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« La peinture est plutôt mono sensorielle. La couleur est un effet sur la lumière, ce que ne sont ni les odeurs ni les sons. En ce sens : la couleur est une responsabilité. En accord avec la pensée. […] Je ne peins pas mes souffrances. […] Je n’utilise pas la peinture pour faire écho au monde et ses misères. […] Si Dieu est peut-être la surprise de la mort, le beau, lui, est certainement la surprise de la vie. » Dans Rencontre avec Pascal Papisca, découvrez un voyage fascinant au cœur de la beauté et de la réflexion artistique.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Vincent Bouton, un écrivain aux multiples talents, a publié plusieurs ouvrages mêlant romans, essais, histoire, médecine et poésie. Il est lauréat du prix Cesare Pavese (équivalent italien du prix Renaudot) en 2007, dans la catégorie « Poésie étrangère ». Cette distinction consacre son amour pour l’Italie, pays grâce auquel il noue une relation privilégiée avec Pascal Papisca, un lien d’amitié profonde qui transparaît librement dans cet écrit et que chaque lecteur est invité à explorer du bout du cœur.
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Vincent Bouton
Rencontre avec Pascal Papisca
© Lys Bleu Éditions – Vincent Bouton
ISBN : 979-10-422-3414-0
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Demi-nu, 1982
Huile sur toile
(Collection particulière de l’artiste)
Il avait peint les plus belles fesses que l’histoire de l’art universel nous ait donné d’admirer. Mieux que Rubens, Ingres, Boucher ou Regnault. Mieux, car elles occupent pratiquement toute la toile, contrairement à l’Instruction de la Reine, aux odalisques grandes ou petites, blondes ou brunes, ou aux Trois Grâces dont les fesses ne sont qu’un détail. Derrière ces fesses-monument de Pascal Papisca, le corps semble disparaître et la tête du modèle est comme rejetée à distance. Mieux, car elles sont à la fois outrance et outrage. Mieux, car elles ne servent pas le tableau, comme un accessoire. C’est le tableau qui les sert. Leur carnation parfaite donne envie de les avoir entre les mains. C’est un appel à l’acte de la chair, à la possession. Non pas de l’œuvre comme toute peinture le revendique, mais de ce que l’œuvre propose et plus, et mieux : ce qu’elle offre.
Il a donc peint les plus belles fesses de toute l’histoire de l’art universel. Il a peint le plus beau portrait qu’un frère pouvait peindre de sa sœur. Luana. Il a peint le plus beau et le plus dramatique portrait d’homme que je connaisse. L’athlète. Il a peint la « Descente de croix » la plus improbable qui soit, dans laquelle le Christ entraîne avec lui dans la mort sa propre croix qui semble clouée à lui et non pas Lui à elle !
Il travaille sur des débris de toutes sortes, chiffons, cartons, restes de ciment, sacs à patates, cailloux, morceaux de bois.
Ces débris d’une société gavée dont les dents du fond baignent dans le jus pécuniaire anesthésiant de la bonne conscience d’elle-même et de ses valeurs. Il peignait sur des déchets de toutes sortes, chiffons et cartons. Stracchi.
Il peignait des visages dissymétriques et torturés, reflets de débris, déchets d’humanité gavés et dramatiques. Il buvait aussi. Il criait « Viva Zapata » !
Autoportrait décalé, 2014
Aquarelle sur canson 10x15 rehaussée de gouache
(Collection et photographie de l’auteur)
Il ressemble au « Cheyenne » de Sergio Leone1. Pascal est italien, cela tombe bien : un western spaghetti pour ce roi des pâtes ! Mon premier dîner chez lui, il y a trente ans : des pâtes ! Mon dernier dîner chez lui, il y a quelques jours : des pâtes. Les premières : des linguines aux cèpes et à la truffe ; les dernières : des orecchiette aux poivrons. Encore l’amour des couleurs. Des pâtes cuites al dente, une nourriture-peinture et toujours l’hésitation devant le vin qui accompagne cette amitié de l’assiette. Une amitié toujours rubis, gourmande.
