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Jean-Antoine About passait pour un homme étrange dans le quartier de la place Vintimille. Son âge était difficile à déterminer. « Moi, je suis sûr qu’il a soixante ans bien sonnés », disaient certains. D’autres voyaient en lui un homme mûr prématurément vieilli. Bien qu’il fût venu habiter le quartier au commencement du siècle, ce n’était que depuis cinq ou six ans que tous le connaissaient de vue. Sa mise négligée, sa saleté, son air hagard avaient attiré l’attention. Mais ce qui intriguait surtout les boutiquiers des rues avoisinantes, c’était qu’il demeurât dans un immeuble bourgeois, flanqué aux deuxième et cinquième étages d’un balcon de la longueur de la façade.
Un Père et sa Fille, Emmanuel Bove.
Emmanuel Bove, né le 20 avril 1898 à Paris 14e et mort le 13 juillet 1945 dans le 17e1, est un écrivain français, connu également sous les pseudonymes de Pierre Dugast et Emmanuel Valois.
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UN PÈRE ET SA FILLE
Jean-Antoine About passait pour un homme étrange dans le quartier de la place Vintimille. Son âge était difficile à déterminer. « Moi, je suis sûr qu’il a soixante ans bien sonnés », disaient certains. D’autres voyaient en lui un homme mûr prématurément vieilli. Bien qu’il fût venu habiter le quartier au commencement du siècle, ce n’était que depuis cinq ou six ans que tous le connaissaient de vue. Sa mise négligée, sa saleté, son air hagard avaient attiré l’attention. Mais ce qui intriguait surtout les boutiquiers des rues avoisinantes, c’était qu’il demeurât dans un immeuble bourgeois, flanqué aux deuxième et cinquième étages d’un balcon de la longueur de la façade.
Cette maison, dont Jean-Antoine About habitait un des deux appartements du quatrième, se trouvait dans une rue toute proche du square Vintimille, si bien qu’en se penchant à la fenêtre il apercevait une partie de la grille et les premiers bosquets du jardin. Souvent il s’accoudait à la dernière croisée de l’appartement. C’était justement celle d’une chambre incommode à cause du mur en biais qui touchait l’immeuble voisin. Aussi ce réduit avait-il été aménagé en salle de bains et servait-il de cabinet de débarras.
Jean-Antoine About s’était installé là un petit coin, ce dont sa femme, au temps où elle avait partagé sa vie, se moquait en ces termes : « Il te faut toujours des petits coins !… » ou bien : « Tu ne peux donc pas vivre sans cagibi ? »
De cet endroit, il distinguait un tiers de la place du square, ce qui l’exaspérait lorsqu’un accident se produisait ou que des gens se disputaient car, en ces circonstances, un seul des interlocuteurs ou seulement le devant d’une automobile se présentait à ses yeux. S’il était habillé, il sortait alors, se mêlait aux curieux et guettait les fenêtres pour faire signe que « cela valait la peine de descendre ». Mais il suffisait que ce signe vînt de lui pour qu’aucun des locataires accourus aux fenêtres ne bougeât.
On le fuyait. Des gens se retournaient à son passage, d’autres s’écartaient comme auprès des ivrognes de qui l’on redoute un pas de côté. Il regardait les femmes d’une façon si impertinente que les mères, à son approche, enfermaient leurs filles, que des passantes, pour le braver, ne baissaient pas les yeux cependant que d’autres s’appliquaient à l’ignorer. Il s’arrêtait devant les magasins pour contempler les serveuses. On disait qu’il fallait le conduire au commissariat. Plusieurs commerçants avaient menacé de lui donner une correction. Il fréquentait des gens louches, sans faux col, chaussés de bottines voyantes, en compagnie desquels il avait été aperçu dans des cafés. Finalement, sur la prière de nombreux habitants du quartier qui avaient établi une sorte de pétition, la police fit une enquête. Mais celle-ci ne donna aucun résultat.