Le mystère des carnets volés - Hervé Devred - E-Book

Le mystère des carnets volés E-Book

Hervé Devred

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Beschreibung

Paris 1873 : Albert Poncalet est assassiné. Il détenait des documents compromettants impliquant des personnalités gouvernementales. Paul, un enquêteur novice, est chargé de résoudre cette affaire. Son investigation le conduit dans les arcanes des intrigues politiques de la Belle Époque. Cette enquête policière se transforme en un parcours initiatique pour ce jeune provincial timide. Saura-t-il éviter les pièges tendus sur son chemin ?

À PROPOS DE L'AUTEUR

Féru d’histoire, Hervé Devred aime particulièrement la littérature du XIX siècle. Il nous fait revivre une période clef de l’histoire de la France, dont les échos résonnent encore aujourd’hui : la Belle Époque. Belle, dites-vous ? Pas pour tout le monde…

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Hervé Devred

Le mystère des carnets volés

Paris, 1873

Roman

© Lys Bleu Éditions – Hervé Devred

ISBN : 979-10-422-1026-7

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

I

« Et moi je vous dis que vous ne sortirez pas comme ça ! » Du haut de ses vingt-deux ans, Louisette toisait Monsieur Paul. Pour nous, ce sera Paul, tout court. Paul qui tanguait devant elle, avec la sensation que sa tête était remplie d’un liquide qui altérait ses perceptions, bien que ça allât un peu mieux depuis que Louisette lui avait fait boire du lait chaud avec du miel et prendre une potion à base de teinture d’échinacée. Louisette lui barrait l’accès à la porte, menaçant de lui entourer le cou d’une écharpe en grosse laine, un de ces cache-nez aux mailles irrégulières, comme ceux dont sa mère l’affublait lorsqu’il était enfant, parce qu’il était fragile de la gorge, et sur lequel ses camarades tiraient en rigolant, s’amusant parfois à l’entortiller jusqu’à ce que le curé qui faisait la classe – sauf les jours d’enterrement – intervienne.

Mais elle n’était pas sa mère, Louisette, avec ses yeux rieurs, ses taches de rousseur, son petit nez retroussé et son menton arrondi qui adoucissait la pointe de son visage. Elle était plutôt mignonne, d’ailleurs, malgré sa charlotte blanche en lin qui cachait ses cheveux auburn, sa robe stricte à rayures verticales grises et son tablier ; elle devait joliment danser la gavotte, car elle était mince et elle avait la taille bien prise, et de fines chevilles que Paul pouvait admirer lorsqu’elle montait l’escalier devant lui. Mais Paul s’interdisait de penser à la jeune fille, car elle était la bonne à tout faire de la pension Richier, et lui l’adjoint du commissaire d’Entremont, du genre intègre et peu enclin aux amours ancillaires, quoique, parfois, ses pensées s’égarassent le soir avant de s’endormir, et qui pouvait savoir qui venait le visiter en rêve la nuit et causer les taches suspectes sur les draps que Louisette frottait énergiquement avec une brosse de chiendent et du savon noir ? De toute façon, Paul ne savait pas danser.

Il nous faut dire quelques mots de la pension Richier. Madame Richier Hortense la dirigeait d’une main ferme. Son mari, Louis-Albert, était mort deux ans auparavant, en janvier 1871, à quelques jours de l’Armistice. Hortense Richier avait hérité d’un immeuble rue de Reuilly que Louis-Albert avait aménagé à l’époque où il était sobre. Madame Richier louait au moins quatre appartements de deux pièces et sept chambres à la semaine. Les toilettes étaient sur le palier, un cabinet par étage. Paul occupait l’un des appartements du premier. Trente-cinq francs par mois, même en février, un franc pour le repas du soir, à condition de prévenir la veille, deux francs le dimanche midi, huit sous pour un bol de soupe avec du pain et de la margarine le matin. Le vin se payait au litre, chacun sa bouteille. Pour deux francs par semaine, Louisette s’occupait de votre linge et de vos draps, et l’heure de ménage était à cinq sous. Le tarif des autres prestations, savon, eau chaude pour le bain, petit seau de charbon, et cetera, était inscrit à l’encre sur une feuille de papier jaunie affichée sur la porte de chaque appartement. Madame Richier, comme on le voit, était très organisée, et cela convenait tout à fait à Paul qui aimait la rigueur et pouvait maîtriser son budget.

