Les Capitalistes du XXIème siècle - Werner Rügemer - E-Book

Les Capitalistes du XXIème siècle E-Book

Werner Rügemer

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Beschreibung

La «crise corona» a accéléré la montée en puissance des nouveaux gestionnaires financiers comme BlackRock, Vanguard, State Street et KKR. Depuis une décennie ils sont les propriétaires dominants des banques et des grandes entreprises, aux États-Unis aussi bien qu'en Allemagne, Angleterre, Espagne, la Suisse et en France y compris les entreprises numériques comme Amazon, Google, Facebook, Microsoft et Apple. BlackRock & al. sont aussi les propriétaires des entreprises dominantes de pétrole, charbon, armement, agrobusiness, ils coopèrent avec les services secrets états-uniens, promeuvent des conditions de travail précaires et aussi l'évasion fiscale de leurs clients super riches. BlackRock & al. font partie de «America first» - Trump, Johnson, Macron, Merkel, Netanjahu sont leur personnel politique préféré. Ils exploitent la crise multiple «corona» dont ils sont responsables: crises de santé publique, de l'économie, des partis politiques longtemps gouvernants, des média. BlackRock en tant que conseiller des banques centrales aux États-Unis et dans l'Union Européenne a contribué à la financialisation au lieu d'innovations et réformes nécessaires - et joue au sauveur avec les programmes d'aide économique «corona»: cet immense endettement des états sera à la charge des populations majoritaires. Rügemer analyse aussi le conflit latent entre les États-Unis et l'Europe et présente le capitalisme alternatif sous domination communiste dans la République Populaire de la Chine: accroissement persévérant des salaires, santé et éducation gratuites et sécurité sociale, innovations technologiques, investissement dans les pays économiquement les plus avancés aussi bien que le succès transcontinentale le la Nouvelle Route de Soie - globalisation inclusive sans accompagnement militaire.

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Werner Rügemer

Les Capitalistesdu XXIème siècle

Werner Rügemer

Les Capitalistes du XXIème siècle

La montée en puissance

des nouveaux gestionnaires financiers

Un résumé généralement compréhensible

Traducteur : Bernard Schmid

Traduction légèrement abrégée et mise à jour de l’original

« Die Kapitalisten des 21. Jahrhunderts.

Gemeinverständlicher Abriss zum Aufstieg der neue Finanzakteure »

publiée 2018 par PapyRossa Verlag, Cologne, Allemagne

© 2020 by Werner Rügemer, Cologne (Allemagne)

Maison d’édition : tredition GmbH, Halenreie 40-44, 22359 Hamburg (Allemagne)

Illustration de la couverture : pixabay.com

ISBN

 

Paperback

978-3-347-15729-3

Hardcover

978-3-347-15730-9

eBook

978-3-347-15731-6

La Bibliothèque nationale allemande répertorie cette publication dans la bibliographie nationale allemande ; bibliographie détaillée les données sont disponibles sur Internet http://dnb.d-nb.de

Die Deutsche Nationalbibliothek verzeichnet diese Publikation in der Deutschen Nationalbibliografie ; detaillierte bibliografische Daten sind im Internet über http://dnb.d-nb.de abrufbar

Table des matières

Préface à l’édition française : Macron, BlackRock & al.

Préface à la deuxième édition allemande :La Hyper-Mondialisation

Introduction : Beaucoup d’opinion, peu de savoir ?

I. Les nouveaux acteurs du Capital en Occident

1. Grands organisateurs du Capital : BlackRock & al.

2. Les investisseurs en private equity : les équarrisseurs

3. Hedgefonds : les pilleurs

4. Banques d’investissements élitistes : les arrangeurs

5. Banques privées : une vitrine discrète des grandes

6. Venture Capitalists : Les préparateurs

7. Les banques traditionnelles : prestataires de services

8. Les capitalistes d’Internet

9. L’armée privée civile du Capital transatlantique

II. Les rapports États-Unis – Union européene

1. Le renversement du rapport de forces depuis la Première guerre mondiale

2. Internet sous contrôle états-unien

3. Le complexe militaro-numérique-capitalistique

4. Libre-échange : l’UE entre en conflit avec les États-Unis

III. Chine : Un capitalisme sous direction communiste

1. Les États-Unis contre la libération de la Chine de ses entraves

2. La dialectique de l’importation capitaliste

3. État, Parti communiste, Socialisme

4. Les États-Unis : affaiblir économiquement et menacer militairement la Chine

5. La Chine : mondialisation économique et pacifique

IV. Avec Corona : Présent et avenir de la société terrestre

Bibliographie

Portraits

Le fonds souverain norvégien Norges

Le populiste en chef : le patron de BlackRock, « Larry » Fink

Stephen Schwarzman / Blackstone

Ray Dalio / Bridgewater

John Kornblum et Felix Rohatyn / Lazard

Wilbur Ross : du banquier chez Rothschild au ministre de l’Économie des États-Unis

Emmanuel Macron : du banquier chez Rothschild au président de la République française

Peter Thiel / Founders Fund

Jeffrey Bezos / Amazon

Eric Schmidt

Jack Ma / Alibaba : « Une mondialisation inclusive »

Tableaux

Les vingt principaux organisateurs du Capital Grand

BlackRock & al., copropriétaires des trente groupes économiques du DAX

Les cinquante principaux investisseurs en private equity

La douzaine de principaux fonds d’investissement

Les centres du populisme numérique élitiste

Le complexe Google – Instagram – LinkedIn – Pentagone

Voitures électriques dans le monde, nouvelles immatriculations en 2017

Rachats d’entreprises par la Chine en Allemagne

Rachats d’entreprises par la Chine dans l’Union européenne

Quatre banques chinoises parmi les dix plus grandes au niveau mondial

Projets liés à la Route de la Soie

Préface à l’édition française

Macron, BlackRock & al.

L’importance de l’opposition démocratique en France pour toute l’Europe

Le président de la République Emmanuel Macron incarne en France, ce que Donald Trump représentent aux États-Unis et Boris Johnson en Grande-Bretagne : la tentative des nouveaux gestionnaires du Capital comme BlackRock, Blackstone, KKR, Elliott et Amundi de transformer les gouvernements, les États, les nations pour les mettre encore plus directement au service de leurs intérêts privés, de les pervertir. Avec le banquier de chez Rothschild, Macron, et le magnat de l’immobilier Trump, des capitalistes passent directement de l’entreprise à la tête de l’État.

Les 7 et 8 janvier 2020, des cheminots et des enseignants ont pénétré l’immeuble de Paris au sein duquel réside la filiale française de BlackRock. Ils et elles étaient en train de protester contre les plans pour une retraite plus tardive et privatisée que le gouvernement de Macron avait magouillés avec BlackRock.

Pendant longtemps, les gouvernements dans toute l’Union européenne avaient tu l’avancée de BlackRock & al. Puis Macron avait remis, en janvier 2020, la Légion d’Honneur à l’agent d’influence de BlackRock à Paris, Jean-François Cirelli. C’est alors que dans des larges milieux, la question était soulevée : qui est ce Monsieur Cirelli ? Ah oui, l’opinion publique ne l’avait pas noté jusqu’ici : cet acteur de la privatisation (il avait notamment dirigé, en tant que PDG, la privatisation de Gaz de France devenu GDF-Suez, à partir de 2004) est devenu, dès 2015, le président fortement rémunéré de BlackRock en France. A cette occasion, le patron de BlackRock (monde), Lawrence Fink, qui dirige huit milliards de dollars à l’échelle de la planète, vint exprès de New York dans la capitale française pour célébrer l’événement.

Ce n’est que progressivement que l’on s’apercevait alors que :

• BlackRock s’était érigé, pendant la décennie écoulée, au rang de premier propriétaire d’entreprises en France, devenant actionnaire en même temps chez AXA, Vinci, Saint-Gobain, Sanofi, la Société Générale, la BNP Paribas, Michelin, Vivendi, Lafarge, Alstom, Air Liquide, Accor, Schneider, Total, unibail rodamco, Valeo ou Engie, par exemple.

• Emmanuel Macron avait invité le 25 octobre 2017, soit peu de temps après sa victoire électorale, les deux douzaines d’investisseurs occidentaux de premier rang mondial au palais de l’Élysée. A sa droite était assis Lawrence Fink, le patron de BlackRock, en compagnie de George Osborne, l’ancien ministre des Finances des Conservateurs britanniques, représentant de BlackRock en Angleterre. Ils y présentèrent déjà le programme de la future « réforme » et privatisation des retraites.

