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La gestation pour autrui fait aujourd’hui l’objet de débats au sein de la société ainsi que devant les juridictions appelées à se prononcer sur la filiation d’enfants conçus de cette modalité d’engendrement, qu’elle soit effectuée en Belgique ou à l’étranger. Un débat législatif pourrait avoir lieu dans un avenir plus ou moins proche en Belgique. Plusieurs propositions de loi ont en effet été déposées devant les assemblées parlementaires belges. Au-delà de la question de savoir s’il convient de l’interdire ou de l’autoriser sous certaines conditions, cette nouvelle pratique – et son éventuel encadrement législatif – méritent d’être discutés au sein de la communauté scientifique, médicale et plus largement civile, afin que différents points de vue et avis puissent être exprimés.
C’est dans cette perspective que s’inscrit le présent ouvrage, qui constitue le fruit et l’actualisation d’une journée d’études organisée par le Centre de droit médical et biomédical et le Centre de droit de la personne, de la famille et de son patrimoine de l’Université catholique de Louvain. Il fait d’abord le point sur les problématiques que suscite la maternité de substitution du point de vue médical, anthropologique, philosophique, éthique et psychologique. Il examine ensuite les différentes questions que ce mode nouveau de procréation soulève actuellement en droit belge et au regard des systèmes juridiques d’autres pays. On s’interroge enfin sur un possible avenir législatif en procédant à l’analyse des options et lignes de force de quatre propositions de loi déposées au Sénat en vue d’encadrer la gestation pour autrui.
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© Groupe Larcier s.a., 2013
Éditions BruylantRue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
Tous droits réservés pour tous pays.Il est interdit, sauf accord préalable et écrit de l’éditeur, de reproduire (notamment par photocopie) partiellement ou totalement le présent ouvrage, de le stocker dans une banque de données ou de le communiquer au public, sous quelque forme et de quelque manière que ce soit.
EAN : 978-2-8027-4403-0
Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe De Boeck. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.
SOMMAIRE
Sommaire
Introduction
I. – PREMIÈRE PARTIE
PRATIQUES ET RÉFLEXIONS SUSCITÉES
Gestation pour autrui : expérience d’un centre belge de procréation médicalement assistée
par Candice AUTIN
Penser autrement la gestation pour autrui : contribution d’une recherche en psychologie clinique
par Françoise CAILLEAU
La gestation pour autrui : brève note anthropologique
par Michel DUPUIS
Gestation pour autrui : essai sur le point de vue de l’enfant
par Luc ROEGIERS
La gestation pour autrui : quelques observations et commentaires, en partie polémiques
par Janos FRÜHLING
Chronique d’une avalanche annoncée : les présupposés philosophiques de la gestation pour autrui
par Xavier DIJON
La gestation pour autrui nous aide à mieux comprendre le métissage de la filiation humaine
par Laurent RAVEZ
II. – DEUXIÈME PARTIE
L’ÉTAT ACTUEL DU DROIT ET LES PERSPECTIVES FUTURES
La gestation pour autrui : un laboratoire de la décision politique en Belgique
par Nathalie SCHIFFINO et Sébastien SAKKAS
Gestation pour autrui, autonomie personnelle et maîtrise corporelle : plaidoyer pour un droit neutre et libéré
par Gilles GENICOT
La validité de la convention de gestation pour autrui en droit belge actuel
par Nicole GALLUS
Chronique de jurisprudence belge concernant la gestation pour autrui (droit interne)
par Gerd VERSCHELDEN et Liesbet PLUYM
La filiation issue d’une gestation pour autrui : quelles règles de droit international privé pour la Belgique ?
par Patrick WAUTELET
Légiférer en matière de gestation pour autrui : quelques repères de droit comparé et de droit international
par Geoffrey WILLEMS et Jehanne SOSSON
III. – TROISIÈME PARTIE
ANALYSE COMPARÉE DES PROPOSITIONS DE LOI
Liste et tableau synthétique des propositions de loi analysées
L’accès à la gestation pour autrui
par Marie-Noëlle DERÈSE
La convention de gestation pour autrui entre autonomie de la volonté, ordre public et droits fondamentaux : quelles garanties formelles et substantielles ?
par Geneviève SCHAMPS et Geoffrey WILLEMS
L’enfant né d’une gestation pour autrui : quelle filiation ? Quels liens avec la mère porteuse ?
par Jehanne SOSSON et Géraldine MATHIEU
La gestation pour autrui transfrontière
par Caroline HENRICOT
La gestation pour autrui : vers un encadrement ?
Introduction
PARGENEVIÈVE SCHAMPS*1ETJEHANNE SOSSON*2
1. Débats. La gestation pour autrui fait aujourd’hui l’objet de débats au sein de la société ainsi que devant les juridictions appelées à se prononcer sur la filiation d’enfants issus de cette modalité d’engendrement effectuée en Belgique ou à l’étranger.
Périodiquement mis en avant par l’actualité médiatique au détour de cas soulignant les difficultés juridiques et humaines qu’il engendre, le sujet est sensible notamment d’un point de vue éthique, sociologique, psychologique, juridique ou médical car il touche au sens même de la parenté.
Plusieurs propositions de loi ont été déposées devant les assemblées parlementaires belges. Un débat législatif pourrait avoir lieu dans un avenir plus ou moins proche.
Au-delà de la question de savoir s’il convient de l’interdire ou de l’autoriser sous certaines conditions, cette pratique et son éventuel encadrement législatif méritent d’être discutés au sein de la communauté scientifique, médicale et plus largement civile, afin que différents points de vue et avis puissent être exprimés.
C’est dans cette perspective que le Centre de droit médical et biomédical et le Centre de droit de la personne, de la famille et de son patrimoine de l’Université catholique de Louvain se sont associés pour organiser, le 24 avril 2012, une journée d’étude où des spécialistes de différents horizons (médecins, éthiciens, psychologues, sociologues, juristes…) ont mis en commun leurs approches et réflexions, dans le respect des opinions ou positions de chacun, qui peuvent être largement divergentes.
Cet ouvrage constitue le prolongement des contributions et des échanges de cette journée. Il intègre les développements qui ont marqué la thématique jusqu’à présent.
2. Terminologie. « Gestation pour autrui », « maternité pour autrui », « maternité de substitution »…, la terminologie utilisée varie.
Au-delà des termes « gestation pour autrui », entendus ici comme le fait pour une femme de porter un enfant pour le compte d’un couple qui en a assuré le projet et à qui il sera remis après la naissance1, la liberté a été laissée à chaque auteur des contributions publiées dans cet ouvrage de recourir aux vocables qu’il souhaitait. Néanmoins, encore faut-il s’entendre sur ce qui est visé : la terminologie confine ici à une (épineuse) question de définition.
En ce qui concerne d’abord le « procédé », si les vocables sont multiples, la terminologie s’articule généralement autour de deux situations qu’il convient de distinguer, sur bien des aspects, quant à leurs conséquences : celle où la femme qui porte l’enfant est uniquement gestatrice, d’une part, et celle où elle est à la fois gestatrice et génitrice de l’enfant, d’autre part. Dans le premier cas, l’enfant est conçu avec l’ovocyte de la femme qui porte l’enfant ; dans le second cas, il n’en est pas ainsi, l’enfant pouvant être conçu avec l’ovocyte de la mère d’intention ou celui d’une donneuse. Lorsque la femme qui porte l’enfant n’a aucun lien génétique avec lui, on parlera aussi de « maternité de substitution de haute technologie », par opposition à la « maternité de substitution de basse technologie » (full ou partial surrogacy). La première suppose une intervention médicale pour un transfert d’embryon alors que la seconde se réalise par insémination artificielle (puisque l’ovocyte provient de la donneuse elle-même), ou via une relation sexuelle : un certain nombre de couples ne recourent en effet pas à la procréation médicalement assistée pour procéder à une gestation pour autrui mais procèdent par une « auto-insémination » de la mère porteuse avec le sperme du père d’intention. On peut aussi parler de gestation pour autrui sans ou avec lien génétique. Certains réservent d’ailleurs les termes « gestation pour autrui » aux situations où la femme porteuse n’est pas la mère génétique de l’enfant et utilisent le terme « procréation pour autrui »2 pour viser les situations où elle l’est.
