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Masse noire est un récit émouvant, fruit de la collaboration d'un père et de sa fille, touchés par l'apparition d'une maladie grave. Ils partagent avec simplicité et pudeur leurs émotions et expériences, offrant une leçon de vie pour les familles confrontées à des situations similaires.
À PROPOS DES AUTEURS
Après avoir été touchée par la maladie, Lucie Colin décide de mettre ses pensées sur papier, exprimant ainsi son vécu, ses sentiments et ses difficultés.
Cyrille Colin écrit pour partager ce fragment de vie avec ses proches ainsi qu’avec ceux qui ne le connaissent pas encore.
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Seitenzahl: 306
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Lucie Colin & Cyrille Colin
Masse noire
© Lys Bleu Éditions – Lucie Colin & Cyrille Colin
ISBN : 979-10-422-0654-3
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Masse noire est la juxtaposition de deux récits, le premier écrit par une jeune interne en pédiatrie, confrontée brutalement à l’annonce de la découverte d’une maladie grave, le second par son père, professeur de médecine. Ces deux récits racontent une seule histoire aux multiples facettes. Chacune de ces facettes, depuis les premiers symptômes jusqu’à l’annonce de la rémission, est regardée avec la même raison et la même lucidité par les deux auteurs. Leurs récits se répondent ainsi harmonieusement, on pourrait dire intimement, contribuant à les aider mutuellement à mettre en mots ce réel si violent, douloureux et incompréhensible pour tout médecin et pour tout humain.
Dans leurs récits, ils nous font aussi partager avec simplicité et pudeur la nature de leurs sentiments et de leurs émotions, au jour le jour, et comment ceux-ci les ont aidés ou parfois entravés dans leur prise de conscience et d’acceptation de ce qui est à vivre. Ils nous racontent également que tout cela n’aurait pas pu se réaliser sans l’aide de ceux et celles qui les ont entourés de leur attention, de leur amitié et de leur amour.
Je recommande vivement aux étudiants en médecine la lecture de Masse noire. Ces deux magnifiques et courageux témoignages nous rappellent que la santé est fragile, que la médecine est enseignée et pratiquée pour répondre aux défis du réel et qu’elle ne peut rien sans sa dimension d’humanité.
Gilles Rode
Doyen de la faculté de médecine Lyon Est
La vie, c’est ce qui vous arrive alors que vous étiez en train de prévoir autre chose.
John Lennon
Réveil 6 h 40. On sort dans un froid glacial. Le thermomètre affiche -8 °C. On se dirige vers l’hôpital de Sallanches. Je dois passer un scanner thoracique ce matin. Oui ça fait quelques jours que je tousse et que j’ai mal au dos… alors j’ai eu le malheur d’aller chez le médecin qui a trouvé sur une radio un peu de liquide autour de mon poumon. Bon on ne va pas s’emballer, bien qu’on soit un peu paranos en tant que jeunes médecins, ça ne doit pas être grand-chose. Mais Papa a l’air très stressé donc il m’a trouvé un rendez-vous en semi-urgence en plein milieu de mes vacances au ski à Megève ! Et dire qu’il voulait même me faire rentrer à Lyon en urgence hier, complètement ouf le gars !
Nous arrivons donc tranquillement à Sallanches avec Paul, mon copain depuis près de 4 ans maintenant. Le soleil est à peine levé. On commence par le passage au laboratoire pour une prise de sang. Je n’avais pas d’ordonnance donc Paul avait traficoté une ordonnance du Centre Hospitalier où il était interne… La secrétaire n’y voit que du feu, on est plutôt fiers de notre petite combine ! Une fois la prise de sang réalisée, direction le service de radiologie pour le scanner. Je suis très gentiment accueillie par la secrétaire puis très rapidement par les deux manips radio. Elles m’installent, me posent un cathéter pour l’injection, papotent un peu avec moi, me préviennent que ça va chauffer un peu à l’injection. Puis le Dr C vient me saluer, c’est a priori un bon copain de Denis B, le parrain de mon frère, et c’est grâce à lui que j’ai eu cette place de scanner si rapidement. Le Dr C a l’air très sympathique, il me pose quelques questions et mon regard s’attarde sur ses pieds : le gars porte des tongs ! En plein mois de janvier ! Le détail qui tue…
Bref on commence l’examen, plutôt marrant, le truc se met à tourner à toute vitesse, j’esquisse presque un petit sourire, mais discret, je ne dois pas bouger. La manip vient me faire l’injection, ça fait effectivement chaud de la tête aux pieds ! Elle revient ensuite, en me disant que le Dr C voudrait rajouter une imagerie de l’abdomen. Ok, pas de soucis, je ne me pose pas de questions. En deux temps, trois mouvements c’est fini, je retourne me rhabiller. Très vite suivie des manips, qui ont constaté des lésions rouges dans mon cou et ont peur que je fasse un choc anaphylactique au produit de contraste ! Pas de panique c’est mon flush habituel qui traduit mon stress, elles me donnent quand même un petit Aerius pour la route ! Je retrouve donc Paul en salle d’attente et on me demande d’attendre que le Dr C me reçoive.
