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Panique à Strasbourg ! Le libraire Simon Braun est retrouvé mort dans la crypte de la cathédrale Notre-Dame. Le lieutenant Antoine Meyer et l’historienne Emma Parys, appelés à résoudre cette affaire énigmatique, plongent dans une enquête pleine de rebondissements. Alors que des phénomènes troublants secouent la capitale européenne, ils sont entraînés dans les profondeurs des secrets de l’église et de son horloge astronomique légendaire. La découverte d’une confrérie secrète, Hora est, dont Simon faisait partie, ajoute une couche de mystère. Quel est le lien entre cette secte et l’assassin ? Entre suspects intrigants, interrogatoires tendus, menaces voilées et mensonges perfides, la vérité pourrait-elle être plus terrifiante qu’ils ne l’imaginent ?
À PROPOS DE L'AUTRICE
Passionnée par le roman policier,
Françoise Bachmann crée des énigmes autour de personnages attachants. Elle sélectionne soigneusement des lieux, des objets et des figures célèbres pour tisser des histoires où se mêlent mystère, réflexion et comportements humains.
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Seitenzahl: 279
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Françoise Bachmann
Le grand ange rose
Roman
© Lys Bleu Éditions – Françoise Bachmann
ISBN : 979-10-422-4078-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Le monde matériel est plein d’analogies exactes avec l’immatériel, et c’est ce qui donne une couleur de vérité à ce dogme de rhétorique, qu’une métaphore ou une comparaison peut fortifier un argument aussi bien qu’embellir une description.
Edgar Allan Poe
Assis dans sa cuisine, Charles buvait son café et se régalait d’une tranche bien épaisse de Kougelhopf. Le journal du dimanche 8 septembre 2013 était posé sur la petite table en formica. Charles était abonné aux Dernières Nouvelles d’Alsace depuis des années, mais il avait décidé de se passer des DNA du lundi pour faire une petite économie. Pour combler ce manque, le premier jour de la semaine, il lui arrivait de relire quelques passages du journal de la veille.
Ce matin-là, il parcourut rapidement les premières lignes d’un article sur l’ouverture de la Foire européenne de Strasbourg. Cette année, le pays invité d’honneur était le Viêtnam. En fond sonore, la radio était allumée et, lorsque les informations du jour débutèrent, Charles les écouta avec attention. En France, un syndicat de policeappelait à une journée de grève des PV pour infractions légères en signe de protestation contre la réforme pénale portée par Christiane Taubira. Celle des rythmes scolaires faisait, elle aussi, gronder les mécontents. Près de la place Vendôme, à Paris, des bijoux d’une valeur estimée à près dedeux millions d’euros avaient été volés lors d’un casse. Et l’Europe, ne souhaitant pas s’engager dans le conflit syrien, n’envisageait aucune intervention militaire.
Charles prit encore le temps d’écouter la météo – 21 °C prévus à Strasbourg dans l’après-midi – et l’histoire d’une toile de Van Gogh, datant de 1888 et découverte dans le grenier d’un collectionneur. C’est en pensant à ce Coucher de soleil à Montmajour qu’il se leva et rinça son bol à café destiné à être utilisé en semaine. Les dimanches et jours de fête, il sortait du buffet style Henri II une grande tasse et une soucoupe du service de table Obernai.
Chaque pièce avait sa place dans ce meuble : les assiettes et leurs décors composés d’Alsaciennes, de bergers, d’oies, de chevaux et de maisons à colombages semblaient figés depuis des années, en attente d’invités qui ne viendraient peut-être jamais. La dernière fois que Charles avait reçu chez lui un vieil ami, ils avaient déjeuné dans les assiettes en pyrex, s’étaient assis dans les fauteuils recouverts de tissu à grandes fleurs et avaient parlé de leurs souvenirs, du temps où ils étaient pensionnaires au Petit Séminaire de Walbourg. C’est là que s’amorçaient les futures vocations sacerdotales. Charles avait fini sacristain. Son ami Georges était devenu épicier.
Mais l’heure tournait et Charles n’aimait pas arriver en retard à son travail. Il était près de 6 heures lorsqu’il enfila son blouson sur sa chemise à carreaux, mit son béret beige et prit sa vieille sacoche en cuir. Il ferma la porte de son deux-pièces situé au premier étage, descendit l’escalier en bois qui craquait sous ses pas et sortit de l’immeuble de la rue du Vieil-Hôpital. Il prit la rue des Tailleurs-de-Pierre et y croisa le patron de la Winstub Zehnerglock où il allait manger de temps à autre. Il accéléra le pas et tourna à droite, puis à gauche dans la rue des Cordiers, qui rejoignait la rue de Rohan où se trouvait le presbytère de la cathédrale Notre-Dame de Strasbourg. C’est là qu’il récupérait les clés de la sacristie et son tablier de travail gris. En entrant dans le bâtiment, il entendit la voix de Suzanne, la femme de ménage. Elle fredonnait un air d’opéra italien.
