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Extrait : "Que Marguerite fût la plus mignonne petite fille du monde, c'est ce que sa mère, Mme Dubreuil, pense sans le dire, et ce que tous ses amis disent en le pensant. Pourtant Marguerite a un grand défaut : elle ne veut pas absolument parler anglais. En vain a-t-on fait venir pour elle une bonne de Londres, en vain sa mère lui parle-t-elle anglais le plus qu'elle peut ; la malicieuse fillette écoute sa mère, écoute sa bonne, les regarde, les comprend, se met à rire,..."
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• Non fiction : histoire, essais, biographies, pratiques.
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À mes trois petits-enfants
Maurice – Georges – Georgina
Je vous dédie ce livre à vous trois, car c’est à vous trois que je le dois. Il comprend et parcourt vos trois âges ; il va de tes dix ans, ma petite Georgina, jusqu’à tes vingt ans, mon cher Maurice, en passant par tes seize ans, mon cher Georges. Nos causeries, nos petits voyages, les espérances ou les craintes que vous m’avez inspirées, les incidents de notre vie de famille, m’ont fourni la matière de ce volume. C’est tantôt un récit, tantôt une biographie, tantôt une étude morale, tantôt la mise en scène de quelque défaut que j’ai glané derrière les sermonnaires ou les moralistes, tantôt enfin, quelque problème d’éducation dont je cherche la solution. Tel chapitre te paraîtra peut-être un peu sérieux, ma chère Georgina, mais tu le liras, parce que tu y retrouveras tes frères. Telle scène de famille te semblera un peu enfantine, mon cher Maurice, mais tu t’y plairas, parce que tu y reconnaîtras ta sœur.
Tout écrivain a devant lui, dès qu’il prend la plume, un auditoire fictif auquel il s’adresse. Je m’imagine toujours, par exemple, votre ami Hetzel, entouré, en écrivant ses albums, d’un petit peuple de bambins, un peu barbouillés, assez peu habillés, lui venant aux genoux, tendant vers lui leurs bras, leurs bouches, leurs yeux émerveillés, pendant que lui, penché vers eux, il embrasse l’un, il gronde l’autre, et leur parle à tous dans cette langue charmante qu’il a comme retrouvée sur leurs lèvres et dont il a gardé le secret. Mon auditoire est un peu plus mêlé et un peu plus grave, puisqu’il se compose de trois auditoires, je pourrais même dire de quatre, car derrière nos filles et nos fils, je vois leurs parents, et mon ambition, pour ces intimes récits, serait que les petits pussent s’y plaire et les grands en profiter.
E. LEGOUVÉ.
À Madame Vigo-Roussillon.
Le Pouliguen, 22 août 1875.
Que Marguerite fût la plus mignonne petite fille du monde, c’est ce que sa mère, Mme Dubreuil, pense sans le dire, et ce que tous ses amis disent en le pensant. Pourtant Marguerite a un grand défaut : elle ne veut pas absolument parler anglais. En vain a-t-on fait venir pour elle une bonne de Londres, en vain sa mère lui parle-t-elle anglais le plus qu’elle peut ; la malicieuse fillette écoute sa mère, écoute sa bonne, les regarde, les comprend, se met à rire, mais, quant à prononcer elle-même un seul mot, jamais ; pourquoi ?… Oh ! pourquoi ?… Devinez donc pourquoi les enfants font ou ne font pas les choses ; ils n’en savent rien. Ce qu’on peut dire, c’est que ce n’est pas, de la part de Marguerite, fétichisme national, culte exagéré pour sa langue maternelle ! Oh ! non ! elle en use très familièrement avec l’idiome de ses pères… La grammaire régente peut-être jusqu’aux rois, comme dit Molière, mais elle ne régente pas Marguerite. L’autre jour, elle arrive à sa mère, un peu honteuse. Son petit pantalon était déchiré, et déchiré non pas aux genoux, non pas aux jambes, non pas sur le devant… où donc alors ? Devinez ! Quand un pantalon déchiré ne l’est ni à droite, ni à gauche, ni par devant… il faut nécessairement qu’il le soit au… autre part ! Marguerite avait donc sa petite culotte déchirée là ! Étonnement de Mme Dubreuil, gronderie de Mme Dubreuil.
« Maman ! ce n’est pas ma faute ! nous jouions sur la grande côte. Il y avait de grands rochers. J’ai été forcée de descendre en m’asseoir. » Que voulez-vous répondre à cela ?… Marguerite a aussi du goût pour les néologismes. Si elle est trop près de la table, elle dit : Déproche-moi. Marguerite apporte aussi une logique rigoureuse dans les conjugaisons. Sous prétexte qu’on dit : Je viens, tu viens, elle dit toujours à sa bonne : Vienez donc ! Quelquefois c’est à nos grands poètes du XVIIe siècle qu’elle emprunte ses expressions, et quand approche l’heure du coucher, elle se rappelle sans doute la fable du Savetier et du Financier, car elle dit qu’elle a les yeux pleins de dormir. Le croiriez-vous ? il n’y a pas jusqu’aux règles de la grammaire latine dont elle ne s’inspire pour colorer son langage, et, avant-hier, ayant reçu de sa mère un catalogue de fleuriste enrichi d’images de plantes et de fleurs : « Je le cache, a-t-elle dit, parce que, si les bourdons viendront, ils mangeront mes fleurs. »
Comment expliquer qu’avec cette liberté dans l’emploi de la langue française, on ne veuille pas absolument parler l’anglais ? Je n’en sais rien, mais cela est.
Mme Dubreuil a cependant employé un moyen tout-puissant. La grande joie de Marguerite, sa grande récompense… quand elle a été très… très sage dans la journée, c’est d’aller trouver sa mère dans son lit le matin. Elle arrive, marchant tout doucement sur le tapis, en chemise, pieds nus, vers les sept heures, et vient regarder si sa mère dort encore. Je dois ajouter que, pour en être plus sûre, si les yeux sont fermés, elle les ouvre tout doucement avec ses doigts, et à peine le sourire a-t-il paru sur les lèvres de la mère, à peine le Je veux bien prononcé, Marguerite se glisse dans le lit… Non ! s’y glisse n’est pas le bon mot, il faut dire qu’elle s’y fourre, s’y niche, s’y blottit !… Il faut emprunter des comparaisons aux petits oiseaux, si on veut peindre un enfant dans les bras de sa mère, d’autant plus que les mères ont un art merveilleux pour faire un nid avec leurs bras. Une fois là toutes deux, côte à côte, les grandes causeries commencent. « Raconte-moi des histoires de quand tu étais petite !… » Rien n’amuse autant Marguerite que de se représenter sa mère à son âge à elle, de se la figurer en robe courte, ses cheveux sur les épaules, et surtout en pénitence ! Mme Dubreuil est très habile à se donner dans le passé des défauts qu’elle n’a jamais eus, pour corriger Marguerite de ceux qu’elle a, et Marguerite se prête très bien à la fiction sans en être dupe.
Je me rappelle, disait Mme Dubreuil, qu’un jour maman m’a bien grondée !
– Est-ce que ta maman était sévère ?
– Ah ! je crois bien !
– Plus sévère que toi ?
– Bien plus sévère !
