La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit - Abel Darggaud - E-Book

La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit E-Book

Abel Darggaud

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Beschreibung

Recueil de douze nouvelles indépendantes les unes des autres dans le genre thriller-fantastique, cet ouvrage s’articule autour de nombreux thèmes fédérateurs, notamment celui selon lequel le malheur peut s’acharner sur un ou plusieurs individus, plusieurs fois. Alors, « "La foudre ne tombe jamais deux fois au même endroit" » ? … pas si sûr… De la même manière, le malheur peut toucher les mêmes personnes, plusieurs fois. Il n’y a aucune règle en la matière. Parfois dans la vie, les coups du sort s’obstinent. Après la pluie vient le beau temps, pas forcément tout de suite. Pas forcément tout le temps. Après la pluie peuvent se succéder d’autres orages, des déluges, des tempêtes… en attendant, sans aucun doute, le retour, à un moment donné, du beau temps.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Bercé depuis sa plus tendre adolescence par les Simenon, Agatha Christie, Poe…, Abel Darggaud se considère avant tout comme un amoureux des mots avec lesquels il adore jouer. Tantôt poète, tantôt romancier, écrire est son exutoire, sa catharsis. Il la vit comme une thérapie pour mieux soigner ses maux, pour tenter de guérir des maux de la société. Il est toujours autant touché par la force de la nature et la résilience de l’humanité, mais également bousculé par les dérives humaines et les nombreuses injustices.

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Abel Darggaud

La foudre ne tombe jamais

deux fois au même endroit

Nouvelles

© Lys Bleu Éditions – Abel Darggaud

ISBN : 979-10-422-4018-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Abel Darggaud est l’auteur d’un premier roman-recueil de nouvelles intitulé Le gouffre des innocentes ou que le diable l’emporte, qui se place dans le genre thriller/polar/fantastique.

Il vit quelque part en Alsace, en bordure de la fameuse route des vins ; il adore explorer ses Vosges toutes proches en amoureux éperdu de la nature qu’il est.

Ses racines franc-comtoises rurales et authentiques représentent aussi son refuge, tout comme la nature, et elles ne se trouvent qu’à quelques lieues de là où il habite. Là-bas, géographiquement et humainement parlant, il aime régulièrement s’y ressourcer, y puiser toute l’énergie dont il a besoin, s’y régénérer.

L’auteur-nouvelliste se plonge également quotidiennement dans l’écriture de poésie, ses premières armes et premières amours littéraires. Un recueil de poésie intitulé Poèmes d’aujourd’hui… Amour(s) – Amor(t) a d’ailleurs été publié (mars 2024), sous son pseudonyme de poète, cette fois, Abel Corbière. Une autre facette d’Abel y est révélée.

Son écriture qu’elle soit de nouvelles, de poèmes, de tranches de vie ne vise qu’une seule et même fin, le partage d’émotions.

Urbex

Il est des parcelles de lieux où l’âme rare subitement exulte.

René Char

La forme sombre se détachait imperceptiblement de l’obscurité dans cette nuit sans lune. Immense vaisseau plongé dans les ténèbres. Dans une sorte de bataille galactique, des faisceaux lumineux s’entrecroisaient ; puis plus rien. Deux silhouettes se faufilèrent alors, longeant le bâtiment à l’abandon. Elles entrèrent par l’une des quelques fenêtres non murées de l’ensemble en ruine, mais qui avait conservé ses volets roulants partiellement abaissés. Tout juste la place pour s’y glisser, l’une après l’autre.

Décembre 1944, après six années d’âpres combats et d’occupation : la libération. Le restaurant avait été bombardé lors des derniers raids aériens de décembre. Les chars avaient également participé à la destruction du bâti ou de ce qu’il en restait. Plus que quelques pans de murs noircis par les flammes. Plus qu’un trou béant encore fumant à la place du toit. Ce qui avait été une solide charpente continuait à être rongé par quelques flammèches qui trouvaient inlassablement encore quelque nourriture à grignoter.

