Les huit coups de l'horloge (traduit) - Maurice Leblanc - E-Book

Les huit coups de l'horloge (traduit) E-Book

Leblanc Maurice

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Beschreibung

- Cette édition est unique;
- La traduction est entièrement originale et a été réalisée pour l'Ale. Mar. SAS;
- Tous droits réservés.
Un recueil de huit nouvelles mettant en scène Arsène Lupin, gentleman-voleur : Au signe de Mercure ; Empreintes dans la neige ; La dame à la hache ; Thérèse et Germaine ; Le film révélateur ; L'affaire Jean Louis ; La bouteille d'eau ; et Au sommet de la tour.

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Table des matières

 

1. Au sommet de la tour

2. La bouteille d'eau

3. Le cas de Jean Louis

4. Le film révélateur

5. Thérèse et Germaine

6. La femme à la hache

7. Empreintes dans la neige

8. Au signe de Mercure

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Les huit coups de l'horloge

 

Maurice Leblanc

 

 

 

 

 

 

 

1. Au sommet de la tour

 

Hortense Daniel a entrouvert sa fenêtre et a chuchoté :

"Vous êtes là, Rossigny ?"

"Je suis là", répond une voix provenant des arbustes à l'avant de la maison.

En se penchant en avant, elle vit un homme plutôt gros qui la regardait à travers un visage grossièrement rouge, avec des joues et un menton entourés de moustaches désagréablement claires.

"Alors ?", demande-t-il.

"J'ai eu une grande discussion avec mon oncle et ma tante hier soir. Ils refusent catégoriquement de signer le document dont mon avocat leur a envoyé le projet, ou de restituer la dot dilapidée par mon mari".

"Mais votre oncle est responsable selon les termes du contrat de mariage."

"Peu importe. Il refuse."

"Eh bien, que proposez-vous de faire ?"

"Tu es toujours décidé à t'enfuir avec moi ? demanda-t-elle en riant.

"Plus que jamais".

"Vos intentions sont strictement honorables, rappelez-vous !"

"Comme tu veux. Tu sais que je suis follement amoureux de toi".

"Malheureusement, je ne suis pas follement amoureux de toi !

"Alors qu'est-ce qui t'a poussé à me choisir ?"

"Le hasard. Je m'ennuyais. J'étais fatigué de mon existence banale. Je suis donc prêt à courir des risques.... Voici mon bagage : attraper !"

Elle fit descendre de la fenêtre deux grands sacs de cuir. Rossigny les prit dans ses bras.

"Le sort en est jeté", murmure-t-elle. "Va m'attendre avec ta voiture au carrefour d'If. Je viendrai à cheval."

"Attendez, je ne peux pas m'enfuir avec votre cheval !"

"Il rentrera chez lui tout seul.

"Capitale !... Oh, d'ailleurs...."

"Qu'est-ce que c'est ?

"Qui est ce Prince Rénine, qui est ici depuis trois jours et que personne ne semble connaître ?"

"Je ne sais pas grand-chose de lui. Mon oncle l'a rencontré lors d'un tournage chez un ami et lui a demandé de rester ici."

"Vous semblez avoir fait une grande impression sur lui. Vous avez fait une longue promenade avec lui hier. C'est un homme que je n'aime pas."

"Dans deux heures, j'aurai quitté la maison en votre compagnie. Le scandale le refroidira.... Eh bien, nous avons parlé assez longtemps. Nous n'avons pas de temps à perdre."

Elle resta quelques minutes à regarder le gros homme plier sous le poids de ses pièges et s'éloigner à l'abri d'une avenue déserte. Puis elle ferma la fenêtre.

Dehors, dans le parc, les cors des chasseurs sonnent le réveil. Les chiens se mettent à bayer frénétiquement. Ce matin-là, c'est l'ouverture de la chasse au château de la Marèze où, chaque année, dans la première semaine de septembre, le comte d'Aigleroche, grand chasseur devant l'Éternel, et sa comtesse ont coutume d'inviter quelques amis personnels et les propriétaires terriens voisins.

Hortense acheva lentement de s'habiller, revêtit une tenue d'équitation qui révélait les lignes de sa souple silhouette, et un chapeau de feutre à larges bords qui entourait son beau visage et ses cheveux auburn, et s'assit à son bureau, où elle écrivit à son oncle, M. d'Aigleroche, une lettre d'adieu qu'elle devait lui remettre le soir même. C'était une lettre difficile à écrire ; et, après l'avoir commencée plusieurs fois, elle finit par en abandonner l'idée.

