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Kévin, élevé par sa mère Solen sans jamais connaître son père, voit sa vie basculer après sa rencontre avec Sally qui l’inspire à retourner les secrets de son passé. Confronté à l’attitude évasive de sa mère, il est poussé par une intuition irrésistible à dénouer les fils mystérieux de sa naissance. Embarquez dans une quête palpitante avec Kévin, prêt à déterrer des vérités qui pourraient transformer sa vie à jamais. Quels secrets enfouis découvrira-t-il ? Sa recherche l’entraînera-t-il au-delà des limites qu’il s’était fixées ? Cela reste à découvrir.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Féru d’aquarelle, de généalogie et de voyages,
Gérard François
Masion poursuit son challenge d’écriture et signe ici son quatrième roman. À travers cet ouvrage, il vous entraîne dans sa région d’adoption, les Alpes Maritimes, et vous promène entre l’Andalousie et la Bretagne.
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Gérard François Masion
Puisque le temps n’efface rien
Roman
© Lys Bleu Éditions – Gérard François Masion
ISBN : 979-10-422-3317-4
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
– Yvan, Société des écrivains, 2018 ;
– Une étonnante révélation, Edilivre, 2019 ;
– Une rencontre, Le Lys Bleu Éditions, 2022.
De retour de Bruxelles où je venais de participer au salon du livre, j’arrivais par le dernier vol de la journée à l’aéroport de Nice où j’espérais que Sally m’attendait. Elle m’avait déposé la veille et depuis je n’avais pas réussi à la joindre sur son téléphone portable. J’avais tenté d’appeler directement à la maison, mais là aussi, mon appel n’avait pas abouti. Peut-être m’avait-elle laissé un message de dernière minute que j’allais réceptionner dès l’atterrissage de l’avion, ce qui malheureusement ne fut pas le cas. Sans être inquiet de nature, je trouvais néanmoins son silence préoccupant et comme une conjoncture identique s’était déjà produite, je gardais mon calme en espérant que rien ne lui soit arrivé.
En raison de l’heure tardive, il n’était pas question d’appeler quelqu’un pour qu’il vienne me chercher à l’aéroport. J’étais tout de même très intrigué et je ne demandais qu’à rentrer chez moi au plus vite pour éclaircir cette situation. Heureusement parmi les taxis sur place, l’un était encore disponible. Généralement à cette heure tardive, ils sont réservés, mais par chance ce n’était pas le cas pour celui-ci. Le trajet entre Nice et la maison me sembla plus long que d’habitude, certainement à cause de l’inquiétude qui commençait à me gagner. Mais que pouvait-elle bien faire pour m’avoir oublié de la sorte ? Même si je savais que Sally n’était pas très ponctuelle, c’était quand même étrange. Nous étions pourtant convenus qu’elle viendrait me chercher à mon arrivée, je lui avais pourtant confirmé les horaires par SMS. J’étais totalement perplexe et mon anxiété grandissait au fur et à mesure que nous approchions près de chez nous.
Sur place, tout semblait calme, aucune lumière ne filtrait de la maison ; dormait-elle déjà ? Avec fébrilité, j’ai ouvert la porte d’entrée et avec précaution, je me dirigeais vers la chambre qui, à mon grand étonnement, était totalement vide. Mais où pouvait-elle bien être à une heure aussi tardive ? Je me précipitais dans le garage et je constatais que la voiture était à sa place. Sally conduisait, mais n’ayant pas de voiture, elle utilisait régulièrement la mienne et c’est avec ce véhicule qu’elle était censée venir me chercher. Alors, l’idée m’est venue de faire l’inventaire de ses affaires personnelles. Et là le constat a été sans appel, une partie de ses vêtements avait disparu, ainsi que ses affaires de toilette et la valise avec laquelle elle était arrivée chez moi. Manifestement, elle était partie sciemment, et je n’avais aucun indice qui aurait pu privilégier un semblant d’explication pour cette fuite incompréhensible. Pas même un mot pour justifier son départ.
J’étais complètement anéanti, que faire ? Chercher parmi nos proches si quelqu’un savait où elle se trouvait, signaler sa disparition à la gendarmerie, lancer un avis de recherche. J’étais sérieusement démuni et ne pouvais que spéculer et chercher toute explication potentiellement plausible. C’est alors que je me remémorais ce que je savais sur Sally ; somme toute, peu de chose. Nous nous étions rencontrés à Juan-les-Pins, huit mois auparavant dans un restaurant où j’allais régulièrement et que j’aimais particulièrement. Face à la mer, en terrasse, en pleine agitation estivale, période qui m’inspirait généralement pour l’écriture et où je faisais des rencontres. Sally s’y trouvait aussi plusieurs jours de suite et j’avais fini par l’aborder en l’invitant à prendre un café ensemble pour faire plus ample connaissance.
Je constatais rapidement qu’elle n’était pas originaire de la région et qu’elle s’y trouvait un peu par hasard en attendant de décider de la suite de son voyage. Elle travaillait, mais semblait quand même préoccupée et tentait de faire bonne figure malgré une certaine incertitude qui paraissait la tourmenter. Je ne voulais pas trop m’immiscer dans ses problèmes ne sachant pas exactement de quoi il s’agissait : des problèmes familiaux, professionnels, sentimentaux. Sally gardait beaucoup de mystère à ce sujet et je respectais son silence. C’était une belle femme, à peu près du même âge que moi, et petit à petit la confiance, voire même l’attirance, s’était installée entre nous. Progressivement Sally s’était révélée et j’avais rapidement compris qu’elle cherchait à fuir quelque chose, même si je ne pourrais pas dire quoi exactement. Je laissais le mystère s’installer, cherchant avant tout à ignorer les raisons qui l’avaient conduite jusqu’ici. Elle s’était installée dans un petit meublé juste pour quelques mois, le temps de faire face, m’avait-elle dit. Elle avait déjà prolongé le bail, mais ne pouvait plus le renouveler sachant que l’échéance arrivait bientôt. Elle avait un emploi à Sophia Antipolis et utilisait les lignes de bus urbains pour s’y rendre. Au fil de nos rencontres, une certaine confiance s’était installée entre nous et, en parallèle, un rapprochement avait eu lieu. Sally ne cachait pas qu’elle devait trouver une autre solution pour son logement, même si cela ne semblait pas la préoccuper outre mesure.
Je lui avais proposé simplement de venir chez moi. D’emblée elle avait refusé, ne voulant pas m’imposer sa présence quotidienne. Elle avait déjà passé plusieurs nuits chez moi et je l’avais toujours déposée le lendemain matin à l’arrêt de bus le plus pratique pour se rendre à son travail. Cependant, je ne savais pas grand-chose sur son activité professionnelle. Ancienne professeure de français et d’espagnol, elle avait réussi à trouver un poste dans une entreprise madrilène à Sophia-Antipolis et avait loué un appartement à Juan-les-Pins, une véritable opportunité, facilitée par une liaison facile et rapide entre les deux villes. Venir chez moi, l’éloignait un peu plus de son lieu de travail, mais elle pouvait également utiliser une navette urbaine pour s’y rendre.