Macron est le nom du nationalisme et du racisme modernisés (« redonner sa grandeur à la France », « La France première »), et en même temps du renouveau du catholicisme réactionnaire (voir le discours du président devant la conférence des évêques du 9 avril 2018).

Macron est aussi le nom de la promesse démagogique d’un « capitalisme vert » dans une alliance environnementale avec BlackRock et des fonds souverains issus des monarchies du Golfe ; et en même temps la course à l’armement pour des guerres à l’échelle du monde, et l’emploi brutal de la police contre des opposants.

L’opposition de gauche, démocratique, syndicale, plurielle dans tous les pays d’Europe se tient aux côtés de l’opposition forte, exemplaire contre le macronisme. Les succès remportés contre le système Macron/BlackRock auront une importance pour toute l’Europe ! La refondation démocratique, pacifique, sociale de l’Europe est à l’ordre du jour !

A la fin mars 2020 le chef de BlackRock fit part à ses actionnaires que « la crise du Coronavirus » nous offre « des opportunités grandioses » : D’autres rachats d’entreprises, la numérisation, la retraite privée… nous n’avons qu’à saisir ces opportunités. Et BlackRock, gros actionnaire auprès des principaux groupes économiques du pétrole, du charbon et de l’armement, a présenté ensemble avec Macron au Forum économique mondial à Davos, la nouvelle alliance environnementale en janvier 2020, sous le nom de Climat Finance Partnership. Et la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, a appelé BlackRock comme consultant en matière d’écologie, de social et de bonne gouvernance…

Nous, l’opposition démocratique et internationaliste en Europe, aurons beaucoup à faire !

Cologne, en juillet 2020, Werner Rügemer

Préface à la deuxième édition allemande

La Hyper-Mondialisation

Il y a deux ans, j’ai décrit dans ce livre les nouveaux gestionnairs du Capital, leurs complices et instigateurs, eux qui ont gagné la prédominance dans l’Occident guidé par les États-Unis, depuis les années 1990. Toujours à peine connus du grand public, ils ont renforcé encore les tendances de crise dans les domaines de l’économie, de la politique, des médias et de la morale ainsi que dans les relations internationales. Le président des États-Unis, Donald Trump, et le Premier ministre britannique Boris Johnson illustrent, dans ce contexte, aussi les déformations morales de dirigeants élus, précisément dans les deux démocraties du Capital les plus anciennes de la planète.

Les « furies de l’hyper-mondialisation »

Les banques de l’ombre non soumises à une régulation de différents types, décrites dans le livre, telles que BlackRock, Vanguard, Amundi, Blackstone, KKR, Elliott, Macquarie, Founders Fund & al. transforment les sociétés occidentales. Cela va même au-delà de ce qui passe pour « néolibéral » jusqu’ici.

La CNUCED, l’organisation économique des Nations Unies, évoque les « furies de l’hyper-mondialisation » : inégalités sociales croissantes et répartition inégale des richesses dans tous les domaines de la vie tels que le travail, le logement, les retraites et la santé ; surendettement des entreprises, des ménages et des États.1

Le Fonds monétaire international FMI et la Commission des droits de l’homme des Nations Unies dénoncent la spéculation des nouveaux capitalistes concernant les logements, à l’échelle du monde, et l’explosion des loyers et des prix pour l’achat d’un appartement : pour les salariés et les précaires, mais aussi pour les classes moyennes, ils sont de moins en moins abordables.2

L’OCDE observe que les États « riches » perdent, par l’évasion fiscale systémique de la part des entreprises et de leurs propriétaires, 450 milliards de dollars par an.3 Les équipements importants pour la majorité des populations, c’est-à-dire les transports publics, les hôpitaux, les écoles, les systèmes de distribution de l’eau et de nettoyage des égouts, les routes, les canaux, les logements se dégradent – ou alors sont privatisés et deviennent plus chers.

Le journal économique Financial Times, qui avait jusqu’ici loué la montée en puissance des nouveaux capitalistes, constate maintenant que les propriétaires privés plongent dans leurs superbénéfices sans exercer aucune responsabilité. La démocratie se dégrade, la compétition n’a guère lieu, la capacité d’innovation baisse, les citoyens sont majoritairement mécontents à l’égard de « leurs » gouvernements : ce capitalisme, note le journal, doit être sauvé de ses « rentiers ».4

Le sang des pauvres coule dans les veines des riches

L’Accord de Libre-échange nord-américain ALENA (en anglais : NAFTA) a apporté des bas salaires et la ruine de paysans au Mexique, et aux États-Unis des ouvriers tombaient au chômage. Des entreprises pharmaceutiques entretiennent, du côté états-unien de la frontière avec le Mexique, des stations pour la prise de sang. Des fonctionnaires états-uniens laissent passer des Mexicains et Mexicaines appauvris par la frontière ultra-sécurisée, malgré le fait que leur visa n’autorise pas à gagner de l’argent : l’entrée sur le territoire est illégale mais organisée par les autorités. Les appauvris, réduits à la clandestinité, auront le droit de se laisser prélever du sang, contre une poignée de dollars, autant de fois jusqu’ils en tombent malade. Ce faisant, les États-Unis sont devenus le premier exportateur mondial de plasma sanguin, engrangeant des bénéfices. Les acheteurs se trouvent surtout en Grande-Bretagne, en Allemagne et Autriche.5 Le sang des pauvres, tout en les discriminant, est aspiré dans les veines des riches, soignés pour recouvrer la santé. Et ce sang alimente la machine à bénéfices de l’Occident. La perversion morale et juridique, l’hypocrisie des pouvoirs publics états-uniens et d’entreprises occidentales ne connaît pas de frontières, dans plusieurs sens du terme. Un gouvernement « chrétien » et conduit par une femme, comme en Allemagne, regarde et laisse faire, lui aussi.

Compétition des systèmes : l’Occident cherche à gagner militairement

Ce que le FMI, la CNUCED et la Financial Times passent sous silence : les guerres sont les « furies de l’hyper-mondialisation » les plus dangereuses !

Les États-Unis ont combiné, après la Seconde guerre mondiale, leur expansion capitalistique avec celle sur le plan militaire. Cela est représenté en Europe occidentale par la simultanéité entre le Plan Marshall et la mise en place de l’OTAN, dans une continuité jusqu’à nos jours avec la combinaison de l’élargissement à l’Est de l’Union européenne et l’appartenance à l’OTAN. Cela se poursuivait et se poursuit à l’encontre des nouveaux ennemis, d’abord la Yougoslavie, puis l’Irak, la Libye, la Syrie et ensuite la Russie, l’Iran, le Venezuela et maintenant la Chine.

L’Occident dirigé par les États-Unis n’aurait pu développer et maintenir sa domination après la Seconde guerre mondiale s’il avait fait face à la compétition pacifique des systèmes. Dans les cercles dirigeants occidentaux, on le sait, aussi en ce moment : le modèle occidental dominé par les États-Unis ne correspond pas aux intérêts des populations majoritaires, il constitue un modèle en fin de course. Mais les acteurs dominants sont riches, militairement puissants et ils accumulent les expériences de domination ; ils sont extrêmement dangereux.

Le président de la République populaire de Chine, Xi Jinping, a observé en décembre 2018 : « Nous sommes préts à faire face à des périls et des risques qui sont jusqu’ici inimaginables. »6

L’Histoire est ouverte

La Chine démontre comment les « furies de l’hyper-mondialisation » peuvent être domestiquées et subir des changements qualitatifs, au profit des populations majoritaires et au profit de coopérations mondiales pacifiques.

Elles rendent possible ce dont l’humanité, en péril, a besoin : le règlement pacifique des conflits malgré et au-delà des divergences idéologiques. Le dialogue et l’affrontement libre des opinions, c’est en théorie aussi ce que réclament les démocraties du Capital occidentales ; mais ce qui n’est pas mis en œuvre quand les choses deviennent décisives.

Après l’effondrement des États socialistes en Europe, les (ir)responsables aux États-Unis proclamèrent la « fin de l’Histoire ». Ils luttèrent avec acharnement pour la conservation de leur forteresse mondiale sécurisée par 1.000 bases militaires, tout comme l’Union européenne en stagnation se renferme contre les réfugiés qui se noient dans la mer et oublie tous les droits de l’homme fondamentaux. Mais l’ascension de la Chine, plus que toute autre chose, montre que l’évolution historique sur la planète est ouverte.