"Je lui écrirai plus tard, se dit-elle, quand sa colère se sera calmée.

Et elle descendit dans la salle à manger.

D'énormes bûches flambent dans l'âtre de la grande salle. Les murs sont couverts de trophées de carabines et de fusils de chasse. Les invités affluaient de toutes parts, serrant la main du comte d'Aigleroche, l'un de ces écuyers typiques de la campagne, lourdement et puissamment bâti, qui ne vit que pour la chasse et le tir. Il se tenait devant le feu, un grand verre de vieux cognac à la main, et buvait la santé de chaque nouvel arrivant.

Hortense l'embrasse distraitement :

"Quoi, mon oncle ! Vous qui êtes d'habitude si sobre !"

"Pooh !", a-t-il dit. "Un homme peut certainement se faire plaisir une fois par an !..."

"Tante va te gronder !"

"Ta tante a une de ses migraines et ne descendra pas. D'ailleurs, ajouta-t-il d'un ton bourru, ce n'est pas son affaire... et encore moins la tienne, ma chère enfant."

Le prince Rénine s'approcha d'Hortense. C'était un jeune homme, très élégamment vêtu, au visage étroit et plutôt pâle, dont les yeux avaient tour à tour l'expression la plus douce et la plus dure, la plus amicale et la plus satirique. Il s'inclina devant elle, lui baisa la main et lui dit :

"Puis-je vous rappeler votre aimable promesse, chère madame ?"

"Ma promesse ?"

"Oui, nous avons convenu de répéter notre délicieuse excursion d'hier et d'essayer de visiter ce vieil endroit barricadé dont l'aspect nous a tant intrigués. Il semblerait qu'il s'agisse du Domaine de Halingre."

Elle a répondu un peu sèchement :

"Je suis vraiment désolée, monsieur, mais c'est un peu loin et je me sens un peu fatiguée. Je vais aller faire un tour dans le parc et je reviendrai à l'intérieur."

Il y eut une pause. Puis Serge Rénine dit, en souriant, les yeux fixés sur les siens et d'une voix qu'elle seule pouvait entendre :

"Je suis sûr que vous tiendrez votre promesse et que vous me laisserez venir avec vous. Ce serait mieux."

"Pour qui ? Pour vous, vous voulez dire ?"

"Pour vous aussi, je vous assure."

Elle a légèrement coloré, mais n'a pas répondu, a serré la main de quelques personnes autour d'elle et a quitté la pièce.

Un palefrenier tient le cheval au pied des marches. Elle monta à cheval et se dirigea vers les bois au-delà du parc.

La matinée est fraîche et calme. A travers les feuilles, qui frémissaient à peine, le ciel était d'un bleu cristallin. Hortense roula au pas dans des avenues sinueuses qui l'amenèrent en une demi-heure à une campagne de ravins et de falaises coupée par la grand-route.

Elle s'est arrêtée. Il n'y a pas de bruit. Rossigny avait dû arrêter son moteur et dissimuler la voiture dans les fourrés autour du carrefour d'If.

Elle était à cinq cents mètres au plus de cet espace circulaire. Après quelques secondes d'hésitation, elle descendit de cheval, l'attacha négligemment pour qu'il puisse se libérer au moindre effort et retourner à la maison, enveloppa son visage dans le long voile brun qui pendait sur ses épaules et continua à marcher.

Comme elle s'y attendait, elle aperçut Rossigny dès le premier tournant de la route. Il s'est précipité sur elle et l'a entraînée dans le taillis !

"Vite, vite ! Oh, j'avais tellement peur que tu sois en retard... ou même que tu changes d'avis ! Et vous voilà ! C'est trop beau pour être vrai !"

Elle sourit :

"Vous semblez être tout à fait heureux de faire une chose idiote !"

"Je pense que je suis heureux ! Et vous le serez aussi, je vous le jure ! Votre vie sera un long conte de fées. Tu auras tout le luxe et tout l'argent que tu peux souhaiter."

"Je ne veux ni argent ni luxe.

"Et ensuite ?"

"Le bonheur".

"Vous pouvez me confier votre bonheur en toute sécurité.

