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"La vie s’écoule" est une saga familiale qui s’étend sur quatre générations. Passage, son second volume, offre un regard drôle et étonnant sur la fin de vie et l’au-delà à travers Anne qui s’en va, entourée de ses proches, venus avec leur amour et leurs préoccupations. Ce qu’ils ignorent, c’est qu’elle leur a préparé une sacrée surprise, transformant ce moment solennel en une scène singulière.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Diplômé en neurosciences et en psychologie clinique,
Christophe Henry, docteur en médecine, a longtemps travaillé comme chirurgien de la face et du cou. Après un accident, il s’est orienté vers l’ostéopathie équine, une discipline qu’il a également enseignée. Actif dans une association caritative, il se consacre désormais à l’écriture, partageant son regard sur les complexités de la psychologie humaine à travers essais et romans.
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Christophe Henry
La vie s’écoule…
Passage
Roman
© Lys Bleu Éditions – Christophe Henry
ISBN : 979-10-422-4376-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À Suzanne et à tous ceux que j’aime
Toute ressemblance avec des personnes existantes ou ayant existé est purement fortuite, ou presque.
L’auteur déclare n’avoir utilisé aucun logiciel d’intelligence artificielle pour la création de cette œuvre. Il n’y a donc rien d’artificiel, tout est naturel et il n’y a peut-être même rien d’intelligent dans ce livre.
Un grand merci à mes deux relectrices préférées, Cécile et Anne Marie. J’adore quand, avec leurs mots choisis et délicats afin de ménager ma susceptibilité, elles me distillent conseils et critiques justifiés que je finis par accepter, en renâclant.
Un autre grand merci à ma maman, Mye, pour sa chasse assidue aux erreurs et répétitions, nombreuses et étonnantes pour un fils d’instituteur…
Et enfin un grand merci aussi à Aurélie Gallais pour son talent d’illustratrice…
Chloé : petite fille d’Anne, fille de Pierre et Alexandra. Étudiante en droit à Bordeaux.
Anne : notre personnage principal. La grand-mère de Chloé. Veuve de René. Elle a trois enfants : Françoise l’aînée, Pierre et Jean. Après une longue et cruelle maladie, comme on dit, elle arrive au terme de sa vie. Elle est restée chez elle, et entre doucement dans le coma.
Françoise : la fille aînée d’Anne. Vous la découvrirez…
Pierre : fils de Anne. Marié à Alexandra, Chloé est sa fille.
Jean : le deuxième fils d’Anne, le fils prodigue.
Mathilde : la cuisinière.
Gaston : l’ami, le confident. Lui aussi, le poids des ans le rend moins agile, mais plus sage.
Alexandra : l’épouse de Pierre, la mère de Chloé, la belle fille d’Anne. Une belle personne.
Tous ces personnages sont très attachants pour peu qu’on les aime. Je vous conseille de faire l’expérience de l’amour et de l’attachement et je pense que, comme moi, vous aurez du mal à les quitter à la fin de ce roman. Vous verrez aussi passer dans les lignes ou vous entendrez d’autres personnages : René, trop tôt disparu, le gros Jaumet, le maire du village, Jérôme le prêtre, Mathieu le petit-ami de Chloé, Swen le viking kamasoutriste, Paul l’associé de Pierre, Simon le vétérinaire, Laurent le mari de Françoise, la famille Cohen, Hans… Ils sont tous importants et attachants avec une vie qui mériterait qu’on s’y attarde, mais cette histoire est trop courte et il faut faire des choix. Peut-être les retrouverez-vous dans un autre roman de La vie s’écoule, ou pas…