– Ah !… Qu’est-ce que tu avais donc fait ?
– J’avais dit à un monsieur qui m’avait apporté un joujou :
« Merci, monsieur, ton joujou est bien laid !… »
Marguerite avait fait précisément cette réponse la veille.
« Mais, maman, si tu le trouvais laid !
– C’est égal ! quand quelqu’un vous fait un cadeau, on doit toujours avoir l’air de le trouver beau, on doit toujours avoir l’air d’être contente !
– Ah !… mais comment fait-on pour avoir l’air ? Moi, je ne sais pas… »
Qui fut bien embarrassée ? qui fut bien heureuse d’être embarrassée ? qui eut une folle envie de baiser bien tendrement Marguerite pour cette réponse ?… Mme Dubreuil ! Mais elle se contint. Une de ses maximes était de ne jamais louer dans sa fille un mot gentil, et surtout un mot naïf. Louer la naïveté, c’est la détruire ! Enfin, un jour, avec cette persévérance qui fait des mères de si admirables institutrices, Mme Dubreuil pensa que son lit serait peut-être une excellente salle d’anglais, et qu’à l’aide de ces causeries du matin, elle pourrait arracher à son entêtée, sans qu’elle s’en aperçût, quelques should, quelques could et quelques th. La voilà donc qui entame une histoire où elle entremêle d’abord habilement les deux adjectifs qui enchantaient le plus Marguerite. C’était l’adjectif petit et l’adjectif grand. Quand sa mère lui parlait d’un grand… grand arbre de Noël, ou d’un grand… grand ogre, Marguerite ouvrait les yeux, Marguerite ouvrait la bouche, Marguerite étendait les bras, comme si elle avait voulu se hausser jusqu’à la taille de ce géant !… Puis, quand Mme Dubreuil passait à la description d’une petite fée… d’un petit oiseau…
« Petit comme quoi ? disait Marguerite.
– Tout petit ! tout petit !
– Comme ça ? disait l’enfant en montrant son petit doigt.
– Encore plus petit !
– Comme ça ? reprenait-elle en descendant jusqu’à l’ongle.
– Encore plus petit !… »
Et à mesure que la mère rapetissait l’objet, Marguerite tâchait aussi de se rapetisser. Elle rapetissait ses yeux en les clignant. Elle rapetissait sa bouche en la plissant comme un petit o tout rond ; elle rapetissait ses bras en les serrant contre son corps ; elle rapetissait sa voix en parlant tout bas… tout bas !… on aurait dit qu’elle avait peur de faire trop de bruit et d’effrayer la petite créature imaginaire que sa mère lui décrivait. Ce que voyant et voyant aussi l’indescriptible émotion de plaisir où en était arrivée Marguerite, Mme Dubreuil jugea le moment favorable pour jeter adroitement, c’est-à-dire comme par hasard, quelques petits mots d’anglais et en provoquer d’autres… Mais Marguerite se révoltant s’écria :
« Ah ! si tu me prends tout mon amusant pour ton ennuyeux d’anglais, ce n’est pas juste !… »
Et voilà encore une fois la descente en Angleterre manquée !
Sur ces entrefaites, Mme Dubreuil vint s’établir pour deux mois au Pouliguen.
Le Pouliguen est un séjour de bains de mer fort original. Figurez-vous sur une plage toute de sable, juste en face de la mer, une suite de petits chalets élevés sur de petites terrasses et entourés de verdure. À l’heure de la pleine mer, les baigneurs et baigneuses, en costume de bain, sortent par une porte percée au bas de chaque terrasse, ou même enjambent la balustrade (je parle des garçons), courent à la mer ou y descendent selon leur âge, s’y jettent, puis, le bain pris, ils remontent, tout ruisselants, par le même chemin, et vont se rhabiller chez eux. Cette façon de se baigner ajoute beaucoup à la facilité des relations ; se rencontrer une fois par jour dans ce costume abrège forcément le cérémonial des présentations, et c’est ce qui fait qu’on peut appeler le Pouliguen une plage de famille.
Vous devinerez donc sans peine l’accent de joie de Mme Dubreuil, lorsqu’un jour, rentrant dans son petit chalet, elle dit à son mari :
« Bonne nouvelle !… le chalet voisin du nôtre est occupé depuis hier par une famille anglaise.
– Eh bien ?
– Eh bien, il y a dans cette famille une petite fille de l’âge de Marguerite.
– Eh bien ?
– Eh bien, je vais tâcher que Marguerite fasse connaissance avec cette petite fille, joue avec cette petite fille…
– Je comprends ! s’écria M. Dubreuil, et qu’elle parle anglais avec cette petite fille !… Parfait !… Rien n’apprend une langue étrangère aux enfants comme de la parler avec d’autres enfants !… Cela vaut toutes les gouvernantes du monde. Six semaines de conversation lui en enseigneraient plus qu’un an de leçons ; seulement les Anglais ne se lient pas facilement, et j’ai bien peur…
– Laisse-moi faire ! » répondit Mme Dubreuil avec confiance.
Voilà donc M. Dubreuil plein d’espoir, et voilà Mme Dubreuil descendant sur le grand champ de manœuvres des mères, sur la plage. La dame anglaise y était déjà avec sa petite fille. Mme Dubreuil s’installe… ni trop près, ni trop loin, juste à la distance convenable pour ne pas trop marquer l’intention d’entrer en relations, et en même temps pour saisir l’occasion, si elle se présente. Le bonheur veut que la petite Anglaise ait oublié sa pelle pour creuser le sable ; ses doléances commencent.
« Prête ta pelle à la petite fille », dit tout bas et vivement Mme Dubreuil à Marguerite… Marguerite hésitant, Mme Dubreuil dépouille sans pitié sa progéniture au profit de l’étrangère ; la progéniture crie bien un peu, mais la mère lui renfonce ses cris en lui en promettant une plus grande. La petite Anglaise demeure tout interdite devant la pelle qu’on lui a mise dans la main ; mais la mère, saluant Mme Dubreuil de l’air le plus gracieux, dit à l’enfant :
« Remerciez madame, Mary. »
Mary répond par un gentil petit Thank you, madam ! qui fait bondir de joie le cœur de Mme Dubreuil ; le Thank you était de l’accent le plus pur !… Un instant après, la dame vint remettre elle-même la pelle à Marguerite, en y ajoutant de très aimables remerciements. Mme Dubreuil rentra triomphante chez elle… et du plus loin qu’elle aperçoit son mari :
« Le premier pas est fait !… La glace est rompue ! s’écrie-t-elle.
– Et moi, reprend le mari, j’ai joliment travaillé de mon côté.
– Comment cela ?
– En allant pêcher à la loubine, j’ai vu un monsieur qui pêchait en face de moi… C’était le père… la chance a voulu qu’il ait perdu tous ses cancres mous ?
– Qu’est-ce que c’est que cela, les cancres mous ?
– L’appât pour la loubine… Je lui offre les miens, il les accepte… avec reconnaissance, et nous échangeons quelques paroles de bonne grâce.
– Cela va ! s’écrie Mme Dubreuil, cela va !… Demain je dirai à Marguerite de demander à la petite fille la permission de jouer à son tas…
– Qu’est-ce que c’est que cela, son tas ?
