La Méthode historique appliquée aux sciences sociales - Charles Seignobos - E-Book

La Méthode historique appliquée aux sciences sociales E-Book

Charles Seignobos

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  • Herausgeber: Ligaran
  • Kategorie: Bildung
  • Sprache: Französisch
  • Veröffentlichungsjahr: 2015
Beschreibung

Extrait : "La méthode historique est la méthode employée pour constituer l'histoire; elle sert à déterminer scientifiquement les faits historiques, puis à les grouper en un système scientifique. Il semble donc au premier abord, tant qu'on reste dans la logique formelle, qu'il existe une science spéciale, l'histoire, que cette science étudie une certaine catégorie de faits, les faits historiques, et qu'elle les étudie par une méthode appropriée à la nature de ces faits..."

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EAN : 9782335054446

©Ligaran 2015

Avertissement

Ce livre est sorti d’un cours professé pendant trois années au Collège libre des sciences sociales. Bien qu’entièrement remanié il porte encore la trace de son origine ; les divisions et subdivisions y sont très apparentes et annoncées expressément, la langue est plus familière et moins sévère qu’il n’est d’usage dans les livres écrits directement pour des lecteurs. Je n’ai pas cru devoir faire disparaître ces caractères, qui m’ont paru convenir à un recueil de conseils et d’indications de méthode. J’ai à m’excuser aussi d’avoir discuté des opinions sans citer le texte exact des auteurs ; un résumé m’a semblé suffisant pour le but pratique que je me proposais. Il m’a paru inutile également de donner une bibliographie des travaux sur les sciences sociales ; on en trouvera une, bien choisie et bien classée, dans le Catalogue bibliographique, publié en novembre 1899, par la Société nouvelle de librairie et d’édition.

La première partie du présent ouvrage porte sur le même sujet que l’Introduction aux Études historiques (1897), composée en collaboration avec mon collègue et ami Ch. -V. Langlois et qui est un traité sommaire de méthode historique ; mais elle n’en est pas la reproduction. Non seulement j’ai résumé les parties purement théoriques, abrégé celles qui n’intéressaient que les historiens, introduit des exemples tirés des sciences sociales ; je crois aussi avoir rectifié et complété la théorie fondamentale.

La deuxième partie : La méthode historique et l’histoire sociale est presque entièrement nouvelle ; elle traite une matière peu étudiée jusqu’ici, parce qu’elle occupe un terrain intermédiaire entre l’histoire et les sciences sociales ; elle s’adresse donc à la fois à deux publics différents, mais je pense qu’elle doit intéresser plutôt les spécialistes des sciences sociales que les historiens.

CH.S.

Introduction

MÉTHODE HISTORIQUE ET SCIENCES SOCIALES

I. Méthode historique. – Nature de l’histoire. – Caractère indirect de la méthode historique. – Opérations historiques.

II.Sciences sociales. – Sens primitif de ce mot. – Sens actuel.

– Caractère des sciences sociales.

III.Nécessité de la méthode historique dans les sciences sociales : 1° Pour l’étude des phénomènes actuels ; – 2° Pour l’étude de l’évolution des phénomènes.

I.– La méthode historique est la méthode employée pour constituer l’histoire ; elle sert à déterminer scientifiquement les faits historiques, puis à les grouper en un système scientifique.

Il semble donc au premier abord, tant qu’on reste dans la logique formelle, qu’il existe une science spéciale, l’histoire, que cette science étudie une certaine catégorie de faits, les faits historiques, et qu’elle les étudie par une méthode appropriée à la nature de ces faits ; – de même qu’il y a une science de la chimie qui étudie les faits chimiques par une méthode chimique, une science de la biologie qui étudie les faits biologiques – ou (pour prendre comme exemple une science descriptive) une science de la zoologie qui décrit le monde animal. L’histoire serait une science d’observation. Il semble même qu’on puisse délimiter la catégorie de faits étudiés par l’histoire ; ce sont toujours des faits passés, et des faits humains. Les faits passés relatifs aux animaux ou aux plantes ne sont plus rangés dans la catégorie de l’histoire ; le mot histoire naturelle représente une conception entièrement abandonnée. L’histoire, au sens moderne, se réduit à l’étude des hommes vivant en société ; elle est la science des faits humains du passé.

