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Rose, une octogénaire, est bien déterminée à ne jamais franchir les portes d’une maison de retraite. Cependant, comme le hasard en décide parfois autrement, son destin bascule malgré ses résolutions inébranlables…
À PROPOS DE L'AUTRICE
Titulaire d’un diplôme d’attachée de presse,
Martine Bachelet a toujours eu un penchant pour l’écriture. Aujourd’hui à la retraite, elle se consacre entièrement à sa passion. "Non, je n’irai pas en maison de retraite" est son troisième roman publié.
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Seitenzahl: 236
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Martine Bachelet
Non,
je n’irai pas en maison de retraite
Roman
© Lys Bleu Éditions – Martine Bachelet
ISBN : 979-10-422-3470-6
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Roman
Les Liens Transgénérationnels, publié en 2019 aux éditions Maïa.
Nouvelle
De la Source au Fleuve, publié en 2021 aux éditions Le Lys Bleu.
Ce roman est une pure fiction. Toute ressemblance avec des faits et des personnages existants ou ayant existé serait purement fortuite et ne pourrait être que le fruit d’une pure coïncidence.
— Non, je n’irai pas en maison de retraite ! mon leitmotiv.
Je m’appelle Rose. Je suis une octogénaire, comme il en existe des millions dans tout l’Hexagone. Je vis seule à mon domicile et redoute le moment où mon intégrité physique et peut-être mentale ne me permettra plus d’y rester.
Je fais partie des générations qui ont commencé à avoir accès aux études, sinon supérieures, du moins secondaires, leur permettant d’exercer des métiers plus valorisants et surtout plus rémunérateurs. Fortes des études faites et des diplômes obtenus, les femmes nées pendant la Seconde Guerre mondiale ont essaimé dans le monde du travail, raison invoquée : améliorer les ressources du foyer, raison sous-jacente, qu’au début, elles avouaient timidement ; acquérir l’indépendance que leurs mères n’avaient pas eue.
Petit aparté, actuellement, les caisses de retraite crient « au secours » prétextant qu’il n’y a pas suffisamment d’actifs pour financer les retraites des nombreux baby-boomers. Mais auparavant, personne n’est monté à la tribune pour parler de pléthore : deux cotisations par foyer encaissées pour une seule rente versée.
Toujours est-il que beaucoup de retraités actuels, surtout ceux qui sont en couple, vivent confortablement, possèdent leur maison et souvent une résidence secondaire, font des voyages à l’autre bout du monde, et ont mis un petit pécule de côté « au cas où ».
Depuis quelques décennies, des hommes d’affaires bien attentionnés ont flairé tout le profit qu’on pouvait escompter de cette manne inespérée, que représentent les personnes âgées. Auparavant, très souvent, les anciens, qui ne pouvaient plus se suffire à eux-mêmes, achevaient leur vie chez leurs enfants, ces derniers trouvant inconcevable « d’abandonner » dans des lieux communément appelés « mouroirs » ceux ou celles qui les avaient élevés.
Alors pour apaiser les consciences des progénitures, on a humanisé lesdits mouroirs en rendant les lieux plus accueillants. Dès l’entrée de l’établissement, le « client » doit avoir un coup de cœur. Il faut susciter chez lui l’envie de venir habiter dans le lieu. Marketing oblige, on a baptisé ledit lieu « Résidence » auquel on a accolé les adjectifs les plus délicieux : Résidence Vermeil, Résidence Dorée, Résidence la Rose éternelle. En un mot, il fallait donner l’impression au futur résident qu’il allait entrer au paradis bien avant l’heure fatidique.
« Résidence » c’était le nom fréquemment donné à partir des années 1970 aux immeubles qui offraient des prestations plus soignées que celles proposées par les HLM. Dans les résidences, la moquette s’étalait partout afin d’offrir une impression de chaleur, de moelleux, de confort, sans jamais laisser penser que cela pouvait être allergène. Elle garantissait également une meilleure insonorisation. Le linoléum, de faible épaisseur qui revêtait le plancher en béton des HLM, n’offrait hélas pas les mêmes qualités et de ce fait, ne souffrait aucune comparaison.
Les résidences fleurissaient dans des endroits agréables, ne comportaient jamais une kyrielle d’appartements et lorsqu’on les décrivait, on utilisait souvent l’expression « habitation à taille humaine », contrairement aux grands ensembles à loyer modéré qui s’élevaient en périphérie des villes pour encaserner une population aux revenus modestes dont le nombre était bien supérieur à la population dite aisée.
