Les aveugles pleurent comme les autres mortels - Jean-Michel Faure - E-Book

Les aveugles pleurent comme les autres mortels E-Book

Jean-Michel Faure

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Beschreibung

« Alors vint le moment où je l’invitais à danser. D’abord, elle ne comprit pas, puis se rendant compte que ma requête était sérieuse me demanda sur quelle musique. I Just Called to Say I Love You de Stevie Wonder. C’est magnifique, j’ai ça sur mon Walkman, j’ai des écouteurs séparés, on va en prendre chacun un ! Elle se leva doucement, un peu au ralenti, et s’accrocha à mon buste délicatement. Avec mes bras, je lui serrais sa taille fragile comme du cristal. Je tremblais. Sur la plage, des dizaines de paires d’yeux nous fixaient du regard. Moi je m’en foutais, j’avais les yeux fermés comme… Coralie. Et la chanson prit fin, laissant juste le temps aux frissons continus de terminer leur danse. »


À PROPOS DE L’AUTEUR


Jean-Michel Faure est auteur d’un recueil de nouvelles et lauréat de concours littéraires. Ce voyageur explore la vie avec curiosité et trouve l’inspiration dans le cinéma, le théâtre et la musique. Alliant habilement les mots en fonction de ses rencontres et de son imaginaire, il nous offre avec Les aveugles pleurent comme les autres mortels son premier roman.

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Jean-Michel Faure

Les aveugles pleurent

comme les autres mortels

Roman

© Lys Bleu Éditions – Jean-Michel Faure

ISBN : 979-10-422-0256-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122- 5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122- 4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335- 2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

À mes parents

À ma sœur Annie Faure

À Élisa, Laetitia et André Carvalho

À Rosine Lantheaume

À Nicolas Nithart

À Mémé Guillemin

Je suis doué d’une sensibilité absurde,

ce qui érafle les autres me déchire.

Gustave Flaubert

Île Maurice… Mercredi 6 mars 1985… Grand Bay… Inoos… Baké…

Banian… Lagon assombri… Banana café…

L’étroit parking, coincé entre la Police station et la plage, était encore empli de touristes très excités à l’idée de voir le soleil se coucher. Plus qu’une vingtaine de minutes à patienter et le spectacle serait assuré.

Assis entre une Nissan rouge et un vieux Land Cruiser, deux hommes, eux, s’en foutent du sunset à venir... L’habitude sans doute ! Le dos appuyé à son tricycle à moteur, Inoos, comme chaque jour, porte un kurta traditionnel tout en dorure et son casque de moto vissé dessus la tête. Baké avait enfilé son sempiternel jean troué et son bandana étoilé. Tous les soirs ou presque, ils se réunissent à trois copains, au même endroit, pour refaire un monde qu’ils ne trouvent pas juste, ou bien pour plaisanter. « Mais où est donc le troisième ? »

— T’as raison, mais il est où, Naden ? s’inquiéta Baké…

— D’après toi ? comme d’habitude, à la salle… Attends, je lui téléphone ! dit Inoos en se lissant la barbe.

— Et alors ! qu’est-ce qu’il dit ?

— Qu’il arrive !

Un long silence suivit... Un silence comme gêné, forcément dérangé par un ange en maraude. Les deux hommes en profitèrent pour regarder leurs pieds, qui semblaient égarés dans des tongs en gomme bleue visiblement trop grandes et méchamment usées. Il était temps pour eux d’aller boire quelques bières indigènes au Banana café, de l’autre côté de la route.

Naden les rejoindrait.

Ils se levèrent doucement, comme pour ne pas troubler le banian centenaire et ses racines tordues qui leur servaient de banc. Sans le moindre regard au lagon écarlate, ils traversèrent la route à l’asphalte encore chaud.

Au loin dans l’océan, derrière la barrière aux coraux endormis, un soleil fatigué s’enfonçait doucement. Une barque évanescente disparaissait là-bas, dans un ciel incendié. Un paille-en-queue revenait de la chasse bredouille et énervé. Il poussait des cris métalliques.