Elle a répondu sur le ton de la plaisanterie :

"Je doute plutôt de la qualité du bonheur que vous me donneriez."

"Attendez ! Vous allez voir ! Tu vas voir !"

Ils ont atteint le moteur. Rossigny, balbutiant encore des expressions de joie, mit le moteur en marche. Hortense monta à bord et s'enveloppa d'un large manteau. La voiture suivit l'étroit sentier herbeux qui ramenait au carrefour et Rossigny accélérait la vitesse, quand il fut soudain obligé de s'arrêter. Un coup de feu avait retenti dans le bois voisin, sur la droite. La voiture dévie d'un côté à l'autre.

"Un pneu avant a éclaté", s'écrie Rossigny en sautant à terre.

"Pas du tout !" s'écrie Hortense. "Quelqu'un a tiré !

"Impossible, ma chère ! Ne soyez pas si absurde !"

A ce moment-là, deux légers chocs ont été ressentis et deux autres cris ont été entendus, l'un après l'autre, un peu plus loin et toujours dans le bois.

Rossigny grogne :

"Les pneus arrière ont éclaté ... tous les deux.... Mais qui, au nom du diable, peut bien être ce ruffian ?... Laissez-moi juste l'attraper, c'est tout !..."

Il grimpe sur le talus qui borde la route. Il n'y avait personne. De plus, les feuilles du taillis bloquaient la vue.

"Bon sang ! Merde !" jure-t-il. "Vous aviez raison : quelqu'un tirait sur la voiture ! Oh, c'est un peu fort ! Nous allons être bloqués pendant des heures ! Trois pneus à réparer ! Mais qu'est-ce que tu fais, ma fille ?"

Hortense elle-même était descendue de la voiture. Elle courut vers lui, très excitée :

"J'y vais."

"Mais pourquoi ?"

"Je veux savoir. Quelqu'un a tiré. Je veux savoir qui c'était."

"Ne nous séparez pas, s'il vous plaît !"

"Tu crois que je vais t'attendre ici pendant des heures ?"

"Qu'en est-il de ta fuite ?... Tous nos projets... ?"

"Nous en discuterons demain. Retourne à la maison. Ramène mes affaires avec toi.... Et au revoir pour l'instant."

Elle se dépêche, le quitte, a la chance de retrouver son cheval et part au galop dans une direction qui s'éloigne de La Marèze.

Il ne fait aucun doute pour elle que les trois coups de feu ont été tirés par le prince Rénine.

"C'est lui, murmura-t-elle avec colère, c'est lui. Personne d'autre ne serait capable d'un tel comportement."

D'ailleurs, il l'avait prévenue, de sa manière souriante et magistrale, qu'il l'attendait.

Elle pleurait de rage et d'humiliation. A ce moment-là, si elle s'était trouvée face au prince Rénine, elle aurait pu le frapper avec sa cravache.

Devant elle s'étendait la région accidentée et pittoresque qui se trouve entre l'Orne et la Sarthe, au-dessus d'Alençon, et qui est connue sous le nom de Petite Suisse. Des collines escarpées l'obligeaient fréquemment à modérer son allure, d'autant plus qu'elle devait parcourir environ six milles avant d'atteindre sa destination. Mais, si elle roule moins vite, si son effort physique se relâche peu à peu, elle n'en reste pas moins indignée contre le prince Rénine. Elle lui en voulait non seulement pour l'acte inqualifiable dont il s'était rendu coupable, mais aussi pour son comportement à son égard depuis trois jours, ses attentions persistantes, son assurance, son air de politesse excessive.

Elle y est presque. Au fond d'une vallée, un vieux mur de parc, plein de fissures, couvert de mousse et de mauvaises herbes, laissait apparaître la tourelle-boule d'un château et quelques fenêtres aux volets clos. C'était le Domaine de Halingre. Elle longea le mur et tourna à l'angle. Au milieu de l'espace en forme de croissant devant lequel se trouvaient les portes d'entrée, Serge Rénine attendait à côté de son cheval.

Elle s'est jetée à terre et, alors qu'il s'avançait, chapeau à la main, en la remerciant d'être venue, elle s'est écriée :

"Un mot, monsieur, pour commencer. Il vient de se passer quelque chose d'inexplicable. Trois coups de feu ont été tirés sur une voiture dans laquelle je me trouvais. Avez-vous tiré ces coups de feu ?"

"Oui.

