Monsieur Connard - Sonia Miot - E-Book

Monsieur Connard E-Book

Sonia Miot

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Beschreibung

Un nom pareil, ça ne s'invente pas. Pourtant, derrière ce patronyme, se cache une certaine sensibilité et un cœur qui balance ...

Corentin Connard est spécialiste en séparation amoureuse. Ce jeune patron passe ses journées à briser des couples et ses soirées devant sa console de jeux. Fan incontesté de jeux vidéo, il joue avec la dénommée Éphémère2. Seulement, le jour où sa meilleure employée décide de remuer son quotidien morose, rien ne va plus. Le cœur tiraillé entre les deux femmes, Corentin devra faire un choix. Et si le destin en avait décidé autrement ?

Après Insensible, découvrez sans plus attendre le nouveau roman de Sonia Miot et suivez les aventures sentimentales de Corentin Connard, un homme plein de surprises !

EXTRAIT

En rassemblant ses cheveux roux sur une seule de ses épaules, elle s’assoit de l’autre côté du bureau. Sa peau est aussi claire que celle d’une poupée de porcelaine. Sur ses joues, malgré sa fine couche de fond de teint, elle a quelques taches de rousseur qui ressortent. Ses yeux, d’un vert intense et sombre, sont maquillés. Élégante et élancée, Betty est une très belle femme.
Ce n’est pas rare que nous partagions quelques minutes autour d’une boisson chaude. Nous discutons beaucoup. Je crois que, dans notre malheur, nous nous comprenons un peu. Betty vit seule depuis que Benjamin l’a quittée. Elle se bat bec et ongles pour qu’il n’obtienne pas la garde de Tom.
Il faut dire que la belle-mère de Tom a l’âge d’être sa grand-mère.
À la tienne, Maman.
— Je suis pire que les gosses, je souffle en attrapant le café qu’elle m’a apporté.
Parce qu’au moins, les gosses, ils tombent de fatigue à un moment ou un autre. Pour ma part, même à bout de forces, je n’arrive jamais à dormir profondément. Mes nuits sont hantées par les fantômes du passé. Un seul fantôme, qui ne cesse de me parler durant mon sommeil...
Comme dans Ghost.
D’ailleurs, je n’ai pas la prétention d’être aussi sexy que ce type, mais je suis un peu le Patrick Swayze des temps modernes.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

J'ai adoré les personnages, ils sont attachants, oui, même Monsieur Connard, comme quoi il ne faut pas se fier à un patronyme ! - carinesanchez, Babelio

Un moment frais, pétillant et plein d'humour. Un véritable coup de rire ! - Coralienm89, Babelio

À PROPOS DE L'AUTEURE

Sonia Miot a vécu une vraie romance dans la vie : elle s’est mariée à son amour de collège ! Dans la vie de tous les jours, elle est conseillère clientèle, mais sa tête déborde d’histoires d’amour et de bonshommes qui s’agitent, l’obligeant à prendre la plume pour écrire leurs aventures.

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Chapitre 1

Je bâille aux corneilles. Quand je passe ma nuit à jouer, c’est toujours pareil. Les jeux vidéos me permettent de m’échapper de mon quotidien. Ça m’aide. C’est une sorte de thérapie, un endroit pour me cacher de mes vieux démons. Depuis que je vis seul, je ne dors plus beaucoup. Mes cauchemars me font peur. La vie me terrorise.

— Tom, tu as dix ans.

— Et alors ? J’ai plein de copines qui me collent à l’école.

Comme d’habitude, Nathan est en pleine prise de bec avec Tom, le gamin de Betty. Mes deux employés sont radicalement différents. Nathan est bruyant. C’est le type le plus exubérant que je connaisse. Pour s’exprimer, il fait de grands gestes démesurés et lorsqu’il n’a pas ce qu’il veut, il se met à bouder tel un gosse capricieux.