Certes, les variantes possibles sont plus nombreuses encore, selon les situations. Les parents d’intention peuvent être les parents génétiques de l’enfant, lorsque l’embryon a été créé avec les gamètes des deux membres du couple demandeur et transféré ensuite chez la gestatrice. Il se peut également que seul l’un des membres du couple d’intention soit le parent génétique de l’enfant. Il s’agira le plus souvent du père, lorsque l’enfant a été conçu avec les spermatozoïdes du partenaire du couple d’intention et l’ovocyte de la gestatrice. Néanmoins, le lien génétique peut aussi n’exister qu’avec la mère d’intention lorsque l’embryon implanté chez la mère porteuse a été conçu à partir d’un de ses ovules fécondé avec le sperme d’un tiers. Il est possible également qu’aucun des parents d’intention ne soit génétiquement l’auteur de l’enfant, en cas d’implantation d’un embryon produit au moyen d’un don d’ovule et d’un don de sperme ou encore d’un ovule de la gestatrice et d’un don de sperme.
La multiplicité des combinaisons possibles induit assurément de possibles confusions sémantiques…
Il en est de même pour désigner les protagonistes concernés : pour viser la personne qui est enceinte et accouche de l’enfant, le vocable « mère porteuse » est habituellement utilisé ; il induit pourtant que la femme qui porte l’enfant en est la « mère ». L’usage de ce vocable est-il dès lors (toujours) pertinent ? Serait-il plus adéquat de parler de « femme porteuse » ? Et comment désigner la ou le(s) personne(s) qui a(ont) l’intention de devenir parent(s) ? Les termes « parents d’intention » laissent moins apparaître une référence implicite à une commercialisation que ne le font les mots « parents demandeurs » ou « commanditaires ». Ils induisent en tous cas l’idée que c’est la volonté de ces personnes qui est au centre du devenir parent, ce qu’explicite encore davantage la dénomination « auteurs du projet parental ».
Par ailleurs, le lecteur ne s’étonnera pas de voir utilisés, dans certaines contributions, des acronymes pour les termes très fréquemment utilisés, tels G.P.A. pour « gestation pour autrui », ou encore P.M.A. pour « procréation(s) médicalement assistée(s) ».
3. Analyse. Toute approche et tout ouvrage pluridisciplinaires comportent leurs richesses et leurs écueils : la conjonction d’épistémologies différentes, ayant chacune leur propre méthodologie et leur propre sémantique, peut rendre une lecture générale plus complexe ; mais elle permet aussi de saisir un phénomène dans sa globalité, sans donner préséance à l’une ou l’autre analyse, celles-ci s’enrichissant au contraire de leurs différences.
Nous avons dès lors choisi d’articuler les contributions de cet ouvrage autour de trois parties. La première a trait aux pratiques existantes en Belgique et aux réflexions qu’elles suscitent. Elle comprend des développements concernant l’expérience d’un centre belge de procréation médicalement assistée et les considérations psychologiques, anthropologiques, éthiques ou philosophiques que la gestation pour autrui suscite.
La deuxième partie examine l’état actuel du droit belge et les perspectives futures. L’analyse est effectuée tant au niveau de la décision politique que des normes qui la traduisent. L’examen porte entre autres sur la question de l’autonomie des personnes impliquées dans la gestation pour autrui et de la manière dont elle peut s’exprimer, particulièrement en ce qui concerne la conclusion et l’exécution d’une convention de maternité de substitution. La jurisprudence belge est également exposée et commentée quant à la filiation de l’enfant conçu dans le cadre d’une gestation pour autrui pratiquée en Belgique ou à l’étranger, à la demande de parents d’intention belges. Une présentation des réglementations existantes dans certains systèmes juridiques étrangers est également effectuée.
Enfin, la troisième partie de l’ouvrage procède à une analyse approfondie des propositions de loi belges actuellement pendantes visant à encadrer la gestation pour autrui, y compris au regard du droit comparé. Un tableau comparatif de ces propositions de loi est établi. L’examen porte plus particulièrement sur les conditions d’accès à la gestation pour autrui, sur les modalités de la convention de gestation pour autrui au regard des droits fondamentaux, sur l’établissement de la filiation de l’enfant à naître ainsi que sur les possibles (ou impossibles) liens avec la femme ayant porté l’enfant.
4. Un encadrement ? Les contributions pluridisciplinaires de cet ouvrage sont coordonnées autour de la question de la pertinence ou non d’encadrer la gestation pour autrui, par la voie législative ou selon d’autres modalités. En mettant en évidence les diverses implications que cette pratique peut avoir et la manière dont il est y répondu dans différents pays, nous avons souhaité mettre à la disposition des personnes interpellées par la thématique un instrument qui puisse prolonger les discussions actuelles et contribuer utilement à la réflexion.
*1. Professeur ordinaire à la Faculté de droit et de criminologie, à la Faculté de médecine et médecine dentaire et à la Faculté de santé publique de l’Université catholique de Louvain, Directrice du Centre de droit médical et biomédical.
*2. Professeur extraordinaire à la Faculté de droit et de criminologie de l’Université catholique de Louvain (Centre de droit de la personne, de la famille et de son patrimoine) et à l’Université Saint-Louis Bruxelles.
1. Le Comité consultatif de Bioéthique, dans son Avis n° 30 du 5 juillet 2004 relatif à la gestation pour autrui définit celle-ci comme étant « la pratique par laquelle une femme porte un fœtus ou enfant, et poursuit la grossesse jusqu’à la naissance de cet enfant avec l’intention de transférer ensuite tous ses droits et devoirs parentaux au(x) parent(s) demandeur(s) » (p. 4).
2. Le Code civil français, en son article 16-7, utilise cette terminologie lorsqu’il indique : « Toute convention portant sur la procréation pour autrui ou la gestation pour autrui est nulle ».
I. – Première partie
Pratiques et réflexions suscitées
Gestation pour autrui : expérience d’un centre belge de procréation médicalement assistée
parCandice AUTIN*1
I. – Introduction
En Europe, le recours à la gestation pour autrui (G.P.A.) est certainement la technique de procréation médicalement assistée (P.M.A.) la plus controversée.
En Belgique, même si la G.P.A. n’est pas prohibée, sa pratique reste peu répandue au sein des centres spécialisés en fertilité. Cela s’explique par le nombre restreint d’indications médicales nécessitant le recours à la G.P.A. mais aussi par l’absence de cadre légal qui insécurise cette pratique tant pour les patients que pour les professionnels de la santé. De plus, la G.P.A. touche à de nombreux aspects éthiques, psychologiques et médicaux qui découragent la plupart des équipes médicales.
Gestation pour autrui et maternité de substitution sont encore bien souvent confondues au sein du grand public mais aussi dans le monde médical. La gestation pour autrui est la situation dans laquelle le couple de parents fournit les gamètes (ovocytes et spermatozoïdes) qui vont permettre, via la fécondation in vitro, l’obtention d’embryons. Un de ces embryons sera ensuite replacé dans l’utérus de la mère porteuse qui n’aura donc aucun lien génétique avec l’enfant. Dans les situations de maternité de substitution, la mère porteuse va être « inséminée » par le sperme du père intentionnel et sera donc liée génétiquement à l’enfant qu’elle porte. Les maternités de substitution ne requièrent généralement pas l’intervention du corps médical.