Coordination des alternatives

Il ne s’agit pas, dans d’autres pays, de copier l’« exemple » de l’état actuellement atteint par la Chine. Chacun et chacune, sur tous les continents, doit agir à sa place en puisant dans les potentiels qu’offrent la démocratie, la sécurité, la paix, l’activité en faveur des droits humains et par l’innovation technologique. L’Union européenne pourrait jouer un rôle d’intermédiaire. L’Italie, en tant que premier pays de l’Union européenne, a rejoint officiellement l’initiative de la Nouvelle route de la soie. La Grèce a rejoint l’initiative des 16+1 de la Chine, ensemble avec des pays de l’Europe de l’Est et du Sud-Est. Des groupes économiques occidentaux affluent vers la Chine pour des innovations. Dans ce contexte, des visions et des pratiques de mise en œuvre entrent en conflit, par exemple en matière de démocratie, de choix technologiques et de traitement de l’environnement. De tels conflits doivent être gérés.

Le droit international dans le cadre des Nations Unies et les droits humains universels constituent, pour cela, un repère indispensable. « Si vous désirez la paix, cultivez la justice », telle est la devise de l’Organisation internationale du travail (OIT, en anglais : ILO) créée en 1919. Ainsi, surtout : des guerres doivent être empêchées, la paix doit être assurée. Ceci est la question systémique la plus importante.

Note de l’auteur : J’ai renoncé à actualiser le texte du livre (par rapport à la première édition). Le livre a été publié dans d’autres langues que l’allemand, d’abord en anglais : The capitalists of the 21st Century (chez tredition comme paperback, hardcover et eBook, Hambourg, 2019). En 2020 sont publiées des traductions en Chine et en Italie (I Capitalisti del XXI secolo).

 

1 UNCTAD : Trade and Development Report 2018. Power, Platforms and the Free Trade Delusion, New York et Genève 2018.

2 Tenants « forced out of their homes » by global investment firms, say UN experts, https:// news.un.org/en/story/2019/03/1035441

3 Better data on shadow banking reveals uncomfortable truths, Financial Times 11 octobre 2019.

4 Saving capitalism from the rentiers, Financial Times 19 septembre 2019.

5 Bluthandel. Dollar gegen Gesundheit (Commerce de sang. Dollar contre santé), ARD (première chaîne de télévision allemande) 6 octobre 2019.

6 40 years of reform and opening up, South China Morning Post 19 décembre 2018.

Introduction

Beaucoup d’opinion, peu de savoir ?

Maintenir la paix et la sécurité internationales et à cette fin : prendre des mesures collectives efficaces en vue de prévenir et d’écarter les menaces à la paix (…). Développer entre les nations des relations amicales fondées sur le respect du principe de l’égalité des peuples et de leur droit à disposer d’eux-mêmes…) Charte des Nations Unies, article 1, signée en 1945, quelques semaines après la fin de la Seconde guerre mondiale

Si vis pacem cole justitia !

Si tu veux la paix, instaure la justice !

Devise de l’Organisation internationale du travail (OIT), fondée en 1919 après la Première guerre mondiale, devenue agence spécialisée des Nations Unies en 1946

Des satellites tournent en orbite autour de la Terre et collectent, selon la formulation consacrée, « toutes les données » de notre planète : les villes, villages, déserts, gorges, montagnes, le climat, les vents, tempêtes, volcans, flux de trafic, fonds marins, nuages de poissons et d’oiseaux, réfugiés, champs pétroliers et métaux profondément enfouis sous la glace « éternelle », avions avec et sans pilote, bases militaires, drones, terroristes… Mais qui sont les producteurs et les exploitants de ces satellites, qui sont les propriétaires des usines d’automobile, des groupes d’énergie, logements, banques, des réseaux d’électricité et de transport, des supermarchés, routes à péages, chaînes d’hôtellerie et de restauration, chaînes de télévision ? Et à qui appartiennent par exemple CocaCola, Goldman Sachs, Exxon, la Société Générale, Vivendi, Accor, la Deutsche Bank, Ryanair, Zalando et le New York Times ? Et à qui appartiennent les mastodontes mondialement connus du numérique tels que Google, Amazon, Facebook, Microsoft, Apple, Uber et Airbnb ?

Capitalisme, capitalisme financier, mondialisation, économie de marché : depuis des décennies, on parle autour du pot, de manière toujours très générale et bien sûr « critique », pour dire pourquoi ils sont mauvais ou quand même bons, ou devraient l’être. La question devrait s’imposer, alors : mais qui sont les capitalistes, les financiers, les promoteurs de la mondialisation, les économistes de marchés ? Quels sont leurs noms ? Comment travaillent-ils (au cas où le terme travailler convient pour nommer leur activité) ? Quels résultats causent-ils, en politique, dans la société, dans l’environnement, entre eux et surtout dans nos relations de travail et nos rapports sociaux ? Encore une question : participent-ils à des guerres ou créent-ils la paix ? Ou alors cela leur est-il (apparemment) indifférent ?

Les chefs et cheffes d’État et de gouvernement comme par exemple les chanceliers et chancelières allemand-e-s de tous les partis politiques, de tout sexe ou genre et les producteurs de fake news des médias dominants devisent sur « les marchés », souvent avec une menace sous-entendue : si vous n’obéissez pas « aux marchés », alors vous allez le payer ! Par exemple, l’État serait obligé de « faire des économies » et encore plus d’« économies ». Mais qui sont-ils, « les marchés » ? Où résident-ils ?

Les syndicats et les médias dominants s’échauffent de manière régulière sur les dirigeants et managers de groupes économiques et leurs revenus se chiffrant en millions, mais ne posent pas la question de savoir qui en sont les propriétaires et quels sont leurs revenus, cent fois plus élevés. Ici, la liberté d’expression échoue. Elle est abondamment citée comme une « valeur occidentale »… mais au quotidien, elle est gérée par des groupes médiatiques privés et dévaluée par la réduction de la liberté d’information. Et les salariés au sein des entreprises n’ont pas de liberté d’expression, mais sont muselés. Le savoir et la liberté d’expression sont réservés à une petite minorité… et à la majorité en situation de dépendance, ce sont la peur, le refus d’information et la muselière.

Lorsque les banques majeures et puissantes du monde occidental entre New York, Londres, Paris, Milan et Francfort s’étaient amenées à la faillite commune à force de spéculer, en 2007, il fallait les sauver avec de l’argent public, donc de l’argent provenant de nos impôts… impôts auxquelles elles avaient justement peu contribué. C’est en tout cas ce que prétendaient les porte-parole parlant fort au nom « des marchés ». Les banques furent sauvées, contrairement aux lois du marché, parce qu’elles revêtaient une « importance systémique ». Ahhh… alors, il existe un « système » qui est placé au-dessus du sacro-saint Marché Libre ? Une liberté supérieure, un système supérieur, qui, comme un éclair dans un ciel bleu (ou dans un ciel noir) peut, en cas de besoin, neutraliser les lois d’airain du marché ? C’est qui ? S’agit-il d’êtres humains ou même d’êtres extra- ou surhumains ?

Après le sauvetage des banques : les nouveaux puissants du Capital

Après leur faillite et leur sauvetage, les banques « d’importance systématique » se voyaient retiré leur pouvoir. Des organisations capitalistiques comme BlackRock, qui avaient elles aussi contribué à déclencher la crise financière – ce sont désormais elles qui constituent « le système » ; elles sont officiellement appelées « banques de l’ombre », et sont désormais les propriétaires des grandes banques et des bourses, et surtout des entreprises les plus importantes. Aujourd’hui, ce sont quelques dizaines d’acteurs de la Finance « de première division », du type BlackRock, qui agissent de manière largement incontrôlée et inconnue ; s’y ajoutent les nouveaux acteurs de la Finance « de ligue 2 et ligue 3 », eux aussi à peine contrôlés, autrement dit des fonds de private equity, fonds d’investissement, capital-risque, mais aussi des banques d’investissement élitistes comme les banques Lazard, Rothschild et Macquarie ainsi que les arrivistes du numérique – sponsorisés et dominés par ces financeurs – comme Apple et Microsoft et les acteurs de l’économie des plateformes numériques comme Google, Amazon, Facebook/Alphabet, Uber ou Airbnb.

Ils pratiquent, aussi en s’appuyant sur la numérisation, une nouvelle forme brutale d’accumulation du capital privé, encore plus antisociale que les anciennes. Mais avec la brutalisation, la complexité de l’accumulation a elle aussi augmenté. Les organisateurs du Capital ci-dessus nommés et les dirigeants de groupes économiques n’en sont cependant que les gérants visibles. Les propriétaires privées, par contre, les titulaires définitifs du profit privé – ils restent aussi invisibles que jamais encore dans l’histoire du capitalisme. Les nouveaux puissants du Capital parquent leurs titres de propriété, de manière plus cohérente que jamais, dans une société parallèle planétaire et occulte, composée de quatre douzaines de paradis financiers reliés entre eux entre Hongkong, le Luxembourg, le Delaware et les Îles Caïman.