— Bonjour Suzanne !
— Charles ! Ça va, tu as passé un bon week-end ?
— Oh, je n’ai rien fait de très spécial. J’ai rangé mes papiers, hier j’ai suivi la messe de 9 h 30, évidemment… J’ai vu mon collègue Raymond. J’étais bien content qu’il travaille ce week-end, j’ai pu me reposer. Et toi ?
— Oh ! La routine, sauf hier. On a fait un tour à la Foire européenne avec mon mari et les enfants. Il y avait un monde fou. J’ai beaucoup aimé les vêtements traditionnels en soie qu’on porte au Viêtnam et…
— Ah oui ! J’ai lu ça ce matin dans le journal. Bon, je vais y aller.
— D’accord. Tu n’as pas oublié que c’est toi qui ouvres la cathédrale cette semaine ?
— Ne t’inquiète pas, je m’en occupe. Allez, bonne journée !
— Une dernière chose, Charles : l’alarme est toujours en panne, donc ce n’est pas la peine de la couper. Quelqu’un doit passer dans la journée.
— Très bien, merci de m’avoir prévenu. Salut Suzanne.
Charles quitta le presbytère vers 6 h 15 pour rejoindre la place de la Cathédrale, qui était à deux cents mètres. Il passa par la place du Château et se dirigea vers le côté nord de la cathédrale. La sacristie se trouvait entre le portail Saint-Laurent et le Grand Séminaire. Comme d’habitude, il se signa en entrant, après un regard vers le crucifix, puis vers la photo du pape et celle de l’évêque du diocèse. Il sortit du placard la chasuble et l’étole destinées au prêtre de la messe de 7 h 30 qui avait lieu tout près de la sacristie, à la chapelle Saint-Jean-Baptiste. Puis il prépara le calice et le ciboire.
Sur la table en bois, un mot signé de la main de son collègue Raymond lui était destiné : « Cher Charles, aurais-tu la gentillesse de changer les bougies de la crypte ? Merci à toi. » Ce serait fait. Mais auparavant, dans la chapelle Saint-Jean-Baptiste, il lui fallait préparer l’autel, déposer le calice au bon endroit et l’envelopper de tissu pourpre, vérifier les lumières qui allaient narguer les recoins obscurs et illuminer le christ en croix. Tâches qu’il accomplissait avec le plus grand soin, depuis des années. La cathédrale, c’était un peu son second domicile. Il y avait passé tant d’heures !
Charles jeta un œil à sa montre : il était 6 h 40. Il prit un lot de bougies neuves dans la réserve de la sacristie et descendit les marches menant à la crypte. Il crut entendre un raclement de gorge près de la chaire, mais il n’y avait personne à cette heure matinale : l’édifice était encore fermé. Il passa à côté des colonnes en grès rouge et gris. En s’approchant de la voûte pour regagner la niche et l’autel, il s’arrêta net.
Au sol, derrière l’autel, un homme était couché sur le dos. Il semblait sans vie, le regard de la mort figé vers l’ange du vitrail et les bras ouverts. D’innombrables petites taches noires couvraient sa peau.
Pendant quelques instants qui lui parurent interminables, Charles resta immobile. Il sentit une goutte de sueur perler à son front. Puis, ses jambes se mirent à trembler. Il ne comprenait rien. Comment était-ce possible, ici, dans des lieux qui représentaient pour lui la grandeur, la grâce et la paix ? Il tenta de se ressaisir, mais ne put s’empêcher de regarder une nouvelle fois le corps de l’homme ; il crut reconnaître son visage. À côté de son bras droit, on pouvait lire quelques lettres maladroitement esquissées sur la pierre, deux mots – Mars Veritas – et un troisième, visiblement incomplet – Tem – qui se prolongeait d’un trait, peut-être celui du trépas. Un chandelier avait été renversé au pied de l’autel. En regardant autour de lui, il repéra un objet au pied d’une colonne, un peu plus loin : une étrange petite croix attachée à une fine cordelette.