Quelques années auparavant, j’avais acheté une petite maison proche de la mer à la sortie d’Antibes sur la route nationale, en direction de Villeneuve-Loubet. La maison était suffisamment éloignée de la route pour garantir ma tranquillité. Je travaillais essentiellement chez moi, principalement comme traducteur pour diverses revues et éditeurs étrangers, mais également en tant qu’écrivain, ce qui maintenant représentait une partie importante de mon activité. Mon dernier livre sorti quelques mois plus tôt rencontrait un succès notable, ce qui m’avait permis d’accéder à ce milieu particulièrement fermé. Cependant, je devais aussi effectuer régulièrement des déplacements dans la capitale pour diverses raisons liées à mes différentes fonctions.
Arrivé à presque quarante ans et toujours sans attache, je pouvais disposer de mon temps comme bon me semblait sans avoir de compte à rendre à qui que ce soit. La venue de Sally dans ma vie avait quelque peu écorné ce principe, mais je m’en étais bien accommodé. Sally et moi étions tous les deux très indépendants et une grande liberté guidait notre nouvelle vie. Confronté à sa disparition, je ne savais que faire ni comment réagir. J’essayais de me conditionner pour ne pas paniquer, mais je constatais que cela était difficile. J’imaginais tous les scénarios possibles, surtout les plus catastrophiques. Je n’avais pas beaucoup dormi la nuit de mon retour et la suivante non plus, n’ayant toujours pas de nouvelles de Sally. Cette situation avait généré en moi un stress que je n’avais jamais éprouvé auparavant.
J’avais essayé de contacter la seule amie que Sally m’avait présentée, mais même Linda ne savait pas où elle se trouvait, ni comment la joindre autrement que par téléphone. Elle m’a avoué que sa rencontre avec Sally était très récente et guère plus ancienne que la mienne. Le troisième jour, je me suis réveillé brusquement et plus rapidement que d’habitude, car la sonnerie de l’entrée de la maison venait de retentir. Je me suis précipité vers l’interphone. Qui pouvait bien me réveiller de si bonne heure ? Il fallait que ce soit urgent. Immédiatement, j’avais pensé à Sally et l’angoisse m’avait envahi après avoir reconnu les policiers. C’est à peine si mes jambes me portaient, le souffle coupé, je répondais à mon interlocuteur.
Et c’est ainsi que j’ai appris que de mystérieuses disparitions avaient eu lieu dans le département et que, pour chacune d’entre elles, mon dernier livre faisait office de pièce à conviction. En effet, on retrouvait ce livre ouvert à la même page, à l’endroit même où la personne était censée se trouver avant de disparaître. Cependant, je me demandais comment la police était déjà à pied d’œuvre alors que je n’étais pas encore au courant de cet incident. C’était très étrange, même si je dois avouer que généralement, je ne suis pas les informations, quelles qu’elles soient. Toutefois, j’étais soulagé, il n’était rien arrivé à Sally, ce qui était vraiment l’essentiel.
Je considérais cette histoire de disparition comme sans importance, persuadé qu’il ne pouvait s’agir que de coïncidences. En effet, je ne comprenais pas de quoi il s’agissait réellement. Les gendarmes étaient surpris par ma réaction, d’autant plus qu’ils ignoraient quelle était ma préoccupation principale. Bien sûr, je me gardais bien de leur en parler. Quoi qu’il en soit, il s’agissait bel et bien d’une affaire de disparition.
N’étant pas, non plus, abonné aux quotidiens locaux, j’ignorais complètement cette histoire de fou et par ailleurs, personne dans mon entourage ne m’avait encore alerté. À peine les gendarmes avaient-ils quitté la maison que je relus le passage de mon livre pour tenter de comprendre ce qui avait pu déclencher un tel phénomène. À vrai dire, rien de significatif ne ressortait, même en analysant chaque détail de ce début de chapitre, je ne voyais pas ce qui pouvait conduire à une telle manifestation, qui avait tout de même un caractère extraordinaire. J’ai donc décidé d’appeler mon éditeur dans la journée. Après lui avoir relaté ce qui s’était passé dans notre région, avec l’intervention de la gendarmerie, voici la réponse tout à fait inattendue qu’il m’avait faite.
À vrai dire, la réaction de mon éditeur était surprenante et rassurante à la fois. J’étais totalement soulagé de la tournure que prenait cette affaire, car la maison d’édition allait prendre le relais. Mais jusqu’où ? Je ne pensais pas si bien dire. Il ne m’avait pas fallu longtemps pour comprendre. Un bref rappel téléphonique m’avait informé qu’un rendez-vous avait été fixé avec un journaliste de la télévision locale. Ainsi, une interview allait être réalisée à la hâte. On m’avait donné les principales réponses à fournir et l’attitude à adopter pour rendre cette affaire aussi sensationnelle que possible. Je m’attendais à tout, mais certainement pas à cela. J’avais l’impression d’être le bouc émissaire. Mais que pouvais-je dire ? Avec cette histoire invraisemblable, je n’étais pas vraiment pas dans mon élément. Avais-je le choix ? Pouvais-je refuser cet entretien télévisé ? Je ne pense pas. De plus, cela arrivait au pire moment, car je n’étais pas mentalement prêt à affronter un journaliste. Je ne saurais pas dire pourquoi, mais j’espérais que ce soit une femme estimant qu’avec sa sensibilité, elle serait mieux à même de relater ce type d’événement, mais… quelle erreur !
Bref, la rencontre eut lieu. Et, comme je le souhaitais, la journaliste était bien une femme. D’emblée, elle semblait considérer que ce phénomène était un montage publicitaire dicté par mon éditeur et cherchait par tous les moyens à me déstabiliser, comme pour me faire avouer une supercherie. J’eus toutes les peines du monde à me contenir pour faire bonne figure. Je me souviendrai longtemps de cette interview qui m’avait laissé une mauvaise impression, mais qui avait tout de même été diffusée le lendemain midi aux actualités régionales et dont le résultat ne se fit pas attendre.
Les ventes de mon livre ont grimpé immédiatement d’une manière inattendue. Ce n’est pas tout. La journaliste, qui la veille m’avait quelque peu malmené, pour ne pas dire agacé, en raison de ses propos soupçonneux, ne s’attendait pas à ce qui allait suivre. Je lui avais offert le livre afin qu’elle puisse se rendre compte par elle-même qu’il n’y avait rien de sulfureux dans mes écrits et que le phénomène extraordinaire de ces manifestations de disparition ne pouvait pas être mis en doute. Parfaitement incrédule, ou peut-être pour donner le change, elle donnait l’impression dans cette affaire, de suspecter une stratégie commerciale, dans le but de faire le buzz, comme on dit aujourd’hui.
