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Dans sa ligne directrice, "Structure de l’espace public européen" met en évidence une typologie argumentative des discours visant à organiser l’espace public cosmopolitique européen.
Jean-Christophe Busnel propose dans ce livre un modèle pour la création d’une intercompréhension commune dans un contexte mondialisé. En utilisant une approche basée sur la philosophie de la communication, il examine les principes régulateurs de la vérité. Il y associe la philosophie de la connaissance et la philosophie politique européenne pour mettre en lumière la structuration de l’espace public selon les modes argumentatifs des discours. Elle ouvre la possibilité d’une déclinaison en théorie littéraire et économique pour le renforcement de la démocratie.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Au gré des rencontres avec d’autres cultures,
Jean-Christophe Busnel a été marqué par la diversité des discours échangés en regard de ceux diffusés dans l’espace public français. Son intérêt s’est porté sur la notion de démocratie à l’heure de la mondialisation dès lors que les langues forment frontières dans la compréhension des énoncés produits dans des milieux culturels et linguistiques différenciés. Il a notamment examiné les effets de la mondialisation et le rôle qu’y prend le projet européen.
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Jean-Christophe Busnel
Structure de l’espace
public européen
Jean-Marc Ferry :
des grammaires de l’intelligence
à la question de l’État européen
Essai
© Lys Bleu Éditions – Jean-Christophe Busnel
ISBN : 979-10-422-1920-8
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
En conclusion de son ouvrage La question de l’État européen, J.-M. Ferry envisage qu’un espace public constitue à lui seul l’État cosmopolitique1. Les modalités d’organisation de cet espace multi-lingue et multiculturel ne sont cependant pas abordées au-delà de la tentative d’élaboration des lignes directrices d’une charte audiovisuelle européenne adaptée à l’espace médiatique, européen, différencié des espaces publics historiquement constitués nationalement2. Pourtant, comment un tel espace, nourri de la pluralité linguistique de ses membres, pourrait-il être unique ? Faut-il tenir que ses structures soient elles-mêmes alinguistiques ? Mais alors quel rapport la langue entretiendrait-elle avec la réalité et la vérité ? C’est l’objet de deux ouvrages du même auteur que d’engager une réflexion sur la genèse du langage : Les grammaires de l’intelligence et Les puissances de l’expérience. En s’appuyant sur la réflexion de fond qui mène de la réalité vécue à la vérité linguistique, il est possible de lier la métaphysique et la philosophie politique, la théorie de l’intelligence sensible et celle du cosmopolitisme, Les puissances de l’expérience, Les grammaires de l’intelligence et La question de l’État européen. Ce travail suggère une réponse au besoin qui était exprimé d’un espace public cosmopolitique.
La reconstruction succède à la déconstruction derridienne comme une comparaison des deux théories, menée par le recours à la Grammatologie, le démontre sans peine. Pourtant, là où la grammatologie après avoir posé la perte de la référence s’arrêtait au moment de la naissance de la trace, la théorie des registres de discours ferrienne poursuit le cheminement de la construction du sens dans le langage articulé et les modes argumentatifs. Le lien se trouve dans la genèse même du langage dont la vie n’est pas absente du processus de formalisation du sens au travers de l’émotion. Celle-ci, en tant que concept, forme le lien entre le corps et la trace, justifie la genèse du sens et permet déjà d’esquisser les rapports entre le corps, le monde et l’esprit, où, par anticipation, trouvent à se placer cinq focales, préludes aux registres de discours (Partie A).
Le vitalisme de Bergson apporte la confirmation de l’unicité de l’émotion fondamentale, l’humiliation, et justifie le principe gnoséologique établi dans la partie précédente. Il fournit aussi la démonstration des motifs de l’intuition commune selon laquelle le monde est mon langage3. Le langage articulé délimite bien un monde, mais le langage étant en perpétuelle évolution du fait de la théorie de l’intelligence sensible, ses frontières elles-mêmes évoluent. Pour cela, la communication doit s’établir. Elle a recours à une expérience externe au langage. Sa définition implique trois principes : de pertinence, de reconnaissance et de responsabilité. L’analyse détaillée des deux définitions divergentes du principe de reconnaissance dans Les Puissances nous démontre la validité du concept d’humiliation élaboré plus tôt : la communication implique d’abandonner la valeur dogmatique, prescriptive et contraignante du discours et d’en revenir volontairement aux grammaires fondamentales qui se développent en amont du langage articulé. La communication implique donc que nous nous placions dans le lieu de l’humiliation. La communication, comme le tient le philosophe cosmopolitique qui nous inspire, est donc possible sans la présence concomitante des personnes qui y participent. Nous justifions ensuite cette conclusion en nous intéressant aux remarques sartriennes et merleau-pontiennes sur la fascination et l’enchantement de la lecture. Elles se rapportent à la notion de communication. La communication langagière, à l’aune de ces conclusions partielles, établies depuis le vitalisme bergsonien, la grammatologie derridienne et les intuitions sartriennes et merleau-pontiennes nous apparaît faire le jeu de l’incarnation : verbaliser, c’est s’incarner. Les témoignages d’éminents scientifiques viennent en renfort nourrir l’hypothèse d’un mode de production universel du langage articulé que n’infirme pas non plus l’incapacité, depuis la philosophie de Sartre et de Merleau-Ponty, à discriminer en soi le texte scientifique du discours poétique. Par l’analyse d’un énoncé politique oral, nous démontrons la valeur d’incarnation du langage et le rôle de la communication dans la compréhension : comprendre est une menace ou une promesse à dépasser (Partie B).
La démonstration que la communication s’établit dans les grammaires profondes ayant été produite, nous présenterons la théorie ferrienne des quatre registres du discours. La justification de la théorie de l’intelligence sensible et le rôle éminent qu’y tient le concept de l’humiliation font apparaître la lacune d’un cinquième registre. Le passage d’un registre à un autre tient dans la nécessité de ses membres de rendre cohérents des discours de registre inférieur entre eux. L’augmentation de la taille du corps social considéré est le motif premier de cette nécessité adaptative : la communication n’est maintenue que si ses membres mettent en œuvre les moyens de créer une cohérence discursive réglée par des modes argumentatifs du registre supérieur. Ainsi est réaffirmé le rôle de l’incarnation dans l’exercice de la communication en ce que les registres du discours sont adaptés chacun à une taille singulière du groupe social. L’explication de la succession continue des modes argumentatifs se trouve dans l’aboutissement consensuel du traitement de la contestation. C’est ici la raison pour laquelle le mode reconstructif est concomitant avec le cosmopolitisme qui requérait un mode argumentatif de niveau supérieur au mode critique. Aux échelles sociales individuelle, communautaire, nationale, universelle et cosmopolitique correspondent donc les registres du discours narratif, interprétatif, critique, dogmatique et reconstructif.