Betty, quant à elle, est aussi discrète qu’un serpent. Elle se faufile sans qu’on puisse la voir venir et au moment où on s’y attend le moins, elle mord.

Et croyez-moi, elle mord tout et n’importe quoi, Méduse.

— Salut Tom.

Je frotte la tête brune du garçon assis sur le bureau de Nathan. Nous travaillons en espace ouvert. Tous les trois dans la même salle. Ça nous permet de rester motivés.

— Ah, salut mec, répond le gamin sous le regard ahuri de mon collaborateur.

Je l’aime bien. Il me fait penser à moi, avant. La façon désinvolte dont il me parle ne plaît pas à Nathan. Il plaque ses mains sur sa taille en s’exclamant :

— Et tu le laisses t’appeler comme ça ? Alors que je n’ai même pas le droit d’avoir ton numéro de portable !

Ça me fait sourire.

— Parce qu’on sait tous les deux que tu passerais ton temps à essayer de me draguer.

Surtout à me harceler !

Déjà, il m’envoie une dizaine de mails par jour pour me demander tout un tas de trucs stupides. La dernière fois, il m’a proposé de me tailler... mon crayon de bois. Nathan est bisexuel. Je suis devenu rouge comme une tomate et l’ai entendu glousser depuis le fond du hangar.

— Comme la fois où tu as essayé de te taper ma mère tiens, renchérit Tom.

Nathan ressemble à une brindille ! Betty ne couchera jamais avec lui. Elle préfère les hommes baraqués. Le genre de gars qui joue les ténébreux au grand cœur pour la jeter sans aucun scrupule une fois l’affaire conclue.

Et je ne parle pas des soldes d’hiver, mais bien de cul !

C’est ce qu’il s’est passé pour Tom. À l’époque, elle était folle amoureuse d’un con, soi-disant rempli de secrets, au lourd passé qui ne lui permettait pas de se confier ni de laisser son téléphone portable allumé... Connerie monumentale ! Il l’a mise en cloque et s’est tiré avec la première cruche qui passait dans le coin.

En l’occurrence, ma mère.

— La ferme, morveux ! Va jouer ailleurs. Betty, reprend ton môme !

Sous le ton désapprobateur de son collègue, la jeune femme lève enfin la tête de ses dossiers.

— Il a raison, tu vas être en retard à l’école. Là où toutes tes copines t’attendent, souligne-t-elle en imitant son fils.

À l’évidence, Tom n’est pas d’accord. Il saute du pupitre de Nathan pour se poster devant celui de sa mère en pleurnichant :

— Mais maman...

Le téléphone sonne. Betty souffle.

— Separagence bonjour, en quoi puis-je vous aider ?

Tout en récitant lesdites présentations de l’agence, l’employée observe sa progéniture d’un œil sévère. Ne jamais contrarier sa mère. Elle serait capable de vous décapiter en un seul regard.

— Va à l’école ! répète-t-elle en couvrant le combiné avec sa main.

Tom abdique, son sac de classe sur le dos et le menton bas.

— Bye, microbe.

Le sourire moqueur de Nathan le fait grogner puis il m’envoie une œillade complice avant de passer la porte. Je me tourne vers mon employé. Sa coupe de cheveux est de pis en pis. Une sorte de crête rose un peu bancale sur une épaisseur blonde, on dirait un coq.

Un coq mélangé à une asperge : Nathan est une poêlée de poulet et asperges sauce citron.

— Tu es affligeant.

Je poursuis mon chemin pour me laisser tomber sur mon fauteuil. À vingt-cinq ans, je me sens aussi en forme que mon grand-père. Tout cela avant qu’il ne rencontre Madame Zora ! À présent, de nous deux, il est le plus dynamique.

Écouler mes nuits devant un écran n’est plus de mon âge. Je commence à me laisser aller. Je n’ai pas taillé ma barbe depuis un bail et mes cheveux bruns — bien que mieux coiffés que ceux de mon collègue — retombent sur ma nuque en bouclant.