Paul s’était accoutumé à son petit logement. Il n’avait pas trouvé mieux, à moins de payer beaucoup plus cher, et, tout bien considéré, le confort que lui procurait la vie bien réglée orchestrée par madame Richier contrebalançait la tristesse des pièces toujours sombres, même en été alors que le soleil inondait la rue et les parcs publics. Au demeurant, le manque de luminosité, une seule fenêtre dans chaque pièce, et qui donnait au nord, ne le gênait que le dimanche, lorsqu’il passait son après-midi à lire ou lorsqu’il sortait son violon et ses partitions pour travailler une sonate de Saint-Saëns, de Lipsky ou de Bach. Madame Richier prêtait alors l’oreille et levait un doigt. Monsieur Paul fait de la musique, disait-elle à Louisette qui s’arrêtait un temps de repasser pour écouter la mélodie, parfois grinçante, qui venait de l’étage supérieur.

Revenons à Paul, qui finit par capituler. Il accepta l’écharpe que Louisette lui noua autour du cou tout en maugréant qu’il eut été préférable qu’il restât au lit, ne serait-ce qu’une demi-journée, et qu’on pouvait très bien envoyer quelqu’un, le petit de la mercière qui tenait boutique en face de la pension par exemple, dire au commissaire Machin que monsieur Paul était souffrant. Paul fronça les sourcils. Il n’en était pas question !

***

On vante souvent les bienfaits de la marche. De manière générale, des études sérieuses ont montré que c’était vrai. Les bienfaits de la marche dans le froid humide, lorsqu’on a une angine, sont plus incertains. À moins, bien sûr, d’avoir une bonne écharpe en laine autour du cou. Une écharpe qui vous tenait au chaud et que vous pouviez vous rabattre sur le nez pour atténuer la désagréable sensation que faisait l’air froid et humide sur votre gorge irritée. Au fond, Louisette n’avait pas tort, et à qui Paul chercherait-il à plaire au commissariat ? Le commissaire d’Entremont était, certes, toujours mis à quatre épingles, mais les gardiens de la paix, que l’on continuait d’appeler sergents de ville, n’en déplaise au ci-devant préfet de police Émile de Kératy1, étaient en général plutôt débraillés, leur négligence vestimentaire se combinant à un manque de moyens endémique de la police qui les condamnait à porter leurs uniformes jusqu’à ce qu’ils fussent usés jusqu’à la corde.

C’est donc quelque peu ragaillardi, quoique la gorge toujours très irritée, que Paul poussa la porte du commissariat de police, saluant d’un signe de tête le sergent de ville qui l’accueillit au garde-à-vous. Pardon, le gardien de la paix.

II

Le commissaire d’Entremont regarda ostensiblement sa montre de gousset lorsque Paul pénétra dans son bureau. Le commissaire d’Entremont aimait la ponctualité. Ce trait de caractère dénotait chez lui un certain manque de souplesse, manque de souplesse qui expliquait probablement pourquoi sa carrière avait stagné après un début retentissant. Lorsqu’on rentrait au service de l’état, il n’était pas inutile de se faire remarquer par quelque action d’éclat, mais, pour progresser, il valait mieux faire preuve de docilité. Le commissaire ne paraissait pas souffrir de cette stagnation, même si son apparence physique pouvait donner à penser le contraire. Petit, sec, le nez busqué, des yeux profondément enfoncés sous d’épais sourcils poivre et sel, le teint terreux et le visage parcheminé, il n’avait pas la physionomie d’un quinquagénaire replet et satisfait de sa réussite sociale. Mais il était déjà comme ça dix ans plus tôt, à l’époque où il avait fait la une du Petit Journal2.

Que pensa-t-il du gros cache-nez en laine chinée qui entourait le cou de son adjoint ? Un commissaire a autre chose à faire que s’occuper de la santé de ses subordonnés. Surtout lorsqu’il a une journée chargée en perspective. Et qu’il vient de lui tomber une sacrée tuile. Aussi, ne proposa-t-il pas à Paul de s’asseoir et entra-t-il aussitôt dans le vif du sujet :

— Je vous attendais. Un meurtre a été commis rue du Chemin Vert. Au numéro 41. Je ne peux pas m’y rendre, je suis convoqué chez le ministre. Je vous demande donc de me remplacer.

Un meurtre. Rue du Chemin Vert. Au numéro 41. Paul enregistra les informations dans sa tête. Son cerveau fonctionnait au ralenti. Il lui fallut un peu de temps pour comprendre qu’il allait devoir s’occuper de cette affaire de meurtre tout seul. Son premier meurtre. Jusqu’alors, il avait toujours accompagné le commissaire d’Entremont, trottinant derrière cet homme pressé, saisissant au vol ses remarques qu’il consignait au crayon dans un carnet, les restituant le soir même au commissaire qui tournait et retournait derrière son bureau en ponctuant son compte-rendu de « Bien » et de « Hum ! ». Paul se sentait honoré de cette confiance toute nouvelle que lui témoignait le commissaire. Et quelque peu intimidé. Serait-il à la hauteur ?