Ces conclusions nous ouvrent la voie à la structuration de l’espace public par l’adresse qui tente le lecteur de la théorie ferrienne, l’adresse au « nous ». Déictique, comme le « tu » et le « je », le « nous » dépend du corps social qui l’évoque, auquel il s’adresse. Le « nous » répond à tous les registres du discours puisqu’il forme chaque fois les membres d’un corps social singulier. La confusion provoquée par l’étude d’une seconde phrase politique servira à mettre en évidence la pertinence de la théorie des registres du discours pour structurer l’espace cosmopolitique (Partie C).
La reconnaissance est une autre condition de possibilité de la communication. Axel Honneth l’oppose et la conçoit antérieurement au cogito. En démontrant que le cogito cartésien et la reconnaissance hégélienne ne sont que deux modes argumentatifs différents pour témoigner de la même expérience, nous justifierons dans le même temps la triade liberté, égalité, solidarité que partage la philosophie ferrienne avec la psychanalyse freudienne et la reconnaissance honnethienne, et démontrerons que ses éléments sont les régulateurs des registres du discours. Nous le ferons en appliquant une première fois l’analyse des discours selon les schémas classificatoires que nous aurons constitués dans les parties précédentes. Nous expliquerons également que l’amour de la philosophie ferrienne régule le premier registre de discours : narratif.
L’engagement étant la troisième condition de la possibilité de la communication, l’analyse du droit des contrats nous confirmera que la reconnaissance, malgré les apparences, où reconnaître signifierait seulement acter l’évidence de ce que l’on connaît déjà, ne peut s’en priver. La reconnaissance implique encore un engagement – et reconnaître, c’est admettre qu’autrui ait, comme soi, la capacité d’humilier et de s’humilier. L’engagement alors révèle qu’il n’est rien sans la confiance. Nous reprendrons ici les quatre degrés de la confiance définis par J.-M. Ferry qui suivent quatre des cinq modes argumentatifs que nous avons identifiés – et que complète la défiance au sujet du registre reconstructif. Nous aurons alors ici démontré que l’ordre social tient fondamentalement sur la confiance d’individus, selon le registre dogmatique, en la capacité du langage à structurer leur réalité partagée.
Le moment sera alors venu de lier les Grammaires et les Puissances à La Question. Nous justifierons, comme l’ont fait les suggestions habermassiennes, qu’une théorie du langage précelle les théories économiques et scientifiques. Il sera alors temps d’exposer le schéma récapitulatif de tout notre parcours d’analyse des discours dans l’organisation cosmopolitique (Partie D).
Nous conclurons en reprenant la notion du concept d’humiliation telle qu’elle s’est imposée dès l’abord de notre recherche et la mettrons en lien avec la notion de reconstruction. Nous tâcherons de dégager la valeur que prend le concept du cogito, non pas seulement comme reconnaissance de soi par soi, mais, grâce à la reconnaissance hégélienne, de la reconnaissance de la communauté en elle-même et suggérerons les conséquences qui s’ensuivent. La foi dans le langage pose les conditions d’existence de la société cosmopolitique ; la conviction de la valeur de l’argument en pose les structures ; l’auto-persuasion de la valeur libertaire de l’imagination la met en mouvement ; et la constatation des faits la pérennise. La défiance dans le langage, le refus de l’argument, la peur de l’imagination et le scepticisme envers le fait la détruisent – de même que le dédain de la contestation et de la visée de son traitement consensuel. L’humiliation dans le lieu de la reconstruction est le mode de création d’un nouvel ordre social de l’évolution des êtres vivants qui s’exprime dans le langage articulé.
Dans Les puissances de l’expérience J.-M. Ferry détaille la genèse du langage en quatre grammaires de l’intelligence et la thématisation de son usage. En 1992, Paul Ricœur4 s’interroge sur la légitimité d’évoquer par un langage articulé ce qui le produit. J.-M. Ferry avait lui-même attiré l’attention du lecteur sur cette interrogation dans l’incipit des Puissances de l’expérience5. La Grammatologie6 de J. Derrida suggère que la qualité d’exprimer ce qui lui est étranger est propre au langage. Il y révélait les contradictions du Cours de linguistique7 de F. de Saussure et l’impossibilité de la thèse du logocentrisme. La sémiologie ne devait pas être la science première qui mène au langage, mais la grammatologie qui justifie la sémiosis. Ce changement interdit désormais que l’on considère le langage dans un lien de dépendance avec une référence absolue, qu’il s’agisse du réseau des signifiés ou de son développement dans le temps. L’autonomie des grammaires par la différance accompagne l’abandon de la philosophie du sujet au profit d’une philosophie de la communication, philosophie du verbe. La vérité n’est plus garantie par un lien direct entre un signifié et un signifiant, mais accordée par consensus. Les bouleversements sur la sémiosis s’abordent au travers de la notion de temps8 chez Bergson et de la théorie des émotions9 de Sartre. La théorie de l’intelligence sensible de J.-M. Ferry synthétise ces évolutions en une théorie de la connaissance. Selon la polarisation du locuteur, elle permet d’identifier cinq domaines argumentatifs.
La Grammatologie justifie l’abandon du logocentrisme
Pour J. Derrida, le logocentrisme est une « métaphysique de la présence ». La présence est l’« être de l’étant », ce signifiant paradigmatique du logos en soi10. Cette pensée théologique est une prémisse du Cours de linguistique générale de F. de Saussure. Il s’ensuit une différenciation d’évidence entre le logos parlé signifiant, et le logos « présence » signifié. J. Derrida conclut de l’étude des contradictions du Cours que la linguistique ne se construit que sur le présupposé d’une écriture articulée11. Il faut donc inverser notre ordre de saisie des sens et considérer désormais que la désignation de l’écriture est « métaphorique », quand elle entend exprimer le langage articulé, intelligible, et « propre » quand il s’agit de l’écriture sensible, substantielle12. Le logos n’est donc plus divin, mais sensible. La parole est dissociée de l’être, de la présence, de la vérité divine. Devenue artificielle sinon artificieuse, elle est désormais suspecte. La notion de « livre », dont la visée est d’exprimer la totalité de l’étant, est emporté avec elle13. Ne reste que le texte, écriture à jamais ouverte. Une autre conséquence est la disparition de la vérité langagière de fait. La parole n’engage plus le dévoilement de l’être par l’effacement du signifiant. La parole au présent s’évanouit devant la visée du sens. La vérité ne s’exprime plus que dans le sens d’une prescription14. On ne peut plus parler de signifié transcendantal, fondamental ou d’ontologie, puisque le fond du sens s’est abstrait de lui-même.