Mais, dès qu’on cherche à délimiter pratiquement le terrain de l’histoire, dès qu’on essaie de tracer les limites entre une science historique des faits humains du passé et une science actuelle des faits humains du présent, on s’aperçoit que cette limite ne peut pas être établie, parce qu’en réalité il n’y a pas de faits qui soient historiques par leur nature, comme il y a des faits physiologiques ou biologiques. Dans l’usage vulgaire le mot « historique » est pris encore dans le sens antique : digne d’être raconté ; on dit en ce sens une « journée historique », un « mot historique ». Mais cette notion de l’histoire est abandonnée ; tout incident passé fait partie de l’histoire, aussi bien le costume porté par un paysan du XVIIIe siècle que la prise de la Bastille ; et les motifs qui font paraître un fait digne de mention sont infiniment variables. L’histoire embrasse l’étude de tous les faits passés, politiques, intellectuels, économiques, dont la plupart ont passé inaperçus. Il semblerait donc que les faits historiques puissent être définis : les « faits passés », par opposition aux faits actuels qui sont l’objet des sciences descriptives de l’humanité. C’est précisément cette opposition qu’il est impossible de maintenir en pratique. Être présent ou passé n’est pas une différence de caractère interne, tenant à la nature d’un fait ; ce n’est qu’une différence de position par rapport à un observateur donné. La Révolution de 1830 est un fait passé pour nous, présent pour les gens qui l’ont faite. Et de même la séance d’hier à la Chambre est déjà un fait passé.

Il n’y a donc pas de faits historiques par leur nature ; il n’y a de faits historiques que par position. Est historique tout fait qu’on ne peut plus observer directement parce qu’il a cessé d’exister. Il n’y a pas de caractère historique inhérent aux faits, il n’y a d’historique que la façon de les connaître. L’histoire n’est pas une science, elle n’est qu’un procédé de connaissance.

Alors se pose la question préalable à toute étude historique. Comment peut-on connaître un fait réel qui n’existe plus ? Voici la Révolution de 1830 : des Parisiens, tous morts aujourd’hui, ont pris sur des soldats, morts aussi, un bâtiment qui n’existe plus. Pour prendre en exemple un fait économique : des ouvriers morts aujourd’hui dirigés par un ministre mort aussi ont fondé l’établissement des Gobelins. Comment atteindre un fait dont aucun élément ne peut plus être observé ? Comment connaître des actes dont on ne peut plus voir ni les acteurs ni le théâtre ? – Voici la solution de cette difficulté. Si les actes qu’il s’agit de connaître n’avaient laissé aucune trace, aucune connaissance n’en serait possible. Mais souvent les faits disparus ont laissé des traces, quelquefois directement sous forme d’objets matériels, le plus souvent indirectement sous la forme d’écrits rédigés par des gens qui ont eux-mêmes vu ces faits. Ces traces, ce sont les documents, et la méthode historique consiste à examiner les documents pour arriver à déterminer les faits anciens dont ces documents sont les traces. Elle prend pour point de départ le document observé directement ; de là elle remonte, par une série de raisonnements compliqués, jusqu’au fait ancien qu’il s’agit de connaître. Elle diffère donc radicalement de toutes les méthodes des autres sciences. Au lieu d’observer directement des faits, elle opère indirectement en raisonnant sur des documents. Toute connaissance historique étant indirecte, l’histoire est essentiellement une science de raisonnement. Sa méthode est une méthode indirecte, par raisonnement.

C’est une méthode évidemment inférieure, une méthode d’expédient ; on l’évite tant qu’on peut employer la méthode normale, l’observation directe. On n’en fait aucun usage dans toutes les sciences générales, physique, chimie, biologie, celles qui cherchent les lois générales, c’est-à-dire permanentes, des phénomènes ; il suffit ici d’expérimenter et d’observer. Mais quand on a besoin de connaître une évolution, il faut pouvoir comparer avec les faits présents qu’on observe des faits passés qu’on ne peut plus observer ; on est forcé alors de recourir à la méthode indirecte, qui seule permet d’atteindre les faits passés. – Quand on a besoin de connaître un ensemble concret très étendu, il faut réunir des observations sur un grand nombre de faits. Par exemple, s’il s’agit de chercher l’ensemble des salaires dans un pays, chaque observateur n’en peut observer qu’un très petit nombre ; il faut bien qu’il ajoute à sa connaissance personnelle directe celle des autres observateurs ; le voilà ainsi obligé de combiner ses observations propres avec des documents rédigés par les autres observateurs ; et pour étudier ces documents il est ramené à la méthode indirecte qui est la méthode historique.

Ainsi la méthode d’étude indirecte par les documents, la méthode historique, est la seule qu’on puisse employer dans deux cas : quand on veut atteindre soit des évolutions, soit des ensembles concrets.

Comme toute autre méthode scientifique, elle comporte deux séries d’opérations : 1° étudier le document pour déterminer quels ont été les faits particuliers passés dont le document est la trace ; 2° après avoir établi ces faits, les grouper en une construction méthodique pour découvrir les rapports entre eux.

 

II.– Et maintenant, qu’est-ce que les sciences sociales ?

