Obsessions - Bénédicte Rossi - E-Book

Obsessions E-Book

Bénédicte Rossi

0,0

Beschreibung

Olivia Charles, jeune femme de 20 ans, a réussi à reconstruire sa vie en dehors de sa Normandie natale. Contrainte de s’éloigner de sa mère et de son âme sœur Gabriel, il y a six ans, elle doit aujourd’hui revenir sur les lieux de son enfance. Lorsqu’elle retrouve Gabriel, les réponses à ses questions manquent au rendez-vous, mais la passion est toujours aussi palpable. Entre incompréhension et rancœur, amour et peur, Olivia est confrontée à un passé douloureux dont elle devra guérir pour espérer un avenir radieux. 

Obsessions de Bénédicte Rossi nous plonge au cœur d’une histoire d’amour où s’entremêlent passion, sacrifice et haine. Voyagez avec elle en Normandie et enivrez-vous de ses mots.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 460

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Bénédicte Rossi

Obsessions

Roman

© Lys Bleu Éditions – Bénédicte Rossi

ISBN : 979-10-377-6127-9

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

Pour Charlotte et Bruno

Manon, Céline, Sébastien, papa,

Et « les Vimos »,

Pour mes êtres chers et précieux qui veillent sur moi de là-haut…

Prologue

Je ne retournerai jamais en enfance, j’y suis toujours resté.

Tristan Bernard

Olivia

Me voilà de retour chez moi en Normandie…

Le voyage a été long. À mesure que j’approchais, cette chape de plomb si familière est revenue se poser sur mes épaules. Lentement, insidieusement, la boule a repris sa place dans mon ventre, comme une vieille amie que l’on retrouve, une sensation si familière…

Je m’appelle Olivia Charles, j’ai 20 ans. J’abandonne ma nouvelle vie en Italie, mes études en art et ma meilleure amie pour retrouver cette vie d’avant, celle de mon enfance.

Là où je suis née, là où j’ai connu l’enfer… Là d’où mon grand-père m’a sauvée.

J’ai longuement hésité avant de réveiller les fantômes du passé. Tellement de souvenirs m’assaillent, les pires prenant le dessus. Mais la vie est ainsi faite : on ne peut pas échapper éternellement à son passé.

Alors me voici, avec ma valise, devant le portillon.

— Courage ma grande… ferme les yeux, respire et fonce !

1

Retour sur mes terres

Nos souvenirs sont le revers de nos espoirs.

Maurice Chapelan

Olivia

Nous sommes fin juin 2021. En cette matinée d’été, l’air est frais. J’aime la douce sensation du vent sur mon visage. Le ciel est d’un beau bleu foncé et le soleil nous réchauffe timidement de cette brise fraîche et iodée. Du plus loin que je me souvienne, j’aimais ces odeurs, ce vent, le bruit des vagues. Mon esprit a tenté de gommer beaucoup de choses pour survivre, mais ça, c’est resté.

Nous avons toujours vécu ici dans « la maison des gardiens », au fond du terrain de ce magnifique manoir normand du début du XXe siècle, appartenant à la famille Cooper. Une petite et typique chaumière normande, avec un toit de chaume et des colombages, pleine de charme et de caractère. Au rez-de-chaussée, une cuisine ouverte sur le salon avec une belle cheminée. Un escalier en bois entre les deux espaces menant à l’étage et desservant sur un long couloir avec trois chambres et une salle de bain. Rien de bien extravagant, mais largement suffisant pour mes parents, ma sœur et moi.

Nous y avons eu des souvenirs heureux. Vraiment. Sur les hauteurs de Trouville, face à la mer. Maison totalement indépendante de la demeure principale. Notre entrée, notre jardin, notre intimité. D’énormes haies séparaient les deux familles. Une petite porte sur le côté nous permettait d’accéder au terrain des propriétaires. Mais j’avais pris l’habitude de franchir la haie à travers les branchages et de retrouver de l’autre côté mon meilleur ami Gabriel. Beaucoup plus fun de traverser la haie que de passer par une porte. Et surtout beaucoup plus discret.

À la fin de ses études, ma mère, Marie, a succédé à sa propre mère au service des Cooper, une famille bourgeoise sur des générations. Depuis 25 ans, elle travaille pour Émilie, Richard et leurs deux enfants Mia et Gabriel, respectivement 20 et 24 ans aujourd’hui. Émilie était une très belle femme, une dame du monde, le vrai cliché. Mais je l’adorais, son parfum, ses sourires me réchauffaient le cœur. Richard était souvent absent. Je n’ai jamais compris son métier, mais il travaillait beaucoup. Quand il rentrait de voyage d’affaires, il ne faisait pas de différence entre ses enfants et nous, les filles Charles. Il nous couvrait tout autant de cadeaux. J’adorais Mia. Elle était ma confidente de cœur, une sœur pour moi. Gabriel… aucun mot ne pouvait décrire notre relation. Un regard pour se comprendre suffisait. Gabriel… mon alter ego, l’ultime pièce du puzzle de mon cœur. Cucul, mais tellement vrai.

Mon père, Roger, détestait tout ça : les Cooper, leurs enfants, leur argent, leur situation. Il méprisait le travail de ma mère et il me haïssait moi d’être proche d’eux. À l’inverse de Richard, Roger était toujours à la maison, à fumer, boire et regarder la télé. Il avait eu un travail. Mais trop de retards, trop d’ivresse et de dérapage, l’usine l’a licencié. À partir de ce jour, mon enfer a commencé. J’avais six ans, je rentrais au CP. Ma sœur, Victoire, de quatre ans mon aînée, était la seule qui trouvait grâce à ses yeux. Nous étions différentes, très différentes à tout point de vue, et nous vivions nos vies chacune de notre côté. Elle collée à mon père et moi à ma mère.

Beaucoup de souvenirs m’assaillent, mais étrangement, au milieu de tous ces sentiments confus, je ne peux m’empêcher de penser à Gabriel, mon inséparable, mon double. À croire que ma vie s’est écrite à deux jusqu’à mes 14 ans. Il avait quatre ans de plus que moi. Il était mon mentor, mon protecteur, celui vers qui je me tournais… En toutes circonstances. Du plus loin que je me souvienne, j’ai toujours été secrètement amoureuse de lui. Je me suis si souvent demandé l’homme qu’il était devenu. Lui si rêveur, si drôle et attentionné.

J’ai hâte et peur à la fois de le retrouver pour reprendre notre amitié où nous l’avions laissée.

Mais avant toute chose, je dois retrouver ma mère et ma sœur.

« Mes souvenirs se voilent, à l’avant du bateau et ce quai qui s’éloigne vers un monde nouveau – une vie qui s’arrête pour un jour qui commence, c’est peut-être une chance. »1 Les paroles de la chanson de Bruel retentissent dans mes oreilles à cet instant précis, comme un écho à ma réalité. Belle coïncidence.