Dès 1947, les fonds débloqués pour dommages de guerre avaient permis la reconstruction du restaurant dévasté en un modeste hôtel qui ravirait les touristes de passage dans la cité, goûtant de nouveau à la paix, à la liberté et à une furieuse envie de rattraper le temps perdu. L’hôtel se situait à la périphérie de la ville ; parmi les dernières maisons d’un joli petit village pittoresque aux colombages typiques.

Des champs de maïs, de blés et de tournesols ainsi que de verts pâturages s’étendaient à perte de vue partout autour de la résidence hôtelière. Tout ça fleurait bon le calme, la sérénité retrouvée et une campagne bucolique prisée par une population qui n’aspirait qu’au repos et avide de tranquillité après six années d’un conflit mondial qui n’avait que trop duré.

Un petit chemin de terre longeait l’aile nord de l’hôtel, qui était borné çà et là par de typiques calvaires, où un christ en croix n’était que souffrance et où quelques personnages, en génuflexion et en prières, pleuraient le prophète martyr crucifié. On racontait que la présence de ces calvaires témoignait de l’existence d’un cimetière, d’une fosse commune dont les origines remontaient au Moyen Âge. L’Histoire se trouvait relatée dans divers écrits datant du XVIe siècle. Puis dans des livres d’histoire et des récits plus récents. Cette terre avait donc rencontré la mort à de maintes reprises : famines, épidémies, guerres. Des âmes erraient sûrement dans ces terres tourmentées ayant connu les affres de la douleur, de la souffrance, de la mort. Certains visiteurs de passage pouvaient se sentir oppressés par une énergie pesante qui se dégageait de ces lieux meurtris et qui avaient tant souffert.

Les ombres se glissèrent à l’intérieur. L’ancien hall d’accueil des touristes les accueillit. Il s’ouvrait à eux dans son plus triste dénuement : presque plus rien n’en subsistait. Tout avait été dévasté. Seuls les murs de béton prouvaient l’existence du hall où avait fourmillé tout un flot incessant. À cette grande aire d’accueil des voyageurs s’ajoutaient des vestiaires, des toilettes, grand confort pour l’époque, avec une pièce privative séparée pour effectuer de menues toilettes d’après voyage. Et pour finir les grandes cuisines de l’ancien Hôtel-restaurant, équipé déjà à l’époque de tout l’équipement moderne nécessaire. Une cavité, sorte de renflement dans le mur, témoignait de l’existence des anciens monte-plats, au fond de celles-ci. Mais tout ce faste d’antan s’était désespérément éteint et il fallait donc une bonne dose d’imagination à nos deux visiteurs nocturnes pour se le représenter. La végétation avait même repris ses droits. Deux bouleaux avaient poussé au beau milieu des anciennes cuisines. Et le lierre et les ronces dévoraient le squelette moribond de béton. Les deux explorateurs pointaient leur lampe urbex tout autour d’eux. Ils furent saisis en premier lieu par ce monde végétal partout présent, mais également par la profusion des tags, des graffitis qui ornaient ou défiguraient, c’était histoire de goût, désormais chaque centimètre carré des murs de l’ancienne et illustre maison laissée vierge de toute végétation. Des feux avaient même brûlé dans beaucoup de ces salles, laissant des traînées noirâtres et des vestiges de charbon de bois. La bâtisse était régulièrement squattée. Les artistes-graffeurs, plus ou moins doués, y avaient laissé des messages, des écrits laconiques, des avertissements, des dessins effectués à la bombe avec un talent certain donc, mais aussi tout bonnement des gribouillages sans intérêt. Parmi les messages d’avertissements, on pouvait y lire, que les lieux étaient hantés, que les morts écoutaient, Satan, God, Witches, Sabbat. Des formes cabalistiques et sataniques s’y étalaient. D’autres tags plus classiques décoraient les murs devenus très colorés du vieil établissement abandonné : Sales Putes, enculés, Baise, salope, NTM et autres propos très fleuris.