Je m’appelle Cyrille Colin. Je suis professeur à la faculté de médecine de Lyon. Je suis au travail, dans un bureau impersonnel qui abrite mes dernières années de vie professionnelle. Je passe mes journées à organiser et contrôler ce qui fait l’essentiel de mon activité : l’enseignement à la faculté, la gestion de mon service hospitalier et mes mandats ministériels ou associatifs. J’ai l’air très occupé, mais tout ceci est suffisamment bien organisé pour que le déroulé de ma journée soit une succession paisible et bien huilée de rendez-vous, distanciels ou présentiels, de réunions et de pauses bien méritées (!). Ce matin du 18 janvier, je suis en train de vérifier le planning de ma semaine quand je reçois un appel de Lucie.
Lucie est la benjamine demestroisenfants. Elle a toujours été à l’aise dans ses études. Souvent première de sa classe, elle a réussi un bac scientifique avec une moyenne de 20,26 sur 20. J’ignorais que ce fût possible, d’une part car j’ai toujours été très loin de ces scores et d’autre part parce que je ne savais pas que les coefficients affectés aux matières pouvaient conduire à cette moyenne insolite. Elle avait été major du Bac dans l’académie du Rhône, avec en prime une belle cérémonie et un discours au Rectorat de Lyon.
Après ce bac facilement obtenu, elle a ardemment réussi le concours de première année de médecine, ce qui était son souhait le plus cher depuis très longtemps. On l’avait entendue nous expliquer, à l’âge de 6 ans, comment elle voulait aménager son cabinet de gynécologie place Bellecour à Lyon, avec un petit espace réservé pour les enfants qui viendraient avec leur mère. Puis elle a réussi le concours de fin d’études médicales, ce que l’on appelait « L’internat », au classement très honorable de 391esur plus de 8000 candidats. Elle a choisi la pédiatrie et semble heureuse de ce choix, en dépit du rythme effréné des longues journées de travail et des multiples gardes. C’est lors du troisième semestre dans sa spécialité, dans un service de pneumologie pédiatrique qu’elle a pu s’organiser une bonne semaine de vacances avec Paul, son amoureux depuis plus de quatre ans.
Lucie a toujours eu mal au dos. Nous mettions cela sur le compte de ces longues heures passées sur son bureau à travailler. Mais depuis quelques semaines, ses douleurs avaient pris un nouveau masque. Elles irradiaient sur le devant de son torse. Comme si les douleurs vertébrales parcouraient les côtes pour s’épanouir en plein thorax, à la manière des névralgies intercostales. D’un naturel optimiste et avide de vie, Lucie ne se préoccupait pas plus que cela de ces douleurs.
Arrivée à la montagne, elle m’appelle pour me dire qu’elle a de plus en plus mal au dos et au thorax et qu’elle tousse au moindre changement de position. Après une journée de ski et une nuit perturbée par la toux, elle a consulté un médecin généraliste qui lui a prescrit une radio pulmonaire. L’analyse de l’image évoque une pneumopathie et met en évidence un épanchement pleural franc avec des signes de scissurite, c’est-à-dire des signes d’inflammation de la plèvre entre les lobes pulmonaires. Elle lui a prescrit des antibiotiques à large spectre et lui a conseillé le repos. Quand Lucie m’appelle, en fait de repos, elle est déjà sur les pistes, bien décidée à considérer cette pneumopathie comme un banal aléa de santé.
