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Une adolescente normale dans un monde et une famille ordinaires. Ou presque. À la suite d’un tragique accident qui coûta la vie à son petit ami, son monde bascula et elle sombra. Pour la sauver d’elle-même, ses parents l’envoyaient chez ses grands-parents en Normandie où elle fit la rencontre d’un jeune homme étrange, à la carrure fascinante, au physique des plus séduisants, très charismatique.
Qui était-il ? Que faisait-il dans la vie ?
Cette rencontre allait bouleverser son existence, lui dévoiler un destin insoupçonné même dans ses rêves les plus fous…
À PROPOS DE L'AUTEURE
C’est en regardant ses deux chats se prélasser que
Marie-Stella Sarrazin a créé l’intrigue qui constitue la toile de fond de cet ouvrage. Elle a voulu transcrire les émotions, les pensées et la liberté qui se cachent derrière leurs billes.
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Marie-Stella Sarrazin
Sphinx
Le cercle des félins
Tome I
Le cœur a ses raisons
Roman
© Lys Bleu Éditions – Marie-Stella Sarrazin
ISBN : 979-10-377-3915-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Une petite dédicace à mes trois enfants.
Il faut toujours croire en ses rêves, en sa personnalité
et en sa bonne étoile.
En son imagination et en sa liberté d’expression.
Je dédie ce roman à tous les félins qui m’ont inspiré…
Car le félin est l’âme d’une chaumière,
Et la liberté représentative de toute personne, dite vivant sur terre.
Marie-Stella Sarrazin
Les chats sont des êtres mystérieux.
Nous ne sommes pas conscients de tout ce qui leur traverse l’esprit.
Sir Walter Scott
Je venais de vivre la plus terrible des épreuves et la plus funeste de toute ma vie. Mon petit ami, Arnaud, avait perdu la vie dans un grave accident depuis près de quatre mois. Il demeurait pour moi un merveilleux petit ami et le meilleur ami de mon frère Charly. Ma dernière année au lycée avait été bâclée. Je n’avais pas eu la motivation de passer mon baccalauréat. Je ne parvenais pas à continuer ma vie, sachant ce que j’avais fait. Je me sentais si vide, comme si on m’avait arraché le cœur. Je ne ressentais plus aucune sensation, même les larmes ne s’écoulaient pas. Comme si j’étais morte de l’intérieur en même temps que lui. Après plusieurs tentatives de suicide avortées, j’avais dérapé complètement en vendant de la drogue pour des gens pas très recommandables, en fumant des joints et en sniffant de la cocaïne. La drogue avait été la seule chose qui soulageait ma douleur et m’aidait à oublier ce que j’avais fait et qui j’avais tué.
Mon deuil se voyait jusqu’à ma garde de robe et à mes cheveux d’un noir corbeau. Mes parents étaient désespérés, désemparés. Ils ne savaient plus quoi faire de moi. À chacune de mes tentatives, ils perdaient pied, voulant à tout prix me sortir de l’emprise de Sam et de la drogue.
Ils avaient pris une grande décision qui allait bouleverser ma vie à tout jamais ou plutôt transformer mon enfer actuel en paradis sur terre. Ils m’envoyèrent deux mois et demi chez mes grands-parents en Normandie, sans que j’eusse fini mon année scolaire.
À la gare d’Auxerre, je me tenais sur le point de partir à Trouville en Normandie. Ce matin, j’avais opté pour un pantacourt, des baskets et un débardeur sombre. Mes cheveux, d’un noir intense, étaient ramenés en une queue de cheval plutôt rebelle. Je supportais un gros sac de voyage, mon sac à dos sombres et mon chat, Kawasaki, de couleur noir et blanc, dans sa cage.
Je ne supportais plus que son mélange d’absence de couleur. Il était mon dernier lien avec Arnaud. Il me l’avait offert à la suite de l’obtention de mon permis. J’étais passionnée par les chats. J’admirais leur agilité, leur force de caractère, leur façon de se dandiner, si majestueuse, leur façon de faire des câlins avec leur ronronnement, leur intelligence à chasser, leur manière de jouer et leur liberté.
Dans les yeux de mon père et dans ceux de ma mère, je voyais une profonde tristesse et une grande douleur. Des larmes commençaient à perler sur leurs joues. Je ne comprenais pas ce sentiment. Ce n’étaient tout de même pas des adieux. On se reverrait à la fin du mois d’août. Ils n’avaient rien à craindre. Georgette et Henry seraient aux petits soins pour moi, par crainte d’une autre tentative de suicide ou de me voir replonger dans des embrouilles. Je demandai :
En effet, ma mère s’était mariée une première fois. De cette union, elle avait eu mes deux frères, Kenny et Charly, qui ne souhaitaient pas me dire au revoir. Ce que je comprenais tout à fait. J’espérais que Charly se remette de la perte de son meilleur ami, que les vacances chez son père lui fassent le plus grand bien. Il en souffrait énormément. Il m’en voulait terriblement. Mes parents me serraient dans leurs bras une dernière fois et ma mère s’effondra comme une madeleine. Ses yeux étaient tout rouges, ses lèvres tremblaient comme une feuille, elle m’embrassa sur la joue en me murmurant à l’oreille.
Je les embrassai tous les deux tendrement et leur lançai :
Avant de m’engouffrer dans la gare, je me retournai une dernière fois. Mes parents se tenaient par la taille, arborant un air triste qui me fendit le cœur. Après un dernier signe de la main, je leur répondis timidement. Enfin seule, je tamponnai le billet que mes parents avaient pris le temps d’acheter avant mon départ. Le lieu était désert, les vacances n’ayant pas encore commencé. Assise sur un banc, j’attendais le train, celui qui me conduira directement en Normandie.
Mon regard se perdit dans le vide. Je n’arrêtais pas de cogiter à tout ce que j’avais fait durant ces derniers mois, surtout à cet horrible accident. La fin de mon année scolaire, je l’avais passé à sécher les cours, à traîner dans les rues. Je ne voyais plus qu’elle était l’intérêt du lycée. Je n’avais plus qu’un souhait, rester seule dans ma déprime. J’avais rompu tout contact avec mes amis. Plus les mois passaient, plus je me renfermais sur moi-même. J’étais déjà d’une nature réservée et peu bavarde. Mais là, c’était encore pire. J’avais tué le seul être qui me comprenait et qui m’aimait comme j’étais.