La voix de Betty résonne dans toute l’agence. C’est une commerciale, elle parle fort.

— A-t-elle des fleurs ou un parfum favori ?

Les fleurs ne servent à rien. Ça se termine toujours de la même façon.

Sur le site, les clients ont le choix : soit ils demandent de l’aide pour mettre un terme à leur relation amoureuse en douceur. Soit ils nous appellent pour rompre avec perte et fracas. Dans ce cas-là, nous faisons appel à un agent. La meilleure d’entre toutes se nomme Abigaëlle Monclair. Une perverse briseuse de ménages. Les agents sont payés à la course. C’est le même système que Deliveroo, le service de bouffe à domicile. Chaque individu s’inscrit sur le site. Ils sont sélectionnés par Betty et elle leur adresse un message pour leur exposer les détails de leur mission. Ils peuvent se connecter quand ils le souhaitent. En gros, ce sont des intérimaires. Le client paie la première moitié avant la course et le reste lorsque tout est terminé. Les dossiers rouges sont la passion de Betty Lévèque. Ce sont ceux qui me rapportent le plus. Ceux qui finissent dans les cris et les pleurs : les séparations sans ménagement. Une affaire rondement menée ! C’est mon gagne-pain.

Je suis Corentin Connard, l’enfoiré qui a fondé cette entreprise.

Chapitre 2

— Petite nuit, Coco ? me demande Betty, deux tasses de café dans les mains.

En rassemblant ses cheveux roux sur une seule de ses épaules, elle s’assoit de l’autre côté du bureau. Sa peau est aussi claire que celle d’une poupée de porcelaine. Sur ses joues, malgré sa fine couche de fond de teint, elle a quelques taches de rousseur qui ressortent. Ses yeux, d’un vert intense et sombre, sont maquillés. Élégante et élancée, Betty est une très belle femme.

Ce n’est pas rare que nous partagions quelques minutes autour d’une boisson chaude. Nous discutons beaucoup. Je crois que, dans notre malheur, nous nous comprenons un peu. Betty vit seule depuis que Benjamin l’a quittée. Elle se bat bec et ongles pour qu’il n’obtienne pas la garde de Tom.

Il faut dire que la belle-mère de Tom a l’âge d’être sa grand-mère.

À la tienne, Maman.

— Je suis pire que les gosses, je souffle en attrapant le café qu’elle m’a apporté.

Parce qu’au moins, les gosses, ils tombent de fatigue à un moment ou un autre. Pour ma part, même à bout de forces, je n’arrive jamais à dormir profondément. Mes nuits sont hantées par les fantômes du passé. Un seul fantôme, qui ne cesse de me parler durant mon sommeil...

Comme dans Ghost.

D’ailleurs, je n’ai pas la prétention d’être aussi sexy que ce type, mais je suis un peu le Patrick Swayze des temps modernes.

Mis à part qu’à mon âge, il se rasait la barbe, nous sommes tous deux grands, aux yeux clairs avec la même touffe de cheveux épaisse sur le sommet du crâne.

RIP Patrick.

— Tu joues toujours avec cette fille, Éphéméride quelque chose ?

Éphémère2.

Betty se tient le menton en cherchant le pseudo de ma partenaire de jeu. Dans ce monde virtuel, je pourrais assurément la demander en mariage. Ce monde où le passé n’existe pas. Ce monde où je ne suis pas Corentin Connard, le patron de Separagence et le fils indigne qui ne côtoie plus sa mère.

Elle ne s’attend pas à ce que je réponde alors elle rajoute :

— Tom est déjà dépendant des écrans !

J’observe Nathan, occupé à classer son tas de dossiers verts. Nous avons beaucoup de clients en cette période de l’année. Avant Noël, les gens font du tri. Je reporte mon attention sur mon interlocutrice.

— Tu vas avoir du fil à retordre, je réponds, un fin sourire sur les lèvres.

Tom est aussi en forme que mon grand-père quand il s’envoie en l’air avec madame Zora...