Fréquemment, lorsqu’il est question de G.P.A., on assiste dans les médias à des prises de position très tranchées et à des jugements théoriques peu fondés sur une expérience pratique.
On entend trop rarement l’opinion des principaux protagonistes (couples intentionnels et mère porteuse) ainsi que celle des professionnels ayant une expérience dans l’accompagnement de ces couples.
II. – Prise en charge des demandes de G.P.A. au centre de P.M.A. du Centre Hospitalier Universitaire (C.H.U.) Saint- Pierre
A. – Historique
En 1997, l’équipe de P.M.A. du C.H.U. Saint-Pierre va être interpellée par une demande de prise en charge avec recours à la G.P.A. venant de France. Cette demande, faite par un couple ayant vécu la perte de leurs deux filles et un drame obstétrical, va émouvoir le médecin responsable du centre.
Face aux nouvelles situations de demande d’aide à la procréation, le centre de P.M.A. du C.H.U. Saint-Pierre a toujours eu pour principe d’entendre la demande puis d’y réfléchir en équipe afin de décider s’il s’agit d’un projet parental auquel l’équipe sollicitée va pouvoir adhérer.
Ce couple, ainsi que les deux sœurs de la femme du couple, spontanément candidates « mères porteuses », vont donc être reçus par le Professeur Annick Delvigne, responsable du centre de P.M.A. à l’époque, ainsi que par le Dr Marie-Laure Gustin, psychiatre du centre, spécialisée dans tous les aspects particuliers de la P.M.A.
Suite à cette rencontre, une réflexion de près d’un an va s’instaurer au sein de l’équipe afin de mettre en place une prise en charge adaptée à ce nouveau type de demande. L’équipe s’est attachée à élaborer une procédure respectueuse de chacun des intervenants et permettant d’assurer une sécurité maximale de tous les protagonistes.
B. – Indications de prise en charge
Le centre de P.M.A. du C.H.U. Saint-Pierre prend en charge les situations nécessitant le recours à une gestation pour autrui appelée en anglais « ivf surrogacy » ou « full surrogacy ».
Cela signifie que le couple auteur du projet parental (couple intentionnel) va bénéficier d’une fécondation in vitro et qu’un des embryons ainsi obtenu sera transféré chez leur mère porteuse. Les parents intentionnels sont donc toujours les parents génétiques. La mère porteuse n’est jamais liée génétiquement à l’enfant qu’elle va porter.
Actuellement, notre équipe a fait le choix de ne pas prendre en charge les situations nécessitant de combiner un don de gamètes (don d’ovocytes ou de sperme) à une gestation pour autrui. En effet, associer ces deux parentalités particulières ne remporte pas pour l’instant l’adhésion de l’ensemble de l’équipe. Ce choix a pour conséquence que nous ne prenons en charge que les demandes des couples hétérosexuels puisque les demandes de couples homosexuels nécessiteraient le recours à un don de gamètes en plus de la G.P.A.
Les indications de recours à une G.P.A. que notre centre prend en charge peuvent être classées en trois groupes qui sont ceux repris par l’ESHRE (European Society of Human Reproduction and Embryology) :
1. Indications absolues :
– absence congénitale d’utérus (syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster) ;
– hystérectomie ;
– utérus non fonctionnel (malformation sévère de l’utérus, synéchies ou myomatose non curables chirugicalement).
2. Indications relatives : pathologies contre-indiquant une grossesse (grossesse représentant une menace pour la vie de la mère ou du futur enfant).
3. Indications discutables :
– fausses couches à répétition ;
– échecs de fécondation in vitro à répétition.
C. – Procédure de prise en charge
1. Évaluation du projet
Notre procédure peut être divisée en cinq temps pour ce qui concerne la première partie de la prise en charge :
– accueil téléphonique pour orientation correcte ;
– consultation auprès d’un juriste spécialisé ;
– consultation avec le gynécologue ;
– consultation avec la psychiatre ou psychologue ;
– présentation du projet parental à l’équipe, décision collégiale et annonce de la décision au couple intentionnel.
a) Accueil téléphonique pour orientation correcte
Cette première étape concerne essentiellement le secrétariat du centre de P.M.A. et est fondamentale. Elle permet d’expliquer aux couples demandeurs les conditions d’accès préalables à une G.P.A. et la procédure de prise en charge.
Les conditions d’accès préalables à toute consultation dans notre centre sont les suivantes :
– indication médicale de recours à une G.P.A. ;
– mère intentionnelle âgée de moins de 43 ans ;
– mère porteuse « relationnelle », âgée de moins de 40 ans, déjà mère, en bonne santé générale et sans risque obstétrical majoré.
Si l’indication de recours à une G.P.A. n’est pas évidente, le dossier médical de la patiente sera demandé afin qu’un gynécologue puisse confimer la validité de l’indication afin d’éviter au couple des démarches inutiles. Par exemple, certains couples font une demande de recours à une G.P.A. après des échecs répétés de fécondation in vitro. Seule l’analyse détaillée de leur dossier nous permettra de confirmer ou d’infirmer l’indication.
b) Consultation auprès d’un juriste spécialisé
Étant donné la situation juridique particulière de la G.P.A. en Belgique, nous exigeons que les parents intentionnels ainsi que la mère porteuse et son conjoint (si elle en a un) rencontrent un avocat spécialisé dans le droit familial.
Ces consultations juridiques permettront de les informer de l’état actuel de la législation en Belgique et dans leur pays d’origine s’ils viennent de l’étranger. Cela permettra également d’évoquer avec eux leurs droits ainsi que les risques et les difficultés auxquelles ils vont être confrontés en matière de filiation.
c) Consultation avec le gynécologue
Le gynécologue recevra le couple intentionnel puis la mère porteuse et son conjoint éventuel.
a) Lors de l’entretien avec le couple intentionnel, le gynécologue commencera par aborder l’indication du recours à la G.P.A. ainsi que le « parcours » souvent long et douloureux que ce couple a effectué.
Le choix de la mère porteuse et les liens qui les unissent seront ensuite discutés. Le médecin s’assurera qu’il s’agit bien d’une mère porteuse « affective » et non commerciale.
Ensuite le gynécologue évoquera avec le couple intentionnel tous les événements susceptibles d’arriver durant une grossesse et un accouchement (malformations, diagnostic anténatal, interruption de grossesse, césarienne…). Il insistera sur les difficultés éventuelles à partager à trois (ou quatre si la mère porteuse a un conjoint) toutes les décisions relatives à la grossesse et à l’accouchement.
Il rappellera les risques liés à toute grossesse mais qui dans la G.P.A., seront pris pour autrui et par une mère de famille.
Il s’assurera enfin que les informations juridiques ont été correctement intégrées et que le couple bénéficie dans sa région d’origine du soutien d’une équipe médicale.
b) Lors de l’entretien avec la mère porteuse, le gynécologue effectuera une anamnèse médicale approfondie afin de s’assurer qu’elle ne présente aucun antécédent médical, chirurgical ou obstétrical qui pourrait être un facteur de risque pour une future grossesse.
Ensuite, l’histoire qui lie la mère porteuse au couple intentionnel et qui l’a motivée à se proposer sera abordée.
Tous les aspects relatifs au déroulement de la grossesse et de l’accouchement seront discutés comme avec le couple intentionnel, de même que l’intégration des informations juridiques.
Lorsque la mère porteuse a un conjoint, celui-ci sera invité à exprimer son vécu de la situation et des futures difficultés à venir. Il est évidemment impensable d’accepter un projet de G.P.A. lorsque le conjoint de la mère porteuse n’est pas consentant.