D’après le sens propre du mot social, ce devraient être toutes les sciences qui étudient les faits sociaux, c’est-à-dire ceux qui se produisent en société : les habitudes humaines de tout genre (langues, mœurs, alimentation, costume, habitation, cérémonial, divertissements), les phénomènes intellectuels (art, science, religion, philosophie, morale), les institutions politiques ou économiques.

C’est avec ce sens général qu’Auguste Comte a fabriqué le mot sociologie, pour désigner la science de tous les phénomènes de société. C’est encore le sens que lui donnait Herbert Spencer dans les Principes de sociologie. Mais, à force de se disputer sur les limites de la sociologie, les sociologues, tirant chacun de son côté, ont arraché au mot la plus grande partie de sa signification primitive et ne lui ont laissé qu’un sens vague. Simmel a essayé de le préciser de nouveau en réduisant la sociologie à l’étude abstraite des phénomènes communs à toutes les espèces de société.

Le mot sociologie avait été inventé par des philosophes, il correspondait à une tentative pour grouper des branches de science restées isolées sous une conception philosophique d’ensemble. Il paraît avoir eu le même sort que cette conception : après une période de vogue, il semble menacé de sortir de la langue.

Le mot sciences sociales est entré dans l’usage pour indiquer à peu près le même ensemble d’études.

Il y a été introduit par des spécialistes, sans conception d’ensemble, pour répondre à un besoin pratique ; et c’est aussi pour des raisons pratiques accidentelles que le sens s’en est précisé et limité ; aussi ne peut-on comprendre le sens actuel de ce mot qu’en suivant son histoire.

Au XVIIIe siècle le terme social a encore son sens général, le Contrat Social de Rousseau est essentiellement un contrat politique.

Dans la première partie du XIXe siècle, le sens s’est restreint ; « social » s’est opposé à « politique » ; il a désigné les institutions et les usages qui ne sont pas directement organisés par le gouvernement : famille, propriété, division en classes ; on a opposé « l’état social » à « l’état politique » ; c’est en ce sens que l’emploient les manuels d’histoire des institutions. Dans l’histoire de Sparte par exemple, la description des classes, Hilotes, Périèques, Spartiates, forme l’état « social » ; le gouvernement et l’armée rentrent dans l’état « politique ». En ce sens l’histoire sociale serait l’étude des classes, de leurs privilèges, de leur recrutement, de leurs relations, et l’histoire des associations privées telles que la famille.

Dans la seconde moitié du siècle le mot a tendu à prendre un autre sens. Il s’est peu à peu transporté aux nouvelles branches d’études de la société humaine qui commençaient à se former. Plusieurs branches s’étaient déjà constituées avant qu’on eût la conception distincte de société et de phénomènes sociaux. Elles étaient nées les unes de l’histoire , – étude encore confuse de tous les faits du passé, science des actes et des institutions politiques, mélangée à l’érudition et à l’archéologie, – les autres de certaines études pratiques devenues peu à peu historiques, la théologie devenue histoire des religions, la jurisprudence devenue histoire du droit, la rhétorique et la philosophie devenues histoires des littératures et des doctrines, l’art devenu histoire de l’art. Chacune, ayant eu dès l’origine ses professeurs et ses spécialistes, s’était organisée en une science indépendante sous un nom spécial.

Les études sur la société qui se sont organisées les dernières, au XIXe siècle, ont pris le nom de sociales, devenu vacant. Ainsi s’explique que ce mot ait été réduit à un sens si restreint. Si, de l’ensemble des sciences qui étudient les phénomènes sociaux au sens large, on retire toutes les branches d’études constituées antérieurement en sciences spéciales, le résidu comprend les « sciences sociales » au sens actuel.

Ce sont trois groupes d’études d’origines très éloignées qui ont convergé, de façon à former les « sciences sociales ».

Un de ces groupes s’est constitué par la création d’une statistique fondée sur une méthode scientifique. Les premiers essais remontent à la fin du XVIIe siècle, aux travaux de Petty et aux tables de mortalité. Mais il a fallu attendre qu’on disposât de chiffres assez complets et portant sur des phénomènes assez variés pour donner l’idée d’étudier méthodiquement ces séries de chiffres et d’en tirer des conclusions générales. Ce travail n’a pu commencer que tard, quand les autres branches étaient déjà constituées sous forme d’histoires spéciales ; et il a commencé hors des Universités où ces sciences s’étaient constituées. Quand on a pour la première fois pris conscience du rôle de la statistique, on a cherché un mot pour lui donner sa place dans l’ensemble de la science. Quételet, a publié son traité Sur la possibilité de mesurer l’influence des causes qui modifient les éléments sociaux, 1832, et son Essai de physique sociale, 1835. Ainsi la statistique est entrée dans le groupe des sciences sociales. Quand elle s’est subdivisée, la branche principale a formé la démographie, où le mot δήμος est pris au même sens restreint que le mot « social ».

