rouge à lèvres préféré. Elle gardait cette force tranquille qui se devinait à sa façon de se tenir bien droite dans son fauteuil. Jamais elle ne baissait les bras et ce n’était pas ce léger mal-être au cœur qui allait entamer sa volonté sans faille. Sa belle adorée était à la fois forte et fragile et il l’aimait ainsi.
— Oh, a minha crida* ! tu sens si bon ! Mais ça veut dire que tu t’es levée pour aller te reparfumer dans la salle de bains ? Tu sais que ce n’est pas prudent quand je ne suis pas là, amor*.
Fatima le regarda d’un air de reproche :
— Mais je ne suis pas en sucre ! Je ne vais pas casser si facilement, tu sais ! Tu as trop besoin de moi ! Tiens, je te parie que tu t’es encore trompé dans ton code de carte bleue à la caisse, pas vrai ? ajouta-t-elle d’un ton moqueur.
« Comment a-t-elle pu deviner ? Mais c’est vrai que ça m’arrive souvent… C’est bien la 3e, non 4e carte bleue que j’ai depuis notre arrivée, pensa Joao, et ça ne fait pas si longtemps. Voyons, six mois, non ? »
— J’espère que cette fois, tu ne t’es plus trompé, hein ? Tu sais, la banque va finir par ne plus vouloir nous en donner de nouvelle, dit-elle d’un ton menaçant.
— Mais non, a minha crida* ! Regarde, j’ai même commandé un gâteau pour ta sœur et mon frère. Tu te souviens qu’ils viennent cet après-midi ?
— Mais je ne perds pas encore la tête, amor, dit-elle en éclatant de rire. Une chance qu’ils soient près de nous ici à Lens.
Fatima se leva avec difficulté et s’approcha de la table. Elle inspecta le contenu du sac.
— Oui, c’est bien, meu Joao*. Te amo, tu le sais et elle l’embrassa affectueusement en lui passant les bras autour du cou. Joao adorait son contact, la chaleur de ses bras. Tous ses soucis s’envolaient dès que Fatima était là. Elle avait ce pouvoir sur lui et il l’enlaça délicatement. Quelques secondes, une éternité de bonheur.
— Bon, Joao, et le fils ? Il vient bientôt, non ? Il faudrait peut-être préparer le repas, tu ne crois pas ? Tiens, dit-elle, en prenant la cocotte sous l’évier, on va cuire les endives.
Joao se reprit aussi vite et prépara quelques pommes de terre qui cuiraient avec les endives. Absorbés dans leur préparation, ils retrouvèrent leur gaieté insouciante et se mirent à chantonner.
— Dis-moi, mon mineur adoré, tu te souviens au moins comment on fait une sauce Béchamel ? Parce que sinon, tes endives au jambon, ce ne sera pas bon.
Fatima lui mit la bouteille de lait sous le nez et posa une casserole sur la gazinière.
— Mais oui, amor, je m’en souviens. Cette fois, promis, elle ne va pas brûler !
Fatima adorait le taquiner, il le savait. Elle se recula et l’observa attentivement, prête à réparer l’irréparable. Au bout de quelques minutes cependant, elle blêmit et s’appuya sur la table. Sans un mot, Joao l’aida à s’asseoir et s’assura que le coussin qui calait son dos était bien à sa place. Fatima le remercia d’un sourire las et ferma les yeux. Le cardiologue les avait prévenus. Même si l’opération à cœur ouvert avait été un succès, même si la greffe semblait être acceptée par son organisme, Fatima devait se reposer un maximum. La convalescence à la suite d’une telle opération était estimée à six mois. Or elle avait eu lieu début janvier. Cela ne faisait que cinq mois. Fatima et son impatience légendaire ! Joao soupira en la regardant. Il la trouvait si belle. Elle avait perdu quelques kilos, mais le médecin disait qu’il valait mieux pour son cœur, qu’elle soit légèrement en dessous de son poids normal. Tout irait mieux maintenant. Un peu de patience et bientôt Fatima gambaderait à ses côtés comme avant…
On sonna à la porte et Joao sortit de sa rêverie.
— Bom dia Pai. Como estas ? E te Mae ?*
— Bonjour fils ! ça va, ça va. Le repas est au four. Regarde ! On a fait des endives au gratin, dit Joao.
— Miam ! Je suis affamé ! J’adore ce plat, vous le savez, hein ?
— Ça va, mon fils ? Viens embrasser ta mère. J’ai du mal à rester debout ce midi, mais bientôt, tu verras, je viendrai t’ouvrir la porte ! dit Fatima en le regardant fièrement.