La notion d’arbitraire du signe, où aucun déterminisme ne lie le signifiant et le signifié, devient, au cours du procès sémiotique, une « immotivation de la trace », laquelle est à la fois le constat de l’absence de lien déterminé15 et le procès de ce devenir, cette immotivation comme détachement16. La trace immotivée est donc un jeu, mais au sens d’un espace, d’une différence, dont on signale l’inchangé oral par une modification scripturale en différance, un jeu du monde plutôt qu’un jeu dans le monde17. La trace se détache donc de quelque chose, mais un quelque chose qui ne peut être atteint, qui s’est effacé devant la trace. Il est donc antérieur à l’expression même et au langage18. Comme l’immotivation, la trace est cette origine première qui pourtant est sempiternellement advenue – elle est, dans ce perpétuel mouvement, advenue19. Il faut alors préciser, bien que la trace paraisse dans un signifiant, qu’elle n’existe pas au sens où elle serait, où une ontologie la fonderait. Elle est une possibilité que le langage fait advenir pour expliquer sa propre existence, sa propre réalité, incapable de dire ce qui se trouve avant le dire20. Il faut supposer que la trace s’organise d’elle-même. La psychanalyse pourrait fournir des explications21. Tout est donc métaphore dans la Grammatologie, ou propre, ce qui revient au même, puisque les signifiants ne se rapportent plus qu’à eux-mêmes, coupés qu’ils sont de leur origine seulement prétendue et visée elle-même par un signe. La logique de la trace impose la conclusion qu’elle n’est issue que d’un mouvement, qu’elle n’est que devenir et que tout langage ne signifie jamais que ce devenir – ou ce devenu dans un mode constatif où le passé qui ne se laisse plus approcher se résume à un « passé absolu » qu’aucun présent ne sera jamais plus capable de ranimer22. La trace, en tant que devenir, échappe donc également au temps, dont elle fonde même le sens23. Il ne reste, pour en expliquer la raison plutôt que l’origine, l’ontologie ou la transcendance, que le vide, l’absence, le néant, la mort24. La raison de la trace est donc la mort du sujet, l’oubli de soi25, l’occultation de la présence dans la différance. Sans la trace, sans son mouvement d’aspiration de la présence, du sujet, le monde extérieur ne paraît pas26. Le langage, manifestation de la trace, porte en lui l’illusion de la présence et du monde, car il en absorbe les réalités. Échapper à l’illusion de l’existence de la trace et du langage ne peut se faire que par l’emploi d’un langage brisé, une brisure, où les sens se contredisent27 et interdisent l’illusion de la plénitude du sens de paraître28. Le langage est articulé, car le sens est brisure29. C’est précisément par son rejet du langage que le sujet en saisit le sens quand, dans un mouvement de retour, il lui réimpose sa présence. Dans ce mouvement d’aller-retour où la discontinuité du texte brise l’unité de la présence se réinstitue la possibilité de la trace, un entre-deux insaisissable qui permet au sujet de se saisir et de saisir le monde30. L’antidote de la trace, le signifiant qui impose la conscience pleine et entière, est aussi le signifiant de la résorption de la trace comme différence, de la réduction du signifié dans le signifiant et l’extraction du temps de la trace : c’est « Dieu ». « Dieu » est la manière de dire l’indifférence, la suppression de l’immotivation du signe par la superposition du signifié et du signifiant, réhabilitation de la présence pleine et entière.
Si tout est métaphore dans le langage, et immotivation, on en infère que le langage possède son propre mode d’existence, où tout n’est plus que sens et où la référence est abolie. On ne justifie plus l’emploi des mots par leur transparence au fond de vérité d’un logos transcendant ni par leur correspondance à la chose, mais par la position de sens qu’ils sont susceptibles de prendre dans un énoncé au regard des autres énoncés. Ainsi en est-il du syntagme « trace » qui ne « signifie » rien, sinon la poursuite d’un sens engagé dans d’autres textes ; ne « se réfère » à rien, sinon à la lacune que son intelligibilité remplit31. On ne peut la décrire32. C’est cette auto-fondation – où la trace n’est qu’un sens et où le signifiant qui s’inscrit dans un signe-devenir n’a plus de signifié – qui justifie le recours à la linguistique de Ch. S. Peirce plutôt qu’à celle de F. de Saussure33.
La science de production des signes, la sémiotique, dont il est fait l’hypothèse dans l’excipit de l’ouvrage que la linguistique ne serait qu’une branche serait ainsi à remplacer par une science de l’écriture, dont les unités de sens seraient les signes réemployés ensuite dans le cadre d’une linguistique34. La linguistique, comme étude du langage parlé, ne perd pas son autonomie, mais bien sa primauté dans la production des signes au profit d’une gnoséologie menant à la thèse de la priorité de la formation d’une écriture, une archi-écriture ou une trace. Celle-ci ne liquide pas la notion de signifié, mais la décroche du logos divin pour l’attacher au « champ de l’étant35 », cette présence d’où dérive la trace. La « trace » est donc la motion de structuration des symboles par la différenciation de la présence, laquelle s’organise à la manière des images du rêve36.
Reste qu’il faut bien expliquer d’où viennent ces pensées au philosophe qui s’efface devant son texte. Reste qu’un substrat est bien nécessaire à la fois pour faire advenir la trace et pour en rendre les signes intelligibles. La production articulée de la trace redevient un signe dont le signifié se déploie dans la conscience, elle-même, signifié-support à tous les autres. C’est ici que la raison renonce à s’expliquer elle-même et se retient de franchir à nouveau les frontières de la métaphysique37. Elle aura du moins tenté de s’expliquer sans recourir au confort d’une référence absolue qui la justifierait. La grammatologie est un changement de point de vue, qui place la pensée avant le langage38 et le point de départ de tout énoncé dans le mouvement, la différence. Dans ce mouvement incessant de va-et-vient, on peine encore à « saisir » quelle pourrait être « la réalité » de la proposition d’un sens qui ne se dit pas ou pourrait se dire autrement. Comment expliquer la compréhension elle-même et les raisons pour lesquelles on ne poserait pas que toute lecture (puisqu’il s’agit ici de lecture) ne serait pas subjective, avec ce risque monumental d’une intercompréhension impossible ? J.-M. Ferry complète ces intuitions d’une pensée de la « métaphore antagoniste39 » dans son exposé, par contradiction performative, de la théorie de l’« intelligence sensible » et d’une « religion réflexive ».
En s’opposant à la « pensée de la représentation », il nie l’originalité d’une conscience primaire dont le langage ne serait qu’une « image » et dont les « jeux de mots » ne seraient que des jeux dans le monde plutôt que des jeux du monde. Le couple « champ de l’étant » et « trace » ou « archi-écriture » est remplacé par celui de « substance » et « grammaires », au pluriel. Il reprend l’aporie d’une antériorité indicible du langage sans prétendre pour autant la décrire, mais bien créer du sens40. Pour ce faire, il s’appuie aussi sur la linguistique de Ch. S. Peirce. Ses conclusions sont également que le langage est sens, que le signe est devenir, que le langage crée le temps, et qu’en conséquence l’existence est téléologie plutôt qu’ontologie et la vérité prescriptive plutôt que constative. Il s’agit bien, en continuité de la déconstruction, de proposer une philosophie de la communication, qui soit une reconstruction.