Le train arriva en gare dans un grondement infernal, un sifflement du diable. Je saisis mes sacs et grimpai à l’intérieur. Je m’acheminai dans un wagon vide. Les sièges étaient rouge cuivre. Certains troués. Les parois étaient taguées. Des mots et des phrases incompréhensibles. Je me posai à côté d’une fenêtre et lâchai mes affaires sur le siège d’à côté. Mon iPod dans les oreilles, la tête contre la vitre, je me mis à écouter de la musique. Elle ne parlait que de mort, de l’enfer et des démons. Les paupières fermées, je m’assoupis, bercée par ma musique préférée du moment. Comme à chaque fois que je m’endormais, mon cauchemar apparaissait. Je tombai dans un trou noir, tourbillonnant sans fin, pour atterrir dans la petite Clio blanche d’Arnaud, au volant. Ce soir-là, il faisait nuit noire. Là-haut dans le ciel, il n’y avait pas d’étoiles. La lune était à peine visible. Les phares allumés, il pleuvait à torrents. Les essuie-glace fonctionnaient plein pot. Je me concentrais sur la route. Nous revenions d’un bar de nuit. Arnaud avait insisté pour fêter la réussite de mon permis. Nous n’avions pas bu une goutte d’alcool. Sur l’autre voie, un camion qui ne roulait pas très vite, au vu du mauvais temps. Tout à coup, une voiture s’impatienta et le doubla. Un inconscient. Elle roulait bien trop vite, à une allure anormalement élevée. J’avais beau klaxonner, lui faire des appels de phares mais rien n’y faisait. Je voulus me mettre moi-même dans le fossé afin de l’éviter mais la voiture nous heurta de plein fouet. Si violemment, que la Clio fut projetée dans le champ avant de faire de nombreux tonneaux. Je perdis connaissance.
Un mois plus tard, je me réveillais dans un lit d’hôpital.
À ce moment-là, je ne savais pas encore qu’Arnaud était mort. « Mort sur le coup. m’avait-on dit ». Le médecin m’apprit également que je ne pourrais plus jamais avoir d’enfant. Il me montra les deux immondes cicatrices, souvenir monstrueux de cette fameuse nuit. L’une commençait à la base de mon cou, en diagonale, et disparaissait dans ma chevelure. L’autre, en plein milieu de mon abdomen. Le souvenir du regard de Charly se faisait triste, plein de reproches à mon égard. Mes parents me souriaient heureux de me voir revenir parmi les vivants. Quant à mon frère Kenny, il était impassible. Aucune émotion ne le traversait, peut-être déçue que je m’en sorte indemne, ou presque. Je me réveillai toujours en sursaut quand le visage de Kenny, aussi limpide, s’affichait à moi.
Mes rêves reflétaient surtout l’histoire que l’on m’avait relatée. Ma mémoire était quelque peu défaillante. Je me rappelais quelques passages de la soirée. Moi qui conduisais, ce camion et surtout le réveil à l’hôpital… Mon cœur battait comme un tambour dans ma cage thoracique. Le visage de mon petit ami ne cessait de tournoyer dans ma tête. La sueur perlait sur mon visage. Tout mon corps tremblait par petites secousses comme si j’allais tomber dans un coma éthylique. Les larmes au bord des yeux, impossible à déverser.
J’aurais tant voulu les libérer et me sentir mieux.
Mes paupières papillonnèrent devant un wagon peu rempli. J’observais les alentours, le visage des nouveaux passagers. Mon attention se porta sur un jeune homme d’une vingtaine d’années au charme bizarrement étrange. Fascinant. Trois sièges nous séparaient. Un regard sublime et perçant, des pupilles d’un vert limpide, légèrement bridé, de magnifiques cheveux mi-longs, d’un roux flamboyant, de légers reflets clairs. Une mèche rebelle tombait sur son front. Sa peau était blanche comme la neige, limite éblouissante et crémeuse.
À cet instant, je me demandai : « Que pouvait faire un homme comme lui dans la vie ? »
Mannequin probablement. Il me surprit à le dévisager et il se mit à me fixer intensément. Je baissai les yeux sur mes pieds, gênée et honteuse d’avoir été surprise ainsi. Mes joues s’empourprèrent. Ses prunelles sur moi examinaient tous mes traits.
Un sifflement retentit. Et quelques secousses se firent sentir avant que le train ne s’arrête.
Me voilà arrivée. La Normandie, la ville natale de ma mère. J’empoignai mes sacs et descendis du wagon. Le temps que je réagisse, le jeune homme bizarre avait déjà filé. Je sortais de la gare encombrée. Des taxis passaient s’en s’arrêter et d’autres, garés, attendaient leurs prochains clients. J’en aperçus un de libre. Alors je fonçai. Mais avant même que j’y parvienne, un homme se tenait prêt à monter. Je bafouillai.
Il me regarda avec une telle intensité que j’eus du mal à prononcer une phrase cohérente.
Cela ne me ressemblait pas de bafouiller ainsi, même devant un inconnu. Ni même rougis comme je venais de le faire. Il disparut dans le taxi avant de claquer la portière sans me prêter plus d’attention. Je restais là, immobile comme une idiote à regarder la voiture s’éloigner. Il ne m’avait même pas laissé le temps d’agir, ni même l’opportunité de répondre à son agressivité.
Mais qu’avais-je à me comporter comme une imbécile, mes jambes vacillaient, mes mains étaient moites, mes joues rouges comme une tomate, mon cœur battaient la chamade. Mon hésitation comblait le tout. En plus, j’avais chaud, trop chaud. Alors que le temps se faisait gris et le vent frais.
Je couvrais sûrement la grippe…
Une voix sensuelle et douce sur laquelle j’aurais pu m’endormir paisiblement m’ordonna.
Depuis son départ, j’étais restée figée sur place, le regard perdu dans le néant. Empli de questions. J’eus du mal à revenir à moi-même, savoir que cette voix s’adressait à ma personne. Je me tournai dans sa direction, troublée. Son visage si parfait incliné me regardait avec des pupilles pétillantes. Pendant un instant, j’hésitai avant de déposer mes affaires sur le siège arrière entre nous. Assise, je fermai la portière.
Son expression resta de marbre.
Prenant une profonde inspiration, je répondis aussi distinctement que possible.