Un autre groupe, – et le plus considérable, – a été formé par l’étude des phénomènes et des institutions économiques (production, échanges, répartition), – mal délimité du côté de la production (on a hésité sur la place de l’histoire de la technique), – mal délimité aussi du côté de la consommation (alimentation, vêtement, habitation, dépenses). Cette étude s’était appelée longtemps « économie politique », Volkswirthschaft ; mais le sens de ce mot a tendu à se restreindre aux considérations théoriques qui avaient été la première forme de l’étude économique. De plus en plus c’est la description des phénomènes réels qui tend à devenir la science sociale, établie au moyen d’une méthode d’observation.

Cette déviation de sens a coïncidé avec l’apparition des écoles socialistes et semble s’être produite sous leur influence. L’idée fondamentale, surtout des disciples de Marx, c’est que l’organisation économique est le fondement de toute la société ; réformer la société c’est réformer le régime économique. Tous les autres faits sociaux passent au second plan, non seulement les faits intellectuels ou religieux, mais même les faits politiques. Ils ont beau demander avant tout une réforme politique, le suffrage universel, montrant ainsi que l’organisation économique est dominée par le régime politique ; dans leur langue, le fait « social » par excellence, c’est le fait économique. Et c’est le sens qu’ils ont fini par imposer aujourd’hui ; « sciences sociales » est devenu synonyme de sciences économiques.

Le 3e groupe est d’une tout autre nature. Les hommes qui étudient les phénomènes économiques ont été amenés à étudier aussi les théories et les doctrines économiques, doctrines spéculatives et doctrines pratiques, par conséquent les réformes et les révolutions économiques. Ainsi de l’histoire générale des doctrines, confondue jusque-là dans l’histoire de la philosophie et des sciences, s’est détaché un fragment, l’histoire des doctrines et des projets économiques, qui est venu former le troisième groupe des sciences sociales.

Aujourd’hui les sciences sociales comprennent donc :

1° Les sciences statistiques, y compris la démographie ;

2° Les sciences de la vie économique ;

3° L’histoire des doctrines et des tentatives économiques.

C’est à peu près ainsi que les éditeurs du Handwörterbuch der Staatswissenschaften délimitaient en 1890 le champ de leur répertoire, en expliquant qu’ils faisaient de Staats le synonyme de Sozial, d’après le sens nouveau que le mot Staat a pris depuis le Staatssozialism. – Un des traités les plus récents en anglais, Mayo-Smith, réunit sous un nom analogue (Statistics and sociology, 1895) deux sortes d’études, la démographie et l’économie politique. – Ce sens complexe est aussi celui qu’a adopté en Allemagne dès 1873 le Verein für Sozialpolitik, suivi par Stammhammer, Bibliographie der Sozial politik, 1896. – C’est le sens donné en France au mot social dans le Musée social du comte de Chambrun, le Collège libre des sciences sociales et l’École des hautes études sociales.

Les sciences sociales, dans le sens que la pratique récente leur a donné, se limitent donc à une partie restreinte des phénomènes.

Elles sont un amalgame disparate, formé : 1° de l’étude des actes et des institutions économiques, 2° de la statistique des actes et des produits humains et 3° de l’histoire des doctrines. Elles n’ont qu’un seul caractère commun, c’est d’étudier des phénomènes qui se rapportent aux intérêts matériels des hommes.

Ces phénomènes sont de deux espèces, qui correspondent aux deux sciences entrées dans l’amalgame : 1° les phénomènes proprement corporels, nombre, sexe, âge, santé, maladie, naissance, mort, qui sont l’objet de la démographie ; 2° les phénomènes économiques, qui consistent dans les rapports entre les hommes et les objets matériels pour la production, la distribution, la consommation ; c’est le domaine de la science économique au sens large. La limite ne peut pas toujours être tracée exactement. Il y a des faits économiques purement intellectuels, comme les opérations de Bourse, qui restent dans les sciences sociales parce qu’ils sont liés étroitement aux phénomènes matériels de l’échange. Mais le caractère général des faits étudiés par les sciences sociales c’est d’être des faits matériels qu’on cherche à atteindre par l’observation matérielle .

III.– On voit maintenant pourquoi la méthode historique ainsi définie est indispensable aux sciences sociales ainsi définies.

1° Toute science sociale, soit démographie, soit science économique, doit se constituer par l’observation directe des phénomènes. Mais, en pratique, l’observation des phénomènes est toujours limitée à un champ très étroit. Pour arriver à une connaissance étendue, il faut toujours recourir au procédé indirect, au document. Or, le document ne peut s’étudier que par la méthode historique. Qu’il ait été rédigé au temps d’Auguste ou en 1900, la méthode pour l’étudier est la même, au moins dans les règles fondamentales. La méthode historique est donc nécessaire pour utiliser correctement même les documents contemporains.