Tignasse blanche servant des yeux de chat marron, mais clairs, bouche avide de manger, de boire, d’embrasser, de sucer et de dire, d’où vibre une voix italienne savamment entretenue comme la coiffure d’une vieille élégante.
Il dit :
— Je ne dessine jamais. Je commence avec un vieux pinceau, usé à la corde, âme. Esquisse. Vite. Brun. Avec des points de repère. Grosso modo : donner ce que j’ai en tête.
Je demande :
— Expressionnisme ?
— Oui, mais la toile peut modifier l’illusion de départ. Le hasard peut jouer un rôle important. C’est grâce à mes saloperies (sous-entendre « chefs d’œuvres »2) que je gagne ma vie. Je ne suis pas toujours content de moi. Il m’arrive de détruire des toiles, de les dilacérer au couteau, de les briser, de les jeter au feu.
— Comme Rouault ?
Il ajoute :
— Prendre le côté positif de l’erreur. L’erreur devient un résultat, comme chez De Vlaminck.
Je demande :
— Tes couleurs ?
— Orange. J’ai eu une période orange. Bleu outre-mer, des paysages bleus, des nus féminins bleus. Les rouges. Les jaunes intenses. Les ocres automnales. Les verts-chrome. Toujours en transgression. J’adore ce mot : transgression. Sortir de la nature naturelle. Visages violets. Doigts verts.
— Tes femmes ?
— J’en ai eu des tas… mais je n’ai jamais été un Dom Juan. Elles se sont livrées à moi plus que je ne me suis donné à elles. Je n’ai pas aimé les femmes, j’ai aimé la femme.
Je demande encore :
— Paris, Rome… Ces villes : comme des femmes aussi ?
— Oui. Des envies. Viscérales. Épidermiques.
Notre entretien a besoin de se structurer un peu. Je lui propose de commencer par une petite chronologie pour faciliter les choses.
— D’accord. Cela va me demander de gros efforts de mémoire. Tu me laisses faire des digressions, quand je veux.
— Pas de problèmes.
Pascal a quelque chose d’un enfant. Je lui fais écouter un court enregistrement de ses propos : il rit en s’écoutant. Un enfant. Cela tombe bien : nous allons commencer avec son enfance.
Le vieil égyptien
Dessin sur papier, aux cayons trempés dans la bière, 1996
Souvenir d’un voyage sur le Nil
(Collection de l’auteur)
Enfant d’immigrés italiens, Pascal naquit à Paris, rue Fermat dans le XIVe arrondissement, au domicile de ses parents, il y a tout juste 83 ans. Son père est rappelé par l’armée italienne sous la coupe des fascistes. Mussolini est au pouvoir depuis 1922. On est en 1939. Pascal a alors un an. Son père en a trente. Luana, la sœur chérie de Pascal, naîtra à Rome dix-huit mois après son frère aîné. Le Duce prononce la « Dichiarazione de guerra a Francia » du haut d’un balcon de la Piazza Venezia. Giovanni, le père brutal, servant dans le corps des « lancia fiamme », sera fait prisonnier par les Allemands. Il s’évade de son stalag en Allemagne avec, pour tout souvenir de ce geste héroïque, une belle rafale de mitrailleuse qui l’enverra à la mort après une blessure au rein droit, compliquée de septicémie. Pascal a six ans. Il vit avec sa mère veuve et sa sœur dans un minuscule appartement de la Piazza Firenze, numéro 24, au cinquième étage sans ascenseur, où ça pue la pisse de chat, raconte Pascal qui avoue ne pas avoir eu conscience de la situation. C’est la pauvreté absolue pourtant. Teresa, la maman de Luana et Pascal, est serveuse dans un restaurant et vit de pourboires malingres en ces temps de guerres et de tension nationale. Les enfants vont à l’école primaire, Vicolo Valdina, à Rome.
