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Qui aurait imaginé trouver Nekfeu aux côtés d’Aragon à la même table ? Découvrir sur les mêmes pages la riche discographie de Dosseh et les thèmes de la littérature picaresque ? Examiner, dans une étude transversale, le genre du thriller psychologique en parallèle avec l’introspection étrange de Laylow ? C’est précisément le défi qui se dégage de cet ouvrage : confronter la littérature et le rap français, en révélant ainsi leurs liens secrets et mystérieux au carrefour des beaux-arts.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Adriano Bari, professeur de français, marie avec passion ses ambitions professionnelles à ses deux amours : le rap français et la littérature. Inspiré aussi bien par les grands auteurs classiques que par les influences musicales majeures de la scène rap contemporaine, il se lance aujourd’hui dans une exploration transversale de ces deux domaines artistiques, révélant des connexions plus profondes qu’on ne l’imagine.
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Seitenzahl: 170
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Adriano Bari
Pétales sur asphalte
Essai
© Lys Bleu Éditions – Adriano Bari
ISBN : 979-10-422-1244-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Jouissant depuis quelques années d’une exposition croissante et d’un âge d’or commercial sans précédent, le rap français coule actuellement de beaux jours, ce dernier réussissant à regrouper dans son vaste panorama musical une foule d’artistes talentueux et par extension achever le pari ambitieux, voire pour beaucoup chimérique, d’associer sans partage, qualité et quantité.
Cher lecteur, chère lectrice, bienvenue dans ce volume dédié à l’exploration double de la littérature et du rap français, cet ouvrage représentant pour vous comme pour moi l’occasion de poursuivre un voyage original à travers les dédales artistiques nichés au creux de nos casques audio et à l’ombre de nos bibliothèques. Une entreprise des plus palpitantes qui, afin d’être justement abordée, se doit néanmoins d’être associée à quelques recommandations.
Premièrement cet ouvrage est purement subjectif, ce dernier esquissant des parallèles entre le rap français et la littérature en se fondant sur des procédés littéraires et pistes d’analyses à la croisée des arts, une proposition parmi tant d’autres n’excluant donc en aucun cas votre interprétation personnelle ou celle d’un tiers. Deuxièmement le rap et la littérature sont des domaines considérés comme distincts et égaux, la passion des lettres opérant ainsi une jonction entre ces champs artistiques sans pour autant les confondre et/ou les hiérarchiser. Finalement l’optique choisie faisant du rapport au texte la principale clé de compréhension des œuvres abordées ne peut rendre grâce à toutes les nuances et particularités de ces dernières, les univers musicaux traités ne pouvant être entièrement cernés sous l’unique prisme du texte. Sur ce, partons à la rencontre des parallèles et connexions insoupçonnées liant, dans l’ombre, la littérature et le rap français, ces derniers n’attendant qu’un explorateur audacieux pour se dévoiler…
Orelsan et le théâtre ouvrent donc cette nouvelle exploration de la littérature et du rap français, le premier ayant changé le visage du courant musical par son audace et sa détermination tandis que le second est un genre littéraire vieux de plusieurs millénaires. À l’origine du plébiscité Civilisation et personnage principal d’un documentaire évènement, le rappeur caennais est actuellement à son apogée et si la tentation de rapprocher Orelsan à d’autres pans de la littérature telle que la fable ou le roman d’apprentissage est grande, c’est néanmoins par le biais du théâtre que nous comptons lever le rideau sur cette nouvelle analyse. Entre cour et jardin, voyons donc quels aspects littéraires légitiment un parallèle entre l’intemporel genre dramatique et cet univers musical dont le destin a toujours été loin d’être « perdu d’avance ».
En compagnie de Mehdi Maïzi pour un épisode du programme Le Code, Orelsan revient sur de nombreux aspects de son processus artistique, dont l’importance de la narration au sein de ses albums (le rappeur comparant directement leurs progressions à celle d’un film1). Cependant l’univers musical d’Orelsan emprunte également aux codes du théâtre, et ce, sur l’ensemble de sa discographie en solo comme en groupe, et s’il était extrêmement intéressant d’établir des comparaisons avec le 7e art focalisons-nous aujourd’hui sur le genre théâtral et ses enjeux s’installant à la croisée de la plume et de la scène.
