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Beschreibung

Depuis le Traité d’Amsterdam, la protection des droits fondamentaux dans l’Union européenne a 30 connu d’importantes évolutions. De nouveaux textes ont été adoptés, d’abord la Charte des droits fondamentaux, ensuite le Traité de Lisbonne. Les interactions entre le système de la Convention européenne des droits de l’homme et celui de l’Union se sont accrues et l’adhésion de l’Union à la Convention a été envisagée.

Remarquables, de telles évolutions se sont-elle traduites par une véritable révolution ? Ne peut-on considérer, au contraire, qu’aucun bouleversement ne s’est produit et que la permanence caractérise le développement de la protection des droits fondamentaux dans l’Union ? C’est la question à laquelle se propose de répondre le présent ouvrage, fruit du colloque annuel de la CEDECE, Association d’études européennes, qui s’est tenu à la Faculté de Droit et de Science politique de Montpellier.

Après être revenu sur la question, toujours actuelle, de l’autonomie du système de protection des droits fondamentaux de l’Union, l’ouvrage rassemble les contributions des spécialistes de la matière en trois parties. Sont ainsi successivement abordés la structuration apparente des fondements de la protection, la « mise à jour » des droits garantis et le renouvellement partiel des modalités de protection.

L’ouvrage constitue un apport majeur pour tous les praticiens, chercheurs et étudiants que le droit de l’Union européenne et la protection des droits fondamentaux en Europe intéressent.

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Collection de droit de l’Union européenne - série colloques

Directeur de la collection : Fabrice Picod

Professeur à l’Université Panthéon-Assas (Paris II), Chaire Jean Monnet de droit et contentieux communautaire, dirige le master professionnel « Contentieux européens », président de la Commission pour l’étude des Communautés européennes (CEDECE)

La collection droit de l’Union européenne, créée en 2005, réunit les ouvrages majeurs en droit de l’Union européenne.

Ces ouvrages sont issus des meilleures thèses de doctorat, de colloques portant sur des sujets d’actualité, des plus grands écrits ainsi réédités, de manuels et monographies rédigés par des auteurs faisant tous autorité.

Parus précédemment dans la même série

1. Le mandat d’arrêt européen, sous la direction de Marie-Elisabeth Cartier, 2005.

2. L’autorité de l’Union européenne, sous la direction de Loïc Azoulai et Laurence Burgorgue-Larsen, 2006.

3. Les entreprises face au nouveau droit des pratiques anticoncurrentielles : le règlement no 1/2003 modifie-t-il les stratégies contentieuses ?, sous la direction de Laurence Idot et Catherine Prieto, 2006.

4. Les échanges entre les droits, l’expérience communautaire. Une lecture des phénomènes de régionalisation et de mondialisation du droit, sous la direction de Sophie Robin-Olivier et Daniel Fasquelle, 2008.

5. Le commun dans l’Union européenne, sous la direction de Pierre-Yves Monjal et Eleftheria Neframi, 2008.

6. Doctrine et droit de l’Union européenne, sous la direction de Fabrice Picod, 2008.

7. L’exécution du droit de l’Union, entre mécanismes communautaires et droits nationaux, sous la direction de Jacqueline Dutheil de la Rochère, 2009.

8. Les droits fondamentaux dans l’Union européenne. Dans le sillage de la Constitution européenne, sous la direction de Joël Rideau, 2009.

9. Dans la fabrique du droit européen. Scènes, acteurs et publics de la Cour de justice des communautés européennes, sous la direction de Pascal Mbongo et Antoine Vauchez, 2009.

10. Vers la reconnaissance des droits fondamentaux aux États membres de l’Union européenne ? Réflexions à partir des notions d’identité et de solidarité, sous la direction de Jean-Christophe Barbato et Jean-Denis Mouton, 2010. 11. L’Union européenne et les crises, sous la direction de Claude Blumann et Fabrice Picod, 2010.

12. La prise de décision dans le système de l’Union européenne, sous la direction de Marc Blanquet, 2011.

13. L’entrave dans le droit du marché intérieur, sous la direction de Loïc Azoulai, 2011.

14. Aux marges du traité. Déclarations, protocoles et annexes aux traités européens, sous la direction de Ségolène Barbou des Places, 2011.

15. Les agences de l’Union européenne, sous la direction de Joël Molinier, 2011.

16. Pédagogie judiciaire et application des droits communautaire et européen, sous la direction de Laurent Coutron, 2011.

17. La légistique dans le système de l’Union européenne. Quelle nouvelle approche ?, sous la direction de Fabienne Peraldi-Leneuf, 2012.

18. Vers une politique européenne de l’énergie, sous la direction de Claude Blumann, 2012.

19. Turquie et Union européenne. État des lieux, sous la direction de Baptiste Bonnet, 2012.

20. Objectifs et compétences dans l’Union européenne, sous la direction de Eleftheria Neframi, 2012.

21. Droit pénal, langue et Union européenne. Réflexions autour du procès pénal, sous la direction de Cristina Mauro et Francesca Ruggieri, 2012.

22. La responsabilité du producteur du fait des déchets, sous la direction de Patrick Thieffry, 2012.

23. Sécurité alimentaire. Nouveaux enjeux et perspectives, sous la direction de Stéphanie Mahieu et Katia Merten-Lentz, 2013.

24. La société européenne. Droit et limites aux stratégies internationales de développement des entreprises, sous la direction de François Keuwer-Defossez et Andra Cotiga, 2013.

25. Le droit des relations extérieures de l’Union européenne après le Traité de Lisbonne, sous la direction de Anne-Sophie Lamblin-Gourdin et Eric Mondielli, 2013.

26. Les frontières de l’Union européenne, sous la direction de Claude Blumann, 2013.

27. L’unité des libertés de circulation. In varietate concordia, sous la direction d’Édouard Dubout et Alexandre Maitrot de la Motte, 2013.

28. 1992-2012 : 20 ans de marché intérieur. Le marché intérieur entre réalité et utopie, sous la direction de Valérie Michel, 2014.

29. L’État tiers en droit de l’Union européenne, sous le direction d’Isabelle Bosse-Platière et Cécile Rapoport, 2014.

Pour toute information sur nos fonds et nos nouveautés dans votre domaine de spécialisation, consultez nos sites web via www.larciergroup.com.

© Groupe Larcier s.a. 2015Éditions BruylantEspace JacqmotteRue Haute. 139 - Loft 6 - 1000 Bruxelles

EAN : 9782802751854

Cette version numérique de l’ouvrage a été réalisée par Nord Compo pour le Groupe Larcier. Nous vous remercions de respecter la propriété littéraire et artistique. Le « photoco-pillage » menace l’avenir du livre.

Sommaire

Avant-propos, par Marc BLANQUET

Propos introductifs, par Claire VIAL et Romain TINIÈRE

UNE STRUCTURATION APPARENTE

DES FONDEMENTS

La hiérarchisation des sources au sein de l’article 6 TUE, par Fabrice PICOD

Le périmètre de l’obligation de respecter les droits fondamentaux en droit de l’Union européenne, par Sébastien PLATON

L’articulation entre le droit de l’Union européenne et le droit international, par Baptiste TRANCHANT

Droits fondamentaux et pluralisme constitutionnel dans l’Union européenne, par Édouard DUBOUT

UNE « MISE À JOUR » DES DROITS GARANTIS

La « fondamentalisation » des droits sociaux en droit de l’Union européenne, par Alexandre FABRE

L’atteinte aux Droits fondamentaux était-elle le prix du sauvetage de la zone euro ? par Francette FINES

La protection des données à caractère personnel : un droit désormais constitutionnalisé et garanti par la C.J.U.E., par Sylvie PEYROU

La consécration de l’intérêt supérieur de l’enfant dans l’Union européenne, par Adeline GOUTTENOIRE

La protection des droits fondamentaux des demandeurs d’asile : une nouvelle construction prétorienne en droit de l’Union européenne, par Araceli TURMO

UN RENOUVELLEMENT PARTIEL

DES MODALITES DE PROTECTION

L’intégration de la protection des droits fondamentaux dans la définition et la mise en œuvre des politiques et actions de l’Union, par Claude BLUMANN

Prendre la promotion externe des droits de l’homme par l’Union européenne « au sérieux », par Christophe MAUBERNARD

Les nouveaux acteurs dans le domaine de la protection des droits fondamentaux dans le droit de l’Union Européenne, par Hannes KRAEMER

« La perspective d’un contrôle externe des actes de l’Union européenne », par David SZYMCZAK

Table ronde : La perception par les juges de leur office de garant des droits fondamentaux,

La Cour de justice de l’Union européenne, gardienne des droits fondamentaux par Camelia TOADER

Le Conseil constitutionnel, garant des droits fondamentaux, par Marc GUILLAUME

Conclusions générales, par Henri LABAYLE

Avant-propos

MARC BLANQUET

Lorsqu’il s’est agi de déterminer le thème du colloque 2014 de la CEDECE, alors que nous nous préoccupions, l’an dernier, de la question du fédéralisme économique1, l’idée s’est imposée de revenir aux fondamentaux, ces derniers étant plus que jamais d’actualité.