Cette classe transnationale de super-riches rendus anonymes, soutenue par une armée privée discrète et civile composée de professionnels « réputés » de l’enrichissement, ne supporte aucune responsabilité, ni envers la société ni envers la planète. Elle s’en f… du droit des sociétés, du droit du travail, du droit fiscal et des mécanismes de contrôle financier.

Il n’est pas vrai – comme le prétendent certains « altermondialistes » – que le Capital contemporain tourne autour de la planète comme une fiction numérique, sans incarnation physique et échappant aux lois de la gravité, et qu’il n’aurait (plus) rien à voir avec « l’économie réelle »… tout au contraire ! BlackRock & al. ont la mainmise sur des centaines de milliers des entreprises les plus importantes de l’économie réelle, et décident du sort des emplois, des conditions de travail, de logement, d’alimentation et écologiques, des produits, de la répartition des bénéfices, de la pauvreté, de la richesse, de l’endettement public. Et les groupes à envergure mondiale de l’économie des plateformes numériques s’introduisent jusque dans les plus petits interstices de la vie au travail et de la vie quotidienne de milliards d’êtres humains, la scrutent, la transforment… tout en coopérant avec les services de renseignement.

Ces investisseurs ainsi que les dirigeants et gérants d’entreprises mandatés par eux peuvent transgresser des lois dans l’impunité à des millions de reprises, violer les droits fondamentaux, abaisser et appauvrir les salariés, empoisonner les humains et l’environnement, détruire la confiance envers les institutions judiciaires, embrouiller la réalité… c’est la Tolérance Absolue qui règne au niveau des gouvernements dans les capitales occidentales et dans l’Union européenne.

Ainsi les puissants invisibles peuvent accélérer leur auto-enrichissement sans effort, au détriment de la majorité et de la démocratie, comme jamais auparavant. Les gérants publics se ramènent avec un langage doux, engluant, au besoin aussi radicalement démocratique, font des envolées lyriques en matière de transparence, de responsabilité sociale et de diversité, et ils épuisent le potentiel de révolte à propos de « l’écart grandissant entre pauvres et riches ». Les populistes du numérique promettent, sur le modèle admiré de la Silicon Valley, la vie heureuse des geeks et l’amélioration de l’humanité entière.

Ce capitalisme qui est le nôtre… ou la mort pour tous

La richesse des milieux de BlackRock se multiplie, mais les économies nationales et les infrastructures nécessaires à la majorité des populations – écoles, universités, logements, hôpitaux, distribution de l’eau, stations d’épuration de l’eau, forêts – se dégradent, ou elles sont privatisées et leur accès est rendu plus cher par les organisateurs du Capital. Le climat se réchauffe de manière accélérée. Les bénéfices des industries de l’armement connaissent un boom, avec l’invention de nouveaux ennemis. Alors que les nouveaux puissants du Capital ont créé des structures collectives multiples pour eux-mêmes, ils détruisent ce qui reste des structures collectives antérieures des salariés et les conduisent à des formes de solitude professionnellement organisées, finalement tristes et nocives à la santé.

Avec la guerre menée par les capitalistes – à dominante nord-américaine encore plus forte que jadis – à l’intérieur des sociétés, contre la démocratie, contre l’État de droit et contre la protection sociale, ils sont en même temps devenus plus agressifs vers l’extérieur. A travers leurs gouvernements, militaires et services de renseignement, ils mènent des guerres déclarées et non déclarées, élargissent leur présence militaire, arment des pions secrètement et ouvertement. Même une guerre nucléaire sur le sol européen devient une possibilité calculée mais aux conséquences incalculables. Selon la devise : ce capitalisme qui est le nôtre, ou la mort pour tous.

Populisme et corruption politique

Le populisme existe dès lors que des patron-ne-s, investisseurs, conseillersconseillères, hommes et femmes politiques, faiseurs-faiseuses d’opinion font consciemment ou naïvement des promesses au peuple (en latin : populus) ou à la majorité de la population (en matière d’emplois, retraites sûres, sécurité de vie, paix, environnement, bonheur, logements abordables) qu’ils ne peuvent pas tenir ou n’ont jamais eu l’intention de tenir, ceci dans l’intérêt d’un groupe d’intérêts ou de pouvoir restant dans l’ombre et minoritaire. Au populisme primaire des partis traditionnels d’obédience chrétienne-démocrate, conservatrice ou socialiste/social-démocrate succède – en raison de leurs promesses brisées et de leur (co-)responsabilité dans la misère – le populisme secondaire. Parmi les populistes primaires, on trouve en Allemagne, en ce qui concerne les partis politiques, l’Union chrétienne-démocrate et chrétienne-sociale (CDU/ CSU), le Parti social-démocrate, puis les organisations patronales, sociétés de conseils comme McKinsey, des médias dominants tels que Frankfurter Allgemeine Zeitung, Die Zeit, Die Welt, Der Spiegel, Süddeutsche Zeitung, désormais aussi les médias audiovisuels publics financés par redevance tels que ARD, ZDF (télévision) et Deutschlandfunk (radio) ainsi que les grandes Eglises chrétiennes. En France, ce sont les « conservateurs » de différentes couleurs et le Parti socialiste. Le populisme secondaire est de plus en plus promu par les populistes primaires et par les faiseurs d’opinion à travers le fait de jeter le discrédit sur l’opposition démocratique et anticapitaliste, de lui mettre des bâtons dans les roues, de la criminaliser. Des populistes secondaires comme à présent le président états-unien Donald Trump, le président français Emmanuel Macron, le mouvement pro-Brexit en Grande-Bretagne et en Allemagne le parti (Note du traducteur : d’extrême droite) AfD ou « Alternative pour l’Allemagne » représentent des « mouvements », mais qui ne se distinguent pas essentiellement des partis discrédités. Au contraire, leurs valeurs et leurs pratiques sont sorties du même répertoire « bourgeois » : propriété privée libre, bénéfice privé sans effort, nationalisme et racisme y compris.

Le populisme est structurellement associé, au sein du capitalisme occidental à prdominance nord-américaine, à la corruption politique : les représentants de la propriété privée détenue par des groupes particuliers minoritaires concèdent des avantages publics et légalisés aux populistes qui se trouvent au gouvernement, mais de la même manière aussi à ceux jugés capables de gouverner et de constituer une alternative (populistes de réserve et secondaires), sous forme de dons financiers, de revenus complémentaires procurés par des postes dans le secteur privé mais aussi de promotion médiatique. Ainsi la volonté politique de la majorité, ou de groupes constituant leur base sociale initiale, est pervertie ou corrompue (du latin cor-rumpere : rompre, briser la volonté politique).

Dans la démocratie capitaliste `prédominance états-unienne, les grands propriétaires ont jusqu’ici alimenté, respectivement, deux partis politiques principaux à travers les dons financiers et la promotion médiatique. A l’occasion, s’y ajoute un troisième parti politique plus petit, représentant directement le patronat, comme le FDP (note du traducteur : parti classé comme « libéral ») en Allemagne, qui joue les « faiseurs de roi » dans la formation des coalitions gouvernementales. Des « libéraux » de cette espèce existent dans la plupart des pays de l’Union européenne. Puisque les promesses populistes s’avèrent intenables, pour l’essentiel, au cours d’abord de deux mandats électoraux, les partis populistes principaux se relaient au gouvernement au bout de deux mandats électoraux au plus tard. Des alternatives de gauche, qui s’engagent pour le bien commun, voient jeté le discrédit sur elles ; des alternatives de droite, facilement critiquées, se voient réservée une place privilégiée. Ainsi le moral démocratique des électeurs et électrices est de plus en plus soumis à l’usure. Le rythme des passages de relai au gouvernement peut se raccourcir à un mandat électoral. Cela peut conduire à une « solution » encore plus directe, autoritaire, quand l’auto-organisation démocratique n’est pas suffisamment forte. Les dictateurs et oligarques au pouvoir dans des États qui font partie du système de domination et d’influence occidental (dans l’Europe de l’Est anciennement socialiste, dans la région du Golfe, en Amérique du Sud, en Afrique) constituent de toute manière, en parallèle à la démocratie de façade qui existe dans les États centraux, des alliés permanents et des piliers du système.