J’éteins la musique sur mon téléphone, je retire mes écouteurs et je pousse le petit portillon.

2

Les retrouvailles

C’est seulement à l’instant de les quitter que l’on mesure son attachement à un lieu, une maison ou à sa famille.

Éric Cantona

Olivia

J’ouvre le portillon. Un bruit très désagréable agresse mes oreilles. Un peu d’huile ne lui ferait pas de mal. J’emprunte le chemin vers la maisonnette. C’est marrant comme la mémoire peut nous jouer des tours. Dans mon dernier souvenir, elle paraissait petite, étriquée et sombre. Ce chemin, si souvent emprunté, me semble à présent différent. Des roses et des arums l’habillent tout le long. Cette maison semble tranquille, apaisée. Tout l’inverse de la dernière fois où j’étais ici.

Devant, j’aperçois un pick-up noir qui démarre. Lorsque la voiture s’approche, les vitres teintées m’empêchent de voir les occupants. De toute façon, je ne connais plus personne ici. Alors, je baisse la tête et avance, plongée dans mes pensées, m’imaginant mes retrouvailles avec ma mère. Grand-père m’a dit que maman voulait me parler elle-même, en face à face, et qu’elle avait besoin de ma présence. Je sais juste que c’est suffisamment grave pour me demander de revenir ici.

— Oh putain de merde ! dit le chauffeur, vitre baissée.

La voiture pile et la portière côté conducteur s’ouvre.

— Olivia ? C’est toi ?

Dean descend de la voiture et se jette sur moi. Il me prend dans ses bras et me fait tourner dans tous les sens. Suivi de Max. Que c’est bon de les revoir ! Ils n’ont pas changé. Enfin si, au détail près qu’ils ont pris en muscle. De vrais beaux gosses !

— Gab ! Elle est de retour ! Putain c’est cool ! Comment tu vas ma princesse ?

Et je le vois… là en face de moi, immobile, de l’autre côté de la voiture. Mon Dieu ! Tout ce temps passé et il est là. Devant moi… un tee-shirt blanc près du corps, un jeans délavé qui lui tombe sur les hanches et ses boots noirs. Simple mais efficace. Il n’a plus rien d’un ado. Mon visage souriant est baigné de larmes, je suis tétanisée par sa présence. Je tremble. J’ai imaginé cette scène tellement de fois. Mais rien ne se passe comme prévu : il ne bouge pas, il ne vient pas vers moi. Sans m’en rendre compte, je continue de l’admirer. Son visage est magnifique, les traits sont ceux d’un homme à présent, son regard est si… noir, intensément noir, indéchiffrable… mais loin, très loin de mes émotions puériles. Il me fixe durement.

— Qu’est-ce que ça peut bien me foutre ? Allez les gars, on va être en retard.

Sa voix dure, sans émotion, me transperce. Je crois même que j’entends mon cœur tomber par terre et se briser en mille morceaux. Waouh, brutal retour sur terre. Une fille sort de la voiture et lui prend le bras. Elle se retourne vers moi et… Oh, mon Dieu !

— Vic ? C’est toi ? Victoire, c’est moi Olivia !

Deuxième coup au cœur en approche : ma sœur me regarde ou plutôt me dévisage de la tête aux pieds. Elle me toise, comme si je représentais un danger, une menace.

— Oui, je vois bien merci, daigne-t-elle me répondre.

Je suis sidérée, bouche bée de son attitude. Sans un mot de plus, elle remonte en voiture. Que lui ai-je fait ? Que me reproche-t-elle ? Je ne comprends pas. Je ne sais plus si elle était présente ce soir-là, mais elle sait ce qu’il s’est passé ! Alors pourquoi ce comportement ? Quelle douche froide ! L’humiliation de ces retrouvailles gâchées laisse peu à peu place à de la colère. Que j’ai été naïve et crédule ! Comme si une relation pouvait reprendre là où elle avait été interrompue… aussi bien avec sa propre sœur qu’avec sa soi-disant âme sœur.

Max et Dean s’excusent du comportement de Gabriel et de Victoire, m’embrassent chacun leur tour sur la joue et me disent à plus tard.

— Donne-moi ton numéro, me demande gentiment Max avant de remonter à l’arrière de la voiture.

Il ouvre la fenêtre, prend son portable et attend une réaction de ma part. Il me faut quelques secondes pour rassembler mes esprits et le lui donner. Il me salue de la main en mimant « merci », pendant que Dean se replace derrière le volant et me sourit de toutes ses dents blanches. Je lève timidement la main et leur dis au revoir. La voiture redémarre et je reste là les bras ballants quelques instants. Qu’est-ce qu’il vient de se passer ? Il y en a au moins deux contents de me retrouver. Le seul qui semble plus que contrarié de me revoir est celui-là même que j’ai idéalisé pendant six ans. Six ans à penser à lui, à nos fous rires et à m’imaginer nos retrouvailles. 2190 jours… quelle perte de temps et d’énergie…

Le retour sur mes terres s’annonce difficile et compliqué. J’entends un bip venant de mon sac à main. Je prends mon téléphone et lis le SMS d’un numéro inconnu :

— Bon retour chez toi, Liv. Je savais que tu reviendrais, tu nous as trop manqué. On s’appelle très vite et pas de panique, on gère monsieur Ronchon. Max.

PS : Garde bien précieusement ce numéro ! Tu sais, il y en a qui tuerait pour l’avoir !

Quel idiot ce Max ! Il arrive toujours à me faire sourire. Sourire que je perds immédiatement : Il gère Gabriel… voilà tout est dit.

La porte de la maison s’ouvre et ma mère apparaît sur le perron.

— Olivia, ma chérie !

3

Rêve ou cauchemar ?

L’absence est le plus grand des maux.

Jean de La Fontaine

Gabriel

Je ne veux pas y croire ! De la voiture, je l’ai tout de suite reconnue. Elle hésitait devant le portillon, perdue dans ses pensées. En jeans et converses, toute simplement vêtue, je la reconnaîtrais entre mille. Elle semble avoir une valise… Est-ce qu’elle reviendrait pour de bon ? Au début, j’ai cru que mon imagination me jouait des tours. J’ai tellement pensé à ce moment, ce jour où elle rentrerait chez elle… À la regarder ainsi, hésitant à avancer… Je retrouve une jeune femme là où j’avais quitté une adolescente. Toujours de beaux cheveux châtains raides qui lui reviennent devant le visage. Combien de fois lui ai-je remis cette mèche derrière son oreille ? Une coupe plus adulte. Fais chier, ça réveille en moi trop d’émotions que j’avais bien enfouies.

Les mecs l’accueillent, l’embrassent comme une déesse, comme le retour de l’enfant prodige. Elle est toujours aussi belle, rayonnante… mon ange… ce regard bleu profond baigné de larmes. Putain ses yeux m’ont hanté jour et nuit. Plus ils la touchent et la prennent dans leurs bras et plus je bous de l’intérieur. Je n’ai jamais apprécié voir d’autres bras l’enlacer. En moi, tout se mélange : colère, rage, nostalgie, joie… un arc-en-ciel de sentiments.