Les droits fondamentaux ne comptaient pas dans les préoccupations majeures des pères fondateurs de l’intégration communautaire… Ce n’était pas un oubli, mais une question de méthode, l’avancement du fonctionnalisme ne commençant pas par là… On le sait, c’est quand apparut le principe de primauté, dans sa logique envahissante, que le conflit avec la dimension constitutionnelle, particulièrement sensible vis-à-vis de la protection des droits fondamentaux, exigea de la Cour de justice un « bricolage juridique » génial utilisant le truchement des principes généraux du droit. À partir de là, ce fut une relation à trois, le droit communautaire puis de l’Union, avec ses principes généraux, s’inspirant de la Convention européenne des droits de l’homme et des traditions constitutionnelles commune pour dégager un espace le plus homogène possible, le moins conflictuel possible.

D’emblée, la question des droits fondamentaux apparaît comme déterminante pour la structure même du système juridique intégré, une règle de conflit particulière aux droits fondamentaux, en termes de protection équivalente, conditionnant parfois explicitement l’acceptation par les États membres de la règle de conflit générale, la primauté.

On comprend donc qu’en ces temps où semble s’imposer la géométrie plus claire, plus explicite d’un véritable pluralisme constitutionnel, la relation entre les constitutions des États membres et le droit de l’Union puisse de moins en moins en rester à cette situation de molle convergence, d’inspiration, de prise en considération et de présomption. Dans ce contexte, la question des droits fondamentaux prend une nouvelle dimension.

D’autant que le Traité de Lisbonne a apporté son lot d’innovations majeures, de la portée contraignante de la Charte au lancement du processus d’adhésion à la Convention européenne des droits de l’homme. La jurisprudence de la Cour de justice, celle de 2013 avec les arrêts Åkerberg Fransson2 et Melloni3, celle de 2014 avec l’arrêt Association de médiation sociale4 par exemple, confirme cette exigence de faire un nouveau point sur la question des droits fondamentaux.

Le thème s’étant imposé, l’Université et le Centre de recherche à qui confier ce travail s’imposait un peu… La CEDECE a donc été particulièrement heureuse de la candidature de l’Université de Montpellier, ce choix devant être pris, entre autres, comme un hommage pour ce haut lieu de l’étude du droit européen en France, essentiellement et justement sous ce prisme des droits fondamentaux.

Et je voudrais rester dans ce registre de l’hommage pour rappeler que ce colloque est le premier de la CEDECE à se tenir après le décès de Jean Raux, ancien Président de notre association et un modèle pour nous tous, Professeur modèle, chercheur modèle, un modèle d’humanité et de courage également. Je tenais à ce que nous ayons une pensée pour lui à l’ouverture de ce colloque…

1. « L’Union européenne et le fédéralisme économique. Discours et réalités », Colloque CEDECE des 20 et 21 juin 2013, Paris.

2. Arrêt de la Cour (gde ch.) du 26 février 2013, Åklagaren contre Hans Åkerberg Fransson, aff. C-617/10.

3. Arrêt de la Cour (gde ch.) du 26 février 2013, Stefano Melloni c. Ministerio Fiscal, aff. C-399/11.

4. Arrêt de la Cour (grde ch.) du 15 janvier 2014, Association de médiation sociale contre Union locale des syndicats CGT et autres, aff. C-176/12.

Propos introductifs

L’autonomie du système de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne en question

CLAIRE VIAL(PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ DE MONTPELLIER – IDEDH)ROMAIN TINIÈRE(PROFESSEUR À L’UNIVERSITÉ GRENOBLE-ALPES – IDEDH)

Le système de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne est-il autonome ? À première vue, la question est simple en ce que sa formulation permet d’éviter de s’interroger plus avant quant à l’existence, ou non, d’un système de protection des droits fondamentaux de l’Union. En focalisant son attention sur l’autonomie d’un système, on peut faire l’économie d’une définition de ce qu’est un système juridique, de la détermination des éléments qui le caractérisent, de l’affirmation d’une éventuelle synonymie entre système juridique et ordre juridique1, ainsi que de l’opération de qualification, à partir de ces données générales, du système de protection des droits fondamentaux de l’Union conçu comme un système juridique particulier au regard, à la fois, de son objet – la protection des droits fondamentaux – et de son « fondateur » – l’Union européenne.

Il en irait autrement si jamais l’existence d’un système et son autonomie étaient intimement liées. On pourrait ainsi considérer qu’il n’existe pas de système sans autonomie ou d’autonomie sans système. Mais la question de l’autonomie d’un système présupposé existant est, comme on va le voir, déjà suffisamment complexe pour qu’on évite de la compliquer davantage, en commençant par remettre en cause l’existence du système au moyens de considérations sur l’autonomie. D’autant plus que cela ne nous permettra pas, cette fois, de faire l’économie d’une définition tout aussi difficile à donner que celle d’un système juridique : celle de l’autonomie.

Quelle définition donner de l’autonomie ? Ouvrons un dictionnaire de langue française, au hasard le Littré : « droit que les Romains avaient laissé à certaines villes grecques de se gouverner par leurs propres lois ». Étymologiquement, le jeu de pistes commence alors. On nous renvoie d’abord à « autonome » : « terme dérivé de deux mots grecs signifiant même et loi (…) : qui jouit de ses propres lois » ; puis à « nome » : « terme grec signifiant loi, dérivé du verbe partager ; ce terme veut donc dire d’abord partage légal ». L’accent serait davantage mis, au moins à l’origine, sur la notion de « partage » plutôt que sur celle d’« indépendance », terme employé aussi par le Littré, non comme synonyme d’autonomie, mais comme signification « par extension ». Les dictionnaires contemporains ne s’éloignent pas de la définition donnée et on peut donc affirmer, sans prendre trop de risques, que l’autonomie est le droit de se gouverner par ses propres lois2.

Terme communément employé dans la langue française, l’autonomie est également un élément du vocabulaire juridique. Ouvrons alors l’ouvrage de Gérard Cornu, toujours au hasard, qui nous donne une définition de l’autonomie au sens général du terme : « pouvoir de se déterminer soi-même ; faculté de se donner sa propre loi »3. Quand on quitte le terrain de la généralité, le vocabulaire juridique nous livre d’autres définitions, toutes orientées par les branches du droit dans lesquelles elles sont utilisées. Si aucune de ces définitions ne se rapporte spécialement au droit de l’Union européenne des droits fondamentaux – cela eut été trop beau –, on retiendra quand même qu’elles soulignent toutes, à des degrés divers, que l’autonomie suppose des lois propres, spécifiques à la communauté qui se veut autonome, ce qui lui offre la liberté de se gouverner en toute indépendance, sans intervention – plutôt qu’influence – extérieure. On pressent également, à la lecture du vocabulaire juridique qui rejoint sur ce point les dictionnaires de langue française, que l’autonomie ne va pas de soi. Il se pourrait au contraire qu’elle soit acquise, gagnée ou consentie. Les termes proches de l’autonomie sont flatteurs : souveraineté, liberté, indépendance… Ceux qui s’en éloignent beaucoup moins : assujettissement, soumission, subordination… Il serait dans l’intérêt d’une communauté d’être autonome mais il ne suffirait pas que cette dernière proclame son autonomie pour que celle-ci lui soit accordée. Il semblerait plutôt que l’existence de l’autonomie passe par sa reconnaissance et il est alors d’autant plus indispensable de déterminer quel « regard, […] point de vue, nécessairement subjectif » est porté par la doctrine sur ce que « représente » l’autonomie4.