Manuel se pencha vers elle et l’embrassa doucement.
— Oh, Mae, tu sens toujours si bon ! J’adore ton parfum !
Fatima échangea un regard complice avec Joao.
— Et toi, mon fils, tu as l’air en pleine forme ! Laisse-moi te regarder, mon fils.
Manuel, son bébé de bientôt soixante ans, était heureux. Ses yeux pétillaient et sa fossette à la joue droite s’accentuait. Il était passé chez le barbier récemment, c’était certain. Sa barbe était impeccable et sa moustache laissait bien voir le contour de ses lèvres pleines. Sa calvitie progressait, mais cela lui donnait un charme supplémentaire. Il portait une belle chemisette d’un blanc impeccable qui contrastait avec son visage hâlé et ses bras étaient tout aussi bronzés… S’était-il endormi au soleil ? Ou alors, était-il allé à la mer le week-end dernier sans le dire à sa mère chérie ? Il portait un jean délavé et aux pieds, ses sempiternelles chaussures de sport. Manuel, sportif ? Tiens, voilà qui était nouveau, mais à vrai dire, il semblait avoir perdu du poids et gagné en muscles. Rassurée de son inspection, Fatima reprit :
— Allez, raconte-nous ! Tu as de nouveaux clients ? Le maire de Béthune ? Le président ? ajouta-t-elle gaiement.
Manuel les regarda tour à tour et conscient de leur impatience, décida de faire durer le suspense. Il retira son gilet lentement et déposa la boîte qui contenait le gâteau commandé sur la table. Puis, il s’assit auprès d’eux, et plaça les couverts à leur place respective.
— J’ai plein de choses à vous raconter, commença-t-il.
Il venait manger chez ses parents une à deux fois par semaine depuis leur retour. Il était heureux de les retrouver à la maison de la fosse 4, comme dans ses souvenirs d’enfant. À la retraite de Joao, ses parents avaient décidé de rentrer au pays et de profiter de la vie au soleil. Le Portugal avait retrouvé une certaine prospérité et il faisait bon vivre dans sa maison, près de ses ancêtres, sur la terre des anciens. Au village, tout le monde se connaissait. Les années de dictature étaient loin désormais et il était possible de vivre heureux au Portugal. De nombreux expatriés revenaient au pays quand ce n’était pas des étrangers qui décidaient de s’installer dans leurs belles villes ou sur les côtes.
Ils avaient vécu ainsi près de vingt ans avant que le cœur de Fatima n’en décide autrement. Depuis décembre, Manuel profitait de la présence de ses parents et était prêt à les aider en cas de besoin. Il était très inquiet pour sa mère, mais Fatima le savait et prenait sur elle à chaque fois qu’il était là pour paraître en forme.
Manuel reprit :
— Non, non, Mae, ce n’est pas le travail cette fois ! Le salon de thé se porte bien, oui ! Chaque jour, on a de nouveaux clients ! C’est fantastique ! Non, je suis… amoureux !
Joao regarda son fils, ébahi.
— Como ? Amoureux ? Mais de qui ? Elle est belle ? Elle a quel âge ? Como se-chama ?*
Fatima l’interrompit.
— Si tu ne le laisses pas parler, comment pourras-tu le savoir, stupido* ! Écoute donc ton fils. Vas-y, mon fils ! lui dit-elle d’un ton encourageant.
— Eh bien, vous savez, la journée, je suis très occupé et je n’ai pas le temps de penser à quelqu’un, mais le soir, quand je rentrais à la maison et qu’il n’y avait personne, je m’ennuyais… Alors, j’en ai parlé un jour à Louisette. Vous savez, mon employée ?
— Oui, oui, elle est bien brave, cette petite, dit Joao, pensif. Son fils était donc tombé amoureux d’elle ?? Non, pas possible, se dit-il.
— Et alors ? demandèrent ses parents de concert.
— Elle m’a parlé d’un site de rencontres et elle m’a aidé à m’inscrire.
— C’est sur l’ordinateur ? Sur Internet ? demanda Joao ahuri. Son fils, sur Internet ! Mais comment peux-tu être sûr que ce n’est pas une… comment dit-on en français ? Une arnaque ?
— Beaucoup de gens autour de moi ont trouvé l’âme sœur grâce à ce site, Pai et…
— Toi aussi, mon fils ? l’interrompit Fatima.
— Je crois bien, oui, répondit Manuel en rougissant légèrement.