La voiture se dirigeait vers le Casino, non loin de la maison de mes grands-parents.
La Normandie était réputée pour ces bateaux de pêche et pour ces pécheurs. Pour ces nombreux restaurants de poissons, de fruits de mer et pour ces crêperies mais surtout pour son mauvais temps.
Sur ce, je n’étais pas d’accord.
Le beau temps était régulier. Le soleil se montrait souvent, même parfois, il faisait chaud, à ce mettre en maillot de bain.
Il y avait les vendeurs de poissons frais, et de crustacés. Les coquillages et les étoiles de mer sur la plage. Les hôtels de charme et les maisons qui avaient souvent l’air de petit manoir.
J’adorais sentir le vent du large sur mon visage et entendre le chant des mouettes. Pendant tout le trajet, je n’osais pas me tourner vers cet homme au charme fascinant et étrange. Je n’avais qu’un souhait, arriver au plus vite, chez mes grands-parents. Et me reposer.
Le chauffeur essayait de détendre l’atmosphère.
Le jeune homme à mes côtés demeurait silencieux, impassible, froid et de marbre. Le taxi finit sa course non loin de chez mes grands-parents. Le chauffeur finit par se tourner vers moi, une main sur l’appuie-tête côté passager.
Sa beauté à lui aussi me frappait de plein fouet. Il ressemblait énormément à l’autre passager. La peau blanche, crémeuse, des yeux bleus pareille à l’océan. Il me toisait droit dans les yeux comme s’il voulait me percer à jour. Sans cesser de le dévisager, je lui tendis le billet. Il s’en saisit à une vitesse affolante. Les sacs en main, je sortis de la voiture en le remerciant avant de claquer la portière. Je m’acheminai d’un pas traînant sur les planches en bois qui bordaient la belle plage de Trouville.
La troisième demeure à droite était celle de mes grands-parents. Le petit portail en bois de couleur beige m’accueillit. Des petites statuettes hautes en couleur vivaient en ce lieu de paix sur une pelouse verdoyante. Des nains, des chiens, des chats, comme un petit village. Une table ronde et ses chaises en ferrailles se trouvaient là sur le côté, en attendant les beaux jours.
En quelques bons, je franchis les quelques marches qui me séparaient de la porte d’entrée. Je sonnai et attendis que l’on vienne m’ouvrir. Ma grand-mère, et son visage flétri, surprise en me voyant sur le bas de la porte. Déjà. Elle brailla d’une voix douce et pleine de joie.
Je haussai les épaules.
Je déposai mes bagages sur le carrelage de l’entrée. Rien avait changé. Affectueusement, elle me serra dans ses bras et m’embrassa comme si elle ne m’avait pas vu depuis des années. Elle finit par se reculer pour m’examiner de la tête aux pieds. Les larmes aux yeux, elle hurla.
Il émergea de la salle de bain, en face de la porte d’entrée. Dès qu’il me vit, il accourut vers moi, pour me prendre dans ses bras de pécheur.
Je me libérai de son étreinte. Je grimpai les escaliers avec difficulté, encombrée par mes gros sacs. Dans le couloir, quatre portes s’ouvraient sur d’autres pièces. Celle du fond face à l’escalier menait à ma chambre. Je l’entrebâillai dans un grincement léger. Elle me laissa entrevoir avec joie que celle-ci n’avait pas changé.
J’avais plaisir à voir qu’ici rien ne changeait. Le grand lit et le dessus de lit Barbie, la grande armoire, la commode et le bureau en pin blanc se trouvaient à la même place. Les murs d’un rose pâle étaient toujours aussi roses, à mon goût. Je déposai mes affaires sur le lit, en soupirant avant de libérer Kawasaki.
Enfin.
Il se mit à sauter partout comme un fou, naviguant entre le bureau, la commode et le lit. Il haïssait sa cage, en être prisonnier était épouvantable pour lui.
Kawasaki était un chat libre et il voulait se sentir libre. Je rejoignis mes grands-parents, laissant mon matou seul dans la chambre. Il ne mit pas longtemps à me rejoindre. Il me suivait pas à pas, quand il ne connaissait pas les lieux.
Le temps de s’habituer. C’était un trouillard.
Assis dans leur canapé, ils me regardaient d’un air triste et désolé. Je m’installai à leur côté. Kawasaki sauta sur mes genoux, avant de ronronner fortement.
Celui-ci haussa les épaules. En silence, je m’étonnai.
« Pourquoi m’avait-il fait une promotion ? Je ne le connaissais même pas. Je doute que ce soit une erreur. Il paraissait sûr de lui et conscient de ses actes. »
Mon grand-père me proposa à boire. J’acceptai volontiers un verre d’eau, afin de me rafraîchir. Je le remerciai d’un léger haussement de tête avant de le boire cul sec.
Dans leurs yeux marron, je discernais une grande pitié. Je commençais à en avoir marre. Toutes les personnes qui connaissaient mon histoire avaient pitié de moi.
Ma grand-mère me fit promettre de rentrer avant la nuit. Avant de sortir, je leur lançai d’un ton faussement joyeux.
Tendrement, ils me souriaient. Kawasaki me regardait d’un air maussade, comme si je l’abandonnais. Je lui lançai un clin d’œil de réconfort. Nous avions tous les deux une grande complicité. Il était désormais le seul lien réel qui me restait avec mon défunt petit ami, Arnaud.
Les planches en bois craquaient à chacun de mes pas. Je laissais le vent frais et pur du large de la Normandie me caresser le visage et mettre mes cheveux en bataille. Je passai devant le court de tennis et devant le parcours du mini-golf, avant de bifurquer dans la direction du centre-ville. Je passai devant un marchand de glace, le regard vide, anéanti, abattu. Je ne faisais pas vraiment attention où mes pieds allaient, ni ce qui avait aux alentours.
J’errais comme un zombie.
Je traversai la route pour m’asseoir sur un banc, non loin du marché de poissons et de crustacés. Mes yeux vagabondaient. Je dévisageais les passants sur le trottoir d’en face. Des vacanciers se promenant un sourire aux lèvres, regardant les menus et les tarifs des restaurants, les vitrines des magasins de souvenirs. Tout ce bonheur était pitoyable et me rendait encore plus amer. Une voix féminine dans mon dos rompit le charme de la contemplation.
