Le vivarium d’Aïcha - Halima Alaoui - E-Book

Le vivarium d’Aïcha E-Book

Halima Alaoui

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Beschreibung

"Le vivarium d’Aïcha" vous invite à découvrir l’histoire d’Aïcha, une femme façonnée par la solitude et les désillusions depuis son enfance. À quatre-vingts ans, après avoir vécu quatre mariages, elle se retrouve sans enfants, un vide qui hantera son existence comme le plus grand drame de sa vie. Explorez les profondeurs émotionnelles de son parcours, où chaque épreuve révèle la résilience d’une femme face aux tourments de la vie.




À PROPOS DE L'AUTRICE




Halima Alaoui s’inspire des traditions de son pays natal et explore la condition des femmes dans la société marocaine. Elle est auteure de "Les amants de Marrakech" publié par Le Lys Bleu Éditions en 2023. "Le vivarium d’Aïcha" est son deuxième ouvrage.

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Halima Alaoui

Le vivarium d’Aïcha

Roman

© Lys Bleu Éditions – Halima Alaoui

ISBN : 979-10-422-2642-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À la mémoire de Lala Aïcha Cherifa

Chapitre I

Au pays des merveilles

Fête d’Achoura, la musique est partout, ça tambourine dans tous les coins, des youyous, des femmes, les corps conquis des jeunes filles attirant le regard des garçons et charmant les hommes. Cette fête est un mélange de pseudo-religieux, de traditions. Peu de monde peut expliquer pourquoi on célèbre cet événement, mais on y est tout de même. Les vendeurs d’instruments de musique traditionnelle ont pris place. Chaque marrakchi s’improvise musicien. Moi, je me regarde dans le miroir, je ne sais pas encore comment je vais m’habiller, me coiffer pour la soirée. Chez Oum Khala. nous sommes tous conviés, je retrouverai les filles, pour une nuit blanche et bruyante.

J’entends mon père m’appeler. « Aïcha, le thé est prêt ? J’arrive, père… » Je fais un nœud avec mes cheveux et je me dirige vers la cuisine… En flèche… Je vis avec mon père, Sidi Mohammed, mes deux frères, Mustapha et Malek, j’ai perdu ma mère, il y a longtemps. Elle est partie. Elle me manque. À chaque instant. Le jour, la nuit.

Le thé commence à déborder.

Ces derniers jours, je suis tête en l’air, je crois savoir pourquoi.

Je rapporte le plateau de thé au patio, là où mon père s’allonge, à l’ombre de notre oranger, c’est la pleine saison de la fleur d’oranger. Le printemps est ma saison préférée. Cette fleur est le symbole de la pureté et de l’amour. Les marques de l’espérance. Cette fragrance porte le souvenir de ma mère. Elle embaume tous les recoins de la maison. J’attrape quelques délicats pétales, pour parfumer mon thé. De merveilleuses délices. Je sais comme mon père aime cela.

Après son second thé, mon père me regarde longuement. Il me demande : « Tu ne veux pas te marier avec Abdeslam ? C’est un bon parti, comme ça je mourrai tranquillement… » Je le regarde avec surprise, je lui dis que je veux simplement travailler. Me marier avec cette personne ne me dit strictement rien. Je commence à rougir, car j’ai du mal à cacher mes mensonges. Moi, je veux me marier avec Mohamad, depuis que nous sommes vus chez Dar lmalaak, là où je travaille. Je suis la nounou de trois enfants : Khaled, Ibtissam et Nadia, et lui est le fils de la gouvernante de la maison, Lambarka. Il vient, chaque été, de France.

La gouvernante est une petite dame stricte, qui tient la maison. Mon père ne voit pas, d’un bon œil, notre relation. Mohamad est un fils unique. C’est l’homme rêvé de toutes les femmes qui m’entourent, c’est ce que je pense. Il est grand, beau, imposant, la voix douce et les gestes tendres. La France l’a adouci. C’est lui qui a fait le premier pas vers moi. À chaque fois que je le vois, je n’arrive pas à le regarder dans les yeux. Toutes nos conversations se déroulent à l’abri des oreilles et des regards.

