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Alliant humour et profondeur avec brio,
Vincent Bouton nous transporte dans un récit audacieux et inattendu, où la conteuse principale n’est autre que sa chienne, Justine. Avec la complicité de ce dernier, elle explore différents niveaux d’écriture, alternant entre son narratif propre et les réflexions de son maître notées tantôt Jplp – Je prends la parole –, tantôt HC – Hors Contexte – lorsqu’il s’agit de « chroniques poétiques annuelles » avec lesquelles
Vincent Bouton nous a régalés par le passé. Cette surprenante écriture de structure multicouche invite le lecteur à une véritable gymnastique intellectuelle, renouvelant ainsi le genre convenu et éculé du récit littéraire.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Médecin, ancien interne des hôpitaux privés de Paris, otorhinolaryngologiste,
Vincent Bouton est aussi licencié canonique de théologie de l’ICP – thèse sur l’évangile attribué à Jean. Il est l’auteur de plusieurs romans à l’instar de "Nicodème – Le disciple mystérieux", "La statue à sa fenêtre", "Deux heures avec ma mère". Il a également commis plusieurs essais et de nombreux recueils de poésie comme "Nos limites sont de cendre", qui reçut en 2008 le Prix Troubadour.
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Seitenzahl: 105
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Vincent Bouton
Le tour du pâté de maisons
Histoire de Justine du Bois-Farrand
Roman
© Lys Bleu Éditions – Vincent Bouton
ISBN : 979-10-422-3406-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Si tu as reçu la délivrance, sers-t’en pour délivrer.
Patrice de La Tour du Pin1
C’est un chien que tout le monde aimait, un labrador golden retriever que j’aimais bien aussi, joueur, se laissant caresser par les passants au travers de la grille du jardin de la Martinière où il avait grandi avec le petit garçon de cette drôle de famille. Juste en face de chez moi. Un jour, au cours d’une promenade, il disparut.
Mais avant d’aller plus loin, je dois me présenter.
Je m’appelle Justine. Mon histoire est celle de tout chien, enfin… presque. Ce que j’ai vécu beaucoup de chiens l’ont vécu, enfin… presque. Alors pourquoi raconter cette histoire ? Eh bien, simplement parce que, contrairement à mes congénères, je parle.
Mieux : j’écris. Chose impensable ! Mon ami d’en face, le labrador de la Martinière, m’a incité à prendre la plume.
— Toi, Justine, tu parles et tu écris comme les hommes. Alors raconte à tout le monde ce qu’est vraiment une vie de chien.
— Je n’ai rien à raconter, tout va bien.
— Eh bien, raconte ce « tout va bien ». On n’est pas obligé de ne raconter que ce qui va mal.
C’est ainsi que je me suis laissée convaincre. Mes maîtres seront sans doute un peu surpris.
Il jouait avec le ballon du petit garçon, avec les papillons, avec les feuilles d’automne qui tombaient des tilleuls. Il jouait avec le petit garçon. Il jouait aussi avec les vents qui passent. Quand il était seul. Souvent. Comme moi. Jusqu’à ce que… un jour…
Mon vrai nom est Justine du Bois-Farrand. Je suis issue d’une vieille noblesse de Springers Spaniel. Mon père était champion de France de notre race. À l’âge de trois mois, après une existence simple de chiot à beau pedigree dans un chenil douillet du Pas-de-Calais, près d’Arras, ils sont venus me chercher. Coups de brosse partout et toilette de détails. Ah ! Ces oreilles des Springers ! J’entends des voix inconnues derrière une porte. Mon éleveur, monsieur Poildur (ça ne s’invente pas !) m’a confié à la main ferme de son fils qui me retient. J’ai envie de m’enfuir.
Un jour, en jouant avec les abeilles, il avait entremêlé sa queue dans les tiges d’un rosier. C’est la première fois que je l’ai entendu aboyer.
J’ai un peu peur. Au loin j’entends les jappements de ma mère qui me dit de ne pas m’en faire. Facile à dire. Derrière la porte, les voix, qui parlaient d’argent et de papiers, se sont tues. La porte s’ouvre. Ma vie future est devant moi : cinq paires de bras tendus, cinq sourires qui s’offrent à moi comme si j’étais une mine d’or, le trésor caché des Incas, un Vinci inconnu… Allons, allons, ma petite Justine, tu dois rester modeste !