Je pivotai pour tomber nez à nez sur ma vieille amie de vacances. Une blonde platine, grande, très mince avec de belles lèvres pulpeuses et sensuelles. Je n’avais aucune envie de la voir, non pas elle. C’était une pipelette, fêtarde et une maniaque de son apparence physique. Une fille qui ne sortait jamais sans être maquillée, sans être coiffée, sans être manucurée et sans être bien habillée. Deux garçons se pavanaient à ses côtés, comme des coqs, pour une seule poule.
Cette petite réplique était bien son genre, te faire un compliment en te rabaissant ou en te montrant un défaut sans te le montrer réellement. Je me forçais à sourire, pour éviter de lui sortir quelque chose de désagréable et la vexer. Elle enchaîna.
J’acquiesçai, contre mon gré.
J’opinai du couvre-chef. Valérie insista, pour que je vienne me promener avec eux. J’hésitais mais Alain intervint.
M’empoignant le bras, elle m’obligea à me mettre sur pied pour m’attirer au milieu de la foule. Je résistais mais les deux garçons me poussèrent.
Ils ne me laissaient pas le choix.
Nous marchions tous ensemble au milieu des vacanciers euphoriques, d’être au bord de la mer. Valérie comme tout le temps parlait pour ne rien dire. Elle causait du temps, de tous les copains qu’elle avait eus depuis son année scolaire. Maintenant, elle était plus ou moins avec Thomas. Une amitié améliorée, en quelques sortes, un sex friend. Thomas enlaça ses doigts dans ceux de Valérie et me laissa seule avec Alain. Ils se tenaient maintenant par la taille comme de vrais amoureux.
Un leurre.
Elle ne pouvait vivre sans un garçon, en changeait quasiment toutes les semaines et même parfois, elle en avait plusieurs en même temps. Elle les considérait comme des moins que rien, des objets que l’on exposait sur un meuble. Une fois le tour fait, elle les jetait. Ce que j’avais dû mal à comprendre, c’était la fascination qu’ils avaient pour elle, alors qu’elle les traitait comme des chiens ; même pires. Avant, ses histoires me faisaient rire mais maintenant, je la trouvais abjecte. Elle en avait fait souffert plus d’un. La plupart pouvaient embrasser le sol où ses pieds avaient foulé. Ils étaient tous en adoration devant elle. Je ne me l’expliquais pas.
Alain commença à me poser des tas de questions. J’y répondais de plus en plus ennuyée. Et à chaque réponse, étrangement, il avait les mêmes goûts que les miens. Il afficha un sourire arrogant, sans cesser de me toiser.
Il poursuivit ainsi encore un petit moment. Toutes ses questions m’exaspéraient au plus haut point. Je me retenais de rire, mes lèvres s’étirèrent dans un demi-sourire. Car, je voyais clair dans son jeu.
Nous voilà, à la conclusion de toutes ces questions à la con.
Il hocha la tête en signe de complaisance, alors qu’il était tout autre et plutôt hostile à ma réponse. Il souriait bêtement afin de cacher sa déception. Je n’étais pas dupe, je venais de le blesser. Sur le port, Thomas se précipita en premier et s’assit sur le banc, dos à la mer et aux bateaux. Valérie sauta sur ses genoux, en faisant danser ses beaux cheveux blond platine, aux grès du vent. Ils m’avaient laissé juste une toute petite place au côté d’Alain. Le don Juan. Elle s’apprêtait à faire son passe-temps favori. Critiquer à tout va.
Les garçons rirent à plein poumon. Malgré moi, je suivis le mouvement pour ne pas paraître insensible à ses blagues, à ses critiques puériles.
D’un bond, je me levai sous les yeux écarquillés des trois compères.
Elle se leva pour m’embrasser. Je me dégageai de son accolade et partis en les saluant. Avant de rentrer, je ressentais encore le besoin d’être seule. Je passais par le centre-ville.
Je fus réveillée à 5 h du matin, afin de prendre le service avec mon grand-père. La nuit avait été plutôt agitée. L’accident m’était apparu en boucle comme pour me torturer davantage. Les yeux embrumés, les mains tremblantes, le cœur battant la chamade, je serrais mon chat, contre moi. Il frotta sa tête contre la mienne, tout en ronronnant. Le visage d’Arnaud tel un ange, avec ses pommettes rosées par les rayons du soleil me revint en mémoire. Je l’imaginais, volant dans le firmament, en compagnie d’autre comme lui, les cheveux aux vents. On frappa à ma porte. Et je revins à la réalité.
La porte s’ouvrit sur la tête de mon grand-père.
J’acquiesçai.
Il referma la porte derrière lui. Je me laissais bercer par le grincement des marches, avant de poser Kawasaki sur le lit, afin de m’habiller. J’optais pour un simple tee-shirt et une salopette de couleur sombre. À toute vitesse, je dévalai les escaliers. Mon grand-père m’attendait déjà, le pied ferme. Il me lança un ciret jaune canari et une barre de céréale, que j’attrapai à la volée. Pendant qu’il fermait les portes à clé, je me glissai dans mon horrible ciret. Côte à côte, nous marchions en silence sur les planches en bois qui bordaient la plage de Trouville. Profondément, je respirais l’air pur, sentais le vent frais du large sur ma peau endormie, pendant que je dégustais ma barre de céréale au chocolat. Malgré son âge, le vieux loup de mer marchait à vive allure. Je devais presque courir pour rester à son niveau. Le soleil, ce paresseux, ne s’était pas encore levé, si bien que la plage et les rues étaient désertes. Nous passâmes devant le mini-golf, le court de tennis, la piscine, puis nous longeâmes la mer, sur le quai. Le parking aussi se trouvait vide. Plus on se rapprochait du port, plus il y avait de l’agitation. Les pêcheurs n’allaient pas tarder à embarquer sur leur navire. Celui de mon grand-père se trouvait juste devant le marché de poissons, et de crustacés. Les pêcheurs s’agitaient, chargeaient des caisses vides, des filets et d’autres matériels. J’avais toujours aimé partir à la pêche avec mon grand-père, sentir l’odeur du poisson frais et l’ambiance si euphorique qui y régnait. Ils étaient tous de joyeux fêtard. Le bateau n’était pas très grand, juste assez pour accueillir son équipage, cinq personnes plus lui.
Robert le plus âgé, était comme un second grand-père. Il m’avait connu en couche-culotte. Dès qu’il me vit, il descendit en trombe du paquebot, les bras tendus.