Les grammaires profondes organisent les puissances de l’expérience sur le sensible
La philosophie de la communication repose sur la théorie de l’intelligence sensible41, également nommée théorie génétique de l’expérience42. Contrairement aux thèses gnoséologiques tradition-nelles dualistes ou monistes et à la pensée de la représentation, elle vise à donner une explication de la manière dont se forment les connaissances à partir des sensations et de l’expérience. Il s’agit donc de déterminer les conditions d’expérience qui mènent un existant doté d’un corps sensible à la conscience de soi et du monde. La théorie de l’intelligence sensible part des sensations et des perceptions pour mener aux symboles puis à la connaissance. La sémiotique (en tant que production des symboles) se tient entre les grammaires 1-2 (iconico-indiciaire) et 3 (syntaxique), avant la grammaire 4 (discursive). Le langage articulé n’est donc maîtrisé qu’au niveau de la grammaire 3. La sensation devient un symbole dont le signifié n’est en conséquence pas posé du côté du logos divin du logocentrisme, mais du côté d’une grammaire, portée par le tissu des sensations. De même qu’« il faut penser la trace avant l’étant43 », le texte44 révèle la syntaxe grammaticale présymbolique dont le contenu sémantique est apporté par l’historicité et la nature des expériences vécues : « La grammaire […] caractérise également l’architecture de notre monde vécu. En cela, elle est notre véritable ontologie45 ».
Les sensations se forment, s’organisent, se structurent elles-mêmes, « comme dans le rêve », sur la seule base de la mimésis, sans référence à une structure symbolique – qui en dérive justement. L’icône, associative, est donc toujours métaphorique. Les « images » ainsi formées correspondent au niveau iconique de la première grammaire. Les signes que forment les assemblages d’images n’ont ici pas de signifié. Il faut, pour en saisir la nature, se référer à la sémiotique de Ch. S. Peirce où les signes renvoient à d’autres signes – à la différence qu’il s’agit ici d’un mode présymbolique de relations entre ce qui est nommé « image » ou « signes ». La mise en mémoire iconique se produit par association des synesthésies46 substantielles au sentiment temporel, la sensibilité, « sensation de la sensation47 », juge la sensation48 qui la « colore » d’un sentiment de peine ou de plaisir. La sensibilité est le principe régulateur qui juge la réalité et lui indique ce qu’elle doit être49. Au cours d’expériences renouvelées, selon l’intensité émotionnelle, la nature sensationnelle, le nombre des expériences vécues et leur historicité propre, l’être vivant se constitue ainsi une mémoire individuelle, par regroupement des « images » sensitives sous l’effet de la mimésis, de l’analogie, et de la sensibilité de la grammaire 1, iconique. La mémoire sensible ne s’organise pas selon la chronologie, mais l’émotion ressentie et la similitude.
Le champ de sensations, espace substantiel50, devient indiciaire quand est visée, comme pôle de sensations, la perception mémorisée51. Selon un enchaînement qui échappe à l’être vivant, car opéré en mode présymbolique, un signal est perçu par lui et guidé vers un contenu iconique que l’être vivant réactive dans sa mémoire sensitive par déixis, rapatriant dans son vécu la valeur émotionnelle enregistrée des images parcourues et enchaînées. Avec l’habitude et la répétition, les mêmes signaux renvoient aux mêmes champs d’images sensitives. La mimésis s’associe à la déixis, tandis que les synesthésies des signaux sont plus rapidement transformées en perceptions, champ d’images sensitives mémorisées. Il ne semble pas erroné de résumer que « l’image devient une certaine manière d’animer intentionnellement un contenu hylétique52 ». La mémoire est sensible53.
L’opération indiciaire est attentive à l’incohérence, la dissonance du champ de sensations en regard du fond de monde indifférencié. Le désir est la motion qui mène l’être vivant, toujours au niveau préconscient et des grammaires iconico-indiciaires, à favoriser par un agir, selon la valeur sensitive rapatriée, une poursuite des séquences attentionnelles vers le retour à un état non-inquiétant. Le désir incite l’agir à accompagner le sentiment de plaisir ou à corriger celui de peine. La mémoire est alors sollicitée pour fournir des enchaînements d’expériences vécues répondant au besoin de rééquilibrage de la tension intérieure ressentie, c’est-à-dire par la neutralisation du signal. L’être vivant agit donc guidé par le désir puissant des schémas de séquences mémorisées susceptibles de neutraliser l’expérience déstabilisante. Les synesthésies activent plus rapidement ces séquences mémorisées. L’être vivant devance les conséquences du signal selon les anticipations de sa mémoire. Le signe devient présage, prémonition ; la réalité vécue s’organise sous une forme instinctive où l’être vivant réagit par automatisme aux signes menaçants ou engageants vers l’équilibre d’un état non inquiétant sur un fond de réalité indifférenciée.
Dans le cas où la mémoire serait insuffisante, l’être vivant produit lui-même un « appel du désir54 », une « réclamation55 », qui est alors un symptôme56 – la marque d’un déséquilibre, d’une dissonance intérieure, qui ne peut se résoudre de soi-même et requiert l’assistance d’une intervention extérieure. Chez les animaux évolués, si l’intervention ne se produit pas et que l’agir est inefficace à éteindre le signal, sa mémoire sensitive réorganise ses associations pour neutraliser la valeur du signal. Le fantasme par l’imagination, sinon le refoulement est la réponse à l’expérience déstabilisante.
Les comportements des êtres vivants se limiteraient donc à leur garantir une régulation permanente de leurs émotions vers un état non-inquiétant57. Le signal est la perception qui capte leur attention et nourrit le processus adaptatif. Le symptôme n’est lié qu’à la fonction d’expression de l’animal tandis que le signal « marque la fonction d’appel ». Il a donc une composante intentionnelle plus forte, celle d’engager « l’être intelligent sur la voie plus proprement communicationnelle », par exemple en signifiant l’agressivité, l’intention de se défendre, etc. Les animaux, par leurs expressions58, produisent des signaux interprétés par leurs congénères (et éventuellement les autres animaux de leur environnement) dans le sens de leur propre adaptation au milieu. Mais, du fait que ces comportements de production de signaux et d’écoute sont liés aux codes grammaticaux iconiques et indiciaires, l’intentionnalité qui prélude à leur production reste peu sollicitée, en regard de celle d’où naissent les signes des animaux doués de conscience, c’est-à-dire doués de la capacité de représentation, autrement dit, les êtres humains. Encore indifférencié en direction d’un environnement indistinct d’où est attendue une réponse de nature à engager le retour à la situation d’équilibre non-inquiétante, le signal peut encore être produit par l’intention d’un être conscient, humain, par l’adresse à un congénère individualisé : la conscience autorise à saisir, plutôt qu’elle ne « contient [,] en puissance les trois ressorts pragmatiques du langage humain : l’adresse à quelqu’un, la référence à quelque chose, l’engagement de soi59 ».