Elle semble abasourdie :

"Alors vous l'avouez ?"

"Vous avez posé une question, madame, et j'y ai répondu."

"Mais comment as-tu osé ? Qu'est-ce qui t'en a donné le droit ?"

"Je n'exerçais pas un droit, madame, j'accomplissais un devoir !"

"En effet ! Et quel devoir, s'il vous plaît ?"

"Le devoir de vous protéger contre un homme qui essaie de profiter de vos ennuis."

"Je vous interdis de parler ainsi. Je suis responsable de mes actes et je les ai décidés en toute liberté."

"Madame, j'ai surpris votre conversation avec M. Rossigny ce matin et il ne m'a pas semblé que vous l'accompagniez d'un cœur léger. Je reconnais le caractère impitoyable et le mauvais goût de mon intervention et je m'en excuse humblement ; mais j'ai pris le risque d'être pris pour un ruffian afin de vous donner quelques heures de réflexion."

"J'ai bien réfléchi, monsieur. Quand j'ai pris une décision, je n'en change pas."

"Oui, madame, parfois. Sinon, pourquoi êtes-vous ici au lieu de là-bas ?"

Hortense reste un instant perplexe. Toute sa colère était retombée. Elle regarda Rénine avec la surprise que l'on éprouve devant certaines personnes qui ne ressemblent pas à leurs semblables, plus capables d'accomplir des actions inhabituelles, plus généreuses et désintéressées. Elle comprenait parfaitement qu'il agissait sans arrière-pensée, sans calcul, qu'il ne faisait, comme il l'avait dit, que remplir son devoir de gentilhomme envers une femme qui s'est trompée de chemin.

En parlant très doucement, il a dit :

"Je sais très peu de choses sur vous, madame, mais suffisamment pour que je souhaite vous être utile. Vous avez vingt-six ans et avez perdu vos deux parents. Il y a sept ans, vous êtes devenue l'épouse du neveu du comte d'Aigleroche par mariage, qui s'est avéré être un esprit dérangé, à moitié fou en fait, et qui a dû être enfermé. Cela vous a empêchée de divorcer et vous a obligée, votre dot ayant été dilapidée, à vivre chez votre oncle et à ses frais. C'est un environnement déprimant. Le comte et la comtesse ne sont pas d'accord. Il y a des années, le comte a été abandonné par sa première femme, qui s'est enfuie avec le premier mari de la comtesse. Le mari et la femme abandonnés ont décidé par dépit d'unir leurs fortunes, mais n'ont trouvé que déception et malveillance dans ce second mariage. Et vous en subissez les conséquences. Ils mènent une vie monotone, étriquée et solitaire pendant onze mois ou plus de l'année. Un jour, vous rencontrez M. Rossigny, qui s'éprend de vous et vous propose une fugue. Vous ne l'aimiez pas. Mais vous vous ennuyiez, votre jeunesse était gâchée, vous aviez envie d'imprévu, d'aventure... bref, vous avez accepté avec l'intention bien arrêtée de tenir votre admirateur à distance, mais aussi avec l'espoir un peu ingénu que le scandale forcerait la main de votre oncle, lui ferait rendre compte de sa tutelle et vous assurerait une existence indépendante. Voilà où vous en êtes. A présent, vous devez choisir entre vous remettre entre les mains de M. Rossigny... ou vous confier à moi."

Elle lève les yeux vers les siens. Que voulait-il dire ? Quelle était la portée de cette offre qu'il faisait si sérieusement, comme un ami qui ne demande rien d'autre que de prouver son dévouement ?

Après un moment de silence, il prend les deux chevaux par la bride et les attache. Puis il examine les lourdes portes, renforcées chacune par deux planches clouées en croix. Une affiche électorale, datée de vingt ans, indiquait que personne n'avait pénétré dans le domaine depuis cette époque.

Rénine arrache l'un des poteaux de fer qui soutiennent une rambarde faisant le tour du croissant et s'en sert comme d'un levier. Les planches pourries cèdent. L'un d'eux découvrit la serrure, qu'il attaqua avec un grand couteau, contenant plusieurs lames et outils. Une minute plus tard, la porte s'ouvrait sur un amas de fougères qui menait à un long bâtiment délabré, avec une tourelle à chaque angle et une sorte de belvédère, construit sur une tour plus haute, au milieu.

