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Van Buck, riche négociant, venu tancer son neveu Valentin pour ses dettes, le somme de se marier. Le jeune homme ne consent a épouser la jeune fille qu'il lui propose, Mlle de Mantes, que si elle résiste a sa stratégie de séduction. Il se rendra donc incognito au château. La Baronne discute a bâtons rompus avec son abbé et sa fille, Cécile, qui prend une leçon de danse, quand Van Buck apparaît pour lui glisser a l'oreille que le mariage est rompu. On annonce qu'un jeune homme vient de verser devant la grille...
Cette petite piece, dont le comique est léger et spirituel, s'apparente au genre du proverbe : maximes et sentences abondent, tout comme lieux communs emphatiques ou triviaux dont se moque l'auteur par le biais de Valentin. Valentin qui finira pourtant par abdiquer devant leur bon sens comme l'indique la réplique finale : «Mon oncle, il ne faut jurer de rien».
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Seitenzahl: 69
La chambre de Valentin.
VALENTIN, assis. – Entre VAN BUCK.
VAN BUCK.
Monsieur mon neveu, je vous souhaite le bonjour.
VALENTIN.
Monsieur mon oncle, votre serviteur.
VAN BUCK.
Restez assis ; j’ai à vous parler.
VALENTIN.
Asseyez-vous ; j’ai donc à vous entendre. Veuillez vous mettre dans la bergère, et poser là votre chapeau.
VAN BUCK, s’asseyant.
Monsieur mon neveu, la plus longue patience et la plus robuste obstination doivent, l’une ou l’autre, finir tôt ou tard. Ce qu’on tolère devient intolérable, incorrigible ce qu’on ne corrige pas ; et qui vingt fois a jeté la perche à un fou qui veut se noyer, peut être forcé un jour ou l’autre de l’abandonner ou de périr avec lui.
VALENTIN.
Oh ! oh ! voilà qui est débuter, et vous avez là des métaphores qui se sont levées de grand matin.
VAN BUCK.
Monsieur, veuillez garder le silence, et ne pas vous permettre de me plaisanter. C’est vainement que les plus sages conseils, depuis trois ans, tentent de mordre sur vous. Une insouciance ou une fureur aveugle, des résolutions sans effet, mille prétextes inventés à plaisir, une maudite condescendance, tout ce que j’ai pu ou puis faire encore (mais, par ma barbe ! je ne ferai plus rien !)… Où me menez-vous à votre suite ? Vous êtes aussi entêté…
VALENTIN.
Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère.
VAN BUCK.
Non, monsieur ; n’interrompez pas. Vous êtes aussi obstiné que je me suis, pour mon malheur, montré crédule et patient. Est-il croyable, je vous le demande, qu’un jeune homme de vingt-cinq ans passe son temps comme vous le faites ? De quoi servent mes remontrances, et, quand prendrez-vous un état ? Vous êtes pauvre, puisqu’au bout du compte vous n’avez de fortune que la mienne ; mais, finalement, je ne suis pas moribond, et je digère encore vertement. Que comptez-vous faire d’ici à ma mort ?
VALENTIN.
Mon oncle Van Buck, vous êtes en colère, et vous allez vous oublier.
VAN BUCK.
Non, monsieur ; je sais ce que je fais. Si je suis le seul de la famille qui se soit mis dans le commerce, c’est grâce à moi, ne l’oubliez pas, que les débris d’une fortune détruite ont pu encore se relever. Il vous sied bien de sourire quand je parle ! Si je n’avais pas vendu du guingan à Anvers, vous seriez maintenant à l’hôpital avec votre robe de chambre à fleurs. Mais, Dieu merci, vos chiennes de bouillottes…
VALENTIN.
Mon oncle Van Buck, voilà le trivial ; vous changez de ton, vous vous oubliez ; vous avez mieux commencé que cela.
VAN BUCK.
Sacrebleu ! tu te moques de moi ! Je ne suis bon apparemment qu’à payer tes lettres de change ? J’en ai reçu une ce matin : soixante louis ! te railles-tu des gens ? Il te sied bien de faire le fashionable (que le diable soit des mots anglais !), quand tu ne peux pas payer ton tailleur ! C’est autre chose de descendre d’un beau cheval pour retrouver au fond d’un hôtel une bonne famille opulente, ou de sauter à bas d’un carrosse de louage pour grimper deux ou trois étages. Avec tes gilets de satin, tu demandes, en rentrant du bal, ta chandelle à ton portier, et il regimbe quand il n’a pas eu ses étrennes. Dieu sait si tu les lui donnes tous les ans ! Lancé dans un monde plus riche que toi, tu puises chez tes amis le dédain de toi-même ; [tu portes ta barbe en pointe et tes cheveux sur les épaules, comme si tu n’avais pas seulement de quoi acheter un ruban pour te faire une queue.] Tu écrivailles dans les gazettes ; [tu es capable de te faire saint-simonien quand tu n’auras plus ni sou ni maille, et cela viendra, je t’en réponds.] Va, va ! un écrivain public est plus estimable que toi. Je finirai par te couper les vivres, et tu mourras dans un grenier.
VALENTIN.