L’origine de la production du langage articulé trouverait une explication dans l’étude des comportements des animaux dits « communicatifs60 », comme les baleines, qui seraient en permanence en recherche de réduction des différences harmoniques intérieure et extérieure et dont la production de signaux sonores, que nous recevons à tort comme des chants, seraient, par une interrogation continuelle par l’animal de son environnement, le mode privilégié du procès. Les sensations, reçues comme des réponses de l’environnement, n’impliquent pas un traitement conscientiel puisque le traitement au niveau iconico-indiciaire est suffisant. Les animaux « communicatifs », en interrogeant leur environnement, semblent donc manifester la première forme d’adresse de la communication, celle à la troisième personne, le « Il », et engagerait à en dériver les autres étapes de la formation du langage articulé chez les êtres humains, à savoir les formes d’adresses « Tu » et « Je ». La grammaire iconico-indiciaire ne permet que l’évaluation des dissonances entre codes harmoniques intérieur et extérieur. Même si les grands singes manifestent une capacité à reproduire par apprentissage le langage articulé des êtres humains qui les « attirent » vers leur mode de communication privilégié, la transmission intentionnelle d’informations, requiert la maîtrise pleine de la forme propositionnelle, syntaxique. Elle seule justifie que, intentionnellement, « A exprime Y à B au sujet de X ». Cette syntaxe, celle de la grammaire 3, est propre à l’être humain et se développe selon l’agir communicationnel61.
Le sensible et l’agir, les deux premières puissances de l’expérience, structurent donc la mémoire sensible à la manière d’un langage sensitif associatif privé. Le souvenir, vague car préconscient, et l’historicité sont propres à l’individu. Néanmoins, sans capacité de production d’énoncés propositionnels, bien que l’identité de l’être vivant soit personnelle, elle est peu thématisée ; et l’intercompréhension se limite à la production de symptômes, perçus comme des signaux sur la base d’une grammaire commune. Dans ce mode d’existence, du fait que l’association d’images est permanente et ne peut s’interrompre, l’absurde n’existe pas ; la réalité étant continûment interprétée en présages, menaçants ou engageants, le hasard n’existe pas davantage. Les sociétés humaines, qui n’employaient pas les signes nominatifs différemment des symboles, vivaient en communauté où le sens de l’existence individuelle était transparent à tous les autres, où la vie intérieure suivait des codes culturels partagés où le public et le privé ne se différenciaient pas. L’expérience individuelle était aussi collective. La vie intérieure n’avait aucun mode privé puisque l’histoire de l’individu est celle du monde sémiotique de la communauté. Les rêves étaient racontés dans l’espace public et prenaient une valeur publique, un présage, qui dégageait l’individu du fantasme, du refoulement et de ce que la psychanalyse a redécouvert dans une société où la grammaire syntaxique avait réprimé les grammaires iconico-indiciaires. Les images de l’inconscient, cette partie de la mémoire sensible, étaient devenues inaccessibles aux symboles nominatifs du langage.
À l’inverse, le développement du langage et sa réappropriation privée à la suite d’épreuves de frustrations et d’humiliations surmontées ont mené à isoler le mot de l’environnement collectif, à distinguer parmi les « Tu » des êtres répondants aux appels, le « Je » qui s’interroge soi-même avant d’agir dans ce qui est devenu le monde du « Nous », un monde ou les « Tu » sont eux-mêmes perçus comme d’autres « Je ». C’est ici que la maîtrise de la grammaire syntaxique retirée du monde collectif par le « Je » fait naître le hasard et l’absurde dans l’espace entre soi et le monde, entre la chose perçue et son signe, et avec eux la possibilité de l’invention et de la création62.
Le sensible précelle le temps et la vérité
La trace fait donc disparaître sa provenance, la présence, lorsque les symboles sont exprimés – écrits dans le sens courant, ou énoncés par la pensée ou la parole – puisque la différance diffère, selon le temps, le signe vis-à-vis du champ de l’étant. Non seulement le signifié n’est plus accessible depuis le symbole, donnant l’impression d’un symbole incréé, mais par ailleurs le symbole lui-même perdant sa référence absolue et constamment « différé », devient lui-même un paramètre du temps au point que son emploi n’est ni plus ni moins que l’expression du temps. En effet, la relation différentielle entre la trace et le champ de l’étant déplace le sens du terme « signe » vers celui de « devenir-signe » :
« La structure générale de la trace immotivée fait communiquer dans la même possibilité et sans qu’on puisse les séparer autrement que par abstraction, la structure du rapport à l’autre, le mouvement de la temporalisation et le langage comme écriture. Sans renvoyer à une “nature”, l’immotivation de la trace est toujours devenue. Il n’y a pas, à vrai dire, de trace immotivée : la trace est indéfiniment son propre devenir-immotivée. En langage saussurien, il faudrait dire, ce que ne fait pas Saussure : il n’y a pas de symbole et de signe, mais un devenir-signe du symbole63. »
Cet « atermoiement principiel » entre les images du champ de l’étant et la production du symbole justifie alors le maintien de la notion d’arbitraire du signe en tant qu’elle a le sens d’une immotivation, sans pour autant que l’on renonce à la cohérence d’un système de signes : le symbole est immotivé en ce sens que l’on n’en retrouve jamais plus l’historique de la production ; mais il est bien issu de la motion organisée de la trace et de l’association en séquences des images sensitives.
La même explication est donnée par l’intelligence sensible. Le décalage temporel entre le tissu de sensations et la production du symbole est signifié par la réorganisation des sensations selon l’association iconique. La polarisation de la production indiciaire entre une négativité (peine) et une positivité (plaisir) informe également le désir de la direction de sa recherche d’un séquençage d’expériences déjà emmagasinées dans la mémoire sensible pour la poursuite d’un rééquilibrage de la situation vécue vers une situation non-inquiétante. Il s’agit pour l’être vivant de mobiliser dans sa mémoire iconico-indiciaire les séquences imagées qui seraient de nature à provoquer, par un agir ou, s’il est impossible, un fantasme, ce rééquilibrage. Il s’agit donc pour le désir de mesurer la valeur du sentiment vécu et de le comparer à celui qui serait atteint par la progression dans le sens d’une expérience agissante reproduisant les situations mémorisées. Ce principe mène à l’hypothèse de la permanence du sensible qui s’actualise et dont la ligne de base serait elle-même l’intégration des consécutions d’indices émotionnels ; qui serait donc propre à l’individu. La temporalisation de l’intelligence sensible rejoint et complète ainsi la formation de l’écriture grammatologique : la neutralité et la froideur du concept de temps sont substantialisées en sensibilité et en désir qui à la fois organisent la « trace » (les séquences efficaces de la mémoire sensible), l’écriture (le flux articulé de l’énoncé) et motivent l’énonciation (par une adresse à autrui, à soi-même ou à l’environnement indifférencié) comme l’appréhension du réel (par l’anticipation intuitive des séquences expérientielles gratifiantes). Le temps est donc substantiel et se résorbe dans la sensibilité de la substance64. L’articulation du langage suit donc celle des indices qui rapatrient le contenu des icônes, mais en effaçant son origine, à la fois historique, substantielle et sensitive. Le langage absorbe ces valeurs et les contient en puissance. Il appartient au récepteur, s’il est en recherche d’une compréhension maximale des énoncés, de les retrouver ou, le cas échéant, d’en considérer la thématisation65. En ce sens, n’importe quel symbole est un appel.