Le populisme manie aujourd’hui des bribes idéologiques de nature diverse. Elles sont combinées et interprétées de différentes manières par les acteurs respectifs, même si elles se trouvent en contradiction logique (pas forcément en contradiction pratique) entre elles : le nationalisme (aussi sous forme d’un nationalisme de défense de l’Occident ou à l’échelle de l’Europe) et ouverture globale ; société ouverte et construction de murs contre les Autres (États-Unis contre Mexique, Europe contre réfugiés, Israël contre Palestine, résidences fermées contre pauvres) ; conservatisme social et société ultra-mondaine de type Silicon Valley ; libéralisme et autoritarisme ; progrès de l’Humanité grâce au numérique et surveillance numérique ; liberté et surveillance ; démocratie et subordination « aux marchés » ; compétition et formation de monopoles ; économie de marché et protection des structures « d’importance systémique », contraire à la logique du système ; corruption et lutte anti-corruption ; féminisme des classes supérieures et exploitation des femmes en situation de dépendance ; laïcité vis-à-vis du catholicisme et puissance des Eglises évangéliques ; pro-américanisme et anti-américanisme ; philosémitisme et antisémitisme ; proximité avec et rejet de l’islam politique. L’incohérence des « valeurs » constitue un signe de décomposition.

L’histoire de l’Humanité est ouverte

John Hobson, Rudolf Hilferding, Vladimir Ilitch Lénine, Rosa Luxembourg, Nikolaï Boukharine et beaucoup d’autres l’avaient constaté au début du vingtième siècle, avant et après la Première guerre mondiale : les banques formant des cartels et des monopoles, à l’époque issues des cinq pays impérialistes les plus puissants (Grande-Bretagne, France, Russie, Allemagne et États-Unis) avaient repris un rôle dominant au sein du capitalisme transatlantique ; une guerre de trente ans avec deux guerres mondiales en était la conséquence. Mais de la concurrence entre plusieurs pays impérialistes a résulté un empire à direction états-unienne. Les nouveaux acteurs de la Finance ont encore une fois approfondi la domination des États-Unis et la position de vassaux des « alliés », soutenus par un président états-unien instruit et aux belles paroles comme Barack Obama et par un président états-unien frustre et bruyant comme Donald Trump.

Le titre de l’analyse mondialement connue de Lénine – « L’impérialisme, stade suprême du capitalisme » – était différent à l’origine. Lénine, en 1916, n’évoquait pas un stade « suprême », mais « le plus récent ». L’idée de stade « suprême » – ce qui sous-entendait aussi qu’il s’agisse du stade « ultime », dernier – a été projetée sur cette analyse ultérieurement. Nous pouvons comprendre l’espoir qui y était lié. Mais elle constituait une illusion, si on tient compte de la force des pratiques et des crimes commis sans pitié, avec ruse et professionnalisme que les acteurs – déjà – du capitalisme de l’époque ont mis en œuvre contre la démocratie, le droit international, le mouvement ouvrier, le socialisme et les mouvements de libération nationale.1

Le diagnostic « stade le plus récent » approchait à l’époque, et approche aujourd’hui, davantage de la réalité. Mais c’est surtout l’ascension, soutenue de manière non intentionnelle par le capitalisme occidental, du capitalisme sous direction communiste en République populaire de Chine et de son réseau, se développant à l’échelle planétaire, de la « Nouvelle route de la Soie » qui manifestent le fait que l’Histoire est à nouveau ouverte et rend possible d’autres, nouveaux développements. Ce tournant est aussi la partie la plus visible d’un mouvement international vers un nouveau chapitre de la décolonisation, la démocratisation et la paix.

La post-Histoire, autrefois proclamée dans l’euphorie de la victoire sur le socialisme au début des années 1990, avec la fin de l’Histoire (Note du traducteur : selon le titre du fameux livre de Francis Fukuyama publié en 1992) et l’éternité prétendument promise à un capitalisme « occidental », sous vernis de christianisme et opposé à l’islamisme : tout cela est révolu. La mondialisation du Libre-échange néocolonialiste, promue par le capitalisme occidental, après une phase de plusieurs décennies de l’auto-éblouissement arrogant, est confrontée non seulement à des oppositions internes, mais aussi aux pratiques tout à fait différentes de la République populaire de Chine en matière d’économie nationale et de mondialisation.

Le présent livre invite à examiner et à comparer ces deux grandes variantes du capitalisme le plus récent, ensemble et de manière plus précise que jusqu’ici, de l’intérieur et de l’extérieur, sur le plan des droits humaines et du droit international. L’Histoire est ouverte.

 

1 Déjà Karl Marx et Friedrich Engels s’étaient trompés, après la publication de leur Manifeste Communiste en 1848, dans leur espoir envers une révolution socialiste s’annonçant pour bientôt.

I.

Les nouveaux acteurs du Capital en Occident

Le nouveau capitalisme, tel qu’il s’est formé depuis les années 1980 et qu’il domine depuis la crise bancaire de 2007, comprend différents groupes et catégories d’acteurs de la Finance agissant à l’échelle planétaire. 1. Les plus puissants parmi eux sont les organisateurs du Capital du type BlackRock. 2. La deuxième division est constituée jusqu’ici par les investisseurs de type private equity (note du traducteur : capital-investissement achetant des actions non cotées) aussi appelés « vautours », les hedge funds (fonds d’investissement non indexés sur la bourse) et des investisseurs en capital-risque. 3. Des banques d’affaires élitistes, des banques privées et les banques majeures traditionnelles jouent différents rôles. 4. Ces acteurs de la Finance favorisent et contribuent à façonner – à côté des principaux groupes économiques traditionnels – aussi les cinq « chevaliers de l’apocalypse de l’Internet » : Google, Apple, Microsoft, Facebook et Amazon (les « GAMFA »). 5. Enfin, il y a la génération la plus récente, celle des entreprises de l’économie des plateformes numériques qui connaissent une ascension encore plus rapide, du type Uber, Deliveroo, Airbnb, Netflix, Parship/ElitePartner, Upwork ou encore Flixbus.

Des acteurs de la Finance de taille plus réduite et de forme plus diffuse, qui peuvent prospérer (mais aussi disparaître) dans le cours de la transformation du capitalisme occidental tels que les debt funds (fonds détenteurs de titres de dette), organisateurs de crypto-monnaies ainsi que l’armée amorphe des conseillers en gestion de patrimoine ne seront pas pris en considération ici, tout comme le groupe – bien que plus important pour la version brute et primaire de la transformation capitaliste – des oligarques qui peuvent prendre par intermittence des fonctions gouvernementales ou proches de certains gouvernements tels que Donald Trump, George Soros, Mikhaïl Khodorkovski, Ioulia Tymochenko, Petro Porochenko, Milo Dukanović et Andrej Babiš.

1. Grands organisateurs du Capital : BlackRock & al.

Pas seulement depuis la « crise financière », les économies nationales de la « communauté de valeurs occidentale » sont entrées en stagnation et ce, de manière systémique et durable. Non seulement les États, mais aussi les entreprises investissent de moins en moins et sont en même temps de plus en plus endettées, et ceci à un niveau supérieur à celui d’avant la crise financière. Et ce surendettement n’est plus rattrapable avec ce type d’économie. De même, l’endettement et aussi le surendettement des ménages a augmenté et continue d’augmenter.1

Rétrécissement économique, surendettement irrémédiable

La croissance officiellement souvent supérieure aux États-Unis repose sur des combines statistiques portées (elles aussi) à un niveau supérieur, et comporte jusqu’à deux pour cent d’exagération2 – ou alors repose sur des produits qui sont de toute manière socialement inutiles, à usage militaire et nuisibles à l’environnement. Le chômage et le sous-emploi sont durablement élevés, leurs statistiques également trafiquées. Au sein du capitalisme transatlantique, la proportion des revenus issus du travail salarié se trouve en baisse continue depuis 1990, et en baisse accélérée depuis 2007.3 Les salaires se voient contraints soit au sursoit au sous-emploi, allant de pair avec une situation de working poor (travaillant et restant pauvre), demeurant pauvre malgré un travail à plein temps – ou alternativement sous pression permanente avec une paie correcte.

Au sein du capitalisme occidental règne une « stagnation séculaire », selon les termes de l’ancien ministre des Finances états-unien Lawrence Summers4 qui avait contribué sous la présidence de William (Bill) Clinton à déclencher cette évolution. Le capitalisme occidental ne table donc pas, en pratique, sur une « croissance permanente » comme le critique des altermondialistes et des partisans de la décroissance. Au sein du capitalisme occidental, c’est le bénéfice privé qui croît, mais le travail de qualité et la qualité de vie des salariés baissent. L’infrastructure nécessaire à la majorité des populations – logements abordables, écoles, maternelles, hôpitaux, EHPAD, administration municipale, distribution d’eau et traitement des eaux usées, égouts, transports publics par train, bus ou métro – est négligée, rétrécie, se dégrade, ou alors elle est privatisée et le coût d’accès augmente.