C’est là qu’il devient pratiquement impossible de donner une définition de l’autonomie et que l’on doit se contenter de plusieurs significations. La conception qu’un auteur a de l’autonomie varie en fonction de sa discipline et de l’objet de son propos qui est rarement l’autonomie elle-même. Sans prétendre à l’exhaustivité, et en s’efforçant de dépasser les clivages, en particulier entre les disciplines, on retiendra certains propos dont le choix s’explique par la nécessité de déterminer si le système de protection des droits fondamentaux de l’Union est autonome.

Selon Michel Troper, « le mot autonomie […] désigne parfois le fait de ne pas dépendre d’autrui ou de phénomènes extérieurs »5. Pour les mêmes raisons que l’auteur, qui considère que « cette qualité ne peut naturellement pas être celle » d’un système juridique6 – pour lui une constitution, pour nous un système de protection des droits fondamentaux7 –, nous laisserons de côté cette conception. Les deux sens qu’il retient ensuite sont, en revanche, tout aussi pertinents pour lui que pour nous. Selon le premier sens, « être autonome, c’est […] le fait de n’être pas soumis à des normes externes » ; selon le second, c’est « la qualité de ne pas être soumis à des causes externes »8. Un système juridique serait autonome dès lors qu’il est « soumis à des normes qu’[il] a [lui]-même posées » (premier sens) et qu’il peut « évoluer de façon autonome » (second sens)9. Ces deux sens, qui sont également ceux sur lesquels s’accordent la plupart des auteurs10, sont assortis de considérations propres au droit de l’Union européenne dans de nombreuses études.

La question est ainsi de savoir, selon les termes de Denys Simon, si « l’ordre juridique communautaire constitue un système de normes distinct d’autres systèmes de normes »11. À cet égard, l’auteur prend en considération l’unité du système, expliquant que « l’unité ou l’autonomie du système procède du fait que les différentes règles juridiques qui le composent doivent toutes pouvoir être rapportées […] à une norme de base commune qui leur confère leur validité et leur cohérence »12. Dans le cadre des rapports de systèmes, l’unité du système ne s’opposerait pas à sa perméabilité et l’auteur précise que « le terme d’autonomie […] n’est synonyme ni d’autarcie ni d’autisme »13. À l’exigence d’unité pourrait s’ajouter celle de la cohérence du système14, à propos de laquelle Denys Simon relève que « si l’on s’attache à une vision de la cohérence comme une nécessité existentielle ou comme un impératif catégorique de l’ordre juridique communautaire, on est obligé de constater que l’image d’un système parfaitement ordonné est singulièrement mise à mal »15. À moins de changer de vision et de ne plus considérer la cohérence du système communautaire « comme une dimension ontologique et axiologique du système » mais comme « une méthode »16.

Si l’unité et la cohérence d’un système juridique nous paraissent éventuellement devoir être démontrées aux fins de déterminer son existence17, nous ne pensons pas que cela épuise du même coup la question de son autonomie. En particulier, nous ne croyons pas que l’unité et la cohérence soient constitutives de l’autonomie, en ce sens que pour être autonome, un système devrait soit nécessairement répondre aux impératifs de l’unité et de la cohérence, soit se contenter d’y satisfaire. Mais si jamais nous avions complètement tort, nous pourrions toujours nous réfugier derrière le fait que l’on peut, malgré la pluralité des sources, démontrer l’unité, comme la cohérence, du système de protection des droits fondamentaux de l’Union18. En d’autres termes, si jamais l’autonomie de ce système passait, entre autres, par la démonstration de son unité et de sa cohérence, nous pourrions affirmer que le système de protection des droits fondamentaux de l’Union est autonome de ce point de vue.

Aux fins de se « représenter » l’autonomie, on ajoutera deux « regards », toujours à propos de l’autonomie d’un ordre juridique, en l’occurrence celui de l’Union. D’abord celui de Philippe Manin commentant les arrêts dans lesquels la Cour de justice a affirmé l’existence d’un « nouvel ordre juridique de droit international »19, « un ordre juridique propre, intégré au système juridique des États membres »20, et selon lequel « il s’est agi seulement [pour la Cour] de faire apparaître la spécificité de cet ordre en raison des caractéristiques intrinsèques du système qui lui confère une autonomie dans son application et dans son développement, tant vis-à-vis des systèmes juridiques nationaux que du droit international »21. Ensuite celui de Jean-Claude Gautron qui affirme que « l’autonomie caractérise […] un ordre juridique qui n’est subordonné à aucun autre, de telle sorte que son autorité ne soit pas dépendante de conditions extérieures »22.

Si l’autonomie est différemment perçue en fonction des branches du droit, des auteurs, des ordres ou systèmes juridiques que ces derniers décident ou non de qualifier d’autonomes, un certain consensus se dégage quant aux critères qu’il convient de retenir pour déterminer si le système de protection des droits fondamentaux de l’Union peut prétendre à l’autonomie. Pour être autonome, ce système doit être propre, spécifique à l’Union ; il doit lui permettre de protéger les droits fondamentaux de manière libre, indépendante. En réduisant la notion d’autonomie à des qualificatifs aussi sommaires, nous avons conscience d’exposer un système complexe « à des tentations simplificatrices dont les finalités sont a priori louables mais dont les effets peuvent être dévastateurs »23. Aussi nous efforcerons-nous, dans toute la mesure du possible, de nuancer nos propos lorsque nous soutiendrons, au vu des critères retenus, que le système de protection des droits fondamentaux de l’Union européenne est, ou n’est pas, autonome.

En 1999, après l’entrée en vigueur du Traité d’Amsterdam et les décisions prises par les Conseils européens de Cologne et de Tampere relatives à l’élaboration d’une Charte des droits fondamentaux de l’Union, Frédéric Sudre affirmait qu’une « voie » avait été choisie : celle de « la construction d’un système autonome de protection des droits de l’homme »24. Henri Labayle le rejoignait sur ce point, ajoutant qu’il fallait « un second souffle », lequel pourrait provenir de « la concrétisation » de ce qui n’était à l’époque qu’un projet de catalogue des droits fondamentaux propre à l’Union25. Quinze ans plus tard, il nous semble que réalité et perspectives se sont rejointes, que l’autonomie est acquise, au moins dans sa dimension institutionnelle (I). Il est difficile d’être aussi catégorique s’agissant de la dimension normative de l’autonomie du système qui pourrait, même encore maintenant, n’être qu’apparente (II).

I. – L’autonomie institutionnelle du système de protection de l’Union européenne

En soi, le système de protection des droits fondamentaux de l’Union nous paraît « détaché de tout lien institutionnel »26 avec les systèmes juridiques poursuivant le même objet, y compris celui auquel l’Union a pratiquement tout emprunté, le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Il s’agit là d’un système institutionnellement autonome en ce qu’il est désormais parfaitement distinct des autres systèmes. Propre et spécifique à l’Union, le système considéré garantit la légitimité de cette dernière. Libre et indépendant, il permet de protéger l’Union et les individus relevant de sa juridiction. En d’autres termes, l’autonomie, concrète et effective, est à la fois une autonomie de légitimation (A) et une autonomie de protection (B).