Puisant ses origines dans l’antiquité grecque et ayant été théorisé par des auteurs tels qu’Aristote2, le théâtre est à la fois un genre littéraire et un art du spectacle, le secret de son alchimie résidant dans l’articulation de ces deux rouages principaux (soit le texte écrit d’une part et la représentation scénique d’une autre). Néanmoins plus de 2000 ans se sont écoulés depuis les thèses du penseur athénien et les représentations religieuses de la Grèce antique, par conséquent la conception du théâtre a évolué au gré des nombreux débats et œuvres majeures ponctuant l’histoire littéraire du genre si bien que ce dernier est à l’heure actuelle au même titre que le rap un domaine artistique s’hybridant continuellement et brillant par sa diversité de proposition. Nous choisirons donc comme point de départ de notre analyse une notion rendant grâce à cette idée faisant du théâtre un art englobant une multitude de codes et d’informations rattachées à différents niveaux de lecture, cette ossature cohérente de signaux formant ce que l’on nomme la « théâtralité » selon Roland Barthes3, critique littéraire et philosophe français du XXe siècle. Ainsi l’objectif de ce premier chapitre va être de relever les partis pris légitimant un rapprochement entre la discographie d’Orelsan et les codes du théâtre, les manifestations de cette théâtralité étant multiples et pouvant relever de choix très variés comme une histoire découpée en actes, l’insertion de dialogues dans une œuvre ou même certains archétypes de personnages. De plus, les possibilités sont décuplées par les caractéristiques associées aux différents genres théâtraux (comme la tragédie ou la comédie pour ne citer que les plus connus), la théâtralité relevant ici de tous les aspects qui vont évoquer de près ou de loin l’univers du théâtre au sein des différents albums d’un rappeur croisant les influences avec virtuosité et fulgurance.
Dans la nouvelle scène j’suis le seul qui sort du lot
J’suis l’seul écrivain potable depuis Victor Hugo
Jimmy Punchline, Orelsan
Dans l’évolution du rap français, l’arrivée d’Orelsan représente pour beaucoup une fracture notable, le rappeur caennais relatant la vie monotone d’un jeune provincial vivant à la campagne et dépeignant ainsi un cadre spatio-temporel bien éloigné de la proposition rap globale du moment. L’album Perdu d’avance paraît en 2009 et sert donc de portes d’entrée vers une routine lunaire où le rappeur retrace son quotidien rythmé par ses espoirs musicaux, un travail blasant, des échecs à répétition et un grand nombre de soirées trop alcoolisées, la présentation de ce cadre s’articulant autour de divers codes théâtraux contribuant à faire de ce projet l’acte d’exposition de l’œuvre proposée par Orelsan au grand public.
Un village paumé qui pue l’cafard
Tu passes tes soirées à boire ou à fumer au parc ou au lavoir4
No life, Orelsan
Pour rappel l’acte d’exposition relève traditionnellement d’un ensemble de scènes ouvrant une pièce de théâtre, pour le dramaturge l’enjeu est donc de taille, car il faut à la fois présenter le cadre spatio-temporel, les différents personnages principaux, la tonalité de la pièce et surtout les enjeux de l’histoire représentée. Chez Orelsan l’exposition va passer par l’agencement de ses punchlines, ces dernières étant à la fois des démonstrations techniques et informatives, le morceau Étoiles Invisibles par exemple incarne ce parti pris en ouvrant l’album et en annonçant le ton singulier du projet « Pantin, smicard d’nocturne à temps plein J’réfléchis à des trucs bizarres j’me fais des histoires sans fin Seul, face à l’homme dans le miroir, j’attends l’train J’vis tard, j’kiffe boire comme si y avait pas de lendemain ». De plus le rappeur met un point d’honneur à bien planter le décor des scènes atypiques qu’il décrit, que ce soit sur le titre Soirée Ratée et sa description un brin fataliste de virées nocturnes peu concluantes et répétitives « T’as pas d’salaire, t’as pas d’quoi te payer plus d’deux trois verres Toutes les semaines dans la même boîte avec les mêmes Nike Air » ou huit années plus tard sur le morceau Défaite de famille où le rappeur caricature un repas de famille en province à l’image d’un metteur en scène porté sur la satire « Puisqu’on est tous réunis ici, pour chanter “Les démons de minuit” Manger d’la mousse de canard sur des blinis, danser sous les stroboscopes de Gifi ». Cependant ce décor global n’est pas uniquement développé sous l’angle de la description pure et dure, les références à la culture geek et les innombrables anecdotes au ton second degré étayées par le rappeur donnent tout autant vie à ce cadre en le caractérisant, un procédé dans lequel Orelsan excelle et étant particulièrement saillant sur des titres comme l’anticonformiste Différent, À l’heure où je me couche avec Gringe (dans un registre plus mélancolique) ou le sublime Dans ma ville, on traîne, ode à l’errance et à l’amitié. Finalement cette volonté de représentation d’un réel routinier ne se limite pas au texte et a pu s’étendre jusqu’à la scène à l’instar du théâtre, en témoignent les premiers concerts d’Orelsan localisés à la salle de la Boule noire qui reproduisaient avec fidélité l’appartement du rappeur sur scène5, attestant une fois de plus de cette volonté d’immerger l’auditeur comme le public dans ce décor sous cloche où se partagent les anecdotes d’une bande de potes bloqués en province.