Bien entendu, le gynécologue évoquera également tout ce qu’un projet de G.P.A. implique au niveau des propres enfants de la mère porteuse.
d) Consultation avec la psychiatre ou psychologue
La psychiatre ou psychologue recevra, comme la gynécologue, le couple intentionnel et celui de la mère porteuse séparément.
Ces entretiens permettront d’évoquer en détail avec chacun des couples leurs parcours respectifs, leurs motivations et leurs attentes par rapport à ce projet de parentalité très particulier.
La psychiatre ou psychologue abordera avec eux différentes situations très concrètes pouvant survenir et compliquer la relation entre les couples pendant ces longs mois de solidarité.
Tout ce qui concerne la restriction volontaire d’autonomie de la mère porteuse sera longuement discuté (mode de vie, contraception, organisation vie familiale et professionnelle, etc.) ainsi que les difficultés pouvant survenir dans la période du post-partum.
La place des enfants de la mère porteuse, la position de la famille et de l’entourage des deux couples seront aussi abordées.
La psychiatre ou psychologue s’assurera que la mère porteuse est bien « libre » de son choix, qu’elle n’agit pas sous la contrainte d’une pression morale ou affective.
Enfin, les aspects financiers (frais médicaux, pertes de revenus…) et la « dette morale » du couple intentionnel envers la mère porteuse seront discutés dans la transparence.
e) Présentation du projet à l’équipe, décision collégiale et annonce de la décision au couple intentionnel
Dans notre centre, il est capital que tous les projets parentaux dits « particuliers » soient partagés avec l’ensemble de l’équipe médicale et paramédicale.
Ainsi, tous les projets de G.P.A. sont présentés par le gynécologue et la psychiatre (ou psychologue) lors d’une réunion d’équipe mensuelle.
Cela permet à chacun de poser des questions et de demander des précisions.
Cela permet également de s’entourer de l’avis de certains spécialistes lorsque la situation l’exige (expert en obstétrique, hématologue, chirurgien, endocrinologue, etc.).
La décision doit être la plus collégiale possible et peut être :
– un refus ;
– une acceptation ;
– une mise en suspens en l’attente d’éclaircissements ou de précisions.
Cette décision ainsi que ses motivations seront communiquées au couple intentionnel lors d’un rendez-vous en consultation.
2. Mise au point médicale
Lorsque notre équipe adhère au projet, le couple intentionnel et la mère porteuse seront revus afin d’établir leur dossier médical complet et de leur fournir la liste des examens qu’ils vont devoir réaliser avant le traitement.
Le bilan pour le couple intentionnel sera le même que celui réalisé auprès des couples débutant une fécondation in vitro. Pour la mère porteuse, tous les examens préalables à un transfert d’embryons et à une future grossesse seront demandés.
Lors de ces consultations, les formalités administratives seront également réglées (demande de remboursement pour la fécondation in vitro pour le couple intentionnel, signature des conventions, etc.).
3. Traitements
Les traitements consisteront en une fécondation in vitro « classique » pour le couple intentionnel mais sans la phase de transfert d’embryon qui aura lieu chez la mère porteuse.
Afin que l’implantation de l’embryon puisse se faire, on synchronisera les cycles des deux femmes comme cela se fait dans les traitements de don d’ovocytes.
Le nombre d’embryons transférés sera discuté préalablement avec les deux couples en insistant sur les risques d’une grossesse multiple. Pour cette raison, au premier essai, on privilégiera presque toujours le transfert d’un seul embryon.
4. Suivi après traitement
Pendant toute la durée du traitement ainsi que pendant la grossesse, tant le couple intentionnel que la mère porteuse pourront solliciter l’aide de la psychiatre ou de la psychologue. On veillera particulièrement à accompagner la mère porteuse pendant la période du post-partum qui s’avère être toujours une période assez compliquée. Depuis peu, notre équipe a décidé de mettre en place de manière systématique cet accompagnement psychologique pendant la grossesse et le post-partum pour la mère porteuse.
III. – Détails des demandes de G.P.A.
Depuis 1997, notre centre a pris en compte 104 demandes de recours à une G.P.A.
Ce chiffre comprend tous les patients qui ont été jusqu’au stade du rendez-vous en consultation. Il ne comprend pas toutes les demandes téléphoniques qui n’ont pas abouti à un rendez-vous.
Sur ces 104 demandes :
– 39 ont été « abandonnées » (pas de suite donnée après le rendez-vous) ;
– 23 ont été refusées ;
– 42 ont été acceptées.
L’analyse en détails de ces demandes permet de mettre en évidence plusieurs aspects dignes d’intérêt.
a) Pays d’origine
Voici la répartition des demandes en fonction du pays de résidence des couples intentionnels :
– 47 France ;
– 44 Belgique ;
– 13 autres pays européens (Allemagne, Espagne, Luxembourg, Pays-Bas et Portugal).
On constate donc que près de la moitié des demandes viennent de France, pays où la G.P.A. est prohibée. Ceci illustre un phénomène bien connu des spécialistes de la fertilité qui est dénommé par les anglo-saxons le « cross border reproductive care », assez mal traduit en français par « tourisme procréatif ».
b) Motivations des refus
Les raisons motivant les refus de prise en charge dans notre centre peuvent se résumer ainsi :
– 5 situations pour lesquelles le risque médical encouru par la mère porteuse a été jugé trop important (antécédents obstétricaux, maladie infectieuse, âge, etc.) ;
– 8 situations refusées en raison de la « fragilité psychologique et/ou sociale » de la mère porteuse ;
– 4 projets manquant de transparence (discours contradictoires, pressions, enjeux financiers, etc.) ;
– 3 situations pour lesquelles l’indication de G.P.A. n’a pas pu être établie ;
– 2 situations pour lesquelles la G.P.A. nécessitait d’être associée à un don d’ovocyte ;
– 1 situation refusée en raison de l’âge de la mère intentionnelle (> 43 ans).
On constate donc que la majorité des refus s’explique par la volonté de l’équipe de minimiser les risques encourus par la mère porteuse tant d’un point de vue médical que psychologique ou social.
c) Indications des prises en charge
Voici la répartition des indications des patientes qui ont été prises en charge dans notre centre de 1997 à mars 2012 :
– 13 hystérectomies ;
– 11 syndromes de Rokitansky ;
– 8 échecs de fécondation in vitro à répétition ;
– 6 utérus non fonctionnels (malformations, myomatose, etc.) ;
– 5 cas de pathologies maternelles contre-indiquant une grossesse.
On remarque que plus de deux tiers des indications font partie du groupe des indications « absolues » définies par l’ESHRE.
d) Lien avec la mère porteuse
Nous avons également repris, parmi les situations acceptées, le type de lien qui unissait la mère intentionnelle et la mère porteuse :
– 15 sœurs ;
– 7 belles-sœurs ;
– 2 cousines ;
– 1 tante ;
– 10 amies proches ;
– 7 mères porteuses recrutées via Internet.
On voit donc que dans plus de 80 % des cas, la mère porteuse est une mère porteuse dite « affective » (membre de la famille ou amie proche).
IV. – Résultats des prises en charge avec G.P.A.
Nous avons également voulu analyser les résultats des traitements entrepris chez nos 42 couples acceptés pour une prise en charge.
Âge moyen des mères intentionnelles : 33,8 ans.
Âge moyen des mères porteuses : 34 ans.
Nombre de cycles de fécondation in vitro débutés par couples intentionnels : 75 (moyenne de 2 cycles par couple).
Nombre de prélèvements d’ovocytes : 63 (12 cycles abandonnés pour absence de réponse à la stimulation ovarienne, 1 abandonné pour réponse exagérée à la stimulation ovarienne).
Nombre de transferts chez les mères porteuses : 70 (moyenne de 1,8 par mère porteuse).