Printemps 1972, mon père se remarie avec Lazahra, une femme que je n’apprécie pas, mais pas du tout ! Elle n’est pas à mon goût. D’ailleurs, mes frères pensent comme moi ! Sa difficulté principale : elle cherche, toujours, à prendre « la place » de notre mère. Une histoire connue ! Lazahra ne déroge pas à cette règle. Nous la connaissions bien, elle demeurait à quelques maisons de la nôtre. Une sorte de voisine de quartier.

Mon père et son épouse sont les précurseurs du chacun chez soi. Nous ne nous retrouvons que pour partager quelques repas, ou certains moments de joie. J’ai la chance de ne pas partager leur quotidien en permanence. Mes frères de même, Dieu nous en garde !

J’ai demandé à mon père l’autorisation d’aller voir Oum Khala, ma grand-tante préférée. Elle appartient à la famille de Lmalaak (les propriétaires), une grande famille de notables à Marrakech.

C’étaient des gens riches, qui ont conservé leurs biens, même pendant le protectorat de la France, qui a duré de 1912 à 1956. Avec le départ des Français, et donc, de l’indépendance du Maroc.

Oum Khala me convie, chaque année, pour célébrer Achoura, comme il se doit. Il convient que je me hâte de me préparer. Je dois partir avant la fin de la journée. Sinon, mon père ne me laissera pas quitter la maison. Les femmes, de bonne famille, sortent le jour, surtout pas la nuit. Celles qui ont ce genre de pratique sont des femmes de « petite vertu », comme on dit, avec une pointe de sexisme et de condescendance. Elles se baladent dans l’obscurité…

J’enfile mon kaftan, je chausse mes babouches dorées, je mets mes cheveux sur le côté, je me pare les yeux d’un peu de kohl, la swaka sur les lèvres, une plante sèche, qui constitue, pour nous, les femmes du Maroc, un rouge à lèvres naturel. Je dépose quelques gouttes d’huile de fleur d’oranger, faisant office de parfum, autour de mon visage. Je peux dire « au revoir », de très loin, à mon père pour qu’il ne voie pas mon maquillage. Je claque la porte derrière moi et je laisse tous mes soucis sur place. Je me déplace, en hâtant le pas. Je vais à une vitesse folle, pour retrouver mes amies, et je ne fais même pas attention aux regards des hommes, qui croisent le mien. Enfin, un peu, tout de même. Et je me lance, dans cette soirée, sans attendre.

Les femmes chantent et dansent en même temps. Moment de liesse. Je regarde tout autour de moi. Je dis : « Bonsoir ! » Personne ne semble m’entendre. Mes yeux balaient les gens, les groupes. Je suis, un peu, comme dans un songe, Touria, Latifa, Lafatena, Lazoubida… mes amies et mes sœurs sont là. Un festival de couleurs, de parfums. Je me précipite au centre du salon. Je suis happée par la musique, en transe, je me déhanche en cadence. Fatena Bent Lhoucine chante Kharboucha.

Notre rock-star à nous, une voix puissante, qui chante l’amour et la politique. Deux tables dans un coin du salon portent des gâteaux, du thé, des paquets de Winston. Je profite de cette évocation, pour rappeler que les femmes marocaines, de « bonne famille », fument sans vergogne. Cela fait partie des traditions sociétales. Une bouche ornée de rouge, une cigarette que l’on tient du bout des doigts, la flamme d’un briquet, le premier nuage de fumée… L’élégance absolue !

Pour moi, c’est interdit, mon père veille, il serait capable, s’il me surprenait, de me couper les lèvres. Rien que d’y penser, un cauchemar ! J’aime ma bouche, sa sensualité. Pas facile de transgresser !

J’attrape un verre de thé et une corne de gazelle. Mon bonheur ! La soirée continuait à battre son plein. Pour ma part, j’ai hâte de m’asseoir pour évoquer les prémices de mon histoire, avec moi-même. En y repensant, je sais que mes yeux pétillent, mon cœur palpite. Quand je pense à ce garçon, j’ai la certitude de l’aimer déjà. J’imagine son corps. Je rêve !