Pour ma part, et très vite, car je pense que c’est ma nature profonde, je suis gagné par l’inquiétude. Je ne comprends pas comment on peut avoir une pneumopathie sans fièvre et avec un épanchement pleural si consistant. Je lui dis qu’il faut faire un bilan de cet épanchement pleural, qu’il faut en connaître l’étendue et aussi la cause. Toutes les pneumopathies ne s’expriment pas par un épanchement pleural. Je pense tout de suite à la nécessité de faire un scanner pulmonaire et j’essaie de l’en convaincre, ce qu’elle accepte très spontanément. Je raccroche et appelle tout de suite mon collègue Vincent C, pneumologue à Lyon, qui me rassure sur la pneumopathie tout en me disant qu’un scanner est indiqué. Il organise immédiatement un rendez-vous de scanner ce mardi après-midi avec Didier R, un ami radiologue de l’hôpital Louis Pradel à Lyon et une consultation de pneumologie avec Lucie après le scanner en fin d’après-midi, pour envisager la meilleure conduite thérapeutique. Je suis content et je m’estime très chanceux de l’organisation qui se profile.
J’appelle Lucie. Elle est sur les pistes de La Princesse, en plein soleil, avec Paul et ils ont déjà réservé la tartiflette en terrasse en face du Mont-Blanc. Je tombe assez mal, je l’avoue, avec mon projet de rapatriement en urgence à Lyon pour le début de l’après-midi. Elle me rabroue gentiment et me demande si cela ne peut pas attendre le lendemain, d’autant qu’à cette heure de la matinée, elle se sent plutôt bien et sa voix ne trahit aucune inquiétude.
J’acquiesce, mais ne lâche pas le projet. J’appelle Denis B, mon ami radiologue à la retraite à Morillon et qui connaît bien les hôpitaux de Haute-Savoie pour y avoir travaillé dans les cinq dernières années de sa vie professionnelle. Il a la gentillesse et le sens du service rendu innés Denis ! Il lui trouve un scanner le lendemain, mercredi 19 janvier à 8 heures 15 à Sallanches, c’est-à-dire à peine à 20 min de Megève, difficile de trouver plus près en fait. Lucie, toujours sur les pistes, accepte volontiers et se confond en remerciements pour Denis. Elle m’envoie quand même la photo de la « tartiflette en terrasse face au Mont-Blanc » qui effectivement laisse au loin les problèmes de santé du quotidien. Dans la soirée, elle m’indique que la médecin généraliste de Megève l’a rappelée en lui disant de ne pas prendre d’antibiotiques et de faire un scanner. Évidemment cela ne nous rassure pas, mais on va se coucher en étant confortés quant à la conduite à tenir.
Après une bonne demi-heure d’attente, le Dr C finit par venir me chercher (toujours en tongs). Il nous installe avec Paul dans un petit bureau. Et puis là, le choc. Il n’y va pas par quatre chemins. « Mademoiselle, il y a quelque chose sur le scanner », « masse médiastinale », « lymphome », « on en guérit ». Voilà les informations que mon cerveau sidéré arrive à extraire. Je remue sur ma chaise, les larmes commencent à me monter aux yeux. Ce n’est pas possible, qu’est-ce qui est en train de m’arriver, ce doit être un mauvais rêve. Je lui demande la taille de la masse. « Dix centimètres de diamètre ». Dix centimètres ! Une grosse orange. Dans mon médiastin, entre mes deux poumons. Sans que je ne me sois rendu compte de rien. Le Dr C, à la fois direct, mais délicat, conclut cet entretien finalement très rapide en me donnant des instructions pour la suite de la prise en charge, il parle de biopsie, il me recommande de prendre bien soin de moi. Il fait même une blague sur le look de mono de ski de Paul pour détendre l’atmosphère.
On sort donc de ce bureau, complètement sidérés, et on se dirige vers la sortie. Je sens un déluge de larmes qui commence à déferler sur mes joues. Je marche tout droit, Paul à mes côtés, avec une obsession : sortir d’ici, de l’air, j’étouffe. On se retrouve sur le parvis de l’hôpital, Paul me prend dans ses bras. Mais qu’est-ce qui est en train de m’arriver ? Je suis perdue. Heureusement que Paul est là. J’essaie de me ressaisir. Un objectif me vient maintenant en tête : se calmer, rentrer à l’appartement et appeler Papa. J’ai à ce moment-là la croyance un peu magique et enfantine que les papas sont des héros qui savent toujours quoi faire pour sauver leurs enfants du danger. Il me semble à ce moment-là être la seule solution, le seul capable de comprendre et de me dire quoi faire, par quoi commencer face à cet abîme qui s’ouvre sous mes pieds.