Et sa sœur qui me colle pour lui faire croire qu’elle a pris la place vacante laissée par son départ. La plaie cette meuf.

Silence de mort dans la voiture. Les mecs connaissent l’histoire, ils m’ont ramassé à la petite cuillère après son départ, ou plutôt sa fuite sans me prévenir ni même me dire au revoir. Rien. Après que sa mère m’a dit : « C’est pour son bien, elle devait partir. Je devais la protéger. Oublie-la, continue ta vie ». Impossible. J’ai harcelé sa mère, sa sœur, mes parents, Mia. Mais rien. Zéro info. Je me suis senti trahi, blessé, abandonné et seul. Son rire, ses yeux, sa tendresse… tout me manquait.

— On en parle ou bien ? tente Dean moqueur.

J’ai envie qu’il ferme sa gueule. Dean et Maxence sont mes amis, mes frères. Le trio inséparable pour le meilleur et pour le pire. Nous sommes tous les trois fraîchement diplômés d’une école de commerce. Ce n’était pas gagné d’avance. On est ensemble depuis la maternelle et on a tout fait ensemble… au grand désespoir de nos familles respectives. Dean a eu une vie plus compliquée : son père s’est barré sans prévenir quand il avait quatre ans. Sa mère l’a élevé seule et a dû cumuler plusieurs boulots. Max et moi avons eu la chance d’avoir des parents avec une situation plus aisée. On n’a jamais manqué de rien et on a toujours voulu en faire profiter Dean à parts égales. Mais malgré ce lien très fort, je pourrais leur péter la gueule s’ils s’aventurent sur ce terrain-là aujourd’hui.

On a des caractères très différents tous les trois. Moi je suis l’inaccessible, le rebelle, la tête dure. Je prends, je jette. Pas de relation, pas d’attache. Juste de la baise. Max, c’est l’intello. Le gars qui te retourne par ses belles paroles, le vrai séducteur. Et Dean, notre geek à la gueule d’ange, très secret, un dragueur sans attache et sans limites.

Je ne réponds pas à Dean. Mon attitude est sans appel.

— Elle s’imagine quoi cette conne ? Qu’elle revient et que rien n’a changé ! vocifère Vic.

Victoire… sa sœur. Son opposé, une vraie casse couille. Elle m’horripile. Je la tolère autour de nous car les mecs me demandent d’être cool avec elle. Mais le social, ce n’est pas mon fort.

— Je ne pensais pas qu’elle aurait le courage de revenir ici après avoir brisé notre famille et avoir disparu comme une voleuse, continue-t-elle.

— Tu la fermes ou tu descends !

À mes mots, elle se renfrogne et se tait. Je monte le son de l’autoradio. It’s my life de Bon Jovi envahit l’habitacle de la voiture.

Les mecs se regardent et ne pipent mot. Ils ont compris que, dans l’état actuel des choses, aucune discussion n’est possible.

La sortir de ma tête et se concentrer sur notre rendez-vous : la réunion de fin de chantier de notre pub que nous avons racheté tous les trois, il y a six mois. Je me suis beaucoup investi dans ce projet. Ce lieu est cher à mon cœur. Lorsque nous étions au collège, les gars, Olivia et moi venions boire un sirop ou manger une part de tarte après les cours. Jo et Mandy, les propriétaires, étaient Anglais. Ils avaient laissé leur famille derrière eux au pays. Ils adoraient nous en parler et, nous, on adorait les écouter avec cet accent so british. Il y a un an, quand ils ont dit qu’ils rentraient au pays pour leur retraite, et qu’ils voulaient vendre, ça m’a brisé le cœur. Cet endroit me rattachait à Olivia et je ne pouvais pas me résoudre à le laisser partir dans d’autres mains. Tous les deux adolescents, on avait de grands projets pour cet endroit. Olivia surtout :

— Je verrais bien un magnifique bar en bois, pile face à l’entrée, et une scène ici, à gauche, où tout le monde pourra tenter sa chance : des musiciens, des comiques, des magiciens. Et là, de l’autre côté du bar, on met deux billards, un jeu de fléchettes et un écran géant sur le mur pour le foot, le rugby, les JO ou Roland Garros. Et sur tous les murs, on accroche des œuvres de peintres, de photographes. Tous inconnus ! Une vraie galerie d’art gratuite et ouverte à tous ! Peut-être que moi aussi je pourrais y exposer mes toiles un jour ! Et le tout baigné dans une ambiance tamisée et feutrée. Rien d’extravagant, mais ça nous ressemblerait, hein Gab ?

C’était notre projet à tous les deux.

Alors quand j’ai dit aux gars que je souhaitais le racheter, ils m’ont proposé de nous associer. Après discussion et selon le souhait de chacun, je suis devenu l’actionnaire majoritaire avec 50 % des parts, Dean et Max ont 25 % chacun. De notre association est née le pub : LIV’.

No comment.

4

Ma fille, ma chair

Toutes les douleurs de la séparation disparaissent à l’instant des retrouvailles.

Amor Abbassi

Marie

Elle est là, ma fille, plus belle que jamais ! Elle est là, enfin de retour.

— Maman !

— Ma chérie ! Tu m’as tellement manqué ! Tellement manqué !

Je pleure de joie.

— Moi aussi maman moi aussi ! Je t’aime tant !

— Ma chérie…

Les larmes m’empêchent de finir ma phrase. Alors je l’enlace, je la respire autant que possible. Six ans se sont écoulés, six longues années à me languir d’elle, à lui parler au téléphone, à la voir grandir à distance. Elle a tout de l’ange que j’ai laissé. Un ange devenu femme. Son regard est toujours aussi profond, empli de tendresse, de gentillesse. Ses magnifiques cheveux ont poussé et brillent sous le soleil normand. La chenille est devenue le plus majestueux des papillons. Cela apaise ma culpabilité de notre séparation, mais que c’était dur de l’éloigner d’ici pour la protéger.

Quand Roger a été licencié en 2007, nos vies ont basculé. Il est devenu taciturne, alcoolique et violent. Au départ, je centralisais toute sa haine et sa colère. Il me tapait sans laisser de traces. Puis l’alcool aidant, il en voulait davantage. Olivia ne supportait pas sa façon de me traiter et tentait de s’interposer. Elle voulait prendre les coups à ma place pour me défendre. Une vraie guerrière, si forte, si courageuse. Victoire, elle, regardait ailleurs, indifférente. Déjà, les deux ne s’aimaient pas, chacune avait malheureusement choisi un camp.

Olivia n’avait que six ans, quand il a commencé à l’insulter, à la rabaisser. Puis à dix ans, il l’a frappée avec sa ceinture. Si frêle… Elle restait digne, elle ne pleurait pas devant lui car si elle se plaignait, il redoublait ses coups sur moi. Elle tenait grâce à Gabriel, j’en suis sûre. Après chaque tempête, je sais qu’elle le retrouvait dans un endroit rien qu’à eux. Il lui faisait du bien et l’aidait à tenir, à rester debout et à grandir.