J’viens d’la France où on danse la chenille
Où on prend plus de caisses que des crash tests dummies
J’ai des potes diplômés, d’autres qu’ont pas lu deux livres
Qui sont sûrement sur un muret, dans les rues du centre-ville
La pluie, Orelsan featuring Stromae
Les limites du cadre étant soigneusement établies c’est désormais aux personnages de faire leurs entrées sur scène, le casting proposé par un Raelsan aux allures de marionnettiste servant différentes fins. Parlons tout d’abord du personnage principal qu’est Orelsan, incarnation initiale du looser prenant à contre-pied l’ego trip traditionnel pour évoluer, vaincre ses faiblesses et se dépasser à l’instar des plus grands héros de shonen6( « D’où j’viens, j’voulais qu’un peu d’soleil, être le héros d’mon propre shonen » – Shonen). Un esprit nekketsuesque poursuivi par les apparitions récurrentes de son cercle proche d’amis composé de Gringe, Ablaye et Skead, ces derniers l’ayant accompagné au fil de cette quête visant à atteindre le panthéon du rap français (« D’habitude, j’parle que d’mes défaites parce qu’on apprend seulement dans l’échec Orel et Gringe, Ablaye et Skread, j’aimais pas l’jeu, j’ai changé les règles »– Shonen). Dans un registre plus intime, Orelsan n’hésite pas à faire monter sa famille sur scène par le biais de poignants morceaux tels que Mes grands-parents ou La famille, la famille tandis qu’a contrario le titre Défaite de famille évoqué plus tôt conserve des personnages similaires, mais modifie totalement le registre, dressant ainsi un parallèle avec des acteurs récurrents, mais changeant de scènes au sein d’une même œuvre. Les personnages mis en avant peuvent également verser dans la caricature afin d’incarner certains stéréotypes et vices comme sur le titre Gros Poissons Dans Une Petite Mare où défilent des portraits ridiculisés, clichés et vaniteux7 alors que d’autres protagonistes témoignent à l’inverse de préoccupations sérieuses comme sur le morceau La petite marchande de porte-clefs, récit tragique et engagé. Ainsi les personnages s’associent aux cadres et scènes représentées par le rappeur comme l’on peut le constater de manière particulièrement aboutie sur le titre Manifeste, ce morceau axé sur un storytelling millimétré étant caractérisé par son cadre, ses enjeux et les interactions liant les protagonistes entre eux, un point nous permettant désormais d’aborder la question de la dramaturgie ou plus simplement : l’art du récit représenté.
Du grec « drama » qui peut être traduit par « action », la dramaturgie signifie l’art de construire une histoire et de composer avec sa représentation. À l’instar de la théâtralité, cette dernière va en grande partie se rattacher à des partis pris littéraires visant à donner vie à un récit structuré et dynamique, démarche particulièrement saillante sur le titre Manifeste mentionné précédemment où l’escalade de la violence se lie à une certaine mise en scène. Néanmoins cette dimension structurelle dépasse chez Orelsan l’échelle du morceau, les albums Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters et Le Chant des sirènes étant à mon sens deux cas d’école dont les architectures respectives font directement écho à deux monuments du genre théâtral.