Une petite voix s’est logée dans ma tête. « Reste calme ! Attention, parfois. » Cela me fait rire. Il ne peut rien m’arriver ! On dit, souvent, que les femmes amoureuses s’exposent à la souffrance, qu’elles sont en fragilité. Ce serait une sorte « d’accident de vie » ! Pour moi, il ne peut rien m’arriver. On ne s’attend, jamais, à cela.

La musique s’estompe, nous nous répartissons dans la pièce, pour partager les victuailles. Nous allons pouvoir nous répandre en bavardages. Je souhaite qu’on me donne des avis sur cet homme, qui vient de loin. Dada Zayna, la grande prêtresse de la cuisine, entre dans le salon, avec un beau plat de service, chargé de quatre poulets au citron. De son autre main, elle porte du pain au sésame, fait maison. Nous allons nous régaler. On ne partage pas un tel festin, tous les jours.

Après le dîner, nous nous mettons en cercle pour raconter nos histoires, nos aventures, nos soucis. Nous faisons vivre les traditions, les anecdotes, les moments de partage et de mémoire collective. Depuis toujours, j’écoute avec attention ce que chaque fille raconte. Je trouve qu’elles sont accablées de difficultés, bien plus que moi. Pourtant, j’occupe la place de l’indigente et de l’orpheline.

Peut-être parce que je ne me préoccupe pas de l’avenir lointain, c’est la force des besogneux, vivre au jour le jour, surtout dans les difficultés.

Je me lance et d’un seul coup, je vide mon sac. « Les filles j’aime un homme, qui vit en France… D’après ses regards et nos quelques mots échangés, je lui plais aussi ! »

Les filles ouvrent grand les yeux et me regardent avec stupéfaction. Toi, Aïcha, la gentille et timide, tu as parlé à un homme et tu es amoureuse ? J’étais choquée, je ne vois pas le rapport parce que je suis douce et discrète, j’ai le droit de rencontrer un homme et l’aimer. J’ai essayé d’aiguiller la conversation sur d’autres sujets. À partir de cette nuit-là je me suis promis de ne jamais raconter mes histoires à personne, quand je sens le besoin de partager, je vais voir ma mère au cimetière et je raconte. Je sais qu’elle m’écoute, elle me comprend et elle ne me juge pas. Même si elle ne me répond jamais. Ce n’est pas plus mal, car, de fait, je n’ai pas envie d’évoquer mes états d’âme, simplement les raconter. Cela m’aide à vivre.

C’est le petit matin, les oiseaux commencent à chanter. Ils vont célébrer l’arrivée imminente du soleil. Les filles sont fatiguées, leurs yeux se ferment. Elles se précipitent sur les canapés du salon, objectif : dormir le plus vite possible, après une nuit de danses et de chants. Moi, je suis moins libre qu’elles. Je ne peux pas tout me permettre, je retire mon caftan, j’enfile ma jellaba et mes souliers. Je me démaquille, et je me coiffe d’un chignon serré.

Vite ! Le travail m’attend, je quitte le riad de Oumi Khala en vitesse et je prends un calich, le taxi traditionnel chez nous, avec d’autres passagers, direction le quartier de Gueliz, là où je travaille !

À l’entrée, Lambarka, la gouvernante, me jette un regard sévère. Effectivement, j’ai un peu de retard, mais elle peut m’accorder une petite demi-heure de répit, avec tout ce que je fais pour les aider dans leurs tâches quotidiennes.

Je sais que je ne fais pas cela pour ses beaux yeux. Si j’agis de la sorte, c’est pour son fils Mohamad, le fiancé de mes rêves ! Dans quelques jours, il va rentrer de France, pour les vacances d’été. Je suis persuadée que ce sera le moment idéal, pour demander ma main. L’idée, elle-même, me met en émoi, en me donnant une joie incommensurable. Je vais devenir une épouse.