Fatima lui prit la main. Son fils avait le droit d’être heureux. Il l’avait bien mérité après ces années de galère passées auprès d’une femme si ambitieuse et au cœur si froid. Il n’y avait que le travail qui comptait pour cette Bourgeoise de Portugaise. L’amour lui était complètement étranger. Et puis, elle n’était même pas vraiment Portugaise !
— Elle s’appelle Marie, reprit Manuel et elle est originaire de la région. Je suis désolé, mais… il marqua une légère pause, elle n’est pas Portugaise. Elle est veuve depuis trois ans et elle a décidé de tourner la page.
Joao échangea un regard avec sa femme. Oui, elle pensait la même chose que lui :
— C’est bien fils. On est heureux pour toi. Ce qui compte, c’est qu’il y ait de l’amour, beaucoup d’amour entre vous. Comme entre ta mère et moi. C’est une force qui nous porte et qui nous aide dans les coups durs de la vie. Et je peux te dire qu’on en a traversé, des tempêtes, pas vrai ma Fatima chérie ?
Fatima sourit à ses deux hommes.
— J’aimerais la voir bientôt. Tu crois que ce sera possible ?
Manuel se jeta à son cou.
— Oh, Mae ! Merci ! j’avais si peur que vous soyez déçus qu’elle ne soit pas Portugaise ! Je vais la prévenir. Elle sera ravie de vous rencontrer ! Je suis sûr que vous allez l’aimer !
Ils terminèrent leur repas gaiement. Bientôt Manuel prit congé et retourna au salon de thé, à trente minutes de là.
Fatima se sentit soudain plus fatiguée et demanda à Joao de l’aider à se coucher. Une petite sieste avant l’arrivée de sa sœur ne lui fera pas de mal, pensa Joao. Elle sera contente de lui annoncer la bonne nouvelle !
« Ana et Miguel ne sont pas restés longtemps cet après-midi », pensa Fatima alors que Joao dormait déjà à poings fermés à ses côtés. Elle se tourna vers lui et déposa un baiser sur sa joue rebondie. Son homme n’avait jamais eu de problème de sommeil. À peine couché, la tête sur l’oreiller, tout son corps se détendait et aussitôt, il sombrait dans un profond sommeil. Jamais elle n’avait vu quelqu’un capable de s’endormir aussi vite. Parfois, ils étaient au beau milieu d’une conversation, couchés l’un contre l’autre après l’amour et il ne terminait pas sa phrase. Trahi par un ronflement, Joao était bel et bien endormi et Fatima s’amusait alors à le chatouiller pour profiter de sa présence encore un peu. Il revenait dans un sursaut, serrait sa bien-aimée contre lui ou la caressait, et de nouveau il sombrait dans un sommeil profond.
À l’époque, quand la fosse fonctionnait encore, Fatima le laissait dormir, sachant que le réveil sonnerait bien trop tôt pour son homme adoré. Il se levait en titubant de fatigue, sortait de la chambre à tâtons pour ne pas la réveiller et descendait dans la cuisine à pieds nus pour ne pas troubler le sommeil du petit. Son briquet était prêt, contenant toute la nourriture dont il aurait besoin pour sa longue journée sous terre. Il n’avait que le café à réchauffer et à mettre dans sa thermos. Il en buvait une tasse avant de rejoindre les collègues de la Fosse, qui, comme lui, avaient quitté épouse et enfants ainsi que la chaleur douillette de leur lit pour rejoindre la mine.
Fatima se souvenait de toutes ces nuits identiques. À quatre heures chaque matin, Joao se dressait hirsute pour rejoindre son autre raison de vivre, la mine, qui allait jouer avec lui toute une journée pour le recracher vers 16 h, noir de la tête aux pieds, vidé de toute son énergie et ne désirant qu’une chose : retrouver la lumière du jour. Retrouver son autre vie, sa femme, son fils, son jardin où il pourrait respirer à fond et peut-être nettoyer enfin ses poumons.
Fatima songeait à cette vie qu’ils avaient menée pendant plus de trente-cinq ans. Ça avait été une vie simple, mais si dure parfois. Ah ça, il aimait sa mine, son homme ! Ils s’étaient efforcés d’être heureux. Ensemble, ils avaient toujours fait front même dans les coups durs… Comme ce jour, après le coup de grisou où le voisin Mohamed et leur ami polonais Gustaw avaient trouvé la mort. Ils laissaient chacun une veuve et des enfants à élever. Ce jour-là, son homme n’était pas descendu à la fosse à cause d’une visite médicale prévue pour ses poumons. Pour elle, c’était un miracle et tous les jours, elle remerciait la Vierge.
Cette maison est si riche en souvenirs, songea Fatima.