Inscrite dans le courant du théâtre de l’absurde8, En attendant Godot (1952) est une pièce du cinglant Samuel Beckett mettant en scène deux vagabonds nommés Vladimir et Estragon, tous deux se retrouvant chaque soir pour attendre un certain Godot. Alors que Vladimir se berce d’illusions et qu’Estragon subit avec violence son quotidien pathétique, ce rituel d’attente est propice à des dialogues angoissants, des espoirs avortés et des rencontres surprenantes. Cela ne vous rappelle pas deux connards dans un abribus ? En effet le parallèle entre cette pièce décrivant un duo au quotidien cyclique et le premier projet des Casseurs Flowters nous exposant une journée type et répétitive relève selon moi de l’évidence. Ainsi, Vladimir et Estragon se reflètent dans Orelsan et Gringe, les quatre personnages étant caractérisés par une errance fataliste, la même journée étant destinée à se répéter malgré les attentes chimériques des personnages, qu’il s’agisse de Godot pour les deux vagabonds ou d’un avenir palpitant pour le duo de rappeurs.
Rameute la fine équipe, toute la nuit, on va traîner
Tu trouves jamais d’taf, faut qu’t’arrêtes de traîner
Pourquoi j’ai toujours la même tête sur les photos ?
Depuis vingt ans, les mêmes potes sur les photos
Y’en a toujours un qu’a les yeux rouges sur les photos
Tu roules comme un meurtrier, radar, flash : photo
18 h 30 Bloqué, Orelsan & Gringe
Un élément clé de la progression des deux œuvres qui s’étoffe au fil de leurs dialogues respectifs, l’album Orelsan et Gringe sont les Casseurs Flowters faisant intervenir de nombreux personnages annonçant les enjeux pessimistes de l’album au cours d’échanges répartis sur une chronologie minutieusement détaillée. Ces conversations assumées s’intègrent donc à des thèmes et scènes récurrents allant du réveil difficile à la soirée en passant par l’iconique arrêt de bus, l’errance étant la seule réponse aux attentes des producteurs réclamant un nouveau morceau, élément déclencheur et conclusion récidiviste de ce récit guidé par la procrastination. Puis une nouvelle journée débute, les enjeux de la veille remontent à la surface afin de poursuivre la pérennité de ce cycle infernal, donnant lieu à un second récit étayé sur l’album suivant intitulé Comment c’est loin qui reproduira fidèlement ce schéma journalier (« Clope sur clope, en boucle J’ai qu’un seul bonnet, en boucleSur le canapé, en boucle Toujours avec les mêmes potes, en boucleLe même survêt', en boucle On fait les mêmes blagues de merde, en boucleSur le même trajet, en boucle Et j’me dis qu’j’vais changer, en boucle » – En boucle). Et si dans un premier temps les thèmes et scènes se calquent littéralement sur le cycle précédent, l’album nous prendra néanmoins à contre-pied en brisant la boucle, en refusant de laisser l’histoire inachevée.
L’album Le Chant des sirènes quant à lui peut être rapproché de la tragédie grecque9 par le biais de la pièce Antigone (441 av. J.-C.), œuvre majeure du théâtre antique et fruit du génie de Sophocle, l’un des trois grands tragiques grecs. Héritière d’une famille maudite, Antigone s’oppose à son oncle le roi Créon qui, pour des motifs politiques, se refuse à enterrer dignement les frères de notre personnage éponyme. La confrontation au tyran mènera cette dernière à la mort et jettera ainsi le malheur sur Créon et sa famille qui par cette cruelle injustice s’est opposé à la volonté des Dieux. Si la comparaison est peu évidente de prime abord c’est une fois de plus sur le plan de la progression qu’un pont s’établit entre les deux œuvres : Le Chant des sirènes étant au même titre que la pièce une escalade funeste des événements. Faisant l’état des lieux d’une nouvelle réalité vécue par Orelsan qu’est celle du show-biz et de ses excès, le projet tisse au fil de ses morceaux divers constats pessimistes affectant profondément le rappeur, démarche qui va alourdir progressivement le ton de cet album relevant plus de la descente aux enfers que du récit initiatique. Et tout comme dans la tragédie grecque, la notion de fatalité, de chute inévitable, est au cœur de l’évolution du projet, cette dernière s’incarnant autour de scènes corrosives matérialisant cette déchéance tendant vers le désastre. De ce fait l’enchaînement des morceaux aggrave petit à petit la situation initiale.