Nombre total de grossesses obtenues : 28.
Nombre de grossesses à terme : 17.
Nombre de bébés : 18 (1 grossesse gémellaire).
Taux de grossesse par transfert d’embryon : 40 %.
Taux d’accouchement par transfert : 24, 3 %.
On peut d’emblée faire deux commentaires sur ces résultats :
– l’âge moyen et les taux de succès sont comparables aux données des centres belges de fécondation in vitro ;
– le nombre de tentatives effectuées par les couples est très modeste (2 cycles effectués en moyenne).
Afin d’être transparent vis-à-vis des couples envisageant une G.P.A. dans notre centre, il pourrait être opportun de leur annoncer dès le départ leurs chances d’avoir un enfant par G.P.A. Sur 100 couples effectuant une demande de G.P.A., 40 verront leur projet accepté. Sur les 40, seuls 37,2 entameront le traitement et cela aboutira à 9 grossesses à terme. Moins de 10 % des couples effectuant une demande, auront au final en enfant concu par G.P.A.
Sur 100 couples acceptés dans notre centre, 93 entameront un traitement et 22,6 auront un bébé par G.P.A. Entre 20 et 25 % des couples acceptés dans notre centre, auront au final un enfant par G.P.A.
V. – Discussion
Notre expérience de terrain concernant la prise en charge des demandes de G.P.A. est certes modeste mais atteste de la possibilité de mener à bien cette parentalité particulière dans le respect de chacune des parties.
L’absence de cadre juridique spécifique à la G.P.A. permet actuellement aux médecins belges d’aider les couples en demande mais rend la filiation des enfants nés grâce à cette procédure compliquée et insécurisée. Tout au long de leur parcours, il apparaît clairement pour notre équipe que l’absence d’encadrement législatif est une source d’anxiété aussi bien pour les couples d’intention que pour la mère porteuse.
Les pays qui ont fait le choix de prohiber le recours à la G.P.A., comme la France, rendent la prise en charge de leurs ressortissants encore plus compliquée. En effet, aux problèmes de filiation vient s’ajouter l’angoisse liée à la clandestinité imposée par l’illégalité.
En Belgique ou aux Pays-Bas, même si la G.P.A. reste une parentalité inhabituelle et compliquée, elle peut être vécue dans la transparence tant vis-à-vis de l’entourage que du milieu médical. Tel n’est pas le cas en France où les couples et beaucoup de soignants qui leur apportent leur aide vivent dans la peur de se voir dénoncer. Cette situation est regrettable et vécue comme une vraie injustice par ces couples.
On constate que moins de la moitié des demandes qui nous sont faites iront jusqu’à une prise en charge complète. En effet beaucoup de demandes sont abandonnées en cours de procédure pour des raisons multiples : découragement face à la complexité de la situation juridique, désistement de la mère porteuse, craintes suites aux informations médicales et/ou juridiques reçues, etc.
Concernant les indications de recours à la gestation pour autrui, nos chiffres correspondent à ceux retrouvés dans les études publiées à travers le monde. Plus de la moitié des patientes prises en charge souffrent d’une absence d’utérus.
Nous n’avons eu que très exceptionnellement des demandes de recours à une G.P.A. pour des indications dites de « convenance ».
Les risques d’une augmentation massive des demandes de G.P.A. à l’avenir sont, à notre sens, totalement infondés. Les couples qui décident de recourir à la G.P.A. sont des couples qui ont un projet mûrement réfléchi et qui, en dehors de l’adoption, n’ont pas d’autre alternative que la G.P.A.
Les liens affectifs qui unissent plus de 80 % de nos couples intentionnels à leur mère porteuse représentent pour notre équipe et pour les patients un facteur rassurant étant donné la situation juridique actuelle en Belgique. Nous n’avons dû faire face à aucun problème de « restitution » de l’enfant parmi les 18 bébés nés.
Parmi les 17 grossesses menées à terme, aucune complication obstétricale majeure ne s’est produite. De même aucun des bébés né n’a souffert de problèmes périnataux.
Jusqu’il y a peu, nous n’avions pas imposé le suivi psychologique des couples d’intention et de la mère porteuse pendant et après la grossesse. Néanmoins, la plupart des couples et des mères porteuses nous ont fait un retour positif de leur vécu de cette expérience de la G.P.A. Tous soulignent néanmoins qu’il s’agit d’un parcours éprouvant et qu’ils ont dû faire face à des difficultés inattendues malgré la préparation minutieuse qu’ils avaient eue avant d’entamer leur projet.
Pour cette raison et également afin de pouvoir témoigner de notre expérience comme l’ont fait de nombreux auteurs anglo-saxons (GOLOMBOKet al., Hum Reprod 2006 ; MAC CALLUMet al., Hum Reprod 2003 ; JADVA, Hum Reprod 2003), nous avons décidé de systématiser le suivi psychologique pendant et après la grossesse.
Les quelques études faites sur le devenir des enfants nés par G.P.A. sont tout à fait rassurantes1 (GOLOMBOK, MAC CALLUM et al., Child Psychol Psychiatry 2006 et Hum Reprod 2006 ; SERAFINI et al., Hum reprod update 2001). Idéalement, nous souhaiterions également pouvoir assurer ce type de suivi même si pour l’instant notre petit nombre de bébés permet difficilement de tirer des conclusions.
Enfin, il faut rappeler que toutes nos données ne concernent que les couples qui optent pour une gestation pour autrui et qui sont donc contraints de s’adresser à un centre de fertilité. Il est très compliqué d’estimer le nombre de couples qui choisissent de recourir à une maternité de substitution (mère porteuse « auto-inséminée » par sperme du père d’intention) puisque ces couples ne nécessitent pas d’aide à la procréation médicalisée. Ils échappent donc complètement à nos statistiques et peuvent malheureusement s’abstenir de toute préparation et accompagnement juridique, médical et psychologique.
VI. – Conclusions
La gestation pour autrui est une démarche exceptionnelle et compliquée qui, en Belgique, reste l’objet de nombreuses controverses et difficultés.
Néanmoins, notre expérience de terrain est rassurante tant au niveau des couples d’intention que des mères porteuses et des enfants.
Nous pensons que moyennant une préparation et un accompagnement minutieux, il est possible de mener à bien cette parenté particulière dans le respect de chacun des intervenants.
La G.P.A. bouleverse le droit de la filiation et il est donc compliqué d’adopter un cadre législatif spécifique à cette parentalité. En tant que professionnels de la santé, nous pensons cependant que l’insécurité juridique par rapport à la filiation des enfants issus de la G.P.A. est une source d’anxiété pour tous les intervenants et qu’un encadrement législatif est donc souhaitable.
Nous pensons que si une loi est adoptée, elle devrait fixer un cadre général pour la pratique de la G.P.A. tout en faisant confiance aux centres de fertilité pour l’appréciation des situations au cas par cas.
*1. Gynéco-obstétricienne, responsable du Centre de procréation médicalement assistée du C.H.U. Saint-Pierre (Bruxelles).
1. S. GOLOMBOK, C. MURRAY, V. JADVA, E. LYCETT, F. MACCALLUM, and J. RUST, « Non-genetic and non-gestational parenthood : consequences for parent – child relationships and the psychological well-being of mothers, fathers and children at age 3 », Hum. Reprod. (2006), 21(7), pp. 1918-1924 ; F. MACCALLUM, E. LYCETT, C. MURRAY, V. JADVA, and S. GOLOMBOK, « Surrogacy : The experience of commissioning couples », Hum. Reprod. (2003), 18(6), pp. 1334-1342 ; V. JADVA, C. MURRAY, E. LYCETT, F. MACCALLUM, and S. GOLOMBOK, « Surrogacy : the experiences of surrogate mothers », Hum. Reprod. (2003), 18(10), pp. 2196-2204 ; P. SERAFINI, « Outcome and follow-up of children born after IVF-surrogacy », Hum. Reprod. Update (2001), 7(1), pp. 23-27 ; S. GOLOMBOK, F. MACCALLUM, C. MURRAY, E. LYCETT, V. JADVA, « Surrogacy families : parental functioning, parent – child relationships and children’s psychological development at age 2 », Journal of Child Psychology and Psychiatry. Volume 47, Issue 2, pp. 213-222, February 2006.