– Son tas de sable… puis ensuite nous verrons ! »
En effet, après quelques jours de saluts gracieux d’une terrasse à l’autre, de bons services de voisinage offerts à propos par M. et Mme Dubreuil, et acceptés avec un empressement tout à fait antibritannique par la dame anglaise, Mme Dubreuil jugea l’affaire mûre et tenta un coup décisif. Voyant la petite Anglaise sur la plage avec sa bonne, elle dit à Marguerite :
« Va lui demander si elle veut venir goûter avec toi aujourd’hui dans notre jardin. »
Marguerite part en courant et revient bientôt.
« Eh bien ?
– La dame veut bien !
– Dubreuil ! Dubreuil !… s’écrie Mme Dubreuil, la mère consent ! la mère consent !
– Tu en es sûre ? dit le père ; c’est bien étonnant de la part d’une Anglaise !
– Demande-le à Marguerite.
– Oui, dit Marguerite, c’est vrai ! la dame veut bien ! et je suis joliment contente ! car elle consent à la condition que nous ne parlerons jamais que français !… »
Mme Dubreuil tomba consternée sur son siège.
« Je comprends ! s’écria M. Dubreuil, en éclatant de rire. Voilà le pourquoi des saluts gracieux de notre voisine !… Vous jouiez toutes deux le même jeu !… c’est admirable !… »
À ces éclats de rire, la dame anglaise s’était rapprochée de la terrasse. M. Dubreuil alla vers elle et lui dit gaiement :
« Mes rires vous étonnent, madame, et vous désireriez peut-être en savoir la cause.
– C’est vrai.
– Eh bien, je ris de ma femme !
– De votre femme ?… répondit en souriant la dame anglaise ; de votre femme et de moi ?
– Oh ! madame !
– Convenez-en ; j’ai tout deviné.
– Eh bien, avouez que c’est une bien amusante histoire !… Ma femme rêvant une maîtresse d’anglais dans votre petite fille, pendant que vous rêviez une maîtresse de français dans la nôtre !
– Et nos politesses mutuelles !… reprit la dame anglaise.
– Deux diplomates en face l’un de l’autre : Talleyrand et Metternich !… »
Cette bonne humeur inattendue les ayant tous mis à l’aise, M. Dubreuil reprit
« Eh bien, madame, si vous m’en croyez, changeons de théorie. Une véritable Anglaise comme vous ne peut pas être pour le système prohibitif. Vous ne pouvez pas vouloir mettre l’embargo sur la bouche de votre fille et défendre l’exportation des jolies petites marchandises anglaises qui en sortent, ce serait du blocus continental. »
La dame anglaise se mit encore à sourire.
« Faisons mieux ; rendons la liberté à nos enfants ! Laissons-les parler comme elles voudront ! Aucune n’y perdra, et une au moins y gagnera. Si on ne parle qu’anglais, ce sera ma fille ; si on ne parle que français, ce sera la vôtre ; mais, ou je me trompe fort, ou ce sera toutes les deux.
– Vous croyez ?
– Sans doute. Pourquoi miss Mary refuse-t-elle de parler français, et pourquoi Marguerite a-t-elle horreur de prononcer un mot d’anglais ? Parce que nous le leur imposons comme une leçon. Mettons de côté le règlement, le commandement, la contrainte ; au lieu d’une surveillante rébarbative chargée de les rappeler à l’ordre, laissons venir entre nos deux enfants un intermédiaire aimable comme elles, d’autant plus instructif qu’il n’enseigne jamais, d’autant plus persuasif qu’il ne prêche jamais… et grâce auquel les enfants s’instruisent de la façon dont ils s’instruisent le mieux, sans s’en apercevoir…
– Et quel est donc cet intermédiaire ? reprit la dame anglaise.
– Le jeu, madame ! le jeu ! On ne le bénit pas assez. On ne l’honore pas assez. On ne s’en sert pas assez. Fions-nous à lui ! vous verrez ce qu’il fera en six semaines pour nos fillettes, vous verrez quel joli article il ajoutera pour elles au traité du libre-échange. »
Ainsi fut fait ; mais qu’arriva-t-il ? Bien autre chose que ce qui avait été prévu. La dame anglaise était, ainsi que Mme Dubreuil, une de ces mères pour qui l’amour maternel n’est pas une affaire de vanité ou de plaisir, ni même seulement un devoir, mais un sujet perpétuel de sérieuses et tendres préoccupations ; toutes deux avaient sans cesse la conscience en éveil. Le rapprochement de leurs filles les rapprocha ; elles se confièrent leurs craintes, leurs espérances, leurs désirs. Différentes de caractère, elles s’éclairèrent, elles se consolèrent, elles se rassurèrent, elles se soutinrent l’une l’autre. Et quand l’arrivée de l’automne les sépara, petits et grands emportaient une bien précieuse acquisition : les filles savaient une langue de plus, les mères avaient une amie de plus ; amitié sainte et toute semblable à l’affection des fidèles qui s’aiment en Dieu : elles s’aimaient en leurs enfants.
C’était vers 1838. M. G…, chef d’institution, travaillait dans son cabinet. Son domestique lui apporte la carte d’un monsieur qui désire lui parler.
« Faites entrer », dit-il avec empressement.
Que peut donc lui vouloir le secrétaire des commandements de la reine ?
Monsieur, vous avez dans votre institution un enfant nommé Maurice Grenier ?
– Oui, monsieur.
– Âgé de dix ans ?
– Oui, monsieur.
– Qui vient d’entrer en cinquième ?
– Oui, monsieur.
– Oserais-je vous demander quel enfant il est ?
– Bon petit sujet, ne ressemblant pas aux autres enfants.
– Oh ! cela, je le crois ! Et ses parents ?
– Peu riches et s’imposant de grands sacrifices pour l’éducation de leur fils… Mais, à mon tour, oserais-je vous demander, monsieur, quel intérêt vous prenez à cet enfant ?
– Cet enfant a écrit à la reine.
– À la reine !
– Et c’est elle qui m’envoie vers vous et vers lui pour lui apporter sa réponse.
– Maurice a écrit à la reine ! Pourquoi ? qu’a-t-il osé lui dire ?
– Voici la lettre.
Madame la reine,
Comme on dit que vous êtes la maman de tous les Français, je vous écris pour vous dire que j’ai très envie d’avoir un Robinson suisse. Papa m’en avait bien promis un, pour le jour où j’aurais dix ans, mais voilà que j’ai dix ans et deux mois et que je n’ai toujours pas mon Robinson. Ça m’ennuie, parce qu’on dit que c’est très amusant, et que j’avais dit à mes camarades que je l’aurais. Alors, j’ai eu l’idée de vous le demander, parce qu’on dit que vous êtes très bonne. D’ailleurs, je connais votre fils, le petit qui est encore en sixième, car j’ai composé à côté de lui, à preuve qu’il m’a jeté de la confiture d’abricots sur mon pantalon. Vous pouvez lui demander, il vous dira que c’est vrai. Enfin, madame la reine, j’ai très, très envie d’avoir Robinson suisse, et si vous me l’envoyez, vous me ferez beaucoup de plaisir.
Votre très respectueux sujet,
MAURICE GRENIER.