Depuis quand le mort était-il couché ici et pourquoi se trouvait-il dans cette cathédrale ? Pourquoi tout cela ? Charles sentit la panique s’installer en lui. Il ne fallait toucher à rien. Il décida de retourner au presbytère pour prévenir tout le monde, l’archidiocèse, l’archevêché, la police… Il voulut hâter ses mouvements, mais la stupeur les ralentissait. Il avait du mal à avaler sa salive, l’air qu’il respirait avait l’odeur nauséabonde du sacrilège et la lumière tamisée propre à cet espace qu’il connaissait bien s’était transformée en ombre effrayante.
C’est avec beaucoup de peine qu’il réussit à quitter la salle voûtée. Il entendit les cloches sonner le quart dans la haute tour. Il était 6 h 45.
Il referma la sacristie à clé. Le prêtre n’était pas encore arrivé. L’air du dehors lui fit du bien. Il marcha vite. En ouvrant la porte du presbytère, haletant et nerveux, il appela Suzanne ou quiconque pourrait entendre son appel au secours.
— Vite, il faut faire quelque chose ! Il y a un mort dans la crypte ! Il est couvert de taches noires, c’est un meurtre !
— Charles, mais qu’est-ce qui t’arrive ? demanda Suzanne qui descendait du premier étage.
— Où est le prêtre, l’archiprêtre ? Où est l’intendant ? Il faut m’aider. Il faut appeler la police.
Une porte s’ouvrit. André, le prêtre chargé de l’office du matin, se dirigea vers Charles et tenta de le calmer.
— Charles, tu dis qu’il y a un problème à la crypte ?
— Oui, un homme assassiné, couché derrière l’autel, avec plein de taches noires sur lui, répondit le sacristain.
— Allons-y ! Suzanne, expliquez ça à René et dites-lui d’appeler la police. On les attendra à la cathédrale, ils entreront par la sacristie.
Suzanne ne perdit pas une seconde et alla trouver René, l’intendant, qui était arrivé quelque dix minutes auparavant.
De leur côté, André et Charles prirent la direction de la cathédrale. Le sacristain, toujours sous le choc, refit machinalement le parcours jusqu’à la crypte qui, à présent, lui paraissait lugubre et menaçante.
À la vue du corps sans vie et couvert de taches noires, le prêtre eut d’abord un mouvement de recul, mais ne put que constater le drame. Puis, il se signa en disant une prière pour le défunt.
— Surtout, ne touchez à rien, chuchota Charles.
— Ne vous inquiétez pas, la police va arriver et…
— Vous avez vu ces mots sur la pierre ?
— Oui, c’est du latin, le pauvre n’a pas eu le temps de tout écrire. Mais que faisait-il dans la cathédrale ? Que s’est-il passé ?
— Venez par-là, il y a une croix…
Charles chercha l’objet, mais en vain. André mit cela sur le compte de l’émotion intense et de la fatigue, mais le sacristain était sûr de lui.
— Je vous assure, Monsieur le curé, il y avait une croix un peu spéciale accrochée à une cordelette. Je n’ai pas rêvé, je ne suis pas fou.
André se dit que s’il disait vrai, cela signifiait que le meurtrier se trouvait encore dans la cathédrale ou qu’il avait eu le temps de s’enfuir au moment où Charles avait découvert le cadavre. Les deux hommes se regardèrent. Ils pensèrent la même chose, mais, également, qu’il ne fallait pas céder à la panique. Pourtant, que faire ? Ils choisirent de retourner à la sacristie. Malgré leur peur contenue, il leur fallait agir et réagir : ils savaient déjà que les conséquences de cet horrible évènement allaient être de taille. Il n’était évidemment pas question d’ouvrir la cathédrale au public. Ils préparèrent rapidement des affiches de fortune – Fermeture exceptionnelle de la cathédrale. Merci de votre compréhension.
Charles les apposa sur le portail occidental. Fort heureusement, les premiers visiteurs du jour n’étaient pas encore arrivés. Seuls quelques fidèles attendaient de pouvoir se recueillir avant le début de l’office. Charles discuta un court moment avec eux, réussit à contourner leurs questions et les pria de repartir tranquillement.
Pendant ce temps, André n’avait pas bougé. Il avait récité des Notre père pour mieux guider son esprit. Mais les questions se bousculaient dans sa tête : comment pouvait-on commettre pareil crime ? Pour quelles raisons ? Et quel rapport y avait-il entre Mars et la vérité ? Pour commencer, quelle vérité ?