Après, je pars avec lui, vivre en France, le pays de toutes les extravagances. Enfin !

Bien dormi cette nuit et cerise sur le gâteau, j’ai rêvé de l’être aimé. Nous nous baladons dans la médina, mon alliance fait mon bonheur. Nous discutons de tout et de rien, je ne me rappelle pas nos mots. Mes songes manquent beaucoup de détails, à mon réveil. Je cherche dans les recoins de ma mémoire.

Ce n’est pas grave, il arrivera dans quelques heures, c’est la réalité et c’est la première fois que la réalité est plus belle que mes rêves. C’est absolument ce qui compte !

Je prends un petit déjeuner en vitesse, je mets du henné sur mes cheveux, un masque de pétales de rose et laaker lfassi (la poudre de coquelicot), sur mon visage. Je vais au hammam. Je fais mon gommage, pour que ma peau soit douce et voluptueuse, mes cheveux prennent des nuances de rouge henné, mon visage est comme maquillé de bonheur. J’aimerais que mon corps fût à l’unisson de mes désirs. Ma vie va commencer !

En rentrant, je trouve mon père allongé à l’ombre, un verre de thé à la main, je m’assieds à côté de lui, pour partager ce moment, et échanger quelques mots. C’est son jour de repos, il a sorti le grand tapis turc, celui qui est chamarré de couleurs, le service de thé Bellar1 et il a mis sa plus jolie jellaba sousdi2, blanche et noire. Mon père est, depuis toujours, un homme élégant.

Oui, je suis sa première admiratrice. À son regard, je crois qu’il a compris ce qui se passe. Oui, il est intelligent aussi.

Avant de partir, il dit un mot que je n’ai pas compris, sur le champ. Je crois que je ne vais pas tarder à le saisir. Il m’a dit d’une voix triste et mélancolique, « À force de regarder le ciel, on se casse le cou ». « Merci père, à ce soir », ai-je rétorqué.

À mon arrivée à la villa, les enfants sont avec le professeur de musique, je salue la patronne, qui feuillette un magazine.

Je pars vers la cuisine, Lambarka n’est pas là, elle est partie pour l’aéroport, avec Si Brahim, le chauffeur, ils vont ramener l’élu de mon cœur.

J’aide Saadia pour les salades, même si ce n’est pas mon travail. Je piétine !

J’ai envie de tout faire, absolument tout, pour que l’accueil soit digne de l’amour que je lui porte.

Tout est prêt, ça klaxonne au portail. Une émotion s’empare de moi. Je ne sais plus quoi faire, je me mets débout, je pince mes joues, je passe la main sur mes cheveux, j’ajuste mon décolleté pour qu’il voie la naissance de ma poitrine. Bonjour Aïcha ! sa voix me chamboule. Je lève la tête. Je le vois… J’ouvre la bouche, mais rien ne sort, pas un mot. Mon cœur s’emballe. Il bat la chamade. Je sens que je vais tomber. Il n’est pas seul et il n’est pas arrivé avec une valise. À son bras, une femme, qui lui tient la main droite, une alliance à la main gauche. Pas de place pour moi ! Mes rêves s’effondrent, en une fraction de seconde.

Je tombe en défaillance !

Quelques jours s’écoulent après cet épisode, épouvantable et dramatique, de ma vie. Sur le moment, je ne peux retourner à mon travail, je suis sans forces et sans courage. Mohamad tente de m’expliquer l’inexplicable. Il veut m’éclairer sur la situation : la dame qu’il a ramenée de France sera sa femme « là-bas », et moi, je serai sa femme « ici ». J’en reste ébaubie, estomaquée, le masque tombe ! Je le regarde sans le voir, je l’entends sans l’écouter. Il raconte sa billevesée, sans nom, avec un aplomb formidable. À cet instant précis, je sens beaucoup de mépris, tout l’amour que je lui porte s’évapore, se dissout. Ces mots ridicules, ses explications ineptes sont émétiques. Il ne sait pas à quel point je l’ai aimé… Je l’ai aimé d’un amour total, indivisible. Je lui ai donné le meilleur de mes sentiments et de mon affectivité. Je l’ai aimé d’amour et je me suis trompée. Je pars sans aucun mot, je le laisse tout seul, en train de pérorer sur l’amour et le sacrifice. Il aime prendre des postures, j’ai coutume de dire, dans ce cas : « Quand on est dans une posture, c’est qu’on est dans l’imposture ! »