Vous devinez bien le dénouement : le secrétaire des commandements apportait le livre. On appela Maurice. Il fut encore plus embarrassé et plus surpris que joyeux. Il n’osait prendre le volume. Son maître de pension fit semblant de le gronder. Le secrétaire des commandements lui défendit de la part de la reine de dire que c’était elle qui lui avait envoyé ce livre. Mais il n’y tint pas et le dit à tous ses camarades. La reine, dans les huit jours qui suivirent, reçut dix lettres de demandes pareilles, mais elle n’envoya plus son secrétaire des commandements à l’institution G…
À Madame Jenny Sauvan.
On ne rend pas assez justice aux grand-mères. On ne voit trop souvent en elles que l’affection qui gâte ; elles représentent aussi l’affection qui guide. Une maison où le fauteuil de l’aïeule est vide, n’est jamais une maison tout à fait pleine ; car, avec l’aïeule, s’assied au foyer domestique le passé, c’est-à-dire un trésor d’expérience, de patience, de prévoyance, que la tendresse maternelle elle-même ne saurait suppléer. La grand-mère complète la mère ; qu’est-ce donc quand elle la remplace ? Nous avons tous vu de ces coups subits qui mettent l’aïeule au rang de chef de famille. Alors, être grand-mère devient un art. Il ne suffit pas d’aimer, il faut diriger, conseiller, instruire ; cette éducation de l’enfant par l’aïeule offre plus d’un trait particulier. C’est un de ces exemples que je voudrais montrer dans ce chapitre, en racontant l’histoire d’une grand-mère et de son petit garçon.
Nous appellerons le petit garçon Joseph. Il avait perdu sa mère en naissant, son père deux ans après, et il fut recueilli par sa grand-mère, âgée de soixante-dix ans, qui se chargea de l’élever. Lourd fardeau à un si grand âge ! Mais il arriva alors ce qui arrive quelquefois : la grand-mère redevint jeune pour soigner cet enfant. Elle rompit avec toutes les habitudes et tous les besoins de la vieillesse ; plus d’heures régulières de repos, de repas, de lectures. Tout fut subordonné à son petit-fils. Elle plaça le berceau près de son lit ; elle ne craignit pas de troubler son sommeil de septuagénaire par le voisinage agité du sommeil de l’enfant. Elle se levait chaque fois qu’il l’appelait. Tombait-il malade, elle s’installait à son chevet, et passa quelquefois plusieurs nuits sans se coucher. Chose étrange ! sa santé n’en souffrit pas. Le cœur fait de ces miracles ; non seulement il soutient le corps, mais il le retrempe. Elle trouva le moyen d’être à la fois mère et grand-mère : mère, par l’activité et la vaillance du dévouement ; grand-mère, par je ne sais quoi, je ne dirai pas de plus tendre, mais de plus attendri.
Ses soins ne furent pas perdus. L’enfant était affectueux, câlin, expansif, avec un tour d’esprit assez singulier. Le jour où il eut sept ans, il entra tout radieux chez sa grand-mère, en s’écriant : « Quel bonheur ! mes péchés comptent ! » Il y avait un meuble qui jouait un grand rôle dans son existence : c’était une vieille bergère en velours d’Utrecht jaune. Cette bergère, placée au coin du feu, servait de siège habituel à la vieille dame ; mais il en fallait toujours la moitié à Joseph. Il n’était content que quand, niché dans cette bergère trop étroite pour deux, bien serré contre sa grand-mère, son petit bras passé autour de sa taille, son jeune visage tout proche de ces joues ridées qu’il embrassait vingt fois dans un quart d’heure, il lui disait : « Et maintenant, raconte-moi des histoires d’autrefois… » Il y avait bien longtemps de cet autrefois-là, mais la vieille dame avait été témoin de si grandes et de si affreuses choses dans son enfance, qu’elle ne les avait jamais oubliées ! Entrée comme demoiselle de compagnie dans une grande famille de la cour de Louis XVI, elle avait vu Marie-Antoinette à Trianon, et, par un hasard terrible, dix ans plus tard, elle s’était trouvée sur son passage le jour où celle-ci monta sur l’échafaud. Elle avait gardé un morceau du pain qu’on mangeait à Paris pendant la Terreur, et quand elle le montrait à l’enfant, il le prenait pour du charbon. Elle avait vu, chez un de ses parents, quelques-uns des hommes les plus célèbres de ce temps-là, Vergniaud, Mirabeau, Barnave ; elle les avait entendus parler, et, décrivant à l’enfant leurs figures, lui racontant leurs entretiens, leurs gestes, elle lui remplissait l’esprit de toutes les images de ce grand et terrible passé. L’histoire, racontée par les parents, est bien plus vivante que celle des livres ; mais les récits d’une grand-mère, ou d’un aïeul, se gravent en traits encore plus ineffaçables dans l’esprit de l’enfant, parce qu’ils l’entretiennent de choses plus éloignées encore, plus différentes de ce qu’il voit, et son imagination les grandit en raison même de la différence et de l’éloignement.
Ces récits finis : « Maintenant, mon petit Joseph, à toi ! lui disait-elle ; lis-moi un journal. » L’enfant savait très bien lire depuis l’âge de cinq ans ; c’était elle qui le lui avait appris. Savez-vous avec quelle méthode ? Avec une méthode qui n’avait rien de très scientifique, avec un bonhomme de pain d’épice. Joseph aimait beaucoup le pain d’épice ; ce que voyant, sa grand-mère, en femme d’esprit pratique, imagina, le jour où il eut cinq ans, de lui apprendre ses lettres, en plaçant tout à côté de l’alphabet un grand bonhomme de pain d’épice. Il était de profil, avait un chapeau de général et un sabre au côté ; sa figure et tout son corps étaient, à l’endroit, noirs et luisants comme du vernis, mais l’envers était d’un jaune mat et pâle ; son nez avançait beaucoup plus que ses pieds, qu’on pouvait trouver petits pour sa taille.
« Tu vois bien ce personnage, dit la vieille dame à Joseph ; il assistera à toutes nos leçons ; mais toutes les fois que la leçon aura été bonne, tu auras le droit d’en manger un morceau ; tu commenceras par où tu voudras. » Les premiers jours, ce voisinage troubla Joseph ; le bonhomme était beaucoup plus grand comme bonhomme de pain d’épice, que Joseph comme enfant, de façon que Joseph se faisait l’effet du Petit-Poucet à côté de l’ogre ; mais bientôt, l’idée de manger l’ogre le rassura, et la septième leçon ayant été bonne, sa grand-mère lui dit : « Tu peux commencer. » Il saisit immédiatement le nez. C’est toujours par le nez que les enfants vous prennent ; sans doute parce que le nez, comme m’a dit quelqu’un, est le manche de la figure. Après le nez, c’est le menton qui y passa, puis le chapeau militaire, puis enfin, à la suite de longs efforts et de plus d’une alternative de bonnes et de mauvaises leçons, au bout de quatre mois de travail, l’enfant savait lire, et les deux talons du général, devenus un peu durs avec l’âge, mais gardant toujours bon goût, disparurent dans la bouche du petit lecteur, comme dernier gage de sa victoire. Je ne demande pas de brevet pour cette méthode ; mais la vieille dame montra, en l’employant, une profonde connaissance des enfants : elle avait pris appui à la fois sur un défaut et sur une qualité ; sur la petite gourmandise de l’enfant, et sur son goût pour tout ce qui était singulier. La présence de cet assistant muet, qui allait toujours s’écornant, comme la lune, mettait son esprit en gaieté, tenait son imagination en éveil, et les deux grands moyens d’instruction pour les enfants sont, on le sait, l’imagination et les yeux.
