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Le lien « droits de l’Homme et changements climatiques » présente un double aspect. D’une part, les changements climatiques portent atteinte aux droits de l’Homme par leurs effets néfastes sur certaines populations (droit à la vie, droit à l’alimentation, droit à l’eau, droit à la santé et au logement). La difficulté consiste alors à établir un lien direct entre les nuisances imputées aux changements climatiques et les actes ou omissions de certains États.
D’autre part, les mesures d’atténuation (mitigation) et d’adaptation aux changements climatiques peuvent être attentatoires aux droits de l’Homme. Ces mesures peuvent générer des « effets secondaires » dommageables sur certaines populations qui ne sont pas toujours prises en compte dans les politiques conduites. C’est donc le contenu de la politique climatique présente et future qui est ici visé et particulièrement ses conséquences à court ou long terme sur les populations vulnérables. Ce lien « droits de l’Homme et changements climatiques » est au cœur des nouvelles compétences de l’Union européenne.
Sa gouvernance et ses actions futures face à ces défis sont de différentes natures : juridiques, politiques, diplomatiques, financières, techniques et démocratiques. Les exigences en termes de droits de l’Homme impliquent une politique climatique de l’Union européenne plus transparente, mais aussi plus équitable, afin de favoriser l’acceptation des efforts à accomplir pour réformer les modes de vie, de production et de consommation vers un développement durable pour tous. Parallèlement, l’enjeu climatique suppose une interprétation évolutive, modernisée et volontariste des droits de l’Homme, afin qu’émerge un véritable droit à l’environnement, dont les corollaires comprendraient le droit à l’énergie durable, aux services publics relatifs à la mobilité ou encore à l’habitat vert et efficace sur le plan énergétique.
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© Groupe Larcier s.a., 2013 Éditions Bruylant Rue des Minimes, 39 • B-1000 Bruxelles
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ISBN : 978-2-8027-4274-6
Dans la même collection in the present series
1. Social Rights and Market Forces : is the open coordonation of employement and social policies the future of social Europe ?, edited bu Olivier De Schutter ans Simon Deakin, 2005.
2. L’avenir de la libre circulation des personnes dans l’U.E. The Future of Free Movement of Persons in the EU, edited by Jean-Yves Carlier and Elspeth Guild, 2006.
3. Droits de l’homme et migrations, De la protection du migrant aux droits de la personne migrante, par Sylvie Saroléa, 2006.
4. Égalité et non-discrimination dans la jurisprudence communautaire. Étude critique à la lumière d’une approche comparatiste, par Denis Martin, 2006.
5. Diversité culturelle et droits de l’homme. L’émergence de la problématique des minorités dans le droit de la convention européenne des droits de l’homme, par Julie Ringhelhem, 2006.
6. Ethnic Monitoring. The Processus of racial and ethnic data in anti-discrimination policies : reconciling the promotion of equality with privacy rights, by Julie Ringelheim and Olivier De Schutter, 2009.
7. The European Social Charter : a social constitution for Europe. La Charte sociale européenne : une constitution sociale pour l’Europe, Coord. Oliver De Schutter, 2009.
8. Non-Judicial Mechanisms for the Interpretation of Human Rights in European States, by Gauthier de Beco, 2009.
9. Human Rights in the Web of Governance : towards a learningbased fundamental rights policy for the European Union, edited by Oliver De Schutter and Violeta Moreno Lax, 2010.
10. Le droit de la diversité culturelle, sous la direction de Julie Ringhelheim, 2011.
11. Brevet, santé publique et accès aux médicaments essentiels. Une fin de droit ?, par Daniel de Beer, 2011.
À Clarisse, Alice et les générations futures !
Nous exprimons tous nos remerciements à la Direction générale des politiques externes du Parlement européen qui a financé une première étude sur les Droits de l’Homme et les changements climatiques parue en 2012 (1), au Centre d’études et de recherches administratives et politiques (CERAP), au Conseil scientifique de l’Université Paris 13, ainsi qu’à l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris) pour leurs supports et / ou leurs aides financières à la publication de cet ouvrage.
Ce travail de recherche a été réalisé grâce au soutien de l’ANR CIRCULEX (ANR-12-GLOB-0001-03 CIRCULEX) et au programme EXCLIM (GICC).
Nous remercions vivement les contributeurs de cet ouvrage pour leur collaboration tout au long de l’élaboration du manuscrit.
(1) Ch. Cournil et A.-S. Tabau (dir.), Human Rights and Climate change : EU policy Options, Report for European Parliament, Directorate General For External Policies, DROI, n° EXPO/B/DROIT/2011, 20, August 2012, 135 p. http://www.europarl.europa.eu/committees/fr/studiesdownload.html ?languageDocument=EN&file=76255.
Human rights are not things that are put on the table for people to enjoy. There are things you fight for and then you protect.
Wangari Maathai
Christel Cournil est Maître de conférences en droit public (Habilitée à diriger des recherches) à l’Université Paris 13 (PRES Sorbonne Paris Cité). Elle est membre de l’Institut de recherche interdisciplinaire sur les enjeux sociaux (Iris) et membre associé au Centre d’études et de recherches administratives et politiques (CERAP). Elle a publié sa thèse chez L’Harmattan en 2005 sur le statut interne de l’étranger et les normes supranationales. Depuis elle mène des recherches sur les droits de l’Homme, le droit des étrangers et le droit de l’environnement. Elle travaille notamment sur les migrations environnementales et le droit international des migrations. Elle est membre du Projet de recherche EXCLIM, « Gérer les déplacements des populations liés aux phénomènes climatiques extrêmes » (2009-2012), financé par le programme Gestion et Impact des Changements Climatiques (Ministère de l’environnement). Dans ce cadre, elle a coordonné l’axe transversal sur la mise à l’agenda des migrations climatiques. Elle a co-dirigé un projet de recherche pour le Parlement européen Human Rights and Climate change : EU policy Options en 2012 et a participé à un projet CNRS NEEDS sur les déplacés de Fukushima (2012). Elle est actuellement membre du projet ANR CIRCULEX sur la Circulation de normes et réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement (2013-2016). Elle a dirigé avec Catherine Fabregoule deux ouvrages collectifs sur les « Changements climatiques et défis du droit » (Bruylant, 2010) et sur les « Changements environnementaux globaux et les droits de l’Homme » (Bruylant, 2012). Depuis 2013, elle rédige et coordonne la Chronique « Droits de l’Homme & environnement » du Journal européen des droits de l’Homme. En 2010, ses activités de recherches et d’enseignement ont été récompensées par une Prime d’excellence scientifique à l’Université Paris 13 (attribution pour 2010-2014).
Anne-Sophie Tabau est Maître de conférences en droit public à l’Université Paris 13 (PRES Sorbonne Paris Cité), membre du Centre d’études et de recherches administratives et politiques (CERAP) et chercheur associée du Centre d’études et de recherches internationales et communautaires (CERIC). Depuis 2012, elle est titulaire de la Chaire Jean Monnet de l’Université Paris 13, sur le thème de L’Union européenne : entre pluralisme interne et identité externe. Elle a publié sa thèse aux éditions Bruylant en 2011, La mise en œuvre du Protocole de Kyoto en Europe, interactions des contrôles international et communautaire. Elle travaille principalement sur l’effectivité du droit international de l’environnement. À cet égard, elle a participé à plusieurs programmes de recherches collectifs et publié divers articles sur le rôle de l’Union européenne, celui des pays émergents, la place des experts, l’enjeu du financement, le recours aux outils économiques et les nouvelles formes de responsabilité internationale. Elle tient une chronique trimestrielle sur l’actualité internationale des négociations relatives au climat. Elle a contribué au programme de recherche SHARES (www.shares.nl) en intervenant sur la responsabilité partagée de l’Union européenne et ses États membres. Plus récemment, ses recherches se sont dirigées vers les droits de l’Homme. Elle a participé à un projet sur la question prioritaire de constitutionnalité (financement Mission droit et justice, 2010-2013), a co-dirigé, avec Christel Cournil, la réalisation d’une expertise destinée à alimenter les travaux du Parlement européen, Human Rights and Climate Change : EU Policy Options (2012) et contribue à une chronique annuelle sur le lien entre droits de l’Homme et environnement. Elle participe, également, au comité de pilotage du programme de recherche CIRCULEX (financement de l’ANR) sur la Circulation de normes et réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement (2013-2016).