Olivia grandissait et l’adolescente se transformait petit à petit en jeune femme. Mais son regard à lui devenait de plus en plus vicieux, odieux, incestueux. J’avais peur pour elle. Gabriel aussi. Une nuit, de derrière ma fenêtre, je l’ai vu attendre Roger. Le fils Cooper venait d’avoir 17 ans. Roger tenait à peine debout quand il a passé le portillon. Il a remonté l’allée tant bien que mal. Au moment de saisir la poignée de la porte d’entrée, Gab l’a saisi par le col, l’a décollé de terre et l’a plaqué contre le mur. Gabriel ne criait pas. Pas besoin. Sa voix était basse, menaçante, autoritaire. Il était déjà bien musclé pour son âge et il dépassait Roger d’une bonne tête. Ce dernier n’a pas pipé mot, et je suis quasi sûre qu’il s’est fait dessus. Ce soir-là, je ne sais pas ce que le gamin lui a dit, mais j’ai rigolé de voir ce monstre autant le craindre. Pour une fois, la peur changeait de camp et ça faisait du bien. J’ai tant remercié Gabriel intérieurement.

Victoire, elle, restait toujours à l’écart, écouteurs sur les oreilles ou devant la télé. Indifférente à son environnement, indifférente à nous. Chouchoute de son père, elle a toujours été épargnée, nous narguant presque avec son immunité. Jamais elle n’a pris de nos nouvelles ou nous a soignées après un passage à tabac. Jamais. À présent, je le reconnais en elle. Je le vois dans son regard et ça m’effraie. Elle a depuis toujours choisi son camp et clairement, ce n’est pas le nôtre. Peut-être pour se protéger, se préserver, comme un instinct de survie. Je ne sais pas. Je n’ai jamais réussi à établir un lien entre nous deux et encore moins à discuter.

Un soir, où il se mettait minable au bar du coin et qu’il tenait à peine debout, Fabrice, le barman, m’a appelée pour me prévenir qu’il rentrait pour « dépuceler sa petite dernière ». J’avais envie de vomir. J’ai pris peur. Tremblante, j’ai appelé ma sœur, Marianne, pour qu’elle vienne m’aider. Je crois que j’avais compris que ce soir-là, il allait se passer quelque chose de définitif.

Victoire, Gabriel, Dean et Maxence étaient partis pour la journée surfer dans la Manche. Olivia était montée tôt dans sa chambre, l’air tristounet. J’espérais qu’elle soit endormie pour ne rien entendre de la tempête à venir. J’ai fermé sa porte de chambre à clef. Il était 21 h, et je l’ai attendu, un couteau de cuisine à la main.

Roger titubait en franchissant la porte, et ne cachait pas son envie de « se faire Olivia ». Il empestait l’alcool, le vomi et l’urine. Il me répugnait. Je ne retrouvais plus l’homme dont j’étais tombée amoureuse. Le monstre l’avait remplacé depuis bien longtemps.

— Ne l’approche pas ! Tu ne la toucheras pas. Prends-moi plutôt, je ferai ce que tu veux mais laisse-la !

Il riait de mes supplications. Il était abject. Son regard comme possédé.

— Je n’en ai rien à foutre de toi la vieille, c’est elle que je veux ! Et ce soir, elle va connaître le loup !

Il riait de plus en plus fort. Il a monté quelques marches et je me suis interposée dans l’escalier. Mais il m’a frappée au visage avant de me jeter contre le mur. J’étais assommée. La tête me tournait et je n’arrivais pas à me relever. Je l’ai entendu défoncer sa porte et Olivia crier. Quand je suis arrivée en haut de l’escalier devant sa chambre, il avait déjà arraché sa couette et son pyjama. La pauvre petite. Il riait d’un rire que je n’oublierais jamais. Il était démoniaque, terrifiant. Elle était tétanisée, blottie au bout de son lit, les genoux contre sa poitrine et elle pleurait. Elle aussi avait compris que ce soir-là, il n’y aurait pas de retour en arrière. Il fallait survivre.

Il commençait à baisser son pantalon. Il lui disait :

— Bah alors, il est où ton copain ? Pas là, c’est ballot pour lui. Mais je vais lui rendre un grand service. Je vais t’apprendre à faire plaisir à un homme. Tu vas voir ma petite fille chérie. On va faire plaisir à son papa. Arrête de chouiner et approche-toi !

Comme elle ne venait pas, il s’est énervé et l’a attrapée par les cheveux.

— Regarde-moi ça comme c’est beau.

Il a rejeté la tête d’Olivia en arrière, a baissé son caleçon et a commencé à se caresser devant elle. Alors j’ai vu rouge, je l’ai poignardé dans le dos du plus fort que je pouvais. Il a hurlé comme une bête blessée, s’est plié en deux et a posé un genou à terre.

— Je vais te buter salope !

J’ai lâché le couteau ensanglanté et j’ai couru vers Olivia pour la prendre dans mes bras et l’emmener loin de lui. Il m’a attrapée par la cheville, et nous a fait tomber toutes les deux dans le couloir. Il a ramassé mon couteau et a commencé à me poignarder… partout… et à plusieurs reprises. Ses yeux étaient injectés de sang. Sa rage était impressionnante. Je ne me souviens que peu de la suite. Sous la douleur, je perdais progressivement connaissance quand Marianne est arrivée et l’a frappé à la tête avec la batte de baseball que je cachais derrière le rideau de l’entrée. Il s’est écroulé sur moi.

Avant de sombrer, j’ai supplié Marianne d’emmener Olivia loin d’ici, loin de lui. Elle l’a prise dans ses bras, m’a rassurée et j’ai murmuré à Olivia que je l’aimais. Elles sont parties. Dans le silence, j’ai entendu approcher les sirènes.

C’était le 14 mai 2015. Six ans après, elle est là dans mes bras, en pleurs. Mais de joie aujourd’hui. Je la sens, je la touche. Que c’est bon !

En profiter tant que cela est encore possible.

5

Une si longue absence

Maman, tu es la plus belle du monde, car tant d’amour inonde tes jolis yeux.

Henri Salvador

Olivia

Nous nous enlaçons plusieurs minutes sans un mot. Les souvenirs affluent mais je les chasse et je profite de tout cet amour maternel qui m’a tant manqué. J’ai quitté une femme forte, maîtresse de ses émotions, toujours de bonne humeur. Je retrouve une femme physiquement marquée et plus vulnérable. Mais ses yeux sont les mêmes. Plein d’amour, de fierté et de tendresse. Mon dieu je l’aime toujours autant. Six ans, c’est long pour une adolescente. Très long. Sans sa maman et sans son meilleur ami.