La chute était aussi inattendue qu’improbable, le lendemain, coup de théâtre, la journaliste avait bel et bien disparu de la même manière que les précédents lecteurs. L’affaire prenait alors une tournure nationale, avec la rediffusion de l’interview sur les chaînes d’état et l’intervention du chargé de communication de mon éditeur pour rendre cet événement tout à fait crédible. Cette fois, selon les commentaires de mon attaché de presse, les ventes avaient connu une percée fulgurante et bien sûr ma notoriété s’en était trouvée grandie. Disons plutôt que mon actualité revenait sur le devant de la scène et qu’il était bien difficile de juger et d’évaluer les retombées d’un tel fait divers.
Avec tout ce remue-ménage autour de moi, la disparition de Sally était passée au second plan. J’étais toujours aussi désemparé et inquiet de ne pas avoir de ses nouvelles. Je ne comprenais toujours pas pourquoi Sally me laissait dans l’ignorance. Ou bien ce qui lui arrivait était-il inavouable ou était-ce quelque chose de plus grave ? Cette dernière hypothèse m’avait fait prendre conscience qu’il fallait que j’agisse d’une manière ou d’une autre. Je ne pouvais pas rester là à attendre, je ne sais quel dénouement.
Au petit matin, je décidais de me rendre à son bureau. Première difficulté, quel était le nom de l’entreprise où elle travaillait ? Je n’avais qu’un seul indice, elle est de nationalité espagnole. C’était la seule information que Sally m’avait donnée sur son activité. Il ne devrait pas y avoir beaucoup d’entreprises espagnoles à Sophia. Malheureusement, Internet ne m’avait pas été d’une grande aide. Je m’étais donc rendu sur place et le bureau d’information à l’entrée du site m’avait renseigné. Il y avait bien une entreprise espagnole sur place, comme je le supposais. Sally ne travaillait tout de même pas, dans une entreprise fictive, du moins je l’espérais. Bien que, avec sa disparition, je ne savais pas à quoi m’attendre, mais quand même !
Ça n’avait pas été facile de convaincre l’hôtesse d’accueil pour obtenir la moindre information. J’avais dû lui donner mon identité et expliquer les raisons pour lesquelles je me retrouvais en ce lieu sans y avoir été invité. Elle était réticente à m’écouter, c’est pourquoi je lui avais dit que j’allais porter plainte à la gendarmerie pour disparition et que les responsables de l’entreprise devraient répondre à de nombreuses questions. En raison de mon insistance, elle avait finalement accepté à appeler le chef du personnel. Celui-ci m’avait aimablement reçu dans son bureau et m’avait informé qu’il n’y avait pas de Sally Munoz dans la liste du personnel, mais seulement une Mme Soraya Alvares-Munoz. J’étais légèrement déconcerté et j’avais répondu presque immédiatement :
Je remerciais mon interlocuteur et me retrouvais complètement sonné par ce que je venais d’apprendre. Quoi qu’il se soit passé, Sally aurait pu au moins me laisser un message pour me rassurer sur ce qu’elle avait été contrainte de faire, ou du moins, m’informer qu’elle était dans l’impossibilité de venir me chercher à l’aéroport. Je rentrais chez moi, déterminé à en savoir un peu plus sur l’identité de Sally. Certes, je n’avais pas été plus explicite sur la mienne, mais tout de même. Je ne m’étais pas volatilisé dans la nature comme elle venait de le faire, me mettant dans l’anxiété la plus totale.
Un petit détail m’était alors revenu en mémoire : le petit tatouage que Sally avait sur son épaule gauche, superbe au demeurant, qui représentait une tête de taureau. Pourquoi avait-elle choisi ce motif ? Lorsque je lui avais posé la question, sa réponse avait été qu’il s’agissait d’un souvenir amoureux qu’elle regrettait, une erreur de jeunesse. Depuis longtemps, elle souhaitait le faire disparaître, mais elle n’avait pas encore pris le temps de faire les démarches nécessaires. Pour moi à présent, ce n’était plus un mystère, son origine ne faisait aucun doute, mais pouvait-elle si facilement le faire disparaître ? Rien n’était certain, car le lien avec Pablo était indéniablement toujours présent. En reprenant conscience de la réalité, je réalisais alors que je tenais à Sally, car je n’aurais jamais entrepris de telles démarches si cela n’avait pas été le cas. Je tentais de la contacter à nouveau par téléphone ; en vain. Je décidais alors de lui envoyer un SMS.
« Sally, je suis très inquiet de ta disparition. Où que tu sois dis-moi où tu es. S’il te plaît, fais-moi signe pour me rassurer, envoie-moi un message ou appelle-moi. Je t’embrasse. Kevin. »
Je me gardais bien de lui dire que je savais où elle se trouvait et qu’elle en était la raison. Je ne souhaitais pas lui révéler être allé chez son employeur et avoir obtenu des informations la concernant. Cela évidemment m’avait sérieusement rassuré, même si beaucoup de questions tournaient en boucle dans ma tête. J’avais eu du mal à mettre de côté mes interrogations et à retrouver mon calme. La situation faisait que je ne pourrais pas en rester là et impliquait que je devrais chercher un moyen d’éclaircir la raison de sa fuite.
De toute évidence, j’étais à peu près certain que Sally ne répondrait pas à mon appel. Elle allait même, être profondément agacée que je la poursuive de cette manière. Je l’entends presque déjà me faire le reproche de ne pas lui avoir fait de promesse et qu’elle était tout à fait libre de partir comme elle l’avait fait. Elle occulterait totalement le fait que je l’héberge et que nous avons déjà un attachement indéfectible entre nous.
C’était la première fois que je me trouvais dans un tel état d’anxiété, et pourtant des affaires de ce genre s’étaient déjà produites par le passé. Je les avais gérées avec sang-froid et fatalisme. Qu’est-ce qui faisait que cette fois-ci je me trouvais complètement angoissé, prêt à remuer ciel et terre pour la retrouver ? La réponse, je la connaissais, même si je ne voulais pas l’admettre. J’avais rarement été aussi amoureux d’une femme comme je l’étais de Sally. Malgré mes expériences antérieures, je m’étais pourtant promis de ne pas retomber dans une telle situation, quel que soit mon attachement. Mais rapidement avec Sally, une très grande liberté et une réelle complicité s’étaient installées entre nous, et je n’avais rien fait pour qu’il en soit autrement. Je réalisais que je connaissais à peine cette femme avec qui je vivais pourtant depuis quelques mois. Il ne me paraissait pas envisageable de laisser les choses en l’état. Elle me manquait atrocement et peu importe les raisons de sa disparition, il me fallait agir et lui montrer que je tenais à elle malgré sa situation familiale qu’elle avait manifestement omis de me dévoiler.
Le lendemain, je reçus enfin un SMS, bref, mais suffisamment explicite pour comprendre qu’elle était en bonne santé et qu’il ne lui était rien arrivé. Elle ne me donnait pas pour autant les raisons de son éloignement, le principal étant que rien de dramatique ne lui soit arrivé. Le jour même, un appel de son employeur m’annonçait que madame Alvares prolongeait son absence au moins d’une dizaine de jours, que l’état de son mari était préoccupant et qu’elle ne pouvait pas rentrer dans ces conditions. Je n’étais pas parvenu à obtenir plus de renseignements, mais l’essentiel était que Sally se soit manifestée.
