Pierre et Camille - Alfred de Musset - E-Book

Pierre et Camille E-Book

Alfred De Musset

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Beschreibung

Camille, fille de Monsieur et Madame des Arcis, est une très belle enfant. Cependant, elle est née sourde au grand désespoir de ses parents. Alors que son père prend ses distances vis à vis d'elle et de sa mère. Cette dernière, malgré le chagrin, veut le bonheur de sa fille même si elle ne sait pas comment faire.

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Pierre et Camille

Pierre et CamilleIIIIIIIVVVIVIIVIIIIXXPage de copyright

Pierre et Camille

 Alfred de Musset

I

Le chevalier des Arcis, officier de cavalerie, avait quitté le service en 1760. Bien qu’il fût jeune encore, et que sa fortune lui permît de paraître avantageusement à la cour, il s’était lassé de bonne heure de la vie de garçon et des plaisirs de Paris. Il se retira près du Mans, dans une jolie maison de campagne. Là, au bout de peu de temps, la solitude, qui lui avait d’abord été agréable, lui sembla pénible. Il sentit qu’il lui était difficile de rompre tout à coup avec les habitudes de sa jeunesse. Il ne se repentit pas d’avoir quitté le monde ; mais, ne pouvant se résoudre à vivre seul, il prit le parti de se marier, et de trouver, s’il était possible, une femme qui partageât son goût pour le repos et pour la vie sédentaire qu’il était décidé à mener.

Il ne voulait point que sa femme fût belle ; il ne la voulait pas laide, non plus ; il désirait qu’elle eût de l’instruction et de l’intelligence, avec le moins d’esprit possible ; ce qu’il recherchait par-dessus tout, c’était de la gaieté et une humeur égale, qu’il regardait, dans une femme, comme les premières des qualités.

La fille d’un négociant retiré, qui demeurait dans le voisinage, lui plut. Comme le chevalier ne dépendait de personne, il ne s’arrêta pas à la distance qu’il y avait entre un gentilhomme et la fille d’un marchand. Il adressa à la famille une demande qui fut accueillie avec empressement. Il fit sa cour pendant quelques mois, et le mariage fut conclu.

Jamais alliance ne fut formée sous de meilleurs et de plus heureux auspices. À mesure qu’il connut mieux sa femme, le chevalier découvrit en elle de nouvelles qualités et une douceur de caractère inaltérable. Elle, de son côté, se prit pour son mari d’un amour extrême. Elle ne vivait qu’en lui, ne songeait qu’à lui complaire, et, bien loin de regretter les plaisirs de son âge qu’elle lui sacrifiait, elle souhaitait que son existence entière pût s’écouler dans une solitude qui, de jour en jour, lui devenait plus chère.

Cette solitude n’était cependant pas complète. Quelques voyages à la ville, la visite régulière de quelques amis y faisaient diversion de temps en temps. Le chevalier ne refusait pas de voir fréquemment les parents de sa femme, en sorte qu’il semblait à celle-ci qu’elle n’avait pas quitté la maison paternelle. Elle sortait souvent des bras de son mari pour se retrouver dans ceux de sa mère, et jouissait ainsi d’une faveur que la Providence accorde à bien peu de gens, car il est rare qu’un bonheur nouveau ne détruise pas un ancien bonheur.

M. des Arcis n’avait pas moins de douceur et de bonté que sa femme ; mais les passions de sa jeunesse, l’expérience qu’il paraissait avoir faite des choses de ce monde, lui donnaient parfois de la mélancolie. Cécile (ainsi se nommait madame des Arcis) respectait religieusement ces moments de tristesse. Quoiqu’il n’y eût en elle, à ce sujet, ni réflexion ni calcul, son cœur l’avertissait aisément de ne pas se plaindre de ces légers nuages qui détruisent tout dès qu’on les regarde, et qui ne sont rien quand on les laisse passer.

La famille de Cécile était composée de bonnes gens, marchands enrichis par le travail, et dont la vieillesse était, pour ainsi dire, un perpétuel dimanche. Le chevalier aimait cette gaieté du repos, achetée par la peine, et y prenait part volontiers. Fatigue des mœurs de Versailles et même des soupers de mademoiselle Quinault, il se plaisait à ces façons un peu bruyantes, mais franches et nouvelles pour lui.

Cécile avait un oncle, excellent homme, meilleur convive encore, qui s’appelait Giraud. Il avait été maître maçon, puis il était devenu peu à peu architecte ; à tout cela il avait gagné une vingtaine de mille livres de rente. La maison du chevalier était fort à son goût, et il y était toujours bien reçu, quoiqu’il y arrivât quelquefois couvert de plâtre et de poussière ; car, en dépit des ans et de ses vingt mille livres, il ne pouvait se tenir de grimper sur les toits et de manier la truelle. Quand il avait bu quelques coups de Champagne, il fallait qu’il pérorât au dessert.