— Vous savez ce que vous avez à faire, n’est-ce pas ? Les constatations, la pose de scellés, une première enquête de voisinage. J’ai fait appeler le chirurgien légiste, il vous rejoindra sur place.

D’Entremont s’immobilisa, soudain inquiet.

— Ça va ? Vous vous sentez de taille ?

— Oui Monsieur. Vous pouvez compter sur moi.

Paul venait de prendre conscience qu’il allait se retrouver face à un cadavre. Ce n’était, bien sûr, pas la première fois. Les meurtres, à Paris, on en recensait plus d’un par semaine. Mais, jusqu’alors, c’était toujours d’Entremont qui faisait les constatations. Paul se débrouillait pour regarder ailleurs.

III

Paul Thiébaut naquit le 13 juin 1846 à Héricourt-en-Caux, dans le département de la Seine Inférieure3. Son père, Antoine Thiébaut, était avocat. Sa mère, Euphrosine Jacquemart, était bigote. Il était le deuxième enfant d’une fratrie de cinq, le mot fratrie étant en l’occurrence inapproprié puisqu’il avait quatre sœurs.

Paul passa sa prime enfance à Yvetot où son père avait son cabinet et son oncle une filature spécialisée dans les rouenneries4. Une période sans histoire durant laquelle son éducation différa peu de celle de ses sœurs. Son père s’en émut. « Vous faites de cet enfant une fillette, mon amie, avait-il dit à son épouse. Notre pays a besoin d’hommes, de soldats, pas de mauviettes. » Le petit Paul, qui avait entendu la conversation, en fut bouleversé. Une mauviette ! Comme toujours lorsqu’il était très affecté, il rougit jusqu’aux oreilles. C’était une caractéristique physiologique qui le poursuivrait tout au long de sa vie. Lorsqu’il était ému, ou fiévreux, ou fatigué, ses oreilles, passablement décollées, devenaient rouge brique.

Les relations de Paul avec sa maman se tendirent à partir de cette époque. Mme Thiébaut avait une très mauvaise opinion des garçons. Surtout des adolescents. Les garçons de cet âge-là étaient, selon elle, des êtres sournois qui ne pensaient qu’à jouer des tours pendables. Puisqu’elle ne pouvait plus élever Paul comme une fille, elle le traita comme un garçon, c’est-à-dire avec méfiance et sévérité. Mais pas toujours. Allez comprendre ! Paul vécut très mal les changements d’humeur incompréhensibles de sa maman. Il se réfugia dans l’étude du violon. Un instrument qui rendait merveilleusement la nostalgie qu’il ressentait.

La réflexion désobligeante de son père et son expulsion du paradis de l’enfance eurent un impact considérable sur le caractère de Paul. Il devint beaucoup plus renfermé. Pour devenir un homme, il s’astreignit à contenir ses émotions. Sans grand succès, d’ailleurs. Il adopta dès lors une autre tactique. Faire le dos rond, laisser au temps le soin de panser ses blessures d’amour-propre, de relativiser ses déceptions. Une tactique de nature à faire de lui un parfait souffre-douleur. Or, il advint qu’on l’envoya en pension au lycée de Rouen dès l’âge de onze ans. Un lycée dans lequel il fut confronté à la discipline militaire, à des conditions de vie assez rudes et aux brimades de ses camarades. Fort heureusement pour lui, il y fit la connaissance de Philibert, qui devint son protecteur. Philibert était l’exact opposé de Paul : costaud, braillard, turbulent, mauvais élève. Ils se trouvèrent par hasard placés l’un à côté de l’autre au dortoir. Philibert comprit tout de suite le bénéfice qu’il pouvait tirer de sa proximité avec Paul. « Tu me laisses copier sur toi et je te défends contre les autres. » Les résultats scolaires de Philibert épatèrent tous ceux qui le connaissaient. En contrepartie, Paul connut une relative tranquillité au cours des six années5 qu’il passa au lycée. En outre, Philibert, dont le père était serrurier, lui donna un aperçu des talents nécessaires pour exercer ce métier ainsi que celui de cambrioleur, comme crocheter une serrure, par exemple. Philibert était une graine de voyou.

À 18 ans Paul savait parfaitement son latin et il passa brillamment le baccalauréat. Il commença ensuite des études de droit qu’il dut interrompre au bout de deux ans : on crut qu’il avait attrapé la phtisie. Le diagnostic s’avéra erroné, mais la déclaration de la guerre contre la Prusse contraria à nouveau ses ambitions professionnelles. Il n’acheva jamais ses études.