Les années d’après-guerre avaient vu défiler les acquéreurs de l’hôtel-restaurant. Mais parmi tous les futurs propriétaires qui se succédèrent à la tête de l’Hôtel du Bois Fleuri, aucun d’entre eux ne put jamais ouvrir son établissement. Le premier couple à vouloir l’acheter à la fin des années 40 fut victime d’un terrible accident de la route, les tuant tous les deux sur le coup, lorsqu’ils se rendirent à l’agence immobilière Faller pour la signature du contrat de vente. Cette même agence Faller avait largement et grassement profité du grand vide et flou juridiques d’après-guerre pour racheter un nombre incroyable de bâtiments, plus ou moins détruits, pour les revendre à prix d’or et prendre largement part à la spéculation financière malsaine sur l’immobilier qui avait sévi dans la fin de ces années quarante.

Les seconds acquéreurs, un jeune couple de restaurateurs, en visitant pour la première fois les lieux, furent pris simultanément d’un étrange malaise qui les terrassa. De violentes crises de vomissements et des nausées terribles les mettaient à terre chaque fois qu’ils voulaient pénétrer dans leur future demeure. Ils en avaient fini par conclure que les lieux ne voulaient pas d’eux et avaient jeté leur dévolu sur un autre bien sur le marché.

Enfin, tout semblait sourire aux derniers propriétaires cette fois, dans les années 80, la famille Hartmann. Une fois l’acte de vente signé, les époux apportèrent une touche de raffinement à la décoration plus que vieillissante de l’ensemble hôtelier. Ils placèrent un magnifique escalier hélicoïdal, habillé de chêne massif, reliant le rez-de-chaussée à la grande salle au lustre à l’étage ; puis au deuxième étage, celui des chambres, des suites et des appartements privés. Le gigantesque lustre en cristal de Baccarat apportait cette touche de luxe recherchée à la grande salle et l’entrée principale était surmontée, à l’extérieur, d’une magnifique marquise en béton sculpté tout en rondeurs, voussures et aux volutes exquises.

Ludovic et Samuel entamèrent leur exploration nocturne de l’ancien Grand Hôtel-Restaurant du Bois Fleuri, légèrement rebaptisé après les travaux d’ampleur entrepris, et pour beaucoup soi-disant hôtel hanté. Le premier des deux amis était tombé dans l’urbex deux années auparavant. Cette idée avait germé dans la tête de Ludovic, à force de consulter des sites en ligne spécialisés dans l’urbex, l’exploration urbaine de lieux désaffectés, abandonnés, et le plus souvent interdite. Il avait visionné de nombreuses vidéos sur la toile et avait même sympathisé avec de nombreux urbexeurs devenus célèbres et dont certaines des publications devenues virales frisaient le million de vues sur la toile ; les followers encore plus nombreux chaque jour ! De vraies stars de l’exploration urbaine !

De plus, la région qui avait vu naître Ludo regorgeait de maisons de maître qu’on avait dû quitter précipitamment, d’usines qui avaient dû mettre la clé sous la porte, la faute à la crise industrielle, d’hôpitaux désaffectés qui avaient dû fermer en raison de coupes budgétaires drastiques, injustifiées et injustes. Tous ces lieux avaient en commun d’appartenir désormais au patrimoine, mais malheureusement au passé. Révolu. Qu’on avait voulu enterrer. Faire taire. À tout jamais. Mais qui parlaient cependant. Qui, d’un simple souffle à un léger murmure, finissaient par hurler. Hurlaient qu’ils étaient bien vivants. Ludo mettait en plus un point d’honneur à respecter les points forts de la Charte des Explorateurs Nocturnes (CEN) : dont entre autres… ne rien déplacer… ne rien emporter… laissez les lieux comme ils étaient à votre arrivée… qui pouvait se résumer en une seule phrase : respecter l’âme des lieux.