On prend donc la route jusqu’à l’appartement, le silence s’installe. Des milliards de questions m’assaillent : est-ce vraiment vrai ? À quoi va ressembler ma vie ces prochaines semaines ? Est-ce que je vais souffrir ? Est-ce que je vais mourir ? Tout se mélange dans ma tête. La seule chose que j’arrive à verbaliser c’est « Chienne de vie ». Ne me demandez pas pourquoi. Il n’y a que ça qui sort. Je le répète 3 ou 4 fois d’affilée. Paul finit par se foutre de ma gueule et de mon expression chelou. Et en même temps chienne de vie quoi ! Mon frère a une maladie orpheline, ma sœur a enchaîné les burn-out, ma tante s’est suicidée, ma Mamie est décédée il y a tout juste 3 mois et maintenant je me tape une patate de 10 cm dans le thorax ! Mais qu’est-ce que j’ai bien fait au bon Dieu pour mériter tout ça ?
J’ai presque tout oublié de cet épisode ce mercredi quand je reçois un appel de Lucie venant déranger mon activité bien réglée. Elle a la voix blanche, une voix que je ne lui connais pas. Elle me souffle avec peine :
— Papa, j’ai une masse médiastinale de plus de 10 cm, c’est très gros, le radiologue évoque un lymphome…
Elle éclate en sanglots en me disant que j’avais raison, qu’elle aurait dû rentrer à Lyon tout de suite, qu’elle avait été inconsciente de rester un jour de plus sans rien faire. Je la rassure tout de suite, en lui disant doucement que si cela se confirme, on n’est pas à 24 heures près. Je sanglote aussi, perds un peu pied puis je me reprends rapidement pour que l’on se calme tous les deux. Et puis j’assène des paroles fortes, un peu méthodiques, en essayant d’y croire :
— Ne t’inquiète pas, on a tout ce qu’il faut. On ira à Paris s’il le faut. On va s’en sortir, nous devons prendre les choses l’une après l’autre et on va y arriver.
On se réconforte l’un l’autre et je lui promets de m’occuper de la suite des événements. J’appelle illico quelqu’un de proche et sûr. Antoine D, mon jeune collègue récemment nommé professeur, mon futur successeur, celui que j’ai accompagné et encouragé depuis son internat. Je veux discuter avec lui de la meilleure personne à contacter pour une prise en charge immédiate. En bon parisien, il évoque l’Institut Gustave Roussy, l’Institut Curie, puis le Centre Léon Bérard à Lyon voire l’hôpital Lyon Sud. Il hésite, il évoque plusieurs noms à Lyon puis vient le nom d’Isabelle D, une vraie amie, excellente médecin interniste qui avait pris en charge ma mère de façon efficace pour son épisode de thrombose veineuse profonde. Je rappelle Vincent C, qui est difficile à joindre, en consultation ou dans son service. Dans ces moments d’incertitude, je gamberge, je rumine, à mi-chemin entre la tentation d’être psychologiquement dévasté et celle d’être activement dans le combat. Je préfère rester dans l’action, dans l’organisation compulsive du parcours de Lucie. J’appelle Isabelle D et j’obtiens tout de suite un rendez-vous dans l’après-midi.
Vincent C me rappelle, il me dit qu’il dispose des images du scanner qui lui ont été transmises par l’hôpital de Sallanches. Je constate qu’il me parle doucement, pèse ses mots et aménage ce que j’anticipe comme une annonce de diagnostic. Il a visionné le scanner avec un jeune collègue qui connaît mieux que lui la discipline hématologique. Ils sont quasi formels, il s’agit d’un lymphome, qui occupe tout le médiastin et qui a une réaction pleurale assez caractéristique de ce type de tumeur. Il insiste doucement, mais fermement pour me dire qu’il ne faut pas perdre de temps et faire une biopsie de la masse tumorale. Je regrette d’avoir pris rendez-vous avec Isabelle D, je lui avoue et il me dit que c’est OK, qu’elle est à Lyon Sud, proche du service d’hématologie et qu’elle pourra facilement communiquer avec eux. Il me dit aussi qu’il reste à disposition pour prendre un rendez-vous de biopsie dans le service de chirurgie thoracique de l’hôpital Louis Pradel.