A. – UNEAUTONOMIEDELÉGITIMATIONCONCRÈTE

Le système de protection des droits fondamentaux de l’Union lui est aussi propre et spécifique que son ordre juridique. Le contraire eut été étonnant. On voit mal comment un système appartenant à un ordre juridique propre et spécifique pourrait ne pas revêtir les mêmes qualités. Tout comme l’ordre juridique de l’Union, le système de protection des droits fondamentaux n’a pas été créé ex nihilo mais ex materia. Il s’est enraciné dans les ordres juridiques des États membres de l’Union et dans l’ordre juridique international, particulièrement l’ordre juridique créé par la Convention européenne des droits de l’homme – si l’on veut bien croire, au passage, à l’autonomie de ce dernier par rapport aux autres27. C’était la première phase de son développement, lorsque la Cour de justice utilisait la technique des principes généraux du droit et qu’elle avait besoin de sources d’inspiration extérieures pour protéger les droits fondamentaux. Lorsque le système a été considéré suffisamment viable, l’opération de déracinement a commencé. Ainsi, tout en enrichissant sa jurisprudence relative aux droits fondamentaux à l’aide de celle du juge européen, le juge communautaire a affirmé l’existence d’une communauté de droit28 puis lui a rattaché la protection des droits fondamentaux29, « [renforçant] l’autonomie du système communautaire de protection, notamment par rapport à celui résultant de l’application de la Convention européenne des droits de l’homme par les organes de Strasbourg »30. L’adoption du traité d’Amsterdam31 et de la Charte des droits fondamentaux ont permis à l’Union d’accélérer le processus de décrochage de son système de protection. L’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne a fini d’autonomiser le système et il ne fait plus aucun doute que « l’Union est une Union de droit dans laquelle [ses États membres et]32 ses institutions sont soumises au contrôle de la conformité de leurs actes, notamment, avec les traités, les principes généraux du droit ainsi que les droits fondamentaux »33.

Désormais, nombreux sont les éléments qui démontrent que le système de protection des droits fondamentaux de l’Union lui est parfaitement propre et spécifique : l’Union est fondée sur des valeurs qui, pour être communes aux États membres et ne pas présenter une grande originalité par rapport, notamment, à celles du Conseil de l’Europe, n’en sont pas moins les siennes34 ; parmi ces valeurs, le respect des droits de l’homme est garanti dans l’Union grâce à une disposition de nature constitutionnelle35 qui, certes, offre une pluralité de sources de protection mais, surtout, souligne l’existence d’un catalogue des droits fondamentaux propre à l’Union36 ; le système dispose de ses propres mécanismes de contrôle politique et juridictionnel, de ses propres méthodes de protection des droits fondamentaux tant à l’intérieur qu’à l’extérieur de l’Union. C’est un système autosuffisant qui peut se développer par lui-même37, malgré l’absence de compétence générale de l’Union pour protéger les droits fondamentaux38. Avec un tel système, l’Union peut, d’une part, assurer seule à la fois sa permanence et son évolution et, d’autre part, consentir à adhérer à la Convention européenne des droits de l’homme. La manifestation la plus éclatante de l’autonomie institutionnelle du système de protection de l’Union est d’ailleurs peut-être là, dans la capacité de se soumettre à un autre système, lui-même autonome a priori.

Les arguments qui pourraient être avancés à l’encontre de l’autonomie du système de protection des droits fondamentaux de l’Union nous paraissent tout aussi inopérants que lorsqu’ils sont utilisés pour dénier l’autonomie de son ordre juridique39. De la même manière que l’on ne saurait contester les fondements nationaux et internationaux de l’Union, on admet volontiers que le système de protection de cette dernière a puisé dans les droits nationaux et le droit international pour se construire. Cela étant, on ne voit pas en quoi cette évidence permettrait de douter de l’autonomie du système, d’autant plus maintenant qu’il apparaît très clairement que « les traditions constitutionnelles communes aux États membres »40 et « les instruments internationaux concernant la protection des droits de l’homme auxquels [ils] ont coopéré ou adhéré »41 ont eu une importance mineure dans sa construction. Quant au droit de la Convention européenne des droits de l’homme, s’il est certain qu’il a longtemps été la source d’inspiration du juge de l’Union, on relèvera que son rôle a, depuis, été considérablement réduit tant dans les textes42 que dans la jurisprudence43.

Par ailleurs, de la même façon que l’on ne nie pas l’éventuelle appartenance de l’ordre juridique de l’Union à un ordre plus vaste, celui international, on reconnaît que le système de protection des droits fondamentaux de l’Union puisse appartenir à un système juridique global dans lequel interagissent fortement, notamment, le droit de la Convention et celui de l’Union. Là aussi, on voit mal en quoi cette situation s’opposerait à l’affirmation de l’autonomie du système de protection de l’Union, sauf à ce que la perméabilité des systèmes soit un frein à leur autonomie, ce qu’elle n’est pas si on en croit la doctrine44. Le fait que le système de protection des droits fondamentaux de l’Union soit tout autant intégré dans les systèmes nationaux de protection que l’est l’ordre juridique de l’Union dans les ordres juridiques des États membres, est également indifférent. Il n’en irait autrement que si le concept d’intégration allait nécessairement à l’encontre de celui d’autonomie, ce qui n’a pas, à notre connaissance, été démontré de manière incontestable jusqu’à présent.

Concrète, l’autonomie institutionnelle du système de protection des droits fondamentaux de l’Union est aussi utile. L’existence de ce que, en 1999, Frédéric Sudre appelait « le droit communautaire des droits fondamentaux »45 et Henri Labayle « le droit des libertés fondamentales de l’Union européenne »46, légitime l’action de l’Union et l’Union elle-même. Le droit de l’Union européenne des droits fondamentaux47 n’est pas seulement une branche du droit général de l’Union, une discipline juridique que l’on enseigne maintenant dans nos facultés. C’est un droit propre et spécifique à l’Union qui, en assurant la protection des droits des individus relevant de la juridiction de cette dernière, a permis d’éviter qu’un transfert massif de compétences des États à une organisation internationale ne se traduise par un déficit dans le respect des droits de l’homme et, partant, un affaiblissement de l’ensemble de la construction européenne. En acceptant « l’invitation » des juges nationaux et du juge européen à protéger les droits fondamentaux de manière autonome, sous peine de se voir privée de l’autonomie de son ordre juridique, l’Union a gagné le droit de se présenter comme « une union sans cesse plus étroite entre les peuples de l’Europe »48 et ayant pour but de promouvoir leur bien-être49.

En reconnaissant d’abord l’autonomie de l’ordre juridique de l’Union50, puis l’autonomie et l’équivalence de son système de protection des droits fondamentaux51, la Cour européenne des droits de l’homme a participé à la légitimation de l’Union, préalable, il nous semble, à son adhésion à la Convention. Mais l’acquisition et la reconnaissance de l’autonomie n’ont pas présenté le seul intérêt de légitimer l’Union. Elles ont également rempli une fonction protectrice, l’existence d’un système de protection des droits fondamentaux effectivement libre et indépendant garantissant la protection de l’Union et des individus relevant de sa juridiction.

B. – UNEAUTONOMIEDEPROTECTIONEFFECTIVE

La liberté et l’indépendance dont jouit le système de protection des droits fondamentaux de l’Union dans ses relations avec d’autres systèmes juridiques fait peu de doutes dans l’esprit de la Cour de justice. Il faut dire que, dès l’origine, l’emploi de la technique des principes généraux du droit ne visait pas seulement à assurer la protection des droits fondamentaux en l’absence de fondement textuel, mais aussi à garantir une protection de ces droits qui soit strictement communautaire. Il a toujours été dans « la logique communautaire », dont on sait qu’elle est « prééminente »52, de ne pas tomber dans la subordination qu’impliquerait l’incorporation pure et simple, dans le droit de l’Union, de solutions extérieures à ce droit. L’article 6, paragraphe 3, du TUE répond toujours à cette logique, les droits fondamentaux garantis par la Convention européenne des droits de l’homme et par les droits nationaux ne faisant partie du droit de l’Union qu’en tant que principes généraux.