Pépé adore le trampoline.

— Tu n’as pas idée ! Hier soir, j’ai retrouvé un paquet de préservatifs sous son lit.

Je manque de m’étrangler. Ce gamin est un génie, ça aurait dû être le mien. Ça aurait pu. Betty et moi avons eu une aventure, il y a plusieurs années. Mais je ne suis pas le genre de gars qui l’attire réellement et elle n’est pas non plus la femme qui pourra me sauver du cataclysme de ma vie. D’ailleurs, je crois que cette fille n’existe pas.

La cloche indiquant l’arrivée d’un visiteur nous fait tourner la tête au même moment.

— Matt ? Tout va bien ? je m’enquiers en voyant débarquer mon voisin.

Nous vivons l’un au-dessus de l’autre depuis des années. Notre immeuble est en fait une maison aménagée en deux appartements : celui de Matt et Constance, sa femme et le mien. Nous possédons chacun un étage. Et comme ces deux-là sont adorables, il n’y a jamais eu de problème.

Jusqu’à ce qu’il débarque ici.

— Salut, Corentin, est-ce que je peux te parler ? Seul à seul ?

Il se frotte la nuque en reluquant le sol. Ça sent le roussi ! Lui qui d’habitude est souriant et bon vivant me paraît déboussolé.

Betty s’empresse de se lever pour disparaître en quatrième vitesse.

D’un geste de la main, j’encourage mon voisin à prendre sa place.

Est-ce qu’il vient me dire que ma mère m’attend de pied ferme chez moi ?

Élisa, ma mère est la réincarnation du tyrannosaure : vieille et aussi coriace que ces bêtes immondes !

— J’ai besoin de ton aide. Il faut que je quitte Constance.

Tout compte fait, il est évident que rendre visite à maman aurait été plus sympa que de discuter avec mon voisin. Je ne pensais pas que Matt serait de ceux qui font le ménage avant les fêtes de fin d’année. Néanmoins, je serai prêt à parier sur du vert. Nathan a dû le sentir, lui aussi, car, depuis son propre bureau, il l’observe d’un air affamé.

Nathan, les dossiers verts. Betty, les dossiers rouges.

— Ça ne se passe plus comme tu le veux entre vous ?

Habituellement, je ne pose pas de questions quant aux motivations de mes clients. C’est plus délicat quand il s’agit de mes proches. Parce qu’on peut le dire, Matt et Constance sont beaucoup plus que de simples voisins.

— Je suis malade, Corentin, je vais finir dans un fauteuil.

Je déglutis.

— Qu’est-ce que tu veux dire ?

Mon ami se tord dans tous les sens, évitant mon regard à tout prix. Je ne le trouve pas mourant. Matt est un homme grand et baraqué. Il rase ses cheveux à blanc et se parfume d’eau de Cologne à tout-va. Difficile de l’imaginer souffrant en ayant cette image de lui en tête. Il soupire. Si je pouvais sonder son âme, je suis certain que j’y verrai un garçon apeuré.

— J’ai la sclérose en plaques. Je ne veux pas que Constance ait à subir ça. Elle n’a que trente ans !

Quand j’ai fondé cette entreprise, j’avais exclusivement en tête des gens trop lâches pour faire faux bond à leur compagnon de route. Pourtant, en cinq ans de métier, je me suis rendu compte que Separagence avait aussi ce rôle, celui d’aider des femmes battues, des hommes malades et parfois même des enfants. Néanmoins, aujourd’hui, j’aimerais juste avoir à m’occuper des lâches. Comment faire croire à Constance que Matt n’en vaut pas la peine en sachant qu’il va affronter seul sa maladie ?

Je suis Corentin Connard. L’enfoiré qui a monté cette entreprise...

— Il faut que tu m’aides, répète mon voisin.

Je sors une feuille blanche du bac de l’imprimante.

— D’accord, je vais le faire.