Parallèlement, l’affaire des disparus avait rebondi. Ces derniers étaient incapables d’expliquer ce qui leur était arrivé. Ils réapparaissaient à différents moments, les uns après les autres, presque au même endroit où ils s’étaient volatilisés sans laisser de traces. C’était étrange et totalement incompréhensible, un phénomène d’amnésie collective. La journaliste, qui elle-même avait vécu le même événement, n’avait pas d’autre alternative que de rester discrète lors de son interview de résurrection comme lui rappela son confrère avec une ironie marquée. Cependant, cela ne nous permettait pas de comprendre, qui ou quoi était à l’origine de ce phénomène, nous ne savions pas si cela risquait ou non de se reproduire.
Je dois reconnaître que cette histoire ne m’avait pas particulièrement préoccupé, elle avait certes été bénéfique pour le résultat des ventes de mon livre. Cependant, cela ne signifiait pas que je ne voulais pas savoir qui en était l’instigateur. Au contraire, j’avoue humblement que je n’avais pas l’intention de me lancer dans des recherches hypothétiques pour en trouver l’auteur, à ce moment-là. J’avais d’autres préoccupations, bien plus importantes dans l’immédiat. Cependant, je savais que nous reviendrions sur le sujet et qu’il faudrait finalement apporter une réponse à ces curieuses disparitions.
Jusqu’à présent je menais une vie tranquille, occupé par mon activité de traducteur et d’écrivain. En dehors des salons, des voyages et des conférences, je ne cherchais pas à élargir mes compétences. Pour le moins, ces deux faits divers allaient sérieusement perturber mon emploi du temps. Il était évident que ces disparitions allaient avoir un impact non négligeable sur mon temps libre, car je réalisais que je ne pouvais vraiment pas sous-estimer cette affaire. Il allait falloir être extrêmement vigilant, car il était certain que diverses conséquences allaient forcément se produire. D’après ce que j’avais entendu de mes connaissances sur les réseaux sociaux, les réactions et les commentaires allaient bon train. Je laissais à mon éditeur le soin de suivre cette actualité avec attention. En ce qui me concernait, cela ne m’inquiétait pas vraiment, car j’ouvrais rarement les comptes Facebook et Twitter que ma maison d’édition avait créés à mon intention, et sincèrement je ne m’en portais pas plus mal. Néanmoins, il était nécessaire que je comprenne au plus vite ce qui se passait avec Sally, car notre avenir dépendait de la manière dont nous allions gérer nos retrouvailles. Des explications seraient certainement indispensables et, connaissant le caractère quelque peu susceptible de Sally, il était impensable de me tromper.
Déjà ma mère à qui j’avais rapidement présenté Sally, s’inquiétait du fait qu’elle ne m’accompagnait plus. Même si nous n’avions pas fait de présentation officielle, elle savait très bien que Sally était devenue ma petite amie. Elle n’était pas dupe. N’étant pas habitué à ce genre de situation, je dois admettre que j’étais souvent mal à l’aise. Ma mère ne manquait pas de me le faire remarquer, estimant à juste titre que je ne lui disais pas la vérité. Je pensais que c’était mieux ainsi, je n’avais surtout pas envie de me lancer dans des explications inutiles. Je n’avais pas besoin de me justifier vis-à-vis de ma famille. J’étais justement suffisamment indépendant pour gérer seul les aléas de ma vie et ma mère le savait très bien, car d’une certaine façon, dans ce domaine, je lui ressemblais.
Pourtant, avec Sally, il allait falloir faire preuve d’un peu plus de tact. Certes, la pression était retombée et déjà je minimisais les événements, l’essentiel pour moi étant qu’il ne lui soit rien arrivé. Découvrir de cette manière une partie de sa vie d’avant n’était pas simple, elle pourrait être persuadée qu’elle m’avait caché son passé, c’était évident, et d’une certaine façon, elle chercherait à argumenter. Je devais absolument éviter d’engager la conversation de cette manière, bien au contraire, je me devais de la rassurer et de réfléchir à trouver le bon moment pour une explication. D’autant plus qu’en raison des circonstances, elle devait être fortement affectée, et pas du tout apte à entamer un échange de ce genre. Il était pourtant délicat de rester dans cette posture attentiste. À l’évidence, il y avait un déséquilibre important.
J’avais eu connaissance des déboires familiaux de Sally, et de son côté, elle ignorait totalement que j’en connaissais la teneur. Je considérais que c’était un mensonge par omission, rien de plus. Allait-elle l’analyser de la même façon que moi ? Ça n’allait pas être simple à gérer. Fallait-il aller au-devant des informations ou bien attendre patiemment qu’elle se manifeste à nouveau ? Je ne me posais pas cette question bien longtemps. En effet l’après-midi même, je reçus un appel de sa société qui m’annonçait que le mari de Mme Alvares était décédé cette nuit et qu’elle ne savait pas dans quel délai, elle pourrait quitter Séville. Comme je leur avais demandé, ils n’avaient pas manqué de m’informer de la situation. Ils avaient bien compris que ce drame affectait nos relations, sans savoir de quel ordre était notre attache.
Que faire ? Presque instinctivement je décidais de me rendre en Espagne pour assister aux obsèques de Pablo. Je n’avais personne pour me contredire ou m’encourager, seule mon intuition me guidait. Et même si je n’avais aucune information précise, peu importe, j’allais bien réussir à me débrouiller et trouver toutes les coordonnées nécessaires. Je comptais sur le fait que Sally serait très sensible au fait que je vienne la soutenir. Cela lui montrerait également que j’étais bien informé de l’épreuve qu’elle traversait et du contexte qui l’entourait. Dans ces conditions il serait presque inutile de poser des questions supplémentaires ou de chercher des réponses. Cela, je pense, conviendrait bien à Sally, qui ne serait pas contrainte de se justifier.
J’en parlais rapidement à ma mère pour l’informer de mon absence, sans entrer dans les détails. Même si maman parut étonnée, son attitude confirmait qu’elle avait compris la nature de notre relation Sally et moi. Je n’avais pas fait de mystère à ce sujet, je lui avais simplement dit le strict minimum. Je me rendais compte qu’il y a quelques heures à peine, moi aussi, je ne pouvais pas m’imaginer ce que j’étais en train de vivre et que je devais partir en Espagne en urgence. Bien sûr, il n’était pas possible de lui révéler la raison et le lieu de mon voyage. Elle a seulement insisté pour que je la tienne informée du bon déroulement de mon déplacement et que je la prévienne à mon retour.
