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"Poussière de cristal – Honni soit qui mal y pense" tisse les fils d’un paradoxe, alliant un pessimisme persistant à la lumière de l’analyse. Au cœur de ces lignes, il vous sera dévoilé les sinuosités d’une réalité où la décadence de la France et de l’Europe se mêle à une introspection profonde. Ici se dresse le tableau d’une époque troublée, où l’éducation vacille, où l’idéologie corrompt et où le pouvoir du marché domine. Mais au-delà des ombres, une lueur d’espoir est retrouvée, dans des instants de réflexion où se dessinent les contours d’un monde à réinventer.
À PROPOS DE L'AUTEUR
L’expérience académique d’
Harrison du Bus lui a révélé une vérité primordiale : le monde ne peut plus être appréhendé à travers le prisme étroit du corps enseignant. Ce volume constitue de ce fait sa modeste contribution à une compréhension affranchie de toute influence idéologique, fruit du travail d’un esprit indépendant, peut-être inébranlable, mais toujours sincère.
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Harrison du Bus
Poussière de cristal
Honni soit qui mal y pense
Essai
© Lys Bleu Éditions – Harrison du Bus
ISBN : 979-10-422-3588-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
D’où provient cette terrible vague qui menace d’emporter avec elle tout ce qui est coloré, tout ce qui est particulier dans nos vies ?
Stefan Zweig, 1925
Rien n’est plus pénible que ceux qui nous disent infatigablement sur le ton de leurs commisérations habituelles qu’il y a forcément d’un côté l’opinion de la modération et de l’autre celle des extrêmes, et que par définition ces « extrêmes » sont nuisibles et dangereuses ; c’est une observation obscène, obscène parce qu’elle est trop vraie, donc plate et inconsistante. Quel intérêt y a-t-il à affirmer avec soutenance et un soupçon de fierté que le soleil se lève à l’est et se couche à l’ouest ? Ce sophisme que j’espère, sans réellement y croire, n’être qu’un paralogisme, d’écarter poignamment l’altérité politique, sous le prétexte qu’elle est par principe automatiquement extrémiste, a pignon sur rue dans tous les hauts lieux des capitales de nos pays ; c’est notre tragédie européenne qui pour ajouter au chagrin, prend un harnachement tragi-comique, parce qu’un guingois de longue durée enrobe notre classe politique.
Je crois n’être pas le moins du monde un extrémiste, mais je crains d’avance que les porteurs de valises du temple bien-pensant soient d’un autre avis, ces diseurs qui ne doutent pas un instant de la virginité de leurs pensées sanctificatrices.
Marengo est le nom d’un village piémontais qui fut le théâtre d’une épique bataille (la bataille de Marengo) napoléonienne contre les Autrichiens, en 1800. Les troupes françaises, jusqu’à cinq heures de l’après-midi, perdaient pied et l’espoir de gagner, et en face l’ennemi se croyait déjà victorieux lorsque le génie militaire de Bonaparte les fit reprendre le dessus, il retourna la situation et la France l’emporta glorieusement, in extremis. À l’inverse la bataille de Sedan est un mauvais souvenir des Français, car c’est à son issue que la dynastie impériale et que la maison Bonaparte s’échoua définitivement. L’empereur, battu par la Prusse, fut déposé, l’Empire dissous, l’Alsace et la Lorraine perdues et la France humiliée. Je voudrais me pencher maintenant un instant sur la ville de Sedan qui a marqué la fin d’un monde romantique et le début d’une nouvelle France, républicaine, et c’est peut-être à cette date que l’épopée révolutionnaire se termina, car tant la première que la deuxième république tombèrent rapidement sans jamais être parvenues à s’imposer foncièrement, et jusque-là c’était toujours sous l’autocratie que le pays était gouverné. 1870 fut donc une bascule, pas la renaissance d’une France en perdition, comme à Marengo, mais les funérailles d’une France qui n’auront pas été celles de la France.
Il ne faut pas machinalement regretter toute évolution, mais évolution ne signifie pas du tout destruction puis reconstruction, néanmoins c’est ce qui nous arrive ; ça, c’est l’évolution selon la focale wokiste. Si nous ne faisons rien dans les années qui viennent le monde continuera bien de tourner (si l’écologie le permet), mais notre civilisation chrétienne, celle dont parle Philippe de Villiers dans son conte de Noël fameux de 2023, elle, bimillénaire, ne sera alors plus qu’une vague ombre disparaissant, en fusion avec son fond, trop vieille pour avancer seule et dont nous n’aurons pas fait de frais pour l’épauler dans sa marche titubante.
Un tournant de Marengo nous serait-il encore possible ? Espérons-le, mais le principal est qu’il nous faut enrayer le processus vieux d’à peu près quarante ans qui nous dépossède, année après année, de notre bien le plus charnel, de notre mère à tous, de celle qui nous a fait les hommes et les femmes éclectiques, spirituels, intellectuels, poétiques ; nous, les attributs, les majordomes, gouvernantes, valets de pied, caméristes de la belle et ancestrale Europe judéo-chrétienne. Elle peut et même doit évoluer, mais pas régresser, ni encore moins périr. Battons-nous pour elle.
Ce livre n’a volontairement rien de scientifique et d’académique, ne présente pas beaucoup de preuves au sens judiciaire et comme vous le remarquerez aucune source référencée à la manière des ouvrages universitaires, même si je précise régulièrement d’où j’ai tiré l’information ; il est peut-être tout à fait faux, ce que je ne pense pas, mais il faudra lui reconnaître une qualité, il est sincère ; il est le reflet d’une conscience qui observe, et constate qu’il y a des périls, certains heureusement déjà identifiés et combattus, parfois très en retard, d’autres occultés, d’autres encore niés.
Tout est certainement très compliqué et tout évolue si vite ; mais je ne veux pas reculer devant la tâche de décrypter comme je l’entends la pelote de laine et essayer d’entrevoir sur l’angle politique plus clairement notre monde en pleine mutation ; mais pas à la façon des intellectuels, plutôt à celle des écrivains (même si je rejette toute prétention à en devenir un vu mon admiration pour les grands écrivains, mille fois plus beaux, instructifs et vrais que la rigueur des savants).
Les démarches méthodologiques et épistémologiques des scientifiques (auxquelles je n’ai eu d’autres choix que de me souscrire à respecter à l’université, si bien que j’en ai l’expérience pratique et que c’est en connaissance de cause que je m’arroge l’autorité de pouvoir la critiquer), à qui notre société technique donne les clefs de recherche de la vérité en faisant de la science la Science et en la sacrant, après l’Église, nouvelle impératrice du savoir, gouvernent la raison moderne. J’expliquerai bien plus loin pourquoi je ne crois pas du tout en cette infaillibilité de la science et pourquoi au contraire je garde toute ma foi en la littérature, qui est son inverse. Deux chemins et deux destinations différents.
Le chiffre deux est un de ceux qui ont tracté la vie politique, il représente le débat, la dualité, l’opposition, les partis, la politique, la différence, la violence ou encore les révolutions. D’une banale algarade à un conflit mondial, on a forcément besoin d’être au moins deux parties, et souvent il n’y en a que deux ; je crois qu’à toutes les époques et dans tous les pays il y eut cette binarité qui s’est représentée sous des formes très variables et spécifiques.
Chacun croit avoir raison, mais a forcément tort, au moins tort pour une part, ce dont malheureusement certains ne sont pas convaincus. Déjà, il faudrait commencer par se mettre d’accord sur les faits, ensuite les analyser, enfin les critiquer et éventuellement proposer d’y apporter la meilleure réponse opérationnelle.
