Un soir d'hiver - Dominique Détune - E-Book

Un soir d'hiver E-Book

Dominique Détune

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Beschreibung

Un soir d’hiver, par le plus grand des hasards, un homme reçoit un appel d’une inconnue. Contre toute attente, un mot en entraînant un autre, la magie opère, la confiance s’installe. Au fil de la conversation, submergés par l'émotion, ils expriment leurs douleurs mettant ainsi à nu leurs sentiments. Un moment d'échange, une douce rêverie, dans l’amitié la plus totale, pour une nuit ou pour la vie…


À PROPOS DE L'AUTEUR


Amoureux inconditionnel de Paris, Dominique Détune s’y promène, encore et toujours. Depuis des années, il collectionne des photos de street art avec passion. Il a également écrit quelques guides sur la capitale et plusieurs romans qui, tous, se déroulent dans son quartier préféré : Belleville. Un soir d’Hiver, lui aussi, vous emmène au cœur de la rue de Palestine.

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Seitenzahl: 144

Veröffentlichungsjahr: 2022

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Dominique Détune

Un soir d’hiver

Roman

© Lys Bleu Éditions – Dominique Détune

ISBN : 979-10-377-5992-4

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivante du Code de la propriété intellectuelle.

C’est un soir d’hiver à Paris.

Nous sommes fin février.

Le froid s’est installé depuis une semaine et les rues sont bien sombres la nuit.

Une fine pluie glaciale tombe sur quelques rares passants.

Il est un peu plus de vingt-trois heures.

On est au 14 rue de la Palestine, à Belleville, non loin du métro Jourdain.

Troisième étage gauche.

Sans ascenseur.

Victor est allongé sur le canapé du petit salon.

Seule, une lampe distille une lumière blafarde dans la pièce.

Sur la table basse, une bouteille de mauvais whisky entamée à moitié, deux ou trois canettes de bière vides, une bouteille de Coca-Cola presque bue et les restes d’une pizza qu’il a à peine touchée.

Victor fume cigarette sur cigarette.

Les cendriers sont remplis de mégots consumés jusqu’au filtre.

Il aimerait peut-être écouter de la musique mais rien ne le tente.

Plus rien ne le tente.

Il est vêtu d’un vieux jean et d’un tee-shirt informe qui vient de Londres.

Il fait chaud dans la pièce.

Trop chaud.

Bien trop chaud.

Le chauffage est mis à fond.

Victor se ressert un verre de whisky-Coca et s’en va dans la salle de bain soulager sa vessie.

L’image de son visage que lui renvoie le miroir au-dessus du lavabo n’est guère réjouissante : les traits sont tirés, des cernes se dessinent sous ses yeux, la barbe d’une semaine achève de noircir le tableau…

Mais il n’en a cure…

Victor a mal.

Mal à l’âme…

Depuis deux semaines, il a trente-cinq ans.

Personne ne lui a souhaité son anniversaire.

Personne n’a pensé à lui.

Victor a si mal qu’il ne peut plus pleurer.

Ne veut plus pleurer…

Trop de larmes ont été versées, trop de sanglots se sont déchaînés.

Comme un flot ininterrompu de chagrin.

Depuis deux semaines, il n’est pratiquement pas sorti de chez lui.

Sauf pour faire quelques courses : un peu à manger et beaucoup à boire et à fumer…

Il règne un silence inquiétant dans la pièce.

Un silence lourd.

Pesant.

Comme si le lieu était inhabité.

Soudain, le téléphone sonne.

C’est le fixe.

Victor n’a plus de portable.

Il l’a égaré un soir et ne l’a jamais retrouvé.

Ni vraiment cherché.

Le téléphone sonne.

Une fois, deux fois, trois fois et plus rien…

Qui peut donc appeler à presque minuit ?

Des copains, Victor en a.

Ou plutôt en avait.

Mais ce ne sont que des copains et depuis deux semaines, ils ne se sont guère manifestés…

Des amis, Victor n’en a pas.

N’en a plus.

Il n’a pas décroché pas…

Cinq minutes passent, le temps d’avaler deux ou trois gorgées du mélange whisky-Coca.

Victor grimace.

Chaque fois qu’il avale ce breuvage, il est pris de frissons.

Et le téléphone sonne à nouveau.

Une fois, deux fois, trois fois, quatre fois.

Et Victor décroche.

« Allô, David ? dit une voix féminine.

— Non ! Vous faites erreur.

— Oh, excusez-moi, j’ai dû me tromper de numéro. J’espère que je ne vous ai pas réveillé. »

La voix est douce.

C’est presque un murmure.

« Ne vous inquiétez pas, je ne dormais pas…

— Tant mieux, vous me rassurez. Donc je ne suis pas au 01 44 72 08 37 ?

— Si, c’est mon numéro.

— Vous en êtes sûr ?

— Je crois, ça fait plus de cinq ans que je l’ai.

— Alors on m’a donné un faux numéro. Je suis désolée de vous avoir dérangé. Je vous souhaite une bonne nuit et…

— Attendez…

— Oui ?

— Je… Je suis tout seul et…

— Ben voyons.

— Ce n’est pas ce que vous avez l’air de croire.

— Je sais ce que je crois. Bonne soirée.

— Mais personne ne m’a appelé depuis plus de deux semaines et… »

L’interlocutrice a raccroché.