Malgré la confusion qui ne me quittait pas, je rassemblais mes idées pour préparer ce déplacement en veillant à ne rien oublier d’essentiel. Je savais qu’il fallait faire vite, le temps était compté et dans la précipitation, j’étais bien capable d’occulter une ou plusieurs choses indispensables une fois arrivé sur les lieux. Je n’avais pas trouvé de vol direct Nice-Séville pour le lendemain, une escale était donc indispensable en passant par Lisbonne, au Portugal. Je n’avais pas le choix, non seulement cela rallongeait le trajet, mais surtout m’imposait un départ bien plus matinal. J’avais réservé une voiture de location et surtout j’avais essayé de m’informer pour trouver où résidait la famille Alvares. Bien que ce patronyme soit très courant, je n’avais eu aucune difficulté à trouver sur Internet à la fois l’entreprise d’élevage de taureaux de Pablo, mais également l’adresse de son domicile.
Le décès de Pablo Alvares était largement commenté en ligne et les informations concernant les funérailles de cet illustre personnage de Séville ne manqueraient pas d’être largement diffusées. Je n’avais rien prévu pour mon hébergement, ne sachant pas comment se dérouleraient les obsèques. J’avais donc décidé que j’aviserais dès mon arrivée sur place. Étant donné que nous étions en pleine semaine, en dehors des périodes estivales, il ne devrait pas y avoir de problème pour trouver une chambre d’hôtel.
Après avoir pris possession de mon véhicule de location, je m’étais immédiatement rendu au lieu de résidence de la famille Alvares pour me renseigner sur la date des obsèques. Heureusement, je parlais un peu espagnol et il m’avait été facile d’obtenir les informations souhaitées. Dans la première bodega où j’étais entré, tout le monde en parlait. J’avais ainsi appris que la cérémonie aurait lieu dans la collégiale El Salvador sur la place du même nom, en fin d’après-midi. Finalement, Internet ne m’avait été d’aucune utilité.
De plus, j’avais appris les circonstances de cet accident et j’avais compris que malheureusement, le pauvre homme avait eu peu de chances d’y réchapper. Il semblait être fortement apprécié et les visages devenaient sombres à l’évocation de ce drame. Je n’avais pas entendu le moindre commentaire désobligeant sur cette famille, ce qui démontre qu’elle était relativement respectée. Je m’étais bien gardé de dévoiler les raisons de ma présence et en attendant l’heure du service religieux, je m’étais rendu dans un office du tourisme pour trouver un hébergement pour la nuit, et certainement pour les nuits suivantes. On m’avait demandé à plusieurs reprises si j’étais venu pour les obsèques de Monsieur Alvares. Évidemment, j’avais répondu de façon négative, voulant éviter à tout prix, tout amalgame inapproprié dans de telles circonstances.
Libéré de mes contraintes domestiques, j’avais rejoint la « Plaza Del Salvador » où une foule impressionnante s’était déjà réunie. J’avais été étonné de voir un tel rassemblement et je me demandais ce qui allait suivre. Pour combattre l’anxiété qui commençait à me submerger et en attendant l’arrivée du cortège, j’avais admiré avec émerveillement la magnifique façade rose et blanc de l’église Del Salvador. Je ne cherchais pas à me distraire, mais seulement à détourner mon attention sur autre chose. Je comprenais pourquoi cette collégiale avait été choisie pour cette cérémonie. C’était la plus grande de la ville après la cathédrale et la seule qui puisse contenir toute cette foule amassée à l’extérieur.
Le cortège arriva enfin, précédé d’une escorte de gardians aux couleurs rouge et blanc, j’imagine, celles de la propriété, et accompagné d’une escadrille d’agents de sécurité des forces de l’ordre à cheval également. Suivait le fourgon mortuaire exclusivement recouvert de fleurs et de couronnes de couleur rouge et blanc, et pour terminer, d’innombrables voitures. Le tout était particulièrement émouvant et assurément très bouleversant. Bien que je sois bien placé, je ne vis pas Sally descendre de voiture. Il me paraissait pourtant exclu de douter de sa présence, car en pareille circonstance, Sally savait faire face, la question ne se posait pas.
Mais où était-elle donc ? Je m’étais abstenu de trop réfléchir inutilement. J’avais suivi le mouvement et j’étais entré dans l’église pour assister à cette cérémonie funéraire. Rapidement, j’avais constaté que celle-ci ne contenait pas suffisamment de places assises, et que beaucoup de personnes, moi inclus, seraient contraintes de rester debout dans la nef, des transepts jusqu’au narthex. Vous pouvez donc imaginer le nombre de personnes assistant à ces funérailles, et pourtant cette église est la plus grande de Séville. Le cercueil était placé au niveau de la croisée des transepts. J’avais essayé de m’en approcher pour espérer apercevoir Sally. Cette migration n’était pas aisée, mais j’y étais enfin parvenu, pour découvrir Sally entourée de deux adolescents, probablement des membres de la famille. Elle semblait profondément abattue, méconnaissable dans ses habits de deuil. Elle regardait comme elle pouvait autour d’elle et semblait un peu perdue au milieu de toute cette assistance. Elle faisait presque petite fille à côté des grands gaillards qui l’encadraient. Je n’imaginais pas que ces adolescents puissent être ses fils et qu’ils soient déjà si grands. Il ne fallait surtout pas qu’elle m’aperçoive, en tout cas pas maintenant.
Au passage, j’admirais l’intérieur de cette collégiale, de style plutôt baroque avec des retables très chargés, provenant évidemment de la même époque. Il ne faisait aucun doute que cet édifice avait été superbement restauré et je comprenais pourquoi il suscitait l’admiration de tous ceux qui m’en avaient parlé.
À la fin de l’office religieux, je me dirigeais vers le portail de sortie, et je me postais, à la fois suffisamment éloigné du cortège pour éviter que Sally ne m’aperçoive, mais cependant à une bonne distance pour pouvoir l’observer à nouveau. J’avoue avoir été fort impressionné par son apparence physique et j’avais besoin de me rassurer. Certes son visage paraissait moins grave, mais probablement sa tenue vestimentaire la rendait une fois de plus, bien fragile au beau milieu de cette assistance.
Je ne sais pas si elle avait remarqué ou non ma présence. Cependant, j’avais laissé ma carte de visite et j’avais rapidement rédigé des mots de réconfort sur le registre prévu à cet effet pour lui témoigner toute ma sympathie dans ces moments tragiques, et peut-être plus encore. Je n’avais rien préparé et les mots m’étaient venus du fond de mon être pour lui signifier de manière implicite que je serais toujours là pour elle, quoiqu’il arrive à partir de maintenant. Il était important que je lui laisse un message, car si en premier lieu, je ne souhaitais pas qu’elle me reconnaisse pour ne pas la déstabiliser. Maintenant que la cérémonie était terminée, ces critères étaient devenus obsolètes. Sally ne risquait plus d’être gênée par mon soutien auquel elle ne s’attendait certainement pas.
Par ailleurs, il avait été précisé lors de l’office, que seuls les membres de la famille pouvaient se rendre au cimetière, ce qui éliminait le risque de nous retrouver face à face. De toute façon, j’avais déjà considéré que ce n’était pas ma place. Je regagnais mon hôtel, satisfait d’avoir accompli mon devoir et déterminé à profiter un peu de cette superbe ville où je me trouvais pour la première fois.