Bien que son père eût payé pour son remplacement6, Paul s’engagea en octobre 1870 pour défendre la patrie. Il rejoignit l’armée de la Loire commandée par le général Louis d’Aurelle de Paladines. Après un court entraînement où il apprit à marcher au pas, à charger son fusil Chassepot et à se rendre de nuit et sous la pluie d’un point A à un point B distants de cinquante kilomètres avec un sac de trente kilos sur le dos, il intégra le 42e régiment de marche. C’est depuis les hauteurs qui dominent Coulmiers qu’il assista à la bataille qui permit de libérer Orléans. Le 28 novembre, son régiment fut engagé dans celle de Beaune-la-Rolande. Il n’en garda qu’un souvenir confus, passant de longs moments à attendre les ordres, terrorisé et recroquevillé sur lui-même, le havresac comme une dérisoire carapace sur le dos et les mains crispées sur son fusil, puis courant dans la boue en criant et en essayant de ne pas trébucher sur les corps qui jonchaient le sol. Le soir, il n’avait pas tiré un seul coup de fusil, mais il était sauf. Sauf, mais avec un sérieux mal de gorge qui empira rapidement, l’envoyant à l’hôpital militaire. Lorsqu’il en ressortit, le médecin jugea qu’il n’était pas apte à reprendre le combat et l’affecta au service des blessés. C’est à ce moment-là que Paul fit l’expérience de ses premiers malaises. Des malaises que l’on qualifierait aujourd’hui de vagaux, mais dont on ignorait l’origine à l’époque. On donnait alors aux personnes sujettes à ce type de malaise des qualificatifs peu élogieux, dont le moins dépréciatif était peut-être celui de « poule mouillée ». Paul supportait difficilement la vue du sang, en particulier quand il s’écoulait d’une blessure particulièrement horrible comme celles que peut faire un fusil Dreyse7. Ce type de malaise devint la hantise de Paul qui mit au point toute une série de stratagèmes pour tenter de les éviter, stratagèmes dont certains l’amenaient à effectuer une sorte de rituel très étrange pour quiconque y assistait.

Il fut démobilisé rapidement à la suite de l’armistice et fut ainsi privé de la seule victoire de l’armée française en 1871, celle remportée contre des communards mal armés et indisciplinés. Il rentra à Yvetot où il put assister aux obsèques de son père mort quelques jours auparavant. Après quelques mois passés auprès de sa maman, six mois de trêve pendant lesquels elle se montra aimable avec lui, il lui fallut penser à trouver un métier. C’est muni d’une lettre de son oncle adressée au commissaire d’Entremont qu’il arriva à Paris en septembre 1871. Le commissaire le toisa avec scepticisme. Paul n’était visiblement pas taillé pour les opérations de terrain. En revanche, ses connaissances en droit l’intéressaient. Il lui était arrivé plusieurs fois d’avoir dû laisser filer un malfrat pour une histoire de procédure. Il le prit donc comme adjoint.

IV

En 1873, le hameau de Popincourt, avec ses jardins maraîchers, et les marais qui le séparaient de Ménilmontant, avait cédé la place, depuis longtemps, à un quartier consacré à l’artisanat et à la petite industrie. Des ateliers d’ameublement s’y étaient installés, des horlogers et même une petite entreprise fabriquant des électro-mécanismes. Le quartier Popincourt avait conservé un temps sa personnalité. On y construisait des immeubles neufs, comme partout ailleurs, mais à des prix plus modérés, et les petits commerces faisaient bon ménage avec les ateliers. Une ambiance, sinon de village du moins de petite bourgade, avait persisté. Cependant, à l’époque où se déroulent les faits que nous relatons, le quartier vivait des heures sombres. Beaucoup d’ateliers avaient fermé, soit à cause du marasme qui avait suivi la guerre, soit parce que les meilleurs ouvriers avaient été arrêtés et déportés8. La destruction des abattoirs de Ménilmontant au nord de la rue du Chemin Vert achèvera de le transformer, mais cela n’interviendra que quelques années plus tard.