Cela étant, il est rare que la Cour de justice ait explicitement revendiqué la liberté et l’indépendance du système de protection dont elle assure la mise en œuvre. Dans les rapports qu’entretient ce système avec ceux nationaux, cela n’est guère étonnant. L’existence d’un ordre juridique propre n’a pas été affirmée sans être accompagnée de la précision qu’il était intégré aux ordres juridiques des États membres, ce qui est de nature à éviter d’aborder les relations entre les ordres sous l’angle fâcheux de la dépendance ou de l’indépendance53. Par ailleurs, l’autonomie de l’ordre juridique communautaire a surtout servi à justifier les principes d’effet direct et de primauté du droit communautaire, c’est-à-dire des solutions différentes de celles appliquées aux rapports entre le droit national et le droit international. S’il y a donc eu une manifestation d’indépendance lors de l’affirmation de l’autonomie de l’ordre juridique communautaire, ce n’est pas à l’égard des systèmes nationaux mais du système international. Ces éléments nous paraissent pertinents s’agissant du système de protection des droits fondamentaux de l’Union, qui est forcément aussi intégré que l’est l’ordre juridique dont il est une composante, et qui obéit aux mêmes règles, notamment celle de la primauté générale et absolue du droit de l’Union sur les droits nationaux. Si la Cour, dans l’arrêt Melloni, a retenu une interprétation de l’article 53 de la Charte des droits fondamentaux semblant faire peu de cas du niveau de protection des droits fondamentaux offert par les constitutions nationales, c’est uniquement en raison de la nécessité de respecter le principe de primauté, y compris en matière de droits de l’homme54. Il n’a jamais été question, nous semble-t-il, de souligner l’indépendance du système de protection de l’Union à l’égard des systèmes constitutionnels nationaux.

S’agissant des rapports qu’entretient le système de protection des droits fondamentaux de l’Union avec celui de la Convention européenne des droits de l’homme, nous n’avons pas davantage l’impression que la Cour de justice ait voulu, du moins explicitement et sans contrepartie55, affirmer l’indépendance du premier par rapport au second. Certes, dans l’arrêt Elgafaji, la Cour a pu laisser penser qu’elle souhaitait s’affranchir totalement du droit de la Convention, en ne retenant que les instruments du droit de l’Union pour interpréter les dispositions d’une directive dans le respect des droits fondamentaux56. Mais retenir une telle vision de l’arrêt serait faire peu de cas non seulement du contexte dans lequel ce dernier a été rendu et, notamment, des paroles apaisantes de l’avocat général Poiares Maduro57, mais aussi de la précision, ajoutée à la fin de la décision, selon laquelle l’interprétation des dispositions de la directive était « pleinement compatible avec la C.E.D.H., y compris la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative à l’article 3 de la C.E.D.H. »58.

Finalement, il n’y a que dans les rapports entre le système de protection des droits fondamentaux de l’Union et l’ordre juridique international que l’on peut constater une certaine volonté, de la part de la Cour, d’affirmer l’indépendance de son système. On en revient toujours alors à l’arrêt Kadi où le juge de l’Union a cru bon d’attirer l’attention sur l’impossibilité d’échapper au « contrôle, par la Cour, de la validité de tout acte communautaire au regard des droits fondamentaux [qui] doit être considéré comme l’expression, dans une communauté de droit, d’une garantie constitutionnelle découlant du Traité CE en tant que système juridique autonome à laquelle un accord international ne saurait porter atteinte »59. L’indépendance du système de protection des droits fondamentaux de l’Union est ici effective et le juge de l’Union est parfaitement libre de contrôler le respect des droits fondamentaux au regard de ses propres standards plutôt que ceux du droit international. On relèvera que la solution retenue n’a rien de surprenant en ce qu’elle est fortement corrélée à la jurisprudence de la Cour relative à la conclusion par l’Union des accords internationaux sous réserve du respect de l’autonomie de son ordre juridique60. On remarquera aussi qu’elle rejoint celle de la Cour européenne des droits de l’homme qui ne se soucie pas particulièrement de justifier son contrôle par l’autonomie de son propre système de protection des droits fondamentaux61.

Surtout, on observera que l’autonomie institutionnelle du système de protection des droits fondamentaux de l’Union est avantageuse. Le détachement du système assure la protection de son intégrité et, partant, celle de l’Union et des individus relevant de sa juridiction. S’agissant de la protection de l’Union, rappelons que l’autonomie de son système de protection garantit sa légitimité tant dans ses rapports avec les systèmes nationaux que dans ses rapports avec l’ordre international, en particulier le système de la Convention européenne des droits de l’homme. Il n’est pas question ici de défiance à l’égard de systèmes extérieurs62 mais de préserver un système et l’organisation internationale auquel il est propre, dans le cas où, même sans les « exagérer »63, il existe de sérieuses différences entre les ordres, ici l’ordre juridique de l’Union64 et celui international.

S’agissant de la protection des individus relevant de la juridiction de l’Union, s’il n’est toujours pas question de défiance, il faut quand même admettre que seule l’indépendance du système de protection de l’Union est à même de garantir les droits fondamentaux. Certes, le contentieux des mesures restrictives, finalement assez isolé, ne suffit pas à affirmer que l’autonomie du système de l’Union à l’égard de l’ordre international est essentielle au respect des droits de l’homme. Cela étant, dans l’hypothèse qui nous intéresse, c’est bien parce que l’Union dispose d’un système indépendant65 qu’elle peut assurer un niveau de protection des droits fondamentaux plus élevé que celui offert par le système international. Et qu’elle peut, au passage, garantir l’équivalence de son système à celui de la Convention européenne des droits de l’homme, à défaut de revendiquer une autonomie normative qui, à l’égard de ce dernier, relève peut-être davantage de l’apparence que de la réalité.

II. – L’autonomie normative du système de protection de l’Union européenne

L’autonomie normative renvoie au caractère autonome des normes de protection des droits fondamentaux du droit de l’U.E., c’est-à-dire, au risque de simplifier à l’extrême, de la Charte des droits fondamentaux, des actes de droit dérivé consacrant ou énonçant le régime des certains droits, et des normes jurisprudentielles. Au-delà du statut de ces sources ou de leur hiérarchisation66, l’objet ici est d’aborder la façon dont elles sont utilisées par les acteurs institutionnels de l’Union au travers du filtre de l’autonomie du système de protection des droits fondamentaux de l’Union, par rapport au référent naturel qu’est le droit de la Convention.

En introduisant le colloque de la CEDECE de 1999 Frédéric Sudre mettait l’accent sur « la caractéristique dominante de la pratique jurisprudentielle, à savoir l’appropriation du droit de la C.E.D.H. par le juge communautaire »67, supposant dès lors une faible autonomie normative. Une telle approche est-elle toujours envisageable 15 ans après, après l’adoption de la Charte et l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne ?

Pour répondre à cette interrogation, il faut ici distinguer deux choses : si l’autonomisation normative est avérée sur le plan sémantique ou rhétorique (A), elle est beaucoup plus relative quant à sa substance (B).

A. – UNEAUTONOMISATIONNORMATIVEAVÉRÉESURLEPLANSÉMANTIQUE

La proclamation et l’accession à la force juridique contraignante de la Charte ont doté l’Union européenne d’un catalogue de droits fondamentaux qui lui est propre. Il était donc prévisible que les références appuyées au droit de la Convention, autrefois fréquentes, se fassent progressivement plus rares, tant dans le droit dérivé que dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne au profit de ce nouvel instrument. Sur le plan sémantique, le constat est sans appel d’autant plus qu’il s’accompagne d’une stratégie de promotion de la Charte comme l’instrument de référence de l’Union en matière de protection des droits fondamentaux.