Son meilleur ami, Samuel, ne fut pas difficile à convaincre dans les explorations-frissons et autres pérégrinations-déambulations nocturnes. Sam trouva même l’idée de visiter des endroits abandonnés au riche, lourd ou tragique passé plutôt cool et flippante à la fois. Même si, sous son arrogance et sa prétention de façade, il n’en menait pas large. Dérangé intérieurement. La Chartre des Explorateurs Nocturnes, il avait « juré, promis, craché » de la respecter. Bien évidemment, mais avant tout pour faire plaisir à son ami Ludo, qui semblait vraiment y tenir comme à la prunelle de ses yeux. Surtout « … ne rien déplacer… », Sam avait bien déplacé quelques chaises roulantes pour les mettre à la queue leu leu, dans l’ancien hôpital psychiatrique désaffecté visité le mois précédent pour en faire un train, ça l’avait fait bien marrer. « … Ne rien emporter… », il avait empoché quelques souvenirs, comme il disait, qu’il avait dissimulés à l’insu de son ami, dans une poche de son sac à dos. Il s’était dit finalement qu’en vrai sérial-urbexeur, il fallait rapporter de chaque nouvelle visite nocturne interdite, un trophée. Comme après la visite des trois derniers bâtiments désaffectés avec Ludo « l’intello », le nombre de ses trophées croissait à vue d’œil : un lot de seringues et de flacons à l’étrange contenu verdâtre, dans l’ancien hôpital psychiatrique, des gants, une paire de lunettes et un talkie-walkie HS dans l’usine hydro-électrique désaffectée, jouxtant le torrent du Leu et enfin une masse-marteau et une pince coupante, dans la vieille forge au lieu-dit Le Trépiot.

Samuel se demandait d’ailleurs, déjà, en observant chaque recoin de ce vieil hôtel en ruines, ce qu’il allait bien pouvoir s’octroyer. Une lueur de plaisir, mais également de folie brillait dans son regard illuminé.

Les deux compagnons continuaient leur exploration nocturne dans le bâtiment plongé dans les ténèbres les plus profondes, en cette nuit de nouvelle lune. Une fois le rez-de-chaussée visité, Sam et Ludo montèrent à l’étage en empruntant le grand escalier en colimaçon qui avait fait, jadis, la renommée du lieu, tout comme le grand lustre de Baccarat du salon, mais dont ne subsistaient que de banales et quelconques profondes marches de béton, autrefois recouvertes de panneaux sculptés en chêne massif. Au fur et à mesure que les deux compagnons gravissaient l’escalier monumental, les deux faisceaux éclairaient les marches obstruées par des gravats divers et variés, des canettes, des papiers de toutes sortes, des boîtes de conserve, des bouts de bois, des morceaux de verre et… des chaussures. La présence de toutes ces chaussures avait surpris nos deux jeunes hommes dès leur entrée. Leur nombre était incroyable : pourquoi toutes ces chaussures s’étaient dit les deux amis tout en se regardant ?

Le 2 novembre, jour des morts, 1984, tout était donc prêt pour une ouverture en grande pompe. Mais à une semaine du dîner de gala célébrant l’ouverture du Grand Hôtel-Restaurant du Bois Fleuri, la petite Katel, fille unique des époux Hartmann alors âgée de 3 ans, fut prise de violentes douleurs articulaires qui la clouèrent au lit pendant plus d’une semaine. Le dîner inaugural fut donc reporté pour raisons familiales. Malheureusement, l’état de santé de la petite Katel ne s’améliora pas. Du lit de sa chambre à l’hôtel, où les Hartmann habitaient l’aile sud privative du deuxième étage, au lit d’hôpital, la fillette restait un mystère insoluble pour la science. Aucun médecin, aucun chirurgien, aucun spécialiste des maladies rares ne put diagnostiquer le mal qui foudroyait alors la jeune enfant.