France… Mercredi 20 février 1985… Val-de-Munster… Département

de la Moselle… Lancôme… Maman… Hugo… Cindy…

J’avais embrassé très fort maman ce matin-là, toujours sur la même joue, toujours assez longtemps, le temps de respirer son parfum de l’amour, son éternel Guerlain, et de m’en imprégner jusqu’à la belle ivresse. Puis je m’étais assis… Impuissant à ses larmes !

— Ne sois pas triste, maman. Il y aura Sœur Cindy qui sera sur place pour me veiller. Vraiment, tu n’as pas à t’inquiéter pour moi !

— Je sais tout cela mon fils, n’empêche que la maison sera bien vide sans toi !

— Promis, je t’appellerai tous les jours... Et puis je te rapporterai plein de photos.

Je sentais maman totalement désorientée par mon départ et c’était normal, il fallait la comprendre. Depuis le décès de papa, sa vie n’était plus la même… Et moi qui partais à l’autre bout du monde… En vacances !

— Et puis je reviendrai vite te voir ! Un mois, cela va passer très vite.

— Je n’en suis pas certaine.

Maman ne me regardait pas… Son regard fuyait vers les coteaux sombres et le canal des houillères de la Sarre qui cheminait sans fin entre les arbres nus.

— Et Sœur Cindy, elle est toujours OK pour m’héberger ?

— Oui, bien sûr, Hugo. Mais promets-moi d’être bienveillant avec elle !

— Je le serai.

Tracassée, mais comme rassurée un peu, maman m’a embrassé dans les cheveux – une de ses habitudes – et m’a remercié.

Je passais les quelques jours du départ à parfaire mes valises. Elles étaient chargées, mais on ne sait jamais !

Comme cadeau de départ, je reçus de maman – je le savais déjà – mon billet de train et mon billet d’avion. L’émotion fut malgré tout intense… Des larmes, beaucoup de larmes coulèrent, mais aussi du champagne. Brut le champagne.

France… Mercredi 6 mars 1985… Metz… Paris Roissy… Cognac Tiffon…

Pierre Soulages… Hugo… Airbus 720 Air France… Out of Africa

Le matin du départ, maman était avec moi à la gare de Metz où j’allais prendre mon train pour Roissy–Charles-de-Gaulle… Train 8456 – Wagon F - Siège 112. C’était mon premier départ pour un si long voyage et je m’étais habillé légèrement, car sous les tropiques, c’était l’été austral. Maman, soucieuse, comme d’habitude, m’avait donné ses dernières consignes jusqu’au bout du quai… Et deux croissants au cas où ! Elle pleurait encore… Moi également. Au dernier moment, elle me confia une gourde en plastique d’eau bénite de Lourdes à remettre à Sœur Cindy.

Puis le train est parti, laissant maman toute seule avec toutes ses prières et le Républicain Lorrain calé dessous un bras.

Après de nombreuses heures d’attentes à Roissy–Charles-de-Gaulle, mon vol s’affichait enfin maintenant en lettres électroluminescentes.

Départ 19 h 45 Roissy–Charles-de-Gaulle, Terminal 2, Porte M.

Je n’étais pas pressé, seulement un peu nerveux... Nous allions voyager de nuit !

Alors que j’étais coincé entre une dame âgée et un hublot rayé, l’avion décolla avec trente minutes de retard ! J’étais à peu près certain que nous allions nous crasher en bout de piste. L’A310 d’Air France était si bondé qu’il donnait l’impression d’être avachi sur le tarmac. Dans la cabine flottait comme une odeur d’appréhension. Beaucoup de monde redoutait le décollage qui s’est malgré tout pas si mal passé que ça. Cela aurait pu être plus doux pour moi, mais c’était sans compter sur ma voisine de siège qui s’était agrippée à ma main droite pour la serrer très fort au point de me scarifier avec ses putains d’ongles acérés comme une dague. Du coup, je saignais un petit peu, mais pas trop. La vieille dame s’est excusée et m’a remercié. De quoi ? je n’en savais rien.