Et n’oubliez pas, chacun des personnages est un cri que j’ai au fond de moi…
J’étais au fond d’un rêve et le téléphone sonne. J’ouvre un œil. Sur l’écran, Papa – 7 h 30 s’affiche. L’appel tant redouté qui me broie le cœur. Je décroche. Ma grand-mère, ma Nannie, se meurt. C’était attendu depuis des semaines. Je réponds « j’arrive ». Je m’assois sur le bord du lit, mon monde vacille. Trop d’alcool la veille, trop de chagrin aujourd’hui. Derrière moi des boucles blondes se retournent sur l’oreiller, un œil bleu m’interroge. Comment s’appelle-t-il déjà ? Ah oui, Swen. Les images de la soirée me reviennent et m’envahissent comme une vague qui court inexorablement et couvre la plage. Le bar, la musique, les shots de Téquila, les rires, le velouté et la chaleur de ses épaules, le parfum de miel de sa peau. J’ai bien vu qu’il voulait me montrer que les Vikings étaient les meilleurs amants d’Europe. Je l’ai laissé faire. Je lui mettrai cinq étoiles sur l’appli. C’était vraiment mon jour de chance hier. Pour une fois que je tire un bon numéro. J’aurais dû aussi jouer au Loto. Je lui explique :
« Ma grand-mère quasi dead. »
« Sorry for your granny. »
Il est vraiment gentil. Je lâche un vague « je te rappelle ». Je me lève et bing ! je marche sur le préservatif gluant et froid et des papiers aussi peu ragoûtants. Pas agréable. Je vais m’enfermer dans la salle de bain pour dissiper les miasmes de la nuit avant que mon odeur n’évoque la criée de Concarneau un midi au mois d’août.
Swen est une entorse dans ma vie avec Mathieu. L’eau chaude et puissante inonde ma tête et mes épaules. Je la laisse me laver des gestes indicibles de la nuit pour m’aider à renaître à ma vie antérieure. Je me dépêche, dopée par un Doliprane pour éloigner le clou dans la tête et les remords. J’entends la porte qui claque. Il est parti. Comme un vrai gentleman. Un sac pour le week-end. Je fouille désespérément mon antre à la recherche d’une tenue noire digne des pleureuses de Martano. Une nouvelle bouffée de chagrin m’envahit et me submerge. Elle, ma Nannie, ma référence, saurait me conseiller pour la tenue appropriée. Les chaussures qui vont bien, la tenue pour courir, au cas où, les affaires de toilettes, le blouson et c’est parti. Je laisse l’ordinateur sur le bureau même s’il me regarde avec les yeux suppliants d’un cocker à la SPA pour que je le prenne avec moi. Les partiels sont pour bientôt, mais je sens que ce n’est plus mon affaire. Je dirai à mon père que dans l’émotion je l’ai oublié. Il ne dira rien, baissera les yeux et n’en pensera pas moins. Je compte sur son amour paternel inconditionnel qui pardonne tout à sa fille unique.
Je me glisse dans ma petite voiture qui m’attendait sagement en bas dans la rue. Un peu plus de deux heures avant de franchir le pont au-dessus de la rivière et de m’engager dans l’allée des tilleuls. J’appréhende mon arrivée. La voir dans son lit. Je ne pourrai plus lui parler. J’ai peur de la mort. Heureusement, il y aura papa et Mathilde et aussi Gaston. Ils me montreront comment il faut être. Ils sont la vie qui continue.
Je ne mets pas de musique car je vais pleurer encore plus. Je passe devant la fac de droit, là où je suis censée apprendre à gagner ma vie. Les boulevards sont déjà encombrés, puis le pont d’Aquitaine me propulse rapidement sur la rive droite. Je roule. Je m’empêche de penser à ma Nannie. Je pense à Mathieu. Il va falloir que je prenne une décision. En fait je sais que je vais le quitter.