On finit par arriver à l’appartement. Je me pose et j’appelle tout de suite Papa. J’ai à nouveau cette sensation d’être une petite fille qui va montrer son bobo à son super papa pour obtenir un bisou qui guérit tout. Il répond tout de suite. Je lui dis rapidement, probablement assez brutalement, que je sors du scanner, que j’ai une masse médiastinale, qu’on m’a parlé de lymphome. Je pleure. Il s’en suit un court silence, ébahi, puis il lance un « Putain ». Mais comme à son habitude, il se montre fort et raisonné. Il me dit rapidement qu’il s’occupe de contacter des médecins qu’il connaît, qu’on va se battre, qu’on choisira les meilleures équipes, qu’on ira même à Paris s’il le faut (bon là il s’emballe un peu quand même). Il prend les choses en main. Je suis soulagée. Nous devons maintenant préparer nos affaires pour rentrer à Lyon, Dad me rappelle dès qu’il en sait plus. Il n’aura pas tardé puisqu’il me rappelle 5 minutes plus tard, il m’a pris rendez-vous cet après-midi avec le Pr Isabelle D, interniste, qui se tient à disposition dès que je serai rentrée à Lyon. Ok très bien, ce sera la première étape du long périple qui m’attend.
Nous gardons beaucoup le silence avec Paul pendant le trajet qui nous ramène à Lyon. Nos silences songeurs sont entrecoupés de blagues ironiques sur notre situation, sûrement notre façon à nous de faire face à ce qui nous arrive. Je me sens si coupable d’infliger ça à Paul… Lui qui était si heureux de passer une semaine au ski. Lui qui aime tellement faire plein de choses et qui va se retrouver bloqué avec une convalescente. Lui qui m’a déjà tant soutenue ces dernières années, arriverai-je enfin à lui rendre la pareille ?
On finit par arriver à Lyon. Papa nous rejoint, il me prend dans ses bras. Je pleure. Il a déjà contacté plusieurs collègues, beaucoup s’accordent sur l’hypothèse du lymphome. Nous partons rapidement direction l’hôpital Lyon Sud. Maman nous appelle sur la route. Papa est rentré chez eux pour l’informer des dernières nouvelles… Elle est en larmes, moi aussi. Arrivée à Lyon Sud, j’ai l’impression d’arriver à l’abattoir, qu’est-ce qu’ils vont bien faire de moi ? Je dois aller faire mes étiquettes. La secrétaire : « C’est la première fois que vous consultez chez nous ? ». Et oui, je pensais être en bonne santé jusqu’ici. On nous fait remplir le dépistage des symptômes COVID : avez-vous une toux inhabituelle ? La réponse est oui, et croyez-moi j’aurais préféré que ce soit le COVID ! Bref on se rend devant le box de consultation. Le Pr Isabelle D arrive rapidement. C’est agréable de voir un visage connu. Bien que je ne la connaisse pas personnellement, je l’ai souvent croisée à la faculté et Paul était externe dans son service et l’appréciait beaucoup. Je me sens en sécurité.
Elle me demande donc de reprendre l’histoire de mes symptômes depuis le début. Alors je replonge dans mes souvenirs de ces derniers mois. Je lui raconte mon mal de dos, apparu mi-octobre, il y a maintenant 3 mois. J’ai toujours été sujette au mal de dos depuis que je suis ado. D’un naturel un peu stressé, on ne va pas se mentir, les contractures et douleurs cervicales dans le haut du dos faisaient un peu partie de mon quotidien. Donc j’avoue ne pas avoir pris très au sérieux ces douleurs, me disant qu’il faudrait que je fasse de la kiné si elles persistaient. J’avais tout de même été alertée par l’irradiation thoracique de la douleur, je ressentais par moment la douleur sur le devant de mon thorax, au niveau de mon sternum. Ces douleurs étaient aussi prédominantes la nuit. Mais bon, une fois de plus, je banalisais mes symptômes. Un mal de dos à 25 ans, il n’y a pas mort d’homme ! J’en rigolais même avec mes collègues : j’avais dit une fois, alors que je me plaignais une fois de plus de ces douleurs, que je devais bien au moins avoir un cancer pour avoir mal si souvent. Tout le monde s’était bien foutu de ma gueule, se moquant de la paranoïa bien connue chez les étudiants en médecine. Si j’avais su… À y repenser, les douleurs étaient aussi augmentées à l’inspiration, ma plèvre devait déjà commencer à en baver… Et puis il y a eu la toux, d’apparition progressive depuis une dizaine de jours. Petite toux sèche, aspécifique. Au début, je pensais évidemment au COVID, classique en ces temps de pandémie… 3 tests d’affilée, tous les trois négatifs. Et puis il y a eu l’Exploration Fonctionnelle Respiratoire que j’ai faite par curiosité dans mon service de pneumologie pédiatrique. Un examen du souffle qui permet d’évaluer les capacités respiratoires. Tiffeneau 82 % et VEMS à 74 %, des résultats pas catastrophiques, mais qui ne restaient pas tout à fait normaux. Mon prétendu asthme non diagnostiqué fait parler et bien rire dans le service !