La besogne de la vieille dame n’était pas toujours aussi facile. Une grand-mère a plus de peine qu’une mère à élever un garçon. Cette grande distance d’âge entre l’institutrice et l’enfant affaiblit ou gêne leurs rapports. Ils ne sont pas du même temps ; ils ne vivent pas au milieu des mêmes idées ; ils ne parlent pas tout à fait la même langue. La grand-mère est presque toujours trop près ou trop loin de son petit-fils : trop loin, si elle reste dans la dignité sévère de son âge ; trop près, si elle veut descendre jusqu’à l’âge de l’enfant ; elle s’y abaisse, s’y amoindrit, et y perd ce qui est le principe même de l’éducation, l’autorité. L’enfant, en face d’une grand-mère, se sent instinctivement le plus fort. La vieille dame, chez qui une vie de travail avait développé un grand bon sens naturel, comprenait toutes ces difficultés, et se trouvait souvent fort embarrassée, avec un enfant qui avait toutes les effervescences, toutes les contradictions, tous les soubresauts de l’enfance. Pour abréger la longueur des soirées, elle lui avait appris un jeu de sa jeunesse, un jeu très simple, mais très fécond en péripéties, le jeu de la bataille. Eh bien, Joseph était très mauvais joueur, c’est-à-dire très rageur, et même un peu tricheur. Tant qu’il gagnait, il chantait, il riait, il se moquait de sa grand-mère, enfin il avait le triomphe gai et insolent ; mais, dès que la chance tournait contre lui, il devenait grognon, sombre, colère ; ce que voyant, la grand-mère commençait à tricher, elle aussi, mais contre elle-même, afin de faire gagner Joseph et de lui éviter le tort d’être de mauvaise humeur. Faiblesse excusable chez une grand-mère, une mère n’y fût jamais tombée. Sans doute, mes chers petits, il est quelquefois de bonne politique de vous épargner l’occasion d’une faute ; mais, plus souvent, il faut savoir vous mettre nettement en face de votre défaut, et vous laisser avoir tort pour vous punir. La grand-mère de Joseph s’en aperçut bien. Plus il gagnait, plus il voulait gagner et plus il trouvait insupportable de perdre ; si bien qu’un jour, la vieille dame ayant gagné trois parties de suite, bien malgré elle, Joseph prit les cartes et les jeta sur la table si violemment, qu’une d’elles effleura le visage de sa grand-mère ; après quoi, ce méchant enfant alla se mettre dans un coin de la chambre, le visage tourné contre la muraille, et frappant du pied avec colère. Cela dura dix minutes. Dix minutes, pour un enfant, en valent bien quarante pour une grande personne. Donc, au bout de ce temps, Joseph, qui, d’avance, s’était armé de fermeté contre les reproches de sa grand-mère, étonné de ne pas être grondé, étonné de ne rien entendre dans la chambre, baissa la tête sans se retourner (sa dignité ne le lui permettait pas), et regarda d’un œil, de dessous sous son bras, pour voir ce qui se passait. Que vit-il ? Sa grand-mère, les mains jointes, avec de grosses larmes lui coulant le long des joues. Vous concevez bien qu’une seconde après, il était à genoux devant elle, lui baisant les mains, implorant son pardon, et lui demandant ce qu’elle faisait. « Joseph, lui dit-elle très doucement, je pleure parce que tu as été très méchant, et je prie pour que Dieu te fasse redevenir et rester bon. »
La chère vieille femme s’était servie des armes de son âge. Une mère aurait puni ; elle, elle pleura, et, grâce à la bonté de cœur de l’enfant, sa faiblesse se trouva sa force, et ses larmes devinrent le plus efficace des châtiments.
Joseph avait atteint onze ans ; il fallut commencer les études régulières. Sa grand-mère choisit à dessein, pour l’y placer, un établissement universitaire dont les élèves allaient au lycée, et qui était situé dans la même rue que sa maison, un peu plus haut. Pourquoi un peu plus haut ? pourquoi ? Parce que, de cette façon, les élèves, en allant au lycée le matin à huit heures et en revenant à dix heures et demie, en y retournant à deux et en revenant à quatre, passaient forcément devant les fenêtres de la vieille dame, et qu’ainsi elle pouvait voir Joseph quatre fois par jour. Le matin donc, hiver comme été, dès que l’aiguille s’approchait de huit heures, la grand-mère s’approchait, elle aussi, de la fenêtre, et jetait vivement les regards au haut de la rue. Personne ne paraissait encore, car son cœur avançait toujours sur sa pendule, et le froid du matin, le froid de l’hiver, frappait parfois durement son visage de soixante-seize ans. N’importe. La fenêtre une fois ouverte, elle ne la refermait plus ; elle aurait eu trop peur de perdre une seconde de l’instant où, sans voir encore son petit-fils, elle voyait déjà la troupe dont il faisait partie. Enfin la porte de la pension s’ouvre ; les premiers écoliers de la colonne paraissent ! Penchée en dehors de la croisée, elle attend avec une ardeur fiévreuse l’apparition de la petite casquette, à laquelle elle a fait mettre un ornement particulier pour l’apercevoir de plus loin ; au milieu de la troupe qui approche, elle distingue Joseph des autres ; il lui fait signe de la main : ce sont leurs arrangements particuliers ; et quand il arrive devant ses fenêtres, elle lui envoie un baiser. Chose étrange ! les écoliers sont bien moqueurs ; pas un ne pensait à se moquer de la grand-maman. Ce petit manège avait, certes, frappé leurs yeux ; mais, dès qu’il leur fut expliqué, il alla à leurs cœurs, et la raillerie s’arrêta sur leurs lèvres. La Fontaine a dit : Cet âge est sans pitié ; le mot est vrai ; mais cette dureté n’est bien souvent que de l’inintelligence. Ils sont sans pitié, parce qu’ils ne comprennent pas. Ils torturent l’oiseau, parce qu’ils ne savent pas qu’ils lui font du mal ; éclairez leur esprit, vous éclairerez bien souvent leur cœur. Ces écoliers le prouvaient le samedi. Le samedi était un grand jour ; les professeurs du lycée donnaient les places de composition, le samedi. Ce jour-là, la fenêtre de la grand-mère s’ouvrait dix minutes plus tôt. L’enfant ne passait pourtant pas avant l’heure ordinaire ; mais elle ne pouvait rester paisible dans sa chambre, car le samedi matin, au retour de la classe, Joseph lui marquait avec ses doigts son numéro de place, et sa place étant bonne en général, une seule main suffisait pour tout dire. Mais s’il était le premier !… Oh ! alors, ce n’étaient pas les doigts qui lui servaient de messagers télégraphiques, c’était une croix, une croix d’argent, que recevait le premier, et qu’il portait attachée par une chaînette à sa boutonnière pendant toute la semaine. Jugez si, ce jour-là, Joseph, en passant devant la fenêtre, agitait en l’air sa croix avec ivresse, et si la vieille dame se contentait de lui envoyer un seul baiser ! Mais voici un fait plus singulier. Ce jour-là, les écoliers qui étaient en tête de la colonne, en arrivant devant la fenêtre, agitaient leurs mains et les levaient en l’air, pour dire un peu plus tôt à la grand-mère : « Votre petit-fils a la croix. » Non, la jeunesse n’est pas aussi mauvaise qu’on le dit quelquefois ! Non, Dieu n’a pas voulu que l’âge de la grâce, de la gentillesse, fût l’âge de la laideur morale ! Non, il n’a pas créé ce frais visage, ce malin sourire, ce bon rire, ce clair regard, et tout cet éclat vermeil de santé et de fraîcheur, pour recouvrir un fond de méchanceté ! Non, ce jardin fleurissant, ce vert paysage ne cache pas un terrain aride ! Le flot de bonté est en dessous ! le flot de sympathie est en dessous ! S’il ne jaillit pas, c’est que nous ne savons pas le faire jaillir. Creusez des puits artésiens, parents, creusez des puits artésiens.