Or je pense qu’aujourd’hui les clivages sont très intenses, pas physiquement aussi violents qu’ils ont pu l’être par le passé, mais ils impliquent de réelles divisions sociétales, des camps ennemis qui se défient et cherchent parfois à s’anéantir les uns les autres alors qu’en amont ils ne se comprennent souvent même pas (s’anéantir du moins politiquement, je pense à la haine qu’ont actuellement les deux camps américains l’un pour l’autre). Les dialogues se sont crispés alors que nous devrions être à l’heure à laquelle il faudrait pouvoir discuter sereinement, de ce qui est, d’abord, puis de ce que nous voudrions qu’il arrive, en toute transparence, franchise et en faisant l’effort de décrire quel est le projet que nous portons et pourquoi ; parce que quoi qu’il arrive de grands changements sont en vue. Mais ceci n’est pas assez appliqué, c’est une grave erreur de notre époque de brûler des étapes, de se borner à croire qu’on a raison, qu’on est la raison et que par conséquent si l’autre ne la partage pas c’est qu’il a tort et, plus grave, qu’il y a un mal, un vice en lui qu’il doit exsuder. On ne redoute plus à circonvenir l’adversaire ou à s’auto-proclamer d’une moralité pure et supérieure, à l’épreuve des fautes.
Nous ne sommes pas proches d’un consensus et il n’y a plus la moindre unité entre les hommes, les Européens, les Occidentaux et plus largement les hommes du monde entier ; nous voyons certains des dangers, mais trop d’entre nous persistent, par opportunisme, souvent, à laisser les choses s’écouler tranquillement. Les uns et les autres crient, mais rien ne change vraiment politiquement depuis maintenant quarante ans, si bien que les mouvements se radicalisent et se combattent de plus en plus hargneusement sur les plateaux de télévision, sur les réseaux sociaux, dans la rue, mais sans changer d’avis ni vouloir entrer dans la nuance (c’est la tendance, il y a bien sûr toujours des exceptions).
Il est certain que je n’aurais pas écrit cet ouvrage si j’étais né cinquante ans plus tôt, car comme nos baby-boomers je ne me fusse sans doute pas beaucoup interrogé sur les grands enjeux de l’avenir et eusse pris sans trop hésiter le train en marche, car à cette époque comme à beaucoup d’autres l’histoire ne se muait pas à la vitesse d’aujourd’hui et il était moins nécessaire de se faire entendre ou lire pour parfois dire un grand non aux tournants que prennent si rapidement les sociétés modernes et en particulier la mienne dont je sens qu’elle se dissout dans une mixture indéfinissable, mais repoussante qui très étonnamment convainc la plupart de mes contemporains ou alors les indiffère, dont mes proches à qui je n’arrive pas à me retenir de vouloir les mettre en alerte contre les intempéries qui s’amoncellent et nous tomberont dessus comme elles s’y mettent d’ailleurs dès maintenant. Je récuse d’avance toutes les accusations en phobe, très en vogue et que je vois instamment fondre sur moi. Le lecteur assidu comprendra bien rapidement qu’elles sont le produit d’une mécanique automatisée et sans objet.
Je ne veux certainement pas retourner à la Préhistoire ni même à l’Antiquité, d’ailleurs je n’en aurais absolument pas les compétences, je n’en sais pas du tout suffisamment. Mais je crois que même en partant de la Modernité on peut déjà apporter un éclairage au tableau politique actuel, qui en certains points n’a pas tant changé au fil du temps, en d’autres au contraire énormément.
Il y a eu l’époque de l’aristocratie, des rois et des princes, du clergé et du tiers état (ici je parle pour la France, mais le phénomène peut sans doute se généraliser à l’Europe) ; l’époque de la prétendue harmonie entre les classes, divisées entre les faibles et les puissants où les dynasties se perpétuaient jusqu’à ce qu’elles tombent et soient remplacées par de nouvelles, où la religion exerçait une domination spirituelle, sociale et politique qui a fait l’affaire de rivalités et de guerres entre elle et le pouvoir temporel. Je ne veux pas m’étendre à ce propos, seulement relever le fameux chiffre deux, la cassure, particulièrement entre pauvres et riches, entre dirigeants et dirigés, entre auctoritas et potestas, entre partisans et opposants, entre catholiques et protestants… En fait ce n’était pas si harmonieux que cela, mais disons que c’était plutôt clair et dit, en ce sens qu’on était en général assez d’accord sur les faits.
Le XVIIIe siècle a donné naissance à une superbe classe sociale qui durera pendant environ deux cents ans, la bourgeoisie, qui se divisera plus tard selon moi entre la petite et la grande, qui s’allieront chacune à des partis différents. Le siècle a ensuite abouti pour de très nombreuses raisons qui n’ont pas tellement d’importance pour là où nous voulons en venir, beaucoup plus tard, à ce que nous savons tous, la Révolution (la première vraie macro-révolution « sociale » de l’histoire moderne, elle a ensuite amorcé le siècle social, le XIXe). Elle a mis un terme définitif à l’époque de la monarchie, car tant la Restauration que Louis-Philippe n’avaient plus rien de ce qu’était l’incarnation du pouvoir royal en France, la monarchie absolue de droit divin. Je traite et traiterai de ce pays parce que son histoire est tellement stéréotypée qu’on y trouve assez distinctement tous les ingrédients qui ont bâti les fondations du modèle politique européen actuel.
Vient ensuite le XIXe siècle, celui que j’appelle, mais je ne suis pas le seul, le siècle social. C’est avant tout un siècle chaotique où se sont succédé les révolutions et les massacres, empires, républiques, coups d’État, guerres de nationalisme… et l’arrivée tardive d’une démocratie plus officialisée, par un système électif, souvent d’abord censitaire, un président, une constitution, des parlements actifs, un gouvernement, et symétriquement des partis, des mouvements de classes et des confrontations de visions politiques. La France est à ce stade plutôt en retard, quand on la compare à l’Angleterre par exemple, qui bien plus tôt a installé les principes modernes de la démocratie, mais de nouveau ça n’a pas tellement d’importance, c’est le fil conducteur qui compte.
Les heurs se sont cristallisés au tournant du XXe siècle, notamment dès le début par l’affaire Dreyfus au cours de laquelle les fractures sociales n’auraient pas pu être plus vivaces. Cet exemple est une nouvelle fois emblématique du chiffre deux (chrétiens, patriotes, nationalistes… contre les défenseurs d’une justice impartiale, et plus encore quand ils appartenaient moralement à la frange philosémite des Français). Ainsi, à l’intérieur du pays, il y avait de puissants différends, et à l’extérieur aussi, de plus en plus. Arriva la Première Guerre, puis la Seconde, les deux sont tellement intriquées qu’on peut, comme certains, parler d’une seule guerre en deux parties, qui a abouti au triomphe des démocraties d’un côté et du totalitarisme de l’autre, donc à la guerre froide, et au sein du bloc de l’ouest (je parle pour l’Europe) il y a eu une nouvelle rivalité dualiste entre les héritiers des mouvements sociaux du siècle passé, parfois en collusion avec le régime de terreur de l’est et l’avènement des libéraux.
Je pense que c’est là que les choses commencent vraiment à nous intéresser pour comprendre la suite. Des dizaines de millions d’Européens sont morts, l’Europe est ruinée, les premiers pays émergents font leur place sur la scène mondiale, la Chine en première instance, qui se développera d’abord par le communisme implacable, inhumain, puis par l’ultra-libéralisme sous un rideau communiste devenu transparent pour tous les sinologues sérieux.