Le retour de Charles le soulagea. Tous deux se mirent à guetter l’arrivée de la police. Quelques minutes plus tard, ils entendirent le bruit assourdissant de l’urgence et virent les lumières bleues des gyrophares.
Le curé marcha vers le portail Saint-Laurent et se retrouva nez à nez avec trois policiers. Parmi eux, il y avait Antoine Meyer, un lieutenant de la police judiciaire de Strasbourg. Du haut de son mètre 85 et de ses 34 ans, il avait rejoint la PJ de la capitale alsacienne huit ans auparavant. Si ses yeux gris ne passaient pas inaperçus, il avait aussi un signe vestimentaire bien à lui. Il portait toujours un chèche qu’il parvenait à marier subtilement à ses tenues. Celui du jour était bleu outremer et accompagnait son jean, sa chemise blanche et son blouson en cuir noir.
— Bonjour ! Lieutenant de police Antoine Meyer, voici mes deux collègues, Valérie Dufresne et Nicolas Herzog, qui vont m’aider à faire les premières constatations.
— Bonjour lieutenant, bonjour madame, bonjour monsieur, je suis André Bur, le prêtre. C’est affreux, un vrai cauchemar…
— C’est vous qui avez découvert le corps ?
— Non, c’est Charles, le sacristain. Moi, je suis arrivé plus tard, pour la messe du matin, répondit André.
— Vous êtes Charles, je suppose, dit Meyer sans vraiment attendre de réponse.
— C’est ça, murmura l’intéressé en s’inclinant maladroitement.
— Meyer, police judiciaire. Si j’ai bien compris, le corps est dans la crypte. On y va, dit-il en regardant Dufresne et Herzog.
— Oui, inspecteur, suivez-moi. Vous allez voir, c’est une grande tragédie. Et il faut que je vous dise…
— Vous allez rester ici. Vous me donnerez toutes les informations dont j’ai besoin. Mais je veux d’abord voir où se trouve la victime.
Meyer et ses collègues avaient revêtu les équipements adéquats. Dufresne et Herzog commencèrent à dresser les premières constatations. À ce stade, il était difficile de confirmer qu’il s’agissait bien d’un crime. Pour avoir été plusieurs fois à la librairie Argentoratum, Valérie reconnut la victime, qui n’était autre que le malheureux libraire Simon Braun. Antoine observa attentivement la position du corps et arrêta son regard sur les mots écrits par terre. Il fit légèrement glisser la paume de sa main gauche le long des deux pans de son chèche noué, un geste qu’il faisait à chaque fois qu’il se lançait dans une réflexion profonde ou lorsqu’il était sur le qui-vive. On prit des notes et on déroula le ruban jaune « Scène de crime ». Chaque détail avait son importance et pouvait constituer un indice. On examina la statue dorée, le pupitre, le micro sur pied et la croix de l’autel. Quelques minutes plus tard, un technicien arriva pour prendre des photos. Il faisait tour à tour des prises de vues larges et rapprochées. Il dessina également un plan de la scène du crime. Ses collègues de la PJ l’aidèrent à utiliser son matériel pour détecter des traces de chaussures, d’empreintes, de débris organiques ou de substances chimiques. Le technicien examina l’ensemble de la crypte, ses coins et recoins, le côté oriental tout comme la partie où se trouvait le corps.
La victime portait un pantalon et un polo noirs ainsi qu’une veste bien taillée couleur anthracite et des mocassins en daim. Il avait les cheveux gris, était de corpulence moyenne et portait une alliance. Une carte d’identité trouvée dans sa veste indiquait qu’il s’agissait bien de monsieur Simon Braun. Antoine nota qu’il habitait dans le quartier du Conseil des XV. Il avait 63 ans. Parmi ses papiers se trouvaient aussi des cartes de visite qui indiquaient qu’il tenait bien la librairie Argentoratum à Strasbourg. Antoine la connaissait de nom, mais n’y avait jamais mis les pieds. Quant au nom de Braun, il ne lui disait pas grand-chose.
À ce point de l’enquête, il s’interrogeait avant tout sur la présence de cet homme à la cathédrale. Quand, comment et pourquoi y était-il entré ? Selon toute vraisemblance, il y avait passé la nuit. Mais avec qui ? Le lieu du crime avait pour lui une importance capitale dans cette affaire et n’était en rien dû au hasard. Il comptait bien entendu sur les conclusions du médecin légiste et les résultats des différentes investigations scientifiques pour faire avancer l’enquête.