Le prince se tourne vers Hortense :

"Vous n'êtes pas pressé, dit-il. "Vous prendrez votre décision ce soir, et si M. Rossigny réussit à vous convaincre pour la seconde fois, je vous donne ma parole d'honneur que je ne me mettrai pas en travers de votre route. En attendant, accordez-moi le privilège de votre compagnie. Nous avons décidé hier d'inspecter le château. Faisons-le. Le ferez-vous ? C'est une façon comme une autre de passer le temps et j'ai l'impression que ce ne sera pas inintéressant."

Il avait une façon de parler qui obligeait à l'obéissance. Il semblait commander et supplier à la fois. Hortense ne chercha même pas à secouer l'énervation dans laquelle sa volonté s'enfonçait peu à peu. Elle le suivit jusqu'à un escalier à moitié démoli au sommet duquel se trouvait une porte également renforcée par des planches clouées en forme de croix.

Rénine se mit au travail de la même façon que précédemment. Elles entrèrent dans une vaste salle pavée de dalles blanches et noires, meublée de vieux buffets et de stalles de chœur, ornée d'un écusson sculpté qui présentait des restes d'armoiries, représentant un aigle debout sur un bloc de pierre, le tout à demi caché derrière un voile de toiles d'araignées qui pendait au-dessus d'une paire de portes pliantes.

"La porte du salon, évidemment, dit Rénine.

Celle-ci est plus difficile à ouvrir et ce n'est qu'en la chargeant à plusieurs reprises avec son épaule qu'il parvient à faire bouger l'une des portes.

Hortense n'avait pas dit un mot. Elle assistait non sans surprise à cette série d'entrées en force, accomplies avec une habileté vraiment magistrale. Il devina ses pensées et, se retournant, dit d'une voix grave :

"Pour moi, c'est un jeu d'enfant. J'ai déjà été serrurier."

Elle lui saisit le bras et murmure :

"Écoutez !

"A quoi ?" demande-t-il.

Elle augmenta la pression de sa main, pour exiger le silence. L'instant d'après, il murmure :

"C'est vraiment très étrange."

"Ecoutez, écoutez !" répète Hortense, déconcertée. "Est-ce possible ?"

Ils entendirent, non loin de l'endroit où ils se trouvaient, un bruit sec, le son d'un léger robinet se répétant à intervalles réguliers ; et ils n'eurent qu'à tendre l'oreille pour reconnaître le tic-tac d'une horloge. Oui, c'était bien cela et rien d'autre qui rompait le silence profond de la chambre obscure ; c'était bien le tic-tac délibéré, rythmé comme le battement d'un métronome, produit par un lourd balancier de laiton. C'était bien cela ! Et rien ne pouvait être plus impressionnant que la pulsation mesurée de ce mécanisme insignifiant qui, par miracle, par un phénomène inexplicable, avait continué à vivre au cœur du château mort.

"Et pourtant, balbutia Hortense, sans oser élever la voix, personne n'est entré dans la maison ? "Personne."

"Et il est tout à fait impossible que cette horloge ait fonctionné pendant vingt ans sans être remontée ?"

"Tout à fait impossible".

"Alors... ?"

Serge Rénine ouvre les trois fenêtres et rejette les volets.

Hortense et lui se trouvaient dans un salon, comme il l'avait pensé, et la pièce ne présentait pas le moindre signe de désordre. Les chaises étaient à leur place. Pas un meuble ne manquait. Les gens qui avaient vécu là et qui en avaient fait la pièce la plus personnelle de leur maison étaient partis en laissant tout en l'état, les livres qu'ils lisaient, les bibelots sur les tables et les consoles.

Rénine examine la vieille horloge du grand-père, contenue dans son grand boîtier sculpté qui laisse voir le disque du pendule à travers une vitre ovale. Il ouvrit la porte de l'horloge. Les poids suspendus aux cordes sont au plus bas.

A ce moment-là, il y eut un déclic. L'horloge sonna huit heures avec une note grave qu'Hortense ne devait jamais oublier.

"C'est extraordinaire", dit-elle.

"Extraordinaire en effet", dit-il, "car les travaux sont extrêmement simples et ne dureraient guère plus d'une semaine".

"Et vous ne voyez rien qui sorte de l'ordinaire ?"

"Non, rien... ou, au moins...."