Et puis on finit par partir en vacances au ski avec Paul, ça tombe bien j’étais vraiment épuisée ces derniers jours. Mes copines sont là pour le week-end. On skie le samedi, soleil au beau fixe, neige idéale, bref le rêve ! J’ai un peu mal au dos la journée, j’ai peut-être le souffle un peu court à l’effort. Mais surtout, je tousse la nuit, dès que je m’allonge et je suis réveillée par la toux dès que je change de position. On fait une petite balade le dimanche avec mes copines. Dès que ça grimpe un peu (vraiment un tout petit peu), j’ai l’impression d’avoir du mal à parler et marcher en même temps. On fait une petite séance de yoga entre filles pour soulager mon mal de dos. Mes copines finissent par partir dimanche soir. J’ai passé une très mauvaise nuit cette nuit-là, je suis réveillée par la douleur, puis la toux. Ma nuit est faite d’une espèce de cercle vicieux : j’ai mal au dos en étant allongée, mais dès que je change de position pour soulager la douleur ça me fait tousser. Je m’inquiète un peu, est-ce que je devrais aller chez le médecin ? Je me décide après beaucoup d’hésitation à prendre rendez-vous à la maison médicale de Megève, mais en fin de journée après le ski, faut pas déconner non plus !
Donc c’est parti pour une journée de ski de dingue, Paul m’apprend à carver avec mes nouveaux skis, je me débrouille comme une pro ! Je commence à me dire que le médecin va bien se moquer de moi quand je lui dirai que j’ai skié toute la journée. Il risque de ne pas me prendre au sérieux. Je finis par y aller quand même. Elle me fait attendre 45 minutes. Et je rencontre finalement le Dr N., une petite jeune à peine plus vieille que moi. Je lui raconte mon histoire, elle m’examine. Elle a un doute sur une diminution du murmure vésiculaire au sommet de mon poumon droit. Mon cœur tape à 135 battements par minute… bon je sais que je ne suis pas très sportive, mais quand même ça fait beaucoup. Elle veut me faire une radio des poumons pour éliminer un pneumothorax droit. Pratique, ils ont un appareil de radio pour la traumatologie donc elle me fait ça très rapidement. Résultat : pas de pneumothorax droit, mais un épanchement pleural gauche. Sachant que je suis médecin, elle me fait passer derrière l’appareil avec elle pour me montrer l’image. Je la trouve bizarre, au début j’ai l’impression qu’elle est à l’envers, mon médiastin ne me semble pas orienté du bon côté. Mais bon je ne sais pas trop, je ne vois rien de très franc tout en ayant l’impression que quelque chose cloche. En tout cas on constate bien en effet une petite lame de liquide autour de mon poumon gauche. Bon on ne va pas se mentir, je vois bien que le Dr N n’a pas l’air de trop savoir qu’en faire de ma radio… Et honnêtement, je n’aurais pas su non plus. Elle conclut à une possible pneumopathie atypique et elle me met sous antibiotique. Je ne suis pas très convaincue. Et elle n’a pas l’air plus convaincue que moi.
J’appelle Dad le soir pour lui raconter. J’envoie aussi un message à Camille et Thomas, les médecins séniors dans mon service de pneumo-pédiatrie, en qui j’ai toute confiance, pour leur demander leur avis, eux qui ont bien l’habitude de voir des radios thoraciques. En vérité, ils n’ont pas l’air de trop savoir non plus, mais ils me rassurent et me recommandent de faire un scanner. Sur ces entrefaites, le Dr N me rappelle vers 20 h 30, elle me dit qu’elle a revu ma radio avec une de ses collègues et qu’elles ont un doute sur un ganglion médiastinal et qu’elles aimeraient aussi que je fasse un scanner. Ok, on est tous d’accord ! Pour elle comme pour Camille et Thomas, pas de critère d’urgence, il faut que je prenne rendez-vous tranquillement au retour de mes vacances, ça me va !