2° Toute science sociale s’applique à des phénomènes qui ne restent pas constants ; pour les comprendre il faut en connaître l’évolution. Pour le fait même le plus simple de la démographie, – le chiffre de la population, – l’évolution est un élément essentiel de la connaissance scientifique. Cette nécessité de connaître l’évolution est bien plus grande encore pour la vie économique, où aucune organisation n’est intelligible que par son passé historique. Il faut donc une étude historique des phénomènes sociaux antérieurs, et cette étude n’est possible que par une méthode historique.

Ainsi, il faut appliquer d’abord la méthode historique aux sciences sociales, pour interpréter les documents, dont on a besoin dans tous les cas où la connaissance ne peut être qu’indirecte (et en pratique presque tous les faits des sciences sociales sont recueillis par la méthode indirecte). – Puis, quand les faits sont réunis, il faut pour les grouper suivre une méthode identique à celle de l’histoire, car il s’agit de former un ensemble avec des faits recueillis presque tous par des procédés historiques.

PREMIÈRE PARTIELa méthode historique appliquée aux documents des sciences sociales
CHAPITRE PREMIERThéorie du document

I. Caractère du document. – Le document est une trace d’actes antérieurs. – Analyse des opérations nécessaires pour produire un document : écriture, langue, pensée, croyance, connaissance ; lien de ces opérations avec la réalité.

II.Provenance du document. – Nécessité de localiser le document. – Opérations pour en déterminer la provenance.

I.– Comment un document peut-il servir à atteindre la connaissance d’un fait ? Y a-t-il entre un document et un fait un rapport fixe qui permette à celui qui connaît le document d’arriver à connaître le fait ? Un document est une trace laissée par un fait. – Ces traces peuvent être de deux espèces, directes ou indirectes.

Les traces directes sont des objets matériels, – par exemple un bâtiment, une machine, un métier à tisser – produits de l’activité des hommes d’autrefois, et qui peuvent servir à nous faire directement connaître cette activité. On peut utiliser les traces directes, – par exemple un outil ancien, une étoffe, – quand il s’agit de connaître les procédés ou les produits d’une industrie ; c’est le cas dans l’histoire de la technique. Mais les sciences sociales n’ont aucune recherche de ce genre à faire. Et c’est même un caractère singulier de ces sciences. Elles s’appliquent toujours à des phénomènes sociaux qui ont pour objet essentiel des choses matérielles ; la démographie étudie la répartition et les accidents matériels des corps humains, l’économie politique étudie la production et la distribution des richesses matérielles. Mais de ces phénomènes matériels elles écartent partie vraiment matérielle ; l’étude des corps est abandonnée à l’anthropologie ou à l’ethnologie, l’étude des procédés industriels reste le domaine de la technique. Les sciences sociales n’étudient dans les phénomènes matériels ni les corps ni les actes, elles cherchent seulement les rapports abstraits entre ces corps ou entre ces actes ; elles étudient soit les nombres des corps ou des actes, soit les institutions économiques, c’est-à-dire les rapports établis entre les hommes à propos des objets matériels. Il n’y a donc pas lieu en science sociale de se servir des traces directes du passé.

Les traces indirectes sont les écrits ; on leur réserve souvent le nom de documents. Directement, les documents ne font connaître que la pensée de celui qui les a rédigés, ils ne sont que les traces de faits psychologiques ; mais ils peuvent fournir un moyen indirect d’atteindre des faits extérieurs. Les sciences sociales n’emploient pas d’autre espèce de document. Les documents de la démographie sont ou des éléments de calcul démographique (dénombrements et mesures), ou des résultats de calculs sous forme soit arithmétique, soit géométrique. Les documents de la science économique sont ou des statistiques ou des descriptions d’institutions (enquêtes, rapports, monographies), ou des règlements, officiels ou privés, sur la façon dont les institutions doivent fonctionner. Les documents de l’histoire des doctrines sont les œuvres des écrivains. En un mot, les sciences sociales n’utilisent que des écrits ; il suffira donc ici d’établir la théorie du document écrit.

Quel rapport un écrit peut-il avoir avec des faits sociaux ? Pour comprendre ce rapport – qui est toujours indirect et lointain, – il faut analyser les conditions dans lesquelles un document vient au monde, et reconstituer la série des opérations nécessaires pour le produire. Alors seulement on pourra savoir s’il est possible, à travers toutes ces opérations, de trouver entre le document et le fait le rapport qui seul permettra d’arriver à la connaissance du fait.

Pour faciliter cette analyse, forcément abstraite et subtile, je prends, parmi les documents sociaux, un exemple très simple, un bulletin manuscrit du recensement français. Je vais analyser les opérations par lesquelles il est venu au monde, en remontant la série des opérations à partir du fait qu’un observateur pourra atteindre directement, c’est-à-dire à partir de l’existence du papier écrit.