Il me regarda des pieds à la tête avant de me prendre dans ses bras.
Je haussai négligemment les épaules.
Robert et sa femme n’avaient jamais eu d’enfant. Elle était stérile et l’adoption n’avait jamais abouti. Et pourtant, ils auraient fait de merveilleux parents. Alain cavala vers moi. Il me fit la bise avec insistance. Son comportement m’insupportait. Tous trois grimpions à bord. Mon grand-père se mit à la barre, manœuvra le bateau pour sortir du port. J’admirais la vaste étendue d’eau qui s’étalait à l’infini. Au milieu de la mer, on n’apercevait même pas un petit bout de terre. Je me sentais légère, et fluide comme un poisson dans l’eau. J’adorais sentir le doux vent du large frais me fouetter le visage, faire danser mes cheveux teintés de noir, comme la nuit. Il avait l’odeur des vacances. Il me donnait la sensation d’être libre et que tout m’était possible. Mes oreilles appréciaient ce délicieux chant merveilleux des mouettes.
Je descendis les marches, obéissant à l’ordre du capitaine. Yan leva la tête, me sourit de sa frimousse de farceur.
Yan était le petit farceur de la bande, toujours à plaisanter sur tout et sur rien. Les farces, il les faisait à tout le monde que ça plaise ou non. Je me mis au travail. Les soles avec les soles, les maquereaux, les daurades… Les caisses s’empilaient les unes sur les autres. La place se dégageait autour de nous. Les douleurs se faisaient sentir partout. Les premières journées étaient toujours rudes. Le temps que je reprenne mes marques et le rythme du travail.
La corne de chasse retentit, signe que la journée était finie, qu’il était tant de rentrer au port. Avec son engin de malheur, il adorait nous faire sursauter. Notre mission ne s’arrêtait pas là. Nous devions encore décharger les caisses de marchandises fraîches, nettoyer le bateau, le matériel et arranger les poissons et crustacés sur l’étalage de ma grand-mère, les classer dans la chambre froide, pour les futures livraisons. En me rapprochant de la terre ferme, je distinguais enfin le port de Trouville et toute son agitation. Le bateau finit sa course à sa place habituelle. Alain sauta au sol et amarra le paquebot. Les plus costauds prirent trois à quatre caissons, mais pour ma part, je n’en pris que deux. Suffisamment assez lourd. Nous les empilions dans la chambre froide. Des étiquettes nous permettaient de les classer par catégorie et par ordre alphabétique. Pour se repérer plus facilement. Mon grand-père à l’intérieur supervisait le tout, qu’aucun de ses employés ne se trompe. Je transpirais et j’étais épuisée. Le rythme des pécheurs était véritablement très dur. Mon grand-père me congédia. Je soufflai, heureuse, d’avoir fini la journée.
Épuisée et les jambes sciées, je pénétrai dans la cuisine. Ma grand-mère, aux fourneaux, nous préparait le dîner. Kawasaki me sauta sur l’épaule. Je baisai la joue blanche et flétrie par les années de ma grand-mère.
J’ignorai sa répartie.
Dans le salon, je me laissais choir comme un poids mort sur le canapé. Je m’assoupis éreintée. Comme à chaque fois que je fermai les yeux, mon cauchemar surgissait. Le tourbillon noir emporta mon dernier espoir. Je tournais et virevoltais au milieu de têtes de chat, par milliers, un peu flou, un peu loufoque. Des yeux ocrent, olivâtres, leurs belles canines blanches aiguisées. Ils miaulèrent. Mon cœur battait à cent à l’heure. Je l’entendais avec horreur, rythmé en concordance avec les miaulements. Un concert, une cacophonie. J’atterris dans la petite Clio blanche. Les images défilèrent à une vitesse grand V. Le camion, la voiture, les phares, la pluie, les essuie-glace, les klaxonnent, les tonneaux, le sang partout, l’hôpital, les visages de ma famille et des voix lointaines.
Tout se superposa, la lumière blanche éclatante, les chats, l’accident et l’hôpital.
Des mains fraîchement humides me secouèrent et la réalité me prit de plein fouet. Mes cils cillèrent pour s’accoutumer peu à peu à la douce lumière du salon. Mon grand-père était penché sur moi, une mine soucieuse.
Une odeur alléchante flânait dans toute la maison. Elle me cria, réjouie.
Mon assiette débordait littéralement. Je ne pourrais jamais tout finir, c’en était trop. Après le repas, j’aidais à débarrasser, à faire la vaisselle, pendant que mon grand-père sur le canapé lisait son journal. Dans ma chambre, je me glissai dans le pyjama puis sous la couette. Je sombrais en peu de temps. Le visage d’Arnaud flottait dans les airs, et moi, je tourbillonnais dans ce gouffre sinistre, sans fin. Des chats, des milliers de chats miaulaient. Cette lumière blanche, tellement éclatante, pure, attirante me fascinait. Soudain, à ma plus grande surprise, je distinguais par-dessus le brouillard blanc et épais, ce visage étrangement blême, ces magnifiques yeux couleur émeraude, légèrement bridés. Le jeune homme sublime, étrange de la gare !
Pourquoi rêvais-je de lui ?
À cause de son charme étrange, fascinant et de cet air arrogant et froid qui avait fait battre mon cœur si vite. Je me réveillai en sursaut. Frissonnante. Le cerveau en chaos, je jetai la couette au sol et bondis hors du lit. Kawasaki sur l’oreiller ne broncha pas. Il dormait profondément en ronronnant. Vêtue de noir, je descendis les marches sans faire de bruit. La maison était plongée dans la pénombre. Le marin dormait encore. Les ronflements qui provenaient de la chambre à coucher en étaient la preuve.
Quelle heure pouvait-il être ?
La pendule de la cuisine indiquait 2 h.
Tout en bâillant, je me dirigeai à l’extérieur pour prendre l’air. Assise en tailleur sur les marches, j’admirais la mer et le vaste univers. Il y avait des milliers d’étoiles dans le ciel.