1. La multiplication des références à la Charte des droits fondamentaux

Ce phénomène est d’abord visible s’agissant du droit dérivé de l’Union dans lequel les « considérants droits fondamentaux » ont progressivement cédé le pas aux « considérants Charte » qui sont de plus en plus nombreux. Depuis les années 2000, les références au respect des droits fondamentaux dans les motifs des actes de droit dérivé de l’Union ont connu une très nette augmentation68. Si la Charte des droits fondamentaux est rapidement apparue dans certains de ces considérants, cette référence n’était initialement ni systématique ni exclusive. C’est ainsi, par exemple, que la directive 2001/40 relative à la reconnaissance mutuelle des décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers indique dans son considérant 4 qu’il « convient d’adopter les décisions d’éloignement des ressortissants de pays tiers en conformité avec les droits fondamentaux, tels qu’ils sont garantis par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, notamment ses articles 3 et 8, la convention de Genève relative au statut des réfugiés du 28 juillet 1951, et tels qu’ils résultent des principes constitutionnels communs aux États membres »69, sans se référer à aucun moment à la Charte. Plus fréquemment, le considérant consacré aux droits fondamentaux incluait une double référence à la Charte et à la Convention européenne des droits de l’homme comme, par exemple, dans la directive 2009/52 du 18 juin 2009 prévoyant des normes minimales concernant les sanctions et les mesures à l’encontre des employeurs de ressortissants de pays tiers en séjour irrégulier dont le considérant no 37 indique que « la présente directive respecte les droits fondamentaux et les principes reconnus notamment par la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales et la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne »70.

Toutefois, depuis l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne, la situation a sensiblement changé. En effet, la lecture des motifs des actes de droit dérivé laisse apparaître une très nette progression des références à la Charte, tant sur le plan quantitatif – nombre d’actes comportant ce qu’il est convenu d’appeler un « considérant Charte » –, que sur le plan qualitatif – les « considérants Charte » étant de plus en plus souvent circonstanciés. Cette progression, qui s’inscrit dans le cadre du développement général des références aux droits fondamentaux dans les actes de droit dérivé71, s’accompagne toutefois d’une marginalisation des références à la Convention. Cette marginalisation peut se manifester très simplement par la disparition de toute référence au droit de la Convention alors que la présence d’un « considérant Charte » atteste de la prise en compte – au moins formelle – de la protection des droits fondamentaux lors de l’élaboration de l’acte. Sans être exhaustif, c’est le cas des règlements no 359/2011 concernant des mesures restrictives à l’encontre de certaines personnes, entités et organismes au regard de la situation en Iran72, no 655/2014 portant création d’une procédure d’ordonnance européenne de saisie conservatoire des comptes bancaires, destinée à faciliter le recouvrement trans-frontière de créances en matière civile et commerciale73, ou encore no 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain74 ; des directives no 2011/36 concernant la prévention de la traite des êtres humains et la lutte contre ce phénomène ainsi que la protection des victimes75 ou no 2014/57 relative aux sanctions pénales applicables aux abus de marché76. Plus généralement, depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, près de 75 % des règlements et 50 % des directives se référant aux droits fondamentaux font l’impasse sur la Convention européenne des droits de l’homme. Lorsque la Convention est mentionnée, elle est de plus en plus souvent intégrée dans un considérant distinct de celui consacré à la Charte77, rassemblant souvent, qui plus est, les obligations internationales liant les États membres78 afin de bien distinguer, sur un plan symbolique, la différence entre ces deux sources et renforcer ainsi la place de la Charte en tant qu’instrument de référence de la protection des droits fondamentaux dans l’Union. Certes, ce mouvement n’est pas parfaitement homogène et certains actes de droit dérivé comportent encore des références, parfois appuyées, à la Convention européenne des droits de l’homme, comme la directive 2012/13 relative au droit à l’information dans le cadre des procédures pénales79 et, plus généralement, l’ensemble des actes adoptés en application de la feuille de route sur les droits procéduraux80. Toutefois il s’agit là d’exceptions81 qui ne semblent pas en mesure de remettre en cause l’ascension des références à l’instrument de protection des droits fondamentaux propre à l’Union au détriment de la Convention. Ce phénomène s’inscrit donc bien dans un mouvement d’autonomisation normative du système de protection des droits fondamentaux, du moins sur le plan sémantique.

Mais c’est probablement dans la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne que ce phénomène d’autonomisation sémantique est le plus visible82. Comme le relève à juste titre l’Agence des droits fondamentaux de l’Union européenne dans son rapport annuel de 2013, « le nombre de décisions dans lesquelles la Cour de justice de l’Union européenne cite la Charte au sein de son raisonnement (…) a plus que quadruplé en passant en trois ans de 27 décisions en 2010 à 114 en 2013. (…) En 2013 seulement, la Cour de justice de l’Union européenne a fait plus souvent référence à la Charte que lors des neufs années suivant la proclamation de la Charte fin 2000 jusque fin 2009, lorsqu’elle est devenue juridiquement contraignante »83. Plus précisément et en se limitant aux seuls arrêts de grande chambre rendus par la Cour de justice depuis l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne84, il apparaît très clairement que l’époque de la référence quasi-systématique au droit de la Convention européenne des droits de l’homme est révolue. Au-delà d’une simple analyse purement quantitative – sur 31 arrêts portant sur la protection des droits fondamentaux, seuls 11 comportent une référence au droit de la Convention dans les motifs – qu’il faut manier avec précaution, trois séries d’exemples illustrent ce phénomène d’autonomisation normative sur le plan sémantique se manifestant par la multiplication des références à la Charte au détriment du droit de la Convention.

Cette autonomisation sémantique apparaît d’abord en comparant les arrêts portant sur le même domaine et rendus avant et après l’entrée en vigueur du traité de Lisbonne, comme, par exemple en matière de protection des données personnelles avec les arrêts Österreichischer Rundfunk85 et Google Spain86. Sans évoquer ici les questions de fond tranchées par la Cour dans ces affaires87, le traitement de ces questions préjudicielles portant toutes deux sur l’interprétation de la directive 95/4688 est, du point de vue des instruments utilisés, radicalement différent. Dans le premier arrêt, la Cour s’appuie abondamment et explicitement sur le droit de la Convention européenne des droits de l’homme, notamment sur le raisonnement développé par la Cour européenne pour apprécier les limitations à l’exercice du droit au respect à la vie privée garanti par l’article 8 de la Convention, article au titre duquel la Cour européenne protège le droit à la protection des données personnelles89. Indiquant, en effet, que pour les besoins de l’application de la directive 95/46 il importe de vérifier l’existence d’une ingérence dans la vie privée « et, le cas échéant, si cette ingérence est justifiée au regard de l’article 8 de la C.E.D.H. »90, la Cour s’appuie explicitement dans les points suivants sur le raisonnement développé par la Cour européenne, allant jusqu’à se référer à la notion de « nécessité dans une société démocratique »91. Si les faits de l’arrêt Google Spain sont nécessairement différents de ceux ayant donné lieu à l’arrêt Österreichischer Rundfunk, il n’en demeure pas moins que la question posée portait également sur l’application de la directive 95/46 au regard du droit à la protection des données personnelles. Or, dans cet arrêt la Cour ne mentionne même pas la Convention, se contentant de se référer à la Charte des droits fondamentaux et fondant son raisonnement sur la seule directive, alors même que le droit au respect de la vie privée consacré par l’article 7 de la Charte est un droit dit « droit correspondant » au sens de l’article 52 § 3 de la Charte, ce qui suppose une interprétation en conformité avec le droit de la Convention.

Le même contraste est visible, même si dans une moindre mesure, s’agissant du droit à une protection juridictionnelle effective devant le juge de la légalité des actes de l’Union. Dans l’arrêt Unión de Pequeños Agricultores (UPA)92, la Cour de justice avait mentionné les seuls articles 6 et 13 de la Convention sans se référer à la Charte93, alors que l’avocat général Jacobs, dans ses conclusions, s’était en partie appuyé sur l’article 47 de la Charte pour proposer un revirement de la jurisprudence de la Cour relative aux conditions de recevabilité des recours en annulation formés par les particuliers à l’encontre des actes de l’Union dont ils ne sont pas les destinataires94. Le Tribunal avait d’ailleurs suivi en partie l’avocat général Jacobs pour opérer un tel revirement en se fondant explicitement sur l’article 47 de la Charte95. Onze ans plus tard, dans l’arrêt Inuit Tapiriit Kanatami96, la Cour se fonde sur la seule Charte des droits fondamentaux alors que son avocat général, Juliane Kokott, évoquait la Charte et la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l’homme relative aux articles 6 et 13 de la Convention97. Curieux renversement de perspective qui illustre bien l’autonomisation normative à l’œuvre dans la jurisprudence de la Cour de justice, tout du moins sur le plan sémantique.