Penser autrement la gestation pour autrui : contribution d’une recherche en psychologie clinique
PARFrançoise CAILLEAU*1
1. La gestation pour autrui demeure, dans le champ des techniques de P.M.A., la pratique la plus controversée (Jadva et al., 2003). Interdite en France, en Italie et en Espagne, elle est autorisée et encadrée en Grèce, en Israël, en Finlande et dans certains États des États-Unis. Son statut légal fluctue entre deux positions extrêmes, la prohibition ou l’approbation. Cette tension permanente semble se cristalliser en Belgique où elle ne fait l’objet d’aucune réglementation ni interdiction formelle. La gestation se déroule sur base d’une convention dont, paradoxalement, la validité est contestée car le corps humain ne peut faire l’objet d’un contrat et on ne peut, par convention, modifier l’application des lois fixant la filiation (Gallus, 2009).
Un débat considérable entoure la gestation pour autrui qui constitue dès lors, en matière de recherche, l’archétype du « mauvais objet » (Boltanski, 2004). Certes, arguent les anthropologues, la circulation des enfants dans les sociétés traditionnelles est courante et témoigne de pratiques dans lesquelles une femme fertile porte un enfant pour une autre femme stérile ainsi que de la possibilité pour un enfant d’avoir plusieurs mères (Lallemand, 1993). Nous devons toutefois nous garder de généraliser ces souplesses parentales qui, pour fonctionner en termes d’institutions, doivent s’inscrire dans une structure collective, être soutenues par la loi du groupe et correspondre à l’imaginaire collectif (Héritier, 1996). Aussi, au-delà de l’exotique et de la polémique, c’est au cœur d’une réalité clinique que se pose la présente recherche. Une ligne de conduite assurée dans un premier temps par l’élaboration théorique et ensuite par l’exploration clinique (Cailleau, 2011-2012).
I. – Élaboration théorique
2. Nous savons qu’en l’absence de gamètes, les couples ont la possibilité de se tourner vers des traitements palliatifs qui, comme leur nom l’indique, permettent de pallier les stérilités féminines et masculines par l’introduction d’un tiers donneur. Ces traitements ont la particularité d’introduire une dissociation entre la filiation génétique et la filiation sociale. Ils possèdent des caractéristiques communes. En effet, la circulation des gamètes y reste discrète, voire secrète1. Un principe de vraisemblance est appliqué grâce à l’appariement phénotypique entre donneur et receveur et, pour le droit, la femme qui accouche est la mère légale de l’enfant, qu’elle ait reçu du sperme, un ovocyte ou un embryon (Cadoret & Wilgaux, 2007).
La gestation pour autrui se présente de manière antithétique à ces principes : en effet, le partage du processus de conception et de mise au monde suppose une circulation des gamètes, des parents d’intention vers la mère porteuse, et une circulation de l’enfant, à la naissance, de la mère porteuse vers les parents d’intention. En introduisant ainsi une rupture de l’unité « naturelle » de la maternité dans sa part la plus visible, la gestation pour autrui en bouleverse le contenu juridique et social (Delaisi de Parseval, 2008 ; Gallus, 2009). Elle nécessite, pour les couples, un aménagement inédit de l’expérience subjective du devenir parents et amène le chercheur à reformuler les interrogations portant sur la filiation et les processus de parentalité.
3. Pour aborder la complexité de ces situations, j’ai convoqué deux concepts : la filiation et la parentalité.
En ce qui concerne la filiation, je me suis inscrite dans le courant de réflexion heuristique mené par Jean Guyotat (1980). Pour cet auteur, la filiation se réfère à trois logiques qui entretiennent entre elles des rapports dynamiques d’interactions réciproques. Ainsi, les données de base de la filiation biologique sont transformées pour aboutir aux usages, rites et lois en vigueur, c’est-à-dire aux règles de la filiation instituée. Entre le biologique et l’institué, se situe la filiation narcissique, imaginaire, au sein de laquelle circulent les représentations liées à l’histoire collective et aux croyances (1980).
Vaste et complexe, le concept de parentalité a été emprunté et diffusé par différentes disciplines pour rendre compte des nouvelles configurations familiales et des fonctions parentales qui y sont exercées (Sellenet, 2007). On doit à Didier Houzel (1999) de l’avoir modélisé en trois axes permettant de fournir différents angles d’analyse de la parentalité et de l’interrelation existant entre ses phénomènes constitutifs. De manière synthétique, ces trois axes se rapportent à : l’exercice de la parentalité dont la fonction est d’inscrire un enfant dans une filiation reconnue par la société ; la pratique de la parentalité qui concerne les tâches effectives et objectivement observables ; et enfin, l’expérience de la parentalité qui renvoie aux transformations induites par l’état de parent dans la structure psychique de l’individu. Dans cette perspective, la parentalité se définit comme suit : « L’ensemble des droits et des devoirs, des réaménagements psychiques et des affects, des pratiques de soins et d’éducation, mis en œuvre pour un enfant par un parent (de droit ou électif), indifféremment de la configuration familiale choisie » (Sellenet, 2007, p. 60).
En se déployant ainsi dans ses différentes dimensions culturelles, sociales, juridiques, affectives et psychiques, le concept de parentalité rencontre le nouage des trois logiques de la filiation et m’a permis d’élaborer et de proposer un nouveau modèle conceptuel. Celui-ci présente un rapport dialogique entre les concepts de filiation et de parentalité.
Il convient de rappeler que la filiation se conçoit depuis la perspective de l’enfant tandis que la parentalité s’envisage depuis la perspective de l’individu qui devient parent. Il subsiste donc entre les deux concepts une dimension irréductible qui nécessitait de faire appel au principe dialogique. Fondée sur la pensée du philosophe Edgar Morin, la dialogique comporte la « possibilité de faire jouer entre eux des concepts à la fois complémentaires, concurrents et antagonistes » ([1980], 2008, p. 324). Ce modèle théorique s’inscrit également dans l’esprit de la recherche tel que l’entend Daniel Widlöcher (1995) : là où la filiation et la parentalité décrivent un processus complexe, j’ai décomposé les événements qui les constituent en un ensemble de concepts et de processus. Ceux-ci sont agencés en une modélisation matricielle. Le terme matrice, emprunté au latin, est un dérivé de mater qui signifie « mère ». Dans son sens anatomique, la matrice est synonyme de l’utérus. Transposée en modèle conceptuel, la métaphore matricielle se conçoit tel un tissu au sein duquel des structures plus spécialisées se développent. Cinq matrices me permettent de connecter des savoirs issus de diverses disciplines et de conceptualiser les pratiques parentales.