Isabell Büschel est docteur en droit public, membre de l’Institut d’Éthique Biomédicale de l’Université de Bâle (IBMB) et membre associé du Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC, UMR 7318, CNRS / Aix-Marseille Université). Sa thèse de doctorat porte sur l’étude des rapports dialectiques entre la protection de la santé et les libertés fondamentales dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne. Outre des travaux individuels, elle a participé en tant que post-doctorante à la mise en œuvre de plusieurs contrats de recherche collectifs portant sur la protection des droits fondamentaux de la personne dans le domaine des nouvelles technologies au service de la sécurité publique (projet IAAIS, programme ANR sur la sécurité globale, 2009-2011), les changements climatiques et les droits de l’Homme (projet du Parlement européen Human Rights and Climate Change : EU Policy Options, 2012), ainsi que l’efficacité des instruments visant à assurer une mise en œuvre effective du droit de l’Union européenne (CHAP, EU Pilot, procédure en manquement, dans le cadre du projet du Parlement européen EU Law Implementation and Evaluation, 2013). Elle est co-auteur d’un ouvrage paru aux éditions Bruylant en 2012 sur le thème des Nouvelles technologies et défis du droit en Europe. Chargée de cours aux Universités d’Aix-Marseille et Toulouse 1 (en droit institutionnel de l’Union européenne, droit du marché intérieur, droits fondamentaux), elle assure des missions d’enseignement ponctuels à l’Université de Bâle (sur la protection des données, la brevetabilité du vivant et d’autres thèmes situés au carrefour entre droit et science). Bénéficiant d’une bourse de l’Académie suisse des sciences médicales, son activité de recherche porte actuellement sur la protection juridique du bien-être (2012-2014).
Catherine Colard-Fabregoule est maître de conférences (HDR) à l’Université Paris 13 (Sorbonne, Paris, Cité) où elle enseigne le droit international. Elle est membre du CERAP. Certains de ses travaux de recherche récents portent sur les changements climatiques. Elle a dirigé avec Christel Cournil « Changements climatiques et défis du droit » (Bruylant 2010). Elle a co-organisé avec Maciej Ziegler un colloque franco-polonais (Warsaw School Of Economics “SGH”–Université Paris 13-Ambassade de France) sur les entreprises et les changements climatiques « Companies on Climate Change », (SGH Publisher, 2012), dans lequel elle a aussi rédigé : « Offshore renewable energy in Europe : Is Maritime Spacial Planification (MSP) an answer to constraints ? ». Elle rédige pour l’Annuaire du droit de la mer (Pedone), la Chronique annuelle « Environnement marin » (Indemer). Elle a participé également au projet du Parlement européen Human Rights and Climate Change : EU Policy Options (2012). Elle a dirigé avec Christel Cournil un ouvrage collectif sur les « Droits de l’Homme et les changements environnementaux globaux » paru chez Bruylant en 2012. Elle est membre du projet ANR CIRCULEX sur la Circulation de normes et réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement (2013-2016). En 2013, ses activités de recherches et d’enseignement ont été récompensées par une Prime d’excellence scientifique à l’Université Paris 13 (attribution pour 2013-2017) ([email protected]).
Armelle Gouritin est Maître de conférences à l’Université Libre de Bruxelles (ULB). Dans sa thèse soutenue en septembre 2012 (Vrije Universiteit Brussel – VUB) elle part d’une analyse critique du droit de l’UE de la responsabilité environnementale (Directives 2004/35 et 2008/99) et confronte ces Directives au droit de la Convention européenne des droits de l’Homme et au droit international de l’environnement. Elle est membre de Sentinelle (groupe de travail de la Société Française pour le Droit International (www.sentinelle-droit-international.fr/)) et du Bureau Exécutif de l’ONG Ecosphère (ecosphere.be/). Pour la liste de ses publications voir (www.ies.be/users/armellegouritin).
Sandrine Maljean-Dubois est Directrice de recherche au CNRS (Médaille de Bronze 2005) et spécialiste du droit international de l’environnement. Ses recherches portant sur différents régimes et questions transversales dans ce domaine ont donné lieu à la publication de plusieurs ouvrages et de nombreux articles scientifiques. Elle a également établi ses compétences dans l’administration de la recherche. Co-directrice du Centre d’études et de recherche internationales et communautaires (Aix-en-Provence) pendant de nombreuses années, laboratoire membre de l’UMR 7318 CNRS/Aix-Marseille Université dont elle est Directrice depuis septembre 2009, elle est aussi rompue à la coordination de projets de recherche collectifs pluriannuels. Elle a en effet dirigé ou co-dirigé jusqu’ici 13 projets de ce type avec des financements divers (CNRS, Commissariat général au plan, Ministère de l’écologie, Mission droit et justice, ANR…). En 2008, l’Académie de droit international de La Haye lui a confié la direction de la section francophone du Centre de recherche international consacrée à la mise en œuvre du droit international de l’environnement. Elle a notamment publié, avec Matthieu Wemaere, La diplomatie climatique. Les enjeux d’un régime international du climat, Pedone, Paris, 2010, Prix 2011 de l’Académie des sciences morales et politiques. Sandrine Maljean-Dubois enseigne le droit de l’environnement à Aix-Marseille Université et dispense un cours de droit de l’environnement en ligne pour l’Université Numérique Juridique Francophone. Elle est titulaire de la Prime d’Excellence Scientifique et d’une Prime de Mobilité Pédagogique. Elle dirige le projet ANR CIRCULEX sur la Circulation de normes et réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement (2013-2016).
Adélie Pomade est post-doctorante à l’Institut de droit de l’environnement de l’Université Jean-Moulin Lyon 3. Sa thèse, récompensée par les Prix Choucri Cardahi de l’Académie des Sciences Morales et Politiques et du Prix Jean Carbonnier de la Mission de recherche droit et justice, a été publiée à la LGDJ en 2010, et porte sur la participation de la Société Civile à l’élaboration et à l’application des normes juridiques environnementales. Ses recherches scientifiques concernent la gouvernance, les l’internormativité, la communication lors de processus décisionnels. Responsable scientifique d’un AIR 2011 de l’Institut des Sciences de la Communication du CNRS portant sur l’expertise du Haut Conseil des Biotechnologies en matière d’OGM dans le dialogue science/société, elle participa également au projet pour le Parlement européen Human Rights and Climate change : EU policy Options (2012). Elle travaille actuellement sur le projet ANR Circulations de normes et réseaux d’acteurs dans la gouvernance internationale de l’environnement (CIRCULEX) porté par le CERIC (UMR 7318) ([email protected]).
Michel Prieur est Professeur émérite à l’Université de Limoges. Agrégé de droit, il a été doyen de la faculté de droit et des sciences économiques de Limoges. Il est directeur scientifique du CRIDEAU, Président du Centre international de droit comparé de l’environnement et Directeur de la Revue juridique de l’environnement depuis sa fondation en 1976. La 6e édition de son manuel « droit de l’environnement » est sortie chez Dalloz fin 2011.