Jusqu’en 1980, pas grand-chose à dire (pour ce qui nous occupe) en dehors des rebondissements de la guerre froide ; les Européens alternent entre socialistes et libéraux, entre la gauche et la droite modernes, telles que l’on continue à les identifier faussement aujourd’hui, à savoir que la gauche pense au peuple, aux petits, aux ouvriers, aux oubliés, aux paysans, aux culs-terreux… et la droite aux affaires, aux propriétaires, aux entreprises… Leurs valeurs d’alors sont bien éloignées de celles qu’on leur attribue aujourd’hui, car celles de la gauche étaient la laïcité, la sécurité, le système scolaire et l’éducation, la protection des travailleurs, le socialisme, la puissance régalienne, les progrès sociaux, la démocratie ; celles de la droite le libre-échange, la porosité des frontières, l’Europe (j’y reviendrai longuement), la baisse des impôts, la religion, le conservatisme…
Un tourant remarquable (très bien expliqué par Michel Onfray par exemple) apparaît avec l’élection de Mitterrand élu sur la base d’un programme type de la gauche que j’ai décrite, qui est en passe de devenir anachronique et le sera encore plus dix ans plus tard lorsque l’Est se lézardera et décrédibilisera le socialisme tel qu’il a été conceptualisé par ses théoriciens du XIXe siècle ; il commencera à tomber en ridicule et se dissoudra ; la gauche sera remplacée par la gauche, ou plutôt la gôche, travestissement orthographique ironique que j’emprunte à Éric Naulleau, qui la définit comme une gauche du verbe, du principe, une gauche qui se paie de mots et ne sait rien dire d’autre que facho, facho, facho – Éric Naulleau, un des rares rescapés de la vraie gauche.
De son côté la droite glissera plus lentement vers le « centre » et rectifiera certains axiomes qui ne sont plus tout à fait en accord avec la nouvelle doctrine politique qui a merveilleusement le vent en poupe : la social-démocratie, notre armature politique, on l’appelle un peu plus scientifiquement aussi le néo-libéralisme, car il est basé sur les principes de Benjamin Constant et de ses compères libéraux, mais s’applique aujourd’hui dans des situations tellement différentes de celles au cours desquelles il a été pensé que ses auteurs initiaux n’en sont plus que de vagues inspirateurs.
Mitterrand, très embarrassé par l’impossibilité d’appliquer son programme deux ans après son élection, embrassera discrètement le virage néo-libéral et confiera à la maison-mère les rênes de son pays, je parle d’une instance fondamentale, l’Europe, évidemment pas au sens cartographique ou historique, mais au sens pan-politique, c’est-à-dire la Communauté économique européenne, qui s’est mutée et est devenue l’Union européenne, dont peu à peu la popularité et les pouvoirs se sont accrus, nous verrons pourquoi. Nous n’avons pas quitté cette phase et le chiffre deux existe toujours, il est désormais entre deux mosaïques que sont d’une part les réacs’, les populistes (je les appellerai les « dangers-pour-la-démocratie » et de l’autre les bien-pensants.
Les bien-pensants sont beaucoup moins déchirés que les populistes (même si nous distinguons avec de plus en plus d’acuité deux bien-pensances s’éloigner de plus en plus) de sorte que depuis quarante ans, en faisant planer un suspense ridicule sur leur possible défaite, ils tiennent les principaux leviers de commandes. De l’autre côté les opposants au système ne s’entendent pas du tout et sont tellement morcelés qu’on croirait à une constellation de mécontents indépendants qui ne parviennent pas à s’unifier, car ils se composent de tous ceux qui ne sont pas d’accord, mais même tous ensemble ils représentent sans doute moins de poids à l’échelle du continent que les bien-pensants, nous verrons en fin d’ouvrage pourquoi je ne pense pas que ce bras de fer restera indéfiniment à l’avantage de la bien-pensance actuelle.
La bien-pensance est aujourd’hui bifide et risque de le devenir plus dans les prochaines années, car deux courants se sont détachés de cette pensée qui semblaient conclure un pacte de non-agression jusqu’il y a quelques années, lorsque le wokisme, porté à l’origine par les théories structuralistes des années ’70, en particulier en les personnes de Michel Foucault, de Gilles Deleuze, de Jacques Derrida, de Félix Guattari et d’autres membres de cette école qui avait alors le vent en poupe et a par la suite obtenu un grand succès de l’autre côté de l’Atlantique, où elle a légitimement porté le nom de French Theory, avant de revenir comme un boomerang en France et plus largement en Europe, sous le vague nom de wokisme – ce mot signifie en argot américain utilisé surtout par la communauté noire, éveillé, au sens d’éveillé à des problèmes qu’on a refusé de voir et restés étouffés pendant des décennies voire des siècles. Les wokistes se présentent comme les prophètes d’une nouvelle civilisation occidentale qu’ils veulent restructurer complètement selon des codes cent fois plus éthiques que ceux que tous les philosophes ont défendus jusqu’ici, qui à leurs termes, sont en gros passés à côté de l’essentiel. De Socrate à Heidegger, tous passent à la moulinette.
Mais cette vitrine de la bien-pensance, le wokisme, sera exposée dans une section ultérieure qui s’y consacrera entièrement. La bien-pensance qui nous occupera ici sera celle magnifiquement incarnée par le président Macron, parfait héritier de ce que Marcel Gauchet a baptisé le mitterando-chiraquisme, une idéologie que les deux hommes qui forment le syntagme ont constituée, bien entendu en concours avec les autres puissances européennes et américaines.
La conjonction de ces deux présidents dans le même mot, le premier émanant de la gauche et le second de la droite, a été le premier marqueur de la disparition du clivage gauche/droite, ou au moins sa redéfinition dans un sens qui n’a plus rien à voir avec l’original (mais dont nous nous servons encore, à tort je crois).
Pour faire simple, ces deux présidents ont pris l’un puis l’autre, et les deux ensemble en fait, curieux hasard – parce que Chirac fut pendant deux ans le Premier ministre de Mitterrand – le virage néo-libéral, selon des modalités légèrement différentes, car ce dernier s’est popularisé par de grandes évolutions qu’on classerait plutôt à gauche (la gauche originelle) comme l’abolition de la peine de mort, dès sa première élection, et Chirac a eu des sorties polémiques qui s’assimilent parfaitement à une droite dure, nous pensons à la fameuse phrase sur les odeurs. Mais je pense que cela est très trompeur, car les deux hommes partagent un même projet politique de fond, qui se caractérise principalement par un amour fou de l’Europe, au sens de la construction macro-politique de l’Europe, aujourd’hui ce qu’on appelle l’Union européenne.
Puis, d’autres présidents leur ont succédé : Nicolas Sarkozy, qui a fini par se faire détester, François Hollande qui n’a marqué aucun esprit et désormais Emmanuel Macron qui synthétise merveilleusement cette alternance du mitterando-chiraquisme de droite (Chirac et Sarkozy) et de gauche (Mitterrand et Hollande), très explicitement déjà par son génie à avoir dissous les deux grands partis français qui ont écrasé la scène politique nationale depuis de Gaulle, au moins. Aujourd’hui ces deux partis sont entrés l’un comme l’autre dans les souvenirs de l’histoire et aucun d’eux ne semble ressusciter – la preuve est qu’aucun d’eux n’a même atteint le second tour de la présidentielle dernière. En fait ils sont caducs et je pense que l’explication est pour une fois assez simple (ce qui est très rare) : c’est parce qu’ils se ressemblaient beaucoup trop que l’alternance n’avait objectivement plus rien d’une alternance, hormis quelques sorties un peu stéréotypées de gauche ou de droite, mais dans les faits et les actes on ne pouvait pas noter de différences notables ; le même tropisme les animait.
Ainsi, Macron a procédé à la synthèse, à la fusion, des deux titans pour fondre un nouveau parti extrêmement puissant et influent qui à mon sens ne peut pour le moment (mais ça évoluera) pas perdre une élection, car il épouse précisément une idéologie robustement entérinée par à peu auprès de tous les pays occidentaux ; sa seule menace, je dirais, est son concurrent wokiste qui fait beaucoup d’adeptes dans la jeunesse et se distingue de plus en plus de lui, tout en gardant, c’est fondamental pour survivre, son immunité idéologique. Le macronisme a réussi à diaboliser tous ceux qui se différenciaient réellement de lui, mais pas le wokisme, qu’il voit, je crois, comme un marchepied pour lui, mais qui pourrait à tout moment se révéler hostile et rompre le pacte de plus en plus fragile. Il y aurait à ce stade, véritablement, une concurrence de deux idéologies qui ont leur carte officielle de moralité. Une tempérance grâce aux nombreux appels du pied du président qui leur concède de temps à autre quelques opinions repousse pour le moment les quelques assauts wokistes que la macronie subit de temps à autre. Mais est-ce qu’elle tiendra contre le wokisme encore longtemps ? Pas sûr du tout.