L’observateur prend le bulletin. Directement, tout ce qu’il observe ce sont des traits noirs tracés sur du papier blanc. Comment ces traits ont-ils été produits ? Par un acte de la main de l’auteur du bulletin. Voilà le premier intermédiaire, l’écriture, et voici la première cause d’erreur ; l’auteur peut avoir mal tracé ses lettres, avoir fait des lapsus.

Ces traits ne sont pas arbitraires, ils sont tracés suivant un système d’écriture que l’observateur connaît, sinon il ne pourrait pas lire. À partir des traits on remonte aux signes que l’auteur a voulu mettre sur son papier. Dans nos systèmes d’écritures alphabétiques, ces signes indiquent des sons d’une langue que l’auteur a dû prononcer, au moins mentalement. Voilà le deuxième intermédiaire, les signes alphabétiques. Et voici la deuxième cause d’erreur, très sensible si l’auteur du bulletin ne sait pas l’orthographe ; il peut avoir mal orthographié, par exemple il peut avoir écrit 4, 20 pour dire quatre-vingts ; pour restituer sa vraie pensée il faut se représenter les mots parlés.

La langue elle-même n’est qu’un signe physiologique d’une pensée psychologique. En parlant, l’auteur a eu une pensée. Voilà le troisième intermédiaire, la langue. Il faut savoir la langue de l’auteur du bulletin pour remonter à sa pensée, au sens des mots. Et voici une troisième cause d’erreur ; l’auteur peut avoir mal su la langue, avoir donné à un mot un sens qu’il n’a pas habituellement en français, par exemple avoir dit « journaliste » pour « journalier ».

Mais la pensée exprimée littéralement n’exprime pas nécessairement ce que l’auteur a cru ; il a dit qu’il était bouddhiste par plaisanterie, ou il s’est dit centenaire par vanité. Voilà les quatrième et cinquième intermédiaires ; à travers le sens littéral il faudra remonter à la conception réelle, puis à travers la conception réelle à la croyance sincère de l’auteur. Et voici une quatrième et une cinquième cause d’erreur, le sens détourné, puis le mensonge.

On arrive ainsi à l’état psychologique profond et permanent de l’auteur. On peut dire alors : voilà ce qu’il croyait. S’il s’agissait seulement de doctrine, on n’aurait pas besoin d’aller plus loin ; le travail serait terminé, car le document aurait donné la croyance de l’auteur. Et c’est là en effet que s’arrêtent les opérations en matière d’histoire des doctrines sociales.

Mais, dans tous les cas où on veut connaître un fait extérieur, on ne peut s’en tenir à une croyance. Ce qu’on cherche, c’est la réalité extérieure ; l’auteur peut s’être trompé, par exemple sur son âge ou sur le nombre de pièces de son logement. Or, son opinion n’a de valeur qu’autant qu’elle provient d’une connaissance exacte des faits réels ; et la connaissance n’est exacte que si elle provient d’une observation exacte, soit faite par l’auteur lui-même, soit répétée d’après un autre observateur. Voilà donc le sixième et dernier intermédiaire : de la croyance intérieure de l’auteur il faut passer à l’observation d’un fait extérieur. Alors enfin le document se trouve relié, par toute cette série d’intermédiaires, à un acte de l’espèce des opérations scientifiques, à une observation. Un document vaut exactement dans la mesure où il a pour origine une observation bien faite.

Il semble donc que la science historique se retrouve, en dernière analyse, semblable à toutes les sciences d’observation ; il semble que la méthode historique repose sur le même principe que toute méthode scientifique, puisque le document, en dernière analyse, est une observation de faits. Quand un astronome dans son observatoire, un chimiste dans son laboratoire, ont fait une observation et l’ont rédigée, leur observation semble bien un document, pareil à un bulletin de recensement. Pourtant la langue courante n’appelle pas « document » un procès-verbal d’observation scientifique. Et elle a raison de distinguer, car il y a une différence pratique entre un document et une observation. Ce n’est pas, comme on l’a dit parfois, que le document soit la constatation d’un fait disparu qu’on ne peut plus observer, tandis qu’une observation scientifique peut être répétée. Il est impossible en astronomie de recommencer l’observation du passage d’un météore et pourtant le procès-verbal de l’observation du passage d’un météore n’est pas un simple document. La différence est dans la méthode : le procès-verbal est rédigé suivant une méthode, rigoureuse et fixe ; le document est rédigé sans méthode, il est de même espèce que le récit d’un garçon de laboratoire.