Ce n’étaient pas ces considérations, au demeurant, qui occupaient l’esprit de Paul lorsque, venant du boulevard Richard Lenoir, il tourna dans la rue du Chemin Vert. Paul était inquiet. Le commissaire d’Entremont n’avait pas parlé des circonstances du meurtre et de la cause du décès et il en était réduit à des conjectures. La mort par strangulation était, de loin, l’hypothèse la plus favorable. Pas de traces de sang, un visage terreux et des yeux exorbités, mais il pouvait supporter. Malheureusement, elle était rarement pratiquée par les assassins. Il est vrai qu’elle demandait une certaine force physique pour immobiliser la victime. La balle dans le cœur ou, plus discret, le coup de poignard étaient beaucoup plus sanglants, mais ils laissaient le visage intact. Ça aussi, Paul pouvait gérer. Inconvénient : ils demandaient une certaine adresse et seuls les criminels chevronnés s’y risquaient. La crainte de Paul, c’était que le meurtre eût été commis par un amateur. Ou par une personne sous le coup de la colère. Dans ce cas-là, l’assassin s’acharnait sur le visage. Parce que le visage c’était la vie. Ça relevait plus du domaine du symbolique que d’autre chose, parce qu’il y a bien d’autres façons plus efficaces de tuer quelqu’un. Mais, que voulez-vous, on ne pouvait pas demander à un criminel, surtout s’il était inexpérimenté, de réfléchir avant d’agir. Ledit criminel se moquait d’ailleurs probablement de ce qu’allait ressentir celui qui découvrirait le corps. Paul devait donc se préparer au pire et réfléchir à la bonne stratégie. Il fallait d’abord essayer d’en apprendre le plus possible avant de se faire montrer le cadavre. Si le visage était touché, il fallait éviter de le regarder, et, pour se donner une contenance, donner, par exemple des instructions aux gardiens de la paix présents sur site. Il lui faudrait également se poster le plus près possible d’une fenêtre qu’on ouvrirait en grand. Il avait en effet remarqué que le froid atténuait les symptômes de ses malaises et lui permettait d’éviter la syncope. Cela risquait fort d’aggraver son mal de gorge, mais de deux maux, il fallait choisir le moindre. L’idéal serait qu’il s’installât sur une chaise pour prendre des notes pendant qu’un gardien de la paix expérimenté, Lebraque, par exemple, lui décrirait la posture de la victime, le type et la gravité de ses blessures, s’il y avait eu lutte ou acharnement. Les constatations d’usage, quoi. Est-ce que Lebraque serait là ? Il n’avait pas pensé à vérifier avant de partir.

Arrivé en bas du 41, Paul prit une longue inspiration. Un gardien de la paix le salua et lui montra l’escalier. C’était au premier, sur la droite. Paul gravit les marches avec l’enthousiasme du condamné qui monte à l’échafaud. La porte était ouverte, on entendait des voix à l’intérieur. Il fit un peu de bruit pour qu’on s’aperçût de sa présence, mais personne ne vint au-devant de lui. Alors il franchit le pas de la porte.

La première chose qu’il vit, ce furent les yeux. Des yeux gris, écarquillés et remplis de stupeur qui le fixaient. Puis la bouche, ouverte comme pour avaler une dernière bouffée d’air frais. Et la blessure. La gorge tranchée qui laissait voir l’orifice de la trachée-artère. Le sang coagulé par terre, sur la chemise, sous la nuque. Et ce fut l’enchaînement. Une brusque bouffée de chaleur, les battements du cœur dans les tempes, les jambes qui se dérobent, les sensations qui s’altèrent, l’impression que le monde réel s’éloigne, se dissout… Merde, pas ça. Pas maintenant. Lebraque entra derrière lui.

— Ça va, monsieur Thiébaut ?

Respirer profondément, régulièrement. Regarder avec attention autour de soi. Ne pas fermer les yeux. La fenêtre. Où est-elle ? Ou bien une chaise. Ne surtout pas fermer les yeux. Rester conscient. Retenir le monde qui tente de s’éloigner. Le retenir par un détail, par un son, une image. Tout autre que Paul se serait étonné de l’incroyable désordre qui régnait dans la pièce. L’idée ne lui traversa pas l’esprit un seul instant. C’était plutôt une aubaine pour lui. La possibilité de s’accrocher successivement à une multitude d’objets, un tiroir renversé, une photo au cadre brisé, une pendule fracassée, un matelas éventré, de les détailler, de les nommer, puis de les associer à d’autres objets, de façon à garder autour de lui un peu du monde réel et éviter de se retrouver seul au milieu du néant. La voix de Lebraque lui parvint, déjà lointaine :

— Si vous voulez, je peux ouvrir la fenêtre.

Oui, c’est ça. Ouvrez la fenêtre. Paul se désespérait. La lutte était trop inégale. Perdue d’avance. Comment voulez-vous, dans de telles conditions ? Sur le champ de bataille, il en avait vu, des cadavres. Des gars en train d’agoniser. Des membres arrachés, des mâchoires fracassées, des yeux crevés. Mais, en fait, il ne les regardait pas. Il circulait entre les corps, les yeux fixés sur ses pieds et se laissait guider par l’autre brancardier, qui lui commandait quand il fallait soulever un blessé pour le poser sur la civière… Mais ici, alors qu’il devait faire bonne figure, qu’il était en mission, c’était perdu d’avance. Le monde autour de lui se dissolvait lentement, les sons s’estompaient.

Et puis il y eut des cris. Un brouhaha. « Laissez-moi entrer ! Je veux voir mon père. » Le monde s’imposa de nouveau à lui avec netteté. Un monde qui avait les traits d’une jeune femme aux cheveux châtains, au visage ovale et aux yeux couleur noisette. Un monde qui avait une très jolie bouche. Un monde avec un petit chapeau orné d’une fleur rose en papier. Le genre de monde auquel vous avez envie de vous arrimer solidement.