En fait la raison pour laquelle le macronisme ne s’en prend pas violemment au wokisme est que son idéologie peut le servir. Voilà pourquoi il en est un turbo-compresseur, car elle participe de loin à la vaste avancée du projet européiste (quasi-synonyme de macronien). J’expliquerai longuement pourquoi plus bas.
Mais que veulent les macroniens ? C’est extrêmement simple et extrêmement compliqué ; ils veulent une gouvernance pan-nationale, dans un premier temps européenne, ils veulent que ce soit l’économie du secteur tertiaire dans ses immenses remaniements des dernières années qui fasse l’économie du monde, ils veulent en finir avec l’agriculture locale, avec l’industrie, avec les pauvres et même avec les petits entrepreneurs. Ce qui les intéresse c’est la marchandisation et le commerce planétaires, la porosité totale des frontières, le resserrement des liens diplomatiques partout dans le monde en vue d’arriver à une société 2.0 qui ne tolérera aucune distinction locale (c’est la mêmeté, concept d’Alain de Benoist), les frontières, les barrières, quelles qu’elles soient, entraveraient la fluidité des relations interétatiques et intercontinentales que divinisent nos amis macroniens.
Il y a un prodigieux penseur qui illustre cela avec un brio phénoménal. Je fais référence au grand Zygmunt Bauman dont l’objet de la pensée-fleuve est justement le liquide, la société liquide, l’homme liquide, sans grumeaux, sans aspérités, sans différences. Ainsi advient selon lui la liquéfaction de la société, ou plutôt des sociétés – qui précédera peut-être leur liquidation, qui sait ? Car lorsqu’on anonymise des peuples, en d’autres termes on les liquide, on les dépouille de tout ce qui peut les distinguer et par équivalence les identifier comme ensembles réels. Ils n’existent alors plus en tant que tels, mais comme parties prenantes d’un magma non identifié.
Délocalisation, partenariat, filiales, rachat, multinationales, Davos, finance, dettes, succursales, low cost, mondial, télétravail, anglais, réunions, leadership, audit… font partie des mots fétiches du macronisme, ils en sont l’essence, l’huile et les engrenages. Au contraire, ceux comme justice, régaliens, police, philosophie, sciences humaines, campagne, pauvreté, éducation nationale, débat d’idées, local, culture, français sont beaucoup plus étrangers à son logiciel ; ce n’est pas qu’il les esquive complètement, mais ils représentent une entrave à la gestation européiste de Macron (je parle toujours de Macron, mais il en va de même de tous ses homologues européens, Jean-Claude Junker et Ursula von der Leyen au premier plan, ou alors Angela Merkel qui est maintenant un peu à l’écart du monde politique international, mais qui rivalisait sérieusement avec lui pour le trophée du parfait européiste) et n’ont que très peu d’utilité à son achievment pour utiliser un mot à la mode. L’investiture de l’anglais n’a rien d’étonnant, car il est nécessaire à la mission – plus personne ne parle français à l’étranger, anglais si, il faut donc que dans le monde macronien on parle anglais. Et on remarque que c’est clairement de plus en plus le cas.
Nous entendons tous les jours CEO, CFO, leadership, back up, double check, to do list, partner, start up, business, freelance, holding ou encore le ridicule, parce qu’entendu ou lu à toutes les sauces toutes les deux secondes project manager. Le project manager (dit PM) est la pierre de touche du travailleur macronien, comme Stakhanov l’était du travailleur soviétique.
Inversement nous n’entendons pas farmer, employee, civil servant, education, judge, philosopher… dans la langue anglaise courante, dans le globish. Autrement dit, le lien est ténu entre l’anglais et tout élément de la doctrine européenne, alors qu’il est inexistant dans le lexique de la France politique d’avant 1980.
Le chiffre deux est toujours là, mais il se décline de nouveau autrement ; en reprenant les mots d’Alain de Benoist il y a maintenant d’un côté les somewhere (dont je n’ai pas encore parlé) et de l’autre les anywhere (qui eux-mêmes se divisent en deux factions de plus en plus ennemies, nous l’avons vu et continuerons à l’étudier). Les somewhere sont vraisemblablement une espèce en voie d’extinction qui résiste encore à la modernité – ils sont vus non nécessairement comme des nuisibles, mais comme des arriérés, des gens du passé qui n’ont pas compris que les choses bougent. Je pense que les macroniens pensent encore pouvoir convertir une partie d’entre eux, mais il est certain qu’ils n’y parviendront pas totalement. Car des mouvements très composites combattent vivement les bien-pensants ; ils sont néanmoins condamnés à la défaite tant que le label de non fréquentables leur collera à la peau et tant que les boomers (frange générationnelle la plus macronienne) seront si nombreux.
On représente souvent les somewhere sous l’appellation drôle de « dangers pour la démocratie ». Une autre de leurs grosses tares est qu’ils ne s’entendent pas du tout et sont plus divisés encore que wokistes et macroniens qui peuvent, eux, trouver un terrain d’entente, même si sûrement provisoire. Cela fera l’objet d’une autre section.
Aussi avant-gardistes et forts que peuvent être les macroniens ils sont tout de même snobés par les hyperriches, les GAFAM, les transhumanistes – les Elon Musk, en somme. Les seconds sont sur le même chenal, mais bien des encablures devant ; les gouvernements bien-pensants bien que voguant à toute vapeur sont encore loin derrière et se malmènent vainement pour combler l’écart.
Ils participent tous deux de la même dynamique, mais les gouvernements sont au service des premiers (pour un confort d’écriture, je parlerai de la classe hyper) et encombrés de difficultés qui les ralentissent. Un exemple criant de ces ralentisseurs agaçants pour le pouvoir, ce sont les gilets jaunes, phénomène qui n’a rien d’accessoire et qui est la manifestation la plus déterminante d’un NON collectif adressé à la classe dirigeante.
Antagonistes forcenés du virage mondialiste et ennemis jurés de la classe hyper et de leurs thuriféraires, les macroniens, ils convoquent les gouvernements sur des questions annexes, lourdes à traiter et qui n’avancent en rien le grand projet ; au contraire ils le détournent de sa finalité et dévient temporairement sa trajectoire. Le pouvoir a pris le pli de répondre à ces diatribes à leur encontre par d’éloquentes bluettes, des discours creux, mais alliciants et exaltés, du genre « nous serons intransigeants avec les ennemis de la République », – que ce soient les déclarations du garde des Sceaux, du ministre de l’Intérieur ou du président lui-même, ce sont des paroles qu’aucune réelle colonne vertébrale d’actions ne suivra, des paroles en l’air dirons-nous, car parmi les gilets jaunes il y en a peu aujourd’hui qui en six ans sont plus satisfaits qu’ils ne l’étaient et qui se repentent du carnage qu’ils ont provoqué dans les grandes villes.
La caractéristique la plus remarquable de ce mouvement était qu’il n’avait pas de chef, il était tentaculaire et irradiait les villes du pays entier, prenait les ronds-points, saccageait tout, mais n’était le truchement de rien, rien de précis, c’était un très nébuleux soulèvement de mécontents très diffus. C’est peut-être ce qui l’a essoufflé. Mais c’est encore une fois par la non-unité des anti-macroniens qu’ils sont si bas sur le podium politique. Ils sont piètres et d’accord sur rien d’autre que leurs désaccords. On y trouvait des gauchistes, des wokistes, des extrêmes-droitistes, des complotistes, des indigents… Et leurs méthodes rugueuses ont aidé à leur décrédibilisation ; il va sans dire qu’ils ont très mal orienté leurs actes de manifestation.