Même la lune était présente. La brise du matin était fraîche et revigorante. Le chant des mouettes au loin, le bruit des vagues se fracassant sur les rochers et sur le sable me faisant l’effet d’une berceuse. Je somnolais. Mes paupières lourdes ne parvenaient pas à résister à la douce musique. Dans ce champ de coquelicot, des miaulements, des ronronnements, et des grognements raisonnèrent. La brume m’entourait et me fit prisonnière. Ils se rapprochèrent de plus en plus, des milliers de chats, noirs ; noirs et blancs ; blancs, se trouvaient autour de moi. Comme si la mort se mélangeait à la vie. Tous disparu un à un. Quelqu’un me secouait comme un prunier. Le bruit devint silence. Je cillais plusieurs fois des cils. Le visage de mon grand-père se superposa face à la lune. Mon corps était avachi sur le porche de la maison, grelottante. Je me redressai.
Je hochai les épaules. Le vieux marchait encore plus vite que la veille. Je devais presque courir pour rester à son niveau. Sur le port, toutes les lumières vacillaient, les pêcheurs joyeux s’affairaient déjà, à tout charger. Je grimpai à bord du paquebot, encore ensommeillée et courbaturée par la veille. Robert m’enlaça avant de m’embrasser tendrement. Yan me tapa dans le dos.
Le bateau quitta le port pour se diriger en pleine mer. Les vagues et le vent étaient si violents qu’ils faisaient tanguer le navire. Ma chevelure ébène se prenait au vent et me fouettait le visage. J’essayai de les replacer. Vigoureusement. En mer, les gars envoyèrent les filets au fond. Ils chantaient, et toujours la même chanson. Depuis des années. « Allons à messine, pécher la sardine, allons à Lorient pécher le hareng. Qui voulait voyager mais ne savez comment. Le gars dit à sa belle, tu seras bâtiments… » Chanson de Pierre PERRET. J’étais encore au trie avec Alain et Jean Luc. L’ambiance n’avait rien avoir avec la veille. Elle était plus monotone. Alain me prenait les crustacés sous le nez avant même que je ne puisse les attraper. Son comportement m’agaçait sérieusement. Ma poche vibra avant que le mobile sonne. J’ôtai mes gants pour décrocher.
Je raccrochai, exaspérée par son appel. Et me remis au travail. J’attrapai un crabe et le jetai dans la caisse. J’avais quasiment vécu sur ce bateau. Mes courbatures se faisaient savoir et de nouvelles apparurent. Mon dos, mes pieds et mes jambes souffraient.
Une pause s’imposait. Allongée sur le ponton, j’admirai le magnifique ciel bleu azur. La chaleur du soleil me réchauffait le visage. Je me protégeais en fermant les paupières. Des gouttes d’eau salée tombaient sur mes joues. En grimaçant, je rouvris les paupières. Yan, un sourire radieux jusqu’aux lèvres, était penché sur moi.
Il tourna les talons. Mes paupières se fermèrent à nouveau. Mon téléphone retentit. Je décrochai en soupirant. Une fille s’extasiait de l’autre côté.
L’envie était plutôt loin. Mais j’avais besoin de me changer d’idée. Le téléphone dans la poche de ma salopette, je m’accoudai à la balustrade. Soudain, un magnifique et immense yacht éclatant, tout en armature bois, flottait et se ballottait sensuellement au gré des vagues. Il était monté sur deux étages. Le ponton était équipé de chaises longues colorées, d’une grande table et de ses chaises. À l’avant, sur le prout, une statue immense représentait un homme tenant dans une main la foudre et dans l’autre une fourche à trois dents. Deux belles jeunes femmes, à la peau blanche comme la neige, sublime, minces étaient allongées sur les chaises longues, se faisant dorer au soleil. L’une avait les cheveux longs, blonds comme de l’or, de magnifiques yeux bleus transparents, en amande, l’autre de splendides cheveux ébène, bouclés jusqu’aux épaules. Ses yeux bridés étaient d’un noir si profond. Le yacht se rapprochait pour se retrouver qu’à quelques millimètres de nous. Je pouvais presque le toucher. Un rêve. Je dévisageais ces personnes étranges, aux physiques fascinants.
L’homme qui se trouvait à la barre avait un charisme surréaliste, d’une trentaine d’années, des cheveux comme la noirceur de la nuit. La statuette le symbolisait. J’étais sous le charme, hypnotisée par ce spectacle. Les vagues étaient violentes. Le chalutier tanguait de plus en plus. Les deux gros molosses se rapprochaient inexorablement, quand une vague plus violente encore nous propulsa contre le yacht. Tous braillèrent.
Trop tard. Je venais d’être propulsé par-dessus bord. L’eau glaça mon sang, jusqu’à la moelle. Mon corps devenait plus qu’un vulgaire bloc de glace. Le brouhaha était inaudible, dans un bruit mat. Je cédai d’épuisement, pour m’enfoncer dans les profondeurs sous-marines, tirer par quelque chose. Invisible. J’étais lasse de me battre, de me débattre. L’absence de bruit de ce lieu magique m’apaisait. La beauté d’ici, de ces différents spécimens marins qui nageaient et flottaient comme si je n’étais personne. Les algues, et les différentes plantes effleuraient ma peau dénudée. L’oxygène n’était déjà plus qu’un souvenir. Mon passé défilait devant mes yeux, comme un vieux film. À l’âge de la maternelle, avec mes deux frères, à la piscine d’Auxerre. Toutes les fêtes passées en famille. Niglolande dans les manèges, dans les montgolfières, le carnaval d’Auxerre (moi en petit chaperon rouge, Kenny en démon et Charly en Zorro)… Moi au kickboxing avec Charly. Nos virées en boîte, au bouwling ou au cinéma avec Arnaud mon petit ami. Notre premier baiser. Les insultes et les crasses de Kenny. « Tu n’es qu’une bâtarde. C’est de ta faute si mes parents se sont séparés. Tu n’es qu’une erreur de la nature. » Le restaurant avec Arnaud, nos promesses d’amour éternelles et infinies. « Ma vie n’est rien sans toi. Je t’aimerais au-delà des limites de la vie. » Mon chat. L’accident de voiture. Mon réveil à l’hôpital. Le départ pour la Normandie. La rencontre avec cet être fascinant. Les traits de son visage me hantèrent pour mon dernier souffle…
Soudain, une lumière blanche éblouissante m’aveuglait.
Mon dernier jour était arrivé.