— Rentre ma nénette, ne prends pas froid. Et raconte-moi tout. Je veux tout savoir de toi, me dit-elle doucement.

On s’installe toutes les deux devant la cheminée. Notre relation semble reprendre là où elle avait été brutalement interrompue. Tout paraît comme avant entre nous. Elle a préparé du thé, un apple pie est dans le four et des bûches brûlent dans la cheminée.

— Je suis toujours un cul gelé, et puis j’aime l’odeur du feu. Toujours autant, rit-elle. Tu pourras monter tes affaires dans ta chambre tout à l’heure, mais avant tout raconte-moi tout. Comment va papy ? Et toi comment te sentais-tu là-bas ? Tu es contente de revenir ? Pas trop triste d’avoir quitté tes amis ? Mais tu vas retrouver ton Gab ! Tu as vu quel bel homme il est devenu ? Quand je le vois, je te vois.

Elle me bombarde de questions, sans en attendre de réponses. Elle est si excitée de me retrouver.

— Doucement maman, ne t’enflamme pas ! Je n’ai même pas retenu toutes tes questions. Cependant, pour Gab, tu peux oublier. Il n’a pas semblé du tout heureux de me revoir.

— Mais non, laisse-lui du temps ! Tu sais, il a aussi souffert. J’ai eu mal pour lui, il m’a vraiment fait de la peine. Il t’a beaucoup cherchée.

Un long silence… Un voile de tristesse passe devant ses yeux en repensant à cette période.

— Ouais bah ce n’est pas le seul à avoir souffert. Bref, ma petite maman, comment tu vas toi ?

Moi aussi j’ai un tas de questions à poser, des « pourquoi » qui ont besoin de réponse.

— Ça va nénette ça va.

Son regard est fuyant. Une alarme retentit dans ma tête et les mots de grand-père me reviennent en mémoire : « Elle a besoin de toi ». Je ne pense qu’à une chose, l’angoisse me prend aux tripes. :

— Il est revenu maman ?

Elle comprend tout de suite de qui je parle et veut me rassurer aussitôt :

— Non ma chérie. Je sais qu’il est sorti de prison il y a quelques mois, mais il n’a pas cherché à nous revoir. De ce que je sais, il a un bracelet électronique et donc, s’il dépasse un certain périmètre, une alarme se déclenche. Non je ne m’inquiète plus de lui.

— Alors tu t’inquiètes pour Vic ? Elle aussi, elle était très heureuse de me revoir…

— De toutes les façons, entre vous, ça ne l’a jamais fait. C’est sûrement ma faute. Je l’ai trop laissé de côté, peut-être pour te protéger. Elle lui ressemblait tellement.

— Mais non maman, tu n’as rien à te reprocher. Tu as fait ce que ton cœur de maman te disait de faire. Elle était si proche de lui… Tu sais si elle l’a revu ?

— Elle ne m’en parle pas, mais je ne pense pas. Quand même, elle a vu ce qu’il m’a fait, ce qu’il nous a fait. Non je ne pense pas. Elle est très secrète, distante. Je vois bien que je l’embête, alors je la laisse vivre comme elle l’entend. Elle traîne beaucoup avec les garçons.

— J’ai cru voir ça ouais. Comment vont Mia, Émilie et Richard ? je demande pour changer de sujet, en prenant un morceau de gâteau.

Miam miam, il est succulent ! Comme dans mon enfance. Même odeur, même saveur.

— Oh, ils vont être tellement contents de te revoir. Ils me demandent sans cesse de tes nouvelles. Ils vont bien. Mia fait un tour du monde. Ça lui a pris comme ça un jour. Elle a tout arrêté et est partie. Elle appelle très souvent et envoie plein de photos de ses voyages. Elle profite, se fait sa propre expérience. C’est une bonne petite tu sais. Je l’aime bien. Émilie égale à elle-même, rit-elle. Et Richard, quel gentil homme ! Ils m’ont tant soutenue après cette nuit-là. Je leur serai à jamais reconnaissante.

— Oui, ils m’ont beaucoup manqué…

J’hésite, mais je me lance :

— Maman, pourquoi tu m’as laissée là-bas ? Pourquoi tu n’es jamais venue me chercher ?

Elle se tend, mes questions la dérangent. Elle répond à la hâte, brutalement, limite énervée, sans me regarder :

— Je pensais que tu avais compris… Tu étais plus en sécurité avec papy là-bas.

Elle se radoucit et en profite pour changer de sujet.

— Tu sais, c’était dur pour tout le monde. Gabriel s’est battu pour avancer… Tiens, au fait, il a racheté le bar des Mills. Il veut en faire un pub, si j’ai bien compris. Émilie dit qu’il était très attaché à cet endroit et qu’il ne pouvait se résoudre à le voir changer de mains, au risque que ce soit détruit. Richard ne comprend pas son entêtement, mais tu connais Gabriel : quand il a une idée en tête, impossible de le faire changer d’avis.

J’en avale de travers mon apple pie et manque de m’étouffer. Il a racheté notre QG ? Je n’en crois pas mes oreilles. C’était notre chez nous, là où nous aimions être tous ensemble, où nous refaisions le monde avec des rêves et des envies plein la tête. Que j’aimais cet endroit ! Sans m’en rendre compte, une larme coule sur ma joue et ma mère l’essuie.

— Ça va aller ma chérie, laisse faire le temps, me rassure-t-elle.

Elle prend sa tasse entre ses deux mains et se retourne face à la cheminée. Elle semble perdue dans ses pensées. Si triste.

— J’aimerais vraiment que ça s’arrange entre vous, vraiment. Ça me rassurerait, je pourrais partir en paix, dit-elle entre deux gorgées de thé.

— Désolée pour toi, mais ça n’a pas l’air à l’ordre du jour et je…

Je réalise soudain ce qu’elle vient de dire.

— Partir en paix ? Qu’est-ce que tu racontes maman ? Je viens tout juste de revenir ! De toute façon, pour ta gouverne, j’ai bien survécu six ans sans lui, je n’ai donc pas besoin de lui pour la suite.

Ma mère rit doucement. Elle ne croit pas plus que moi à ce que je viens d’affirmer.

Elle me prend doucement la main et la serre.

— Je dois te parler, me murmure-t-elle.

6

La naissance de mon projet

Que tes choix reflètent tes espoirs et non tes peurs.

Nelson Mandela

Gabriel

Le pub est top, exactement comme nous l’avions imaginé. Nous finissons de faire le tour. On se tape dans le dos, on est vraiment fier. On a réussi. On devrait être dans les temps pour ouvrir après l’été. Les travaux lui donnent un nouveau souffle. La commission de sécurité a bien tout validé.

L’artisan nous remet les clefs. Maintenant, c’est à nous de jouer, de lui donner vie. On doit trouver comment le meubler, employer du personnel, des artistes. On a encore du taf. Mais le challenge m’excite. J’essaie de hiérarchiser et de prioriser dans ma tête les choses à faire et de parer au plus urgent.