Psychologiquement dans les esprits, le mot résidence s’est trouvé associé ipso facto à celui de luxe. Les enfants n’installent plus leurs parents dans une « maison de retraite », mais dans une « résidence » où ils retrouveront le même confort qu’à leur domicile. Lesdits enfants trouvent la nuance rassurante. Les anciens se disent in petto « c’est blanc bonnet et bonnet blanc ».
— Non je n’irai pas en maison de retraite, dis-je passablement énervée.
J’attends avec beaucoup d’impatience, dans le salon d’accueil de la Résidence les Gl-aïeuls, que mes filles, Jocelyne et Noémie, sortent du bureau du directeur auprès de qui elles ont sollicité un rendez-vous afin de me « préinscrire » dans cet établissement.
Le réceptionniste passe à ce moment près de moi et me dédie un magnifique sourire commercial, tout en se retenant de pouffer de rire à mon soliloque. Il propose de m’apporter un thé et quelques mignardises.
Le réceptionniste comprend la méprise et rectifie :
Je lui tourne ostensiblement le dos, lui signifiant ainsi que la discussion est close et reprend mon monologue.
— Je ne vais pas entrer dans un établissement où le langage est tellement châtié, que je n’y entrave que dalle. Quand je vais raconter cela aux copines, elles vont être mortes de rire. Mignardises ! Mignardises ! Est-ce que j’ai une gueule de mignardises ? Ha, ha, ha, ça aurait plu à Arletty cette réplique.
Le salon dans lequel je me trouve dégage une impression de quiétude et de sérénité. Je suis assise dans l’un des quatre moelleux fauteuils, recouverts d’un tissu aux fleurs stylisées. Les couleurs gourmandes et acidulées, aux traits aquarellés, en adoucissent les lignes. Cela donne à l’ensemble un effet bucolique et poétique. Si je n’étais pas autant exaspérée, par cette visite, jugée inopportune, je m’assoupirais. Je reconnais en mon for intérieur, que le fauteuil est diablement plus confortable que mon vieux canapé, avachi d’avoir accueilli depuis la nuit des temps, moult fessiers.
Au centre de ce boudoir trône une petite table basse au design vintage, d’une qualité incontestable. Quelques magazines sybaritiques y ont été déposés avec soin. Je ne fais pas l’effort de m’en saisir afin de montrer mon désintéressement le plus total. Pourtant l’un d’entre eux « Mon Jardin et Ma Maison » m’attire ostensiblement, moi qui me passionne pour tout ce qui est plantation. J’avance timidement la main avant de me morigéner tout bas :
« Non, ma fille, tu ne tomberas pas dans le piège et ne céderas pas aux sirènes de la tentation. »
Et de façon plus audible, je reprends mon leitmotiv :
— Non, je n’irai pas en maison de retraite ! Je suis très bien chez moi, dans ma maison. J’y vivrai jusqu’à ma mort.
Mes filles sortent enfin du bureau du directeur. C’est un homme d’une quarantaine d’années, grand et élancé, vêtu d’un dégradé de gris : costume gris taupe, chemise gris perle et cravate gris anthracite. Des chaussures noires impeccablement cirées complètent l’ensemble vestimentaire. La coupe de cheveux est irréprochable, pas un cheveu ne se rebelle. On a l’impression qu’il s’est préparé pour un défilé de mode masculine. Il me propose ainsi qu’à mes filles de visiter l’établissement, avec un large sourire un tantinet carnassier. Il se dit que ces deux-là n’ont pas mis longtemps à tomber dans ses filets. Par contre pour la mère, il va falloir un hameçon plus captieux.
Je reste sur la défensive et ne fais aucun geste pour quitter mon fauteuil, dans lequel au demeurant, je me trouve fort bien. Jocelyne insiste :
— Viens maman, cela ne t’engage à rien de visiter avec nous.
— Ça ne m’intéresse pas. Vous perdez votre temps et vous me faites perdre le mien, sans compter celui de monsieur le directeur, qui doit être tellement précieux, dis-je en lui décochant un sourire mielleux, copié-collé d’une grimace, pour qui sait observer.
— Comme tu voudras ! Nous allons visiter sans toi. Attends-nous là, ce ne sera pas très long.
Les filles n’ont pas fait dix pas que je reprends ma litanie :
— Non, je n’irai pas en maison de retraite ! C’est à moi de décider et celui ou celle qui me fera changer d’avis n’est pas encore né. Na !
