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"Tour du monde à arrêts multiples" est une exploration captivante du Sénégal, où essai et roman se mêlent pour révéler les richesses de ce pays. Découvrez à travers des personnages fascinants la culture vibrante, les rituels ancestraux, les dynamiques économiques, les paysages époustouflants, et les relations internationales du Sénégal. Chaque page vous plonge plus profondément dans un univers complexe et coloré, offrant une vue panoramique et vivante de cette nation.
À PROPOS DE L'AUTEUR
Amadou Lamine Sy, fonctionnaire sénégalais de renom, distille dans ses écrits toute la richesse de son expérience professionnelle. Cet ouvrage traduit la poursuite passionnée de la mission qu’il s'est assignée au service de l'État, proposant aux lecteurs une immersion profonde dans son riche parcours.
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Amadou Lamine Sy
Tour du monde à arrêts multiples
Essai
© Lys Bleu Éditions – Amadou Lamine Sy
ISBN : 979-10-422-3410-2
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
Avec une grande affection et une haute considération,
je voudrais dédier ce livre à ma mère,
Adjaratou Boury Ndiaye pour tout ce qu’elle a enduré
et pour son altruisme à se mettre
toujours au service des autres ;
à ma grand-mère, feue Sokhna Lobé Ndiaye,
à mon père feu El Hadji Boubacar Sy,
à ma tante feue Fatou Coura Ndiaye
et son époux partis trop tôt ;
à mon épouse Adjaratou Rouba Ndiaye
pour sa patience, son soutien et son amour
qui éclairent mon chemin ;
à mes enfants bien-aimés
qui constituent ma raison d’être ;
à mon oncle Fallou Ndiaye ;
à ma sœur feue Hadjatou Sy,
l’homonyme de ma fille aînée ;
à tous les membres de ma famille paternelle
et maternelle sans exception ;
avec une pensée pieuse à mon père adoptif :
feu Cheikh Niang,
à mes oncles feus Serigne Mor Ndiaye,
Dame Ndiaye, Cheikh Tacko Ndiaye et Mbagnick Ndiaye ;
à mes frères feus Mamadou Sy,
l’aîné de mon père, Cheikh Tidiane Sy,
Alioune Badara Sy, dit Guissaly, mon frère et ami
à tous mes amis sans exception
avec une pensée pieuse aux disparus ;
à toute la famille Bomienne.
L’écriture a été depuis toujours un moyen de libération et un canal d’expression pour l’homme. C’est d’autant plus vrai que d’illustres écrivains ont esquissé des pistes de réflexion ayant contribué à solutionner des problèmes tant individuels que collectifs. L’écriture demeure également une belle occasion pour faire part de son vécu, ses rêves, ses ambitions et ses anecdotes. Le présent ouvrage d’Amadou Lamine Sy n’en fait pas une exception.
En effet, ce livre s’inscrit dans une logique réaliste de la trempe des écrivains du XIXe siècle à l’instar de Zola, Stendhal ou un certain Balzac. Monsieur Sy nous décrit un univers qui lui est familier, son cadre naturel et son espace d’origine : Touba et ses réalités sociales, politiques, religieuses et culturelles. L’auteur n’a pas manqué à travers cet ouvrage de nous décrire les différentes étapes de l’homme qu’il est devenu, le conduisant successivement à la naissance, au processus de socialisation en passant par la phase de réalisation, son accomplissement en tant qu’adulte aspirant à de hautes responsabilités au sein de sa société.
Dans le même sillage, cet ouvrage d’Amadou Lamine Sy intitulé « Tour du monde à arrêts multiples » pourrait être considéré comme une invite à un enracinement tel que prôné par le poète-président Senghor, mais aussi une ouverture aux autres civilisations, cultures dans une perspective de métissage et d’interculturalité. Une thématique qui trouve sa pertinence dans ce monde d’aujourd’hui devenu de plus en plus violent, intolérant, xénophobe, acculturé où l’autre regarde son prochain avec méfiance, haine et suspicion.