Mais aujourd’hui, j’ai du mal à me concentrer. Je n’arrête pas de me demander ce qu’elle en penserait. Serait-elle fière de moi ? Putain, on s’en fout qu’elle soit fière ou non. Elle t’a laissé. Avance, zappe-la.

Max s’approche de moi.

— T’es avec nous mec ? ricane-t-il.

— Tu veux que je sois où ?

Je lève le bras pour me débarrasser de lui et décide d’aller au bar pour fêter la fin des travaux. Je cherche une bouteille dans la réserve et je prends des verres dans les cartons derrière le bar. Et je la vois… là… radieuse… sur mes genoux. Merde, ça fout un coup. Je peux leur faire croire que je m’en fous de son retour, mais je ne peux pas me mentir à moi-même. Les gars ont agrandi et encadré une photo de nous. Ils l’ont accrochée derrière le comptoir face à l’entrée. Elle sera avec nous dans cette aventure et nous portera chance, disaient-ils. Cette photo nous représente tous les quatre, attablés et riants, dans le bar des Mills. J’avais 16 ans et elle, 12. Mais, l’âge ne comptait pas. C’était notre petite sœur. Enfin c’est comme ça que j’avais décidé que les autres devaient la traiter quelques années auparavant.

— On fait un pacte les gars. Personne ne touche à Olivia !

— Bah pourquoi Gab ? Si elle veut sortir avec l’un de nous ? Sérieux, si je lui plais, je dis pas non !

— Ta gueule Dean, on ne la traite pas comme les autres. Elle fait partie de notre bande. Sinon ça pourrirait nos relations. Ça serait con de s’engueuler pour une nana. OK les gars ? On la traite comme ma sœur Mia ?

« En beaucoup moins chieuse », m’étais-je dit à moi-même.

Déjà à l’époque, je ne suis pas sûr que j’étais crédible. Elle me voyait comme un grand frère, mais moi je l’avais dans la peau. J’avais ce besoin irrépressible de la protéger, de la voir, de la sentir. Donc si je ne pouvais pas l’avoir, personne ne l’aurait. Elle était à moi. Pas de discussion possible.

Sur la photo, elle est assise sur mes genoux, avec les bras autour de mon cou. Je lui tiens son diabolo fraise. Il y a tellement de possession et d’admiration dans le regard que je pose sur elle à l’époque.

Sans m’en rendre compte, je souris à ce souvenir. Il est tellement vivace dans mon esprit. Dean s’en rend compte et me murmure :

— T’es foutu mec.

Je baisse la tête et je dis non, sans grande conviction, tout en secouant la bouteille. Je fais péter le bouchon et le champagne jaillit !

— À notre avenir ici mes frères !

On trinque tous les trois et Max part dans la réserve, pour en ressortir le sourire aux lèvres.

— Les gars, j’ai réussi !

Il nous montre fièrement la télécommande de la sono et appuie sur un bouton. La musique pulse dans les enceintes. On l’applaudit. Il a galéré mais il a réussi. Un truc à rayer de ma to do list !

— Kitsch ou bof ? Spéciale dédicace rien que pour vous mes frères, rigole-t-il.

Il change la musique et balance : « Et c’est parti pour le show et c’est parti le stade est chaud 2». Quel lourdaud celui-là ! Quand je pense que c’est l’intellectuel de la bande. Mon cul ! Je suis sûr qu’après il va nous mettre Les sardines de Patrick Sébastien ! On reprend le refrain tous les trois ensemble en se marrant.

Mon téléphone sonne. Je fais signe à Max de baisser la musique. C’est Mia, elle se rappelle que c’est aujourd’hui la fin des travaux.

— Salut sœurette, tu m’appelles d’où cette fois-ci ?

— Tahiti ! C’est trop génial ici. Alors les travaux ? Satisfaits ? hurle-t-elle.

— Oui top ! J’ai hâte de l’inauguration. Ça te plairait, j’en suis sûr.

Un silence… Qui traîne un peu, surtout quand on la connaît.

— Rien à me dire ? tente-t-elle.

Voilà on y est, elle est au courant du retour d’Olivia. Y en a un qui a déjà fuité. Les bâtards ceux-là.

— Non, rien en ce qui me concerne.

— Tu te fous de moi ? GABRIEL ? Tu te fous de moi ? hurle-t-elle.

— Je ne te capte plus sur ton île. Je raccroche, rappelle-moi quand tu as du réseau !

— Ne me raccroche pas au nez ! GABRIEL !

Bip, bip, bip… Conversation terminée. Pour le moment. Elle ne lâchera rien. Ce n’est que partie remise.

7

Face à la maladie

Rien que d’en parler, la maladie, ça me tue.

Guy Bedos

Marie

Ça y est, je dois lui dire. Les mots sont durs à sortir. Pourtant, je les ai ressassés si souvent ces derniers temps.

— Nénette, papy t’a demandé de revenir car je pense que tu es en sécurité ici à présent. Et aussi car j’ai effectivement besoin de toi. Je suis très fatiguée depuis quelque temps et, si j’ai bien compris, ça ne va pas s’arranger. J’ai besoin que tu prennes mon service chez les Cooper pendant quelques semaines s’il te plaît.

— Euh oui maman, bien sûr ! Comme tu voudras.

Elle a l’air suspicieux.

— Mais si tu es fatiguée, pourquoi tu ne te fais pas arrêter ?

Je lui réponds non de la tête en regardant mes mains.

— Non ? OK… alors tu es fatiguée comment ? Tu as vu un médecin ? Tu as fait des analyses ?

— Oui.

Je m’arrête là, je déglutis difficilement, gênée par cette boule dans ma gorge.

— Oui et ?

Elle s’impatiente, mais se radoucit immédiatement.

— Maman, je peux tout entendre. Je suis là maintenant. Tu n’es plus seule. Je veux bien te remplacer chez les Cooper, ce n’est pas le problème. Même si je pense que tu as le droit d’être en arrêt une fois dans ta vie !

Elle me prend dans ses bras. Elle est tellement adorable. Je serre ses mains dans les miennes. Je caresse sa joue tout doucement. J’ai honte de lui demander tout ça.

— Ma nénette, si tu savais comme je t’aime. Je n’ai jamais cessé de penser à toi, tout ce temps où l’on était loin l’une de l’autre. Je sais que tu ne comprends pas tout, que tu ne comprends pas pourquoi on t’a maintenue éloignée si longtemps. Mais c’était pour ton bien, pour ta sécurité. Je voulais être sûre qu’il ne t’approcherait plus.

Elle pleure dans ma main. Elle comprend que je lui cache quelque chose, elle a peur. Alors, je lui raconte.

— Depuis plusieurs semaines, je me sens fatiguée. Mon corps pèse lourd. J’ai souvent mal au ventre.

Je prends sa main pour la poser sur mon ventre gonflé.