Les boissons arrivèrent au niveau de la grande couronne parisienne et j’ai attaqué par deux bières Kronenbourg à peine fraîches. Cela me détendit. Le dîner fut servi au-dessus de la Sardaigne et le café dans l’axe de La Valette. Out of Africa était le film proposé pour nous distraire un peu, mais je l’avais déjà vu. J’avais dû m’endormir vers le désert libyen ou quelque part par là. Dans mon rêve, j’étais Robert Redford, parfois Karen Blixen… C’était bien ! En plein trou d’air, j’ouvrais les yeux difficilement… À l’extérieur de la carlingue, tout était noir, outre-noir aurait dit Pierre Soulages. J’abaissais le rideau au même moment où l’hôtesse était passée. J’en profitais pour lui demander un Cognac qu’elle me refusa, car le bar était clos. Qu’importe, j’en avais dans ma trousse à pharmacie que j’avais disposé dans le coffre à bagages. Ainsi, je passais le reste du vol à me désaltérer au cognac XOTiffon.

Île Maurice… Jeudi 7 mars 1985… Aéroport international

de Plaisance… Mahébourg… Hugo… Douane… Dodo bar…

AÉroport International de Plaisance

Sir Seewoosagur Ramgoolam

— Et vous allez faire quoi chez les Petites Sœurs des Pauvres ? haussa le vieux douanier légèrement trop gras, au turban rigolo et tout effiloché.

— Je vais voir une amie de ma mère qui y travaille et qui m’y héberge… Je suis là en vacances.

— Et qu’est-ce qu’elle fait, cette amie ?

— Elle est Sœur... c’est la chef des Sœurs.

— Vous voulez dire la Mère supérieure !

— C’est ça, elle est supérieure !

— Monsieur ! Vous avez omis de préciser, sur la fiche à remplir, la durée de votre séjour. C’est combien ?

— Le temps d’une rédemption ! lançai-je en rigolant.

— Ça risque d’être long ! osa-t-il, dans un sourire forcé

— !

Il paraît que « l’envie de tuer est en chacun de nous » et qu’elle pourrait alléger quelques esprits contrariés ! J’étais très contrarié et j’imaginais bien, en grosses gouttes épaisses, tout son sang se vider et sa tête grimacer, mais je me calmai vite... Qu’aurait pensé Maman ?

— Un mois ! rajoutai-je, à l’hindou vieillissant, qui visait maintenant mon passeport.

— Hugo, c’est drôle comme prénom ? Le peintre ? gloussa-t-il, tout en fouillant mes bagages.

Je pondérai ma voix, chassai une nouvelle fois ma tentation de meurtre, avant de regarder le badge qu’il portait : « Kessavaperoumal Ajatashatru » ! Parfaitement conscient de l’âpreté des geôles mauriciennes, je ne répliquai pas.

— Bon séjour malgré tout et rangez-moi ces valises, c’est un vrai souk là-dedans ! Et faites attention à votre appareil photo, le laissez pas traîner.

« Au suivant ! » conclut-il.

Sans mot dire, je m’écartais au plus vite de la douane pour trouver refuge dans un bar. Ce fut facile, il n’y en avait qu’un d’ouvert à l’extérieur de l’aéroport… Le DODO bar… Où je m’assoupissais rapidement après m’être restauré !

Île Maurice… Jeudi 7 mars 1985… Aéroport international de Plaisance…

Mahébourg… Hugo… Dodo bar… Tempête Diana…

Je fus réveillé par un craquement violent. J’ouvris si vite les yeux, que des dizaines d’étoiles se mirent à virevolter dans mon champ de vision, là, juste devant moi... J’aurais pas dû frotter !

Pendant de longues secondes tout était devenu flou, je ne voyais plus rien… enfin presque plus rien. J’aperçus vaguement un malheureux verre vide et un beaucoup plus grand qui traînaient sur la table… Les restes d’un club-sandwich gisaient, abandonnés.

Deux valises bleues étaient calées contre mes jambes. Puis, petit à petit, tout devint plus net et apparurent d’autres tables en plastique blanc, des chaises assorties et tout au fond de la pièce, un comptoir en bambou totalement désert. J’étais donc dans un bar.