Où sont passées les sirènes ?Regarde autour de moi tous ces gens remplis d’haine.
Après l’ivresse vient la migraine Au final, j’crois qu’j’me suis fait bouffer par le système.
Le chant des sirènes, Orelsan
Ainsi le premier segment de l’album présage ces convictions autodestructrices (et par extension le drame à venir) alors qu’Antigone scelle son destin dès le début de la pièce en bravant l’interdiction du roi (la sentence prévue étant la mort). Par la suite, la tension vers le malheur progresse par l’agencement d’idées noires et de constats acides sur la société et l’industrie musicale pour le rappeur tandis qu’en parallèle l’héroïne se confronte à un tyran qui dans son orgueil se refuse à la gracier malgré l’exigence des Dieux. C’est alors que survient la Catastrophe ou conclusion théâtrale du malheur annoncé : Antigone est exécutée et Créon est puni par les Dieux pour son jugement via le suicide de ses proches alors que de son côté Orelsan érige sur le morceau Suicide social un amalgame amer de stéréotypes symbolisant le point de rupture prophétisé, à la suite de cette implosion misanthrope se présentant la Mort en personne sur l’outro lugubrement nommée Elle viendra quand même. De ce fait cette apparition de la faucheuse clôture funestement et tragiquement l’album.
La notion de fatalité ayant empreint l’univers d’Orelsan comme le théâtre se manifeste donc de plusieurs manières afin d’incarner les troubles d’une jeunesse isolée en manque de perspectives ou les affres labyrinthiques de la célébrité. Premièrement elle peut être cyclique : la routine nocive qu’elle engendre devenant une prison cruelle, monotone, irrévocable et infinie où toutes possibilités d’évolutions avortent.
Hier et demain sont la même journée, la boucle est bouclée.
J’essaye, j’essaye, Orelsan
Dans un autre créneau, la fatalité peut également prendre le parti de la descente aux enfers où les évènements tendent vers un point de rupture catastrophique, annoncé, inévitable et propice à la délivrance d’un enseignement ou d’une critique. Une conception beaucoup plus proche des critères de l’antiquité que sa précédente et qui conduit naturellement à une conclusion cathartique.
On s’bat pour être à l’avant dans un avion qui va droit vers le crash.
L’odeur de l’essence, Orelsan
Finalement la fatalité peut également s’institutionnaliser, les destinées étant assignées par des autorités supérieures au sein d’un ordre sociétal au plafond de verre systématique. Par cette troisième définition, Orelsan peut émettre diverses critiques et transmettre un message plus politisé qu’il soit humaniste, social ou tourné vers l’écologie.
Piégé dans notre propre système, prisonnier dans une sauvegarde bloquante.
Civilisation, Orelsan
Puissance souveraine aux nombreux visages, la notion de fatalité est donc un thème de prédilection rattaché au théâtre comme au rap, son invocation guidant les antiques et les contemporains dans l’expression de leurs arts respectifs et de leurs rapports au monde. Mais en dépit de cette autorité traversant les siècles, l’espoir a un rôle à jouer chez Orelsan, ce dernier soutenant l’existence d’un éternel recommencement, le symbole du cycle ne faisant plus uniquement écho à la roue implacable du destin, mais étant également un symbole de renaissance comme l’indique la formule générique « tout se transforme et rien ne se perd »inspirée par la citation apocryphe du chimiste Lavoisier et étant le fil rouge de l’album Civilisation. Et tout comme le mythique phénix renaissant de ses cendres, le rappeur s’instruit de ses échecs, expériences et désillusions à travers les cycles qu’il a traversés, traverse et traversera, les points de conclusions nostalgiques étant également la promesse d’une nouvelle aube, comme le soutient si bien le titre intitulé Épilogue « Parfois, les chemins s’séparent, Mais les erreurs se réparent, Et la ligne d’arrivée est souvent la ligne de départ ».