Je commence à noter toutes les informations nécessaires sur Constance. Il me donne le nom de ses fleurs préférées, me précise l’heure à laquelle elle sera chez elle. Il me parle d’elle comme s’il me récitait un poème d’amour.

Victor Hugo lui-même en frissonnerait.

Quand nous en avons terminé avec la paperasse, je le raccompagne, une main bienveillante sur son épaule. Ça me crève le cœur d’avoir à faire ça. Je préférerais prendre sa place. Matt est un gentil garçon, pas moi.

La porte claque. Je me retourne pour me diriger vers mon bureau. La femme de ménage n’est pas passée depuis un bail. Il y a des toiles d’araignée dans les coins de murs. Nathan lui a fait peur la dernière fois qu’elle est venue. Cet idiot a passé son temps à la fixer, exactement comme il détaille Matt en cet instant, l’air mort de faim, à travers la vitrine de la boutique.

— Calme tes ardeurs, Clara Morgane, tu baves, lui lance Betty, incrédule.

Chapitre 3

J’ai toujours préféré aux voisins les voisines.

Ça me rend fou. Nathan me regarde d’un air dépité, impuissant. C’est un dossier vert ! Constance est un dossier vert et il n’a trouvé personne pour s’en occuper. En temps ordinaire, il est vif et ne manque pas de sérieux lorsqu’il s’agit du boulot. Néanmoins, ce soir, il semble dépassé par les événements.

— Tu es sûr que tu n’as personne pour te remplacer ? Cherche encore ! je crie, penché au-dessus de son ordinateur.

Sa crête rose tangue de droite à gauche quand il se met à fouiller dans les documents posés sur son bureau. Je le sens prêt à éclater en sanglots. Il faut dire que, malgré les apparences, je ne suis pas très calme comme garçon. Je me qualifierais même de sanguin. À la moindre incartade, je suis capable d’exploser.

— J’ai contacté tous mes agents. Tout le monde est très occupé.

— Trouve une solution !

Mon poing s’écrase sur le pupitre. Ça le fait sursauter et un cri sort de ses lèvres.

Parfois, il hurle de façon tout à fait féminine.

J’ai chaud. Il fait une chaleur à crever dans l’entrepôt. Pourtant, dehors, il gèle.

— Si tu veux, je peux demander à Abi d’intervenir. Elle est disponible ce..., intervient Betty que j’interromps immédiatement.

— Certainement pas ! Cette vipère ne fait preuve d’aucun tact.

C’est un serpent de la pire espèce.

D’ailleurs, Betty et Abigaëlle s’entendent à merveille. J’adore mon employée, mais, pour ce qui est du job, c’est un véritable requin lâché dans un bac de poissons rouges. Je ne pense pas qu’elles se soient déjà vues toutes les deux. Mademoiselle Monclair est discrète. Elle se contente d’appeler. Elle ne se déplace jamais en agence.

— Pourquoi ne veux-tu pas que j’y aille ? demande Nathan, désormais debout derrière son bureau.

Bon sang, il faut vraiment qu’il fasse un truc à ses cheveux.

Je soupire en basculant ma tête vers l’arrière. Ça ne se voit peut-être pas, avec les gouttes de sueur qui perlent sur mon front, mais j’essaie de reprendre mon calme. En vain. J’ai envie d’arracher les dossiers qui trônent devant lui.

— Elle te connaît ! Constance t’a croisé dans les escaliers la dernière fois que tu es venu chez moi.

Elle mérite mieux que ça. Non pas que Nathan ne possède pas l’expérience requise pour ce genre de mission...

Il est le James Bond des dossiers verts.

Je porte ma main sur ma nuque pour qu’il ne voie pas à quel point elle tremble. La fatigue, les cauchemars et l’accident me bousillent l’existence.

— Corentin, il faut que tu te calmes, dit Betty d’une voix douce.