Il se penche et, du fond de la valise, tire un tube de métal dissimulé par les poids. Il le présente à la lumière :

"Un télescope", dit-il, pensif. "Pourquoi l'ont-ils caché ?... Et ils l'ont laissé déployé dans toute sa longueur.... C'est étrange.... Qu'est-ce que cela signifie ?

L'horloge, comme c'est parfois l'usage, se mit à sonner une seconde fois, sonnant huit coups. Rénine referma le boîtier et continua son inspection sans poser sa lunette. Une large arche conduisait du salon à un appartement plus petit, une sorte de fumoir. Celui-ci était également meublé, mais contenait une vitrine pour les armes à feu dont le support était vide. Accroché à un panneau voisin, un calendrier indiquait la date du 5 septembre.

"Oh, s'écria Hortense, étonnée, c'est la même date qu'aujourd'hui ! Ils ont arraché les feuilles jusqu'au 5 septembre.... Et voici l'anniversaire ! Quelle étonnante coïncidence !"

"Etonnant", répète-t-il. "C'est l'anniversaire de leur départ... il y a vingt ans aujourd'hui."

"Vous devez admettre, dit-elle, que tout cela est incompréhensible.

"Oui, bien sûr... mais, tout de même... peut-être pas".

"Avez-vous une idée ?"

Il attend quelques secondes avant de répondre :

"Ce qui m'intrigue, c'est ce télescope caché, déposé dans ce coin, au dernier moment. Je me demande à quoi il a servi.... Des fenêtres du rez-de-chaussée, on ne voit rien d'autre que les arbres du jardin... et il en va de même, j'imagine, de toutes les fenêtres.... Nous sommes dans une vallée, sans le moindre horizon ouvert.... Pour utiliser le télescope, il faut monter au sommet de la maison.... On monte ?"

Elle n'hésite pas. Le mystère qui entoure toute cette aventure excite tellement sa curiosité qu'elle ne pense qu'à accompagner Rénine et à l'aider dans ses investigations.

Ils montèrent en conséquence et, au deuxième étage, arrivèrent sur un palier où se trouvait l'escalier en colimaçon menant au belvédère.

Au sommet de celle-ci se trouvait une plate-forme à l'air libre, mais entourée d'un parapet de plus de six pieds de haut.

"Il devait y avoir des créneaux qui ont été comblés depuis", observe le prince Rénine. "Regardez, il y avait des meurtrières à une époque. Elles ont peut-être été bouchées."

"De toute façon, dit-elle, le télescope n'a servi à rien ici non plus et nous pouvons tout aussi bien redescendre.

"Je ne suis pas d'accord", a-t-il déclaré. "La logique veut qu'il y ait eu une ouverture par laquelle on pouvait voir le pays et c'est à cet endroit que le télescope a été utilisé.

Il se hissa par les poignets au sommet du parapet et vit alors que ce point de vue dominait toute la vallée, y compris le parc, avec ses grands arbres marquant l'horizon ; et, au-delà, une dépression dans un bois surmontant une colline, à une distance d'environ sept ou huit cents mètres, se dressait une autre tour, trapue et en ruines, couverte de lierre du haut en bas.

Rénine reprend son inspection. Il semblait considérer que la clé du problème résidait dans l'usage qui était fait du télescope et que le problème serait résolu si seulement ils pouvaient découvrir cet usage.

Il étudia les trous l'un après l'autre. L'une d'entre elles, ou plutôt la place qu'elle occupait, attira son attention plus que les autres. Au milieu de la couche de plâtre qui l'obstruait, il y avait un creux rempli de terre dans lequel des plantes avaient poussé. Il arracha les plantes et enleva la terre, dégageant ainsi l'embouchure d'un trou d'environ cinq pouces de diamètre, qui pénétrait complètement dans le mur. En se penchant en avant, Rénine s'aperçut que cette ouverture profonde et étroite conduisait inévitablement le regard, au-dessus de la cime touffue des arbres et à travers la dépression de la colline, jusqu'à la tour couverte de lierre.

Au fond de ce canal, dans une sorte de rainure qui le traversait comme une gouttière, le télescope s'emboîtait si exactement qu'il était tout à fait impossible de le déplacer, si peu que ce soit, soit à droite, soit à gauche.

Rénine, après avoir essuyé l'extérieur des lentilles, tout en prenant soin de ne pas déranger d'un cheveu le mensonge de l'instrument, a mis son œil sur le petit bout.