Les deux explorateurs arrivèrent à l’étage, les pinceaux de leur torche éclairèrent ce qui avait été le grand salon, la pièce principale, le cœur de l’établissement, d’une très belle hauteur sous plafond. Les vestiges d’un magnifique lustre, aujourd’hui disparu, trouvaient une place de choix au beau milieu d’un plafond jadis blanc et parcouru de frises moulurées au cachet certain. Tout en progressant, on pouvait découvrir ce qu’avaient également été quelques alcôves privatives, où des familles aisées prenaient place, petits salons d’après-repas où l’on venait fumer le cigare entre hommes, où l’on buvait un bon vieux bourbon hors d’âge, en même temps que l’on refaisait le monde, après de copieuses libations. Ne subsistaient également que les vestiges de quelques toilettes privatives.

La petite Katel, ou plutôt son « fantôme » revint à la maison, en fauteuil roulant, ayant complètement perdu l’usage de ses membres inférieurs. Ses muscles s’atrophiaient. Elle ne fut bientôt qu’un corps sans mouvement, incapable de bouger également ses membres supérieurs. Le mal l’emporta un soir de février 1985, après des hurlements de douleurs que même la cortisone et de forts opiacés ne parvenaient plus à soulager. Vers les cinq heures du matin, elle se tut. Tombant enfin dans un profond sommeil libérateur. Mais son petit cœur, bien trop sollicité ces derniers mois, s’arrêta net dans son sommeil. Katel, d’une pâleur extrême et d’une maigreur morbide, rendit son dernier souffle à 5 h 14, au cours de cet hiver 1985 des plus glacials du siècle.

La vie des époux Hartmann se mua alors en un terrible hiver qui ne devait jamais cesser. Ils abandonnèrent toute intention d’ouvrir le Grand Hôtel qui ne symbolisait, désormais, plus que les souffrances endurées et la mort de leur petit être si cher : la chair de leur chair. L’hôtel ne fut même pas vendu ; même pas aux enchères. Personne n’en voulait. Une terrible malédiction semblait s’être abattue sur ses murs et son emplacement. D’aucuns disaient qu’ils étaient possédés, hantés. Des esprits maléfiques s’en seraient emparés, dès les origines, avec les âmes perdues, tourmentées et torturées du cimetière, de la fosse commune, des famines, des épidémies, des fusillés, des bombardés. Une histoire et un héritage trop lourds à porter. Concentration du mal absolu.

Ludovic et Samuel continuèrent à s’élever dans les étages. Samuel sentit alors un léger vertige. Il s’arrêta, pour reprendre son souffle, et parcourut son environnement en éclairant tout autour de lui, comme s’il venait de constater une présence. Le deuxième étage était celui dévolu aux chambres individuelles, aux chambres familiales, aux suites, et aux appartements privatifs de la famille Hartmann dans l’aile sud. C’est là que se trouvait la chambre maudite de la petite Katel. On pouvait en voir la séparation en fonction des cloisons de béton. Pour ce qui était du reste, plus rien d’exploitable concernant la fonction de chacune des pièces. Seule leur superficie pouvait donner quelques indices à nos fins limiers.

C’est à ce moment-là, en fouillant et en retournant de vieux matelas éventrés sur de vieux châlits métalliques, que Samuel ressentit un plus profond malaise. Il en laissa tomber sa torche. Il se tint alors énergiquement la gorge à deux mains. Ludovic lui demanda :

— Qu’est-ce qui se passe Sam ? En braquant sa lampe sur le visage blanc comme un linge de son ami. On dirait que t’as vu un fantôme. Qu’est-ce que t’as ?

— J’arr… j’arr… j’arriv… plus… gémit Samuel en tentant de reprendre sa respiration.
— Arrête, tu déconnes, arrête tes conneries, mon pote ! OK, j’ai failli tomber dans l’panneau.
— J’déc… J’déco… pas, tenta de répondre le compagnon livide.