La résidence Les Gl-aïeuls est en cours de rénovation pour répondre aux normes sanitaires actuelles. Les actionnaires, qui ont investi de fortes sommes pour réaliser ces travaux, ne sont pas des philanthropes. Lorsque tout sera fini, le tarif d’hébergement augmentera de 100 % pour les nouveaux entrants, engendrant pour le commun des mortels une nouvelle fracture sociale. Peu de personnes ont une retraite suffisante pour couvrir ces tarifs prohibitifs. Surtout que le bruit court en ce qui concerne cet établissement (et comme dit le proverbe, il n’y a pas de fumée sans feu) que la direction manque de professionnalisme, et que la réalité n’est pas exactement ce qui est écrit noir sur blanc sur le papier.
Mes filles pensent que là encore, c’est une manière détournée de ponctionner encore un peu plus les revenus des résidents, car une chambre meublée se loue plus chère. Pour les actionnaires, même si cela nécessite une mise de fonds importante au départ, le retour sur investissement est des plus lucratifs.
Jocelyne renchérit :
Dans le salon d’accueil, je ne faiblis pas :
Le réceptionniste murmure dans ses moustaches : ce n’est pas gagné !
Une fois la visite de l’établissement terminée, Jocelyne essaie encore une fois d’apporter « de l’eau à son moulin » en s’adressant à moi :
Mes filles prennent congé du directeur en lui serrant la main. Sa poignée de main est énergique, dénotant le caractère déterminé de l’homme.
Lorsqu’il tend la main pour me saluer, je détourne le regard et me dirige fièrement vers la sortie sous le regard gêné de mes filles, en disant :
— Scrogneugneu ! Que de temps perdu en balivernes !
Une fois, les trois femmes sorties, Jocelyne, furieuse, morigène sa mère :
— Maman, tu exagères et tu es très impolie. Tu ne nous as pas élevées comme cela. Le directeur n’est pas responsable du fait qu’un jour ou l’autre, tu devras intégrer un établissement comme celui qu’il dirige. Il a été très courtois, tu aurais pu l’être également, au moins un minimum. Au lieu de cela, tu t’es conduite avec une arrogance, dont je ne te savais pas capable.
Disant cela, elle croise le regard de sa sœur et leurs yeux expriment la difficulté qu’elles auront à me convaincre de quitter mon domicile, lorsque je n’y serais plus en sécurité.
J’ai toujours vécu avec mon mari, Lucien, dans la maison que j’occupe actuellement. Cette demeure, nous y avons beaucoup travaillé, tous les deux, pour l’acquérir. Nous l’avons meublée et décorée, souvent avec peu de moyens, mais toujours avec goût. Lucien, étant bricoleur, l’a presque construite de ses mains. Les meubles qui la garnissent sont, pour la plupart, l’œuvre de mon défunt mari, alors autant dire que j’y tiens comme à la prunelle de mes yeux. Les abandonner pour rejoindre une maison de retraite serait au-dessus de mes forces. Chez moi, tout est prétexte à se souvenir, car même si ma mémoire flanche parfois, je me remémore très bien les bons moments du temps passé avec Lucien. Lorsqu’il est décédé brutalement d’un infarctus, tout dans la maison me faisait horreur. Mais maintenant que j’ai appris à vivre seule, mon environnement est pour moi source de sérénité et de douceur.
Sur le chemin du retour, je continue de vouloir persuader mes filles du mal-fondé de leur démarche d’aujourd’hui :
Mes filles savent que j’ai raison. Mais la démarche faite cet après-midi était simplement un premier pas vers une solution qui un jour deviendra inéluctable. Elles préfèrent me préparer à l’avance et en douceur.
Mais elles sont bien décidées à marquer leur mécontentement et ne cèdent pas. Elles m’embrassent chacune sur une joue et regagnent leurs domiciles respectifs.
Mes filles parties, je souris en mon for intérieur pour avoir encore une fois triomphé, mais je sais qu’il n’en sera pas toujours ainsi et qu’un jour, il faudra bien se résoudre à quitter cette maison, que j’aime tant.
— En attendant, je vais me préparer du café, me dis-je in petto, le moment tant redouté n’est pas encore arrivé et lorsque cela sera le cas, il sera bien assez tôt pour s’en soucier.