Je prendsla parole (jplp) 2 :
J’ai souvenir de ces femmes qui nous jetaient des colliers dépareillés depuis les balcons du Quartier français, dans l’atmosphère mouillée, aux relents d’alcool rhumé, d’un petit matin dont la bouche pâteuse évoquait une nuit définitivement trop courte et nettement en-rhumée.
À force de tirer et de se démener, il finit par laisser une grosse touffe de poils s’arracher de sa queue en plumeau dans le rosier.
Premier pipi d’émotion. Premières caresses, premiers bras, première laisse et premier voyage en voiture. Adieu les tétines de ma mère, la promiscuité de mes frères et sœurs de portée, la chaleur animale. Première soif et première fringale. Premier sentiment de solitude. Qui ne dure pas.
Dans l’auto qui m’emmène vers je ne sais où, je passe de bras en bras.
Jplp
Relents d’alcool et relents de jazz, un jazz beurré qui aurait dérapé sur les pavés mouillés de Bourbon Street. Là-haut, sur le balcon ouvragé, une fille noire plus belle que tout me montre du doigt et de la poitrine qu’elle remue, me faisant signe de monter. Rayon de soleil dans les volutes d’un matin enfumé. J’ai commis la faute de passer son collier autour de mon cou. Mais était-ce une faute ?
Les trois enfants assis sur les sièges arrière s’en donnent à cœur joie. Mais que vont-ils faire du nouveau pipi qui m’étreint la vessie ?
De bons maîtres ne devraient pas me laisser ainsi souffrir. Maman m’a bien recommandé, avant de partir, de me retenir en leur présence.
— Si ce sont de bons maîtres, ils ne te laisseront jamais longtemps avec tes envies.
— Oui, Maman. J’espère…
Il gardera toute sa vie cette trace des épines de rosier sur sa queue, une zone sans poils. On appelle cela une alopécie. Ce labrador avait déjà un charme fou, mais maintenant, avec sa drôle de queue, je trouve qu’il déménage carrément ! Toutes les chiennes en balade devant la Martinière sont folles de lui et tirent sur leur laisse pour s’approcher de la grille d’où il les regarde passer, sans aboyer. Juste un battement de sa queue bizarre pour les arreuiller. Pas crâneur, juste craquant.
Jplp
Quand je tourne le dos à Mary (c’est le nom que cette noire affolante des rues de La Nouvelle-Orléans m’a chanté3 du haut de son premier étage en me lançant un second collier plein de promesses) pour poursuivre mon chemin, j’entends descendre du balcon de fer forgé une bordée d’injures dans laquelle le mot « fuck » figurait plusieurs fois. Au loin, une odeur de café, comme tombée du ciel, me dit, elle aussi « viens ! » « Come on ! » Les pavés de la rue Bourbon fument en séchant sous les assauts d’un premier soleil encore timide, dans un silence de… pavés qui sèchent au soleil. Il y a des jours où l’on préférerait voler plutôt que marcher. Mary, pardonne-moi. Je t’ai volé ton prénom chanté et ne t’ai rien donné. Sauf un regard qui t’a fait entrer dans le jardin secret de mes émotions.
La voiture ralentit. S’arrête. Ils ont deviné : ce sont de bons maîtres. Une laisse autour du cou. Encore ! C’est une manie. Ils ont peur que je m’échappe, mais pour aller où ? Une portière qui s’ouvre. Me voici le nez sur l’asphalte. Il fait froid, ce qui active encore mon besoin… Oh ! comme ça sent bon ! Des odeurs de chiens, comme au chenil. Partout, ici, là, là-bas. L’occasion rêvée de leur signaler mon passage, ma présence. Et hop ! Je me baisse et vide ma vessie au milieu des cris de joie, des caresses. Une petite gâterie dans une main : je la prends du bout de la langue, me lèche les babines. Un bol d’eau. Je lape et me lèche à nouveau les babines. Cris et caresses !
— Qu’elle est drôle ! Comme elle est mignonne !
— T’as vu son petit bout de langue !
— Et sa petite queue qui remue en fouettant l’air !
— Allons, les enfants… il faut y aller…
On était en décembre. J’apprendrai plus tard que j’étais le cadeau de Noël des trois enfants à qui les parents avaient demandé, cette année-là ; « Qu’est-ce qui vous ferait plaisir pour Noël, cette année ? » Trois réponses sur trois Post-it.