— Vous êtes heureux, mon neveu, disait-il souvent au chevalier : vous êtes riche, jeune, vous avez une bonne petite femme, une maison pas trop mal bâtie ; il ne vous manque rien, il n’y a rien à dire ; tant pis pour le voisin s’il s’en plaint. Je vous dis et répète que vous êtes heureux.

Un jour, Cécile, entendant ces mots, et se penchant vers son mari :

— N’est-ce pas, lui dit-elle, qu’il faut que ce soit un peu vrai, pour que tu te le laisses dire en face ?

Madame des Arcis, au bout de quelque temps, reconnut qu’elle était enceinte. Il y avait derrière la maison une petite colline d’où l’on découvrait tout le domaine. Les deux époux s’y promenaient souvent ensemble. Un soir qu’ils y étaient assis sur l’herbe :

— Tu n’as pas contredit mon oncle l’autre jour, dit Cécile. Penses-tu cependant qu’il eût tout à fait raison ? Es-tu parfaitement heureux ?

— Autant qu’un homme peut l’être, répondit le chevalier, et je ne vois rien qui puisse ajouter à mon bonheur.

— Je suis donc plus ambitieuse que toi, reprit Cécile, car il me serait aisé de te citer quelque chose qui nous manque ici, et qui nous est absolument nécessaire.

Le chevalier crut qu’il s’agissait de quelque bagatelle, et qu’elle voulait prendre un détour pour lui confier un caprice de femme. Il fit, en plaisantant, mille conjectures, et à chaque question, les rires de Cécile redoublaient. Tout en badinant ainsi, ils s’étaient levés et ils descendaient la colline. M. des Arcis doubla le pas, et, invité par la pente rapide, il allait entraîner sa femme, lorsque celle-ci s’arrêta, et s’appuyant sur l’épaule du chevalier :

— Prends garde, mon ami, lui dit-elle, ne me fais pas marcher si vite. Tu cherchais bien loin ce que je te demandais ; nous l’avons là sous mes paniers.

Presque tous leurs entretiens, à compter de ce jour, n’eurent plus qu’un sujet ; ils ne parlaient que de leur enfant, des soins à lui donner, de la manière dont ils l’élèveraient, des projets qu’ils formaient déjà pour son avenir. Le chevalier voulut que sa femme prît toutes les précautions possibles pour conserver le trésor qu’elle portait. Il redoubla pour elle d’attentions et d’amour ; et tout le temps que dura la grossesse de Cécile ne fut qu’une longue et délicieuse ivresse, pleine des plus douces espérances.

Le terme fixé par la nature arriva ; un enfant vint au monde, beau comme le jour. C’était une fille, qu’on appela Camille. Malgré l’usage général et contre l’avis même des médecins, Cécile voulut la nourrir elle-même. Son orgueil maternel était si flatté de la beauté de sa fille, qu’il fut impossible de l’en séparer ; il était vrai que l’on n’avait vu que bien rarement à un enfant nouveau-né des traits aussi réguliers et aussi remarquables ; ses yeux surtout, lorsqu’ils s’ouvrirent à la lumière, brillèrent d’un éclat extraordinaire. Cécile, qui avait été élevée au couvent, était extrêmement pieuse. Ses premiers pas, dès qu’elle put se lever, furent pour aller à l’église rendre grâces à Dieu.

Cependant, l’enfant commença à prendre des forces et à se développer. À mesure qu’elle grandissait, on fut surpris de lui voir garder une immobilité étrange. Aucun bruit ne semblait la frapper ; elle était insensible à ces mille discours que les mères adressent à leurs nourrissons ; tandis qu’on chantait en la berçant, elle restait les yeux fixes et ouverts, regardant avidement la clarté de la lampe, et ne paraissant rien entendre. Un jour qu’elle était endormie, une servante renversa un meuble ; la mère accourut aussitôt, et vit avec étonnement que l’enfant ne s’était pas réveillée. Le chevalier fut effrayé de ces indices trop clairs pour qu’on pût s’y tromper. Dès qu’il les eut observés avec attention, il comprit à quel malheur sa fille était condamnée. La mère voulut en vain s’abuser, et, par tous les moyens imaginables, détourner les craintes de son mari. Le médecin fut appelé, et l’examen ne fut ni long ni difficile. On reconnut que la pauvre Camille était privée de l’ouïe, et par conséquent de la parole.

II

La première pensée de la mère avait été de demander si le mal était sans remède, et on lui avait répondu qu’il y avait des exemples de guérison. Pendant un an, malgré l’évidence, elle conserva quelque espoir ; mais toutes les ressources de l’art échouèrent, et, après les avoir épuisées, il fallut enfin y renoncer.