À peu de chose près, elle est la sœur que je n’ai jamais eue. Cependant, je suis bien trop énervé pour la laisser m’apaiser. Alors, d’un geste brusque, je fais valdinguer les documents sur le bureau de Nathan et détourne les talons.

— Je vais me démerder tout seul ! je hurle en claquant la porte.

Malgré le froid qui s’engouffre sous mon costume trois pièces, je ne décolère pas. Je suis capricieux et bien trop fatigué pour être sain d’esprit. Comment se fait-il que je sois obligé d’intervenir ? Pourquoi Nathan n’a-t-il pas trouvé une foutue solution ? Merde ! Je connais cette fille depuis plusieurs années. Mon voisin est malade et personne n’est en capacité de m’aider. C’est quand même un comble ! Si je me suis positionné comme patron, c’est pour ne pas avoir à me salir les mains.

Malgré les apparences, je crois que je déteste faire du mal aux gens. J’ai eu cette stupide idée d’agence sans me rendre compte que je n’aurais pas que des idiots sans cervelle qui voudraient rompre avec leur femme. Maudit cerveau ! Saloperie d’imagination débordante ! J’ai tellement d’idées à la seconde que je pourrais écrire des tonnes de bouquins. Enfin, dans une autre vie. Parce que là, je n’ai pas vraiment le temps de m’y mettre.

Dans une ultime tentative pour me calmer, je sors mes écouteurs de ma poche de pantalon, puis mon téléphone portable. C’est à ce moment-là que je vois s’afficher un message, sur Steam, la plate-forme de jeux en ligne.

Éphémère2 : Ce soir 20 h ? Je ne bosse pas.

Vous ai-je déjà dit que j’épouserai cette fille ?

Tout est plus simple à travers les écrans. Il n’y a pas ce maudit poids qui plane sans cesse sur mes épaules. Néanmoins, il y a cette fille. Ma coéquipière de jeux. Je crois qu’au fil des années, elle est devenue bien plus importante qu’il n’y paraît. Nous ne parlons plus uniquement de raids ou d’ennemis.

Nous discutons du beau temps, de nos vies, de nos envies sans pour autant en dire assez pour dévoiler notre véritable identité.

Enfin, je crois...

Chapitre 4

Mais qu’est-ce que tu fous là, Corentin Connard ?

Tout serait plus simple si j’avais mis un agent expérimenté sur le coup. Je sais faire. Au début, il n’y avait que moi dans cette entreprise. Mais ce n’est pas aussi simple. Je connais Constance depuis longtemps. Trois ans. Elle est d’une douceur infinie et je suis persuadé qu’elle aime Matt du plus profond de son âme.

Alors, qu’est-ce que je fous là, devant cette porte en bois, un bouquet de fleurs dans les bras ?

Des roses blanches. Ses préférées.

Bien des agents ont déjà failli à leur tâche. Pour tout un tas de raisons que je ne comprenais pas, certains abandonnaient la mission quelques minutes avant l’heure fatidique. C’est aberrant comme aujourd’hui, je regrette d’avoir hurlé sur Betty et Nathan pour ça. Tout compte fait, je les comprends. Seul un être sans cœur est capable d’aller jusqu’au bout : Abigaëlle Monclair fait ça tous les jours. Moi, je me sens aussi à l’aise qu’un poisson rouge hors de l’eau.

Et encore, Némo n’en était pas à son coup d’essai.

Lorsque mes doigts entrent en contact avec le bois, je reprends mon souffle. Constance ne tarde pas à m’ouvrir. Elle est radieuse. Son sourire craintif me fait l’effet d’une bombe. Ou c’est moi la bombe qui vient faire exploser ce joli petit minois. Ses cheveux châtains sont détachés. Ils me semblent encore plus longs qu’hier. Ils ondulent sur les bouts. De ses grands yeux bleus, elle m’observe en disant d’une voix fluette :

— Corentin ? Matt est parti au foot, il va revenir d’ici...

Je lui coupe la parole.

— C’est toi que je voulais voir, Constance.