C’est dans un état de légère inquiétude que j’entrepris d’assembler quelques souvenirs pour savoir ce que j’y faisais, quand une voix rocailleuse s’éleva derrière moi. Je me souviens avoir sursauté tant elle était brutale. « Vent de merde ! temps de merde ! » se soulagea un jeune malbarais1, tandis qu’il refermait sèchement la porte d’entrée sur laquelle clignotait un néon plutôt triste, où des lettres roses et vertes formaient l’enseigne DODO. J’allais lui demander ce qui se passait, quand il ajouta légèrement exalté : « Vous avez entendu ça ?… Quel boucan ! C’est ce maudit vent qui a fait tomber un bout du lambrequin. En plein dans la vitre qu’il s’est fiché, ce con !... Au moins 15 000 roupies de dégâts ! Cela dit, c’est bien que vous soyez réveillé, faudra pas trop tarder pour le bus. »

Je me rappelai maintenant : l’îleMaurice, les onze heures de vol à me contorsionner dans une bétaillère aux couleurs de la France, le barman et ce bar tout vide dans le hall de l’aéroport où je m’étais réfugié dès ma descente d’avion, pour fuir la chaleur devenue arrogante sans climatisation ! Je me souvenais enfin avoir bu quelques verres et mangé du poisson. « Sacrée eau-de-vie de canne ! » soliloquai-je, tout en déglutissant.

J’allumai un cigare.

— Je me suis assoupi longtemps ? demandai-je au barman, légèrement gêné.

— À peu près trente minutes, me répondit-il en consultant sa montre. C’est le rhum qui vous a fait dormir ? Faut dire qu’il tape fort… du vrai de vrai… 49° tout de même ! Et puis vous n’auriez pas dû boire de bière avec !

— Non non, c’est le voyage, juste un peu de fatigue, il fait si lourd ! lâchai-je, piteusement.

— Ah bon ! Parce qu’en général, les étrangers comme vous, ils aiment bien boire notre rhum, mais le supportent pas bien. Nous on a l’habitude, conclut-il fièrement avant de disparaître derrière son comptoir où des verres embués attendaient patiemment qu’on vienne les essuyer.

Je ne répliquai pas, préférant me lever et m’approcher du nako2 où une pluie de saison venait s’entrechoquer. Sur les lames de verre, des milliers de gouttes d’eau se suicidaient sans grâce. Je trouvais cela beau.

Île Maurice… Aéroport international de Plaisance…

Dodo bar… Manière de brouillard… Tempête Diana… Manchester United…

Le ciel n’était plus qu’une manière de brouillard, obscur, impénétrable, un tassement de vapeur… un ciel à alibi. Là-bas, bien au-delà de la ville assombrie, un grondement douloureux s’éveillait désormais ; le tonnerre s’invitait. Bientôt, il troublerait le rêve des enfants et le vol des oiseaux. La pluie tremblait sous les rafales rageuses d’un vent de nulle part. Le visage collé à la persienne de verre, je sentais mes paupières résister à l’envie de se clore sous l’effet agressif des éclaboussures lourdes. Des gouttes comme des balles. J’avais chaud, j’avais froid.

« Ça va pas tarder à péter ! » marmonna le malbar qui s’épongeait le front avec son torchon.

Premiers éclairs furtifs, chauffés à blanc... violents. Premières lueurs spectrales aux couleurs inconnues... Des fantômes syncopés, malmenés, éventrés. L’océan, quelque part, s’était mis à gueuler et j’entendais clairement les vagues désespérées se déchirer d’effroi. Et toujours le tonnerre et maintenant la foudre qui allait découper les racines d’un ciel devenu illusoire. Mon front était en feu et mes tempes vibraient.

Puis d’autres rugissements, plus forts... encore plus forts... l’explosion était proche. Et l’espace s’embrasa ! Du feu... des colonnes de feu, comme des coups de griffes. Tout devenait confus. Des images fugaces de visages incendiés et de corps impudiques surgissaient çà et là dans des tonalités aux brillances aveuglantes. Mes yeux me faisaient mal, mes muscles se tendaient, mon corps m’échappait... le monde s’échappait... Mon téléphone, un Nokia tout récent, sonna !