Il planta quatre de ses doigts dans sa bouche comme pour essayer d’en extraire un objet qui obstruerait sa tranchée. Il entra ses doigts au-dessus de sa langue et au-delà comme pour désencombrer ses voies respiratoires. Il fut alors secoué de tremblements et d’une violente quinte de toux. Il émit des sons gutturaux comme des râles rauques. Il se tétanisa et son corps fut pris de soubresauts. Il se courba et se tint à deux mains le ventre ; puis à nouveau sa gorge, pour finir, plié en deux. Il vomit alors sur le matelas qui se trouvait à ses pieds. Une bouillie infâme sortait de sa bouche en un flot continu. Verdâtre. Gluante. Le plus étrange, c’est que ce soir-là, Samuel n’avait rien pu avaler tellement cette exploration le terrifiait.

Ludovic restait ahuri et estomaqué par ce qui se déroulait sous ses yeux. Son meilleur ami venait de rendre jusqu’à ses derniers boyaux. Comment était-ce possible ? Et quelle était cette espèce de mélasse repoussante qui recouvrait le sol et une partie du matelas ?

Sam se releva alors. Son regard avait pris une étrange apparence comme fixe, absent. Ludo éclaira son visage : ses pupilles étaient complètement dilatées comme s’il avait consommé quelques substances illicites. Le jeune explorateur ne semblait pas réagir au flot lumineux et surtout Samuel ne paraissait ne plus rien voir. Puis soudain, il pivota brusquement à l’allure d’un robot. Tout le corps en un seul mouvement, raide. Et comme s’il était téléguidé et mû par une force invisible, il se dirigea, comme malgré lui, vers la baie vitrée qui n’en portait plus que le nom. Grande ouverture sur le néant d’une nuit sans lune. Cette force semblait le pousser inexorablement.

Ludovic s’approcha de son ami pour le retenir par le bras. Mais il ne put jamais l’approcher. Son compagnon était entouré par une force invisible et insondable, un bouclier qui repoussait toute tentative d’approche. Sam arriva devant le vide que l’absence de vitrage avait laissé à la place de la baie. Puis stoppa net.

— Noooooooooooooooon ! Arrrrrrêêêêêêête ! avait alors hurlé Ludovic.

Samuel se retourna. Il ne fixait pas vraiment son ami qui l’éclairait. Son visage inspirait une tristesse infinie. Puis sa tête dandina et s’inclina, le menton posé sur son thorax. Il semblait fixer un objet par terre, à ses pieds, qui n’existait pas.

— Regarde-moi, Sam ! Putain, regarde-moi ! C’est moi, Ludo ! On est dans c’putain d’hôtel hanté ! Tu parles, hanté, mon cul ! Que des conn’ries ! Allez, ne fais pas l’con, reviens vers moi ! Regarde ma torche ! Je t’éclaire le chemin pour que tu reviennes vers moi, mon pote ! Regarde ! Suis le faisceau par terre ! Allez, viens ! On s’casse de toute façon ! On s’casse de cet endroit pourri !

Samuel ne semblait pas entendre les paroles désespérées de son ami. Il n’avait pas bougé. Pas levé un cil. Sa position était restée la même. La tête baissée. Les bras le long du corps exécutaient une sorte de balancier. Dos au vide. Aussi… il recula un peu plus, quittant même ses chaussures. Ses talons nus arrivèrent au bord du vide…

— Noooon, Sam, Noooooooon ! Tu m’entends… tu m’comprends… On s’tire d’ici. Toi et moi ! Plus rien à foutre de cette urbex de merde ! C’était qu’des conn’r… !