J’ai dit que la grand-mère avait mené une vie de travail. Ruinée par une faillite, elle avait bravement cherché dans un très modeste commerce une aisance plus modeste encore, et y avait contracté de sévères habitudes d’ordre et d’économie, que l’âge avait encore développées en elle. C’était bien heureux, car Joseph avait trop d’imagination pour avoir de l’économie, et sa petite tête, toujours en mouvement, ne lui prêchait guère l’esprit d’ordre ; un de ses oncles, à l’occasion de sa première communion, lui donna une petite montre en argent qui avait appartenu à un de ses cousins. La montre n’était pas bien belle, la montre n’était pas bien bonne, mais enfin elle marchait, elle faisait tic-tac, et ce tic-tac enchantait tellement Joseph, qu’il passait la récréation à ouvrir la boîte de fond et à regarder le balancier. Mais les balanciers n’aiment pas qu’on les regarde ; cela les gêne dans leurs mouvements, surtout quand, comme Joseph, on les regarde avec les doigts. Est-ce cela ? est-ce autre chose ? Toujours advint-il, un beau jour, que le balancier s’arrêta. Voilà Joseph au désespoir. Il secoue la montre, il la retourne dans tous les sens ; rien ne réussit. Que faire ? comment raccommoder cette montre ? Il se rappelle alors que, quand il est malade, on le met dans son lit, et que le médecin dit toujours : « Il n’a qu’à rester bien tranquille ; qu’on le tienne chaudement, et cela ne sera rien. » Joseph s’en va donc chercher au fond d’une armoire, une vieille pantoufle fourrée dont sa grand-mère ne se servait plus ; il y couche soigneusement sa montre, en se disant : « Elle va se reposer, elle aura bien chaud, elle guérira. » Au bout de huit jours, il court à la pantoufle, il porte vivement la montre à son oreille : rien ! pas le moindre bruit ! Joseph n’en revenait pas ; car il avait tour à tour quatorze ans ou quatre ans, tant il était resté crédule et naïf dès que sa petite tête se montait. Il fallut bien pourtant tout avouer à la grand-mère, qui fit raccommoder la montre, mais déclara à Joseph qu’il n’en redeviendrait possesseur que quand il serait devenu plus soigneux.
Malheureusement, son imagination lui jouait toujours de mauvais tours et lui inspirait de singulières idées.
À sa pension, il avait pour grand ami le fils d’un capitaine de hussards. Un jour, un jeudi, jour de récréation, l’ami de Joseph lui raconta, à lui et à trois de ses camarades, comment les hussards avaient les pantalons d’écurie les plus drôles du monde, en coutil bleu, fendus du haut en bas sur le côté, et rattachés dans toute la longueur par une foule de petits boutons. Là-dessus, voilà la tête de Joseph qui part et qui entraîne celle de tous ses camarades.
« Comme ce serait amusant d’avoir un pantalon pareil, fendu de haut en bas et rattaché par de petits boutons ! Si nous fendions les nôtres ! s’écria Joseph.
– Oui ! oui ! commence !
– Je veux bien. Qui est-ce qui a un canif ? »
Entre six ou huit gamins il y a toujours un canif. Joseph se met à l’œuvre, et commence à découdre sa culotte. Comment la recoudra-t-il ? où aura-t-il des boutons ? qui les lui attachera ? Il n’y pensait même pas, tant il était absorbé par son travail et enivré des acclamations enthousiastes de ses camarades, qui l’entouraient, émerveillés. Juste au moment où il donnait le dernier coup de canif, un domestique arrive, en disant : « On demande M. Joseph au parloir ; c’est sa grand-mère. » Quel coup de foudre ! Les parents n’en font jamais d’autres ! Que devenir ? Joseph ne peut cependant pas paraître aux yeux de sa grand-mère avec son pantalon ouvert et flottant comme une bannière. Heureusement, c’était un garçon de ressources.
« Mes amis, dit-il à ses camarades, cotisons-nous. Donnez-moi vos mouchoirs et vos cravates. Je vais les attacher autour de ma jambe droite, en guise de boutons. Et si ma grand-mère me demande ce que c’est, je lui dirai que c’est un jeu. » Ainsi fut fait. Le voilà qui part, la jambe droite toute pavoisée de six ou sept mouchoirs ou cravates de diverses couleurs, ce qui leur donnait un petit air de drapeaux, et il entre dans le parloir, marchant à la façon des crabes, de côté, du côté gauche, de façon à dissimuler quelque peu la jambe bariolée, et avec le faible espoir que sa grand-mère ne s’apercevrait de rien. Autant aurait valu prétendre dissimuler son nez au milieu de son visage.
« Eh ! bon Dieu ! qu’est-ce que tu as là ?
– Ce n’est rien, grand-mère, c’est un jeu.
– Quel jeu ?
– Le jeu des mouchoirs, grand-mère, un jeu très joli. »
Mais cette fiction ne put pas durer longtemps, et bientôt la grand-mère vit tout. « C’est bien, Joseph, lui dit-elle froidement ; va mettre un autre pantalon, car tu ne peux pas rester ainsi, et je t’enverrai demain une autre culotte à la place de celle-ci. » Le calme de sa grand-mère le terrifia.
« Justement, ajouta-t-elle, j’avais mis trente francs de côté pour m’acheter une bonne robe pour cet hiver ; je les emploierai pour ton pantalon.
– Mais, dit l’enfant pâlissant, et ta robe ?
– Je m’en passerai.
– Mais tu auras froid.
– Que veux-tu ? quand on ne peut pas faire autrement !
– Mais si tu tombes malade ?
– Ce ne sera pas ma faute.
– Mais ce sera la mienne ! » s’écria l’enfant avec désespoir. Et le voilà saisi d’une telle crise de larmes, de sanglots, de remords, que la grand-mère, après l’avoir un peu consolé, l’avoir envoyé changer de culotte et lui avoir juré de s’acheter une robe, l’emmena pour l’après-midi, et, une fois chez elle, lui dit : « Maintenant, assieds-toi là et écoute-moi. »
L’enfant, très sérieux, s’assit et ouvrit les oreilles bien grandes.