Je suis une optimiste personnifiée. J’ai traversé la vie comme je l’aurais fait d’un long fleuve tranquille. Des remous, des turbulences. Ça oui ! j’en ai connu, mais sûrement pas plus que tout un chacun. Par contre, je n’ai jamais baissé la tête devant l’ennemi. Bien au contraire. Avec moi, les emmerdes ont trouvé une adversaire coriace. Alors que Lucien se lamentait avant d’avoir mal. Il voyait toujours des problèmes là où il n’y avait que des solutions. Pleurer, larmoyer, récriminer, se plaindre : il savait faire, mais moi, j’avais banni tous ces verbes de mon vocabulaire.
Et Lucien, égal à lui-même, assénait : « pas cette fois-ci ! »
En sirotant mon café, je souris, attendrie, en repensant à toutes ces fois, où j’ai soutenu le moral en berne, de mon mari, qui quelque temps plus tard, admettait, tout penaud, que j’avais eu raison de le houspiller, et que oui, il voyait toujours une montagne à escalader, là où il n’y avait qu’un petit terre-plein.
Mon optimisme, je le dois à ma mère, qui, veuve très tôt, s’est retrouvée seule à 23 ans pour élever 3 enfants en bas âge. Levée aux aurores, couchée très tard, ses nuits étaient courtes, ses journées interminables. Elle s’esquintait les yeux sur sa machine à coudre afin que les riches dames puissent parader aux dîners du préfet ou autres notables. Elle chantonnait toujours en travaillant et savait faire face aux situations difficiles, avec courage.
Pour moi, le souci principal dans mon foyer était le manque d’argent. Car même si les riches disent « plaie d’argent n’est pas mortelle », les pauvres disent comme Coluche : « les fins de mois sont difficiles, surtout les trente derniers jours ».
Malgré cela, je reconnais avoir été très heureuse avec Lucien et nos deux filles.
Après cette plongée dans les souvenirs, je me houspille avec humour :
— Tu ne veux pas aller en maison de retraite, soit ! Mais si tu veux manger ce soir, enfile ton tablier et va préparer le dîner.
Devant l’évier, je ne lève pas assez les pieds, ma pantoufle droite s’enfile sous le tapis, ce qui a pour effet de me projeter en avant. J’essaie de me retenir à l’évier, mais n’y parviens pas et chute lourdement sur le sol.
J’esquisse un mouvement pour me relever, mais la douleur est si vive que mon visage s’inonde de sueur, que mes tempes se mettent à bourdonner et que mes yeux se voilent tout à coup. Je reste évanouie un certain temps avant de reprendre connaissance. Je grelotte de froid, étendue sur le carrelage de ma cuisine et n’a plus qu’un seul espoir : que l’une de mes filles appelle, et qu’elle s’inquiète parce que je ne réponds pas au téléphone. Mais comme nous nous sommes vues cet après-midi et qu’elles sont parties boudeuses, je pense qu’elles vont rester silencieuses au moins aujourd’hui. À défaut de ne pouvoir me relever, j’essaie de ramper jusqu’au tapis du salon, qui serait plus confortable que le carrelage. Mais le plus infime mouvement déclenche une douleur insupportable et je perds de nouveau connaissance. Je me réveille quelques instants plus tard, avec toujours ce mal lancinant dans la cuisse qui m’empêche de réfléchir calmement.
Noémie, après avoir discuté sur le chemin du retour avec sa sœur, convient qu’elles n’obtiendront rien de moi en me brusquant, et conclut ainsi :
De retour chez elle, Noémie décide de téléphoner à sa mère pour la rassurer et lui dire que rien ne presse en ce qui concerne son entrée dans une maison de retraite et qu’elle décidera seule du moment opportun.
— Comme c’est bizarre, se dit-elle, que maman ne réponde pas. Elle ne nous a pas dit qu’elle devait ressortir. Elle est sans doute aux toilettes ou dans son jardin, j’essaierais plus tard de la rappeler.
Elle réitère son appel cinq minutes après, mais toujours en vain et pour cause. Après avoir composé plusieurs fois le numéro sans obtenir de réponse, Noémie commence à s’inquiéter et se dit que le meilleur moyen pour se rassurer et d’aller sur place voir ce qui se passe. Elle enfile son manteau et retourne chez Rose.
En entrouvrant la porte d’entrée, elle appelle :
— Maman, où es-tu ?
En guise de réponse, elle entend un gémissement du côté de la cuisine. Elle s’y précipite et me trouve, le visage déformé par la douleur, gémissant : « ma jambe, ma jambe ». Noémie comprend immédiatement ce qui s’est passé en voyant le tapis chiffonné à proximité. Elle me recouvre d’un plaid qui traînait sur le divan et appelle les pompiers, puis sa sœur pour la mettre au courant.