L’ouvrage est donc venu à son heure à l’image d’une thérapie contre les pandémies les plus dévastatrices au XIXe siècle. Se limiter à cet angle de vue serait réduire l’ouvrage dans un carcan idéologique, dans la mesure où l’auteur y aborde parallèlement une thématique si chère à la citoyenneté : l’implication de l’individu dans les affaires de la cité.
Les remarques unanimes de ces dernières années au Sénégal ont fait apparaître un désengagement des citoyens des affaires de la cité, des affaires publiques. Un désintérêt et une désinvolture de leur part ont été notés. Ce désengagement causé par une raison objective ou subjective a poussé l’écrivain Amadou Lamine Sy à ausculter le mal et à esquisser des propositions pour juguler cette problématique des temps modernes.
Ainsi monsieur Sy marche sur les pas de ces illustres devanciers de la période postcoloniale qui incitaient les populations à une prise de conscience et à un sursaut patriotique pour prendre correctement en charge les questions de développement liées à l’amélioration des conditions de l’homme, l’accès à un habitat décent, une eau potable, une espérance de vie meilleure, mais aussi à amorcer des politiques publiques endogènes qui cadrent avec nos réalités socio-culturelles.
Soucieux d’authenticité, monsieur Sy s’appuie sur une abondante documentation qui lui permet de décrire son milieu de façon rigoureuse et précise. Cette méthode scientifique d’investigation lui permet de peindre fidèlement la réalité. Et, de fait, l’effet de réel naît bien de l’usage de termes techniques, de la transcription du langage, de la peinture rigoureuse et « objective » des hommes et de leurs activités.
La description est alors le mode d’expression privilégié du romancier réaliste : elle permet tout à la fois de « faire voir » et d’ancrer l’histoire dans la réalité.
À la croisée de l’autobiographie et de l’essai, le livre de Monsieur Sy est donc à lire absolument, tant il est une source d’inspiration intarissable aussi bien pour les jeunes, les moins jeunes que pour les adultes.
Je ne saurais terminer mon propos sans remercier l’auteur pour deux raisons fondamentales. D’abord, je me sens très honoré qu’il ait porté son choix sur ma modeste personne en me désignant comme préfacier. Ensuite, après avoir lu le livre de la première à la dernière page, je me suis rendu compte que Monsieur Sy n’a pas uniquement écrit ce livre pour raconter son enfance, mais au fond, à travers un récit très captivant, il a également raconté notre jeunesse à nous tous, nous qui sommes ses amis d’enfance et qui avons grandi avec lui à Touba. Les moments heureux et moins heureux qu’il relate dans cet ouvrage, avec un goût avéré pour les faits et la précision, sont des moments que nous avons effectivement passés ensemble à Touba, dans un contexte où les conditions de vie étaient loin d’être faciles, il y a une cinquantaine ou quarantaine d’années. Je me reconnais dans ce récit. Comme Monsieur Sy, nous sommes pour la plupart d’entre nous issus de familles modestes. Dès lors, nous n’avions aucun autre choix que de réussir. Dans cette perspective, l’auteur était, pour nous, une incarnation de cette volonté de réussir pour aider nos familles respectives et être utiles à notre localité et à notre pays. Personnellement, je me souviens d’Amadou Lamine Sy comme un ami d’enfance brillant doté d’une générosité intellectuelle incommensurable. C’est grâce à lui que j’ai par exemple connu les théories de l’État providence de John Maynard Keynes et les théories monétaires de Milton Friedman, avant même d’arriver à l’université quelques années plus tard. Si Monsieur Sy est aujourd’hui devenu un haut cadre de l’Administration publique sénégalaise, cela ne me surprend guère. En effet, il a toujours incarné le modèle de résilience et de persévérance, avec un sens élevé de la courtoisie.