« Mon petit Joseph, tu arrives à douze ans ; te voilà presque un homme : il est temps de te parler raison. Mon enfant, il y a des défauts qui sont des défauts, même pour les riches, mais que les pauvres ne peuvent pas se permettre ; et le premier de ces défauts-là, c’est le manque d’économie. Or, sans être ce qu’on appelle pauvres, nous sommes bien loin d’être riches, et ce n’est qu’à force d’ordre et de soin que j’arrive à faire honneur à nos petites affaires. Tu me coûtes très cher, mon ami. J’ai voulu que tu fusses placé dans une bonne pension ; mais le prix de cette pension ne s’élève pas à moins de quinze cents francs par an. Je tiens à ce que tu sois aussi bien vêtu que tes camarades, à ce qu’il ne te manque rien ni comme livres, ni comme maîtres ; mais je n’en viens à bout qu’en m’imposant beaucoup de petits sacrifices, que j’aurais voulu te cacher toujours, mais qu’il faut que je te révèle, puisque je n’ai que ce moyen de t’apprendre le prix de l’argent. »
Joseph écoutait.
« Tu m’as toujours vue, mon ami, me lever, pendant l’hiver, avant que notre petite servante entrât dans ma chambre ; tu m’as vue faire moi-même mon feu ; tu as remarqué, car les enfants remarquent tout, que j’entourais soigneusement ma bûche de derrière de cendre mouillée, et, quant aux bûches de devant, au lieu de les jeter l’une sur l’autre, au hasard, comme font les domestiques, je les dispose de façon à ce qu’il y ait toujours de l’air dessous, et jamais sur les côtés. Sais-tu pourquoi ? Parce que la bûche de derrière, ainsi enterrée, me dure deux jours au lieu d’un ; parce qu’un feu bien fait brûle moitié moins vite et chauffe moitié plus qu’un feu mal fait ; parce qu’enfin, grâce à l’habile distribution de l’air, tout ce qui brûle chauffe, et que tout ce qui ne chauffe pas ne brûle pas. Et maintenant, t’expliquerai-je pourquoi je prends tant de soins, pourquoi, toute vieille que je suis, je me lève dans une chambre sans feu ? Parce que j’économise ainsi ma provision de bois, et que, ce que je ne dépense pas en bois, je puis le dépenser en objets utiles ou agréables à mon petit Joseph. »
Joseph commença à avoir un peu envie de pleurer.
« Tu vois, ajouta la vieille dame en riant, que le proverbe ment quand il dit qu’il n’y a que les fous pour bien faire le feu ; il faut y mettre aussi les grand-mères… »
Joseph eut un peu envie de rire.
Tu me reproches quelquefois, reprit la vieille dame, car tu es fort coquet pour ta grand-mère… C’est tout simple, puisque tu m’appelles quelquefois ta femme…
– Oui, tu es ma femme ! s’écria l’enfant.
– Eh bien, tu reproches quelquefois à ta femme de ne pas se faire assez belle, de garder trop longtemps le même chapeau ; c’est que, quand je vais pour en acheter un, je me dis tout de suite : « Si j’achetais, à la place, une jolie casquette à mon petit Joseph ? »
Joseph commença à faire une horrible grimace pour s’empêcher de pleurer.
« Enfin, te l’avouerai-je ? tu m’entends quelquefois dire que si je mets moitié chicorée dans mon café, c’est que je le préfère ainsi. Ce n’est pas vrai du tout. J’ai pris vingt ans du moka pur, et comme je suis friande autant que notre chatte, j’y avais grand plaisir ; mais le moka est beaucoup plus cher que la chicorée, et si je m’en donnais toute la semaine, comment donnerais-je, le dimanche, un bon déjeuner à mon petit Joseph ? »
Oh ! pour le coup, Joseph n’y tint pas, et un hi ! hi ! hi ! formidable annonça la cataracte de larmes qui lui couvrirent toute la figure.
« Ne pleure pas encore, mon petit, reprit la vieille dame, car je n’ai pas achevé la plus dure partie de mon sermon. Tu as un grand défaut qui en a un autre petit pour cousin germain. Tu n’es pas économe du tout, et tu es un peu gourmand. Je te donne quinze sous par semaine pour tes déjeuners du matin ; eh bien, qu’as-tu fait, il y a eu lundi huit jours ? Oh ! je sais tout, moi. Tu es entré chez l’épicier du coin de la rue, et tu as acheté pour quinze sous de raisin sec. Est-ce vrai ?
– Oui, répondit à voix très basse l’enfant, dont la honte sécha les larmes.
– S’il n’en était résulté pour toi, reprit la grand-mère, que l’ennui de manger ton pain sec toute la semaine, j’en prendrais mon parti, charmée que ta gourmandise fût punie par ta gourmandise ; mais, grâce à cette imprévoyante prodigalité, tu es resté pendant sept jours la bourse vide, et ta bourse vide t’a valu une petite humiliation et un grand chagrin. Le jeudi, à la promenade, la rencontre d’un pauvre homme blessé a ému le bon cœur de tes camarades, et on a fait une petite quête pour lui ; mais toi, tu n’as pu rien donner, puisque, par ta faute, tu n’avais rien. »
Joseph baissa la tête, comme s’il eût voulu rentrer sous terre.
« Tu vois, mon ami, que l’économie n’est pas seulement l’ordre, la propreté ; elle est aussi quelquefois la dignité, la générosité ; et je veux te raconter un trait de ma vie qui te montrera qu’elle peut être une forme de l’amour maternel.
Ton grand-père était un peu dépensier ; c’est peut-être de lui que tu tiens ce défaut, car les défauts ressemblent à la goutte, ils sautent parfois une génération. Quand arriva la Révolution, quand tout le monde se mit à nous faire la guerre, l’or et l’argent devinrent rares, et parurent alors les assignats. Je t’ai expliqué ce que c’était que les assignats. Je prévis de très loin leur dépréciation, et comme j’ai toujours eu les qualités de la fourmi, j’amassai à grand-peine et je serrai avec grand soin quinze louis en or. Comment mon mari les découvrit-il ? Je ne sais ; mais cette découverte inespérée le combla de joie, et il prétendit mettre la main sur mon petit trésor. À quoi je lui répondis nettement : “Oh ! cela, non ! Cet or est à moi, vous n’y toucherez pas, car je le garde pour donner du pain à nos enfants !…” Là-dessus, éclats de rire, moqueries, reproches ; mais je restai inflexible. Bien m’en prit. La guerre n’enrichit personne ; avec la guerre vint la famine. Plus de blé, plus de farine, et plus d’argent ! Les bourgeois les plus riches en étaient réduits à manger cette affreuse pâte noire dont je t’ai montré un morceau. Alors j’allai chercher mon épargne, et, avec mes quinze louis d’or, j’achetai ce que je n’aurais pas pu avoir pour cent mille francs en assignats, j’achetai un sac de farine, et, la nuit venue, les portes et les fenêtres bien fermées, je faisais griller, dans la cheminée de notre salon, de bonnes galettes de pain blanc, qui sauvèrent peut-être la vie de mes quatre chers marmots, puisque cette terrible famine tua beaucoup d’enfants. Eh bien, à quoi ai-je dû cet immense bonheur ? À la prévoyance et à l’économie. »
Ainsi parla la grand-mère. Une mère aurait-elle pu parler ainsi ? Non. Car c’est à son grand âge même, à sa longue vie de travail, que la vieille dame devait cet accent à la fois convaincant et touchant qui gravait profondément dans le cœur de Joseph cette leçon d’économie et d’histoire.