Cette autonomisation est ensuite parfois clairement revendiquée par la Cour de justice lorsque, par exemple, elle précise que le droit invoqué par le requérant ou la juridiction de renvoi est certes garanti par la Convention européenne des droits de l’homme mais qu’il est aujourd’hui consacré par la Charte et qu’il « y a dès lors lieu de se référer uniquement à cette […] disposition »98 de la Charte. La formule est limpide, la Cour de justice souhaite privilégier les références au catalogue de droits fondamentaux propre à l’Union européenne. Par ailleurs, lorsque la Cour de justice accepte de se référer explicitement au droit de la Convention, elle accompagne de plus en plus souvent ces références de formulations visant à marquer la distance entre l’ordre juridique de l’Union et ce droit, valorisant ainsi l’autonomie de son système de protection des droits fondamentaux. L’exemple de l’affaire Digital Rights Ireland est, à cet égard, significatif puisque les références à la jurisprudence de Strasbourg sont précédées de formules telles que « en ce qui concerne l’article 8 de la C.E.D.H. » ou mieux encore « voir par analogie, en ce qui concerne l’article 8 de la C.E.D.H. »99. Le temps où la Cour de justice pouvait conclure que « l’article 141 CE s’oppose, en principe à une législation qui, en violation de la C.E.D.H., empêche un couple tel que K.B. et R. de remplir la condition de mariage nécessaire pour que l’un d’entre eux puisse bénéficier d’un élément de la rémunération de l’autre »100 semble désormais bien loin.

Peut enfin être mis au crédit de ce mouvement d’autonomisation sémantique la tendance assez récente de la Cour à s’appuyer sur les explications de la Charte101 pour en interpréter les dispositions102. Ces explications mentionnées par la Cour en lien avec le mécanisme dit « des droits correspondants » afin d’identifier ces droits et définir la portée de l’interprétation conforme au droit de la Convention en découlant103 ont également été utilisées pour interpréter les droits consacrés par la Charte. Ainsi, dans l’arrêt Spasic, la Cour s’appuie sur les explications relatives à l’article 50 de la Charte pour considérer qu’une limitation au principe non bis in idem résultant de l’article 54 de la Convention d’application de l’accord de Schengen est prévue par la loi au sens de l’article 52 paragraphe 1 de la Charte104. Elle fait de même dans l’arrêt Sky Österreich à propos de l’article 16 consacrant la liberté d’entreprise pour en déduire que cette liberté regroupe la liberté d’exercer une activité économique ou commerciale, la liberté contractuelle et la concurrence libre105. Ce faisant, la Cour développe une interprétation autocentrée de la Charte, renforçant, du moins en apparence, l’autonomie substantielle de son système de protection.

Qu’il s’agisse donc du droit dérivé ou de la jurisprudence, le mouvement d’autonomisation du système de protection des droits fondamentaux de l’Union sur le plan normatif, ne fait aucun doute. Certes ce mouvement n’est pas parfaitement homogène106. Mais l’impression d’ensemble qui se dégage est bien celle d’un développement des références à la Charte au détriment de celles au droit de la Convention. À ce constat factuel, il faut ajouter l’existence d’une stratégie assumée de promotion de l’instrument de protection des droits fondamentaux propre à l’Union européenne.

2. Un constat factuel renforcé par une stratégie de promotion de la Charte

Trouvant son origine dans la proclamation solennelle de la Charte par la Commission, le Conseil et le Parlement européen le 7 décembre 2000, cette stratégie est clairement revendiquée par la Commission qui s’est attachée, depuis lors, à promouvoir la Charte mais aussi à théoriser cette promotion dans plusieurs communications107. La plus explicite à cet égard est probablement sa communication sur « Le respect de la Charte des droits fondamentaux dans les propositions législatives de la Commission – Méthodologie pour un contrôle systématique et rigoureux » dans lequel elle expose la méthodologie qu’elle entend suivre pour réaliser un contrôle interne du respect de la Charte mais aussi la publicité à donner à ce contrôle108. Cette communication, à destination des citoyens européens, poursuit ainsi trois objectifs à savoir rendre visible ses efforts en matière de respect des droits fondamentaux, sensibiliser le public à cette question et, surtout, promouvoir « l’image de la Charte en tant que vecteur essentiel de l’identité européenne des citoyens fondée sur des valeurs communes ». Le développement des références à la Charte dans les actes de droit dérivé est donc bien le résultat d’une démarche réfléchie visant à promouvoir l’autonomie normative du système de protection des droits fondamentaux de l’Union.

Si le choix de s’appuyer sur la Charte en tant que vecteur de l’identité européenne est moins clairement affirmé par la Cour, compte tenu de la fonction de juger qui est la sienne, il apparaît tout de même dans plusieurs documents officiels. Ainsi, le « Document de réflexion de la Cour de justice de l’Union européenne sur certains aspects de l’adhésion de l’Union européenne à la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales » adopté le 5 mai 2010109, évoquant l’accession de la Charte à la force juridique contraignante, indique que la Cour de justice et les juridictions nationales « disposent dorénavant d’un texte ayant vocation à constituer le fondement principal pour s’acquitter de leur tâche de veiller au respect des droits fondamentaux dans le cadre de l’interprétation et de l’application du droit de l’Union ». Dans une communication commune des présidents des deux cours européennes, publiée à la suite d’une rencontre entre les deux juridictions, il est également indiqué qu’au vu de la jurisprudence postérieure à l’entrée en vigueur du Traité de Lisbonne « la Charte est devenue le texte de référence et le point de départ pour l’appréciation par la C.J.U.E. des droits fondamentaux que cet instrument juridique reconnaît »110. Ici aussi donc, l’autonomisation normative sur le plan sémantique résultant d’une multiplication des références à la Charte des droits fondamentaux dans la jurisprudence, au détriment des références au droit de la Convention, est le résultat d’une démarche assumée de valorisation de la Charte. Une telle démarche est d’ailleurs à bien y réfléchir, parfaitement logique tant l’imbrication entre les valeurs aux fondements d’un ordre juridique tel que celui de l’Union et un texte comme la Charte des droits fondamentaux est étroite. De ce point de vue, tout ordre juridique tend naturellement à promouvoir une expression autonome de ses valeurs fondatrices, fussent-elles énoncées en des termes proches, voire quasiment identiques, dans un texte qui lui est extérieur et antérieur. C’est d’ailleurs une, sinon la raison pour laquelle la question préjudicielle de constitutionnalité en France s’est vue reconnaître un caractère prioritaire : afin de faire en sorte que les citoyens français s’approprient les droits et libertés garantis par la Constitution avant de faire éventuellement appel au droit européen des droits de l’homme111.

Ce discours législatif et jurisprudentiel sur l’autonomie normative du système de protection des droits fondamentaux ressemble, par certains aspects, à celui que tenait la Cour dans les années 1970 lorsqu’elle se cachait pudiquement derrière le voile des principes généraux du droit. D’une certaine façon l’écart entre les arrêts Internationale Handelsgesellschaft112 et Radu113 est moindre qu’avec, par exemple, l’arrêt Baustahlgewebe114 et plus largement la jurisprudence de la Cour de justice dans ce domaine des années 1990 jusque vers 2010. À tel point d’ailleurs qu’il est possible de se demander si la Charte n’aurait pas remplacé les principes généraux du droit dans ce discours de l’autonomie. La comparaison semble d’autant plus justifiée que cette autonomisation normative ne semble se manifester que sur le plan sémantique. Le mouvement d’autonomisation normative du système de protection des droits fondamentaux de l’Union se fondant sur l’affirmation de la Charte et le recul des références au droit de la Convention semble relever en effet davantage du champ sémantique, voire rhétorique, tant cette autonomisation est relative sur le plan substantiel.