Je suis tout de même un peu sonnée par tout ça. Je commence à penser à des maladies inflammatoires, lupus ou autres. Mais ne nous emballons pas, le plus probable reste quand même une pneumopathie, une banale infection du poumon. Donc on se détend, on va finir nos vacances comme prévu et on gère ça la semaine prochaine. Du coup, ni une ni deux, journée ski le lendemain, toujours sous un soleil de rêve ! Et puis vers 11 h, appel catastrophé de Dad, il a eu le Pr Vincent C, professeur de pneumologie à Lyon, qui pense qu’il ne faut pas attendre. Il m’a donc trouvé un rendez-vous de scanner cet après-midi même à Lyon et peut me voir dans la foulée. Wow wow wow non, mais calmos les gars ! J’ai du mal à savoir s’il s’emballe totalement ou si je suis totalement inconsciente. Quoi qu’il en soit, là, face au Mont-Blanc, les skis aux pieds, ça me paraît un peu abusé de redescendre et de rentrer à Lyon l’après-midi même. Et puis c’est bon, j’ai passé mes dernières vacances à organiser l’enterrement de ma grand-mère, laissez-moi kiffer un peu ! On négocie, Denis B, le parrain de Paul-Rémi, qui a longtemps travaillé à Sallanches, me trouve un rendez-vous à l’hôpital de Sallanches le lendemain matin et j’aurai le Pr Vincent C en téléconsultation demain après-midi. En attendant, on profite de notre journée, on se paie une petite tartiflette face au Mont-Blanc, le top !
Voilà ce que je raconte en quelques mots au Pr Isabelle D. Elle m’écoute attentivement, prend note sur une feuille. Elle me pose quelques questions complémentaires. Elle m’examine, pas de ganglions à la palpation, pas de gros foie non plus, rien d’autre qu’un léger frottement pleural et une tachycardie. Elle reste assez évasive, il faut biopsier, faire un complément de biologie, un électrocardiogramme. Elle m’accompagne jusqu’aux infirmières, leur dit quelques mots. Puis elle me dit qu’il va falloir que je sois forte pour les épreuves qui m’attendent. Je fonds en larmes. Elle me prend affectueusement dans ses bras et me fait un petit câlin. J’apprécie son geste réconfortant. J’attends que l’infirmière arrive. Qu’est-ce qu’on se sent con quand on passe de l’autre côté de la barrière ! On se sent fort et puissant avec la blouse et le stétho autour du cou, alors que je me sens si vulnérable allongée sur le brancard. Troisième prise de sang de la journée, c’est cadeau. Le Pr Isabelle D va donc se mettre en contact avec le Pr Vincent C, le Pr Emmanuel B, hématologue et le Pr François T chirurgien thoracique. J’ai énormément de chance d’avoir un papa médecin et d’être médecin moi-même, toutes nos relations vont nous permettre d’accélérer tous ces processus et d’être pris en charge de manière sûrement plus rapide et efficace qu’une personne lambda. Elle me tient au courant pour la suite.
L’heure passe, je retrouve Lucie et Paul. Nous avons avec Lucie des retrouvailles pleines d’émotion et de larmes. Je dois l’emmener à son rendez-vous avec Isabelle D à Lyon Sud. Nous arrivons à l’heure, Paul est là, silencieux, mais présent, le regard grave, mais souriant. Isabelle D nous accueille dans un box de consultation. Elle fait son entretien à l’ancienne, « reprendre tout à zéro », interrogatoire complet, antécédents personnels et familiaux, notes sur papier, histoire clinique récente et examen clinique soigneux. Elle nous donne un peu d’espoir en évoquant un thymome, une tumeur bénigne qui peut survenir chez la jeune fille. Elle ne parvient pas à retrouver le scanner sur le logiciel des HCL. Elle va le voir avec sa jeune collègue, Quitterie R, qui est dans le box d’à côté et qui doit mieux maîtriser les outils informatiques. Au retour de sa lecture du scanner, je lui demande d’appeler Vincent C. Par chance, elle l’a tout de suite et on assiste à l’entretien téléphonique. On devine rapidement un Vincent C déterminé, sûr de son diagnostic, qui lui demande de ne pas perdre de temps pour contacter le service d’hématologie de Lyon Sud. Il propose de prendre le rendez-vous tout de suite avec le Pr François T en chirurgie thoracique, ce qu’Isabelle D accepte et elle nous en tient informés. On comprend à ce moment-là le changement de rythme dans la prise en charge. Isabelle D prescrit un bilan biologique qui est piqué tout de suite dans la foulée de la consultation. Lucie qui a compris l’accélération des événements, ne pense plus au thymome et pleure doucement avec l’infirmière qui la pique, Isabelle qui passe dans le box la prend dans ses bras en lui disant qu’elle a un fils de son âge. Isabelle, en sortant du box, me dit qu’elle s’occupe de tout et va nous rappeler pour nous tenir au courant des rendez-vous à venir.