À la suite de ces remerciements à l’endroit d’Amadou Lamine Sy pour avoir fait de moi son préfacier, je tiens à le féliciter très chaleureusement pour la publication de cet excellent livre qui, à ma connaissance, est le premier du genre d’un ressortissant de Touba qui raconte son enfance dans cette localité. Quiconque est intéressé par l’évolution sociale, économique et démographique fulgurante de Touba, ces cinquante ou quarante dernières années, trouvera dans ce livre une mine d’informations très importantes adossée à une analyse très fine. Cette évolution montre une ville qui, grâce aux prières de son Fondateur Cheikh Ahmadou Bamba dans son célèbre poème Matlaboul Fawzeyni et au sens très élevé du travail des mourides, est aujourd’hui devenue la deuxième ville du Sénégal. Bonne lecture !
Professeur Mor Faye
Sociologue et ami d’enfance de l’auteur
Une insomnie provoquée par une canicule exceptionnelle au mois de janvier, à Dakar, capitale du Sénégal, une presqu’île où les habitants étaient habitués à la fraîcheur en cette période de l’année, m’a fait entrer par effraction dans le monde de l’écriture. Comme plongé dans un tunnel sombre où jaillit une lumière qui éclaire et rend visibles des pages d’histoire jaunies, la soif et la faim de partager des idées et des souvenirs m’envahissent.
Cette envie de raconter des épisodes de vie est encore amplifiée quand dans le flot de mes pensées, je me suis rappelé que l’aiguille de mon thermomètre biologique a dépassé les 50o Celsius de température.
Au moment de jeter les premiers jets d’écriture qui marquent l’expression de mon amour au beau, à l’évasion, à l’engagement et à la liberté, je me retrouve coincé dans ma prise de décision. Faut-il entamer cette idylle par un roman, un essai ou un autre genre littéraire ? Mais lequel ?
Finalement, le présent ouvrage est un mélange d’essai et de roman qui parle du Sénégal dans l’espace et le temps, une réflexion reliée à mon parcours de vie. Je crois mettre à la disposition du lecteur une œuvre originale qui permet à tout citoyen du monde et à chaque Sénégalais en particulier de découvrir de multiples facettes de ce beau pays bien particulier d’Afrique, analysé sous le prisme d’un monde globalisé. D’où le titre Tour du monde à arrêts multiples.
Pour conclure, je voudrais adresser mes vifs remerciements aux chers lectrices et lecteurs de l’honneur que vous me faites de faire ce voyage avec moi en espérant qu’il suscitera chez vous un quelconque intérêt et une source d’inspiration dans une vie loin d’être un fleuve tranquille.
Bonne lecture !
La vie est une somme d’expériences qui mérite une auto-évaluation et un partage. L’écrit paraît être le meilleur moyen d’immortaliser et d’apprécier la richesse d’une vie.
C’est pendant ce cantonnement que l’homme passe au laser le chemin parcouru à vitesse grand V sans avoir le temps de regarder le rétroviseur : des océans et des montagnes traversés, du jugement de conscience, des erreurs commises, des échecs et des succès enregistrés, de la problématique de la résilience et des nouvelles pages de vie à ouvrir.
Cinquante ans est un âge idéal pour se prêter à cet exercice. L’homme devient mature et exigeant. Il est en pleine possession des cartes pour apprécier une vie sur ses différentes facettes à partir de son balcon, le regard vide fixé à l’horizon.
Cinquante ans est un temps suffisamment long pour vivre des pages d’histoires diverses et variées qui s’entremêlent et s’entrechoquent avec des pages d’actualités donnant une lecture réfléchie de la vie.
La vie dont il est question dans ce livre ouvre une page sur l’histoire du Sénégal, des interstices sur le brassage entre la royauté et les confréries, entre celles-ci et le pouvoir temporel, les questions démographiques, d’aménagement de l’espace et d’urbanisation d’une nation qui vient de quitter le berceau, d’un appareil administratif d’inspiration française et des relations de coopération internationale d’un pays en voie de développement.