Le lieutenant Meyer quitta un moment la crypte et s’arrêta dans la nef centrale. L’immensité de la cathédrale était à la hauteur de l’étrangeté de ce meurtre. Il avait travaillé à résoudre bien des affaires, mais celle-ci était différente de tout ce qu’il avait connu jusque-là. Jamais il n’avait éprouvé un tel sentiment d’incertitude et de solitude. Dès qu’il avait vu le corps de Braun, il s’était senti désorienté et avait eu l’impression d’entrer dans un labyrinthe à étages dont il ne trouverait peut-être pas la sortie. Il pensait aussi à l’impact que cette affaire aurait sur la ville, la région et ses habitants. Il fit légèrement glisser la paume de sa main gauche le long des deux pans de son chèche noué.
En arpentant les différentes parties de la cathédrale Notre-Dame, il se dit qu’il n’en connaissait rien, ou presque. Il y était entré une première fois il y a fort longtemps avec ses parents, ce qui lui avait principalement laissé le souvenir de l’horloge astronomique et des automates. Une autre fois, des amis parisiens avaient tenu à y faire un tour et il se souvenait que la beauté de l’ouvrage les avait impressionnés.
Antoine Meyer regarda autour de lui. Une lumière frêle révélait les couleurs des vitraux. Les murs sans fin, le chœur silencieux et les chaises vides semblaient laisser planer un mystère. Antoine se dit que c’était là que s’était jouée la scène, ici, dans la nef centrale ou près du portail occidental, dans l’une des chapelles ou dans l’abside. Où chercher d’autres indices alors que chaque jour, de nombreux visiteurs foulaient le sol de l’illustre édifice ? Avec qui se trouvait Braun ? Lui et son meurtrier étaient probablement entrés dans la cathédrale en début de soirée, hier dimanche. En effet, l’édifice restait fermé entre 19 heures et 7 heures. Il fallait également comprendre le sens des mots Mars Veritas Tem… qui pourraient peut-être aider à trouver le mobile.
Antoine marcha de long en large. Ses pas cadencés traduisaient tous ses questionnements. Il s’agissait de trouver et d’assembler les pièces d’un puzzle complexe : il se sentit à la fois grisé et inquiet. Il fit une halte devant la chapelle Saint-Laurent, puis retourna à la crypte. Un médecin était arrivé pour constater le décès, qu’il situa entre minuit et deux heures du matin. Au premier abord, il n’y avait pas de traces de lutte et le corps ne semblait pas avoir été déplacé. Le médecin en fit part au lieutenant Meyer, qui l’écouta attentivement. En outre, il n’avait jamais vu ce genre de taches noires recouvrir le corps d’un cadavre. Antoine se dit que ce n’était que le début de l’enquête et il comptait énormément sur les résultats des analyses et les interrogatoires des proches de Simon Braun.
Le technicien scientifique poursuivait son travail. Antoine demanda à ses deux collègues de prendre des lampes torches et d’examiner la nef centrale, le narthex, la croisée du transept et l’abside. Puis il alla rejoindre Charles et le curé Bur à la sacristie. Le sacristain lui raconta comment il avait découvert le corps du malheureux. Ses yeux couleur noisette traduisaient de l’anxiété et ses mains, aux veines marquées, tremblotaient. Il parla aussi d’un raclement de gorge qu’il avait cru entendre et de cette croix qui se trouvait près d’une colonne de la crypte et qui avait disparu après son retour en compagnie du curé. Ce détail était bien entendu d’une grande importance et si Charles disait vrai, l’assassin avait quitté la cathédrale ce matin. Antoine envisagea l’idée qu’il puisse encore s’y cacher, mais sans y croire réellement. Il demanda cependant à ses collègues d’être vigilants. Si ses intuitions pouvaient souvent rejoindre la réalité, Meyer prenait toujours en compte plusieurs possibilités, même celles qui lui semblaient improbables. Son expérience lui avait déjà valu quelques surprises. Le monde du crime recelait des subtilités, ses acteurs avaient une imagination féconde, sans limites. Et Antoine pressentait que le cas Braun promettait son lot d’épisodes inattendus.
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Protégé par l’anonymat, un homme était couché sur son lit. Il ne dormait pas. Il avait le regard fixe. Ses mains jointes n’appelaient en rien à la prière. Au contraire, elles dénonçaient une avide menace travestie par un calme apparent. Il détestait cet échec et une violente insatisfaction envahit son corps et son esprit.