Ainsi en remontant la série des opérations à partir du bulletin manuscrit, voici celles qui ont nécessairement dû se produire : 1° un acte de la main de l’auteur qui a écrit le bulletin ; 2° dans l’esprit de cet auteur une conception des signes d’écriture à tracer ; 3° dans ce même esprit la représentation des sons de la langue, dont l’écriture n’est qu’un signe ; 4° la représentation des phrases qu’il a écrites avec leur sens littéral ; 5° la conception du sens qu’il a entendu leur donner ; 6° la croyance qu’il a eue et qui peut être erronée ; 7° la connaissance directe des faits qu’il a atteints par observation. Entre les deux dernières opérations il a pu s’intercaler un intermédiaire, si l’auteur a reçu sa connaissance de seconde main, s’il n’a pas observé lui-même le fait qu’il affirme, mais seulement répété l’affirmation d’un autre. En ce cas, c’est l’intermédiaire dont il reproduit l’affirmation qui a été le seul observateur, et il a dû faire lui-même toute une série d’opérations, mais de même espèce.

Dans le cas où l’on opère, non plus sur un manuscrit mais sur un imprimé, il y a une complication de plus. L’imprimé ne représente par lui-même que l’acte d’un typographe qui a eu un manuscrit à lire. Il faut donc, à travers toutes les opérations intellectuelles de ce typographe, arriver au manuscrit qu’il a observé. Il y a en ce cas deux séries d’opérations superposées. Mais la première série a peu d’intérêt pratique, parce que le typographe a été dans des conditions exceptionnellement favorables pour observer et reproduire le manuscrit, et que les épreuves ont été corrigées par l’auteur.

Pour tirer d’un document la connaissance d’un fait, il faut donc reconstituer toutes ces opérations intermédiaires, comme elles ont dû se produire dans l’esprit de l’auteur et se représenter toute la chaîne de ces actes, au moins dans le rapport que chacun d’eux a eu avec le point de départ, qui était le fait observé. C’est le seul moyen de déterminer le rapport avec le point d’arrivée, qui a été le document.

En pratique, dans cette chaîne continue qui va depuis le fait à connaître jusqu’au document, c’est le point d’arrivée de l’auteur, le document, qui est notre point de départ et c’est son point de départ, le fait, qui est notre point d’arrivée. Et les deux seuls objets matériels qui puissent être observés, ce sont les deux anneaux extrêmes de cette chaîne, le fait observé par l’auteur, le document tracé par l’auteur et observé par nous. Tous les anneaux intermédiaires, croyance, conception, langue, sont des états psychologiques ; nous ne pouvons pas les observer directement, nous ne pouvons que nous les représenter par analogie avec nos propres états intérieurs, les seuls qui nous soient directement connus. Voilà pourquoi la méthode historique est exclusivement une méthode d’interprétation psychologique par analogie. Dans la mesure où les sciences sociales se constituent par des documents, elles sont donc elles-mêmes subordonnées à une méthode psychologique.

II.– À quelle condition peut-on opérer sur un document avec chance d’en tirer une connaissance ? Un document n’a de valeur qu’autant qu’il est lié par un rapport connu avec le fait sur lequel nous cherchons à être renseigné. Supposons que je rédige un bulletin de recensement au nom d’un personnage de fantaisie, où tous les renseignements seront imaginaires, ce ne sera pas un document.

Il faut qu’il y ait eu un rapport réel entre ce bulletin et un des habitants qu’il s’agit de recenser. Et il ne suffit pas que ce rapport existe, il faut encore qu’il nous soit connu. Un bulletin de recensement rédigé par un véritable habitant tombe entre nos mains sans que nous sachions à quelle époque et dans quel pays il a été écrit, il est pour nous sans valeur, parce que nous ne pouvons le rapporter à aucune réalité précise. Pour qu’un document soit utilisable, il faut que nous sachions précisément avec quels faits le document, ou plutôt son auteur, a été en rapport ; c’est-à-dire dans quelles conditions l’auteur l’a produit. Il faut pouvoir le localiser, savoir en quel temps, en quel lieu et par qui il a été produit, connaître ce qu’on appelle la provenance. Tout travail sur un document doit commencer par en déterminer la provenance.

Les opérations pour établir la provenance des documents forment une partie indispensable de toute méthode historique. Elles tiennent une très large place dans le travail historique, surtout quand il s’agit de faits très anciens, de l’antiquité ou du Moyen Âge ; les documents de ces temps arrivent presque tous défigurés par les copies successives, mal localisés, souvent même falsifiés. Une grande partie de la critique consiste à les rétablir dans leur état primitif, à les délivrer des falsifications et à déterminer d’où ils sortent. C’est une opération de nettoyage indispensable pour éviter d’énormes erreurs, mais qui n’ajoute rien de positif à nos connaissances. Les sciences sociales, opérant d’ordinaire sur des périodes contemporaines, sont presque toujours affranchies de ce travail de critique extérieure. Leurs documents se présentent avec des indications de provenance précises, et d’ordinaire exactes, la date, le lieu de publication, le nom de l’auteur, souvent même les conditions de son travail expliquées dans une préface. La critique de provenance a ici peu d’occasion de s’appliquer. Elle se réduit en pratique à deux cas.