La matrice corporelle se réfère aux parties et produits du corps, vecteurs de la parenté. Elle renvoie à la filiation biologique, de « corps à corps ». Toutefois, nous savons que le lien biologique n’est pas suffisant pour créer un père, une mère, une famille. Encore faut-il l’instituer. Ce cadre de références qui sera transmis à l’enfant par les parents, le groupe social et le langage, est représenté par la matrice symbolique. Elle rappelle que la famille est une institution régulée de l’extérieur par des règles, des normes et des lois. La matrice relationnelle est celle au sein de laquelle s’initient et se développent les échanges sensoriels entre les parents et leur bébé. Lors de ce premier chapitre de la vie du bébé que constitue la grossesse, les moments interactionnels façonnent les représentations que la mère et le père se forgent du bébé et ouvrent à la tiercéité. La matrice psychique se rapporte aux processus de maturation des structures profondes de la personnalité lors du passage à la parentalité, à la réorganisation des axes identitaires et relationnels. Cette dimension mobilise des mécanismes inconscients et archaïques qui contribuent à la construction d’un espace psychique spécifique pour l’enfant à naître. Enfin, la parentalité, chemin intime, est également faite de culturel, de social, de politique et d’économique. Elle est un lieu de passage qui doit être pensé et contenu par notre société. La matrice culturelle constitue une enveloppe spécifique de la parentalité.
Si chaque matrice propose son propre niveau d’analyse, cette subdivision se comprend dans une dynamique interactive qui fonde et définit tant la filiation que la parentalité humaine. Ce modèle matriciel paradigmatique nous permet d’aborder les diverses configurations parentales actuelles dont la gestation pour autrui, dans laquelle s’opère la transition d’une mère à l’autre.
II. – Exploration clinique
4. À partir de ce trépied théorique, je me suis intéressée aux processus de parentalités chez les couples demandeurs d’une aide médicale à la procréation nécessitant le recours à une mère porteuse. L’exploration clinique a consisté à aller à la rencontre de neuf couples hétérosexuels, nommés « parents d’intention », engagés dans une procédure de gestation pour autrui auprès d’un Centre agréé francophone situé en Belgique. Tous avaient suivi la procédure mise en place par le Centre. Celle-ci comporte différentes étapes dont l’objectif est de veiller à l’application de règles éthiques (dont l’altruisme) grâce au travail d’une équipe pluridisciplinaire (Dubois & Delvigne, 2007).
Toutes les mères d’intention répondaient aux critères d’indications médicales : syndrome de Mayer-Rokitansky-Kuster-Hauser2 ; utérus non fonctionnel ; état de santé non compatible avec le déroulement d’une grossesse à terme ; hystérectomie et échecs de FIV à répétitions.
Ma démarche s’est appuyée sur des entretiens approfondis avec les parents d’intention que j’ai accompagnés de manière longitudinale et en temps réel. Ils sont étayés par l’usage d’outils éprouvés en clinique (le génogramme imaginaire), en recherche (le Ca-Mir et le Thematic Aperception Test) ou dans l’évaluation de cadres thérapeutiques (l’Entretien-R adapté à la situation de la G.P.A.). Ces outils, élaborés à partir de référents théoriques différents, s’articulent de façon non contradictoire pour peu qu’on les envisage dans une évolutivité dynamique. Tous partagent un noyau commun : l’approche singulière du sujet.
À l’issue de l’ensemble de l’étude, six enfants sont nés en bonne santé suite à la procédure de gestation pour autrui. Tous les accouchements se sont bien déroulés.
III. – Résultats
5. L’exploration clinique s’est inscrite dans une perspective qualitative. Les données recueillies ont été traitées afin d’une part, d’approcher la singularité du phénomène pour chaque couple et d’autre part, de dégager certains invariants qui seraient partagés par nos sujets. L’objectif général est d’extraire la dynamique représentationnelle du processus de parentalisation chez les parents d’intention, au cours de la grossesse de la mère porteuse.
Chaque axe d’analyse s’origine dans une matrice du modèle paradigmatique. Le premier s’intéresse à l’inscription du projet d’enfant par gestation pour autrui dans une culture donnée. Les résultats de la recherche montrent que le projet d’enfant élaboré par les couples se présente comme l’objet d’une décision parentale responsable (Boltanski, 2004). Tous ont souhaité installer les bases affectives et/ou matérielles avant d’accueillir un enfant. Dans certains cas, ils sont déjà parents (3/18).
La référence à la norme d’engendrement véhiculée par la société transparaît dans le discours des sujets à travers l’idée circonscrite par un sujet d’une « logique de la vie » qui tient compte d’une évolution individuelle, du couple et de la famille. Il apparaît « naturel » aux mères d’intention de recourir aux technologies de la reproduction dans cet idéal normatif. De ce fait, les parents d’intention n’ont pas rencontré de désapprobation morale de la part de leurs proches. Au contraire, ceux-ci confèrent au projet, sinon une légitimité sociale, au moins une légitimité familiale.
6. Toutefois, la gestation pour autrui se heurte aux limites de la filiation instituée, axe représenté par la matrice symbolique. Tous nos couples ont été informés des conséquences de l’absence de cadre légal sur les divers aspects de la filiation : dans le cas le plus simple, le père intentionnel reconnaît l’enfant de manière ante natale tandis que la mère génétique et intentionnelle de l’enfant recourt à l’adoption de l’enfant de son mari. Lors de l’élaboration du projet, cette asymétrie génère un sentiment d’injustice (2/9) mais surtout d’inquiétude (6/9).
L’approche longitudinale a permis de dégager la fonction sécuritaire de cette matrice symbolique. En effet, l’absence de cadre légal vient percuter le thème de la croissance de vie. Cette première étoile du concept de constellation maternelle développé par Daniel Stern (1997) est relative à la capacité de la mère, en tant qu’animal humain, d’assumer la survie de son enfant. Dès lors qu’aucune filiation définitive ne s’instaure, le père ne peut être investi de sa fonction d’agent protecteur de la mère et l’enfant. Ainsi, nous dit Chloé : « Là j’ai eu peur, j’ai eu peur qu’on me la prenne. J’ai pensé bêtement : “Ça y est, on va nous la prendre !”, un peu comme on fait avec la DASS et tout ça. […] Parce que même mon mari, il y a pensé, qu’on nous la prenne… C’est vrai qu’on peut… que c’est effrayant. […] ». Les mères d’intention se sentent impuissantes face à un système qui pourrait leur « prendre » leur enfant avec comme conséquence de priver celui-ci des soins élémentaires physiques et psychiques dont il a besoin. L’enfant risque de naître démuni, sans matrice protectrice ; il s’agirait alors d’une seconde défaillance du corps contenant.
Il semble que l’absence de reconnaissance légale de la mère d’intention s’assortisse d’un investissement accru du lien génétique qui conforte les mères dans leur identité maternelle. La matrice corporelle aborde cet axe de la participation du corps dans la procréation. Chloé nous déclare : « C’est mon ovule, donc c’est mon enfant ! ». Le vœu exprimé par les parents d’intention, et surtout les pères (4/6), est d’avoir un enfant « à nous », « de nous ». Dès les traitements, ils considèrent les gamètes et les embryons comme les représentants du lien de parenté. Pendant la grossesse et spécifiquement à partir du deuxième trimestre, la majorité des couples établissent des liens entre les caractéristiques de leur enfant et des traits qui leur sont propres grâce aux échographies : « C’est tout moi ! » s’exclame Denis. Bien avant la naissance de l’enfant et son inscription dans la filiation, s’établit une filiation de corps à corps qui sera renforcée lors de la rencontre avec l’enfant de la naissance.
Absent de la gestation, le corps de la mère d’intention peut néanmoins participer aux fonctions de maternage tel que l’allaitement. Une seule des mamans de cette étude allaite (1/6). L’induction de la lactation, qui s’effectue pendant la grossesse de la mère porteuse, permet à la mère d’intention d’anticiper une fonction nourricière et protectrice et d’en éprouver les sensations corporelles. Le corps absent peut également être présent par substitution symbolique, à travers des phénomènes de couvade. Une maman fait part des troubles somatiques similaires à ceux de la mère porteuse en début de grossesse (1/6). On peut imaginer que cette maman revive un désir de parturition ou s’identifie à la grossesse débutante de la mère porteuse ; une assimilation symbolique qui la confirme dans son lien de filiation avec l’enfant.