Mon bon oncle Van Buck, je vous respecte et je vous aime. Faites-moi la grâce de m’écouter. Vous avez payé ce matin une lettre de change à mon intention. Quand vous êtes venu, j’étais à la fenêtre et je vous ai vu arriver ; vous méditiez un sermon juste aussi long qu’il y a d’ici chez vous. Épargnez, de grâce, vos paroles. Ce que vous pensez, je le sais ; ce que vous dites, vous ne le pensez pas toujours ; ce que vous faites, je vous en remercie. Que j’aie des dettes et que je ne sois bon à rien, cela se peut ; qu’y voulez-vous faire ? Vous avez soixante mille livres de rente…
VAN BUCK.
Cinquante.
VALENTIN.
Soixante, mon oncle ; vous n’avez pas d’enfants, et vous êtes plein de bonté pour moi. Si j’en profite, où est le mal ? Avec soixante bonnes mille livres de rente…
VAN BUCK.
Cinquante, cinquante ; pas un denier de plus.
VALENTIN.
Soixante ; vous me l’avez dit vous-même.
VAN BUCK.
Jamais. Où as-tu pris cela ?
VALENTIN.
Mettons cinquante. Vous êtes jeune, gaillard encore, et bon vivant. Croyez-vous que cela me fâche, et que j’aie soif de votre bien ? Vous ne me faites pas tant d’injure ; et vous savez que les mauvaises têtes n’ont pas toujours les plus mauvais cœurs. Vous me querellez de ma robe de chambre : vous en avez porté bien d’autres. [Ma barbe en pointe ne veut pas dire que je sois un saint-simonien : je respecte trop l’héritage.] Vous vous plaignez de mes gilets : voulez-vous qu’on sorte en chemise ? Vous me dites que je suis pauvre et que mes amis ne le sont pas : tant mieux pour eux, ce n’est pas ma faute. Vous imaginez qu’ils me gâtent et que leur exemple me rend dédaigneux : je ne le suis que de ce qui m’ennuie, et puisque vous payez mes dettes, vous voyez bien que je n’emprunte pas. Vous me reprochez d’aller en fiacre : c’est que je n’ai pas de voiture. Je prends, dites-vous, en rentrant, ma chandelle chez mon portier ; c’est pour ne pas monter sans lumière ; à quoi bon se casser le cou ? Vous voudriez me voir un état : faites-moi nommer premier ministre, et vous verrez comme je ferai mon chemin. Mais quand je serai surnuméraire dans l’entre-sol d’un avoué, je vous demande ce que j’y apprendrai, sinon que tout est vanité. Vous dites que je joue à la bouillotte : c’est que j’y gagne quand j’ai brelan ; mais soyez sûr que je n’y perds pas plus tôt que je me repens de ma sottise. Ce serait, dites-vous, autre chose si je descendais d’un beau cheval pour entrer dans un bon hôtel : je le crois bien ! vous en parlez à votre aise. Vous ajoutez que vous êtes fier, quoique vous ayez vendu du guingan ; et plût à Dieu que j’en vendisse ! ce serait la preuve que je pourrais en acheter. [Pour ma noblesse, elle m’est aussi chère qu’elle peut vous l’être à vous-même ; mais c’est pourquoi je ne m’attelle pas, ni plus que moi les chevaux de pur sang.] Tenez ! mon oncle, ou je me trompe, ou vous n’avez pas déjeuné. Vous êtes resté le cœur à jeun sur cette maudite lettre de change : avalons-la de compagnie, je vais demander le chocolat.
Il sonne. On sert à déjeuner.
VAN BUCK.
Quel déjeuner ! Le diable m’emporte ! tu vis comme un prince.
VALENTIN.
Eh ! que voulez-vous ? quand on meurt de faim, il faut bien tâcher de se distraire.
Ils s’attablent.
VAN BUCK.
Je suis sûr que, parce que je me mets là, tu te figures que je te pardonne.
VALENTIN.
Moi ? Pas du tout. Ce qui me chagrine, lorsque vous êtes irrité, c’est qu’il vous échappe malgré vous des expressions d’arrière-boutique. Oui, sans le savoir, vous vous écartez de cette fleur de politesse qui vous distingue particulièrement ; mais quand ce n’est pas devant témoins, vous comprenez que je ne vais pas le dire.
VAN BUCK.
C’est bon, c’est bon ; il ne m’échappe, rien. Mais brisons-la, et parlons d’autre chose. Tu devrais bien te marier.
VALENTIN.
Seigneur, mon Dieu ! qu’est-ce que vous dites ?
VAN BUCK.
Donne-moi à boire. Je dis que tu prends de l’âge et que tu devrais te marier.
VALENTIN.
Mais, mon oncle, qu’est-ce que je vous ai fait ?
VAN BUCK.
Tu m’as fait des lettres de change. Mais quand tu ne m’aurais rien fait, qu’a donc le mariage de si effroyable ? Voyons, parlons sérieusement. Tu serais, parbleu ! bien à plaindre quand on te mettrait ce soir dans les bras une jolie fille bien élevée, avec cinquante mille écus sur la table pour t’égayer demain matin au réveil. Voyez un peu le grand malheur, et comme il y a de quoi faire l’ombrageux ! Tu as des dettes, je te les payerai ; une fois marié, tu te rangeras. Mademoiselle de Mantes a tout ce qu’il faut…
VALENTIN.
Mademoiselle de Mantes ! Vous plaisantez ?
VAN BUCK.
Puisque son nom m’est échappé, je ne plaisante pas. C’est d’elle qu’il s’agit, et si tu veux…
VALENTIN.