Toujours est-il que malgré ses fils à la patte le macronisme progresse et poursuit la classe hyper. L’horizon est fabuleusement décrit par Laurent Alexandre, le grand défenseur francophone du transhumanisme, de l’homme 2.0, comme il le dit lui-même. Ces gens veulent ouvertement en finir avec les anciens hommes qu’ils appellent les hommes 1.0 ; ils sont has been. Il leur faut maintenant une matière humaine indifférenciée (selon la formule de Renaud Camus) et augmentée, par des puces, des programmes informatiques, des fibres ou tout ce qu’on peut imaginer grâce à l’intelligence artificielle. Les pays, les peuples, les races, les nations, la culture, l’école ne sont plus que des anachronismes dont on discutait encore au XXe siècle. Ils sont convaincus que leurs découvertes mettront bas des solutions totales et imparables dont les sceptiques signeront par leur non-engagement leur entrée dans la marginalité qui s’intensifiera au fur et à mesure que les technologies avanceront.
Contrairement à beaucoup de réactionnaires complotistes, je ne pense pas que ni les macroniens ni la classe hyper ne vise le contrôle ou la conquête de la planète – je pense qu’ils croient que leurs découvertes rendront la vie plus heureuse, plus performante et régleront beaucoup des gageures, si pas toutes, que portent la terre et les humains d’aujourd’hui. Mais ce faisant ils ignorent sans doute qu’en dépit de tous les palliatifs qu’ils inventeront, symétriquement il n’y aura plus (dans le meilleur des cas moins) d’espace pour la beauté, l’art et la littérature, le silence, le vide, l’échec ou la providence.
Le contrôle drainera tous les pans de l’existence et il faudra (ils le disent eux-mêmes honnêtement) rebâtir jusqu’à une nouvelle morale, car l’actuelle sera tout bonnement périmée et ne pourra plus trouver d’application dans un monde si futuriste qui aura délié les nœuds essentiels qui auront tenu la gent humaine pendant vingt ou trente siècles. Il ne s’agira pas – que tout le monde le comprenne d’ores et déjà – d’évolution, mais de révolution. Les nanotechnologies, les microprocesseurs, l’IA, la robotique enclencheront des changements de nature anthropologique.
Je n’entrerai pas dans le détail de tout ce qui sera inévitablement condamné, mais il semble que la spiritualité et les religions seront de moins en moins compatibles avec ce monde, car leurs doctrines dépendent inversement de toute la marge qui soit. Or elle ne peut que se résorber lorsque la programmation décidera, mieux que nous, et prendra anticipativement toutes les bonnes mesures qui contreront les problèmes qui pourraient se présenter. Est-ce qu’elles pourraient se réinventer malgré cela ? Je l’ignore ; les ministres de culte, les théologiens ou les grands sages y répondraient infiniment mieux que moi, mais je pressens qu’ils seront très pessimistes, quelle que soit leur obédience.
Nous serions là téléportés dans le Meilleur des mondes. Oui, la société que décrit Huxley dans son œuvre maîtresse et avant-gardiste dépeint exactement ces évolutions (ou ces involutions ?) et les malheurs qui s’ensuivront nécessairement. Nous constatons bien qu’au fur et à mesure des pages les personnages qu’on a gavés de mantras ridicules à seriner comme des perroquets et qui perdent petit à petit leur effet cherchent à s’émanciper de ce contrôle et de cet hygiénisme, ils recherchent alors ce qui reste d’imperfections, d’humanité en eux, qui veut ressurgir malgré tous les anesthésiques qu’on leur administre.
Je ne dis pas que c’est cela le dessein de Macron et de ses fourriers ; mais ils foncent droit là-dessus. Le singulier est remplacé par le pluriel, le local par l’international, la micro-économie par la macro-économie, l’économie par la finance, les problèmes desquels débattre ouvertement par les problèmes à gérer techniquement, l’activité authentiquement humaine par le divertissement, le cinéma par l’industrie cinématographique, l’élite par la masse, le baccalauréat par le baccalauréat 2.0…
Ce que nous voyons ici est que la discrépance entre les hommes et entre les peuples s’oblitère et nous ne pouvons ignorer une triple quête que le pouvoir s’assigne : d’uniformisation, de globalisation et de technicisation pour résoudre tout ce qui ne va pas bien ou qui dérange. Ceci n’est pas sans évoquer Heidegger évidemment, qui en son temps surlignait déjà cette grave menace qui planait déjà alors, surtout sur l’Occident anglo-saxon. Une des preuves est que Bertrand Russel ne comprenait pas la philosophie d’Heidegger et plus largement décriait la philosophie continentale, trop conceptuelle pour lui ; il célébrait en revanche la philosophie analytique anglo-américaine qui a jusqu’ici, et peut-être définitivement, gagné le combat et par conséquent se répand à pas de géants dans tous les pays développés et influents.
Si je ne devais dire qu’une chose à propos de Macron, c’est qu’il symbolise la gouvernance par la technique et enterre la gouvernance par le débat public et argumenté. Ce ne sont plus les idées qui nous font décider, ce sont les chiffres, les statistiques, la science, plus particulièrement les sciences humaines, comme on les appelle, qui n’ont pas grand-chose de scientifique quand on regarde leurs prédictions follement incorrectes, et l’économie. L’exemple sans doute le plus édifiant du naufrage de l’université est celui de la sociologie qui nous a dit pendant des années que le niveau scolaire montait quand il s’écroulait à vitesse grand V. Je dois citer le cas gravissime d’un universitaire qui a dérapé à un point que même moi je n’aurais pas imaginé qu’un jour un dépositaire de l’autorité académique rampe intellectuellement et qui milite aussi outrageusement pour l’indéfendable. Je parle de François Burgat qui a, je le cite, infiniment, je dis bien infiniment plus de respect et de considération pour les dirigeants du Hamas que pour ceux de l’État d’Israël, tout en relayant des communiqués du Hamas qui se félicite de l’attaque du 7 octobre. Quant aux étudiants, un sondage est sorti il y a très peu de temps qui nous apprend que pratiquement un jeune Français sur deux ignore en quelle année a commencé leur Révolution. Pas besoin d’en dire plus.
Je constate que de plus en plus les confrontations politico-médiatiques se résument à des joutes verbales desquelles sortira vainqueur l’expert, et souvent l’expert ès sciences sociales (pas le penseur ou le politique), qui citera le plus de chiffres bons et mentionnera le plus de productions « admises par la communauté académique » (qui pourraient être de la plume de François Burgat, donc…) sur lesquelles il pourra fièrement s’arcbouter.
Je terminerai cette discussion en m’indignant d’une dernière ineptie des bien-pensants sur laquelle je reviendrai bien plus exhaustivement dans un autre paragraphe : la diabolisation de leurs adversaires (il faut d’emblée tout de même concéder leur modération sur ce point lorsqu’on les comparera aux autres bien-pensants [la deuxième frange, les wokistes] qui vocifèrent eux à quiconque les contredit, j’y arrive).
Les macroniens, les néo-libéraux de base, n’ont pas changé leurs discours d’une virgule depuis les années ’80, comme l’exprime bien Marcel Gauchet : ils s’obstinent à brailler que :
1) Si le peuple n’est pas satisfait de leur ouvrage, c’est bien parce qu’il n’est pas encore assez abouti et que dans le futur il les comblera, car ses actuelles défaillances seront solidement amendées – il faut donc laisser les experts européistes au pouvoir sans les interrompre ou les distraire au risque de battre en brèches les jalons du monde encore impubère qu’ils mettent sur pied ;
2) Que ceux qui ne les suivent pas ne maîtrisent pas leurs sujets et scandent fiévreusement en bons tribuns, comme de fins griots, des lieux communs irréalistes, séducteurs et démagogiques qui ne font que tromper l’opinion publique, alimentent le populisme et le complotisme, draguent malhonnêtement les ignares, leurs victimes inconscientes, dans leurs filets ;
3) Que tous ceux qui s’opposent à eux représentent des « dangers-pour-la-démocratie » selon cette grotesque formule de plus en plus rebattue ; c’est-à-dire que quiconque met en exergue ou critique le macronisme, le néo-libéralisme moderne ou l’européisme sort des clous de la démocratie, qu’il menace dans la foulée, de ce fait ; il faut alors les rembarrer urgemment sous peine de laisser se membrer une dictature en devenir qui bafouera les fondations élémentaires de la vie démocratique du XXIe siècle.