Vanessa Richard est Chargée de recherche au CNRS et membre du Centre d’Études et de Recherches Internationales et Communautaires (CERIC, UMR 7318, CNRS / Aix-Marseille Université). Sa thèse de doctorat, portant sur le droit des cours d’eaux internationaux en Asie, a été publiée en 2004 à la Documentation française. Ses travaux de recherche portent principalement sur le droit international et la gouvernance internationale de l’environnement, ainsi que sur le droit international applicable à l’eau douce, matière qu’elle enseigne à Aix-Marseille Université. Outre ses travaux individuels, elle a participé à plus d’une dizaine de programmes collectifs de recherche et de coopération scientifique portant sur l’effectivité du droit international de l’environnement, les procédures de non-respect, ou encore le régime juridique de la lutte contre les changements climatiques. Vanessa Richard est lauréate d’un Starting Grant 2012 (consolidator) du Conseil européen de la recherche et à ce titre dirige le projet International Grievance Mechanisms and International Law & Governance (IGMs –ERC Grant 312514, déc. 2012-nov. 2016)
Despina Sinou est docteur en droit de l’Université Paris 2 et chargée de cours aux Universités Paris 2 et Paris 13, où elle enseigne depuis 2009 le droit international et européen et les droits de l’Homme au niveau master. Elle a également enseigné aux Universités de Cergy-Pontoise, Versailles, Paris 8 ainsi qu’à Sciences Po Paris. Sa thèse, consacrée à L’Union européenne, acteur juridique de la protection internationale des droits de l’Homme, a été récompensée par le prix Georges Ténékidès et sera publiée aux éditions Pedone (Paris) en 2013. En 2012, elle a été chercheur postdoctoral à l’Université de Cergy-Pontoise sur le thème des Nouvelles normativités en Europe et a mené aussi par le passé des recherches postdoctorales à l’Université d’Athènes sur Les déplacés environnementaux par suite de catastrophes naturelles (2008-2009). Ses travaux académiques portent sur la protection internationale et européenne des droits de l’Homme, le droit institutionnel et les relations extérieures de l’Union européenne, le droit international de l’environnement, le droit international pénal et le droit des organisations internationales. Membre du Centre de recherche sur les droits de l’Homme et le droit humanitaire de l’Université Paris 2 depuis 2003, elle a notamment coordonné la publication de l’ouvrage collectif La pauvreté, un défi pour les droits de l’Homme (E. Decaux, A. Marangopoulos (Sous la direction de), Paris, Pedone, 2009).
Chloé Anne Vlassopoulos enseignante-chercheuse, maître de conférences en Sciences Politiques à l’Université de Picardie, Jules Verne (UPJV). Docteur en Sciences Politiques à l’Université de Paris II Assas Panthéon (1999). Elle est membre du Centre Universitaire de Recherche sur l’Action Publique et Politique (CURAPP/CNRS) et membre de l’Équipe Éditoriale de TERRA. Elle dirige l’axe interne « Réfugiés environnementaux ? » du réseau TERRA et coordonne le projet de recherches EXCLIM « Gérer les déplacements des populations liés aux phénomènes climatiques extrêmes (2009-2012) » financé par le Gestion et Impact des Changements Climatiques (Ministère de l’environnement). Elle est co-rédactrice en chef de la revue Asylon(s). Ses thématiques de recherche portent sur l’histoire des politiques publiques notamment celles relatives à l’air, aux changements climatiques et aux migrations environnementales. Dernières publications : C. Vlassopoulos (Sous la direction de), (2012), « Migrations, Environnement et climat. Définitions et enjeux autour d’un problème public », numéro spécial de la revue Cultures & Conflit, n° 88, 4 (hiver) ; B. Kalaora & C. Vlassopoulos (2013), Environnement, Société et politique : pour une sociologie de l’environnement, éd. Champ Vallon (à paraître).
ACP Afrique, Caraïbes, Pacifique
AGMM Approche globale des migrations et de la mobilité
AOSIS Alliance of Small Island States
APD Aide publique au développement
ATCA Alien Tort Claim Act
AWG-LCA Ad hoc Working Group on Long-term Cooperative Action under the Convention
BASIC Brésil, Afrique du Sud, Inde et Chine
BEI Banque européenne d’investissement
CCNUCC Convention cadre des Nations Unies sur les changements climatiques
CDDH Comité directeur pour les droits de l’Homme
CDFUE Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne
CDH Conseil des droits de l’Homme
CDM Clean Development Mechanism
CE Communauté européenne
CEDH Convention européenne de sauvegarde des droits de l’Homme et des libertés fondamentale
CESE Comité économique et social européen
CIDH Cour Interaméricaine des droits de l’Homme
CIEL Center International for Environnemental Law
CIJ Cour internationale de justice
CJCE Cour de justice des Communautés européennes
CJUE Cour de justice de l’Union européenne
CNUCED Conférence des Nations Unies sur le Commerce et le Développement
CO2 Dioxyde de carbone
COP Conférence des Parties
Cour EDH Cour européenne des droits de l’Homme
CSC Capture et stockage du carbone
CSDN Civil Society Dialogue Network
DDP Document descriptif de projet
DG Direction Générale
DG CLIMA Direction générale de l’Action pour le climat
DSRP Document stratégique sur la réduction de la pauvreté
DUDH Déclaration Universelle des droits de l’Homme
EDF Électricité de France
EMN Entreprises multinationales
ENVSEC Initiative pour l’environnement et la sécurité
ESOCOC Conseil économique et social des Nations Unies
ETN Entreprises transnationales
EU-ETS European Union emission trading scheme
FNUAP Fonds des Nations unies pour la population
FRA Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne
G20 Groupe des vingt
GES Gaz à effet de serre
GHN Groupe de haut niveau
GIEC Groupe intergouvernemental d’experts sur le climat
GT- DEV-ENV Groupe de travail sur l’environnement du Comité d’experts pour le développement des droits de l’Homme
GTHN Groupe de travail de haut niveau sur l’asile et les migrations
HCDH Haut-commissariat des droits de l’Homme
HCR Haut-commissariat des Nations Unies aux réfugiés
HRIA Human Rights Impact Assessment
IASC Inter-Agency Standing Committee
IASG Impact and Adaptation Steering Group
ICE Initiative Citoyenne Européenne
ICHRP Conseil international sur les politiques des droits humains
ICT Information and Communication Technologies
IEDDH Instrument européen pour la démocratie et les droits de l’Homme
JOCE Journal officiel des Communautés européennes
JORF Journal officiel de la République française
JOUE Journal officiel de l’Union européenne
M.B. Moniteur Belge
MDP Mécanisme de Développement Propre
JI/MOC Joint implementation /Mécanisme de mise en œuvre conjointe
MOC Méthode ouverte de coordination
OCDE Organisation de Coopération et de Développement Économiques
OCHA Office des Nations Unies pour la coordination des affaires humanitaires
ODD Objectifs du développement durable
OI Organisation internationale
OIM Organisation internationale pour les migrations
OING Organisation internationale non gouvernementale
OMD Objectifs du Millénaire pour le développement
OMS Organisation mondiale de la santé
ONG Organisation non gouvernementale
ONU Organisation des Nations Unies
OSCE Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe
OTAN Organisation du traité de l’Atlantique Nord
PACE Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe
PANA Plan d’action national d’adaptation aux changements climatiques
PCN Points de Contacts Nationaux
PDIPP Personnes déplacées à l’intérieur de leur propre pays
PE Parlement européen
PESC Politique étrangère et de sécurité commune
PEV Politique européenne de voisinage
PIB Produit intérieur brut
PNA Plans d’allocation de quotas
PNUD Programme des Nations Unies pour le développement
PNUE Programme des Nations Unies pour l’environnement
REDD Réduction des émissions résultant de la déforestation et de la dégradation des forêts
RTDHRevue trimestrielle des droits de l’Homme
SCEQE Système communautaire d’échange de quotas d’émissions
SEAE Service européen pour l’action extérieure
SPG Système de préférences généralisées
TCE Traité instituant la Communauté européenne
TFUE Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne
TPICE Tribunal de première instance des Communautés européennes
TUE Traité sur l’Union européenne
UCL Université catholique de Louvain
UE Union européenne
UNESCO Convention des Nations Unies sur l’éducation, la science et la culture
UNFCCC United Nation Framework Convention on Climate Change
UNPFII Instance permanente des Nations Unies sur les questions autochtones
Introduction
Ouverture La relation « droits de l’Homme et changements climatiques » au sein de la communauté internationale et en Europe
PARTIE I – Le lien entre les changements climatiques et les droits de l’Homme dans les relations extérieures de l’Union européenne
Chapitre I – L’Europe et la dimension « droits de l’Homme » dans les négociations climatiques internationales
Chapitre II – Les changements climatiques et la diplomatie de l’Union européenne en matière de droits de l’Homme
Chapitre III – Les droits de l’Homme dans les politiques extérieures européennes de développement et d’adaptation aux changements climatiques
PARTIE II – Le lien entre les changements climatiques et les droits de l’Homme au sein de l’Union européenne
Chapitre I – Les politiques européennes d’atténuation des gaz à effet de serre passées au crible des droits de l’Homme
Chapitre II – Les politiques européennes d’adaptation et les droits de l’Homme
Chapitre III – Migrations et changements climatiques : un nouvel enjeu de politique publique pour l’Union européenne ?