Et soudain les yeux de ce monde s’agrandirent démesurément, son teint pâlit et le monde avec une jolie bouche et des yeux couleur noisette s’affaissa comme un soufflet qu’on sort trop rapidement du four. Paul comprit qu’il lui fallait saisir cette occasion. Cette jeune femme était comme la main secourable qu’on tendait à une personne qui se noyait. Elle allait lui permettre de reprendre ses esprits, et, surtout, de laisser à Lebraque le soin de s’occuper du corps de la victime. Car, n’est-ce pas, c’était à lui de prendre en charge la jeune femme. Il la rattrapa juste à temps pour lui éviter de s’étaler par terre. Ça tombait bien, elle était légère. Il la porta dans la pièce voisine et l’assit sur une chaise. Il mit un genou à terre et lui prit la main, attitude très chevaleresque qui présentait, en outre, l’avantage de le rapprocher du sol. Tous ceux qui ont déjà éprouvé ce genre de malaise comprendront. La jeune femme avait repris connaissance, mais elle était encore très pâle.

— Je suis désolée, dit-elle d’une voix faible. Je vous cause bien de l’embarras !

— Ce n’est rien. Je comprends tout à fait que vous ayez été choquée. Je l’aurais été à votre place. Vous connaissiez la victime ?

Le gardien de la paix Duparc s’était planté à côté d’eux. Il regardait la jeune femme avec ses gros yeux de poisson. Paul s’agaça. Cette jeune femme avait besoin d’air frais !

— Regardez dans le buffet si vous trouvez un remontant pour Madame.

Duparc sortit. La jeune femme leva des yeux pleins de larmes sur Paul.

— Je ne me suis pas présentée. Je suis Justine Lesage. Je suis la fille de monsieur Poncalet.

— Je comprends votre émotion. Je vous présente mes plus sincères condoléances, madame Lesage.

Dans la pièce où se trouvait la victime, Lebraque donnait des ordres. Il avait pris les choses en main. Duparc revint avec un petit verre d’alcool.

— Merci, Duparc. Allez voir si Lebraque a besoin de vous.

Justine Lesage fit un signe de dénégation lorsque Paul lui présenta le verre.

— J’aurais quelques questions à vous poser, Madame, mais je respecte votre chagrin. Pourriez-vous passer me voir au poste de police demain ? Voici ma carte de visite.

La jeune femme acquiesça d’un signe de tête.

— Je vous remercie pour votre compréhension. Je passerai demain en début d’après-midi. Cela vous convient-il ?

— C’est parfait.

— Si vous le permettez, je vais me retirer.

— Je vous en prie. Un de mes hommes peut vous raccompagner.

— Ça ne sera pas nécessaire.

Justine Lesage se leva. Elle avait repris quelques couleurs, mais sa démarche était encore mal assurée. Cela étant dit, elle avait une belle chute de reins. À moins que ce ne fût l’effet d’une tournure9. Paul en profita pour vider le verre d’alcool cul sec. Cela lui fit le plus grand bien. Il se sentit de taille à regarder le mort dans les yeux. Heureusement, cela ne fut pas nécessaire. Dans le couloir, il rencontra le chirurgien légiste.

— Alors ? Qu’en pensez-vous ?

L’homme hocha la tête.

— À première vue, l’homme est mort hier en milieu ou en fin de soirée.

Paul le remercia, puis il s’assura que Lebraque ferait transporter le corps à la morgue et mettrait l’appartement sous scellés. Il pouvait donc se consacrer à l’enquête de voisinage.

Le pipelet du 41 ne semblait guère affecté par la mort d’Albert Poncalet, l’occupant de l’appartement du premier étage dont il avait trouvé le corps quelques heures auparavant. Il répondit de mauvaise grâce aux questions que lui posa le jeune blanc-bec qui se prétendait de la police. Poncalet avait emménagé en juillet 1871. Il était rentier, où quelque chose comme ça, pas très causant, pas toujours aimable. Il sortait chaque matin à onze heures et revenait à deux heures l’après-midi, heure à laquelle il faisait sa sieste. Tous les jours, même le dimanche. Ce qui signifiait qu’il n’allait pas à la messe, ce dont le concierge se contrefichait, mais qui, selon lui, devait intéresser la police. En juin 1871, ça suffisait pour vous faire arrêter comme suspect. Il ressortait à cinq heures et rentrait à sept heures et demie. Ou il ne rentrait pas. Il était propriétaire de son appartement, donc il avait la clef de l’immeuble. Où allait-il lorsqu’il sortait ? Est-ce que je sais, moi ? Il n’avait qu’à chercher, ce gamin. Non, mais, c’est vrai ! Est-ce qu’il recevait ? Oui, la dame qui est montée tout à l’heure. Elle venait le voir de temps en temps, peut-être une fois par mois, peut-être plus, peut-être moins, et restait environ une heure. Ce qu’elle faisait avec lui, il n’en savait rien et ce n’était pas son problème, un concierge ne s’occupait pas de la moralité des résidents de l’immeuble dont il avait la charge, pourvu que cela se passe dans la discrétion. Il recevait aussi un dénommé Aristide, un bon vivant celui-là, qu’on pouvait trouver à toute heure du jour au bouillon Bréguet, soit qu’il y donnât un coup de main, soit qu’il y bût l’argent qu’il venait de gagner.