Elle revit le jour où elle avait débarqué à la gare de Lille, enceinte jusqu’aux yeux, ne portant qu’une simple valise déjà trop lourde pour elle. Joao avait enfin reçu un logement de la mine et ne devait plus loger chez son frère Miguel. Il avait fait ses preuves et la mine était satisfaite de son homme. Il avait préparé la maison et surtout la chambre de leur futur bébé. Enfin ! Après toutes ces fausses couches… Il promettait ce bébé ! Il lui donnait déjà des coups au ventre. Serait-ce un garçon ? Un boxeur ? Un footballeur ? Joao avait acheté une belle voiture : une Ami 6. Leur première voiture ! Comme il était beau, son homme, fier comme un paon au volant de leur Citroën. Toutes ses économies y étaient passées, mais, comme il disait, en France, on a besoin d’une voiture, tu verras. Tout le monde en achète une ici !
Fatima se tourna sur le côté. Décidément, elle avait dû boire trop de café avec sa sœur cet après-midi. Ana avait été surprise d’abord de la nouvelle, puis elle lui avait dit qu’elle était bien contente que son neveu soit de nouveau amoureux. Elle était déjà grand-mère depuis dix ans, elle.
Le sommeil ne venait pas. Au lieu de ça, la mémoire la taquinait à la faire voyager ainsi dans le temps ! Voyons, Manuel a été un super bébé et heureusement, il n’a jamais fait de boxe ! Bien que… ça aurait pu lui être utile dans le quartier. Toutes ces bandes rivales de gamins qui aimaient se battre pour prouver que leur fosse à eux était la meilleure… Fosse 4 contre Fosse 2 et le résultat ensuite ? Des égratignures et des yeux au beurre noir à soigner après l’école ! Fatima soupira, revoyant tous ces enfants du quartier jouant ensemble dans la rue pendant que les hommes discutaient par petits groupes devant leurs portes.
Et nous, les femmes de mineurs, on n’avait pas toujours la belle vie non plus, pensa-t-elle. Notre homme parti, il fallait s’occuper des enfants, les amener à l’école puis faire les courses au magasin de la mine et préparer le repas. L’après-midi passait vite. C’était la maison dont il fallait s’occuper et le linge à laver, à pendre dehors quand le temps le permettait. Et surtout quand mon homme rentrait tout noir du trou, il ne voulait qu’une chose : le baquet à lessive rempli d’eau chaude exclusivement pour lui dans la cuisine ! On en a eu des fous rires tous les deux ! j’étais presque aussi noire que lui en le lavant ! Et bien souvent, on finissait à deux dans le baquet !
Finalement, on s’en est bien sortis tous les trois… J’ai pu trouver des ménages quand Manuel était plus grand et n’avait plus trop besoin de moi… Chaque semaine, l’enveloppe grossissait… Et Joao a commencé à dessiner des plans… J’ai rêvé d’un beau jardin où pousserait tout ce qui ne pousse pas ici à Lens. Semaine, après semaine, mois après mois, et un jour on en a eu assez pour vraiment y croire à notre maison de Vila Verde.
Et Fatima pensa à cet été de 1975 où après un voyage en voiture de plus de deux jours, ils s’étaient retrouvés tous les trois émus devant le pré qui allait devenir leur jardin. Ils y avaient installé leur tente cet été-là, rêvant à leur future maison. Et sa mère ? Elle avait été si contente de voir revenir une de ses filles. Elle était ravie de voir que l’un de ses enfants avait suffisamment réussi en France pour pouvoir construire la maison de ses rêves ici, au village. C’était bien les sous de Fatima et pas ceux de Joao. Son salaire à lui passait dans toutes leurs dépenses à Lens. La vie en France était tellement plus chère qu’ici, dans son village qu’elle aimait tant…
Retrouver une de ses filles et un de ses beaux-fils était un cadeau du ciel pour la mère de Fatima. Dieu lui avait enfin pardonné ce qu’elle avait fait à la mort de son mari… Mais aussi a-t-on idée de mourir à quarante ans et de laisser une femme avec onze enfants à élever ? Et le dernier qui n’avait pas deux ans !
Elle n’avait pas eu trop le choix, hélas ; et avec l’aide de ses sœurs, sa mère avait réussi à placer tous ses enfants sauf elle, Fatima, qui travaillait déjà à l’époque. Toutes des familles respectables qui permettraient à chacun de ses enfants de grandir et de travailler pour eux. Ses enfants s’en étaient tous sortis grâce à Dieu ! Elle les avait sauvés de la misère, elle, qui n’avait pas de métier et qui avait dû louer ses bras aux agriculteurs du village.