Il règne une « grève des investissements en Europe », selon un titre du quotidien économique allemand proche des milieux investisseurs, le Handelsblatt (HB, dont le nom signifie littéralement « La feuille du commerce »). Mais les auteurs, censés si bien connaître « l’économie », tombent ici dans des explications psychologiques fumeuses : « Il paraît que la confiance envers l’avenir n’est tout simplement pas assez grande. »5

Le patron de BlackRock : « Le suprême des capitalistes suprêmes »

Certains ne peuvent qu’en rire, d’abord clandestinement, désormais publiquement. Il faut dire que certains investisseurs ont beaucoup de confiance dans l’avenir du capitalisme rétréci surendetté. Depuis la crise financière, ils investissent encore davantage, en silence et avec conséquence.

Dans les étages supérieurs du monde occidental, le patron de BlackRock, Lawrence Fink, est adulé comme aucun autre. De façon familière, les médias dominants l’appellent « Larry ». Lorsqu’il arrive en jet privé au Forum économique mondial qui se déroule annuellement à Davos en Suisse, les élites, non élues comme élues, se mettent au garde-à-vous. Ceci parce qu’« ils ont tous compris, ces managers, entrepreneurs, banquiers, grands investisseurs, politiques, économistes, que cet Américain est quelque chose comme le président non déclaré de la communauté financière mondiale, le suprême des capitalistes suprêmes, celui qui détermine les lois et les destins du capitalisme plus que beaucoup d’autres », selon les mots de l’auteur du Handelsblatt qui a eu l’occasion de participer à l’événement, tout à son admiration.6

Des spéculations d’initiés

Examinons, dans l’ordre, certaines des activités typiques du suprême des capitalistes suprêmes. Prenons un « investissement » datant de 2016. BlackRock et d’autres investisseurs financiers se firent donner des crédits, par d’autres investisseurs du même type, pour un milliard d’euros et rachetèrent un tiers de toutes les actions de la (Note du traducteur : compagnie aérienne allemande) Lufthansa à d’autres actionnaires de celle-ci, en partie pour une durée limitée (en parlait alors d’« actions en location »). BlackRock & al. spéculèrent sur l’attente qu’en raison de la crainte d’attentats terroristes et du Brexit, moins de billets d’avions seraient achetés et que les actions perdraient en valeur. Ce qui arriva, en suivant les lois du marché occidentales, la valeur desdites actions chutant de 14 %. Les investisseurs rendirent les actions prises « en location » à leurs véritables propriétaires, au bout de quelques semaines, comme convenu, et rachetèrent des actions de Lufthansa dont la valeur avait baissé… en effectuant un gain, puisque la valeur de ces actions remontait par la suite.7

Cependant, BlackRock n’est ici pas un spéculateur venu de l’extérieur, mais l’un des principaux actionnaires de Lufthansa. Si on n’a aucune idée du capitalisme contemporain, on pourrait alors poser la question : pourquoi un copropriétaire spécule-t-il sur la baisse de la valeur de l’action de sa propre entreprise ?

Dans le capitalisme dans sa version la plus récente, les entreprises ne constituent, pour des propriétaires tels que BlackRock, que la base de départ pour effectuer des spéculations. Si celles-ci rapportent plus que la conservation des actions et l’attente annuelle du versement des dividendes, alors, on investit dans la spéculation… même s’il apparaît pervers d’appeler cela un « investissement », non ?

BlackRock & al. misent en permanence une partie des paquets d’actions qu’ils détiennent chez Lufthansa, Daimler, Siemens, Coca-Cola, Goldman Sachs, Vivendi, Vinci etc. à des fins de spéculations. Arrêtons-nous à la date du 18 août 2016 : ce jour-là, en Allemagne, BlackRock signale à la Bundesanstalt für Finanzdienstleistungsaufsicht (Bafin ; note du traducteur : équivalent allemand de l’Autorité des marchés financiers, en France) des ventes à découvert d’actes chez Kali&Salz AG, zooplus AG et ElringKlinger AG (note du traducteur : des sociétés cotées en bourse, le sigle allemand AG pour Aktiengesellschaft signifiant « société par actions », équivalent du sigle français S.A.). L’investisseur Marshall Wace signale à la Bafin des ventes à découvert d’actions chez Deutsche Bank, Lufthansa et Grammer AG ; l’investisseur AQR signale à la Bafin des ventes à découvert chez le groupe de la construction Bilfinger ; l’investisseur Lansdowne fait de même chez Volkswagen ; Millenium fait de même chez Wacker Chemie AG, etc. etc.8

Susciter la panique et escroquer

Ces ventes à découvert effectuées en une seule journée ne constituent qu’un infime extrait de l’ensemble et ne concerne que l’Allemagne. De telles ventes à découverte par BlackRock & al. se déroulent en même temps dans beaucoup d’autres entreprises en Allemagne, et dans beaucoup d’autres entreprises dans d’autres États. BlackRock est en mesure de « durcir des variations du cours boursier (d’une entreprise) et de susciter ainsi la panique », remarque même le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung qui, par ailleurs, admire les spéculateurs.9

D’autres spéculations avec les actions permettent de se livrer à une escroquerie. BlackRock loue, contre frais, des actions à d’autres acteurs sur le marché. Dans le cadre des affaires devenues connues sous l’appellation « Cum Ex », BlackRock avait loué des actions lui appartenant pour une durée déterminée à des individus riches et à des banques. En contrepartie, dans pareil cas, BlackRock encaisse une commission. Ceux qui sont devenus locataires des actions peuvent se faire passer, vis-à-vis du service des impôts de leur pays, pour leurs propriétaires et se faire rembourser la taxe sur les dividendes sans l’avoir versée. BlackRock & al. peuvent jouer les innocents : nous ne savions pas ce que les locataires font avec les actions… Entre-temps, des procureurs de la République en Allemagne se sont réveillés et ont fait perquisitionner la filiale allemande de BlackRock.10

Violer des lois et payer l’amende avec la petite monnaie

En se livrant à de telles spéculations, BlackRock a violé des obligations déclaratives selon les articles 21, 22 et 25 de la Wertpapierhandels-Gesetz (Loi sur le commerce des titres de valeur) allemande. La Bafin, autorité allemande de surveillance des marchés financiers, suite à des contrôles sélectifs, infligea ainsi en mars 2015 à BlackRock une amende de 3,25 millions d’euros. Ceci est l’amende la plus élevée, et de loin, que la Bafin ait jamais imposée. « Les déclarations de BlackRock en matière de droits de vote (dans une société par actions) et d’outils financiers étaient inexactes sur le fond et/ou tardives. »11

Il fait partie de l’activité de BlackRock, comme il a été décrit, d’acheter et de vendre quotidiennement des paquets d’actions de ces entreprises, d’en créer des produits dérivés et de tirer profit des différences des cours entre les bourses du monde. Dans cette optique, des déclarations trop tardives et fausses aux pouvoirs publics ont une influence sur les gains. La Bafin n’a pas répété le contrôle sélectif effectué en 2013, exigeant des moyens lourds, jusqu’ici.

BlackRock paya sans sourciller les 3,25 millions d’amende, avec la petite monnaie de la filiale allemande. La Bafin est dépassée rien qu’avec le contrôle de l’ensemble des activités de la firme BlackRock, à elle seule, sans évoquer les quatre dizaines d’autres structures du même acabit. Ce club rabaisse les autorités publiques de contrôle du secteur financier du capitalisme occidental au rang de pantins ridicules.

Super-cerveau de l’économie occidentale

BlackRock spécule en permanence, avec des actions lui appartenant ou appartenant à d’autres, dans toutes les bourses du monde. Ce faisant, des différences entre les cours des actions existant à l’échelle de nanosecondes entre les bourses situées à New York, Tokyo, Paris, Singapour, Londres, Zurich, Milan, Francfort, Paris, au Luxembourg, à Rio de Janeiro etc. sont exploitées. La même chose se passe avec des titres de valeur de toutes sortes, basées sur des actions : futures (contrats à terme), produits financiers dérivés, ETF (exchange traded funds, voir plus loin), iShares (voir plus loin). Cela se déroule, pour la plus grande partie, de manière automatique.