Qui ne peut aujourd’hui retenir son sourire lorsqu’après la troisième fois que le Rassemblement national atteint le second tour de l’élection présidentielle, Emmanuel Macron multiplie les références discrètes à la Shoah et s’adresse aussi pompeusement à la nation qu’il somme de se protéger contre le retour en force des extrêmes, etc., que la flamme du fascisme n’est pas éteinte et que les bottes de cuir noires peuvent encore défiler sur les Champs Élysées si le peuple ne prend pas garde à faire le bon choix, celui de la « modération » ? Qui croyait vraiment, dans l’état de la situation, qu’il était possible que le RN gagnât ces élections ? Qui n’y voit pas un grossier marketing, grossier, mais surtout scandaleux ? J’espère de moins en moins de gens. Comment expliquer que le Front puis Rassemblement national qui existe depuis cinquante ans serait aujourd’hui un parti antidémocratique et autoritaire alors qu’il n’a jamais fait montre de la moindre velléité de prise de pouvoir par les armes ou dans la rue après toutes ses défaites ? Un parti formellement extrémiste accepte-t-il dix fois sans broncher la victoire de l’adversaire ? Bref, this is ridiculous.
La macronie symbolise en définitive et en résumé ce qu’Éric Zemmour appelle la mondialisation par le haut ; l’autre, qu’elle implique, étant par symétrie la mondialisation par le bas.
La mondialisation est le phénomène politique majeur du tournant du XXe au XXIe siècle, le passage d’un monde de nations, de pays et d’États qui peuvent à leur loisir collaborer, s’ignorer ou s’attaquer, à un monde d’individus, dont l’identité est moins plastifiée par la nationalité ou la provenance que par d’autres facteurs, beaucoup plus transversaux. En tant que baignoire de contenance du néo-libéralisme contemporain, « frontièrophobe » et économiciste, la mondialisation, plus qu’une arme ou qu’une monnaie d’échange, est absolument nécessaire à la continuation du système en place et bien rôdé ; ce nouveau monde corporatiste, de l’entrepreneuriat et de la privatisation des structures régaliennes, de multinationales toutes puissantes et des grands forums macro-politiques et géo-économiques (Davos en est le mètre étalon) ne trouve son sens et son oxygène que simultanément avec la disparition des murs, des douanes, des frontières et des essences humaines, car les produits ne devraient pas avoir d’odeur et le grand marché tient en horreur ce qui ne se massifie pas à grande échelle.
Pourquoi « par le haut » ? Parce que les grands bénéfices (diplomatiques, politiques, de cooptations et surtout économiques et économétriques) se jouent dans les cénacles des décideurs (plus uniquement les hommes politiques, donc, nous l’avons vu) et leur jeu de Monopoly n’implique pas seulement une paupérisation très visible et révoltante du peuple européen, la mort de la classe moyenne et l’indigence aggravée dans les milieux populaires en même temps que l’enrichissement indécent d’une micro-fraction d’hyperriches – mais aussi la moulure à l’identique des individus/robots sur toute la planète, ou en tout cas sous tous les cieux de ceux qui ont signé le contrat mondialiste (Traité de Maastricht, etc.), humains consommateurs et vendeurs avant tout. Par l’absence de frontières et de préférence nationale (naguère encore un pléonasme) les notions d’État et de droit interne sont désuètes et, plus que ça, de pénibles casse-vitesses ; si bien que l’uniformisation judiciaire et politique du monde par le travail d’arrache-pied de l’Union européenne, de ses institutions et, au-delà, des Nations unies, pour désosser les rambardes constitutionnelles et les aspérités signalétiques de chaque pays a permis aux macroniens et maastrichtiens de resserrer leur étau et leur pouvoir de fait. Et ensuite, naturellement, ce mitterando-chiraquisme impose pour ce faire, cran par cran, l’étalement pan-national des citoyens (le mot de citoyen perd lui aussi son sens, si les choses s’éternisent il n’y aura bientôt plus que des hommes et des femmes reliés non plus à des couverts étatiques, mais de simples atomes, des troupiers du macronisme), parce que pour travailler correctement en suivant la battue de ce monde en devenir on ne peut plus rester logés paisiblement dans sa ville en parlant sa langue, avec ses compatriotes, il faut traverser plusieurs fois par semaine l’Europe voire les océans, c’est inéluctable, c’est la mondialisation par le haut.
La mondialisation par le bas est la simple marche suivante. Pour le bon exercice de la mondialisation par le haut, celle du beau et riche Paris, il faut des consommateurs, toujours plus de consommateurs, dont on n’attend rien d’autre qu’ils prennent leur part au grand marché ; et il se fait justement qu’en Afrique il y a une démographie qui s’envole et des millions d’Africains qui ne demandent qu’à émigrer en Europe, je détaillerai le phénomène beaucoup plus largement plus tard dans cet essai. C’est bien entendu l’aubaine pour la macronie qui saisit sans doute bien la catastrophe identitaire à laquelle cette subversion (le Grand Remplacement) nous mènera, mais qui n’a pas à s’en soucier parce que sa mission et son dessein sont managériaux avant tout et comme je l’ai indiqué, et comme Régis Debray le déplore continuellement, économicistes ; du coup ils s’enthousiasment pour l’heureuse coïncidence qu’au moment où l’Europe ne fait sagement plus beaucoup d’enfants un réservoir de suppléants y remédie et nous honore de leur présence… Cette nécessité macronienne n’est jamais ouvertement admise et pour faire passer la pilule ils nous disent (le sujet sera abordé plus tard) d’une part que pour des raisons morales ils se sentent appelés par un devoir de solidarité et d’assistance humanitaire. Plus savamment ils nous diront, par un tour de professionnels de la communication et de l’hypnose, que ce n’est rien d’autre que la démocratie, en la transformant en l’État de droit et en les droits de l’homme.
Quel que soit ce que veulent désormais la majorité des Français et des Européens (c’est-à-dire une fermeté sur l’immigration, comme le rappelle souvent bien Sonia Mabrouk sur Europe 1), ce n’est plus ça la démocratie, elle est dorénavant seulement ce que le directoire européiste a décidé, le changement de sens du mot grec l’a réorientée ou plutôt redéfinie de telle manière qu’elle justifie la machinerie de l’hyperconsommation. De l’autre côté, le pouvoir qui se défend affirme que l’immigration est « une chance pour l’Europe » parce que le patronat a besoin sans cesse d’une nouvelle main-d’œuvre [c’est normal avec l’hyperconsommation : production – vente – puis gestion des kilomètres cubes des déchets de l’obsolescence programmée] et que les Européens ne veulent plus exercer certains métiers pénibles. Par cet argument [complètement faux, il suffit de se renseigner un brin sur la situation affolante des agriculteurs éreintés et des derniers ouvriers de l’industrie ruinés] ils trahissent sous la forme d’un lapsus révélateur passé sous leurs radars que leur lecture gouvernementale tient pour facteur déterminant l’économie à grande échelle et que la politique, au sens ancien, n’a plus leurs grâces. L’état de la justice, de l’hôpital, de la police, de l’éducation, etc., nous en dit suffisamment pour que l’on comprenne tous très intelligiblement que nos dirigeants ne se préoccupent tout bonnement pas de la politique régalienne.