Le fourgon rouge ne met pas plus de quelques minutes pour se garer devant mon domicile. Les sauveteurs en descendent et me donnent les premiers soins, après m’avoir questionnée sur les circonstances de ma chute. Il est bien évident que ma jambe est mal en point, mais j’ai peut-être d’autres fractures, aussi ne prennent-ils aucun risque. Ils me déposent avec précaution dans un matelas coquille, sur une civière de relevage afin de me transporter en toute sécurité jusqu’à l’hôpital. En cours de route, je suis prise de nausées, ce qui inquiète les pompiers, car les vomissements sont souvent le signe d’une pathologie insoupçonnée. Je les rassure :
Jocelyne et Noémie atteignent l’hôpital en même temps que les pompiers. Elles sont inquiètes pour moi qui vais devoir sûrement être opérée. Cet accident prouve s’il en était besoin que je ne suis pas en sécurité, seule chez moi, mais pour le moment le problème n’est pas là.
Les pompiers signalent leur arrivée puis patientent à côté de mon brancard, en compagnie de mes filles. Ce jour-là aux urgences, comme souvent, il y a beaucoup de monde et l’attente risque d’être longue. Il y a les ivrognes S.D.F. que les gendarmes amènent souvent manu militari, car les pauvres bougres font mine de se rebeller pour prouver qu’ils existent encore. Il y a les femmes, qui, mères pour la première fois, sont angoissées parce que leurs bambins ont 37° 2 de température. Elles ont d’abord téléphoné au généraliste, qui à défaut de pouvoir les recevoir, leur a conseillé de donner un bain tiède au nourrisson et un antipyrétique en les assurant que tout rentrerait dans l’ordre ensuite. Mais cela n’a pas suffi à calmer leur stress, elles veulent un autre avis médical. Le régulateur a fort à faire pour calmer les inquiétudes de chacun, qui pense que son cas est désespéré donc prioritaire, qui ne comprend pas pourquoi on a fait passer avant lui, cette personne qui ne semblait pourtant pas si mal en point.
L’infirmier sourit avant de poursuivre son chemin parmi les brancards. Il connaît ce monsieur qui vient régulièrement aux urgences pour des problèmes intestinaux récurrents, mais sans gravité. Par contre, peut-être qu’un jour, il fera réellement une péritonite et qu’à force de le recevoir pour des problèmes bénins, on ne lui accordera pas plus d’attention qu’aujourd’hui.
Enfin je suis prise en charge. Les pompiers expliquent à l’interne les circonstances de ma chute, lui transmettent leurs premières conclusions et les soins prodigués. Je suis déposée sur un autre brancard, afin de libérer celui des pompiers.
— Nous allons faire à votre mère des radios pour établir un diagnostic précis ; si vous le souhaitez, vous pouvez patienter dans la salle d’attente, qui se trouve à droite, au fond du couloir, dit le médecin en désignant à mes filles, la pièce d’un geste de la main.
Dans la salle d’attente, l’ambiance est houleuse. Une femme tente de rassurer son bébé qui gesticule entre ses bras en hurlant. Le visage de la maman est décomposé. Inconsciemment, elle transmet son stress à son enfant, ce qui empire la situation. Des patients maugréent que c’est inhumain d’avoir à attendre dans de telles conditions. Au bout d’un moment, après s’être consultées à voix basse, les deux sœurs décident de quitter la pièce pour « prendre un peu l’air ».
Elles ont perdu toute notion de l’heure quand un interne les aperçoit au bout du couloir et se dirige vers elles :
— Votre mère a une fracture du col du fémur et il va falloir l’opérer. Comme il n’y a pas de chirurgien disponible pour l’instant, l’opération aura lieu probablement demain.
Les deux sœurs sont abasourdies par ce qu’elles viennent d’entendre, se disant qu’elles vont se réveiller et sortir de ce cauchemar. Bien sûr, elles ont entendu parler que l’hôpital public est à l’hallali, mais tant qu’on n’est pas confronté en réel à la situation, on ne s’en formalise pas et on se dit que les journalistes ont toujours tendance à aggraver les choses. Le tragique se vend toujours mieux que le comique.
L’interne leur conseille de rentrer chez elles et d’appeler demain matin pour avoir des renseignements complémentaires.