Les logiciels appartiennent à Aladdin, le super-cerveau robotisé de BlackRock. Cette installation informatique composée de 5.000 superordinateurs est gérée par 2.000 spécialistes en informatique, programmateurs et analystes de données. Le système consomme autant d’électricité pour le refroidissement des supercalculateurs que la plus grande partie de cette plus grande base de traitement de données financières de l’économie occidentale a été implantée à une distance de 4.425 kilomètres de la Wall Street, au Nord-Ouest des États-Unis, à proximité de la petite ville de Wenatchee comptant 30.000 habitants. Là-bas, les centrales hydroélectriques sur les rives du fleuve Columbia produisent l’électricité la moins chère des États-Unis. C’est là que sont implantés aussi les centres de calcul relativement petits, mais ayant tout de même la taille d’un terrain de football, par exemple de Yahoo, Microsoft et Dell.

Aladdin est le sigle pour Asset Liability and Debt Derivative Investment Network. Son fonctionnement intègre des facteurs de risque tels que des changements de gouvernement, guerres et actions militaires, tremblements de terre, variations climatiques, grèves et mouvements de contestation, changements du comportement des consommateurs, faillites, campagnes publicitaires. A ce propos, des changements brusques et les évolutions qui le préparent revêtent un intérêt particulier. Il s’agit surtout de savoir comment on pourra, en étant informé avant les autres – l’antériorité pouvant parfois jouer sur quelques fractions de secondes – influer sur l’évolution du cours de titres de valeurs, et en tirer un bénéfice à travers des achats et des ventes. Dans ce prisme, des grèves, des crises gouvernementales, des guerres et surtout des menaces de guerre peuvent alors revêtir une fonction positive.

BlackRock est en même temps, ensemble avec d’autres organisateurs du Capital du même type – Vanguard, T.Rowe Price, State Street, Fidelity, Wellington, Northern Trust, JPMorgan, Capital Group et autres – copropriétaire des principales bourses du monde occidental, du New York Stock Exchange (NYSE) et de la bourse des valeurs technologiques Nasdaq tout autant que de la bourse de Londres ou de la Deutsche Börse (note du traducteur : Bourse allemande, ayant son siège à Francfort-sur-le-Main), et copropriétaire de milliers de sociétés cotées comme Lufthansa et Coca-Cola.

Ainsi BlackRock combine la capacité de traitement de données la plus importante du secteur financier occidental avec la fonction du plus important initié des secteurs financiers et économiques. BlackRock étant par exemple aussi un actionnaire majeur de la Deutsche Bank, la gestion de fortune de cette dernière est pilotée par Aladdin. Désormais, Aladdin effectue aussi les analyses de risque pour plus de 150 organisateurs du Capital de taille plus réduite, mais aussi pour des fondations, fonds publics, compagnies d’assurances, caisses de retraite et même pour cinquante banques centrales occidentales, dont la Banque centrale des États-Unis d’Amérique et la Banque centrale européenne (BCE).12

Au sein des milieux financiers, on a pleinement conscience que ces spéculations publiquement favorisées, y compris au profit de BlackRock & al., « mettent en péril la stabilité des marchés financiers » et renforcent la tendance à la crise, déjà structurellement présente au sein du type d’économie actuellement dominant.13

La classe capitaliste transnationale

BlackRock ne compte que 13.000 salariés à l’échelle mondiale. Les banques majeures traditionnelles gèrent incomparablement moins de capitaux, mais elles ont besoin, malgré toutes les coupes dans les dépenses, de nettement plus de personnel : JPMorgan Chase compte 230.000 salariés et la Deutsche Bank 100.000.

Cela est lié au fait qu’en comparaison, le nombre de clients – super-riches – que BlackRock doit suivre est infime. Il n’y a pas de clientèle de passage, pas de guichets bancaires. A l’échelle mondiale, des héritiers d’entreprises, des clans patronaux, des chefs d’entreprise, des dirigeants et membres de Conseils d’administration de sociétés et de banques, des gérants, des fondations patronales, des milliardaires et des millionnaires déposent leurs liquidités entre les mains de BlackRock. De tels clients sont nommés Ultra High Net Worth Individuals (UHNWI), « clients à la valeur nette ultra-élevée ». A partir de cinquante millions, mieux encore à partir de cent millions, on en fait partie. Des banques traditionnelles, compagnies d’assurances, banques centrales, services financiers d’entreprises, caisses de retraite aussi confient des capitaux à BlackRock.

Les responsables respectifs et les bénéficiaires économiques forment la classe capitaliste transnationale.14 Seuls BlackRocks & al. connaissent les noms de leurs clients. L’opinion publique les ignore, les services des impôts devraient les ignorer la plupart du temps aussi. A leur tour, les entreprises au sein desquelles BlackRock achète pour le compte de ces clients les actions ou d’autres titres de valeur ignorent les noms de leurs « vrais » propriétaires. BlackRock & al. forment une machine d’anonymisation… ce savoir exclusif fait partie des sources de leur pouvoir.

BlackRock & al. forment ainsi un réseau global des super-richissimes, qui traînent derrière eux encore quelques millions de petits investisseurs sans pouvoir ni information. Le capital accumulé est investi par BlackRock & al. dans les entreprises les plus profitables à l’échelle mondiale, ces dernières appartenant alors elles-mêmes au réseau capitaliste transnational. Nous aborderons plus loin les connections gouvernementales qui vont avec et l’« armée privée civile ».

Cartels de prix, rachats, fusions

BlackRock et quelques dizaines d’autres organisateurs du Capital comparables sont les premiers initiés du capitalisme occidental. Ils possèdent des relations étroites avec des directions de groupes économiques, des gouvernements, des agences de notation, des institutions financières internationales telles que le FMI et la BCE et avec la crème des sociétés de conseil comme PwC et Freshfields qui conseillent et des groupes économiques et des gouvernements. Ainsi, BlackRock & al., voyant plus loin que d’autres, peuvent non seulement anticiper les évolutions à long terme, mais aussi influencer leur cours et en tirer profit.

Cartels de fixation des prix

Les spéculations sur les titres de valeur ne sont qu’une source de bénéfices. Pour rester sur l’exemple de la compagnie aérienne Lufthansa : on y réduit les coûts afin de rendre l’entreprise plus rentable. En raison des externalisations, le groupe est désormais composé d’environ cinq cents entreprises, filiales et participations (en matière d’équipement, catering, technologie, services informatiques, sous forme de transporteurs aériens achetés et filialisés). Le personnel au sol et le personnel navigant sont moins bien rémunérés, les retraites sont diminuées pour les pilotes, des nouveaux pilotes sont embauchés par une filiale low cost, des lignes low cost sont mises en place. La vision à long terme est ainsi définie : sur les 120.000 employés actuels, environ un dixième devraient rester au bout d’une décennie.

Cartels de banques et de compagnies aériennes aux États-Unis

Cela ne serait pas possible, sous une forme aussi brutale, avec les moyens traditionnels d’un groupe « allemand ». C’est ici que BlackRock & al. entrent en jeu. BlackRock et l’organisateur du Capital occupant actuellement la place numéro 2, Vanguard, sont copropriétaires de Lufthansa, mais aussi des compagnies aériennes états-uniennes American Airlines et Delta Airlines. Les fusions et acquisitions poussent les bénéfices à la hausse. Au pays d’origine de BlackRock & al., les États-Unis, ces entreprises financières ont formé des cartels avec les banques dont elles sont également copropriétaires : les frais de ces banques ont été augmentés et en même temps, les intérêts sur l’épargne ont été baissés. Dans les compagnies aériennes états-uniennes, les prix du billet ont été en même temps augmentés.15

Par exemple : Bayer rachète Monsanto

La prochaine étape consiste en fusions et rachats. Prenons pour exemple le rachat du groupe biotechnologique états-unien Monsanto par le groupe de chimie allemand Bayer. Il ne s’agit pas d’une « OPA hostile » d’un groupe « américain » par un groupe « allemand », comme les médias dominants et les médias secondaires le relatent.16

En réalité, ce rachat est déclenché par les gros actionnaires… et ce sont les mêmes dans les deux groupes. Les principaux actionnaires de Bayer sont, dans l’ordre : BlackRock, Sun Life Financial, Capital World, Vanguard, Deutsche Bank. Les principaux actionnaires de Monsanto sont, dans un ordre légèrement différent : Capital World, Vanguard, BlackRock, State Street, Fidelity et Sun Life Financial.17 La concentration du capital et du pouvoir au niveau de BlackRock est encore plus élevée : BlackRock est aussi un des principaux actionnaires de la Deutsche Bank, copropriétarie de Bayer.

Ainsi naît le premier groupe mondial de l’agrochimie : il réunit de manière synergique les places de leader mondial sur les marchés dans les domaines de la semence, des pesticides, des brevets agricoles et détient le plus grand nombre de données sur les paysans, les entreprises agricoles et les marchés agricoles.