Dehors, la place de la Cathédrale et la rue Mercière s’animaient. Une femme habillée de noir marchait avec une canne. Deux jeunes filles faisaient allègrement claquer les talons de leurs chaussures sur les pavés. Des touristes levaient les yeux vers la façade et la rosace de la cathédrale et prenaient des photos. D’autres s’attardaient devant un magasin de souvenirs d’Alsace, de poupées de porcelaine, de bustes grecs et de trésors égyptiens.
Les terrasses commençaient à se remplir : un soleil généreux se mit à offrir aux corps et aux esprits sa chaleur bienfaisante. La présence de voitures de police, le périmètre de sécurité et les affiches informant de la fermeture de la cathédrale avaient suscité la curiosité des uns et des autres. Sous peu, la nouvelle allait se répandre aux quatre coins de Strasbourg, en Alsace, dans toute la France, outre-Rhin et peut-être bien plus loin encore. Mais pour le moment, « Le grand ange rose de Strasbourg » gardait en son sein le mystère de la mort de Simon Braun. Le Tentateur et les vierges folles, l’Époux et les vierges sages demeuraient alignés sur le portail, imperturbables, loin de toute culpabilité, de toute vertu.
Un peu plus loin, le presbytère était en pleine ébullition. On avait informé les hautes instances. La ligne téléphonique était sans cesse occupée. L’archiprêtre, l’intendant, quelques prêtres et trois diacres permanents travaillaient de concert pour informer, organiser et anticiper. La cathédrale étant fermée jusqu’à nouvel ordre, il fallait annuler les offices, les visites, les prières et les entretiens spirituels.
En apprenant la nouvelle, l’archevêque et les deux évêques auxiliaires du diocèse, horrifiés, en avaient rapidement saisi le poids : l’âme de la cathédrale Notre-Dame et ce qu’elle représentait seraient durement touchés. L’inquiétude qui avait gagné les membres du diocèse les poussa à échafauder des scénarii. Il était impossible de ne pas envisager l’hypothèse d’un danger pour l’Église, car les circonstances de la mort du libraire impliquaient un lien incontournable entre le lieu du crime et le mobile. Régulièrement, elle subissait des attaques caractérisées par des moqueries, des dégâts matériels, des courriers visant à son extinction ou des menaces reposant sur des invocations de nouveaux dieux. Mais il était rare que cela aille plus loin.
Désormais, pourtant, le cadavre d’un homme faisait partie de la mémoire séculaire de ce haut lieu strasbourgeois. Il fallait attendre les premiers résultats de l’enquête, rester attentif à tout signe préoccupant et agir en conséquence. On fit quelques prières pour la sauvegarde de la chrétienté et la protection de l’Église et de ses disciples.
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Le lieutenant Antoine Meyer et sa collègue Valérie Dufresne arrivèrent rue de l’Observatoire vers 11 heures. Annoncer une mort, qui plus est dans pareilles conditions, est toujours une tâche délicate. La présence rassurante de Valérie était souvent bénéfique : Antoine pensa qu’une fois de plus, elle pourrait alléger la souffrance,aujourd’hui celle de madame Braun, ne serait-ce que de manière infime et passagère.
Lorsque Claudine Braun vit ces deux visiteurs inattendus se présenter, les traits de l’affolement se dessinèrent sur son visage. Et lorsqu’ils déclinèrent leur identité, le désarroi gagna son regard bleu.
— Il est arrivé quelque chose à mon mari, n’est-ce pas ?
— Oui madame, répondit Antoine.
Elle sentit ses jambes vaciller. Tout en répétant la même question, elle les pria d’entrer et les conduisit au salon du grand appartement cossu, situé au second étage, dans lequel elle vivait avec son mari depuis des années qu’elle ne comptait plus. Tous trois prirent place sur un confortable canapé d’angle, face auquel une immense bibliothèque couvrait l’un des murs. Sur le porte-partition d’un piano droit noir verni était posé l’Impromptu numéro un en do mineur, opus 90 de Franz Schubert. Des tableaux représentant une nature morte, un paysage de campagne au coucher du soleil et un portrait de femme décoraient le tissu mural couleur champagne. Les fleurs des rideaux en chintz créaient une atmosphère de printemps continu.
Le visage de Madame Braun était livide.
— Je tente de joindre mon mari depuis environ une heure. Que se passe-t-il ? demanda madame Braun, la peur au ventre.
— Nous devons malheureusement vous annoncer une terrible nouvelle. Votre mari a été retrouvé mort, tôt ce matin, répondit Valérie d’une voix qu’elle voulait la plus douce possible.