Et avant même que Ludovic ne puisse terminer sa phrase, Samuel bascula en arrière dans les ténèbres. Les bras en croix en un plongeon en arrière vers l’abîme. Deux secondes après, on entendit juste un bruit étouffé. Mat. Sourd. Celui du choc du corps de Samuel contre le haut de ce qui avait été la marquise en béton sculpté tout en rondeurs, voussures et aux volutes exquises.

Ludovic se précipita vers l’ouverture béante s’ouvrant sur les ténèbres. Il s’arrêta et se mit de côté, pour trouver appui contre le mur humide. Il osa un coup de lampe torche et un regard. Il balaya le vide pour finalement stopper son faisceau sur le corps inerte de son ami, au centre de son nimbe lumineux. Une large projection de sang avait éclaboussé la marquise et déjà une mare de sang s’écoulait derrière sa nuque en une grande flaque noire croissante. Le corps de son compagnon était légèrement de travers et ses yeux, grands ouverts. Sa bouche était déformée par une grimace démoniaque et deux filets de sang s’écoulaient aux commissures.

L’explorateur anéanti était horrifié. Mais qu’est-ce qu’il s’était passé ? Tout avait pris des proportions inimaginables. D’une simple virée nocturne, leur sortie urbex avait viré au drame. Au cauchemar. À l’horreur. Ludo s’écroula en se prenant la tête dans les mains. Il pleura à chaudes larmes. Il était bouleversé et tout son corps était parcouru de sanglots et de spasmes. Il mit un moment avant de se relever et de retrouver un peu ses esprits.

Il décida de quitter au plus vite ce lieu maudit. La suite, il y penserait après avoir quitté les lieux, une fois cet endroit loin derrière lui. Il éclaira devant lui, avant de retrouver la volée d’escaliers qui descendaient. Une fois l’escalier dans le faisceau de sa torche, il descendit les marches quatre à quatre. C’est là qu’il ressentit cette sensation étrange, comme si on lui effleurait le bas des jambes. Ensuite, il sentit cette fois comme si deux mains lui retenaient les chevilles. Il tenta de s’en dégager. Il réussit une première fois, mais une fois arrivé au premier étage, à l’étage de la grande salle à manger au lustre, il sentit que l’emprise se faisait plus forte. Des mains invisibles le retenaient. Le bloquaient. L’empêchaient de bouger.

Le visage de Ludovic transpirait la peur. Une vraie panique se lisait dans son regard complètement perdu. Ses traits étaient déformés par la terreur. Mais que se passait-il ? Qu’est-ce qu’il lui arrivait ? Il vivait un véritable cauchemar.

Il illumina avec ses faisceaux tout autour de lui pour chercher une solution. Mais rien. Soudain, il sentit que ses jambes avaient été libérées. Il en profita pour pénétrer dans la grande salle. Il avança tant qu’il le pouvait. Il arriva face à une première alcôve et là, il crut apercevoir un mouvement. Il s’y aventura. Une petite niche y était dissimulée. De la taille d’un cagibi. Un débarras. C’est là qu’il avait cru entendre, voir quelque chose. Il s’avança. Pointa sa torche et c’est alors qu’une vision d’horreur le terrassa.

Un chien sur le dos, les tripes à l’air. Une incision avait été pratiquée tout le long de son abdomen et tous les organes de l’animal en étaient sortis. Mais le chien remuait la queue et gémissait tout en lançant un regard noir à Ludo. Au-dessus de lui, une femme en cape noire et aux cheveux longs, noirs et gras, se balançait au bout d’une corde. Une grosse langue démesurée et boursouflée sortait de sa bouche.

Le jeune explorateur en tomba à la renverse, se retourna et rampa en griffant le sol tout en agrippant sa torche en direction de la grande salle et de l’escalier, qu’il avait quittés quelques minutes auparavant. Il éclaira les marches et ne put s’empêcher de céder à la panique. Ce fut tremblant de tous ses membres qu’il s’engagea dans le grand escalier, pour rejoindre le rez-de-chaussée.