Il resta trente ou quarante secondes, le regard attentif et silencieux. Puis il se redressa et dit d'une voix rauque :

"C'est terrible... c'est vraiment terrible".

"Qu'est-ce que c'est ? demanda-t-elle, anxieuse.

"Regardez".

Elle se pencha mais l'image n'était pas claire pour elle et il fallut faire la mise au point du télescope pour l'adapter à sa vue. L'instant d'après, elle a frémi et a dit :

"Ce sont deux épouvantails, n'est-ce pas, tous les deux collés au sommet ? Mais pourquoi ?"

"Regardez encore", a-t-il dit. "Regardez plus attentivement sous les chapeaux... les visages...."

"Elle s'est écriée en s'évanouissant d'horreur : "Oh !".

Le champ du télescope, comme l'image circulaire d'une lanterne magique, présentait ce spectacle : la plate-forme d'une tour brisée, dont les murs étaient plus hauts dans la partie la plus éloignée et formaient comme un fond de scène, sur lequel déferlaient des vagues de lierre. Devant, au milieu d'un amas de buissons, se trouvaient deux êtres humains, un homme et une femme, adossés à un amas de pierres éboulées.

Mais les mots homme et femme ne pouvaient guère s'appliquer à ces deux formes, à ces deux sinistres marionnettes qui, il est vrai, portaient des vêtements et des chapeaux - ou plutôt des lambeaux de vêtements et des restes de chapeaux - mais avaient perdu leurs yeux, leurs joues, leur menton, toute particule de chair, jusqu'à n'être réellement et positivement rien de plus que deux squelettes.

"Deux squelettes", balbutie Hortense. "Deux squelettes habillés. Qui les a transportés là-haut ?"

"Personne".

"Mais toujours...."

"Cet homme et cette femme ont dû mourir au sommet de la tour, il y a des années et des années... et leur chair a pourri sous leurs vêtements et les corbeaux les ont mangés".

"Mais c'est hideux, hideux ! s'écria Hortense, pâle comme la mort, les traits tirés par l'horreur.

 

Une demi-heure plus tard, Hortense Daniel et Rénine quittent le Château de Halingre. Avant leur départ, elles étaient allées jusqu'à la tour de lierre, vestige d'un ancien donjon plus qu'à moitié démoli. L'intérieur était vide. Il semble qu'il y ait eu un moyen de monter au sommet, à une époque relativement récente, au moyen d'escaliers et d'échelles en bois qui gisent maintenant brisés et éparpillés sur le sol. La tour était adossée au mur qui marquait la fin du parc.

Un fait curieux, qui étonna Hortense, c'est que le prince Rénine avait négligé de poursuivre une enquête plus minutieuse, comme si l'affaire avait perdu tout intérêt pour lui. Il n'en parlait même plus et, dans l'auberge où ils s'arrêtèrent pour prendre un repas léger dans le village le plus proche, ce fut elle qui interrogea le tenancier sur le château abandonné. Mais elle n'apprit rien de lui, car l'homme était nouveau dans la région et ne pouvait lui donner aucune précision. Il ne connaît même pas le nom du propriétaire.

Ils tournèrent la tête de leurs chevaux vers La Marèze. Hortense se remémorait sans cesse le spectacle sordide qui s'offrait à leurs yeux. Mais Rénine, qui était d'humeur vive et pleine d'attentions pour sa compagne, semblait tout à fait indifférente à ces questions.

"Mais, après tout, s'exclama-t-elle avec impatience, nous ne pouvons pas en rester là ! Il faut trouver une solution."

"Comme vous le dites, répondit-il, une solution s'impose. M. Rossigny doit savoir à quoi s'en tenir et vous devez décider de ce qu'il faut faire à son sujet."

Elle haussa les épaules : "Il n'a pas d'importance pour le moment. La chose à faire aujourd'hui...."

"Est quoi ?"

"C'est de savoir ce que sont ces deux cadavres."

"Toujours, Rossigny...."

"Rossigny peut attendre. Mais moi, je ne peux pas. Vous m'avez montré un mystère qui est maintenant la seule chose qui compte. Que comptez-vous faire ?"

"A faire ?"

"Oui. Il y a deux corps.... Vous allez informer la police, je suppose."

"Bonté divine !" s'exclame-t-il en riant. "Pourquoi ?"