Une vie qui jette un reflet sur celle du Sénégal : issu d’un brassage entre familles maraboutiques et royales, ayant le privilège de pratiquer la haute administration, en partant de la base à des pays différents, de séjourner dans une soixantaine de pays dans quatre continents, de participer à la plupart des débats internationaux de ces dernières années et enfin d’avoir le privilège de contribuer à la formation de plusieurs cadres destinés aux administrations publiques et aux entreprises privées du Sénégal et d’ailleurs.
Pour vu que ce travail d’exorcisation permette une meilleure connaissance et acceptation de soi-même à travers un effet de miroir obtenu sous un soleil ardent d’été tropical.
Ce voyage, auquel les lecteurs, surtout la jeune génération est conviée conduit vers une source d’abreuvage ou de bréviaire servant d’étalonnage dans une vie tumultueuse.
Une végétation indigène à perte de vue qui ne donnait aucun signe ou trace d’une civilisation humaine jadis prospère. Tel un décor de carte postale, souvenir emporté d’un pays lointain que seuls les voyageurs venant de loin, de très loin des Terres de Feu perdues derrière l’Océan pacifique, avaient le privilège de comprendre et de partager, après une dure journée passée dans le désert du Nevada.
Tel un film en boucle, des espaces sans finitudes rougeâtres et rocailleuses légèrement décorés de poacées, d’arbustes épineux et des buissons sur un sol lessivé défilaient sans arrêt.
L’empire du Djolof, fondé par Ndiadiane Ndiaye, « 1erBuur ba »1, florissant et dominateur dans un passé lointain, était devenu une contrée anonyme lors de l’accession du Sénégal à la souveraineté internationale.
Les terres arrosées et fleuries par des eaux de pluies diluviennes et souterraines à fleur de peau avaient fini de laisser place à une désertification et une érosion, déstabilisantes pour un écosystème déjà fortement éprouvé.
Peuplés en majorité d’éleveurs, ces derniers peinaient à trouver des pâturages pour leurs troupeaux sur des terres arides que des troupeaux de dromadaires et de chameaux venus de pays tiers leur convoitaient. Des frontières poreuses et artificielles ne pouvaient pas, de toute façon, résister à cet instinct de survie animal.
La hausse des températures poussait les éleveurs de cette zone sahélienne à transhumer toujours plus loin.
Le dérèglement climatique, en impactant aussi les activités agricoles, constituait une menace insidieuse à la paix sociale et à la concorde des populations en raison des conflits fréquents entre agriculteurs et éleveurs pour le contrôle des rares points d’eau existants sur place et de l’incursion des troupeaux des seconds dans les champs des premiers, faute de pâturage suffisant.
Les routes bitumées ainsi que les pistes en latérite étaient peu développées ; pis, celles qui existaient et reliaient les villes de l’ancien royaume du Djolof, Yang-Yang, Thiengue, Sagatta, Ouarkhokh, Thiel, Mouye ou Mbeleukhé, étaient devenues sablonneuses et impraticables.
Un air suffocant, chargé de particules fines, rendait la respiration difficile. La nappe de poussière provenant du désert du Sahara était source de maladies comme l’asthme, la bronchite chronique, la sinusite et d’autres maladies respiratoires et dermiques. De nouvelles maladies humaines et animales faisaient leur apparition dont la dengue, la corona, la peste porcine africaine, la grippe aviaire, la fièvre aphteuse et les maladies chroniques.
Comme dans un passage de témoin, les familles royales étaient de plus en plus confinées au second plan par celles qui étaient considérées comme des habitants de seconde zone.
Ces braves personnes, au prix d’innombrables sacrifices et de clairvoyance, avaient, entre-temps, envoyé leurs progénitures à l’école qui sont devenues des fonctionnaires, de hauts cadres dans un secteur privé national embryonnaire ou des officiers dans l’armée naissante de la République.