Il y a encore quelques semaines, j’aurais été incapable de m’imaginer autrement que liée à Mathieu. Ma pensée restait collée à la sienne, ce qu’il pensait emplissait mon esprit et sur aucune de mes pensées je n’aurais pu coller une étiquette « Cette pensée n’appartient qu’à moi ». Je ne sais pas ce qu’il s’est passé. En même temps que mon désir pour lui s’est estompé jusqu’à disparaître complètement, mon esprit s’est à nouveau rempli de mes propres pensées, de nouvelles aspirations dans lesquelles il n’avait plus sa place. Quand je pense à lui et moi j’ai maintenant l’impression de regarder deux personnages, d’un peu loin, qui ne sont plus vraiment moi ni vraiment lui. Il est presque en train de devenir un étranger. Un étranger que je connais, mais un étranger. Je crois que c’est cela prendre du recul. Je n’ai plus de désir pour lui. Plus envie, donc plus d’amour. L’amour sans désir c’est pour moi un truc de vieux. J’ai 23 ans et je ne me vois pas continuer une relation sans passion. Plus je pense à ma vie avec Mathieu, plus je me vois comme une prisonnière qui se débat dans des filets. Il est plus âgé que moi, beau parleur d’avocat bien installé dans sa vie. Il aime bien tout contrôler et il m’a mise sous sa coupe. Je me rends compte que je lis ce qu’il lit, je regarde ce qu’il regarde, je pense ce qu’il pense, j’agis comme il agit. Il me dicte ma vie. Le plus pénible c’est cette obsession écolo. Il tord le nez quand je prends ma voiture ou quand je me trompe dans le tri des déchets. Lui, il aurait su dans quelle poubelle il faut mettre le préservatif usagé ! La verte ? La jaune ? La violette ? Il y a du plastique, mais aussi de la matière organique, probablement compostable. Surtout à l’intérieur. Un jour ils nous imposeront de séparer les deux. Je me vois mal racler le fond des préservatifs. Je lui dirai plutôt d’aller jouir directement dans la poubelle, la bonne, celle qui me ressemble le plus. Ou alors l’anti-chiard sera destiné aux déchets non valorisables, ceux qui seront enfouis. J’imagine une fosse commune géante dans laquelle on jette tous les préservatifs du monde. La fosse des demi-graines perdues, des désirs inaboutis, un amas gluant de potentiels morveux indésirables. Mathieu a un côté végane pénible. J’en ai assez des graines qui me dilatent le ventre, du chou cru, des circuits courts… J’aime les tartines de Nutella et les Chocapics de la mondialisation et la nuit parfois, je rêve d’une entrecôte comme celle que me cuisine Mathilde, grillée, bleue, tendre avec la sauce aux échalotes confites dans le beurre. J’en ai assez de cette écologie effrayante et culpabilisante. Vivre dans la peur que l’humanité finisse toute desséchée sous le soleil à cause du réchauffement climatique et penser que c’est de ma faute chaque fois que je veux me faire plaisir ! Très peu pour moi ! Je ne suis ni débile ni inconsciente, je comprends bien les enjeux et je sais que le modèle d’hyperconsommation et de gaspillage des ressources a fait long feu, mais j’ai aussi en moi la pulsion du désir de vivre, de liberté, de transmettre la vie dans la joie et la ressource d’imaginer le monde de demain à construire en dehors d’une chape de plomb mortifère et culpabilisante que les écolos et le politiquement correct veulent nous imposer. Et quand on parle des enfants, c’est pire. Pour Mathieu, c’est un non catégorique. Je le soupçonne de cacher son égoïsme et son désir de préserver son confort de vie de petit bordelais derrière les grandes idées « Ne faisons pas naître des enfants dans un monde terrible qui va à sa perte ». Heureusement que dans l’histoire de l’humanité la vie se transmet malgré tout et sans attendre que le monde aille mieux ! Nous ne serions pas là si pendant la peste du Moyen Âge ou pendant les guerres les hommes avaient écouté les prophètes comme Mathieu ! Je n’ai pas envie d’avoir un enfant pour l’instant, mais je me sens partie prenante de cette humanité, j’aime ressentir la pulsion de vie dans mon corps et mon âme et je veux avoir ma place entière dans ce monde.
Encore 20 minutes sur le GPS. Je roule dans la campagne périgourdine. La ville m’a fait oublier comment la nature est belle en ce début de juin. Camaïeu de verts, jaune et bleu, lumières et ombres. Je suis comme Blanchette, la chèvre de monsieur Seguin qui découvre la montagne, sautillante et le cœur léger : « Pour elle, c’était la fête. La nature la reçut comme une petite reine. Les arbres se baissaient jusqu’à terre pour la caresser du bout de leurs branches. Tout sentait si bon », sauf que je ne suis pas comme Blanchette, j’ai le poil noir et une tristesse infinie emplit mon cœur.