— Regarde, il est gonflé comme un ballon. Alors que j’ai toujours été mince. Et ne me dis pas que c’est la ménopause ! Je suis allée voir le docteur il y a quinze jours. On a fait des analyses, une écho puis un scanner.

Je continue doucement, revivant ce cauchemar minute par minute. En parler à haute voix le matérialise et le rend de plus en plus réel.

— Le médecin m’a appelée avec les résultats. Et puis, tout est allé très vite, tu sais. Il a pris rendez-vous avec un oncologue au centre Baclesse à Caen. J’y suis allée lundi dernier toute seule, car Victoire était occupée. Entre nous, je déteste cet endroit. C’est froid, c’est lugubre. Vraiment ! Et il y a trop de malades partout ! Rien que d’y penser, ça me donne le bourdon. Bref, mes ovaires sont touchés et j’ai du liquide dans le ventre. Pour l’instant, on ne connaît pas l’étendue des dégâts. Mais ils sont sûrs que c’est un cancer. Ils m’ont dit que j’allais être opérée très rapidement et que j’aurais sûrement de la chimio. Et que j’allais perdre mes cheveux.

Je revis ce moment : je revois l’oncologue me l’annoncer. Le ciel me tombant sur la tête, j’étais abasourdie. Il parlait mais je ne l’entendais plus. J’avais comme buggé, paralysée par la peur. La seule chose que j’ai réussi à dire, c’était : « Je vais mourir ? ». Je sanglote en y pensant et je crains les épreuves à venir. Je continue :

— Je dois être opérée lundi prochain.

Olivia pleure et se blottit contre moi.

— Pas toi maman, pas toi ! pleure-t-elle. J’ai besoin de toi maman. Tu as déjà tellement souffert, ce n’est pas juste maman. On vient tout juste de se retrouver.

— Je sais ma chérie. Je ne vais pas te mentir : j’ai peur aussi. L’annonce a été dure, comme si un trente-trois tonnes m’avait foncé dessus ce jour-là. J’ai mis quelques jours à me relever. Et puis, comme je te l’ai toujours dit : pour chaque épreuve, il faut avancer, même dans les vents contraires. Je crois que le plus dur est d’accepter la maladie. Après… Après, on verra. Il y a toujours du ciel bleu après la tempête. Alors on va courber un peu le dos, quelque temps, en attendant les beaux jours.

Je souris tendrement en la réconfortant.

— Non, maman pas toi, pleure-t-elle.

— Regarde-moi ma chérie. On a affronté bien pire. C’est une épreuve de plus, mais on va y arriver. Ensemble.

— Qu’est-ce qu’ils vont te faire lundi maman ?

— C’est assez technique, mon ange. Ils m’ont dit qu’il fallait me retirer les deux ovaires, l’utérus, l’appendicite, aspirer le liquide et faire un curage dans mon ventre. Mais la médecine progresse tu sais. Le chirurgien m’a dit qu’avant, il ouvrait le ventre de haut en bas. Maintenant c’est avec un robot qu’il opère. Tu t’en rends compte ? L’opération est plus longue mais au final, il n’y aura que cinq trous dans le ventre, donc beaucoup moins de complications. Je devrais être vite debout.

— On a l’impression que tu me vends l’opération ! Tu as appris le prospectus par cœur ou quoi ? plaisante-t-elle entre ses larmes.

Elle a raison, je lui ai tout récité proprement.

— Moqueuse ! Je vais rester quelques jours à l’hôpital et après on verra pour le traitement. Étape par étape.

Olivia me serre les mains, puis en passe une dans mes cheveux. Elle les caresse. Son regard est doux et aimant. Tout ce dont j’avais besoin. De la tendresse.

— Merci ma chérie. Merci d’être là, merci d’être toi.

— Je serai toujours là pour toi, maman. Je t’aime.

On s’étreint de longues minutes, sans parler, dans le silence de la maison, bercées par le feu qui crépite dans la cheminée.

— Maman, bien sûr que je vais te remplacer et bien sûr que je serai à tes côtés. Mais maman, tu as toutes les raisons du monde de te mettre en arrêt.

— Si je me mets en arrêt, je ne toucherai pas l’intégralité de mon salaire. Et j’en ai besoin, dis-je penaude.

Olivia ne comprend pas trop.

— Oui d’accord, mais encore ?

Je vois qu’elle ne lâchera pas. Toujours aussi perspicace. Elle lit en moi comme dans un livre ouvert.

— Je dois payer les dettes de ton père.

Je murmure ces mots, en espérant qu’elle ne les entende pas.

— Quoi ? Mais enfin, comment ça ? Vous êtes divorcés maman. Chacun sa merde et la sienne n’est certainement plus la tienne, dit-elle énervée.

Aïe, aïe, aïe. Nous y sommes.

— Maman regarde-moi. J’ai dit regarde-moi ! Vous êtes divorcés, n’est-ce pas ?

— En fait, c’est plus compliqué que ça.

— Non ce n’est pas compliqué maman. C’est oui ou non ?

Comme un enfant pris en faute, je m’écrie :

— Non !

Je me détache d’Olivia et me place face à la cheminée. Je ne veux pas voir son regard.

— Non, nous ne sommes pas divorcés, dis-je plus calmement. J’avais beaucoup trop peur de lui, je ne voulais pas l’énerver avec une demande de divorce. Tu sais très bien quelle réaction il aurait pu avoir. Il ne nous aurait pas laissées tranquilles. Et moi, je voulais qu’il nous oublie. Alors j’ai dit à tout le monde que le divorce était prononcé. Mais j’ai rien fait. Comme on est toujours marié, je dois rembourser ses dettes. C’est sûrement le prix à payer pour t’avoir si mal protégée de lui.

Je pleure. Olivia, abasourdie, se lève vers moi et me prend dans ses bras.

— Je vais t’aider maman.

8

Le retour de l’enfant roi

On commence par se disputer parce qu’on ne s’entend pas, et l’on finit par ne plus pouvoir s’entendre parce qu’on s’est disputé.

Pierre Claude Victor Boiste

Victoire

Je suis sûre d’avoir encore raté mon entretien. Ça me soûle. J’ai besoin de tune pour lui, pour moi. Je ne suis pas d’humeur aujourd’hui. Elle qui revient et lui qui ne me répond pas, alors que je l’ai aussitôt prévenu de son retour par texto. Mais rien. Aucune réaction. Pourtant je sais qu’il n’a pas tourné la page.

Alors quand je rentre et que je les trouve là, toutes les deux, dans le salon dans les bras l’une de l’autre, je vois rouge. Le feu dans la cheminée, le thé, l’odeur de l’apple pie : piquant retour en enfance. Il ne manquerait plus que Gabriel apparaisse dans le salon, et là ça serait le pompon. Relaxe, tu es plus forte que ça maintenant. C’est toi qui as la main.

Un coup d’œil dans le miroir de l’entrée pour m’assurer que je suis à tomber, je claque bien fort la porte pour montrer que je suis rentrée et j’arbore mon sourire le plus hypocrite.