Jadis terre d’accueil, berceau du Sénégal, les djolof-diolof quittèrent en masse leur Djolof chanté et glorifié, à la recherche d’un paradis d’Eden perdu ou pour répondre à l’appel des nouveaux foyers de pouvoirs que constituaient les capitales religieuses : Touba, Tivaoune, Kaolack, Yoff, Ndiassane et autres.
Un système de vases communicants facilité par des relations fortes qui existaient entre la royauté et les marabouts depuis les temps immémoriaux.
Depuis longtemps qu’on remontait le temps, les familles maraboutiques avaient entretenu des relations avec les cours princières.
De ces relations faites de cordialité et d’estime réciproques naquit un brassage entre familles maraboutiques et familles royales.
Nous étions aux premières années de l’indépendance du Sénégal. Un gouvernement national venait de se substituer au pouvoir colonial, mais dans la continuité au regard de l’organisation et de la méthode de gouvernance mises en place par les pères fondateurs de la jeune République.
Les « maîtres Ndoffènes » avaient fini de remplacer les « maîtres Jacques », en gardant sur le plan du management, un style unidirectionnel et vertical s’appuyant sur des relais autochtones, des autorités déconcentrées savamment choisies pour encadrer et accroître davantage l’autorité d’un pouvoir politique très centralisé qui se cherchait encore.
Dans une bourgade, siège d’une communauté religieuse musulmane appelée communément confrérie, le Calife général, un homme de son temps, dynamique et visionnaire, avait choisi, sous son magistère, de nouer avec tact une forte alliance avec le pouvoir politique. C’était ainsi qu’une sorte de mariage de raison avec le pouvoir politique était née.
Ce gentleman agreement était gage d’une consolidation de leurs pouvoirs respectifs encore fragiles. Ces deux pouvoirs étaient embarqués sur le même bateau et il dépendait de chacun d’eux d’empêcher le Sunugal2de couler.
À cette époque du début des indépendances et de succession au califat dans cette communauté, les facteurs de déstabilisation internes et externes étaient perceptibles des deux côtes. Ce qui confortait la pertinence de cette alliance stratégique entre les pouvoirs temporaire et religieux.
Au sein de la jeune république sénégalaise existait un paradoxe. Si la démocratie était la loi de la majorité, le premier président du Sénégal indépendant était issu d’une double minorité3. Il était chrétien et sérère.
D’autre part, le Sénégal était dans un îlot de stabilité entouré d’un océan de pouvoirs militaires et instables, en bref, de dictatures. Cela l’obligeait à bâtir des consensus forts, pour se parer aux multiples risques auxquels son pouvoir était exposé.
La fin de la Deuxième Guerre mondiale coïncidait avec le renouvellement des califats dans la plupart des confréries du Sénégal. Ce fut une période très agitée parce que les règles du jeu de la transmission du pouvoir ne semblaient pas encore claires et acceptées au sein des familles maraboutiques, amenant des petits-fils puissants et très connus au sein de leurs communautés et ailleurs à se disputer avec des oncles qui venaient à peine de sortir de l’anonymat liés au fait qu’ils ne voulaient pas faire ombre à leurs ainés lorsque ces derniers assumaient les charges de calife.
Le « maître Ndoffene », représentant de l’État central dans cette localité religieuse, du nom de Birama, avait des relations privilégiées, empreintes de confiance avec le Calife général de la communauté qui le consultait sur toutes les questions, en particulier, celles concernant la gestion de sa localité en pleine expansion.
Birama était un dandy, un homme de taille moyenne, environ 1,77 m, altier et très élégant dans ses costumes blancs ou noirs ainsi que dans ses boubous traditionnels soigneusement choisis et ses lunettes Ray Bande noires à la monture dorée.