Je viens de raccrocher. C’était Chloé. Sa peine me fait mal. Je me suis levé tôt ce matin, après une mauvaise nuit où j’ai cherché en vain le sommeil. Levé dix fois pour voir maman, recouché pour jouer avec mon corps à pile ou face dans le lit, descendu pour explorer le frigo en espérant y trouver la solution à ma tristesse et à mes problèmes, regarder les mails, recouché, à nouveau debout. Maman est inconsciente depuis hier matin. Le médecin impuissant, mais compatissant, va passer dans la matinée. C’est notre vieux médecin de famille, une espèce en voie de disparition. Ventripotent et rassurant, sa bonté transparaît dans son physique. Je le sais en communion de pensée avec maman. Je pense que si elle avait eu besoin il aurait su abréger ses souffrances pour lui permettre de partir en paix. À 10 heures les filles viendront faire les soins et la toilette. J’aime bien quand elles me parlent de « Madame Anne… ».
J’ai téléphoné aussi à Jean et Françoise pour qu’ils viennent voir leur mère une dernière fois. Jean, le fils prodigue, l’oiseau de nuit que j’ai réveillé ce matin dans son premier sommeil. Je l’aime bien, Jean, même s’il est parfois exaspérant. Il y a eu une longue période, pas si lointaine, où il venait souvent voir maman, presque chaque fin de semaine. Comme un étudiant plus qu’attardé qui repart le dimanche soir avec des provisions et un chèque. Il m’a dit qu’il viendrait aujourd’hui, mais qu’on ne l’attende pas et qu’il ne dormirait pas à la maison car il serait avec sa compagne. Karine ou Catherine. Je n’ai pas bien compris. Une autre, une de plus, une que l’on ne connaît pas. Françoise, c’est ma sœur aînée avec laquelle je suis fâché depuis des années. Un lourd contentieux de l’enfance. Une aînée qui se croit indispensable. Si je vous dis qu’elle est mielleuse, fourbe, perfide et jalouse, vous allez me dire que j’exagère. À peine, ce sont les adjectifs qui lui vont le mieux. Je la vois déjà en pleurs et en train de faire croire qu’elle sait ce qu’il faut faire, qu’elle s’est occupée de tout alors que maman ne l’a pas vue depuis plusieurs mois. Je ne comprends pas pourquoi elle est comme cela, quelle blessure elle a en elle sur laquelle elle s’est construite à l’envers ? Est-ce la disparition brutale et trop précoce de notre père ? S’est-elle sentie abandonnée ? Ou au contraire, trop aimée, trop choyée, trop adulée ce qui lui a dilaté l’ego ? Lorsque je pense à Jean et Françoise j’ai l’image de vautours ou des corbeaux noirs qui rapacent. Je m’en veux et j’ai honte d’avoir ces pensées, mais malheureusement je crois que je suis dans le réel. Dès qu’ils seront là, l’héritage potentiel deviendra leur préoccupation première. Quand j’y pense, au fond de moi, il y a un petit rire parce qu’ils ne savent pas. Je ne sais pas pourquoi je vous parle de ce que je pense d’eux. Alexandra dit que c’est une blessure que j’entretiens et qui m’épuise parce qu’elle est sans espoir. Je veux toujours réconcilier l’irréconciliable pour que maman ne souffre pas de voir tant de haine et de mésentente entre ses enfants. Des histoires de famille bien banales, forgées par l’entrechoc des caractères des uns et des autres, les blessures cachées, les non-dits, la jalousie et l’argent. Trop tard pour corriger ces travers, le passif est trop lourd et les rancœurs sont enkystées. Peut-être aurait-il fallu corriger les déviances des uns et des autres dès le début de notre enfance, dès le premier faux pas. Facile à dire maintenant, mais les enfants ne sont pas livrés avec le mode d’emploi. Et facile aussi de trouver des coupables. Mon père absent, emporté par le rétrécissement tabagique des coronaires, ma mère qui a fait comme elle a pu, nous, petits égoïstes, épris de liberté et trop pressés de quitter le nid, sans prêter un regard attentionné et bienveillant pour l’harmonie familiale qui s’est désagrégée.