Deux ans plus tard, Casimir et Isidoro, oncles Scuderi de Pascal, les frères de Teresa, font venir la petite famille à Malakoff, en banlieue parisienne, où ils possèdent près de là, à Clamart, une fonderie d’art dont les affaires sont prospères. Pascal passera dix-huit mois entre l’école rouge de Malakoff et l’entreprise familiale. Tout le monde m’aimait, dit Pascal. Il a fallu rentrer à Rome à cause des rhumatismes de ma mère. Je n’oublierai jamais ce retour en train, entre joie et tristesse. Joie de partir et tristesse de quitter l’école où tous mes copains avaient déposé des petits cadeaux sur mon banc de classe la veille de mon départ. Pascal était 3e de sa classe bien que ne parlant pas le français lors de son arrivée. C’est un beau souvenir. Mon maître, Monsieur Weber, m’avait pris en exemple ! La gare de Lyon est triste. Teresa est triste. Et Pascal est triste de quitter la fonderie de Casimir et Isidoro où il a appris les rudiments du métier et aura probablement été touché, là, dans la chaleur des fours, dans les miasmes des acides de patine et la magie des cires perdues, par une certaine grâce artistique ou par la révélation de sa propre vie. Ou plutôt par les deux, l’un n’allant pas sans l’autre.
À leur arrivée en Italie, la commune de Rome prête à Teresa et ses deux enfants, une cabane sur le Monte Cucco, avec une chambre et une cuisine en tout et pour tout espace vital. Pascal termine son année scolaire de façon chaotique d’autant qu’il est frappé d’une probable méningite la même année. Sans conséquence. La commune de Rome reloge alors la famille dans un petit appartement populaire du quartier de Monte Sacro. Deux-pièces-cuisine. Un jour, la maman de Pascal et Luana trouve dans la rue des billets de 2000 et 5000 lires. Elle achète de la bouffe et fait découvrir à Pascal la joie du gueuleton. L’enfant n’est toujours pas conscient de la situation. En rentrant de l’école, il s’amuse à dessiner à la craie sur un tableau noir et se fait régulièrement engueuler par sa mère (dont il partage la chambre) à cause de la poudre de craie qui envahit l’espace commun. Son premier vrai dessin, spontanément, sans avoir appris : la copie d’une Madone pour laquelle il reçoit l’avis favorable de son maître d’école qui exposera tous ses dessins sur les murs de la classe. Car il y aura d’autres dessins, beaucoup d’autres. La misère ne l’empêche pas de s’amuser et d’aimer la vie comme les dessins et sculptures du voisin du 6e étage que Pascal découvre à l’âge de 7 ans, ou comme ce Luigi, de la Piazza Firenze, garçon de restaurant qui allait pisser avant de faire la cuisine sans se laver les mains ! S’amuser. Aimer la vie.
Dans le quartier de Monte Sacro Teresa achète un petit appartement sur prêt grâce à un nouveau mari, rencontré au centre de soins pour rhumatismes d’Aqui Terme. Francesco Calcagno est policier. Il apporte de la stabilité et un brin de confort à la famille Papisca. Il apporte aussi de l’affection. Surtout, il adopte les enfants qui l’aimeront plus qu’un vrai père. Pascal a pleuré sa mort en 2010, Francesco avait 95 ans. C’était lui mon père.
À l’âge de 13 ans, c’est la fin de la scolarité obligatoire en Italie, Pascal quitte le domicile de ses parents pour faire le coursier, à droite et à gauche. Il dessine sur tous les types de support et dort aussi à droite et à gauche. Il gagne misérablement sa vie, mais parvient à vendre des dessins et des portraits dans les « trattoria » de la ville : avec cet argent il participera à l’achat de l’appartement en aidant au remboursement de l’emprunt contracté par Francesco et Teresa, et ce, pendant une bonne dizaine d’années avant son retour en France à 26 ans chez ses oncles Scuderi. Mais pour l’instant, Pascal réussit à avoir ses entrées au Mille Uno, une boîte de nuit où travaille une amie de l’adolescent, entraîneuse de son état, une adorable pute, dira Pascal. Il vend là ses dessins, signés ou pas, jusqu’à ce qu’un jour, un client lui propose d’exposer. Il commence à gagner du fric.