Très souvent, des personnes attirées et émerveillées par sa classe et son urbanité lui demandaient s’il n’était pas Saint-Louisien.
Saint-Louis était la première capitale du Sénégal et la première ville en contact notamment avec les missions « civilisatrices » de l’Empire ottoman, mais surtout de la France. Elle symbolisait le raffinement et le savoir-vivre. Saint-Louis renvoyait aux « Signares »4 sur leurs calèches colorées ou dandinant en mode défilé dans les rues de la petite île au coucher du soleil.
Les arrière-grands-parents de Birama étaient issus d’une grande famille érudite du Fouta. Dans leur pérégrination à partir du village de Sinthiou Mogo5, une partie de la famille s’était installée dans les régions Centre et l’autre avait poursuivi sa route vers le Saloum et le Boundhou.
Jusqu’à sa mort le père de Birama était resté à Ndiagne dans la région de Louga où il tenait un daara6 et travaillait comme Cadi ou juge musulman.
Birama était un rescapé. Parmi ces frères et sœurs, il était l’un des rares à fréquenter l’école française et à devenir instituteur. Il avait capitalisé une grande expérience dans ce métier noble, avant de rejoindre l’Administration territoriale.
Ces origines maraboutiques et son passé de pédagogue lui avaient été d’une grande utilité dans ses nouvelles fonctions de représentant de l’État dans une localité religieuse. Sa reconversion professionnelle s’était déroulée comme lettre à la poste au grand bénéfice de ses administrés qui l’aimaient bien. Il était également très apprécié par le pouvoir central dont les nombreuses lettres de félicitations et son élévation aux grades de l’Ordre national du mérite et du Lion en étaient une parfaite illustration.
Partenaire et confident du marabout, le représentant de l’État assistait ce dernier dans l’administration de sa communauté, mais aussi au renforcement de son leadership au sein d’une confrérie issue du terroir en pleine expansion, en dépit, d’une occupation du terrain par des Tariqa venus d’ailleurs.
Cela n’était pas une mince affaire à cette période marquée par des contestations internes.
Birama avait bénéficié d’une promotion exceptionnelle dans sa carrière. Après un bref passage comme commandant de Cercle dans une circonscription administrative faisant partie des plus convoitées, il était promu préfet, couvrant la localité du marabout, après la réforme de 1964, par le truchement de son ami et Calife, qui avait intercédé auprès du premier président de la République du Sénégal, suite à une affectation précipitée de celui qui occupait le poste, pour des raisons inconnues du public.
La préfecture était un petit palais avec ses jolis bâtiments et son jardin aux dimensions immenses, au milieu duquel on pouvait apercevoir un grand monument surplombant une fontaine aquarium d’eau douce où jaillissait une lumière arc-en-ciel.
Le préfet était chargé de l’Ordre public dans son ressort et assurait la coordination de tous les services de l’État dans le département et avait le monopole des correspondances, dans les deux sens, avec le pouvoir central. Ces comptes rendus réguliers à l’autorité suprême du pays n’étaient pas indifférents aux chefs de services départementaux qui pouvaient en subir des conséquences.
Il pouvait s’agir d’une demande d’explication, d’une affectation ou d’un enlèvement de son poste sans ordre d’affectation ou d’affectation dans une localité périphérique. A contrario, une sanction positive pouvait aussi en découler, notamment une lettre de félicitations, une promotion ou une décoration dans les différents Ordres nationaux de la République.
Des réunions étaient régulièrement tenues pour suivre et faire progresser le projet territorial de l’État (PTE). Le PTE avait l’ambition d’une déclinaison départementale des politiques publiques de l’État. Pour rien au monde, les chefs de service ou autres personnalités invitées ne manquaient, sans raison valable, à ces rencontres. L’État était vécu dans toute sa plénitude et sa complétude, durant les premières années de l’indépendance.
Vu l’importance du département de son ressort, le contact de Birama avec le président de la République était quasiment quotidien, lequel faisait des descentes régulières connues ou inconnues des populations pour rendre visite à son ami et Calife général.