J’espère qu’avec Chloé nous n’avons pas fait trop de conneries. Impossible de savoir. Pour l’instant, tout semble bien. Parfois je la sens un peu hésitante, instable est le mot qui convient mieux, même s’il est plus angoissant. Elle a voulu faire du Droit pour être avocate et défendre les opprimés, mais je sens que depuis quelque temps sa passion pour le barreau s’effrite. J’aurais aimé qu’elle fasse comme moi archi et vienne travailler à l’agence. J’aime tellement ce métier. Je ne suis pas un génie de l’architecture. Le génie, c’est mon associé Paul. Il a le feu sacré, les idées fulgurantes, le dessin qui transcende, mais avec l’incapacité à s’organiser et à gérer la pratique et l’entreprise. Moi je suis ce qu’il n’a pas. Je suis le besogneux. Celui qui permet aux rêves de germer, de grandir et de s’épanouir en apportant l’humus d’une réalité favorable. Je suis le gestionnaire du quotidien, celui qui met de l’huile dans les rouages et surtout celui qui résout les problèmes. L’ingénieur béton qui n’a pas rendu son expertise, c’est pour moi. Le collectionneur d’armes anciennes qui nous dit à la dernière minute qu’il veut une chambre forte dans sa cave avec un atelier et un système d’extraction des vapeurs performant alors que ce n’est pas possible, c’est pour moi. La comptable qui pique dans la caisse, les vacances aux dates incompatibles des uns et des autres, les ego susceptibles qui ne veulent plus se parler, le client qui ne paye pas, c’est pour moi. Un job un peu pesant parfois, mais qui nous assure à tous les trois une vie plus que confortable. La grande maison, l’annexe au cap Ferret, l’appartement à Barèges, la grosse voiture que je viens de changer, même si j’ai dû prendre une électrique pour que le Mathieu ne me tienne pas pour responsable de la disparition de l’humanité.
Je me suis assis au bout de la grande table de la cuisine. Je n’ai pas fait de café pour ne réveiller personne mais j’entends des pas à l’étage. C’est Mathilde. Elle va voir maman puis descend l’escalier. Elle me prend dans ces bras et m’embrasse, comme maman.
« Vu ta tête, je ne te demande pas si tu as bien dormi. Je vais faire du café et préparer le petit déjeuner. Tu as eu Jean, Françoise et Chloé ? Tu sais s’ils seront là pour manger à midi ou ce soir ? » Je me laisse emporter par son flot de paroles qui m’enveloppe dans sa chaleur. Malgré sa douleur, elle nous emmène dans la réalité rassurante du quotidien de la maison. Mathilde est la cuisinière de maman depuis des années et je suis assis dans son royaume. D’un coup les bols, le jus d’orange et les confitures apparaissent comme par magie, la brioche et le pain se tiennent prêts à être grillés. Je la regarde faire le café, sortir un saladier de pâte à crêpe caché dans les entrailles du frigo, la poêle, la petite louche, le beurre et allumer le gaz. L’odeur du café mêlée à celle des premières crêpes m’apaise. Dans le parfum du beurre chaud, du rhum, de l’anis et de la fleur d’oranger, je me laisse faire comme l’enfant que j’étais et qui sommeillait en moi, je n’ai même pas l’idée de lui apporter mon aide comme le morveux que je suis encore.
Je vois Gaston qui s’avance dans l’allée. Il arrive toujours au bon moment. C’est l’homme de la maison quand je ne suis pas là. Le gros Gaston ou le gros moustachu comme on l’appelle entre nous, mais il ne faut pas lui dire. S’il savait, il nous regarderait sans broncher et en plissant les yeux. La peine se lirait dans son regard. Il a vieilli, mais il reste le même. J’ouvre la porte et je le serre dans mes bras, entre nous, pas besoin de parler.