— Allo... Hugo… Tu m’entends !

— Maman… Maman, c’est toi ?

— Oui c’est moi. Mais c’est quoi tout ce bruit ?

— C’est un orage qui vient d’éclater.

— Mon Dieu ! J’espère que tu es bien à l’abri. Tu es bien arrivé donc !

— Oui, tout va bien.

— Tu es arrivé chez Sœur Cindy ?

— Non non, je suis toujours à l’aéroport.

— Ah bon ! Alors je te rappelle plus tard.

Elle avait raccroché.

« Mais vous avez vu cette tempête, aussi violente qu’un cyclone ! » me hurla le barman légèrement apeuré. Diana qu’elle s’appelle.

— Dois-je m’inquiéter ? Vous pensez que les bus vont circuler par ce temps ? je vais à Grand Bay.

— Faut vous dépêcher, ils vont pas tarder à rentrer au dépôt… Allez vite en prendre un avant qu’il ne soit trop tard ! Cela dit, vous avez de la chance, tout se calme maintenant, on dirait que la tempête file vers La Réunion !

Je le remerciais, mettais mon Black Leica M6 en bandoulière et filais vers le bus encore en vie qui attendait sagement sur le parking recouvert de branchages. J’étais en sueur. Au dernier bureau de change ouvert, je prenais des roupies et je montais enfin dans le véhicule qui allait à Grand-Bay – via Rose-Hill et Port-Louis – et qui avait pour nom… Manchester United !

Sur le tableau de bord, des statuettes bigarrées semblaient me surveiller : Shiva, Bouddha, Krishna et même la Vierge Marie s’exposaient tranquillement au milieu de fausses fleurs, pâlies par le soleil, et d’un autocollant d’Éric Cantona.

Sous le rétroviseur, Ganesh se balançait avec lourdeur.

Calé dans un fauteuil tout à l’arrière du bus, j’attendais le sommeil avec beaucoup d’espoir grâce à l’appui fidèle d’un demi-Lexomil. Le voyage serait long et d’après les on-dit, extrêmement périlleux.

Je voulais pas voir ça !...

Île Maurice… Bus Manchester United… Nids de poule…

Cantona… Ganesh… Hugo… Cercueil… Cognac… Lexomil…

... Et pourtant j’avais vu !

Sitôt le démarrage de l’antique autobus et la première rencontre avec un nid-de-poule, je jaugeai en l’instant, les limites possibles de mon anxiolytique. Je savais maintenant... que je ne dormirais pas. Heureusement que j’avais avec moi ma réserve de cognac.

Ce fut donc le chaos pendant près de deux heures... Deux heures interminables à conjurer le pilote de faire de son mieux pour éviter des zébus qui erraient étrangement au milieu de la route et de se dispenser d’inutiles dépassements – surtout en haut des côtes ! Quatre-vingts kilomètres à me contorsionner, à freiner dans le vide et à anticiper de probables collisions. Quatre-vingts kilomètres à slalomer aussi à travers les plaques de tôles.

L’image de mon cercueil, rapatrié en France dans la soute d’un Airbus, me traversait l’esprit à de nombreuses reprises – surtout dans les virages ! Pour marquer l’événement, j’absorbai goulûment la gnôle charentaise sous le regard enjoué de quelques usagers nullement terrifiés à l’idée de mourir. Des habitués en somme.

J’achevai finalement la flasque de cognac à la vue du panneau qui annonçait Grand Bay à quatre kilomètres. L’enfer avait une fin !

Je descendais du bus totalement défait. Tout était calme, pas de pluie, pas le moindre souffle de vent, Diana n’avait touché que la côte sud de l’île et s’enfuyait vers l’île d’à côté… Un moindre mal.

Il était dix-neuf heures passées de quarante minutes.

Île Maurice… Royal road… Grand Bay… Toujours Hugo…

Bob Marley… À nouveau le Banana Café…