La société sénégalaise était fortement hiérarchisée, mais heureusement les riches et les pauvres fréquentaient encore la même école, l’école de la République qui reconnaissait tant bien que mal le mérite, quelle que soit l’origine sociale ou territoriale.
Lieu de socialisation, l’école permettait d’effacer les différences : la pauvreté et la richesse, le rural et l’urbain, le blanc et le noir, la personne bien portante et la personne vivant avec un handicap, le faible et le fort, et le genre.
Le port de tenue offerte par l’État, la gratuité des frais pédagogiques, le système d’internat et de bourse à partir du collège, la distribution des fournitures et même de nourriture (lait, sardines, etc.) faisaient une remise à plat des chances de réussite de tout le monde.
Tous les coureurs partaient sur la même ligne de départ et étaient soumis aux mêmes règles d’évaluation, des règles prévisibles et neutres.
Une jeune fille appelée Coumba, issue d’une famille de migrants internes, belle, intelligente et scolarisée, fréquentait le beau logement de fonction de Birama, contigu à la préfecture et situé au cœur de la ville, percé sur le point culminant de la localité.
La maison du représentant de l’État avait un grand jardin magnifique toujours bien taillé, entouré de belles fleurs multicolores entretenues avec un rare soin par un jardinier professionnel faisant partie du personnel domestique affecté à la préfecture, dans lequel étaient disposés des bancs peints en blanc, mais également des transats de même couleur pour se détendre.
Le jardinier de la préfecture recevait le renfort d’une équipe de prisonniers venant de la maison d’arrêt et de correction de la ville, pour des travaux d’intérêt public, sous la surveillance de gardes pénitenciers, à l’approche de grands évènements, périodes pendant lesquelles, la préfecture était lavée à grand eau.
Cette fille précoce était dans la même classe que l’un des enfants de Birama. Néanmoins, aussi bien ce dernier que son épouse n’admettaient pas cette fréquentation qui violait les règles de préséance et de respect de la hiérarchie sociale.
Une pause finissait par être observée dans la fréquentation de la maison de l’autorité exécutive de la localité. La jeune Coumba n’osait plus remettre ses pieds dans cette demeure depuis que des menaces à peine voilées étaient sorties de la bouche de la maîtresse des lieux.
Cette maîtresse des lieux qui faisait peur à Coumba était paradoxalement très gentille et serviable. Cette toubabesse faisait partie des premières cohortes d’instituteurs du Sénégal ; plus gradée que son mari, elle était une grande dame de petite taille, raffinée et sophistiquée.
Méticuleuse et organisée, seule sa peau la différenciait des Toubab. Elle aimait porter des talons et roulait les « r » en parlant un français châtié. Elle avait parfaitement su concilier vie familiale et vie professionnelle.
Contrairement aux appréhensions et à la perception de départ, elle s’était montrée des années plus tard, très attachée au fils de Coumba qu’il accueillait avec beaucoup d’affection et de tendresse à chaque visite à Birama. Cela malgré tout, n’avait pas changé la perception de Coumba qui continuait à douter de sa sincérité.
La jeune Coumba, issue d’une grande famille royale, s’était installée dans la localité religieuse, suite au décès de son vieux père, en 1958, qui fut un grand ami et parent du Calife général.
En guise de reconnaissance et par amitié à cet ancien fonctionnaire des impôts de l’Administration coloniale, le Calife général avait demandé à sa mère qui vivait seule dans la maison familiale, une maison jadis attractive et très animée, de venir s’installer dans sa localité.
Le père de Coumba était un patriarche, musulman, polygame à plusieurs femmes. Il avait de nombreux enfants dont les plus âgés étaient devenus de grands commis de l’État à sa mort. Tel père, tel fils, dit le proverbe. La reproduction des élites est une histoire universelle très ancienne.