Mon châtiment pour l’acte que j’avais commis. J’avais ôté la vie à un être extraordinaire. Et j’allais mourir dans les profondeurs de la mer. Les paupières closes, je laissais cette lumière me transporter. Ma peau frémissait. Mon cœur ralentissait. Et pourtant, j’avais l’impression qu’il cognait davantage. Je sentis, une brûlure intense, plus réconfortante que douloureuse.
Mon être, vaseux, n’était plus que l’ombre de moi-même. Je cillai délicatement. Chaque geste me coûtait. J’avais froid partout alors que mes bras étaient en feu, sans pouvoir s’éteindre.
Sensation bizarre. Que j’étais en sécurité. La paix s’insinua au plus profond de mon être. Depuis des mois, je n’avais pas ressenti une telle sensation, un tel bonheur, une telle paix dans mon cœur. Quand je revins enfin à moi, toutes les mines des pêcheurs étaient renfrognées. Les traits de mon grand-père étaient pétrifiés de terreur. Par-dessus, son épaule, je le vis. Cet homme fascinant, torse nu, comme sculpté dans l’argile. Une expression figée sur le visage. Il était mon sauveur, trempé de la tête aux pieds. Mon grand-père s’accroupit, raide comme un bâton, et demanda d’une voix éraillée.
Je l’écoutais, le regard fixé sur cet inconnu qui se trouvait sur le chalutier. Il détonnait au milieu de ces pécheurs bougons. Je me perdais dans ses belles prunelles d’émeraudes, limpides comme de l’eau de roche, qui pétillaient délicatement. Il était exactement comme dans mes souvenirs, aussi charismatique, fier, impassible et captivant. Aucun mot ne sortait de ma bouche. Il me faisait un tel effet. Trop. C’était mal, très mal. Je ne pouvais pas, ne voulais plus ressentir des sentiments pour quelqu’un, autre qu’Arnaud. Plus jamais. Mes bras s’échauffaient toujours. Je convulsais de froid. Mon grand-père ordonna.
On m’aida à m’asseoir. Mon regard restait noyé dans les émeraudes du jeune inconnu, émues par sa beauté impassible. Il me fixait lui aussi d’une grande intensité telle une bête curieuse. Alain m’enroula dans la couverture, et me frottait énergiquement. Tout à coup, une voix avenante nous parvint.
Son prénom était aussi surprenant que lui. Il ne réagissait pas. Cette voix se fit plus menaçante et plus pressante.
Il faisait comme s’il n’entendait rien. Il restait planté là, à me scruter encore et encore, perdu dans ses pensées. Comme de marbre, interdit.
Le dénommé Héraclès, cet inconnu ensorcelant tourna légèrement la tête vers ses amis, sa famille. Sans mot, il se remit à me toiser, comme dans le train. Sur chaque trait de mon visage avant de passer sur mon corps enroulé dans la serviette. Mon grand-père, Henry lui saisit le bras brusquement. Mais le jeune homme ne s’en préoccupait pas. Il demeurait ainsi, simplement, à me regarder attentivement.
Il se retourna vers ce dernier et hocha légèrement la tête. Il passa une main dans ses cheveux presque secs, d’un roux flamboyant avant de bondir prestement sur son yacht. Il enlaça la belle blonde avant de l’embrasser avec une telle véracité, et une fougue démentielle. Mon cœur se compressa dans la poitrine.
Pourquoi me faisait-il un tel effet ?
Sans se retourner, il entra dans la cabine. Le yacht s’éloigna.
Alain me frictionnait toujours. Henry me serra dans ses bras et me baisa la joue affectueusement.
Il se retourna vers ses employés et ordonna.
Assise sur une caisse, je grelottais encore. Alain me serra dans ses bras. Je ne le repoussais pas. Je n’avais aucune envie de l’offenser.
Alain lâcha son emprise, réjoui par la remarque de mon vieil ami. Ce jour-là, je le vis sous son vrai jour.
Congédiée par le patron et obligée d’être accompagnée par Alain, je traînais les pieds. Il en profitait pour me tenir par la taille.
Soudain, je les vis. Les personnes du yacht. Au nombre de huit. Le dénommé Héraclès tenait la taille de la belle et pulpeuse blonde. Tous avaient la peau d’un blanc éclatant et crémeux. Sublimes et impressionnants. Surtout cette petite fille de 10 ans à peine, aux cheveux longs et fins roux parsemés de reflets blonds, de parfaits yeux vert émeraude, légèrement bridés. Elle ressemblait trait pour trait à cet Héraclès. Ce dernier ne se retourna pas, comme si je n’existais pas. Alors que je n’avais d’yeux que pour lui. Alain me fit presser le pas et je le perdis de vue.
Il était étrange, tout autant que son physique.
Était-il un dieu ? Qui pouvait savoir ?
Je me retrouvais face à ma grand-mère.
Kawasaki me sauta sur l’épaule et se mit à ronronner. C’était sa façon à lui de me saluer. Je fermai la porte de la salle de bain derrière nous. Il bondit sur le meuble, face au lavabo. Nue, j’observai dans le miroir, mon immonde cicatrice sur l’abdomen. La seconde m’était invisible, à la base de ma nuque. Elles étaient le résultat de ce monstrueux accident. Avec épouvante, je découvris de nouvelles marques, comme des empreintes de mains. Tout autour de mes poignets. Là, où la chaleur s’était répandue comme une traînée de poudre. Elles étaient encore brûlantes. Étrange, elles commençaient à s’estomper avant de disparaître complètement. Ne laissant juste l’effet d’un mirage. Je me glissai sous l’eau tiède, délicieuse. L’eau me faisait grimacer, picotait ma peau endolorie. Les paupières closes, je repensais à ce dernier évènement, à cette lumière que j’avais entraperçue et ressentie comme un bienfait.
Était-ce la Mort qui m’avait appelé et qui m’avait rejeté ?
J’avais comme qui dirait échappé par deux fois à la Mort.
De nombreuses questions fusaient dans ma tête. Pour soulager ma conscience, je libérai le flot de paroles à mon meilleur confident. Kawasaki.
Il me répondit avec un ses miaulements expressifs.
Alors que ma peau commençait à se flétrir comme une vieille pomme ratatinée, je sortis de la douche. Le pyjama enfilé, et les cheveux démêlés, j’embrassai mon chat. Pour le remercier de son oreille attentive. Il frotta sa tête contre la mienne, en ronronnant.
J’atterris sur mon grand-père qui me serra dans ses bras.