Bristol-Myers Sqibb rachète Celgene

Bien évidemment, BlackRock, Vanguard, Capital, State Street, Fidelity, Wellington etc. figurent aussi parmi les principaux actionnaires d’autres groupes de l’agroalimentaire et de la chimie tels que BASF (Allemagne) ; LG Chem (Corée du Sud), Akzo Nobel (Pays-Bas) ainsi que Pfizer et DowDupont (États-Unis).

En 2019 a démarré la fusion des groupes pharmaceutiques états-uniens Bristol-Myers Sqibb et Celgene, jusqu’ici son concurrent. Ils souhaitent former l’entreprise en tête, entre autres, en matière de médicaments contre le cancer.18 Les principaux actionnaires de Bristol-Myers Squibb sont, dans l’ordre : BlackRock, Vanguard, State Street ; les principaux actionnaires de Celgene sont, dans l’ordre : Wellington, Vanguard, BlackRock, State Street.

Linde rachète Praxair

Le leader du marché européen en matière de gaz industriels, Linde, souhaite racheter le concurrent états-unien Praxair. Chez Linde et Praxair, aussi, BlackRock & al. sont les principaux actionnaires des deux côtés : les plus grands propriétaires chez Linde sont le fonds souverain norvégien Norges, BlackRock et Sun Life ; chez Praxair, ce sont Capital World, Vanguard, State Street et BlackRock, ensuite on trouve entre autres à nouveau Norges.19 La fusion entre Linde et Praxair ferait « naître le plus grand producteur de gaz industriels du monde ».20

Sur ce chemin, la suppression d’emplois dans les deux groupes antérieurs est programmée. Les 8.000 salariés de Linde en Allemagne ne devraient être protégés contre le licenciement que jusqu’en 2021. Le siège juridique de l’entreprise née de la fusion devrait être installé dans le paradis financier que constitue l’Irlande. Ainsi, des emplois et des impôts sont perdus dans plusieurs États.

Formation de monopoles dans le secteur énergétique

Au début de l’année 2018, les deux principaux fournisseurs d’énergie en Allemagne, E.ON et RWE, s’arrangèrent pour instaurer un nouveau partage des rôles entre eux. E.ON acheta la filiale de RWE, Innogy, et reprit ainsi la distribution de l’énergie et l’équipement sous formes de lignes de haute tension. E.ON obtient ainsi en Allemagne 75 % du marché de l’électricité, 50 % des réseaux de distribution d’électricité et 40 % des compteurs électriques. En même temps, RWE monopolise la production d’électricité.21 Au passage, la suppression de 5.000 emplois est programmée.22

BlackRock est l’un des principaux actionnaires auprès de chacun des deux groupes. Et en même temps, BlackRock est également le principal propriétaire, après RWE, chez Innogy, suivi par Templeton, Norges, Caffi Delen, Franklin et Vanguard. Innogy a distribué 550 millions d’actions.23 Pour le rachat d’Innogy, E.ON a payé aux actionnaires de cette société quarante euros par action.24 Les 6,87 % des actions d’Innogy que possède BlackRock correspondent à 34,35 millions d’actions. Ce nombre multiplié par quarante donne un résultat de 1,36 milliard d’euros… de bénéfice pour BlackRock. Templeton, Norges, Caffi Delen, Franklin et Vanguard détiennent ensemble 6,12 % des actions, et reçoivent ainsi ensemble un peu plus qu’un milliard d’euros.

Fusions de banques

BlackRock & al. poussent aussi, sur le plan national et international, à la fusion entre banques. Pour le chef de la Deutsche Bank, il y a en Allemagne et dans l’UE « tout simplement trop de banques… Nous avons besoins d’autres fusions, sur le plan national, mais aussi au-delà des frontières du pays. » La Deutsche Bank pourrait fusionner, à ses yeux, par exemple avec la Commerzbank.25

Aux États-Unis, mais aussi en France et en Italie, une évolution similaire se dessine. BlackRock est le premier détenteur de capitaux de quatre parmi les cinq principales banques nord-américaines, et en Europe, le premier détenteur de capitaux par exemple de la Deutsche Bank, de l’ING Bank néerlandaise, de la Hongkong and Shanghai Banking Corporation (HSBC) britannique, de la Banco Bilbao espagnole, et le deuxième plus grand détenteur de capitaux de BNP Paribas en France, de Unicredit et de la Banco Sanpaolo en Italie.

Depuis l’introduction en bourse en 2010, le bénéfice de BlackRock a ainsi crû en permanence. En 2016, il est de 16 % plus élevé que l’année précédente. Au premier trimestre 2018, le bénéfice net augmenta encore, malgré les turbulences boursières, de 27 %pour atteindre 1,09 milliard de dollars.26

Une ascension à travers la crise financière

Nous allons maintenant soulever la question : quand et comment est né ce nouveau type d’organisateur du Capital ?

BlackRock fut fondé en 1998 par Lawrence Fink. Ce dernier avait travaillé à la Wall Street auprès de la banque d’investissement First Boston. A l’époque, les banques majeures états-uniennes commençaient à se libérer des régulations antérieures, même avant que l’administration sous la présidence de Clinton ne modifie la législation dans ce sens. Certains managers de banque développèrent de nouveaux produits financiers, expérimentèrent avec eux et se mirent à la recherche de sponsors à cette fin.

Ainsi Fink passe pour le créateur, chez First Boston, des titres « de valeur » qui sont créés à partir de crédits immobiliers et autres, certifiés parce que revendus par les banques puis rassemblés en bouquet. Pour avoir créé tels produits financiers et paris financiers, il obtint des crédits par la société de private equity Blackstone. En 1994, il créa BlackRock à partir de Blackstone : La petite « pierre noire » se transforma successivement en « rocher noir », beaucoup plus grand.

BlackRock effectua le premier grand saut grâce aux spéculations financières que Fink avait contribué à développer. Celles-ci conduisirent en 2007 à la faillite des banques occidentales traditionnelles. Le patron de BlackRock avait « lui-même inventé, dans les années 1980 chez First Boston, ces titres d’hypothèque qui ont massivement contribué au krach financier de 2007/08 ».27 C’est ainsi que le patrimoine géré par BlackRock passa d’environ 300 milliards de dollars US dans l’année 2004 à 1,3 billion de dollars dans l’année 2008.

Le prochain grand saut fut réussi dans les deux années qui suivirent l’éclatement de la crise financière. L’administration états-unienne sous la présidence de Barack Obama chargea Fink de gérer la crise financière. Ainsi, BlackRock coordonna la mise en liquidation des banques d’Investissement Bear Stearns et Lehman Brothers ainsi que le sauvetage public de la compagnie d’assurances American International Group (AIG). Cela signifiait par exemple que des indemnités d’assurance dont le versement aurait incombé à AIG, ont été payées aux banques Golmand Sachs et Deutsche Bank. L’honoraire pour BlackRock se chiffrait à 180 millions de dollars.28

Ce qui était nettement plus important que l’honoraire du gouvernement, était le fait qu’à travers cette position d’initié, BlackRock pouvait se procurer une position encore plus forte sur le marché et en termes d’influence, par exemple par le rachat d’acteurs de la Finance de taille moins importante, même en faillite, ce qui ouvrit à BlackRock l’accès à des crédits bon marché. Les riches investisseurs fuyaient les banques de Wall Street, déstabilisées, au profit de BlackRock qui était chuchoté par le gouvernement : jusqu’en 2009, au cours des deux ans, le patrimoine géré par la société avait augmenté à 3,3 billions de dollars US. En 2018, il se chiffrait déjà à plus de 6,4 billions… donc environ vingt fois le budget de l’État le plus riche et le plus puissant de l’Union européenne, et deux fois son produit intérieur brut annuel. (Note du traducteur : Le PIB allemand était évalué à 3,677 billions de dollars US en 2017.)

Affaires sombres : une banque gouvernementale disparaît

Après une première période au cours de laquelle BlackRock agissait en tant que fonds d’investissement en dehors de toute réglementation, en 1999, par son introduction en bourse, il devient une Société par actions.

Le plus grand détenteur de capitaux est, avec 25 % de parts de capitaux, la banque régionale Pittsburgh National Corporation, PNC. En 2017, elle en possédait même encore 34 % ; c’est, dans ces milieux, une proportion inhabituellement élevée. Les principaux copropriétaires suivants sont Vanguard avec 8,4 %, Wellington avec 7,2 %, BlackRock lui-même avec une part de capitaux propres de 6,9 %, puis Capital World avec 6,6 %.29

Riggs : La banque de blanchissement des capitaux à Washington D.C.