L’hôtel, « Gravina » proposé par l’office du tourisme qui avait pris en compte mes critères lors de ma réservation, était un établissement superbe. Situé dans une petite rue calme, du même nom, dans le quartier de la vieille ville, c’était un ancien palais sévillan du début du XXe siècle récemment rénové. Décoré de façon raffinée, cet hôtel avait une véritable personnalité et offrait des prestations à la hauteur de mon attente. De plus, il se trouvait à proximité des monuments historiques les plus importants de la ville, dont la cathédrale. Le patio intérieur que l’on apercevait juste après être entré vous donnait envie d’en voir davantage. L’accueil avait été très chaleureux et la réceptionniste qui était également la propriétaire de l’hôtel était d’origine française. Cela avait grandement facilité les formalités. De plus, il n’y avait eu aucun problème de parking, car mon véhicule avait été pris en charge par le voiturier, ce qui est toujours important dans une ville que l’on ne connaît pas. Ce type de prestations rend le séjour beaucoup plus serein et évite bien des mésaventures.
L’hôtel n’ayant pas de restaurant, on m’avait recommandé plusieurs établissements pour le dîner, et j’avais choisi un restaurant de poisson au bord de l’eau. L’hôtel s’était chargé de la réservation et après un court trajet le long du Guadalquivir, j’avais traversé le pont de Triana, et je m’étais retrouvé attablé près des vitres avec vue sur le fleuve, devant un cocktail typique appelé « la leche de Pantera ». Comme d’habitude, lorsque je séjourne dans un pays étranger pour la première fois, je m’efforce de commander des spécialités locales et ce soir-là je n’avais pas dérogé à la règle, malgré mon manque d’enthousiasme. C’était assez étrange de me retrouver seul en ce lieu et dans ces circonstances, j’aurais préféré de loin partager cette soirée avec Sally. Mais les choses étaient ainsi, et j’avais besoin d’un bon repas pour compenser le déjeuner que j’avais manqué, en raison de l’arrivée tardive de l’avion.
Il était encore très difficile d’évacuer complètement les images pénibles de cet après-midi. C’est la raison pour laquelle, pendant tout le repas, la vision de Sally ne cessait de m’obséder. J’essayais bien de me raisonner, mais je ne savais pas si le plus difficile était déjà passé ou non. À peine rentré à l’hôtel, le sommeil fit rapidement son œuvre et c’est le téléphone de la réception qui me réveilla très tôt le lendemain matin.
C’est vrai, j’avais oublié de préciser qu’il ne fallait pas me réveiller tôt le matin, car mon vol de retour n’était que le lendemain. Cependant, je fis preuve de politesse et, encore à moitié endormi, j’avais répondu :
Qui pouvait bien vouloir me joindre ici ? Seule Sally avait connaissance, je suppose, de ma présence dans cette ville. Je ne vous cacherai pas que lorsque je suis descendu pour le petit déjeuner, j’étais particulièrement fébrile à l’idée de récupérer le message qui m’attendait à la réception. J’étais convaincu que Sally en était à l’origine et je ne me trompais pas.
Où voulait-elle que nous nous retrouvions ? Elle n’en parlait pas. Le plus important, bien sûr, était qu’elle souhaitait que je la rejoigne. Je ne pouvais pas refuser cette invitation. D’ailleurs, je n’avais pas vraiment la possibilité de ne pas être présent à l’hôtel à l’heure convenue. La question ne se posait pas. J’avais tellement envie de la serrer dans mes bras et d’effacer cette impression néfaste qu’elle m’avait laissée la veille, et dont je n’arrivais toujours pas à me détacher.
Je ne voulais pas rester dans ma chambre toute la matinée à attendre ce rendez-vous. J’avais donc décidé d’aller découvrir le centre de cette ville que j’avais jusqu’à présent à peine explorée. Je voulais aller visiter l’Alcazar, malheureusement je n’avais pas de billet et en raison du nombre limité de visiteurs par heure, cette option n’était pas possible. C’est avec regret que j’étais retourné sur mes pas jusqu’à la cathédrale de Santa Maria de la Sede, qui fort heureusement était ouverte.
Elle fait partie des plus grandes églises du monde, après la basilique Saint-Pierre de Rome et la cathédrale Saint-Paul de Londres. De plus, c’est aussi la plus grande cathédrale gothique au monde. Elle a été construite à l’endroit où se trouvait autrefois une mosquée maure des Almohades qui fut démolie au 13e siècle, à l’exception du patio des orangers et de la tour Giralda. La construction de cette cathédrale gigantesque en forme de croix, avec cinq nefs et des chapelles, avait duré près d’un siècle. Sa consécration avait eu lieu en 1507. À l’intérieur, on y trouve principalement la dépouille de Christophe Colomb qui avait été transférée de Cuba à Séville en 1898. Elle se trouve actuellement dans un mausolée avec un cercueil en bronze, porté par quatre personnages qui symbolisent les royaumes de Castille, Léon, Aragon et Navarre.
J’avais passé peu de temps à admirer les nombreuses peintures de Murillo, Goya, Pedro de Campana et Luis de Vargas présentes dans cette cathédrale, car mon temps était compté. Surtout, je voulais aller visiter le Métropole Parasol, surnommé « les champignons de Séville », il s’agit d’une incroyable structure en bois qui couvre la place. Sous les parasols, il y a une promenade piétonne singulière ainsi qu’une terrasse appelée « El mirador » offrant une belle vue panoramique sur la ville. Construit en 2011, cet édifice abrite également un musée archéologique, des boutiques, plusieurs bars et restaurants. Après un déjeuner rapide sur le pouce, il était déjà temps de retourner à l’hôtel, pour arriver à l’heure convenue. Cette petite escapade m’avait permis d’éliminer tout le stress qui s’était accumulé depuis mon arrivée en Espagne.
Je le saluais à mon tour, surpris par sa maîtrise de la langue française, sans aucun accent. Ce jeune homme, imposant et élégant, était totalement différent de ce à quoi je m’attendais ; ne pensez pas que je croyais qu’elle m’avait envoyé une diligence conduite par un gaucho comme dans les films de western, pas du tout, la Mercédès noire, rutilante, luxueuse m’impressionnait et je me demandais où elle allait bien pouvoir m’emmener. À peine avions-nous quitté la ville, que le chauffeur prit une route bordée d’arbres plusieurs fois centenaires, en direction d’une colline d’où l’on apercevait à peine la résidence que j’allais découvrir. À ce moment-là, le chauffeur qui n’avait rien dit depuis le départ me présenta avec fierté le domaine.
Bien sûr, je n’avais encore rien vu, mais j’essayais déjà d’imaginer où nous allions arriver. Si la propriété était à l’image du domaine que nous traversions, je risquais d’être impressionné. Je tentais de le sonder juste pour répondre à la présentation qu’il venait de faire.