B. – UNEAUTONOMISATIONNORMATIVERELATIVESURLEPLANSUBSTANTIEL

L’idée est ici très simple et bien connue même si elle est parfois quelque peu perdue de vue : quels que soient les efforts rhétoriques que peuvent faire les institutions de l’Union – y compris la Cour de justice – pour marquer l’autonomie normative du système de protection des droits fondamentaux de l’Union, les normes protectrice des droits fondamentaux dans l’Union sont, pour la plupart d’entre elles, issues directement du droit de la Convention et demeurent liées à ce dernier. Il faut d’ailleurs relever que la promotion de la Charte comme fondement principal de la protection des droits fondamentaux et donc vecteur d’autonomie normative s’accompagne souvent d’une référence à la perspective de l’adhésion de l’Union à la Convention115 et à la nécessité de maintenir la convergence entre les deux systèmes116. Si les institutions de l’Union promeuvent la Charte pour affirmer l’autonomie normative de la protection des droits fondamentaux, ils ne militent toutefois pas pour que les droits fondamentaux garantis par la Charte soient interprétés de façon autonome. Ainsi, si, selon M. TROPER un système juridique serait autonome dès lors qu’il est « soumis à des normes qu’[il] a [lui]-même posées » (premier sens) et qu’il peut « évoluer de façon autonome » (second sens)117, force est de constater que, sur ce point au moins, l’autonomie normative du système de protection des droits fondamentaux de l’Union est très relative et ce pour au moins trois raisons qui sont, pour la plupart, bien connues.

1. La Charte des droits fondamentaux, un texte de synthèse

Comme l’annonce très clairement son préambule118, la Charte des droits fondamentaux est une œuvre de synthèse qui doit beaucoup au droit de la Convention européenne des droits de l’homme. À ce titre, plusieurs de ses articles flirtent avec le plagiat de la Convention119 et l’interprétation des droits qu’elle consacre qui trouvent leur équivalent dans la Convention est solidement arrimée au droit de la Convention via le mécanisme dit des droits correspondants prévu par l’article 52 § 3120. Certains membres de la doctrine vont d’ailleurs même jusqu’à considérer que cette disposition conduit à l’incorporation en substance de la Convention dans la Charte et, par conséquent, dans le droit primaire via l’article 6 du traité sur l’Union européenne121. Dans une telle perspective, l’autonomie normative du système de protection de l’Union n’est bien évidemment pas à l’ordre du jour. Certes tous les droits inscrits dans la Charte ne trouvent pas leur équivalent dans la Convention, c’est le cas notamment des articles du Titre IV « Solidarité » ou du droit à une bonne administration. Mais la grande majorité des droits dits de premières générations en sont issus. L’instrument sur lequel s’appuie l’autonomie normative du système de protection des droits fondamentaux est donc, dans son contenu – sa substance – pour partie directement issu d’un texte extérieur à l’ordre juridique de l’Union auquel il faut se référer pour l’interpréter. Il est dès lors difficile de considérer que la promotion de la Charte des droits fondamentaux est susceptible de conduire à une véritable autonomisation normative du système de protection des droits fondamentaux de l’Union.

Une lecture plus attentive de la jurisprudence de la Cour de justice relative aux droits fondamentaux confirme cette analyse.

2. Un appui substantiel de la Cour de justice sur le droit de la Convention

La Cour de justice de l’Union européenne continue de s’appuyer sur le droit de la Convention. Elle le fait incontestablement moins souvent qu’auparavant et en accompagnant ses référence de précautions oratoires, mais la plupart des « grands arrêts » rendus depuis fin 2009 en matière de droits fondamentaux incluent des références parfois appuyées au droit de la Convention. C’est ainsi le cas de l’arrêt Volker und Markus Scheke122 premier arrêt à constater l’invalidité d’un acte de droit dérivé au titre de la Charte ; de l’arrêt N.S.123 qui, dans la lignée de l’arrêt M.S.S. de la Cour européenne des droits de l’homme124, a accéléré le processus de révision de l’acquis en matière d’asile ; de l’arrêt Stefano Melloni125 qui, outre l’interprétation de l’article 53 de la Charte, apporte des précisions sur la conformité de la décision cadre 2002/584 au droit à un procès équitable et aux droits de la défense ; ou encore de l’arrêt Digital Rights Ireland qui invalide l’ensemble de la directive 2006/24 sur le fondement des articles 7, 8 et 52 de la Charte126. Lorsque la Cour doit trancher un hard case elle continue à s’appuyer sur le droit de la Convention. Le fait qu’elle ne se réfère pas au droit de la Convention ne signifie d’ailleurs pas qu’elle ne le prend pas en considération en substance. De ce point de vue, les conclusions des avocats généraux sont assez éclairantes puisque plusieurs arrêts rendus sur le seul fondement de la Charte l’ont été en suivant des conclusions rendues au visa du droit de la Convention. C’est le cas, par exemple, pour l’affaire Google Spain127 ou l’affaire Fransson128.

Mais, surtout, le raisonnement que tient la Cour dans ces arrêts demeure conforme à celui adopté par la Cour européenne des droits de l’homme. C’est par exemple le cas de l’arrêt Digital Rights Ireland dans lequel le contrôle de proportionnalité réalisé par la Cour de justice s’appuie sur des critères dégagés par son homologue de Strasbourg conduisant à un arrêt finalement très proche de l’arrêt S et Marper c. Royaume-Uni129. En effet, même si la Cour semble développer un raisonnement en partie autonome concernant l’appréciation des limitations à l’exercice des droits, lorsqu’elle s’appuie sur l’article 52 de la Charte pour vérifier que la limitation respecte le contenu essentiel des droits en cause130, le cœur de l’affaire réside, comme c’est d’ailleurs le cas pour la Cour de Strasbourg dans une telle situation, dans le test de proportionnalité lui même. Or, la Cour de justice reprend non seulement à son compte les critères permettant de déterminer l’étendue du pouvoir d’appréciation du législateur et donc l’intensité de son contrôle131, mais aussi l’importance de la clarté et de la précision des règles régissant la collecte et le traitement des données personnelles afin que les personnes concernées disposent des garanties suffisantes contre les risques d’abus, particulièrement lorsque le traitement est automatisé132. C’est précisément l’absence d’encadrement de l’ingérence dans le droit de la protection des données personnelles qui conduit la Cour de justice à constater l’invalidité de celle-ci133, de la même manière que la Cour européenne des droits de l’homme conclut à la violation de l’article 8 de la Convention du fait du « caractère général et indifférencié du pouvoir de conservation des empreintes digitales, échantillons biologiques et profils ADN »134. Il semble donc bien que la substitution des références au droit de la Convention par les articles de la Charte et sa propre jurisprudence n’a pas eu pour effet de modifier de façon significative les termes du contrôle opéré par la Cour.

Certes la Cour de justice ne s’appuie pas systématiquement sur le droit de la Convention et un certain nombre de droits fondamentaux font effectivement l’objet d’interprétations sinon réellement autonomes du moins bien moins marquées par l’empreinte du droit de la Convention. C’est le cas par exemple du droit à la non-discrimination, notamment lorsqu’il s’agit d’une discrimination fondée sur la nationalité ou le sexe135 ou du principe non bis in idem136 ; ces différents droits et principes partageant comme point commun d’avoir un ancrage fort en droit de l’Union ne procédant pas simplement d’une consécration par la Charte.

3. La stabilité du standard de protection des droits fondamentaux dans l’Union

Le standard de protection des droits fondamentaux dans l’Union n’a pas sensiblement dévié de son alignement sur le standard de la Convention. Les quelques domaines problématiques de ce point de vue, comme le droit de propriété137 ou les procédures administratives en matière de concurrence138