Pourquoi a-t-il pensé que j’accepterai d’être la seconde, la remplaçante, la femme des « vacances » ? Pourquoi n’ai-je pas le droit d’être la seule et l’unique ? Il faut croire qu’il ne me connaît pas, pour réagir ainsi. Quel idiot ce Mohamad !

C’est la fin de notre histoire, un conte de fées tragique, il s’achève mal. Je ne me rends pas encore compte à quel point cette impasse infernale va marquer ma vie.

Sur le chemin du retour, je prends ma décision, je vais arrêter de travailler pour Dar Lmalaak. Tout me ramène à lui et moi j’ai envie d’oublier, je veux enterrer cette histoire. L’enfouir loin de moi. Il faut que je me remette en mouvement.

J’ai envie de recommencer, tout, depuis le début. Je suis dans une impasse. Stop ! En marche !

Je passe une nuit en larmes. Je sens que ma peine cherche à sortir de moi. Au réveil, les rayons du soleil ramènent la lumière promise. Je sens mon cœur qui souffre, mon esprit est touché. Mon âme est brisée. Ma conscience se manifeste, elle illumine mon esprit espiègle et combatif. C’est le jour de l’Aïd lkbira.

Tout cela s’aggraverait, sans compter sur la « bienveillance » de l’épouse de mon père. Elle est déjà là, pour me faire sentir ma défaite, mon échec à trouver un mari. Pour mon père, elle est venue pour me « remonter le moral », mais nous les femmes, nous nous connaissons, nous nous comprenons. Après les amabilités du début, elle et moi savons que la guerre est déclarée entre nous deux, nous ôtons nos masques, nous jouons, franc-jeu. Elle me lance avec une fausse compassion de circonstance : « Ça va, Aïcha ? J’ai appris la mauvaise nouvelle. Je comprends que tu sois triste, c’est un homme en or… » Je la regarde, fermement. D’un air dédaigneux, je lui réponds : « Ne t’inquiète pas pour moi ! Les hommes précieux n’ont pas disparu, complètement, du monde. Ce ne sont pas des mammouths ! »

Et je souris à ma belle-mère, je crois qu’elle vient de comprendre à qui elle a à faire. Ma mère m’a appris une chose, ne pas se laisser faire… Je ne montre ma faiblesse à personne. C’est la seule chose qu’elle m’a inculquée, je n’ai pas eu la chance de la connaître mieux. Je fais tout pour lui ressembler, c’était une femme douce et affectueuse, mais lorsqu’il fallait taper du poing sur la table, mieux valait être loin d’elle ! Je rapporte, ici, quelques souvenirs, encore vifs, de cette femme, qui m’a abandonnée très tôt.

Aujourd’hui, malgré la présence de ma belle-mère, j’ai envie de passer une journée joyeuse, avec ma famille proche. Les occasions de nous retrouver tous ensemble, pour toute une journée, sont rarissimes, sauf pour l’Aïd. Dans ma vie, il y a mes frères, Malek et Mustafa. Ils sont très différents l’un et l’autre, je ne pourrais pas vivre sans eux.

Mustafa est un homme grand, et bien musclé, un teint basané et des yeux noisette, qui brillent tout le temps, comme ceux d’un enfant. Il est son propre patron, la journée, il vend de petites antiquités au souk d’lkhmiss, et le soir, il est musicien dans un groupe de gnawa, à « La Mamounia », l’hôtel mythique de la ville, devenu si célèbre, après le tournage du film, culte, d’Alfred Hitchcock « L’homme qui en savait trop ». Aujourd’hui, c’est une sorte d’institution « people », où il convient de « voir et d’être vu ».