Le mot est donc l’indice de mon expérience vécue en tant qu’image et que sensibilité66. Mais la sensibilité est peine et plaisir et excite le désir dont la motion est de rétablir la sensibilité vers l’état non-inquiétant. C’est dire que les perceptions s’ordonnent de manière discontinue à l’intérieur d’une permanence sensible. On ne peut envisager que la sensibilité soit discontinue puisque c’est elle qui excite et contrôle le désir. La vérité est donc toujours désirable. Une difficulté se présente dans le principe de mémorisation et de remémoration des sensations en tant que perceptions. Car si la sensibilité a pour charge de mettre les sensations passées en lien avec les sensations présentes67, c’est d’une part que la sensibilité est permanence et néant ne pouvant se remplir que de sensations présentes et tout à la fois de sensations mémorisées (sans quoi on vivrait à proprement dit dans ses souvenirs, comme dans le rêve, qui d’ailleurs n’est toujours pas un lieu satisfaisant puisqu’il intègre les sensations extérieures) et d’autre part que la remémoration est elle-même production de sensations. La sensibilité étant vécue « de l’intérieur » et les sensations provoquées par des stimuli venant de l’extérieur du corps, un paradoxe se présente. Il faut ici supposer qu’il n’y ait qu’une seule sensibilité comme il n’y a qu’un seul corps et ajouter par ailleurs que la sensibilité est la mémoire du corps, sans quoi on ne saisit pas comment la sensibilité pourrait être à la fois mémoire et flux de vécu. Les sensations informent en permanence la sensibilité, qui est mémoire, puisque permanence, depuis des stimuli extérieurs au corps. La sensibilité ne peut se lier de manière discontinue à la sensation, sans quoi elle ne serait plus permanence.
Si bien que la sensibilité est l’état intérieur du corps, dans son unité et sa multiplicité. Le plaisir est le mouvement vers l’intégrité corporelle et la plénitude, la fluidité sensible, tandis que la peine serait un mouvement de désagrégation du corps et la souffrance, celui d’un état de dislocation intérieure68. C’est en ce sens que les symboles ne pourraient être associés à des signifiés purs sensitifs puisque ceux-ci dépendent de l’état du corps qui pourrait bien effacer les tensions mémorisées autrefois dans son gonflement vers la plénitude et, au contraire, accroître le chiffonnement de la mémoire dans l’état de souffrance. Le retour vers une sensibilité fluide, ouverte, prête à accueillir des sensations fortes qu’elle ne craint pas d’absorber, serait obtenu par la distension des espaces resserrés de la mémoire. L’apprentissage serait alors une palpitation du corps entre un état de fluidité accueillant qui se réduit plus ou moins longtemps avec plus ou moins d’amplitude sous l’effet de sensations violentes et s’épanouit de nouveau après l’intégration du mouvement de la zone rétrécie dans la puissance de mouvement générale du corps.
La différence explique que « la présupposition d’un énoncé contredi [se] sa proposition en même temps que la position prise avec elle par le sujet de l’énonciation69 ». Il s’ensuit une « contradiction performative70 ». La résolution de la différence vers l’identité, vers la réconciliation du même et de l’Autre, forme le potentiel d’historicité. Celle-ci ne s’effectue donc pas en fonction d’une prétendue linéarité temporelle objective, mais bien plutôt de la permanence d’une sensibilité subjective liant les expériences vécues les unes aux autres en ce qu’elle leur oppose une résistance de mouvement ou au contraire le leur facilite. La dissonance, la disharmonie, le paradoxe serait l’émotion désagréable de l’effectuation d’un enchaînement rendu par avance interdit par la mémorisation désagréable de la brisure qu’il opère, tandis que l’harmonie serait l’émotion agréable de l’effectuation d’un mouvement cohérent en joignant des mouvements éloignés de moindre ampleur. L’ambiguïté serait l’effectuation d’un mouvement inconnu qui attache l’attention à le reproduire avant, éventuellement, de le sentir agréable ou désagréable, c’est-à-dire comme favorisant la plénitude ou la souffrance. La réalité est le mouvement habituel du corps ; la vérité est le mouvement que l’on a tant fait qu’il est devenu l’axe de tous les autres, au point que certains mouvements qui lui sont antagonistes paraissent impossibles. La liberté est la capacité à l’effectuer tout de même71. Il n’est plus possible à ce stade de différencier entre faits et fiction, res factae et res fictae72. L’intelligence est la capacité à intégrer et à effectuer rapidement de nouveaux mouvements sollicités par des symboles. L’image, l’icône, en ce sens qu’elle est mémorisée, est une pesanteur de la sensibilité, un pôle mobile, qui a opéré la synesthèse momentanée des sensations vécues et influence l’activité motrice du système nerveux, y compris celle du langage73. Le mot, en tant que symbole, se présente à l’attention consciente qui en effectue le mouvement depuis l’intériorité sensible où ont été mémorisées les perceptions associées par ressemblance de l’expérience de sa rencontre. Le mot est donc le mouvement de l’amplitude émotionnelle mémorisée d’une expérience mobile morcelée, mais jamais achevée – et la phrase l’enchaînement de ces mouvements émotionnels.
La théorie de l’intelligence sensible justifie donc que le temps naisse du sensible74. C’est en effet la capacité du corps à organiser ses perceptions plus ou moins rapidement selon son inertie sensible qui donne le rythme corporel de son historicité. La mémoire est bien sensible75 et c’est son actualisation comme la lisibilité qu’elle offre qui rythme la durée du corps. Depuis l’intérieur du corps et selon la charge émotive des signes qu’elle perçoit, la sensibilité se réorganise elle-même. Si la variation sensible était impossible, la permanence serait figée : ce que nous nommons l’éternité. L’éternité, en tant que sensibilité nulle, est pour cette raison impossible à penser. Il faudrait une sensibilité qui se réduit dans le temps à une absence de sensibilité, un mouvement qui fasse le mouvement de l’absence de mouvement. Pour cette raison, nous avons l’intuition que les choses, qui sont inertes, sont durables – et nous oublions que c’est nous qui passons76. La méditation, la sagesse sont un moyen de prétendre à l’éternité, par la capacité que donne le calme à rester libre de ses mouvements sensibles. La sensibilité est subjectivité. La pensée de la représentation est une pensée qui nie la sensibilité. Pour cela, elle nie le sujet. Elle le cherche dans l’image et, par évidence, ne le voit pas puisque c’est lui qui a créé l’image. À l’inverse la pensée conceptuelle menace toujours de se changer en pensée de la représentation si l’on s’habitue à figer les mots en concepts, dans les réalités fermées et immobiles que sont les images77. La théorie de l’intelligence sensible enferme donc la part incommensurable, indicible et éternellement mystérieuse de l’être vivant qui est la sensibilité et qui lui donne accès à sa propre compréhension historique. Les symboles, indices des perceptions, sont donc le moyen d’exprimer la mémoire corporelle, la durée vécue dont les jalons sont, pour autant que les émotions aient mené à la formation d’un symbole, les sentiments.
L’émotion est un lien entre intériorité et extériorité
La sensibilité se conçoit donc comme un volume que l’émotion heureuse, ou prometteuse, gonfle et que l’émotion de peine ou de menace contracte, depuis une origine qui n’a pas de référence autre qu’elle-même, intégrée dans sa propre historicité. L’émotion, pour Bergson, se caractérise par son intensité et son élévation.