Madame Braun tressaillit de cette douleur qui jette corps et âme dans un étau suffocant, cette autre forme de mort qui vous laisse vivant pour un temps. Pour absorber les flots du chagrin, elle prit un paquet de mouchoirs, posé sur le guéridon en marqueterie de bois précieux. Antoine rattrapa à temps le pied d’une lampe Daum déséquilibrée par le cœur brisé d’une femme qui, en quelques minutes, semblait avoir vieilli de quelques années. Pendant un moment, Valérie et Antoine restèrent silencieux. Mais Claudine Braun se reprit :
— Mais pourquoi la PJ ? Il s’est passé quelque chose à la librairie ? Mon mari y est allé hier, vers 16 heures, il y avait eu beaucoup de clients la veille et il avait des choses urgentes à régler.
— C’est bien la librairie Argentoratum qui se trouve boulevard de la Victoire ? l’interrompit Antoine.
— Oui, une petite librairie, c’est à environ dix minutes à pied d’ici. Vers 19 heures, Simon m’a rappelée pour me dire qu’il y passerait la nuit. Il y a installé un lit d’appoint. Il faisait ça de temps en temps, quand il savait qu’il allait finir tard et qu’il n’aurait plus le courage de rentrer.
— Et vous avait-il dit vers quelle heure il serait de retour ce matin ? voulut savoir le lieutenant Meyer.
— Oui, hier soir, il m’a dit qu’il rentrerait pour les 9 h 30. La librairie est fermée le lundi, nous devions passer l’après-midi ensemble.
Madame Braun eut un haut-le-cœur.
Antoine enchaîna :
— Et il ne vous a pas appelée ce matin…
— Non. J’ai essayé de le joindre une première fois vers 10 heures, à la librairie, mais ça ne répondait pas. Je me suis dit qu’il devait être en chemin. J’ai essayé une deuxième fois, un peu plus tard. Toujours pas de réponse…
— Avez-vous essayé de l’appeler sur son portable ? demanda Valérie.
— Mon mari n’a… n’avait pas de téléphone mobile, il n’aimait pas ça. Le téléphone de la librairie lui suffisait amplement. Il disait souvent que trop de gens sont esclaves de leur portable. Qu’est-ce qui s’est passé ?
Des larmes remplissaient à nouveau les yeux de Claudine Braun. Elle avait froid. Valérie lui toucha l’avant-bras. Antoine se décida à lui dire la vérité :
— Madame Braun, votre mari a été retrouvé dans la crypte de la cathédrale. Les premières constatations indiquent qu’il a été vraisemblablement empoisonné. Je suis désolé.
Les frêles épaules de Claudine Braun étaient soumises à rude épreuve. Elle n’arrivait pas à comprendre ce qui était arrivé à son mari. Tout ça n’avait aucun sens. Elle posa quelques questions à Meyer, mais aucune d’elles ne dissipa son brouillard.
Sans cesse, Claudine Braun pensait aux circonstances de la mort de son mari. Tant d’idées défilaient dans sa tête : Simon travaillant à la librairie le soir précédent, sa présence à la cathédrale qui n’avait aucun sens… Les questions se succédaient : que s’était-il passé à la librairie ? Avait-il été menacé ? Par qui ? Pourquoi ? À la douleur vint s’ajouter la colère.
— Lieutenant Meyer, il faut trouver le fumier qui a fait ça. Mon mari n’a jamais eu d’ennemi. On a affaire à un détraqué et il faut le retrouver pour qu’il paye.
— Madame Braun, nous mettons tout en œuvre pour retrouver l’assassin de votre mari, croyez-moi. Nous n’avons que peu d’éléments pour le moment, mais nous attendons les résultats des différentes investigations et rien ne sera laissé au hasard. Il nous faudra aussi enquêter parmi les proches de monsieur Braun, ses amis, ses collègues, sa famille…
— Je n’en doute pas. Mon Dieu, quelle tragédie !
Valérie posa la main sur le dos de madame Braun et répéta un délicat petit frottement à la fois apaisant et compatissant. Antoine lui demanda si elle possédait un double des clés de la librairie. Celles trouvées sur le corps de Simon Braun avaient été réquisitionnées pour analyse. Madame Braun répondit par l’affirmative et lui remit un jeu de clés.
Malgré son état, Claudine Braun raccompagna Meyer et Dufresne à la porte d’entrée. Le couloir qui y menait lui sembla interminable.