— À part ça, si vous voulez en savoir plus, demandez à madame Huguette, c’est elle qui faisait le ménage.

— Et vous, que faisiez-vous, cette nuit ?

— Je dormais, si vous voulez savoir ! Hier soir, je suis allé voir ma mère, qui est malade, et je suis rentré un peu avant minuit.

Le concierge n’en dit pas plus et Paul ne chercha pas à en savoir plus. Il avait été passablement irrité par les insinuations du pipelet au sujet de Justine Lesage.

***

Le bouillon Bréguet était situé, comme son nom l’indiquait, rue Bréguet, non loin de la rue Popincourt. Une de ces rues ouvertes au cours des travaux menés sous l’égide du baron Haussmann. À la déclaration de la guerre contre la Prusse, elle était partiellement construite et les travaux n’avaient repris que lentement une fois la paix revenue.

Le bouillon Bréguet ressemblait à tous les bouillons de quartier. Une salle au rez-de-chaussée d’un immeuble, murs couleur crème, boiserie jusqu’à mi-hauteur, un grand miroir sur un mur latéral. Comptoir recouvert d’une plaque en zinc, étagère avec quelques bouteilles, Dubonnet, le tout nouveau Lillet, absinthe Amourette Hémard, vin blanc. Pas beaucoup de choix, mais le patron ne servait l’apéritif qu’aux clients qui venaient manger. Deux rangées de tables qu’on couvrait d’une nappe en toile cirée au moment des repas. Le menu n’était guère varié. Une soupe épaisse le matin, avec du pain et un quart de vin. À midi, le patron proposait un plat de viande, hochepot ou haricot de mouton, mais qui pouvait se le payer hormis de rares clients de passage ? À sept heures, on revenait à quelque chose de plus habituel, de la soupe, bien sûr, avec du chou ou des fèves, du lard… Les habitués restaient pour jouer aux dés ou aux cartes. Piquet, tarot, manille. On bavardait. Pas de politique, on se méfiait. On connaissait tous quelqu’un qui avait été fusillé ou déporté en Nouvelle-Calédonie10. Alors on parlait de sport. D’ailleurs, le patron mettait à disposition des clients un exemplaire du journal Le Sport11. On commentait la page consacrée à la boxe française, mais il fallait reconnaître que, depuis, la mort de Louis Vigneron et l’exil de Joseph Charlemont12, c’était moins intéressant. Au printemps, on se passionnait pour l’aviron. Réginald Gesling. Un sacré bonhomme ! Quatre fois vainqueur du championnat de la Seine.

Lorsque Paul poussa la porte, le silence se fit. Des ouvriers de passage et deux habitués lisant le journal. Ambiance morose. La justice expéditive qui suivit la Commune avait créé un fossé entre les gens bien mis, comme Paul, et les porteurs de blouse ou de veste élimée. On n’était pas forcément d’accord avec les communards, mais de là à les massacrer ou à les envoyer au bagne… Paul demanda si monsieur Aristide était là. Le patron lui indiqua d’un geste du menton une porte dans le mur du fond.

Dans la cour, une trappe donnait accès à une cave où étaient stockées les réserves du bouillon. Un homme d’une cinquantaine d’années en émergea. Aristide Daubier était petit et râblé. Il avait un visage carré aux traits marqués et un crâne luisant. Ancien militaire, sans doute. Il était en chemise et avait les manches retroussées malgré le froid. Paul se présenta et les deux hommes s’installèrent à une table de la salle du restaurant.

Contrairement au concierge du 41, Daubier manifesta une certaine émotion à l’annonce de la mort de Poncalet. Un tassement d’épaules, un hochement de tête et un regard pensif jeté à son verre de vermouth. On était entre hommes, on n’allait pas se mettre à pleurer, n’est-ce pas ? Poncalet, il le connaissait depuis… 1861. Ils s’étaient rendu service mutuellement. En 1871, il l’avait aidé à emménager et il lui donnait un coup de main de temps en temps, de la plomberie, des travaux de peinture, des trucs comme ça, quoi. À la longue, ça crée des liens. Ils prenaient l’apéro à six heures tous les jours et faisaient un piquet le mercredi soir avec les deux vieux qui lisaient le journal. À part ça, il ne savait pas grand-chose de lui. Sans doute plus que ce qu’il voulait bien dire, mais il n’allait pas tout déballer à un mirliflore, quand même. Il avala le reste de son verre et s’excusa, il avait encore des choses à faire à la cave.