PARTIE III – Les aspects procéduraux et matériels du lien entre les changements climatiques et les droits de l’Homme en Europe
Chapitre I – L’impact de l’adhésion de l’UE à la convention européenne des droits de l’Homme sur le lien entre droits de l’Homme et politiques climatiques de l’UE
Chapitre II – L’information et la participation des citoyens européens dans la politique européenne du climat
Conclusion
Postface Plaidoyer pour un principe de non régression environnementale
Le 4e rapport du Groupe intergouvernemental d’experts sur l’évolution du climat (GIEC) a abordé les impacts des changements climatiques sur les populations. Il systématise plusieurs phénomènes et processus résultants des changements climatiques qui auront des répercussions sur les sociétés humaines. Ainsi, par exemple, l’augmentation du niveau de la mer, les inondations, la multiplication des phénomènes climatiques extrêmes (ouragan, tempêtes), la fonte du pergélisol, les changements des régimes de précipitations, la salinisation des ressources en eau douce et la diminution des zones habitables ou cultivables modifient et vont modifier les conditions de vie des populations, leur mode de production et d’alimentation, notamment sur les zones côtières à forte densité de population. Des conflits d’usage sur les ressources naturelles et des déplacements et mobilités humaines sont d’ores et déjà annoncés. Ces phénomènes climatiques ont des répercussions directes sur la santé des populations et leurs moyens de subsistance. Le 5e rapport du GIEC, actuellement en préparation (1), évoquera encore plus nettement les impacts des changements climatiques sur les Hommes et leurs conditions vie. De surcroît, l’adoption des politiques de lutte contre les changements climatiques interroge les droits de l’Homme par les impacts de ces politiques sur certaines catégories de personnes vulnérables. Aussi, la prise en compte des droits de l’Homme au sein des mesures d’atténuation et d’adaptation aux changements climatiques est de plus en plus souvent invoquée.
Si la science commence à établir les impacts des changements climatiques sur les sociétés humaines, la question de la défense de leurs droits dans ce contexte ne fait que débuter au sein de la Communauté internationale. En effet, la montée en puissance du « discours » sur le lien entre les droits de l’Homme et les changements climatiques remonte à la fin des années 2000. Une série de recherches, de séminaires ou conférences (2), impulsée par des Think tank (3) et des organisations non gouvernementales a commencé à réfléchir à ce lien. De ces travaux se dégagent le potentiel mais aussi les lacunes des droits de l’Homme face aux changements climatiques, parmi lesquelles l’insuffisance du régime de responsabilité et son imputation complexe, la non-effectivité des droits de 2e génération, ainsi que les contradictions entre les impératifs de la protection des droits de l’Homme et ceux de la lutte contre les changements climatiques (4).
Or, l’implication de l’échelon européen dans ce débat pourrait contribuer à surmonter ces limites. En effet, l’Union entend être un chef de fil à la fois sur les questions climatiques et sur celles relatives aux droits de l’Homme, que ce soit à l’échelle globale ou à l’intérieur de son ordre juridique. Par conséquent, l’Union et ses États membres pourraient devenir les artisans du lien entre ces deux thématiques.
Dans ce contexte, cet ouvrage dresse d’abord un état des lieux de la relation entre les droits de l’Homme et les changements climatiques au sein des travaux des organisations internationales et européennes, des organisations non gouvernementales, des grands procès et de la recherche académique (Ouverture).
Ensuite, sont identifiés les points d’entrées possibles des droits de l’Homme dans les relations extérieures de l’Union européenne en matière climatique, mais aussi, à l’inverse, les pistes permettant d’intégrer la thématique climatique dans la diplomatie externe de l’Union relative aux droits de l’Homme, ainsi que les perspectives de prise compte, à la fois, des droits de l’Homme et des nécessités d’adaptation aux changements climatiques au sein de la politique européenne de développement vis-à-vis des pays tiers (Partie I).
Puis, le lien « droit de l’Homme et changements climatiques » sera analysé dans le cadre de la dimension interne des politiques de l’Union. À cet égard, seront successivement étudiées la politique migratoire comme nouvel enjeu de politique publique européenne et la compatibilité des politiques européennes d’atténuation des émissions de gaz à effet de serre et d’adaptation aux effets des changements climatiques avec les droits de l’Homme (Partie II).
Enfin, cet ouvrage se termine par les aspects procéduraux et matériels du lien entre les droits de l’Homme et les changements climatiques. Tant l’impact de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne des droits de l’Homme, les défis et potentialités d’un droit à l’environnement que les questions de démocratie environnementale (information et participation des citoyens) dans la politique européenne du climat seront explorés (Partie III).
(1)http://www.ipcc.ch/pdf/ar5/ar5-outline-compilation.pdf.
(2) Par exemple, Ms. Kyung-wha Kang, Deputy High Commissioner for Human Rights, Conference on Climate Change and Migration : Addressing Vulnerabilities and Harnessing Opportunities, 19 February 2008, Geneva.
(3) ICHRP, CIEL, TheMary Robinson Foundation – Climate Justice.
(4) Voir http://hrbaportal.org/insight/?p=159.
Christel Cournil
Maître de conférences en droit public, (HDR) Université Paris 13, Sorbonne Paris CitéIris (UMR8156-U997), CERAP, F-Bobigny, France Membre du Projet EXCLIM et CIRCULEX
Si le lien « droits de l’Homme et changements climatiques » est apparu tout au long des années 2000, il s’inscrit dans un courant de réflexion plus ancien et plus général relatif à la prise de conscience des atteintes environnementales et de leurs conséquences sur les droits humains. Aussi, l’étude de la relation « droits de l’Homme et changements climatiques » au sein de la Communauté internationale et en Europe, suppose d’abord d’analyser l’émergence de cette relation (Section I). Il convient ensuite de montrer l’inscription progressive de la relation plus étroite « droits de l’Homme et changements climatiques » dans l’agenda international et européen en insistant tant sur les promoteurs de ce lien, que sur le rôle clef joué par l’Union européenne (UE) (Section II). Enfin, une analyse critique et prospective du lien « droits de l’Homme et changements climatiques » est nécessaire, afin d’exposer les contours, la pertinence et les défis d’une « approche basée sur les droits de l’Homme » (1) des changements climatiques (Section III).
Le travail théorique mené par les instances onusiennes (§ 1), les références progressives dans les grands textes et déclarations programmatoires (§ 2) et les batailles juridictionnelles (§ 3) soulignent une interdépendance de plus en plus forte entre les droits de l’Homme et les enjeux environnementaux. Ce lien « droits de l’Homme et environnement » a nourri pleinement la relation plus récente « droits de l’Homme et changements climatiques ».