"Il y a une énigme qu'il faut résoudre à tout prix, une terrible tragédie."

"Nous n'avons besoin de personne pour cela".

"Quoi ! Vous voulez dire que vous le comprenez ?"

"Presque aussi simple que si je l'avais lu dans un livre, raconté en détail, avec des illustrations explicatives. C'est si simple !"

Elle le regarda d'un air perplexe, se demandant s'il se moquait d'elle. Mais il semblait tout à fait sérieux.

"Alors ?" demanda-t-elle, frémissante de curiosité.

La lumière commençait à baisser. Ils avaient trotté à bonne allure et la chasse revenait à mesure qu'ils approchaient de La Marèze.

"Eh bien, dit-il, nous obtiendrons le reste de nos informations auprès des gens qui vivent dans les environs... auprès de votre oncle, par exemple ; et vous verrez comme tous les faits s'emboîtent logiquement. Quand on tient le premier maillon d'une chaîne, on est obligé, qu'on le veuille ou non, d'atteindre le dernier. C'est le plus grand plaisir du monde".

Une fois dans la maison, ils se séparent. En allant dans sa chambre, Hortense trouve ses bagages et une lettre furieuse de Rossigny dans laquelle il lui fait ses adieux et lui annonce son départ.

C'est alors que Rénine frappe à sa porte :

"Votre oncle est dans la bibliothèque", dit-il. "Voulez-vous descendre avec moi ? J'ai fait savoir que j'arrivais."

Elle l'a accompagné. Il a ajouté :

"Un mot encore. Ce matin, en déjouant vos plans et en vous priant de me faire confiance, j'ai naturellement pris envers vous une obligation que j'entends remplir sans tarder. Je veux vous en donner une preuve positive."

Elle rit :

"La seule obligation que vous avez prise sur vous était de satisfaire ma curiosité."

"Elle sera satisfaite", lui assura-t-il gravement, "et plus que vous ne pouvez l'imaginer".

M. d'Aigleroche était seul. Il fumait sa pipe et buvait du sherry. Il offre un verre à Rénine, qui le refuse.

"Eh bien, Hortense !" dit-il d'une voix un peu épaisse. "Tu sais que c'est assez ennuyeux ici, sauf en ces jours de septembre. Il faut en profiter. As-tu fait une belle promenade avec Rénine ?"

"C'est justement de cela que je voulais parler, mon cher monsieur", interrompt le prince.

"Vous devez m'excuser, mais je dois me rendre à la gare dans dix minutes, pour rencontrer un ami de ma femme."

"Oh, dix minutes suffiront amplement !"

"Juste le temps de fumer une cigarette ?"

"Plus maintenant."

Il prit une cigarette dans l'étui que lui tendait M. d'Aigleroche, l'alluma et dit :

"Je dois vous dire que notre promenade nous a conduits à un vieux domaine que vous connaissez certainement, le Domaine de Halingre.

"Bien sûr, je le sais. Mais il est fermé et barricadé depuis environ vingt-cinq ans. Vous n'avez pas pu y entrer, je suppose ?".

"Oui, nous l'étions".

"Vraiment ? C'était intéressant ?"

"Extrêmement. Nous avons découvert les choses les plus étranges."

"Quelles choses ? demanda le comte en regardant sa montre.

Rénine décrit ce qu'ils ont vu :

"Sur une tour située à quelque distance de la maison, il y avait deux cadavres, deux squelettes plutôt ... un homme et une femme portant encore les vêtements qu'ils portaient lorsqu'ils ont été assassinés".

"Venez, venez, maintenant ! Assassiné ?"

"Oui, et c'est pour cela que nous sommes venus vous déranger. La tragédie doit remonter à une vingtaine d'années. On n'en savait rien à l'époque ?"

"Certainement pas", déclare le comte. "Je n'ai jamais entendu parler d'un tel crime ou d'une telle disparition."

"Oh, vraiment ! dit Rénine, un peu déçue. "J'espérais obtenir quelques détails."

"Je suis désolée."

"Dans ce cas, je m'excuse".

Il consulte Hortense d'un regard et se dirige vers la porte. Mais en y réfléchissant bien :

"Ne pourriez-vous pas au moins, mon cher monsieur, me mettre en contact avec des personnes du voisinage, des membres de votre famille, qui pourraient en savoir plus ?"

"De ma famille ? Et pourquoi ?"