J’étais déjà époustouflé par l’extérieur de cette propriété qui, d’un point de vue architectural, était à elle seule un véritable monument historique ; sans compter les jardins constitués principalement de part et d’autre de végétaux exotiques, tels que palmiers, cactus, agaves et bien d’autres. Je me demandais quelle serait mon appréciation en rentrant dans cette habitation. Le chauffeur vint m’ouvrir la portière du véhicule et un comité d’accueil s’avançait déjà vers moi pour me souhaiter la bienvenue. J’étais encore plongé dans mes réflexions lorsque quelqu’un s’adressa à moi. Je considérais que comme toute exploitation agricole ibérique de cette envergure, centrée essentiellement sur la culture de l’olivier, des agrumes et de l’élevage du bétail, l’hacienda était l’archétype de l’habitation locale qui en plus des locaux agricoles, comprenait également des locaux d’habitation.
Rien n’était laissé au hasard, les consignes avaient été données et ma venue était attendue. Le personnel, savait-il, qui j’étais ? Cela ne me préoccupait pas vraiment. J’étais beaucoup plus étonné par tout ce qui m’entourait. Ce domaine, cette maison faisaient naître de nombreuses questions et d’interrogations qui se bousculaient dans ma tête. Mais je n’en étais pas là. Je découvrais avec une sorte d’admiration ces lieux magnifiques, aménagés avec un goût avéré, et je me demandais qui en était l’auteur. J’avais à peine franchi la moitié de cet immense hall, que Sally se dirigeait déjà vers nous pour m’accueillir comme tout visiteur de la maison, ce qui interrompit ma contemplation des lieux. Quel contraste avec ma vision de la veille ! Sally, vêtue tout de blanc, resplendissait dans cette robe légère, prit le relais en congédiant la charmante hôtesse qui m’avait conduit jusqu’à elle.
De cette manière et malgré les circonstances, Sally pouvait m’entraîner dans le bureau de son ex-mari sans aucune ambiguïté. Du reste, personne ne connaissait l’attachement qui nous unissait, ni même mon identité, à part peut-être le chauffeur de la maison, me semblait-il ! À moins que… Sally ne m’avait encore rien dit et je me gardais bien de faire le premier pas.
Après m’avoir invité à m’installer sur le siège en face de cette immense table de travail, elle resta debout, probablement pour se sentir plus à l’aise et commença son discours, du moins c’est ce que je supposais.
Calme et parfaitement détendue, Sally s’apprêtait à se lancer quand elle fut interrompue par le service qu’elle avait commandé. L’hôtesse posa le plateau sur le bureau, échangea quelques mots en espagnol avec Sally, puis s’éclipsa aussi rapidement qu’elle était arrivée. Ce court intermède me confirma que Sally était parfaitement à l’aise et que ce contexte ne la dérangeait pas du tout. Tout en sirotant notre thé, Sally évoqua avec soulagement la journée précédente, qui, dit-elle, avait été très éprouvante pour elle. Heureusement sa belle-famille avait fait preuve d’une grande d’empathie à son égard et malgré ce qui s’était passé avec Pablo, la compréhension avait prévalu.
J’avais failli répondre à cette invitation, mais Sally ne m’en avait pas laissé le temps.
Dans ces circonstances, sa mère Victoria et moi-même savions trouver les arguments pour le ramener à la raison, même si la partie n’était pas toujours gagnée d’avance. Au contraire, en dehors des périodes de conflit, c’était un homme sensible, toujours à l’écoute et particulièrement généreux. J’avais appris à le connaître et Victoria m’avait beaucoup aidé à cet égard. C’était justement dans ces circonstances difficiles qu’une réelle complicité s’était créée entre ma belle-mère et moi. Quand il s’était agi de rendre définitive notre entente cordialement, Pablo s’était confié à sa famille exigeant qu’aucun divorce ne soit prononcé. Il avait fait valoir que cela n’était qu’une séparation temporaire et qu’il avait clairement établi que je resterais pour l’instant son épouse à part entière.
Cela n’a pas dû être toujours facile à l’époque, mais rien ne devait changer dans l’ordre établi de la famille Alvares. Chacun s’était conforté dans cette conjoncture particulière et aucun n’avait dérogé à cette règle. Ma belle-mère, en particulier, m’avait soutenu et encouragé afin que nous restions en très bons termes. Nos relations sont restées très sereines jusqu’au jour de ce drame et j’ai toujours fait en sorte de respecter la confiance de Pablo.
Il ne m’avait pas rejetée, bien au contraire. Chaque fois que je revenais à la propriété pour voir les enfants, il m’accueillait toujours avec bienveillance, voire même avec tendresse. Si l’amour n’était plus de mise, Pablo souhaitait cependant préserver à la fois l’harmonie au sein de la famille et le souvenir de ces années passées ensemble. Cela était tout à fait honorable de sa part et a grandement facilité notre séparation. C’est précisément dans ces circonstances tragiques d’aujourd’hui que je constate les bienfaits de son attitude.
Jusqu’à présent, ma belle-famille m’avait toujours respectée et il n’y avait jamais eu la moindre animosité ouvertement exprimée à mon égard, que je sache. J’osais espérer que cela resterait en l’état pendant longtemps et que rien ne viendrait troubler cette entente très cordiale. Avant mon départ, Pablo et moi avions reconsidéré les termes de notre succession dans l’hypothèse d’une éventuelle disparition de l’un ou de l’autre, ce qui s’était avéré être une bonne initiative compte tenu des circonstances que nous rencontrons.
Je n’osais toujours pas l’interrompre et surtout, je voulais éviter que cette confession ne se transforme en réquisitoire. Pourtant, je l’avais invité à faire une petite pause.
Ma stratégie n’était pas suffisante ; Sally était bien déterminée à aller jusqu’au bout de son récit. Elle me rassura sur son désir de revenir avec moi en France.
Intuitivement, Sally avait compris que j’attendais une réponse de sa part à cette question que je m’étais obligatoirement posée sans l’avoir dévoilée. De suite, je m’étais senti rassuré et j’avais également cherché à tranquilliser Sally concernant cette interrogation. Je m’entends encore lui dire de prendre le temps et d’agir sans précipitation, car cette situation était encore trop récente et que tôt ou tard elle saurait prendre les mesures nécessaires. Pourtant, je n’avais qu’un seul souhait qu’elle vienne me retrouver chez nous à Juan-les-Pins, le plus rapidement possible.
J’avais fini par convenir que rien ne pourrait la détourner de son objectif. Elle tenait absolument à poursuivre et s’expliquer sur son passé afin de ne pas y revenir ultérieurement. On sentait que Sally tenait à ce que tout soit clair entre nous comme cela semblait avoir été le cas, apparemment avec Pablo. Au regard de la position actuelle au sein de la famille Alvares, il était évident qu’elle avait réussi son parcours. Pourtant, les choses n’avaient pas dû être faciles. Avec un tempérament comme le sien, des frictions avec sa belle-famille avaient dû se produire, mais elle avait su se faire accepter comme j’étais en train de le constater.