Fatima se concentra un instant, essayant de retrouver quelques souvenirs de sa vie à Vila Verde avec son père et sa mère. Mais elle n’avait que onze ans à la mort de son père. Très vite, une de ses tantes l’avait fait venir à Lisbonne et lui avait trouvé un emploi de domestique dans une famille bourgeoise bien réputée. Elle revoyait vaguement son père. Un homme au large sourire, jovial, d’une belle carrure imposante. Il était charpentier au village et tout le monde l’appréciait pour son adresse et son amour du travail bien fait. Elle revit la table remplie de victuailles et le regard confiant de sa mère quand elle admirait son géant de mari. Elle repensa aux promenades en charrette, le dimanche. Tous ses frères et sœurs entassés à l’arrière tandis que son père menait les chevaux et que sa mère riait, les cheveux au vent, le dernier-né cramponné à son châle, juché sur ses genoux.
Hé oui, tout cela, c’était avant bien sûr, avant qu’il ne se mette à cracher du sang et les quitte une nuit de décembre… Puis un à un, elle avait perdu de vue ses frères et sœurs, sa mère avait sombré dans la mélancolie tout d’abord puis le cancer l’avait rattrapée… Cet horrible mal l’avait rongée pendant des années avant qu’elle n’en revienne miraculeusement guérie. Quelle force tout de même ! pensa-t-elle. J’ai au moins hérité ça d’elle, pensa-t-elle fièrement en relevant la tête. Vivre coûte que coûte ! Et elle ne sera pas morte seule dans sa grande maison vide.
Décidément, voilà que je pense à ma mère maintenant ! Ce doit être le café ou bien la bonne nouvelle que mon Manuel m’a annoncée ce midi. Oui, c’est cela Fatima ! Enfin, ton Manuel a l’air d’être heureux ! Ah, s’il pouvait avoir trouvé le véritable amour, comme celui qui nous unit, Joao et moi. Comment s’appelle-t-elle, déjà ? Marie… C’est presque Maria en portugais. Bon, elle n’est pas Portugaise, mais il l’aime, c’est le principal. Il faut vraiment que je fasse sa connaissance ! Le cachottier, tout de même, il ne nous a rien dit ! Depuis quand la connaît-il ? Et comment est-elle ? Fatima, tu penses trop, dirait Joao ! Mon beau Joao qui dort comme un bébé… Ah, voilà la migraine à présent ! J’ai tout gagné cette nuit, marmonna-t-elle.
Sans bruit, elle repoussa la couverture, se redressa avec précaution et enfila ses chaussons. Elle s’appuya contre le mur pour se lever et lentement, parvint à la porte qui séparait le salon de la cuisine. Elle claudiqua jusqu’à la salle de bains où elle trouva un tube de paracétamol dans la pharmacie.
Revenue dans la cuisine, elle alluma la lumière et son regard s’arrêta un instant sur les cadres accrochés aux murs. Elle y voyait Manuel, le jour où il avait décroché son diplôme de menuisier, Manuel en costume de marié, au bras de cette femme, Manuel en communiant et il y avait même encore une photo de leur fils sur son premier vélo ! Il faudra que je mette de l’ordre dans toutes ces photos ! Surtout si maintenant on fait la connaissance de Marie, sourit-elle. Et puis, peut-être qu’ils nous amèneront enfin un petit-fils, se dit-elle songeuse. Il serait temps, quand même.
Mais… Ma pauvre ! Tu perds la tête ! Ton fils est bien trop vieux, voyons, et puis que fais-tu de sa fille du Brésil ? Bon, d’accord, il l’a eue derrière ton dos avec cette bourgeoise que tu n’as jamais pu voir… Mais quand même, que tu le veuilles ou non, tu es déjà grand-mère et en plus, Manuel dit qu’elle est si jolie ! Si seulement il voulait enfin nous la montrer cette petite, à son père et à sa mère… Ah, peut-être que maintenant ? Voyons, quel âge ça lui fait à cette petite ?
Ah, la tête me tourne à trop réfléchir. Tu deviens vieille, ma pauvre Fatima ! Au fait, c’est bientôt mon anniversaire ! Faudra penser à organiser une belle fête, ma Fatima ! Quatre-vingt-dix bientôt, non ? Non, non, c’est pour l’année prochaine. Bah, ça me laisse du temps pour inviter tous les frères et sœurs et leurs enfants. J’ai tellement envie de tous les retrouver encore une fois pendant qu’ils sont encore vivants… Elle avala d’un trait le verre d’eau qu’elle avait rempli et dans lequel elle avait laissé la pastille se dissoudre.