Ils ont mis un mot dans notre boîte aux lettres. « Aidez-nous à retrouver notre chien Orion ! Il a fugué, hier, lors de sa promenade sur le quai. » Monsieur et Madame Untel avaient écrit le nom de leur chien. Je me suis laissé dire que Orion était le nom d’une étoile.
Trois Post-it jaunes, collés ensemble avec l’écriture de chacun des trois enfants. Trois Post-it. Tous trois avec les mots « un chien » écrits dessus.
Je reprends la parole (Jrlp)4 :
J’ai souvenir de ces femmes qui dansaient autour de nous en saris affolants lors d’une noce princière au Palais de Bîkaner. Elles nous jetaient des œillades parfumées de santal dans le vacarme rythmoïde des flûtes, des sitars et des tambourins. La sœur de la mariée était l’une d’elles. Plus belle. Kali.
Une portière s’ouvre. On me pousse gentiment à l’intérieur de l’auto. On me libère de la laisse et je retourne sur des genoux, dans des bras. Ça n’en finira jamais ! Je piquerais bien un petit roupillon. Le doux mouvement de la voiture, le ronron de son moteur ont bientôt raison de ma fatigue. Le temps d’y penser et me voilà dans les bras de Morphée (notez ma culture…). Mais Morphée s’appelait en réalité Emma, une adorable petite fille toute brune, aux yeux noirs comme moi.
Orion. Un chien qui porte le nom d’une étoile ! Le veinard ! Moi, Justine, je dois me contenter du nom d’une impératrice romaine et de celui d’une sainte. Ceci dit, Orion ne veut pas dire grand-chose si ce n’est « Là où le soleil se lève ». Ce qui n’est pas mal du tout ! Bon, je vais quand même donner un coup de main pour le retrouver. Mais je sais qu’il n’est pas parti très loin. Les labradors adorent l’eau et la Seine est juste là, à deux pas. Depuis le temps qu’il regarde, à travers quelques maigres buissons de la rive, passer l’eau du fleuve du haut de la balustrade de son jardin, Orion a dû concevoir une envie irrésistible d’aller y mouiller ses pattes, voire plus si affinités…
Quand je me réveille, toutes les portes de l’auto sont ouvertes et cinq visages me regardent. Dès que je m’ébroue, ce sont de nouveaux cris. Des mains me saisissent et me posent sur du gazon. Aucune odeur de chien, ici. De toute façon je n’ai pas envie de faire pipi, pas ici, malgré ce qu’ils semblent attendre de moi. Une petite crotte, par contre, ne serait pas de refus.
Elle danse une danse que je ne connais pas. Mon corps balourd la fait rire et ce rire de gorge est comme un aria dans une église romane, un jour de Pâques. Mes bras cherchent un appui dans l’air ; je suis comme un enfant qui apprend à marcher. Je vais tomber.
On m’indique un emplacement dans la maison avec une couverture qui sent la lessive où je suis censée me coucher. On m’y couche. La porte se ferme et je me retrouve seule. Je quitte aussitôt ma couverture pour m’approcher de la porte et tenter de l’ouvrir. Je gratte, je jappe et soudain la porte s’ouvre avec violence et une grosse voix m’attrape au passage, me saisit par la peau du cou et me pose avec force sur ma couverture, vous savez, celle qui sent la lessive. Puis la grosse voix s’en va, vers la porte et juste avant qu’elle disparaisse, je jappe à nouveau. La grosse voix ne comprend pas que la solitude m’effraie. La voilà qui revient, me repose sur la couverture d’où je m’étais éloignée et me dit ces mots étranges, mots que j’entends pour la première fois, mais pas la dernière, croyez-moi : « Coucher, le chien ; coucher là ! » Pas folle la guêpe ! J’ai bien compris qu’il ne fallait pas plaisanter. Deux mains m’ont saisie, m’obligeant à me coucher, joignant le geste à la parole. Ah bon ! « Coucher ! » ça se dit comme ça et ça veut dire ça ! Il faut que je vérifie. Voilà la grosse voix qui s’en va. Je ne bouge pas. Puis soudain, je quitte ma couverture. « Coucher, le chien, coucher là ! » m’ordonne la voix. Je me tapis aussitôt dans la position « coucher ». Je jette un œil. La grosse voix s’approche. Aïe, aïe… d’instinct je courbe l’échine. Mais sur cette échine c’est une main douce qui se pose. J’en frétille d’aise d’autant que la grosse voix s’est mue en voix douce, douce comme la main qui me caresse toujours.