Occupé par mes réflexions, c’est à peine si j’écoutais Sally. Pourtant, elle me racontait ses premières années passées en Espagne et l’arrivée des enfants. C’est ainsi que j’avais appris qu’elle avait deux garçons ; Enrique, l’aîné âgé de quinze ans et Miguel qui venait d’avoir douze ans. Les deux étaient de superbes gaillards, selon Sally, à l’image de leur père. Les deux avaient fait le choix de rester en Espagne. Que feraient-ils en France, un pays éloigné de leur environnement, même si la barrière de la langue n’existait pas ? Ils parlaient tous les deux parfaitement le français. Mais surtout, ils étaient imprégnés du territoire espagnol avec cet environnement exceptionnel, cette région rurale où ils avaient grandi.
Et puis Victoria était tout à fait ravie de prendre le relais et de s’occuper de ses petits-enfants. Il aurait été difficilement envisageable pour Sally d’interférer en la matière. Tout aurait été bien plus difficile si les enfants s’étaient éloignés de leur environnement habituel. Cette attitude convenait également à Sally qui aimait trop sa liberté et qui estimait avoir accompli sa mission. Sa belle-mère ne manquait pas de lui rappeler qu’elle avait pris le relais après son départ et qu’il n’était plus possible désormais de la priver de ce privilège. Bien qu’ils soient encore jeunes, tous les deux savaient déjà quel serait leur avenir. Enrique avait choisi, du moins son grand-père maternel avait fait ce choix pour lui et l’avait orienté, pour ne pas dire conditionné à reprendre l’exploitation vinicole qu’il avait lui-même réhabilitée après qu’elle fût abandonnée par la génération précédente. Nous en reparlerons ultérieurement. Elle m’informait également que sa famille était originaire du sud-ouest et plus précisément de la région de Biarritz.
En ce qui concerne Miguel, c’était une l’évidence. Dès son plus jeune âge, il avait été attiré par les taureaux et rapidement s’était retrouvé dans les pas de son père, malgré les réticences de la famille. Ni l’un ni l’autre n’avaient pris en compte les craintes d’un éventuel accident, la tauromachie était leur domaine, et bien que conscient du danger, Pablo insistait pour que son fils vive cette passion dévorante pour les taureaux, tout comme lui. Il avait clairement exprimé ce choix en faveur des taureaux et avait délibérément rejeté toute tentative de prudence à ce sujet. Tout comme moi, Miguel montre tellement d’enthousiasme envers ces animaux, qu’il est impensable de le priver de cette passion, répétait-il lorsqu’on abordait la question avec lui. Il était inutile d’insister ; dans ces circonstances Pablo manifestait toujours un refus catégorique, pouvant rapidement conduire à une situation explosive. Toute la famille en avait déjà fait les frais un jour ou l’autre, et plus personne ne s’était risqué à évoquer une fois de plus ce sujet avec lui.
Pourtant, selon Sally, la vie avec Pablo n’avait pas été si compliquée. Il lui accordait une grande liberté, mais il y avait quelques domaines pour lesquels, il ne souhaitait pas d’ingérence extérieure et cela incluait bien évidemment Sally en tant que maîtresse de maison. Pourtant, c’était elle qui avait finalement décidé de rompre le contrat, « leur entente cordiale », disait-il, alors qu’il attendait que ce soit moi qui en prenne l’initiative. Souhaitant reprendre une activité professionnelle, j’insistais pour retourner en France et renouer avec l’Éducation nationale où je m’étais mise en disponibilité.
J’étais professeur d’espagnol à Bayonne et professeur de français en Espagne après notre mariage jusqu’à la naissance d’Enrique. Je ne pourrais pas dire que la vie ici me pesait, j’avais eu la chance d’être bien acceptée par ma belle-famille et de vivre confortablement dans un lieu magnifique comme tu as pu le constater. Cependant, après que les enfants aient gagné en autonomie, l’inactivité provoqua en moi une sorte d’impatience, d’abandon, de solitude et Pablo n’était pas le genre d’homme à comprendre ce genre de choses. Inévitablement, cela avait eu des répercussions sur notre couple qui, petit à petit, avait commencé à dériver. Pablo n’avait pas la lucidité nécessaire pour comprendre ce qui se passait et je me retrouvais de plus en plus seule, face aux perspectives de mon avenir.
Seule ma belle-mère comprenait et m’aidait à faire face. Bien que d’une autre génération et imprégnée d’un environnement plutôt machiste, elle percevait les changements qui s’opéraient dans la vie d’aujourd’hui et, au lieu de les condamner, faisait toujours de son mieux pour rendre chaque événement délicat, plus facile. Mais cela ne fut pas suffisant. Malgré de nombreux avertissements, dont Pablo ne prenait pas compte, je me retrouvais le plus souvent seule, en attente de je ne sais quoi. Toujours ici et là, il ne s’intéressait plus qu’à ses taureaux et à tout ce qui les entourait, entraînant ainsi les enfants dans son sillage.
Je m’éloignais de plus en plus de cette vie à laquelle je ne participais plus et finis par me convaincre qu’il était nécessaire que cela change. Jusqu’au jour, où n’y tenant plus, j’avais Pablo au pied du mur. Mais là aussi, je constatais que le message n’était pas suffisant ; Pablo ne comprenait pas ce qui m’arrivait ni ce que j’attendais de lui. Inévitablement, les choses allèrent de mal en pis et un jour, je décidais de partir, de faire une pause comme je m’entends encore lui dire. À ma grande surprise, Pablo ne fit pas d’esclandre et consentit une séparation temporaire. Il fit part de nos intentions à sa famille et c’est ainsi que je me suis trouvée face à mon nouveau destin.
La suite, bien sûr, tu en connais l’essentiel, mis à part mes escapades soi-disant professionnelles en Espagne, où je retrouvais Enrique et Miguel, ainsi que quelques séjours passés dans ma famille à Biarritz. Sally était parvenue à me dire tout ce qu’elle voulait à tout prix que je sache. Avant de nous quitter, elle m’avait confirmé ses intentions de revenir en France le plus rapidement possible. Elle m’avait également informé qu’elle avait reçu, la veille de son départ, une réponse positive à sa demande de réintégration à l’Éducation nationale pour la rentrée prochaine. Je n’avais pas pu m’empêcher de lui dire :
Je comprenais alors que Sally souhaitait mettre fin à notre entretien. Je ne savais pas comment elle avait présenté cette visite à sa belle-famille, mais en raison des circonstances, il était préférable d’y mettre un terme, ce que je comprenais parfaitement.
Ce furent ses derniers mots et le chauffeur ne tarda pas à se présenter pour me reconduire à l’hôtel. Je n’eus pas le loisir de découvrir et de visiter davantage cette superbe demeure, mais je n’étais pas venu pour cela. J’étais content d’avoir trouvé Sally relativement sereine et grâce à la bonne nouvelle qu’elle venait de m’apprendre, je quittais Séville, le cœur un peu plus léger, tout en étant impatient de la retrouver au plus vite. Je ne pus m’empêcher de constater que j’avais parfaitement intégré cette nouvelle situation et assimilé les explications de Sally. Je ne saurais dire pourquoi, mais tout cela me semblait d’une indéniable logique, et j’avais tout écouté sans faire le moindre commentaire.