Dès leur départ, elle appela sa sœur, Carine Verdier, qui habitait à Rosheim, une petite ville située à environ vingt-cinq kilomètres de Strasbourg. Elle avait cruellement besoin de réconfort et, à ce moment précis, cette sœur cadette et unique était la seule personne qu’elle souhaitait avoir à ses côtés. Elle ne se sentait pas encore la force de contacter son fils Arthur pour lui annoncer le décès de son père.
Sa sœur lui promit de venir sur-le-champ. Par chance, elle non plus ne travaillait pas le lundi.
À l’extérieur, Antoine et Valérie prirent une énorme bouffée d’air. Ils décidèrent de marcher jusqu’à la librairie : au bout de la rue de l’Observatoire, ils tournèrent à droite, boulevard de la Victoire. En chemin, ils achetèrent des sandwichs et de l’eau. Il y avait du monde à l’arrêt de tram, dans les deux sens. Un groupe d’étudiants passa, tout en discutant de la variété des repas du restaurant universitaire. Quelques hommes en complet-cravate se dirigeaient vers les quais. Une femme au visage pâle faisait une balade à bicyclette. Quatre enfants se mirent à courir vers l’arrêt de tram Université : ils avaient les cheveux humides et portaient des sacs à dos. Les bains municipaux se trouvaient à deux pas.
Il faisait beau, l’air de ce début septembre était doux. Antoine et Valérie s’arrêtèrent sur un banc du parc de l’université pour manger leur sandwich en profitant du soleil. Ils s’entendaient bien et Valérie appréciait les qualités professionnelles de son supérieur. Antoine, tout en utilisant l’autorité nécessaire pour obtenir de bons résultats, savait entretenir une bonne entente au sein de son équipe, malgré quelques chamailleries et incompatibilités.
Le portable d’Antoine sonna. C’était le commissaire divisionnaire Yves Pelletier, qui lui demanda de passer le voir à la PJ à 14 h 30. Les premiers signes de la mise en alerte du monde ecclésiastique, de l’effervescence des médias et de spéculations en tous genres étaient perceptibles. La nouvelle du meurtre de Simon Braun était déjà passée entre les mailles d’une étanchéité toute relative. Comment ne pas succomber à la tentation d’être la première personne à divulguer un renseignement de cette teneur ?
Antoine et sa collègue rejoignirent la librairie Argentoratum et sortirent leurs gants de protection de leurs poches. Antoine ouvrit la grille de la porte d’entrée, puis la double porte en verre.
Le magasin semblait être en ordre : rien n’indiquait une altercation ou un cambriolage. Le comptoir et la caisse étaient situés à droite de l’entrée. En face se trouvaient les nouveautés et les derniers livres primés. En faisant le tour du magasin, on découvrait les ouvrages classés par genre. La surface de la librairie était plutôt limitée, et chaque endroit était mis à profit. Il y régnait un charme particulier, l’odeur de ces librairies à l’ancienne qui font cohabiter les ouvrages en attente d’être choisis. Sur le côté gauche, deux tables en bois servaient de coin lecture : sur chacune d’elles était posée une lampe verte comme celles que l’on voit dans les bibliothèques.
Meyer inspecta le comptoir. Tout y était bien rangé – les stylos, les papiers et les deux présentoirs remplis l’un de marque-pages, l’autre d’une collection de petits recueils de poésie. Sous le comptoir, un téléphone, des commandes en cours, des courriers récents d’éditeurs et des notes prises par Braun étaient alignés dans des compartiments.
Au fond du magasin, il y avait une porte en bois qui sentait la cire. Elle donnait à gauche sur une réserve et à droite sur une grande pièce aménagée faisant office de bureau et de coin repos. On y trouvait une table, un ordinateur, un second combiné téléphonique, quelques chaises et fauteuils, un lit d’appoint et du petit électroménager. Une fenêtre munie d’un rideau en épais tissu couleur bordeaux donnait sur l’arrière-cour.
Une tasse qui contenait encore un fond de café était posée sur la table. À côté se trouvaient une bouteille d’eau à moitié entamée et un reste de sandwich déposé sur une assiette blanche. Un peu plus loin, un étui rigide ouvert contenait une paire de lunettes à branches dorées ; sur l’un des fauteuils était posé un chapeau feutre noir d’homme. Antoine demanda à Valérie de ranger tout ça dans des emballages de protection. Tout comme dans le magasin et la réserve, il ne releva aucune trace de lutte ni le moindre signe qui aurait pu paraître anormal.
Antoine appela l’un de ses collègues, Anis Kadiri :
— Salut Anis, c’est Antoine.
— Bonjour Antoine ! Qu’est-ce que je peux faire pour toi ?