Depuis la fin des années 90, l’Organisation des Nations Unies (ONU) s’est engagée dans une action d’intégration des droits de l’Homme au sein de ses diverses activités (programmes, mandats des agences onusiennes) tout en développant l’approche fondée sur le droit au développement. Dans cette perspective, dans le milieu des années 90, la promotion du lien entre « environnement et droits de l’Homme » a été défendue lors de riches discussions dans les milieux académiques et au sein des institutions onusiennes. Ainsi, un projet de Déclaration (2) de Principes sur les droits de l’Homme et l’environnement, élaborée par Fatma Zohra Ksentini, Rapporteur spécial des Nations Unies en 1994, a été annexé au Rapport spécial relatif aux « droits de l’Homme et à l’environnement » (3). Ce texte énonçait déjà une série de principes généraux. Parmi ceux-ci, le plus important est le droit de l’Homme à un environnement sûr et sain pour répondre aux besoins des générations présentes sans compromettre les droits des générations futures. La complexité et le caractère multidimensionnel des impacts des changements environnementaux globaux sur l’Homme (changements climatiques, biodiversité, pollution de l’atmosphère, sécurité alimentaire) ont accéléré, ces dernières années, cette mise en relation au sein des institutions onusiennes. Un important séminaire sur les questions environnementales et les droits de l’Homme fut organisé en 2002, conjointement par le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE) et le Haut-commissariat aux droits de l’Homme, pour faire un état des lieux des différentes évolutions nationales, régionales et internationales des textes et des jurisprudences pertinentes sur le lien « droits de l’Homme et environnement ». Depuis, ces travaux ont largement été enrichis par la doctrine (Dinah Shelton (4), Siobhán McInerney-Lankford, Mac Darrow, Lavanya Rajamani (5)). Ces réflexions ont donné lieu à l’adoption par la Commission des droits de l’Homme d’une Résolution n° 2005/60, du 20 avril 2005, sur les droits de l’Homme et l’environnement en tant qu’éléments du développement durable. Ce texte affirme que les dégâts causés à l’environnement, notamment par des phénomènes ou des catastrophes naturelles, peuvent avoir des effets potentiellement néfastes sur l’exercice des droits de l’Homme. Il indique également que la protection de l’environnement et le développement durable concourent au bien-être des populations, dans la mesure où ils sont susceptibles de contribuer à l’exercice des droits de l’Homme. Dans la continuité de l’action renforcée de l’ONU en matière des droits de l’Homme, engagée depuis 2003 (6), la Commission puis le Conseil aux droits de l’Homme (7) et le Haut-commissariat aux droits de l’Homme ont ensuite produit de nombreux documents et organisé des événements (8) approfondissant les réflexions relatives aux effets des changements climatiques sur les droits de l’Homme (9).
Le rapport du Haut-commissariat aux droits de l’Homme intitulé « Étude analytique sur les liens entre les droits de l’Homme et l’environnement »de 2011 (10) propose trois approches (11) complémentaires de ce lien (12). La première approche postule « que l’environnement est un préalable à l’exercice des droits de l’Homme ». Elle met l’accent sur le fait que « la vie et la dignité de l’Homme ne sont possibles que lorsque les individus ont accès à un environnement offrant certaines qualités fondamentales ». Elle précise que « la dégradation de l’environnement, notamment la pollution de l’air, de l’eau et des sols, peut avoir une incidence sur la réalisation de droits particuliers, tels que le droit à la vie, à l’alimentation et à la santé » (13). Selon la seconde approche, les droits de l’Homme sont « des instruments pour s’attaquer aux questions environnementales à la fois sur le plan procédural et au fond ». Cette approche souligne la possibilité « d’utiliser les droits de l’Homme pour parvenir à des niveaux adéquats de protection environnementale ». Elle précise que « dans une perspective procédurale, des droits tels que l’accès à l’information, la participation aux affaires publiques et l’accès à la justice sont essentiels pour garantir des structures de gouvernance qui permettent à la société d’adopter des processus décisionnels justes s’agissant des questions environnementales » (14). La troisième approche propose d’intégrer les droits de l’Homme et l’environnement dans le concept de développement durable. Elle insiste donc sur « le fait que les objectifs sociétaux doivent être traités de manière intégrée et que les questions d’économie, d’environnement et de justice sociale doivent être prises en compte dans la perspective du développement durable » (15).
Dans cette dynamique de travail, conformément à la Résolution 19/10 du 19 avril 2012, le Conseil des droits de l’Homme a nommé le 1er août 2012, le Professeur de droit John Knox (16) comme premier expert indépendant chargé d’examiner la question des obligations relatives aux droits de l’Homme se rapportant aux moyens de bénéficier d’un environnement sûr, propre, sain et durable. Son expertise sera très certainement précieuse dans l’édification encore émergente du lien « droits de l’Homme et changements climatiques » (17). Dans son rapport préliminaire de décembre 2012, il confirme déjà ses pistes de travail et notamment celle qui concerne les changements climatiques et les droits de l’Homme (18).
Si depuis une vingtaine d’années plus de 140 États membres de l’ONU ont ajouté des garanties constitutionnelles relatives à la protection de l’environnement et que beaucoup d’entre elles sont de véritables droits de l’Homme de ou à l’environnement (19), peu d’instruments juridiques internationaux ou régionaux contraignants abordent directement les liens « droits de l’Homme et environnement ». Il faut rappeler qu’après la deuxième guerre mondiale, les textes internationaux relatifs aux droits de l’Homme ont, d’abord, concerné les droits individuels, civils et politiques. Ces textes dits de « première génération » (20) offrent surtout des protections à l’individu face aux arbitraires de l’État. Puis, les droits collectifs économiques et sociaux de la « deuxième génération » se sont peu à peu imposés, mais ils sont parfois considérés comme des droits de « second rang » malgré l’affirmation de l’indivisibilité des droits, et souffrent d’une faible application effective. Pourtant, les atteintes à l’environnement causent des impacts manifestes sur ces droits universels, comme le droit à la vie, le droit au logement (21) ou le droit à l’alimentation (22). La « troisième génération » de droits et de libertés, les droits dits « de solidarité » (23), notamment ceux portant sur la protection de l’environnement ont émergé plus tardivement et leur prise en compte véritable est encore en voie de consolidation parfois difficile (24). Dès lors, on ne trouve que peu de références directes et parfois contraignantes aux droits de l’Homme de l’environnement en droit international et régional. Seules l’Afrique et l’Amérique ont franchi ce saut qualitatif en consacrant des formules ambitieuses (25) dans leurs grands textes relatifs aux droits de l’Homme. Par ailleurs, l’article 38 de la Charte arabe des droits de l’Homme de 2004 a affirmé que « toute personne a droit à un niveau de vie suffisant, pour elle et sa famille, qui leur assure le bien-être et une vie décente, y compris la nourriture, les vêtements, le logement et les services, et a droit à un environnement sain. Les États parties prennent les mesures requises en fonction de leurs ressources pour assurer ce droit ». Enfin dernièrement, la Déclaration des droits de l’Homme adoptée en 2012 par l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est a consacré le « droit à un environnement sûr, sain et durable » (26).