C’est sa première galerie, dans la rue des peintres, entre Via Margutta et Via del babbouino : la galerie « Dei Leoni ». Pascal vit bien, vend bien et dépense tout. Il s’adonne aux paysages de la campagne romaine. Il peint des fenêtres, des villas, des coupoles et des dômes. On se fait sa culture sur le terrain dit-il. N’empêche : avec ses quelques sous, il s’offre des études d’art, à Rome. Il a 18 ans. Il découvre les nus, la nature morte, les modèles. Les modèles ! Elles auront marqué la vie artistique et sexuelle de Pascal, comme pour beaucoup d’artistes, mais là, en l’occurrence, le nombre est impressionnant. Impressionnant et impressionniste : il quitte le figuratif et son dessin léché pour l’impressionnisme où la couleur domine le trait. Mais retenons bien que Pascal était un dessinateur, un vrai. Il ne quitte pas le « trait » sans savoir ce qu’il quitte. La couleur : c’est ma drogue, comme l’odeur de la térébenthine. Je me saoulais en continu ! Il continue de dépenser tous ses gains au Mille Uno et ne garde que le strict nécessaire pour s’alimenter en pinceaux et en couleurs : C’est ma bohème !
On est à la fin des années cinquante. Il réussit à vendre une cinquantaine de toiles à la Banca Nazionale de Lavoro, grâce à l’amitié du directeur de cette banque, ce qui lui permet de trouver à se loger dans un petit appartement, ce qui vaut mieux pour ses abattis : Pascal est plutôt impulsif, bagarreur et plus ou moins violent. Il tient ce régime particulier jusqu’à l’âge de 26 ans.
Rome, ça suffit ! Basta !
Il quitte alors l’Italie en 1965 pour venir travailler en France chez ses oncles, fondeurs d’art, car Papisca s’est mis à la sculpture. Il paraît que les sculpteurs ont tripoté leurs crottes dans l’enfance… Pas moi ! me dit-il en riant et en réclamant une nouvelle tasse de café, c’est un jeudi après-midi de conversation. J’avais envie d’entrer en tridimension.
Au début de sa vie parisienne, Pascal habite chez son oncle, rue François Etienne, dans la fonderie de Clamart, puis il décide de vivre en colocation rue du Bac avec deux autres italiens rencontrés dans un bar, jusqu’à ce qu’un jour, après 3 mois de vie commune, les flics débarquent sur les lieux pour une fouille générale. Les deux gugusses faisaient du trafic en tous genres et s’étaient fait repérer par la police. Pascal n’est pas dans le coup. Il n’est pas inquiété par les poulets. Heureusement, il a fait la connaissance de Laura, une belle Italienne sexy, portant bien la mini-jupe à la mode. Il n’en faut pas plus pour que notre artiste jette son dévolu sur la belle court-vêtue et obtienne d’elle le gîte et le couvert, au Plessis Bouchard près de Franconville, Ermont et Eaubonne, au nord-est de Paris. Son amour des femmes n’en est pas à son début ni à sa fin, et va de pair avec son amour des voitures : des Coccinelles à Rome, puis des 2CV, une Fiat 500. Avec Laura il achète une 4 CV, qui n’est donc pas la premier ni la dernière ! Au bout de deux ans de bons et loyaux services, Pascal se sépare de Laura et vient habiter Paris, boulevard du Montparnasse, dans une chambre de bonne où, dit-il, il a vécu les plus beaux jours de sa vie. Là, près de l’église Notre-Dame des Champs et presque en face de la célèbre « Coupole », il vit sa vie d’artiste et cela commence par la fréquentation de certains lieux comme le Sélect où notre bel italien (C’est vrai, j’étais plutôt beau gosse…) prend ses habitudes, rencontre notamment Sartre et de Beauvoir (en fait il les croise simplement, mais enjoliver sa propre vie n’est pas un péché, si tant est que ces deux personnages puissent être considérés comme des enjoliveurs de vie…3) sans jamais quitter son carton de peintre, attribut indispensable, à toutes fins utiles. Et c’est ainsi qu’il obtient de faire sa première exposition à Paris dans son quartier natal du Montparnasse, à la galerie « Foyer des artistes » au cours de l’année 66, avec l'aide du maire du XIVe