Je tiens à apprendre aux Français une information qui n’a pas été retenue par les médias. Lors de son voyage au Kazakhstan, le Président Macron a dit devant des étudiants kazakhs qu’après son second mandat [vu qu’il ne peut pas être réélu une deuxième fois] il « fera tout à fait autre chose ». Ce morceau de phrase est fascinant ; il signifie que ce président, qui a été banquier, est entré en politique, y a grimpé les étages jusqu’au toit, annonce qu’après sa prestation il se retirera du champ politique et qu’il se consacrera à un autre métier. Comment mieux prouver que cet homme n’est pas un homme politique, c’est un gestionnaire qui n’a comme conviction que l’application systématique, et donc à la nation aussi, de ses certitudes économiques, managériales et financières ? Ce coup-ci, il aura travaillé pour la France, ensuite ce sera peut-être pour une multinationale ou de nouveau pour une banque. Comment un homme qui ose dire cela peut-il prétendre être habité par l’amour de son pays, lui qui tout compte fait n’aura fait qu’un passage opportuniste à la haute administration ? La politique est une vocation, a fortiori à cette échelle, jamais une activité professionnelle ordinaire, une ligne sur un CV.
« Le wokisme est un totalitarisme ; dès que vous [il parle en l’occurrence de Chloé Morin, qui a récemment écrit un livre sur le wokisme et qui, naturellement, subit les éclairs d’une gauche bien-pensante] sortez de la doxa, les officines spécialisées s’intéressent à votre cas pour essayer de vous salir, non pas de vous répondre sur le fond ; le wokisme est un projet de contre-société, un projet de contre-civilisation qui est basé sur le fait de nier toutes les valeurs fondamentales sur lesquelles est basée la France. »
Éric Naulleau, l’Heure des Pros, le 28 février 2024
J’en viens comme promis à la seconde bien-pensance, très vague et diffuse ; il est difficile d’en regrouper les tentacules, de l’identifier et de la définir, mais nous allons tout de même faire de notre mieux. En introduction un beau paragraphe de Nathalie Heinich que je ne commenterai pas, elle est une intellectuelle de la vieille gauche, cette gauche en perdition, sur laquelle j’écrirai longuement plus bas :
« Pour une certaine gauche sectaire, empreinte de bourdieusisme mal digéré, les adversaires sont des ennemis, avec qui l’on ne doit même pas discuter. C’est dans la culture de l’extrême gauche, à laquelle s’ajoute aujourd’hui une tendance à la censure de tout ce qui ne serait pas conforme à une certaine bien-pensance politique – une tendance qui nous vient des États-Unis, et qui est de plus en plus prégnante et inquiétante. Toute expression d’une opinion qui pourrait heurter les sentiments d’une communauté serait à bannir, et cet appel à la censure ne provient plus des États, mais des milieux intellectuels. C’est très inquiétant. Il existe heureusement des conceptions plus libérales et plus intelligentes de la liberté d’expression, y compris à gauche. Il faut qu’elles se fassent entendre. »
Je commencerai par dire que le wokisme a trouvé sa foi et sa puissance sociétale et médiatique principalement grâce à l’école et surtout l’université ; ces institutions d’éducation pullulent de militants gauchistes qui plutôt qu’enseigner les matières, veillent à assurer au monde que les nouvelles générations d’intellectuels seront bien prêtes pour leurs missions de conduire les nouveaux dogmes moraux et surtout d’y faire le maximum d’adeptes, parmi les jeunes et parmi les amateurs de prêt-à-penser.
L’autre bien-pensance, le wokisme donc, tient pour objectif un non moins ambitieux triple défi que celui de la première ; de 1) dans une première phase changer toutes les règles, en convaincant les hommes-z-et-les-femmes qu’ils ont piteusement vécus, dans le péché le plus indéfendable, depuis Mathusalem, en pactisant avec les plus abjectes méthodes et des croyances et des dogmes haïssables ; 2) anéantir les mœurs sociales occidentales qui ont cours et en ériger de nouvelles qui redétermineront tous les standards politiques, sociaux, comportementaux, et ébranleront même les sciences biologiques qui ne leur conviennent pas toujours ; 3) ensuite, réécrire le passé dissonant avec leurs tables de la vérité ou, si ça leur est impossible, le jeter aux gémonies. J’appellerai par convention ce mouvement politique et intellectuel le wokisme (c’est eux qui ont inventé le mot, à la base) qui se divise en plusieurs gammes que je détaillerai ; d’avance je peux dire qu’elles sont entre elles très contradictoires.
Le courant de pensée wokiste, enfanté par le retour en Europe de la French Theory puis saisi à bras le corps par toutes les académies occidentales et en deuxième instance par des partis politiques d’une gauche tout à fait inédite (la gauche des minorités, une dissidente de la vieille gauche, nous en rediscuterons) qui trouve sa meilleure incarnation dans la France Insoumise (LFI), a gagné ses lettres de noblesse et acquis aujourd’hui officiellement le statut de doctrine intouchable. Quiconque se risque à mettre à mal le courant est disqualifié publiquement, parfois à jamais. Les accusations qui pleuvent alors scellent cent fois plus le destin du malheureux que celles dont se servent les macroniens, quand ils ne recourent pas aux méthodes wokistes. Les premiers traitaient en somme plutôt d’idiots, ou au pire, d’extrémistes, leurs adversaires ; les wokistes les agonissent et les renvoient au déshonneur le plus total, les déchoient, les réduisent aux qualificatifs de fascistes, de nazis, d’hétéronormés (c’est une insulte), de mâles blancs, de suprématistes, beaucoup plus couramment de racistes, de haineux et dans les cas les plus extrêmes de violeurs ou de pédophiles, encore que ce soit de plus en plus admis par leur néo-morale, je parle évidemment pour ce qui concernent les insultés qui ne le sont pas et n’ont jamais été jugés comme tels.
Je commencerai donc, pour faire les choses dans l’ordre, par développer ce que je crois être la lecture du monde des wokistes, avant d’aborder leur folle réécriture de l’histoire eu égard à laquelle nous verrons qu’il y a peu à conserver du génie européen, toutes époques confondues, et les conséquences parfois farcesques qu’elle nous a déjà servies et continuera de le faire si rien ne se déploie en face, avant d’explorer la relation très ambiguë et fragile que le wokisme entretient avec l’autre bien-pensance, la macronie, qui la regarde, prête sur ses gardes ; les deux se regardent en chiens de faïence, sans trop bouger pour le moment.
Le terme woke tire son origine, comme je l’ai brièvement mentionné, de l’argot américain noir et signifie éveillé, au sens d’éveillé aux réelles et immarcescibles injustices à imputer aux Occidentaux au travers des siècles, qu’on a occultées par cécité au mieux, ou volontairement, par suprématisme au pis. Lorsque je dis Occidentaux j’omets de préciser qu’il y a d’après leurs grilles d’analyse des Occidentaux pires et bien pires que d’autres : certains ne portent qu’une tare ou deux tandis que d’autres qui les cumulent leur deviennent infréquentables, comme l’essence incarnée du mal, le mal personnifié en une entité humaine.
Les critères de diagnostics de cette mascotte du mal (les red flags dirions-nous) sont les suivants (j’espère ne pas trop en oublier) : de sexe masculin, blanc, européen (ou Européen d’Amériques ou d’Océanie), chrétien ou a fortiori juif (en 2024, à l’heure du retour du grand antisémitisme, être juif est devenu sans conteste le plus discriminant des critères), vieux, hétérosexuel, cisgenre, noble, riche, grand bourgeois, cultivé. Que la cible soit traditionnellement de gauche ou de droite n’influe pas beaucoup sur le traitement réservé, étant donné que c’est ce qu’on est qui compte, et plus ce qu’on pense, ce qu’on défend ou ce qu’on dit. Les wokistes accordent un vice ou un privilège de naissance et de représentation, inaltérable ensuite.
Autant dire qu’à peu près tous les Européens de souche présentent au moins un de ces stigmates si pas deux, trois ou plus, tant ils sont consubstantiels à la matière européenne ; ces mots sont en fait de très longue date assimilés à ce qu’est et a été l’Europe.