En revanche, si l’on se réfère aux textes majeurs environnementaux de soft law adoptés, les références aux droits de l’Homme sont encore très minces. Dans le 1er point (27)de la Déclaration finale de la Conférence des Nations Unies sur l’environnement réunie à Stockholm du 5 au 16 juin 1972, on retrouve l’idée selon laquelle l’environnement sain est nécessaire à la jouissance des droits de l’Homme. Selon certains auteurs, la portée de cette Déclaration est considérable puisque « le lien fondamental qu’elle dessine entre l’environnement et les droits et libertés de l’Homme, fournit alors une motivation philosophique et juridique à l’élaboration du droit de l’Homme à l’environnement » (28). La Charte mondiale de la nature adoptée le 28 octobre 1982 (29) a consacré une approche plus écocentrique (mais pas totale (30)) de la protection des écosystèmes où l’Homme est « décentré » (31) : aussi les droits de l’Homme y sont absents. Quant à l’article 1er des Principes de la Déclaration de Rio de 1992 sur l’Environnement et le Développement, il affirme que « les êtres humains sont au centre des préoccupations relatives au développement durable. Ils ont droit à une vie saine et productive en harmonie avec la nature ». Cette disposition est bien moins ambitieuse que celle retenue à Stockholm. On trouve, toutefois, dans les autres instruments adoptés à la Conférence de Rio de 1992 quelques indices qui établissent le lien naissant entre « droits de l’Homme et environnement ». Ainsi, le point 5) a) de la Déclaration de Principes pour un consensus mondial sur la gestion, la conservation et l’exploitation écologiquement viable de tous les types de forêts évoque les « droits des populations autochtones dans leur environnement ». De même, le texte (32) de l’Agenda 21 – instrument phare relatif au développement durable – cite certains droits humains (33). En revanche, on relèvera que dans la Déclaration de Hyōgo portant sur la réduction des catastrophes, le Cadre d’action de Hyōgo pour 2005-2015 pour les Nations et les collectivités résilientes face aux catastrophes et le rapport du Secrétaire général sur la mise en œuvre de la Stratégie internationale de prévention des catastrophes, les références aux droits humains sont absentes. Par ailleurs, dans la Résolution adoptée par l’Assemblée Générale n° 65/1 de 2000 (34), intitulée « Tenir les promesses : unis pour atteindre les objectifs du Millénaire pour le développement (OMD) », il est précisé, dès le point 3 (35), que les droits de l’Homme intègrent les OMD. Néanmoins, si les droits de l’Homme sont cités plusieurs fois dans les différents OMD, l’Objectif 7, relatif à la préservation de l’environnement, ne mentionne nullement les droits de l’Homme ou un droit humain en particulier. En Europe, dans la Stratégie de développement durable, adoptée au Sommet de Göteborg en 2001 (36), les droits de l’Homme ne sont jamais évoqués. Cependant, dans le corps du document, sont citéesla lutte contre la pauvreté et l’exclusion sociale. À Johannesburg, lors du Sommet mondial pour le développement durable de 2002, les droits humains pénètrent dans les débats par le biais de plusieurs thématiques notamment celle de la responsabilité sociale des entreprises (RSE). Les droits de l’Homme sont mentionnés plusieurs fois dans le texte adopté à l’issu de la Conférence.
En revanche, dans le récent travail des Nations-Unis, on relèvera quatre initiatives qui établissent nettement le lien entre droit de l’Homme et environnement. D’abord, le 28 juillet 2010, l’Assemblée Générale de l’ONU a adopté la Résolution 64/292 présenté par la Bolivie sur le droit fondamental à l’eau et à l’assainissement, en énonçant que « le droit à l’eau potable et à l’assainissement est un droit fondamental, essentiel à la pleine jouissance de la vie et à l’exercice de tous les droits de l’Homme » (37). Ensuite, le travail engagé par Olivier De Schutter (Rapporteur spécial sur le droit de l’alimentation) (38) depuis 2008 sur le droit à l’alimentation en tant que droit international des droits de l’Homme, inscrit ce droit pleinement dans les objectifs du développement durable (ODD). Puis, le travail mené par Calin Georgescu (ancien Rapporteur spécial sur les incidences sur les droits de l’homme de la gestion et de l’élimination écologiquement rationnelle des produits et déchets dangereux) rappelle clairement dans son rapport (39) de juillet 2012 le lien entre « droits de l’Homme et produits chimiques ». Ensuite, le Rapporteur spécial sur le droit de l’Homme à l’eau potable et à l’assainissement a étudié en 2009 les incidences des changements climatiques sur le droit à l’eau (40). Enfin, dans le texte adopté à Rio+20 en juin 2012, aux côtés d’un « maquis » de Déclarations et d’engagements, on retrouve seulement une dizaine d’occurrences explicites aux « droits de l’Homme » ou d’occurrences voisines tels que « les droits humains », « les instruments internationaux relatifs aux droits de l’Homme » ou « les libertés fondamentales » dans les 60 pages du texte (41). On relève également une série d’occurrences indirectes aux droits de l’Homme, à la participation de certains groupes ou populations vulnérables (femmes, peuples autochtones, populations insulaires, etc.). Toutefois, la seule référence à la « conformité au droit international » et l’absence totale de références aux droits de l’Homme dans le passage sur les ODD montrent que le lien n’est pas encore pleinement consacré et qu’il reste en émergence (42). Ce Sommet demeurera un « rendez-vous manqué » pour la consécration d’un droit à l’environnement sain dans un texte de portée internationale.
Les décisions des organes régionaux juridictionnels ou quasi-juridictionnels de protection des droits de l’Homme (A), la multiplication des grands procès sur les atteintes graves à l’environnement et les nouvelles formes d’accountabilitydu secteur privé (B) participent à la mise en relation des « droits de l’Homme et de l’environnement ».
Que ce soit sur la base de plaintes individuelles ou collectives, les décisions « jurisprudentielles » relatives aux questions environnementales, issues des systèmes européen, africain et interaméricain relatifs aux droits de l’Homme, ont contribué à consolider l’édifice du lien entre « environnement et droits de l’Homme », en s’appuyant sur certains droits, tels que le droit à la vie, le droit à la santé, le droit à la vie privée et familiale, le droit à la propriété et le droit au développement.
La Cour interaméricaine des droits de l’Homme a progressivement construit des obligations positives envers les États lors de grands projets de développement ou d’investissements susceptibles de compromettre l’exercice des droits des populations autochtones ou locales sur leur environnement. Ainsi, par exemple, le 25 juillet 2012, la Cour Interaméricaine des droits de l’Homme (CIDH) (43) a jugé l’État équatorien responsable de la violation du droit du peuple Kichwa de Sarayaku à la consultation préalable, à la propriété collective, à l’identité culturelle, mais également au droit à la vie et à l’intégrité physique dans une affaire où l’Étatavait autorisé une compagnie pétrolière étrangère à utiliser les terres traditionnelles de cette communauté sans avoir été consultée. La Cour et la Commission interaméricaine ont surtout construit des standards de protection pour les populations autochtones ou locales (44) dans leur environnement. Ainsi, ont été consacrés un droit de propriété sur les terres que ces populations ont traditionnellement occupées et des obligations à la charge de l’État en matière de « démocratie environnementale » (consultations efficaces et appropriées sur le plan culturel, consentement libre et préalable en connaissance de cause) (45).
Sur le continent européen, si le Conseil de l’Europe a œuvré tant en matière de protection de l’environnement qu’en matière de droits de l’Homme, en adoptant des traités ou des recommandations, le lien entre les deux thématiques n’est apparu que récemment (46), avec les travaux du Comité des ministres du Conseil de l’Europe aux États membres sur la Stratégie européenne de Conservation (47) et ceux de l’Assemblée parlementaire (PACE) (48). Dans sa Recommandation n° 1883 de 2009, la PACE a énoncé, pour la première fois, les défis posés par les changements climatiques au regard des différents organes du Conseil de l’Europe en insistant sur le rôle que peuvent jouer les instruments en matière de droits de l’Homme pour le renforcement des politiques internationales dans le domaine des changements climatiques. Dans une Déclaration (49) précédent le Sommet de Copenhague sur le Climat, le Commissaire européen aux droits de l’Homme a souligné que les changements climatiques provoquent une crise des droits de l’Homme sans précédent et doivent être combattus avec une action coordonnée et fondée sur les droits de l’Homme. Le groupe de travail sur l’environnement du Comité d’experts pour le développement des droits de l’Homme a récemment proposé comme thème de recherches : les obligations positives des États de protéger les individus par les droits de l’Homme contre les menaces liées aux changements climatiques. Ces multiples initiatives montrent l’intégration progressive du lien « droits de l’Homme et environnement/changements climatiques » avec une mise à l’agenda au sein des travaux du Conseil de l’Europe. La jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’Homme (Cour EDH) révèle quant à elle que les droits de l’Homme de l’environnement forment aujourd’hui un ensemble très riche de principes et obligations compilés dans le Manuel sur les droits de l’Homme et l’environnement, réactualisé en 2012 (50). Sans aucune référence explicite à l’environnement dans le texte de la Cour EDH, la jurisprudence européenne s’est développée particulièrement sur le terrain des articles 2, 8, et 1er du Protocole 1er tant sur l’affirmation de droits substantiels que procéduraux (51). De la même manière, le Comité européen des droits sociaux a élargi sa jurisprudence (52) à la protection de la santé et de l’environnement sur la base de l’article 11 de la Charte sociale européenne (53). Néanmoins, la jurisprudence européenne pourrait devenir plus ambitieuse encore sur le volet des droits de l’Homme à l’environnement avec l’adoption d’un Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’Homme relatif au droit à un environnement sain (54), projet qui a été proposé sans succès en 2009 par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe et refusé par le Comité des ministres car, sans doute, trop porteur d’obligations pour les États parties (55).