Le legging qu’elle porte met en avant la finesse de ses jambes et son pull blanc, les atouts que présente une femme à la poitrine généreuse. J’aimerais la serrer dans mes bras pour la rassurer, mais, au lieu de ça, je suis d’une froideur extrême.

Parce que je ne me sens pas à l’aise.

Je pousse la porte sous son regard médusé.

— Est-ce que c’est pour moi ? demande-t-elle, les yeux rivés sur les roses.

— En fait... elles étaient pour ma mère, mais tu connais notre relation houleuse, je suis parti avant même de pouvoir lui donner ! Du coup, je me suis dit que ça te ferait plaisir.

Cette fois, son sourire irradie la pièce. Ma voisine n’y voit que du feu et s’empresse de me prendre le bouquet des mains.

— C’est adorable, Corentin ! Je vais tout de suite chercher un vase à la cuisine. Tu veux boire quelque chose ?

Connard.

C’est Corentin Connard. J’ai rarement aussi bien porté mon nom qu’en ce moment.

— Non, ce sera rapide.

Désolé, beauté.

Elle soulève ses frêles épaules dans un geste désinvolte, puis disparaît un instant. J’en profite pour me laisser tomber sur le canapé.

La décoration est de bon goût. C’est tout à fait charmant, beaucoup plus convivial que chez moi. Là-haut, tout est morose et sans vie. Matt est bricoleur, je l’entends taper du marteau le week-end pendant que Constance fait le ménage. C’est le couple parfait...

C’était, le couple parfait.

— Tu sais que les roses blanches sont mes préférées ? précise Constance en revenant dans le salon.

Malheureusement.

— Ah oui ? Je n’en savais rien. Ma mère les déteste, c’est pour ça que je les lui ai ramenées.

Ça la fait rire. Elle rit d’un rire spontané et sincère.

Dieu que cette fille est foutrement ravissante !

Je me déteste d’avoir à lui mentir. Par-dessus tout, j’en veux à Matt de l’abandonner de cette manière, même si au fond, je le comprends. Comment pourrait-il supporter de la voir s’en faire chaque jour pour lui ? Son visage délicat serait déformé par le stress, ses yeux d’un bleu pur, tachés par le chagrin. Elle ne mérite pas une vie aussi laborieuse. Elle est bien trop jeune pour avoir à affronter cette saloperie de maladie.

Il faut que je le fasse.

— Viens par ici, je souffle en tapotant sur l’assise du canapé.

Ses paupières se plissent et j’aperçois son nez se retrousser. Toutefois, elle s’exécute sans broncher une seule seconde.

— Que se passe-t-il, Coco ?

Coco est dans le caca.

J’attrape sa main pour la recouvrir de la mienne.

— Matt m’a demandé de passer te voir. Il ne rentrera pas ce soir.

Immédiatement, son visage vire au blanc, mais elle ne comprend pas tout de suite. Non, avant toute chose, elle s’inquiète pour son compagnon.

— Est-ce qu’il va bien ?

Ses yeux me sondent d’une manière atrocement intense. J’ai la sensation de la voir se vider de son sang tant elle est pâle. Pourtant, je dois continuer. C’est dans le contrat. Matt m’a filé trois-cent euros pour que je largue sa copine à sa place.

— Constance, tu n’as rien à te reprocher. Il t’admire pour tout ce que tu représentes. Tu es une femme formidable, mais il ne reviendra plus... Il veut rompre.

Job de merde !

Sa main se retire des miennes. Elle se lève. La voilà, la bombe qui explose en brisant tout sur son passage.

— Qu’est-ce que tu racontes ? Tu es tombé sur la tête ? Ce n’est pas drôle, Corentin ! crie-t-elle en s’éloignant de moi le plus rapidement possible.

Elle attrape son téléphone portable pour commencer à tapoter sur son écran.

— Pourquoi est-ce qu’il ferait ça, d’abord ? continue ma voisine, décontenancée.