On rentre à la maison, un peu déboussolés. Je retrouve Maman, évidemment très émue. On se prend un petit goûter, un petit thé. J’appelle le Dr N pour la tenir au courant de mes derniers examens. Puis j’envoie un message vocal à Camille et Thomas. Camille m’avait justement demandé des nouvelles ce matin. Ce seront les deux premiers à être au courant. Ils sont désolés de cette nouvelle et m’envoient d’affectueux messages. Je vais ensuite prendre un bain. Et c’est nue dans mon bain, en regardant mon thorax, que je m’aperçois qu’il y a une voussure. Un bout de paroi thoracique un peu bombé. Pile en regard de ma douleur. Mais comment ai-je pu ne pas m’en apercevoir… ? Puis on dîne tous ensemble. Et on se marre. Étrangement, on passe le dîner à se bidonner. Je crois qu’on en avait besoin. On s’envoie des blagues pourries lancées comme ça, sûrement pour masquer notre inquiétude. Ça fait du bien. Puis Paul m’offre un joli carnet, qu’il a eu le temps d’acheter avant de dîner. Un petit cahier à la couverture fleurie, qu’il me tend en me disant qu’il me permettrait de poser sur le papier mes émotions, ce que je ressens. C’est une délicate attention. Je me mets alors directement à écrire le récit de cette dense journée. S’il avait su que ce petit cadeau nous mènerait à l’écriture d’un livre !
Premier jour du reste de ma vie. Je n’ai pas très bien dormi. J’ai été réveillée d’abord par la toux puis je n’ai pas retrouvé le sommeil à cause de la douleur puis de mon moral… Je passe ces heures d’insomnie à écrire dans ma tête les messages que je vais devoir envoyer : au Pr Philippe R mon chef de service, à mes co-internes, au Dr F B ma psy, à mes amis… Puis au lever du soleil, je craque. Je pleure discrètement pour ne pas réveiller Paul. Il m’avouera que lui aussi avait versé quelques larmes quelques heures plus tôt. Je me lève donc assez tôt et me mets à écrire tous ces mails. Ma matinée sera consacrée à ça. Ça y est, mon entourage sait, tout commence à devenir très concret. Les messages de soutien commencent à affluer. Tous aussi bienveillants les uns que les autres. C’est dans ces moments qu’on se rend compte à quel point il est important d’être bien entouré. Cette activité m’occupe, me détourne un peu de ma situation. Puis on déjeune. Et puis là, plus rien à faire. Et c’est à nouveau le craquage. Je pleure, à chaudes larmes. Paul est là, il me console, il me rassure. Je crois que je commence à réaliser l’ampleur de ce qui m’attend. Que ma vie va être mise en suspens. Que je ne serai plus jamais comme avant. Je crois que pleurer me fait du bien, il faut bien extérioriser. Et puis je finis par me reprendre. Allez, il faut bien profiter un peu de cette journée sans rendez-vous médicaux pour se détendre. On va aller se balader. Je ne me rends pas compte de ce que je peux faire ou non. Il y a 48 h j’étais sur mes skis et là j’ai l’impression d’être en sucre, prête à me rompre en mille morceaux au moindre choc. Paul court et je le suis en vélo électrique, je ne prends pas trop de risques… On va au Parc de la Tête d’Or. Ça me fait bizarre de voir ce lieu si familier, ma ville que je connais par cœur. Rien n’a changé, mais tout me semble différent.
Et puis on enchaîne avec une séance de ciné avec Clothilde, ma bonne copine de lycée. On va voir Encanto, le dernier Disney, dessin animé colombien sur l’importance de la famille. Un des personnages a le don de soigner avec des « arepas con queso ». J’aurais bien besoin de ça moi aussi ! Coloré, léger, gentil, presque cul-cul : exactement ce dont j’avais besoin ! Puis on prend un petit apéro à la maison avec Clothilde et Charles, le frère de Paul qui nous a rejoints. On se détend, on rigole, tout ça autour d’un petit Spritz. Puis la fatigue m’envahit. 21 h, il n’est pourtant pas bien tard…