Enfin, l’Union africaine et son système de protection des droits de l’Homme ont également établi ce lien. La Commission africaine des droits de l’Homme et des peuples a développé très tôt une jurisprudence relative aux droits des populations autochtones et tribales impactées par la dégradation de l’environnement dues aux activités extractives et aux déplacements forcés des terres ancestrales. Elle a souligné l’importance du droit à un environnement sain consacré dans la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples, réaffirmé le rôle clef de la participation et de la consultation des populations locales, ainsi que celui des études d’impact environnemental (56). La Cour africaine a rendu en mars 2013 une décision importante relative à un avis d’expulsion pris par l’État Kenya qui souhaitait vendre les terres (zone de captage important d’eau) sur lesquelles vit la Communauté Ogiek. La Cour a pris en urgence des mesures provisoires (57) et a garanti ainsi les droits de la communauté Ogiek résidant dans la forêt de Mau. Par ailleurs, la Commission africaine réunie lors de sa 51e Session ordinaire à Banjul en Gambie, du 18 avril au 2 mai 2012, a adopté uneRésolution portant sur une approche axée sur les droits de l’Homme dans la gouvernance des ressources naturelles (58), et a montré ainsi l’importance qu’elle souhaite donner au lien « droits de l’Homme et environnement » en Afrique.
Durant ces dernières années, un certain nombre de grands procès et actions en justice (59) relatifs aux dégradations environnementales commises par des entreprises multinationales (EMN) et transnationales (60) (ETN) portant gravement atteinte aux droits de l’Homme (61), souvent dans les pays du Sud, ont marqué les esprits en établissant un lien entre activité économique, atteinte à l’environnement et aux droits de l’Homme. L’affaire Chevron/Texaco (62) en est une belle illustration. De surcroît, plusieurs poursuites judiciaires déposées aux États-Unis ces dernières années appellent une application des normes internationales à l’égard de la conduite des activités des ETN sur l’environnement impactant les droits de l’Homme, et ce, en vertu de l’Alien Tort Claim Act (ATCA) (63). Enfin, dans une autre affaire emblématique concernant cette fois un Consortium publicNorte Energia, depuis 2001, plus d’une dizaine d’actions en justice ont été menées contre la construction du barrage gigantesque hydroélectrique de Belo Monte en plein cœur de la forêt amazonienne par le Consortium public, auxquels s’opposent les mouvements écologistes et surtout les Indiens de la région. Entre 20 000 à 40 000 d’entre eux seront contraints, d’ici 2015, de quitter leur lieu de vie. Ces actions ont donné lieu à plusieurs rebondissements (arrêt du barrage par le Tribunal régional fédéral, reprise du projet autorisé par une décision de la Cour suprême du Brésil, décision de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme (64), etc.).
Par ailleurs, à la lecture de l’étude de Sandrine Maljean-Dubois sur la portée des normes du droit international de l’environnement à l’égard des entreprises (65), la responsabilité sociale (66) (et environnementale) de l’entreprise apparaît, dans une certaine mesure, à la fois comme une pièce nouvelle dans l’édifice de la protection des droits de l’Homme et comme un aiguillon incontournable de la mise en œuvre du développement durable. En ce sens, dans son analyse portant sur la contribution des entreprises à la définition des droits de l’Homme à l’environnement (67), Catherine Colard-Fabregoule souligne la place de l’entreprise dans ces « doubles » enjeux et défis environnementaux et relatifs aux droits de l’Homme. L’auteur expose l’apport des récents Principes Directeurs (68) des Nations-Unis adoptés en 2011 et la mise à jour des Principes Directeurs de l’Organisation de Coopération et de Développement Économiques (OCDE) (69) en mai 2011 dans l’établissement du lien entreprises/droits de l’Homme/environnement (70). Dans ce prolongement, la mise en œuvre progressive à l’égard du secteur privé de mécanismes de softresponsability (Cf. le Global compact) (71), de social accountability, de « mécanismes d’accountabilité para-légaux » (72)(comme le Panel d’inspection de la Banque Mondiale et le mécanisme de plainte et de médiation de l’OCDE), de Code de bonnes conduites, de Charte éthique (73), de pratiques d’autorégulation, ou de reporting témoignent – même si les démarches sont encore marginales et volontaires – que l’entreprise doit rendre des comptes tant sur le plan du développement durable et de la protection de l’environnement que sur le plan du respect des droits de l’Homme. Ainsi, par exemple, dans le cadre de l’OCDE, le mécanisme de suivi des Points de Contacts Nationaux (PCN) permet de contrôler le respect de certains principes du droit international de l’environnement et des droits des populations locales lors de l’activité économique et investissements du secteur privé. Ces plaintes à l’initiative des ONG ou des syndicats concernent pour la moitié des atteintes à l’environnement et aux droits sociaux. En somme, les effets name and shame (74)etautres « effets reputationnels » (75) contribuent à consolider le lien entre les enjeux de développement durable et le respect des droits de l’Homme lors de l’activité économique des entreprises, et de ce fait, participent à les responsabiliser. À travers ces démonstrations, le droit international des droits de l’Homme, le droit international de l’environnement et le droit international économique et des investissements convergent et établissent un lien interdépendant entre les enjeux du développement durable, de protection de l’environnement et des droits de l’Homme. En définitive, ces illustrations révèlent que la protection internationale des droits de l’Homme peut contribuer à assurer la « reddition de comptes » des entreprises sur le plan environnemental, au moins de manière indirecte (76).
Le mouvement global vers la reconnaissance des interdépendances entre les droits de l’Homme et les enjeux environnementaux est donc en marche. La complexité des changements climatiques ajoute une dimension particulière à sa consécration. Il convient, dès lors, d’analyser la mise à l’agenda au plan international et européen du lien entre cet enjeu environnemental particulier et les droits de l’Homme.
Tout au long des années 2000, le lien « droits de l’Homme et changements climatiques » s’est construit « par capillarité » au sein d’échanges et de multiples réflexions entre différents acteurs et promoteurs de cette thématique (§ 1). C’est surtout l’impulsion du Conseil des droits de l’Homme et du Haut-commissariat des droits de l’Homme des Nations Unies qui a permis d’inscrire, depuis 2009, la thématique à l’agenda international (§ 2), avant que celle-ci ne pénètrent encore timidement les négociations internationales sur le climat à Cancún (§ 3). Dans ce contexte, il conviendra enfin d’analyser la place et le rôle à jouer par l’UE (§ 4).
La doctrine académique (77) a d’abord particulièrement démontré le lien « droits de l’Homme et environnement », avant de s’intéresser plus récemment, à partir d’arguments tant juridiques qu’éthiques (78), au lien « droits de l’Homme et changements climatiques ». Les Think tank juridiques comme le Conseil international sur les politiques des droits humains (ICHRP), le Centre de droit international de l’environnement (CIEL) (79) ou la Fondation de Mary Robinson Climate Justice (80) ont également produit de stimulantes analyses nourrissant le lien et participant ainsi, depuis une dizaine d’années, à la mise à l’agenda de la thématique « droit de l’Homme et changements climatiques ».