Premier cas. – On a des motifs de soupçonner que le document est accompagné d’une fausse indication de date, ou d’auteur ; soit que le contenu du document paraisse en contradiction avec ces indications, soit qu’on soit averti par des renseignements extérieurs. On aura par exemple su que le recenseur n’est pas allé faire l’enquête dont il prétend s’être chargé, ou bien on aura remarqué dans le bulletin lui-même des expressions étrangères à la langue du recenseur.

On doit alors faire une enquête en recherchant les renseignements extérieurs sur la provenance véritable ou en analysant le document pour y découvrir des caractères intérieurs de contradiction et des indices de la vraie provenance. On n’aura qu’à appliquer ici la méthode constituée pour l’érudition historique . En attendant d’avoir trouvé la provenance on devra tenir en suspicion le document et, si on en fait usage, prévenir les lecteurs.

Deuxième cas. – Le document paraît ne pas être l’œuvre d’un seul auteur (cas très fréquent dans les documents officiels) et on a des motifs de soupçonner que les différents auteurs ont eu des opinions contradictoires ou ont suivi des méthodes de valeur différente. Il devient alors nécessaire de savoir comment a été partagé le travail ; on devra tâcher de distinguer les parties faites par chacun des auteurs ; si l’on n’y parvient pas, il faut traiter ces parties indistinctes avec une grande défiance et, si l’on s’en sert, avertir expressément.

CHAPITRE IILes précautions critiques

I. Nécessité de la critique. – Tendance spontanée à croire, motifs de la crédulité.

II.Formes rudimentaires de la critique. – Notion du témoignage, insuffisance de la théorie juridique du témoignage, nécessité de l’analyse.

III.L’analyse.

IV.Diverses opérations de la critique.

I.– Le document est un produit matériel, mais symbolique, qui n’a de valeur qu’autant qu’il représente symboliquement la série d’opérations par lesquelles a passé l’esprit de son auteur ; toutes ces opérations sont exclusivement psychologiques, et, dans le cas même le plus favorable, elles ont pour point de départ une observation faite sans méthode, en dehors des règles de l’observation scientifique. Un document, même le meilleur, n’est que le dernier terme d’une série d’opérations intellectuelles à partir d’une observation mal faite.

Ce serait donc une négligence coupable d’opérer avec un document comme avec une observation scientifique. Il faut, avant de pouvoir utiliser un document, prendre des précautions spéciales, qui constituent toute la première moitié de la méthode historique ; c’est la critique, c’est-à-dire le jugement porté sur la valeur du document.

Cette critique, reconnue indispensable en histoire 1, est-elle nécessaire en sciences sociales ? La réponse dépend du but qu’on se propose en étudiant ces sciences. Si on y apporte l’esprit commercial, on trouvera la critique, non seulement inutile, mais dangereuse. Car si l’on tient seulement à produire une impression sur son public, soit à le convaincre de l’avantage ou des inconvénients d’une mesure pratique, soit à lui inspirer de la considération pour la science de l’auteur, l’essentiel est de publier le plus gros travail possible, d’apporter la plus grande masse de faits apparents ; le public, même le public savant, n’a ni le loisir, ni le désir de vérifier la valeur d’une statistique. (On a vu récemment des exemples éclatants de cette négligence.) Or, tout le temps passé à la critique serait perdu pour ramasser des faits, ce serait autant de moins d’apporté à la masse. Mais en outre, la critique ne peut rien ajouter à la masse des preuves , elle ne peut qu’en retrancher des preuves illusoires, elle n’a jamais qu’un résultat négatif, elle empêche d’admettre des idées fausses, elle n’en fait pas acquérir de nouvelles. Le public, en sciences sociales, n’apprécie que la quantité du travail qui se voit d’un coup d’œil, il n’a pas le temps d’en discerner la qualité ; il ne peut distinguer un travail correct d’un travail incorrect. On a donc un avantage commercial évident à se dispenser de la critique, puisqu’elle fait perdre du temps et risque de diminuer la quantité des matériaux. Voilà pourquoi sans doute on en fait si peu usage en science sociale.

La critique n’est utile qu’autant qu’on se place à un point de vue scientifique, qu’on tient à connaître la vérité, et à écarter l’erreur ou la fantaisie. En ce cas seulement elle devient indispensable, car elle est le seul moyen de traiter les documents de façon à en tirer une vérité démontrée, établie méthodiquement, qui ne puisse pas être contestée ; et c’est là ce qu’on appelle la vérité scientifique.