— Ça va ? Je ne vous dérange pas ? On fête quoi aujourd’hui ? je demande faussement guillerette.

— Victoire s’il te plaît, me dit maman de manière lasse. Enterrez la hache de guerre. Il est temps, non ? Viens profiter d’un morceau de gâteau et d’un bon thé, me supplie-t-elle.

Elle a toujours été si faible, surtout face à elle. Mais là, je la trouve usée. De plus en plus. C’est marrant, mais ça ne me fait ni chaud ni froid.

— Oui Victoire, viens s’il te plaît. Je suis vraiment contente de te revoir. Tu es si belle, si waouh ! Je t’avais à peine reconnue tout à l’heure.

Elle s’avance pour me prendre dans ses bras. Mais je recule en mettant les mains devant moi.

— Oui c’est bon, pas besoin d’en rajouter Olivia. Tu as l’air en forme toi aussi. L’absence et la distance t’ont fait du bien.

C’est vrai qu’elle n’a pas l’air mal du tout la frangine, pas un poil de graisse. Fais chier. Je pars dans la cuisine pour me prendre un mug de thé et une assiette d’apple pie. Je les rejoins et m’assois dans le canapé.

— Je viens de lui annoncer mon cancer.

Ah oui, tiens, j’ai oublié de le raconter à papa quand on s’est vu la dernière fois, que la vieille était malade. Note pour plus tard : penser à le lui dire. Il va sûrement faire péter la bouteille et me dire que la roue tourne. Pour le moment, feindre la tristesse et non l’indifférence.

— Oui c’est triste. Sympa de ta part d’être revenue pour ça, mais je peux aussi m’occuper d’elle.

— Je sais, je n’en doute pas, me répond Olivia, un peu stupéfaite par mon attitude.

— Victoire, on en a déjà parlé. Tu sais bien que j’ai besoin de garder mon travail chez les Cooper et tu ne voulais pas me remplacer. Olivia accepte.

— Évidemment, ô sainte Olivia. Et effectivement je ne travaillerai pas pour mon petit-ami maman.

Bam ! Dans ta face petite sœur. Je la vois pâlir et essayer de cacher son désarroi. Ma mère lui prend la main de suite pour la rassurer. Elles m’écœurent.

Maman continue :

— Je sais, je comprends. Olivia va m’aider financièrement. Tu sais pour les soins de confort…

Je lui coupe la parole :

— Les soins de confort ? C’est quoi ce truc là encore ?

Je vois qu’elle prend sur elle pour me répondre et ne pas me contrarier :

— Ça aide à supporter les traitements. Et puis il y a aussi pour les dettes de papa. Olivia va chercher un job en plus de ses cours et des Cooper.

— Oh mais c’est tellement gentil ça, dis-je en exagérant mes intonations. Mais c’est vrai que tu auras le temps toi Olivia. Tu n’as plus de vie ici, plus de potes. C’est quoi déjà que tu fais chez toi en Italie ? Une fac de dessin ? Moi mes études me prennent trop de temps. D’ailleurs j’ai des livres à acheter pour l’année prochaine maman.

— As-tu trouvé un job pour cet été ? me demande maman hésitante.

Et voilà, dès qu’on parle d’argent, elle revient à la charge avec un job à mi-temps en complément de mes études.

— Et non, pas encore. D’ailleurs, peut-être que je fais fausse route. J’ai besoin de repos après une année aussi dure. Je vais peut-être aller retrouver Mia à Tahiti cet été. Je te dirai pour le billet. Je ne sais pas, on va voir avec Gabriel.

Gros mensonge, qui je suis sûre, fout les boules à ma sœur.

— On verra Victoire, j’ai beaucoup de frais et je ne peux pas faire face à tout, me dit maman faiblement.

Elle me craint depuis toujours. Elle le voit en moi. Elle ne m’en a jamais parlé, mais je le sens.

— Toi, toi, toi, toujours toi, toi, toi ! T’inquiète, Olivia est là pour t’aider maintenant, dis-je en souriant. Oulala mais il n’est pas assez cuit ton apple pie ! Il est vraiment dégueu. De toute façon, j’arrête de manger du sucre. Je veux être parfaite dans ma petite robe rouge pour l’inauguration du pub de mon copain.

Que c’est bon de voir la souffrance que ça inflige à Olivia ! Tellement jouissif.

Pourquoi je la hais autant ? Il n’y a pas d’évènements précis. D’aussi loin que je me souvienne, nous étions différentes. Elle est la lumière, je suis l’ombre. Elle est la gentillesse, je suis le mal. Elle rayonne et attire les regards, les attentions. Pas moi. Je suis sa sœur, l’autre. Tout le temps où elle était là, Gabriel ne voyait que par elle. À présent, nouvelle donne. Il ne me regarde pas de la même façon, mais je sais qu’il y a un truc maintenant. J’en suis sûre. Et puis, c’est de leur faute si la famille a éclaté et que papa s’est retrouvé en prison. Elles l’ont poussé à bout. Je suis allée le voir toutes les semaines depuis son arrestation. Il a sombré, mais j’étais là pour lui. Il s’est beaucoup confié et m’a révélé nos petits secrets de famille. Il m’a dit de tenir bon, de rester à la maison, que maintenant je serai ses yeux et ses oreilles sur place. Il a dit : « On est en guerre Victoire. Nous avons perdu une bataille. Profil bas pour les endormir à présent. Patience, patience. Et quand on réapparaîtra, ce sera pour de bon ».

Sur ce, je finis mon thé et laisse tout en plan sur la table basse. Je monte dans ma chambre me préparer, au cas où les garçons m’appelleraient pour une soirée.

9

Nostalgie, quand tu nous tiens !

Le temps adoucit tout.

Voltaire

Olivia

J’aide maman à ranger et je monte mes affaires dans ma chambre. La dernière fois que j’ai franchi cette porte, ma mère était en sang par terre, mon père par-dessus. Ma tante pleurait. Joli portrait de famille.

J’ouvre la porte, non sans une petite appréhension, et replonge dans mon enfance. Maman a tout remis en ordre, comme si rien ne s’était passé, comme si je n’étais jamais partie. Je pose ma valise sur le lit. J’ai 14 ans à nouveau. Tout est là, à sa place. Tout le cadre de mon lit est décoré de photos, principalement de Gabriel et de moi. Nous étions si proches, quel gâchis ! Je ne peux pas me résoudre à les enlever, on était si bien ensemble. Je passe mes doigts dessus, je les effleure et revis ces moments. Au milieu de cet album photo mural, une image plus grande est punaisée par-dessus les autres. Je la prends dans mes mains et m’assois en tailleur sur mon lit. Je la fixe et l’approche de mon visage. Je ferme les yeux et la hume. Nous deux sur le ponton, en bas du chemin privé des Cooper. C’était notre endroit, notre bulle de protection. Mes yeux s’humidifient très rapidement à ce souvenir.