Bergson rapproche l’intensité d’un sentiment de celle d’une sensation. Tous deux relèveraient de la contraction du corps78. L’explication s’accorde avec la notion d’une mémoire sensible si l’on considère que la tension, le stress, n’est pas que musculaire, mais concerne l’ensemble du corps en général. Ainsi, la sensation se déploie de plus selon son élévation depuis l’« émotion fondamentale79 ». Selon J.-M. Ferry, on parle plutôt de plusieurs « émotions fondamentales » telles que les joies et les tristesses profondes, les passions réfléchies, les émotions esthétiques80. Ce qui nous fait dire que nos émotions ont une intensité serait le lien avec l’intensité de l’action extérieure que l’on voit et qui la provoque81. En parallèle, cette habitude nous fait penser à l’exercice d’une pression dans le cas où cette action ne serait pas directement visible. Prenant le cas de l’émotion fondamentale du sentiment esthétique, Bergson identifie les trois phases de l’intensité (superficielle, détachement, accaparement de l’âme entière82). Ce sont des changements d’état. Les sentiments profonds sont le plus souvent de même nature que les sensations superficielles, à savoir qu’ils sont liés à des contractions, que Bergson limite aux muscles. Ainsi en est-il des sentiments violents83. L’attention aussi est liée aux contractions musculaires84. En somme, c’est l’intensité de l’émotion qui y serait donc liée85. L’émotion, avant de devenir émotion, est sensation, mouvement ; ainsi en est-il de la frayeur86. Quand l’émotion faiblira en intensité, elle s’étendra en richesse87. Plus les états simples, les sensations de tension, sont nombreuses, et plus l’émotion est violente ou le sentiment aigu88. Mais à ce rythme, on devra se contenter de dire que le suicidé a éprouvé une émotion violente. La sociologie montre que la tension, le stress, peut provoquer la mort89. Sans que l’on puisse alors indiquer si l’émotion naît ou s’entretient depuis un dérangement intérieur que l’on ne parvient pas à contrôler ou si elle est activée et entretenue par des sensations extérieures au niveau du corps, on conclut néanmoins à l’existence d’un lien entre la tension en général, sans qu’on la limite aux muscles, mais plutôt qu’on l’étende à l’ensemble de l’intériorité du corps, et l’intensité de l’émotion. Néanmoins, du fait que l’émotion ne suit plus un développement linéaire (l’avancée de l’aiguille que l’on approche de la peau et que l’on enfonce), mais volumique (la tension corporelle), on pourrait tout aussi bien parler de puissance de l’émotion que d’intensité. Le lexique des sciences physiques (inertie, attraction, intensité, résistance) est convoqué pour expliquer les mouvements du corps qui sont ceux de l’esprit. Le plaisir est l’inertie du corps à offrir et entretenir une résistance à ce qui l’attire, sans quoi le plaisir resterait une sensation. Plus la résistance est grande – ce qui implique une attraction croissante – plus l’émotion de plaisir est forte90. Ceci sera à rapprocher plus loin de l’expérience de lecture91. Il faudra trouver un mot pour désigner cette attraction qui vainc l’inertie corporelle. En ce qu’elle est mouvement, elle doit prendre idéalement un suffixe en-ation (action, fabrication, transformation). En ce qu’elle réduit la maîtrise de la conscience par elle-même, elle doit exprimer la réduction de l’être face au monde. L’attraction sensible, l’émotion fondamentale, serait l’humiliation.
Ce n’est pas encore ce que pose Bergson. Au contraire de l’intensité, l’élévation est une richesse qui ravive une foultitude d’autres émotions92. Pour atteindre l’élévation, il faut ne pas se limiter à considérer le mot qui nous fait qualifier au premier abord l’émotion, mais s’attacher à la décomposer, car elle en cache un grand nombre d’autres93. L’art est un moyen de se replacer dans l’état d’émotion de l’artiste94. Bergson analyse deux émotions : la grâce et la pitié. La pitié porte à vivre la souffrance de l’autre, à la fuir et à la désirer. La pitié serait par essence une descente, une humiliation, dont la qualité se décline : le dégoût, la crainte, la sympathie, puis l’humilité95. Ces états sont des états profonds, mais ils ne sont pas en lien avec des sensations96. La grâce serait un même développement, mais selon la sympathie, le plaisir, la légèreté. L’observation d’un mouvement gracieux le fait reproduire en soi ; ce que Bergson nomme la sympathie est la manière de devenir le mouvement97. Ainsi, l’art endort, hypnotise et provoque la docilité98. Le moyen est supposément le même qu’en hypnose et consiste à absorber l’attention par la multiplication des idées, des images ; ainsi en est-il en poésie, arts plastiques, sculpture, en architecture99. C’est la suggestion qui donne cette excitation de l’âme que ne propose pas la nature. Le sentiment esthétique doit naître d’une suggestion.
Cette explication de l’émotion doit être contestée. La notion d’intensité émotionnelle n’est pas satisfaisante comme nous l’avons vu : d’une part, on n’explique pas le sentiment en le rapportant seulement à la contraction musculaire, mais plutôt à la tension du corps en général – et s’il fallait tenir que c’est le corps qui provoque le sentiment, il faudrait encore indiquer la raison pour laquelle le corps réagit et à quoi, et pourquoi il provoque une émotion ; et d’autre part, Bergson semble tenir que l’émotion « existe » déjà entièrement décomposée en éléments plus simples, comme le dégoût, la sympathie, l’humilité. Mais quelle différence entre l’horreur et le dégoût, l’abjection et le rejet, l’antipathie et le refus ; entre la légèreté et la délicatesse, la caresse et le charme, la joliesse et l’élégance ? Tout se mélange et l’architecture émotionnelle ne paraît pas si bien établie.
De plus, Bergson cite la « sympathie » aussi bien pour le sentiment esthétique que celui de la pitié. On pourrait parler à la place d’empathie, de charité, d’affection ou de désir d’incarnation puisqu’il s’agit de se porter vers l’autre pour devenir l’autre et se déplacer comme lui, qu’il s’agisse d’une chose ou d’un mot100. Selon nous, la grâce est tout cela (délicatesse, légèreté, plaisir, mais aussi élégance, joliesse, etc.) et ce ne sont que des manières de dire. Il n’y a pas un sentiment de grâce, un sentiment de plaisir, un sentiment de légèreté. C’est une seule et même émotion qui se dit différemment selon que l’on s’attache à l’effet général (plaisir), à la sensation physique si l’on effectue en soi le mouvement (légèreté) ou à un mode d’être, qu’il soit corporel (grâce) ou symbolique (élégance), etc. C’est pourquoi on peut ajouter autant de mots que l’on voudra sans que l’on ait qualifié l’intériorité, mais plutôt la manière dont le sensible est incarné dans le monde. Les mots des émotions eux-mêmes provoquent des énoncés infinis qui justifient leur énonciation parce qu’ils sont avant tout des jugements exclusivement subjectifs et qu’ils renvoient à une totalité de sens plus ou moins consciente, mais entièrement présente. Lorsque j’exprime une émotion, j’en dis beaucoup plus sur ma manière de considérer la chose que je ne parle de la chose. Le lexique social apprend à parler des choses sans parler de soi.