Je me lève à mon tour.

— Il ne te répondra pas. Il faut que tu l’oublies. Tu es jeune, Constance, tu rencontreras quelqu’un de mieux.

Matt est meilleur que la plupart des hommes. Cependant, il est préférable de la convaincre du contraire. D’ailleurs, je devrais moi-même y croire. Ainsi, je ne me sentirais pas aussi mal de voir les larmes ravager son regard lorsqu’elle porte le portable à son oreille.

Une fois de plus, j’étends mes doigts sur les siens pour prendre l’appareil.

— Il ne reviendra pas... je murmure en l’attirant contre moi.

Chaque sanglot qu’elle lâche dans mes bras me fait l’effet d’un coup de poignard. Elle tremble, hurle, se débat contre mon torse et je me déteste un peu plus encore de la faire autant souffrir.

Nathan va le payer cher.

Si seulement il avait fait son boulot correctement. Si seulement Matt n’était pas malade...

Bon sang, que la vie est dure.

— Pourquoi est-ce qu’il me fait ça ? Nous étions bien ensemble ! Il était un peu distant ces derniers temps, mais je pensais qu’il était juste fatigué... pas qu’il me laisserait tomber..., se lamente ma voisine, la voix emplie de tristesse.

Je redresse son visage en l’encerclant de mes mains.

— Ce n’est pas de ta faute. Je te le promets.

Son regard se perd dans le mien. J’y vois toute l’immensité de son cœur. L’homme que je suis voudrait l’empêcher de pleurer, le patron se dit que c’est la procédure. Mais le voisin... Le voisin est hypnotisé par ce bout de femme vulnérable.

J’ai envie de la protéger.

J’ai envie de protéger chaque fille qui croise ma route depuis qu’Alison est morte.

Et lorsqu’à mon tour, la tristesse pointe le bout de son nez dans mon être, je plaque mes lèvres contre sa bouche pour ne pas qu’elle me voit pleurer. Sa main vient claquer sur ma joue. Ma peau chauffe aussitôt. Je suis aussi perdu qu’elle. Sauf que mon trouble ne date pas d’hier... Elle me repousse.

— Tu es fou ?! J’ai un petit ami Corentin, et même s’il refuse de me faire l’amour depuis quelques mois, je sais qu’il m’aime !

La voir se débattre ainsi me fend le cœur. Pour faire passer la crise d’hystérie qui menace de la faire sortir de ses gonds, Constance se lève. Elle effectue quelques pas en se tenant le haut du crâne puis se rassoit.

— Il ne peut pas me faire ça...

— Il ne reviendra pas, Constance, je dis, les yeux larmoyants.

Ma main vient essuyer ses joues et elle cède. Nos larmes s’unissent, nos âmes aussi. Elle m’embrasse à en perdre haleine, surtout, elle m’embrasse pour oublier sa peine.

Je ne la comprends que trop bien. Moi aussi, l’amour m’a abandonné.

Mes bras l’encerclent si fort que j’ai peur de la casser. Cependant, elle s’accroche à mes épaules au point de se laisser porter jusqu’à la chambre à coucher.

Est-ce qu’on appelle ça « chambre à coucher » parce qu’il est incontestable que nous allons coucher ensemble dans cette pièce ?

Du haut de son mètre soixante, Constance se cambre pour continuer d’affubler ma bouche de ses baisers salés.

Je n’ai pas fait l’amour depuis longtemps. Trop longtemps. Aussi, quand elle fait glisser ma ceinture sur le sol, j’ai aussitôt envie d’en finir.

Je ne pense pas une seule seconde à ce que je suis en train de faire, au boulot, à la différence entre les dossiers verts et les rouges. Je ne pense pas une seule minute à la rage qui va emporter Matt quand il va savoir que j’ai couché avec la fille qu’il aime.

Pourtant, je devrais.

Il va me faire la tête au carré. C’est inévitable ! Matt est bien plus costaud que moi.