Ainsi, comme le souligne Pierre-André Taguieff qui s’y attaque en le démystifiant et en fauchant intellectuellement sa charpente doctrinaire, le wokisme n’est pas grand-chose d’autre qu’un nouveau racisme, une sédition pernicieuse contre toutes les épithètes qui riment traditionnellement avec Europe. C’est donc une europhobie qui ne s’avoue pas totalement, mais si on s’approche de plus près de lui ou si on lit ses penseurs il crève les yeux que leurs cibles sont toutes en lien plus ou moins étroit avec quelque cocarde européenne (par exemple la grande majorité des Européens sont blancs, chrétiens ou juifs, s’ils sont religieux, hétérosexuels, une moitié d’entre eux sont des hommes, et vu l’augmentation de la moyenne d’âge il y a force hommes de plus de soixante ans ; nous leur sommes donc un terrain de chasse de choix).
L’étincelante Sylvie Perez qui vient d’écrire un ouvrage contre le wokisme en est une autre fine analyste qui met bien en lumière à la fois la débilité du mouvement et sa dangerosité par son écrasement de la liberté d’expression, inférieure au respect de leurs grands principes indissolubles qui n’ont pas uniquement valeur de loi morale, mais d’indicateur de fréquentabilité. Leurs pourfendeurs n’enfreignent pas seulement la loi morale, mais ils s’excluent du droit de parler dignement. Les wokistes sont les nouveaux moralistes, tyranniques, et autoproclamés.
Raphaël Enthoven fait cette excellente observation qu’en voulant se faire les glorieuses têtes de pont d’un approfondissement de la démocratie, ils la condamnent en réalité. Ils pensent (comme l’enfer est pavé de bonnes intentions) que leur travail et leurs exhumations d’horreurs odieusement enterrées (cachées) par nos ancêtres sont une percée démocratique, et qu’en libérateurs, ils brossent l’argenterie opacifiée de l’Occident en le bombardant au lance-roquettes ; ils pensent, comme les macroniens, mais autrement, que la démocratie au sens traditionnel ne suffit pas à valider l’opinion publique s’ils l’estiment, eux, immorale. Ce ne sont alors plus l’État de droit, les droits de l’homme et la volonté européiste qui passent au-dessus, c’est le pouvoir de toutes les minorités opprimées.
Les wokistes sont dès lors formellement très cohérents avec eux-mêmes, car le nom de lutte intersectionnelle est bien trouvé, mais nous verrons dans les faits que leurs aphorismes se prennent les pieds dans le tapis parce qu’ils finissent par délirer et par s’annuler l’un l’autre. Les wokistes ne luttent en effet plus pour l’une ou l’autre catégorie sociale, mais pour un conglomérat de victimes dont on a refusé pendant des années, des décennies ou des siècles de suspendre le malheureux statut. Ainsi, les pauvres ne sont plus la priorité, Marx n’est plus leur père spirituel ; la priorité depuis les années 2010, depuis l’affaire Weinstein ou Black lives matter, c’est sortir les minorités opprimées des abominables conditions où on les a si longtemps laissé pourrir dans une indifférence coupable.
En miroir des bourreaux déjà cités, les minorités opprimées sont les femmes, les gens de couleur (les Asiatiques d’Extrême-Orient ne sont toutefois pas tout à fait logés à la même enseigne – la pâleur de leur peau est peut-être répulsive), les extra-Occidentaux, les musulmans, les jeunes, les LGBTQIA2++ (pardonnez-moi si j’ai oublié une lettre ou un chiffre), les foutriquets ou décultivés (avec les merveilleuses expressions de mépris de classe ou de glottophobie) et dans une bien moindre mesure les « roturiers de principe », c’est-à-dire les anti-classes sociales.
Le poncif de la victime est figurativement une femme noire, homosexuelle ou transsexuelle, musulmane, jeune, pas très intelligente et issue d’immigrés sans histoire d’un ancien pays colonisé. Et on observe que certaines figures parmi les plus militantes cochent presque toutes ces cases ; Maboula Soumahoro ou Danielle Obono en sont des effigies de marque et en toute logique de très virulentes activistes, mais la palme revient à la turpide Houria Bouteldja, une harpie qui a été porte-parole des Indigènes de la République, escadrille de l’extrême islamo-wokisme en France, elle est une terreur wokiste qui a été dans la folie politique plus loin que personne n’aurait pu croire.
Il y a énormément à dire sur le wokisme ; je ne pourrai donc en quelques pages que simplifier ce concept incroyablement retors et inouï. Les wokistes estiment donc qu’on a eu tort de croire que depuis l’Antiquité ce sont pour des pauvres, des esclaves, des prolétaires, le tiers état, des mineurs qu’on a pu avoir de la pitié et donner l’obole, car en réalité ils n’auraient pas été les plus visés par la domination mondiale qu’exerçaient les blancs. Ce seraient en fait les catégories que j’ai citées les vraies victimes.
Les femmes sous le joug occidental auraient enduré de vivre inlassablement sous la culture du viol ; car dans ce film qu’elles se font, les hommes sont tous des violeurs potentiels, éduqués selon des mœurs qui leur donnent autorité physique et sexuelle sur le beau sexe, qui serait à leur disposition et qu’ils pourraient malmener à leur guise en toute impunité. De la sorte, des femmes par millions auraient vécu sans s’en rendre compte baignées dans un monde de violeurs en puissance dont il convient désormais d’en désamorcer la masculinité toxique (je prends le soin d’utiliser leur verbiage) et de les déconstruire. Sandrine Rousseau affirme en effet avec fierté vivre avec un homme déconstruit. L’homme ordinaire serait de naissance, alors sans le réaliser, un ogre assujetti à une éducation odieuse qui lui a enseigné à disposer des femmes et à pouvoir quand ça lui chante violer leur intimité, leur pudeur ; quant à la séduction, elle devient du harcèlement, l’envie de rapports sexuels un ultimatum, la galanterie une avanie.
Le concept de micro-agression vaut la peine d’être analysé, car il est l’arme de guerre des wokistes, et plus précisément dans cette déclinaison-ci des woko-féministes (mais ça vaut pour les autres aussi) ; ce syntagme de micro-agression signifie que des attitudes anodines, banales, sans importances, mécaniques, invisibles sont en en fait des hostilités miniaturisées, mais choquantes, car elles sont la première marche de l’escalier sordide du parasitisme masculin. Un homme dont le regard croise celui d’une femme dans le métro et qui lui sourit prend un petit risque, parce que pour les extrémistes du wokisme ce pourrait être le détonateur d’une réaction en chaîne non avouée dont l’issue finale, le prolongement logique et inéluctable, est le viol.
Sourire, a fortiori en laissant transparaître un soupçon d’espièglerie serait un comportement de la même nature que le viol dont il est l’étape précurseresse et donc en diffère par le degré seulement. La peine est alors bien sûr moindre, mais les intentions seraient proches. Je m’essaie à une gradation unidirectionnelle croissante de gravité des agressions : a) micro-agressions : regard porté – regard porté espiègle – avec lubricité – avec compliments b) méso-agressions : compliments lourds et répétés – drague incohérente – suppliques déraisonnées c) macro-agressions, de l’orbite du viol et pénalement foudroyées comme telles : main aux fesses – frottements – baiser volé – attentat à la pudeur – pénétration non pénienne – viol ordinaire.
Un double facteur m’inquiète : d’abord l’insignifiance des premières infractions relevées qui sont tout au plus de la goujaterie, mais néanmoins qualifiées de micro-agressions, ensuite la ligne unitaire qui relie le regard captivé au viol, comme s’ils étaient les premier et dernier étages d’une même « culture du viol ». Un viol est un crime grave qui n’a pas de différence de degré avec un regard lubrique ni même avec une main aux fesses, ça n’a rien tout simplement rien à voir. Dire d’une femme dont on a touché les fesses qu’elle s’est fait violer est non seulement faux, mais ignominieux pour les vraies victimes de viol dont les cicatrices psychiques, voire physiques, ne peuvent sous aucun prétexte être comparées aux premières frasques. La conséquence perverse sera la banalisation du viol. C’est la fable de l’alerte de la présence du loup plusieurs fois mensongère à laquelle, lorsqu’il sera vraiment là, plus personne ne croira. Crier au viol pour un frottement décrédibilise le drame qu’il constitue réellement, dans sa définition consensuellement admise.