7. Au fil de la grossesse, un processus interactif avec l’enfant se met en place, médiatisé par le corps de – et la relation à – la mère porteuse. Cet axe est l’objet de la matrice relationnelle. Dans la majorité des situations (8/9), la mère porteuse est une proche du couple ou d’un de ses membres. Pour la plupart (8/9), elles ont été les témoins privilégiés des drames qui ont affectés les parents d’intention dans la construction de leur parentalité : accouchement traumatique, deuil périnatal, maladie… La topographie horizontale des génogrammes imaginaires les présente dans un lien de sororité réelle et/ou imaginaire. Cette relation n’est pas pour autant dénuée d’ambivalence et de manifestations de rivalité et d’agressivité. En effet, de par la relation privilégiée qu’elle entretient avec le fœtus, la mère porteuse contrôle l’accès des parents d’intention à l’enfant à naître et peut soit taire son ressenti, soit assurer une continuité narrative et corporelle entre elle, le bébé et les parents d’intention. « Elle me dit que le bébé bouge beaucoup, nous raconte Ariane, alors, j’imagine une petite pleine d’énergie avec des cheveux bouclés. »
Afin d’entrer en relation avec leur bébé, deux mamans ont eu recours à l’haptonomie comme préparation à la naissance (2/6). Toutes deux déclarent occuper la place « de l’homme » dans ce processus. Avec cette pratique, les mères d’intention ont appris des gestes leur permettant d’accompagner affectivement la femme enceinte et la soulager. Chloé insiste sur cette dimension et se voit rassurée à l’idée que son amie n’ait pas « à subir la grossesse mais à la vivre ». Elle devient une « partenaire » privilégiée de la grossesse assurant à la mère porteuse et au bébé un « holding » physique et psychique.
8. Si la mère porteuse, tel un filtre, contrôle l’accès des parents d’intention à la grossesse et aux interactions avec le bébé à venir, le franchissement de cette porte dépend des représentations qui sont véhiculées sur l’engagement de chacun des protagonistes ainsi que du rapport au corps d’autrui dans l’expression de sa dimension sexuée. L’établissement de ces relations renvoie à une redéfinition des rôles sociaux et sexués qui se trouve au cœur de la matrice psychique.
Si chaque histoire est unique, la situation de gestation pour autrui nécessite, de la part des parents d’intention, la mise en place de mécanismes adaptatifs leur permettant d’appréhender et d’élaborer les liens qui se constituent. À partir des situations observées, j’ai dégagé quatre dimensions qui se présentent comme autant d’étapes successives mobilisant l’histoire des sujets, leurs ressources et la souplesse de leurs identifications et aboutit à une constellation parentale spécifique : il s’agit de la transgression, la condensation, l’assimilation et la différenciation.
Comme l’exprime une maman, l’absence de cadre légal confère à la démarche « un arrière-goût d’illégal et de choses taboues […] ». On retrouve, dans les récits, différentes manifestations de cette transgression (4/6). Ainsi, l’étude singulière révèle combien, pour un sujet, Ariane, se rejoue sur la scène de la gestation pour autrui la blessure de sa propre histoire filiative et l’impérieuse nécessité pour elle d’agir la transgression.
D’un point de vue dynamique, deux phénomènes de condensation se mettent en place. Celle-ci se comprend telle une force centripète qui intensifie les liens trans-psychiques (Cuynet, 2010). Le premier phénomène repose sur le rôle assuré par les familles d’origine. Lorsque la mère porteuse appartient au cercle familial, les liens du clan se resserrent autour d’elle. Si elle n’est pas membre de la famille, elle y sera incluse. De cette manière, la famille « fait corps » autour des parents d’intention et du couple porteur et incorpore celle qui porte la promesse d’une prolongation narcissique du groupe.
Le second phénomène concerne la relation entre la mère d’intention et la mère porteuse. Cette fois, la force centripète réduit progressivement le cercle relationnel aux échanges entre les deux femmes avec comme conséquence de déplacer progressivement les pères d’intention en position périphérique. Ceux-ci expriment de l’embarras à l’idée d’un rapprochement avec le corps enceint de la mère porteuse, d’autant plus que cette dernière partage sa vie avec un conjoint qui, lui aussi, régule l’accès à la grossesse.
L’analyse de contenu révèle la récurrence du « comme si » dans le discours des mères d’intention : « Comme si ce ventre était le mien » ; « Comme si c’est moi qui le portais ». On peut avancer l’hypothèse d’une assimilation d’un aspect ou d’une propriété de la grossesse par les mères d’intention. Il convient toutefois de ne pas confondre l’assimilation avec la fusion. Il n’y a en effet, pour aucune maman, confusion. Ainsi, me dit Chloé : « Quand je la vois bouger dans le ventre, je me dis : “Je n’arrive pas à imaginer ce que c’est.” Je me dis : “Claire, elle, elle l’a… elle a mon bébé dans son ventre.” Moi, je la touche, je peux la bercer et des choses comme ça, mais je ne pense pas que ma fille ait le sens que j’existe vraiment (silence) ». Il semble que l’ambivalence relationnelle entre les deux femmes soit le garant d’un travail psychique d’intégration des attributs de manière à la fois distincte et conjointe.
Après les processus de condensation et d’assimilation, la naissance introduit la différenciation. Celle-ci porte sur la séparation du corps de la mère porteuse et de l’enfant, la confrontation entre l’enfant imaginaire et l’enfant réel, et la réorganisation identitaire de chacun des protagonistes. Le couple conjugal et parental constitué par les parents d’intention émerge comme nouvelle entité différenciée. Les rôles sociaux et sexués qui avaient été déliés par le processus de gestation pour autrui se réorganisent, nécessitant de nouveaux mécanismes adaptatifs.
IV. – Pour conclure
9. Il n’est pas anodin de constater que pour aborder conceptuellement la dé-liaison du processus de conception et de mise au monde, je propose un modèle qui, lui-même, délie les concepts en ses différents éléments constitutifs. S’il est communément admis que la médecine puisse segmenter, couper et prélever les éléments du corps, gamètes et organes, la maternité, elle, ne peut que fusionner, unifier. La gestation pour autrui nous invite à repenser la parentalité dans ses différentes dimensions ainsi que la question du féminin et du maternel dans sa multiplicité. Il convient toutefois de garder à l’esprit qu’un élément fondamental pour l’enfant dans la construction de sa personnalité est de pouvoir répondre à la question : à qui dois-je le fait d’être né ?
Si j’ai pu lever un coin de voile sur la complexité de ces processus, j’aurai atteint mon objectif premier qui était de leur permettre d’exister.
V. – Bibliographie
BOLTANSKI, L., La condition fœtale. Une sociologie de l’engendrement et de l’avortement, Paris, Gallimard, 2004.
CADORET, A. et WILGAUX, J., « Nécessaires anonymat et secret de soi. Réflexions sur les lois bioéthiques », Ethnologie française, no 2007/1, vol. 37, janvier-mars 2006.
CAILLEAU, F., D’une matrice à l’autre. Dialogique de la filiation et de la parentalité dans la gestation pour autrui, Thèse de doctorat, Université libre de Bruxelles, 2001-2012.
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*1. Docteur en psychologie, Maître de conférences, U.L.B., Service de psychologie du développement et de la famille ; consultante, Centre de procréation médicalement assistée, C.H.U. Saint-Pierre, Bruxelles.
1. En Belgique, les couples qui le souhaitent ont la possibilité de se présenter avec un donneur de gamètes connu.
2. Le MRKH-Syndrome est un défaut congénital de développement de l’utérus caractérisé par une agénésie complète ou partielle du vagin et de l’utérus avec un fonctionnement intact des ovaires.