De fait, ces sentiments profonds, ces « émotions fondamentales » pourraient bien se ramener à une seule émotion fondamentale qui expliquerait toutes les autres. Elle seule serait conceptualisable par un symbole objectif comme émotion première tandis que tous les autres mots qui en dériveraient ne seraient qu’une manière subjective de se comporter dans le monde, en rapport avec les choses du monde. Ce serait un mot qui accaparerait toute l’attention et requerrait que l’on se mette à vivre à travers lui ; une manière d’être fondamentale, qui filtre la dimension intérieure exprimée par lui. Penser avec effort à un mot que l’on ressent « profond » : réorganiser depuis ce mot tout son système de pensée, toute sa manière d’être au monde101. Mais ce mot n’est pas nécessairement un mot qui désigne une émotion, se rapporte à ce que serait une émotion. C’est un mot qui fait vivre cette émotion fondamentale. N’importe quel mot en ce sens est susceptible de faire ressentir cette émotion ; mais en ce qu’il s’agira d’un mot commun, il ne pourra pas être employé pour désigner l’émotion fondamentale : il sera subjectif et compris comme émotion seulement de la personne qui l’emploie.
Les autres mots accaparent l’émotion à eux, mais avec moins de puissance en ce qu’ils réveillent des sensations moins profondes. Si ce mot est « aimable », harmonieux, c’est que le corps l’a ingéré et absorbé, le comprend, vit avec et s’y appuie. Si le mot est incompréhensible, crée une brisure, un désagrément, c’est qu’il n’a pas été compris, que le corps a une lacune ; on ne peut se réorganiser autour, on hésite, on cherche d’autres solutions, on ne peut : le mot est entré et on ne peut vivre tant qu’il n’a pas été à l’harmonie des mouvements possibles. C’est l’anxiété qui opprime. La brutalité fait ainsi entrer en soi des mots qui s’entrechoquent et ruinent la sensibilité, défient la liberté.
On en déduit qu’un être analphabète ne connaîtra que plaisir et douleur, ne comprendra que les mots violents. Un être érudit connaîtra une subtilité dans la gamme des émotions aussi large que son lexique. Les expressions puissantes le feront fuir parce qu’elles anéantiront toute la vérité de son engagement au monde qui n’est que subtilité et déclinaisons délicates. Il disposera contre la vulgarité d’une infinité de manières d’être102, d’être en lien avec les autres. Exprimer une émotion est pour lui l’énonciation de la vérité, qui est une socialisation103. De cela, on déduit aussi que la connaissance de la gamme des émotions n’est pas différente de celle du lexique en général : c’est toujours soi que l’on apprend à connaître et à soi que l’on donne des manières d’être. Il est tout aussi aberrant de penser que l’on a des sentiments différents par avance en soi que de prétendre que les mots soient des choses104. Tout est question de vocabulaire, les émotions n’« existent » pas, pas davantage que les choses n’« existent ». De la même manière que l’on nomme ce qui se distingue sur un « fond105 », on nomme l’émotion qui donne un sens dans un énoncé qui déplace, meut, offre un mouvement à qui le lit, s’en absorbe. Un mot est toujours une manière d’être, c’est-à-dire qu’il avive une émotion et fait opérer un mouvement. Les noms d’émotions ont cependant cette caractéristique de ne viser à exprimer qu’un ressenti intérieur, c’est-à-dire un engagement total de soi. C’est le propre de leur champ lexical de viser la vérité, et non leur « réalité » qui, comme pour tous les mots, est celle de l’intériorité et du sens. On conclut que connaître les émotions, c’est avoir une existence sociale et que le besoin de maîtriser le lexique émotionnel se limite à qualifier les relations que l’on entretient avec les autres, dans la conscience que l’on prend de son engagement dans le monde. Ne pas posséder de lexique émotionnel, c’est s’interdire par avance la compréhension de ses émotions, c’est-à-dire le rapport que l’on entretient aux autres, c’est-à-dire son mode d’engagement dans le monde – vivre comme un individu106, un homme sans qualités107.
Si donc l’art a vocation à faire nommer l’émotion, les idées, susciter des images, fonctionner par la suggestion dans le but de neutraliser le récepteur, comme l’hypnose, c’est que l’art, fondamentalement, fait entrer en soi ; il vise à priver de la volonté, de l’autonomie. La docilité est obtenue par ce qui génère la multiplication des images et des pensées. Cela peut être un sentiment de décalage et de creusement en soi, plus ou moins important ; ou bien le suivi d’une ligne fluide qui se laisse parcourir avec rêverie. Bergson dit que c’est la multiplication des images et des idées qui donne l’impression de l’intensité de l’émotion : c’est vrai, mais en cela que ces images et idées sont elles-mêmes produites par la déstabilisation de l’être, qui soit absorbe et devient le spectacle, soit au contraire peine à l’incarner et ne ressent que des obstacles, des contradictions, des paradoxes. Il convient alors de différencier la neutralisation selon qu’elle opère un renforcement des obstacles au mouvement intérieur à poursuivre le sens de ce qui est vécu et engage la dislocation du corps ; ou qu’elle accélère ce parcours en soi par le rapatriement d’une foultitude de vécus mémorisés et contribue à rassembler l’être dans son unité. Le premier cas est une menace, le second une promesse. Il faut ici rappeler la valeur du lexique scientifique dans l’expression des émotions que nous avons citée tout à l’heure (inertie, attraction, intensité, etc.). Puisque les mots sont des manières d’être, l’inertie, l’attraction, sont encore des manières d’être, comme la gravitation et l’humiliation108.
Chez Sartre, l’émotion signifie une fuite, une évasion109, un refuge, une perte de liberté, une captivité110 – en somme, une dégradation de la conscience111. L’émotion naît d’un refus ou d’une impossibilité, d’une lacune ou d’un manque, d’une distension du corps. Il s’agit toujours pour le corps de s’adapter aux conduites, ce que le corps fait ou ne peut pas faire, veut ou ne veut pas faire112. Elle fait naître un monde magique113, un monde d’émotions comme il existe un monde du rêve114. On retrouve ici le monde animal ou substantiel des grammaires iconico-indiciaires où le monde n’est que sensibilité. Ce monde a ses lois propres, car on a reporté sur les choses sous forme de qualités les possibilités et les impossibilités des conduites115. La conscience a tendance à s’enfermer dans sa croyance, dans son monde magique, car elle n’a pas conscience de l’émotion, elle est l’émotion116. Sartre donne quatre exemples d’émotions qu’il explique à partir d’expériences de pensée (colère, tristesse, peur et joie). La colère naît d’une impossibilité physique qui fait rejeter un élément du monde pour ne pas avoir à poursuivre sans fin la quête impossible de l’atteindre ; la tristesse est un retrait du monde par incapacité à vouloir s’adapter à des conditions incompatibles avec notre manière d’être117 ; la peur est l’anéantissement d’un objet du monde, soit pour ne pas le vivre, soit pour ne pas revivre le souvenir qui s’y attache118