Ce soir, l’appétit me manquait alors j’allai directement dans ma chambre. Affalée de tout mon long sur le lit, Kawasaki se coucha sur mon ventre. Il ronronnait. Mes paupières étaient si lourdes que je ne pus résister à la fatigue. Ce gouffre sombre m’attendait toujours au tournant. La petite Clio blanche d’Arnaud roulait. Je vis débouler la voiture d’en face sur nous. Le choc me propulsa dans les profondeurs sous-marines, au milieu de milliers de miaulements. Plus fort et plus strident. Mon cœur fusait. Tournant la tête, Arnaud se tenait inerte, l’air endormi. Soudain derrière lui, cette lumière m’appelait.
Je refusai son appel. Telle une girouette. Elle disparut quand deux puissantes mains m’agrippèrent. Assise sur mon lit, je haletai terriblement. La respiration était douloureuse. Les deux accidents s’étaient fusionnés pour ne faire qu’un immense désordre. Mon réveil indiquait 10 h. Mes grands-parents avaient jugé bon de me laisser dormir pour me remettre des émotions de la veille. Ils avaient laissé un bout de papier sur la table de la cuisine, écrit de la main de ma grand-mère.
« Didie, nous sommes partis à la pêche. Nous avons préféré te laisser dormir, vu l’incident de la veille. Le nouveau bureau de ton grand-père aurait bien besoin un bon coup de peinture. Tout est prêt. (Peinture, escabeau, pinceau…) À tout à l’heure. Bisous. Mamy. Papy. »
Je mis la musique à fond, instrumentale et bruyante. Malgré le vacarme, des bruits de pas claquaient, juste à mes talons. Je fis volte-face. Mais rien.
Silence. Je mis ce phénomène sur le coup de la fatigue. Je me rendis donc dans ledit bureau afin de lui donner un coup de peinture. Je découvris deux pots de peinture blanche, son lot de pinceau et un escabeau au beau milieu de la pièce. Les meubles et le sol étaient recouverts d’une bâche transparente. J’inspirai profondément avant de me lancer. « Bien au boulot ». J’ouvris un des pots pour y baigner le pinceau dans un liquide blanchâtre. Je grimpai sur l’escabeau avant de commencer par les extrémités du premier mur, à droite de la porte. Un second bruit, une porte claqua, pris dans un courant d’air. Je sautai de l’escabeau, et dévalai l’escalier à vive allure. Rien. Mon cœur allait exploser, si bien que j’entendisse même son battement irrégulier. Étrange.
Essoufflée, je me remis au travail ignorant tout bruit suspect. Mes vulgaires cheveux me chatouillaient le nez. Je les ramenais dans un chignon. J’installai le pot sur le haut de l’escabeau, ainsi éviter les vas et viens inutiles. Kawasaki dans la pièce ronronnait et se dandinait comme un pacha. Mon bras souffrait, à force de produire le même geste. Un mur était réalisé. L’escabeau déplacé, je m’attaquai au second mur, face à la porte. En haut, en bas. Et le chat qui se frottait de plus en plus sur l’escabeau. Avant que je ne comprenne ce qui se passait, l’escabeau tanguait, pivota avant de se braquer. Le pot de peinture s’éclata à terre dans un bruit sourd, éclaboussant les murs, les meubles et mes pieds. Je perdis l’équilibre. Des bras musclés et puissants me réceptionnèrent avant que je ne touche le sol. Éberluée, j’ouvris les yeux. Il était là, son visage penché sur le mien.
Quelle drôle de coïncidence ?
Lui, ici, dans la demeure de mes grands-parents. Il m’était impossible de me dégager de ses merveilleuses prunelles émeraudes. La gorge nouée par l’émotion, il m’était impossible de sortir un son. Comme paralysée, ébahie par sa beauté surhumaine. La pièce était plongée dans un silence apaisant. Nos respirations parfaitement en harmonie n’en formaient plus qu’une. Kawasaki n’avait pas demandé son reste. Il s’était volatilisé dans le couloir, comme traqué. Il me déposa sur le parquet, la main scellée à la sienne. Elle était si chaude, si douce et si réconfortante. Mon cœur ne s’était pas senti en paix depuis la nuit de l’accident d’Arnaud. Une paix mystérieuse envers le monde qui l’entourait. Je rougis quand il retira sa main abruptement. Sans piper mot, il se dirigeait vers la sortie.
Je ne cessais de bafouiller.
Réussissant à me dégager de ses émeraudes, j’examinais le chantier que j’avais causé. Une vraie pagaille. Le pot avait carrément éclaté en deux.
L’étincelle dans ses émeraudes avait une telle intensité de chaleur que je flanchai. Il était fascinant.
De peur qu’il change d’avis, j’accourus chercher tout ce qu’il fallait. Un seau d’eau et deux éponges. Mon cœur s’angoissant à l’idée de m’apercevoir qu’il s’était volatilisé. Une joie folle, un soulagement tangible, quand je pénétrai dans le bureau. Il se tenait droit comme un piquet au milieu de la pièce. Les deux morceaux du pot de peinture ramassé, et mis en tas vers la porte. J’eus Ano courte hésitation avant de lui tendre une éponge. Il s’en saisit à une vitesse dingue. Mon cerveau n’eut même pas le temps de réagir. Il la trempa dans le seau d’eau, s’accroupit mais d’une façon merveilleuse, aérien. Il avait l’air d’un Dieu. Il frottait le sol sous mon regard admiratif. Même en train de travailler, les mains dans la peinture, son charme n’en était que plus irrésistible. Il leva la tête.
Sans piper mot, je trempai l’éponge dans le seau d’eau et frottai le sol, à mon tour. Je devais repasser plusieurs fois au même endroit afin d’effacer toutes traces de peintures. Alors que lui, cela semblait si facile. Mon portable vibra au fond de ma poche. Un numéro inconnu.
Frustrée, je le fourrageai dans ma poche. Héraclès toujours en train de nettoyer mon désastre leva les yeux sur moi.
Je haussai les épaules, négligemment.
Il lâcha un rire roque et froid.
Sa remarque me fit l’effet d’un poignard en plein cœur. Et mon sang se figea dans mes veines. Je demeurais immobile. Pourquoi était-il si cruel envers moi et si glacial ? Je ne lui avais rien fait. À nouveau mon téléphone vibra. Mon père.