Un grand évènement se produisit alors dans la vie de Joseph : il acheta une tirelire ! Vous êtes-vous bien rendu compte de ce que c’est qu’une tirelire ? Ce petit vase, en terre cuite, avec une bouche largement fendue en haut, le tout valant à peu près six sous, représente bien des espérances, bien des calculs, bien des émotions. Chaque fois que le sou, ou le franc, jeté par l’ouverture, tombe au fond du vase, le bruit qu’il fait cause à l’enfant une commotion intime et profonde, car ce bruit, plus clair ou plus sourd, plus proche ou plus éloigné, dit l’étiage de la tirelire, c’est-à-dire la hauteur où en est le trésor, le degré de plénitude de la caisse. Ce degré, on ne le connaît jamais tout à fait, et on ne peut jamais le connaître, car un des traits caractéristiques de ce que j’appellerai la physiologie de la tirelire, ou, pour mieux dire, la psychologie des possesseurs de tirelire, c’est de ne pas compter ce qu’ils y jettent, de tâcher de l’oublier, et même de se tromper eux-mêmes sur ce qu’ils y ont jeté, c’est-à-dire de se faire accroire qu’ils en ont mis moins, pour avoir le plaisir d’en trouver plus… le jour où on la casse. Quel grand jour ! quel battement de cœur quand on prend le marteau, quand on le voit s’abattre sur les flancs bruns de la précieuse poterie et faire rouler à vos yeux toute cette multitude de petites pièces lentement amassées ! Oh ! ce jour-là, on trouve que l’arithmétique est une bien belle chose, l’addition une bien belle règle, et le mot total un bien beau mot !
Joseph avait donc acheté une tirelire. Dans quel but ? pour quel objet ? Il n’en avait rien dit à sa grand-mère, et sa grand-mère ne lui demanda rien, convaincue qu’il ne faut pas troubler les enfants dans la possession de leurs secrets quand ils sont innocents. Toute conscience a un dernier recoin qui n’appartient qu’à elle. Respectons donc les jeunes cœurs comme les jeunes nids, et ne troublons pas plus l’enfant dans le travail intérieur de ses sentiments et de ses pensées que l’oiseau dans sa douce incubation maternelle. La vieille dame ne pouvait cependant s’empêcher de sourire en voyant les efforts de Joseph pour lui dérober la connaissance de son secret ; il n’allait visiter sa tirelire que quand il croyait n’être pas vu. Il y allait souvent. La grand-mère, avec ses habitudes de commerçante, avait affecté un prix, un tarif à chacune des bonnes notes ou des bonnes places de Joseph ; elle y mettait une étiquette, comme à ses marchandises d’autrefois : la croix de premier valait tant ! vingt bons points, tant ! une semaine de bonne conduite, tant ! Eh bien, tout était pour la tirelire. Joseph avait une tante, qui, au premier jour de l’an, lui donna, comme étrennes, deux pièces de cinq francs ; ce fut pour la tirelire ! Au milieu de l’année, un prix de semestre lui valut, de la part de son parrain, un napoléon ; pour la tirelire ! Enfin la vieille dame apprit, non sans une émotion mêlée de quelque regret, que chaque semaine, Joseph économisait la moitié de sa pension de déjeuners, ne dépensait plus qu’un sou par jour, et en mettait huit dans la tirelire. Que projetait-il donc ? On arrivait au 15 août. Le 15 août était à la fois, pour Joseph, un triste et un doux anniversaire. Sa mère était morte et sa grand-mère était née ce jour-là. La vieille dame était persuadée que toutes les dates de famille, dates de deuil ou dates de joie, peuvent devenir dans l’âme d’un enfant comme autant de stimulants et de freins ; elle croyait que le respect de ces pieuses commémorations, répandues dans le cours de l’année, crée pour ainsi dire dans les jeunes consciences une série de jours de pureté, de repentir, de bonnes résolutions, et qu’une âme bien née se reprocherait, comme une profanation, de faire quelque chose de mal un de ces jours-là ; dans cette conviction, dans cette croyance à l’efficacité des souvenirs, la vieille dame consacrait toujours le 15 août à une visite au cimetière. Elle menait l’enfant sur la tombe de sa mère et lui parlait longuement d’elle. Quand elle recueillit l’orphelin, elle s’était fait le serment de lui rendre ses parents perdus, le plus qu’elle le pourrait, en les lui racontant sans cesse. Grâce à elle, Joseph connaissait son père et sa mère comme s’il avait vécu avec eux ; il était au courant de leurs habitudes, de leurs sentiments, de leur langage ; il avait, pour ainsi dire, leur portrait moral suspendu dans son âme, comme leur image matérielle au chevet de son lit. Le 15 août, au retour de la pieuse et triste visite, une personne qui aurait suivi Joseph l’aurait vu se diriger, avec grand mystère, vers une vieille armoire, y prendre un paquet enveloppé, aller le placer, sans être vu, sur la table de travail de sa grand-mère, puis courir se cacher dans un cabinet vitré d’où il pouvait voir sans être vu. La vieille dame arrive.
« Qu’est-ce donc que ce paquet ? » se dit-elle à elle-même. Joseph, dans son coin, se mettait la main sur la bouche pour s’empêcher de rire. « Ah ! bon Dieu ! s’écrie la vieille dame après avoir déplié le paquet, ah ! bon Dieu ! le joli châle vigogne ! Qui a pu le mettre là ? qu’est-ce qu’il fait là ? pour qui est-ce ?… » À un petit rire étouffé qui partit du cabinet, elle tourna vivement la tête, et, apercevant l’enfant : « Ah ! mon petit Joseph ! c’est toi ! c’est toi qui me fais ce cadeau ! c’est toi qui me fais cette surprise !… Mais accours donc que je t’embrasse !… Quelle folie !… Il est trop joli !… Oh ! voilà donc le pourquoi de cette fameuse tirelire !… Que tu es donc gentil !… » Et elle l’embrassait… et elle pleurait… et elle riait… Mais comment as-tu deviné que j’avais envie d’un châle vigogne ?
– Est-ce que tu ne te rappelles pas, répondit l’enfant, qu’il y a six mois, en passant devant un magasin où il y avait beaucoup de châles pareils, tu as dit : « Oh ! j’aimerais bien un châle comme cela ! »
– Et tu te l’es rappelé après six mois ?
– Je ne pense qu’à cela depuis six mois !… Et, toutes les fois que je passais devant le magasin, je regardais toujours s’il y avait encore des châles semblables, et j’avais une peur terrible qu’on ne les vendît tous !
– Mais comment as-tu fait pour l’acheter ?
– Je suis entré dans le magasin, et je l’ai acheté.
– Tout seul ?
– Tout seul !