En particulier, le chercheur Stephen Humphreys (81) a œuvré en faveur de cette mise en relation, grâce à son expertise pour l’ICHRP. Ce travail rédigé sous forme de rapport, intitulé Climate Change and Human Rights : A Rough Guide (82), a été publié en 2008 et fait référence aujourd’hui. Aussi, les lacunes des droits de l’Homme face aux impacts climatiques tels que l’insuffisance du régime de responsabilités (responsabilités en cas de dommages extraterritoriaux), l’imputation difficile des responsabilités, la faible effectivité des droits de deuxième génération particulièrement impactés, l’approche individualiste des droits de l’Homme face aux enjeux environnementaux globaux ainsi que les contradictions entre les impératifs de la protection des droits de l’Homme et ceux de la lutte contre les changements environnementaux y sont démontrés. De surcroît, selon la doctrine, force est de relever que ce lien soulève de réelles difficultés théoriques dues à la structure du droit international (83). Si l’on raisonne en termes de mise en œuvre de la responsabilité classique entre États, on constate que la complexité des causes des changements climatiques rend aujourd’hui presque impossible l’établissement d’une corrélation entre les émissions de gaz à effet de serre (GES) d’un État et un impact particulier des changements climatiques sur une population. C’est souvent un ensemble de phénomènes environnementaux et socioéconomiques en interaction, qui impactent les Hommes (84). Par ailleurs, la dimension temporelle et matérielle des préjudices futurs liés aux changements climatiques brouille les repères des violations traditionnelles des droits de l’Homme, qui se sont, quant à elles, construites sur l’établissement d’un préjudice actuel et certain (85).
Certaines ONG « environnementalistes » (86) et de défense des droits de l’Homme ont également entamé ce travail de mise en relation en le promouvant clairement aujourd’hui comme valeur nouvelle au sein des négociations internationales en matière climatique. Néanmoins, il semble qu’au sein de certaines grandes ONG de défense des droits de l’Homme, cette prise de conscience ait été parfois tardive et inégale (87). En 2008, OXFAM a sorti un rapport intitulé Climate Wrongs and Human Rights : Putting People in the Heart of Climate Change Policy (88) et CARE a lancé en 2009 une action sur la face humaine des changements climatiques (89). Ces ONGont également mobilisé leurs répertoires d’action de lobbying lors des grands sommets médiatiques sur le climat à fort écho médiatique par exemple lors des Conférence des parties (COP) 15 et 16 et bien sûr à Rio+20 avec des « événements parallèles » (90) très pointus (91). Par exemple, certaines ONG ont engagé une véritable sensibilisation sur le sort des déplacés climatiques au sein des grands sommets ou COP sur le climat, notamment sous la forme d’échanges et de négociations particulièrement riches. Ainsi par exemple, l’ONG Equity and Justice Working Group Bangladesh, Equitybd, a lancé en parallèle des discussions officielles de la COP de Copenhague et de Cancún, la proposition d’une pétition sur la création d’un Protocole sur les Climate forced migrants, obligeant les États à agir pour offrir une protection juridique aux migrants climatiques. La société civile altermondialiste réunie à la Conférence des peuples sur les changements climatiques et les droits de la Terre-Mère a entériné, en avril 2010, à Cochabamba, la Charte des peuples, en proposant la création d’un Tribunal international de conscience pour protéger les droits des migrants et des « réfugiés climatiques ». Cette initiative, sorte de « contre-proposition » à l’échec de Copenhague, a montré que la thématique est entrée dans les grands enjeux environnementaux de demain, tout du moins dans les attentes d’une partie de la société civile. En définitive, toutes ces actions visent à sensibiliser tant l’opinion publique que les décideurs politiques. L’objectif est également et surtout d’encourager à renforcer la lutte politique pour la réduction d’émission de gaz à effet de serre et celle de l’adaptation aux changements climatiques. On relève alors que l’approche scientifique et économique des négociations climatiques se renouvelle ainsi par l’approche éthique et juridique (92) et certaines ONG environnementales ont choisi, en ce sens, de communiquer davantage sur le concept « englobant » de justice climatique qui place la thématique « droits de l’Homme et climat » sur le volet des valeurs et de l’éthique.
Enfin, les populations vulnérables et leurs représentants ont construit un argumentaire axé sur les droits de l’Homme pour élaborer une stratégie de transformation des moyens de lutte contre les changements climatiques, après avoir en vain essayé d’autres moyens d’actions et de mobilisation en s’appuyant notamment sur le principe de responsabilité commune mais différenciée. L’exemple le plus emblématique est celui de la pétition (93) présentée en 2005 par les Inuits du Canada et des États-Unis, avec le soutien juridique du Think tankCIEL et l’ONG Earthjustice devant la Commission inter-américaine des droits de l’Homme. Ces derniers défendaient l’idée selon laquelle les changements climatiques, dont les États-Unis sont responsables historiquement par leurs importantes émissions des gaz à effet de serre, ont un impact négatif sur les droits des peuples autochtones de l’Arctique (droit à la vie, à la santé, à la propriété, à l’identité culturelle et à l’autodétermination) (94). La Commission inter-américaine des droits de l’Homme n’a pas donné suite à cette pétition mais a tenu une audience en 2006, en commençant ainsi à travailler sur cette problématique. En définitive, cette initiative, aussi médiatique que juridique, a contribué à élargir et orienter les réflexions sur le volet des droits de l’Homme et des changements climatiques.
Dans la continuité de l’action renforcée en 2003 (95) de l’approche basée sur les droits de l’Homme, le Conseil des droits de l’Homme a eu un rôle important dans cette mise en relation « droits de l’Homme et changements climatiques ». Dans sa Résolution du 28 mars 2008 (96), il demanda au Haut-commissariat des droits de l’Homme des Nations Unies une étude analytique détaillée des liens entre « droits de l’Homme et changements climatiques ». Une première série d’échanges (97) tout au long de 2008 avec des experts, des agences onusiennes, des ONG, et certains États a été organisée. Sur la base de cette première consultation, le Haut-commissariat des droits de l’Homme adopta, le 15 janvier 2009, un rapport sur la relation entre les « droits de l’Homme et changements climatiques » (98), en exposant ses premiers résultats. Dans la foulée, le Conseil des droits de l’Homme adopta la Résolution sur les droits de l’Homme et changements climatiques (99) le 25 mars 2009 et décida de poursuivre et de consolider ces discussions. Un important panel d’experts sur ces sujets s’est réuni le 15 juin 2009 au Palais des Nations (100).Le Haut-commissariat des droits de l’Homme a reçu les contributions écrites d’une trentaine d’États, de 10 agences de l’ONU, de 17 ONG, de certaines institutions nationales des droits de l’Homme, etc. Ces différentes consultations ont permis de faire une première sensibilisation et a très certainement participé à l’insertion de la thématique « droits de l’Homme et changements climatiques » au sein des négociations internationales sur le climat (101).
Le rapport de 2009 souligne que s’il est difficile de qualifier les impacts des changements climatiques en violation des droits de l’Homme, en raison de l’établissement du lien direct entre les impacts des changements climatiques et les actes ou omissions des États, de nombreuses études doctrinales s’efforcent aujourd’hui de démontrer que les changements climatiques ont des incidences manifestes sur l’exercice même des droits de l’Homme (102). Six droits fondamentaux (103) garantis par les droits de l’Homme sont généralement touchés : le droit à la vie, le droit à une nourriture suffisante, le droit à l’eau, le droit à la santé, le droit à un logement convenable et le droit à l’autodétermination (104). Le rapport insiste sur le potentiel des droits de l’Homme en montrant qu’ils constituent un socle fondamental à la fois pour défendre l’exercice des droits des populations impactées par les changements climatiques et pour orienter de manière plus favorable aux droits de l’Homme, les mesures de riposte (response measures) d’atténuation et d’adaptation (105) mises en œuvre pour lutter contre les changements climatiques (106). De surcroît, le Rapport aborde les populations vulnérables en s’attardant notamment sur les personnes déplacées et en systématisant quatre grands scénarios de mouvement de populations induits par les changements climatiques : les catastrophes (ouragans, inondations), la détérioration progressive de l’environnement et des catastrophes à évolution lente (désertification, inondation des zones côtières, submersion totale d’États insulaires), les risques accrus de catastrophes et les troubles sociaux et la violence attribuables à des facteurs liés aux changements climatiques.
Dernièrement, le séminaire des 23 et 24 février 2012 (107)