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Les Prisonniers de Guerre est l'histoire d'un soldat français retenu prisonnier en Hongrie, partagé entre le devoir envers son pays et son amour pour la fille d'un ennemi. Une pièce de théâtre qui concerne le rôle social de l'individu et ses sentiments privés. Dans cet ouvrage, Rousseau réfléchit sur certains des thèmes qui deviendront également typiques de sa production philosophique.
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Jean-Jacques Rousseau
LES PRISONNIERS DE GUERRE
© 2023 Editions Synapses
PERSONNAGES.
GOTERNITZ, gentilhomme hongrois.
MACKER, Hongrois.
DORANTE, officier français, prisonnier de guerre.
SOPHIE, fille de Goternitz.
FREDERICH, officier hongrois, fils de Goternitz.
JACQUARD, Suisse, valet de Dorante.
La scène est en Hongrie.
SCÈNE I.
DORANTE, JACQUARD.
JACQUARD.
Par mon foy, monsir, moi l’y comprendre rien à sti pays l’Ongri ; le fin l’être pon, et les hommes méchants : l’être pas naturel, cela.
DORANTE.
Si tu ne t’y trouves pas bien, rien ne t’oblige d’y demeurer. Tu es mon domestique et non pas prisonnier de guerre comme moi ; tu peux t’en aller quand il te plaira…
JACQUARD.
Oh ! moi point quitter fous ; moi fouloir pas être plus libre que mon maître.
DORANTE.
Mon pauvre Jacquard, je suis sensible à ton attachement ; il me consolerait dans ma captivité, si j’étais capable de consolation.
JACQUARD.
Moi point souffrir que fous l’affliche touchours, touchours : fous poire comme moi, fous consolir tout l’apord.
DORANTE.
Quelle consolation ! Ô France ! ô ma patrie ! que ce climat barbare me fait sentir ce que tu vaux ! quand reverrai-je ton heureux séjour ? Quand finira cette honteuse inaction où je languis, tandis que mes glorieux compatriotes moissonnent des lauriers sur les traces de mon roi ?
JACQUARD.
Oh ! fous l’afre été pris combattant pravement. Les ennemis que fous afre tués l’être encore pli malates que fous.
DORANTE.
Apprends que, dans le sang qui m’anime, la gloire acquise ne sert que d’aiguillon pour en rechercher davantage. Apprends que, quelque zèle qu’on ait à remplir son devoir pour lui-même, l’ardeur s’en augmente encore par le noble désir du mériter l’estime de son maître en combattant sous ses yeux. Ah ! quel n’est pas le bonheur de quiconque peut obtenir celle du mien ! et qui sait mieux que ce grand prince peut, sur sa propre expérience, juger du mérite et de la valeur ?
JACQUARD.
Pien, pien : fous l’être pientôt tiré te sti prisonnache ; monsir fotre père afre écrit qu’il trafaillir pour faire échange fous.
DORANTE.
Oui, mais le temps en est encore incertain ; et cependant le roi fait chaque jour de nouvelles conquêtes.
JACQUARD.
Pardi ! moi l’être pien content t’aller tant seulement à celles qu’il fera encore. Mais fous l’être pli amoureux, pisque fous fouloir tant partir.
DORANTE.
Amoureux ! de qui ?… (À part.) Aurait-il pénétré mes feux secrets ?
JACQUARD.
Là, te cette temoiselle Claire, te cette cholie fille te notre bourgeois ; à qui fous faire tant te petits douceurs. (À part.) Oh ! chons pien d’antres doutances, mais il faut faire semplant te rien.
DORANTE.
Non, Jacquard, l’amour que tu me supposes n’est point capable de ralentir mon empressement de retourner en France. Tous climats sont indifférents pour l’amour. Le monde est plein de belles dignes des services de mille amants, mais on n’a qu’une patrie à servir.
JACQUARD.
À propos te belles, savre-fous que l’être après-timain que notre prital te bourgeois épouse le fille de monsir Goternitz ?
DORANTE.
Comment ! que dis-tu ?
JACQUARD.
Que la mariache de monsir Macker avec mamecelle Sophie, qui était différé chisque à l’arrivée ti frère te la temoicelle, doit se terminer dans teux jours, parce qu’il autre été échangé, pli tôt qu’on n’avre cru, et qu’il arriver aucherdi.
DORANTE.
Jacquard, que me dis-tu là ! comment le sais-tu ?
JACQUARD.
Par mon foi, je l’afre appris toute l’heure en pivant pouteille avec un falet te la maison.
DORANTE, à part.