Madame Huguette habitait rue Sedaine. Elle avait appris la mort de monsieur Poncalet par une voisine. C’est-y possible que le Bon Dieu laisse faire des choses pareilles ! Un homme si convenable, poli et qui la payait chaque semaine. Elle faisait le ménage, mais ça n’était jamais très sale chez lui. À croire qu’il passait lui-même le balai. Façon de parler. On n’a jamais vu un homme avec un balai. Madame Huguette pensait plutôt qu’il était très soigneux. C’était comme pour ses vêtements. Madame Huguette en voyait, des vêtements sales dans la semaine. On croirait que les gens prenaient plaisir à se rouler dans la boue. Monsieur Albert, c’était tout juste si le bas de ses pantalons était crotté les jours de pluie.

Paul quitta la rue Sedaine assez découragé. Ni Aristide Daubier ni madame Huguette ne lui avaient appris quoi que ce soit. Il n’avait décidément pas le talent du commissaire d’Entremont pour faire parler les gens. D’Entremont, vous mettiez une statue devant lui, une heure après elle lui avait dit qui étaient le sculpteur et le modèle, ainsi que le prix qu’avait payé l’acheteur. Paul avait assisté à une dizaine d’interrogatoires et il en sortait toujours étonné de tout ce que le commissaire avait pu tirer comme informations. Sans jamais comprendre comment il faisait.

Il revint au 41 de la rue de Chemin Vert et interrogea les résidents. Sans grand succès. Monsieur Poncalet était un voisin sans histoires et qui recevait peu. Il ne s’était lié avec personne. Juste bonjour-bonsoir dans l’escalier. Personne n’avait entendu quoi que ce soit la veille. Le monsieur du deuxième à gauche parla d’un homme qu’il avait aperçu dans l’escalier, mais sa femme dit qu’il montait dans les étages supérieurs. Rien à voir avec monsieur Poncalet. N’embrouille pas le monsieur de la police avec ça. De toute façon, avec les chambres de bonnes au quatrième, ça change tout le temps, allez savoir si c’était un visiteur ou un résident !

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Une fois de retour au poste de police, Paul se présenta au commissaire d’Entremont. Celui-ci fit venir Lebraque pour faire le point.

— La victime : Albert Poncalet, cinquante-six ans. Égorgé proprement par un professionnel. (Lebraque passa rapidement un pouce devant sa gorge.) Pas de trace de lutte. D’après le chirurgien légiste, le crime a été commis hier soir.

— Bien…

Lebraque reprit :

— L’appartement a été fouillé de fond en comble. Matelas éventré, fonds de tiroir et plinthes soulevés, armoires entièrement vidées… Le gars devait chercher quelque chose de précis.

Paul songea qu’il n’y avait pas prêté attention. Peut-être avait-il pris le désordre pour des traces de lutte ?

— Vous pensez qu’il a trouvé ce qu’il cherchait ? demanda le commissaire.

— Difficile à dire. D’ordinaire, quand on trouve, on arrête de chercher et il y a une partie de l’appartement qui n’est pas chambardée. Mais il est possible que ce que cherchait le criminel fût bien caché et qu’il ne l’ait trouvé qu’à la dernière minute.

— Vous n’avez trouvé aucun indice ?

— Aucun. Le sol était jonché de papiers, mais je n’ai rien trouvé de bien intéressant. De toute façon, j’ai tout ramené, on pourra revérifier.

— Bien… Et vous, Thiébaut ?

— Madame Justine Lesage est arrivée au moment où nous faisions les constatations.

— Qui est madame Justine Lesage ?

— La fille de monsieur Poncalet.

— Vous l’avez interrogée ?

— Elle était trop émue pour ça. Je la reçois demain après-midi.

— Bien. Et ensuite ?

— J’ai interrogé le concierge. Il s’est absenté hier soir et n’est rentré que vers minuit. Les autres résidents de l’immeuble n’ont rien entendu.

D’Entremont poussa un soupir.

— Évidemment. C’est toujours pareil. Personne n’entend jamais rien !

— J’ai interrogé un gars qui connaissait Poncalet. Je n’en ai pas tiré grand-chose. D’après lui, Poncalet avait une vie bien réglée, prenait son repas tous les jours au bouillon Bréguet et jouait au piquet une fois par semaine.

— Un rentier assassiné pour lui voler ses économies ?