Et Victor se sent encore plus seul.

Il allume une énième cigarette, finit son whisky-Coca et caresse sa barbe.

Il sait que le sommeil ne viendra pas ou alors très, très tard.

Au petit matin, peut-être.

Ce sera un sommeil agité, ponctué de mauvais rêves.

Il aimerait arrêter de penser.

Il aimerait que les images qui l’assaillent en permanence cessent enfin.

Il aimerait dormir, dormir et encore dormir.

Et oublier.

Surtout oublier.

Oublier Emma et Louise.

Pour toujours.

Mais ça, il sait que c’est impossible.

Soudain, le téléphone sonne à nouveau.

Une fois, deux fois… et Victor décroche.

« Je crois que je vous ai raccroché au nez, dit la même voix de femme, presque dans un chuchotement.

— Ce n’est pas grave. Et… et je vous comprends. Il y a tellement de…

— C’est David qui m’a donné votre numéro.

— Je ne connais pas de David.

— Moi si ! Et apparemment, je dirais malheureusement.

— Moi, je suis Victor.

— Et moi Mathilde.

— …

— Vous êtes là ?

— Oui, je suis là.

— Vous n’avez pas l’air d’avoir la grande forme…

— C’est le moins qu’on puisse dire.

— Vous voulez qu’on se parle un petit peu ?

— Je ne sais pas. Enfin oui. Oui, on peut discuter un peu.

— Vous habitez où ?

— À Belleville. Dans le 19e arrondissement.

— Je ne connais pas très bien…

— Et vous, vous êtes où ?

— À Coubron.

— C’est où ça ?

— En Seine Saint Denis, à la limite de la Seine-et-Marne. Il n’y a que 4800 habitants. C’est comme un village !

— Je viens d’apprendre quelque chose.

— L’aspect rural de Coubron tranche avec le reste des communes du département. D’ailleurs, il…

— Je ne vais pas bien. Pas bien du tout. Je suis…

— Racontez-moi.

— Je ne sais pas par où commencer. C’est en même temps affligeant de banalité.

— La souffrance n’est jamais banale, Victor. Croyez-moi, je suis bien placée pour le savoir.

— Je vous crois. Mais qui est donc ce David qui vous a donné mon numéro de téléphone ?

— Moi par contre c’est d’un banal ! Je l’ai rencontré hier à une soirée. Je croyais qu’on se plaisait et on a échangé nos numéros. Il m’a dit qu’il m’appellerait ce soir et puis…

— Et puis vous avez attendu, attendu et attendu qu’il vous contacte et en désespoir de cause, vous avez appelé chez moi. Il s’est moqué de vous !

— Voilà, vous savez tout.

— Même le reste ?

— C’est-à-dire ?

— Tout ce qu’on ne dit jamais parce que… parce que…

— Parce qu’on a peur. Peur du ridicule ou de ne pas être compris.

— Je peux vous demander votre âge Mathilde ?

— Je vous trouve un peu indiscret, mais je vais vous répondre : 55 ans depuis six mois. Et vous ?

— 20 de moins et 15 de plus que vous depuis un mois.

— Vous me faites rire. Ne m’en veuillez pas…

— C’est bon de savoir que quelqu’un rit ! »

Elle est douce.

Musicalement douce.

La voix d’une inconnue dont il se sent soudain infiniment proche. Victor est allongé sur son canapé.

Il se redresse, allume une cigarette, se ressert et boit une rasade de son mélange whisky-Coca.

Étrangement, il se sent mieux.

Cette voix d’une inconnue, outre le fait qu’elle l’intrigue, lui fait oublier, ne serait-ce qu’un temps, la noirceur du quotidien.

Un silence s’est installé.

Personne n’a raccroché.

« J’ai deux enfants, Victor. Un garçon et une fille.

— Moi j’ai une petite fille de quatre ans et demi. Elle s’appelle Louise. Elle est toute belle avec de longs cheveux bruns et de grands yeux bleus interrogateurs.

— Les miens se prénomment Maryline et Franck.

— Je pense qu’ils sont grands.

— Franck a 30 ans et Maryline 22…

— Je ne vois plus ma fille depuis un mois et demi.

— …

— Sa mère est folle.

— Folle ?

— Non. Ce n’est pas le bon terme. Elle est… elle est… je ne trouve pas le mot.

— Alors, racontez-moi votre histoire, je trouverai peut-être le mot qui manque.

— Il y en a pour des heures.

— Ce n’est pas grave. J’ai tout mon temps et je n’ai absolument pas envie de dormir. Et je ne bosse pas demain…

— Alors on peut se faire un café…

— Excellente idée. Vous ne raccrochez pas. Je vais dans ma cuisine me faire couler un jus.

— Je vais faire comme vous… »

Et Victor se retrouve à presque minuit dans sa cuisine.

Il regarde le monceau de vaisselle accumulée dans l’évier, les reliefs de repas à peine entamés, les bouteilles vides.

Plus d’un mois à ne rien faire qu’à attendre, pleurer et se lamenter.

Plus d’un an dans la totale incompréhension de ce qui lui arrive…

« Au moins, ce coup de téléphone m’a ouvert les yeux ! murmure-t-il. Demain, je range. »

Il fait couler son café, retourne sur son canapé et reprend le combiné.

« Vous êtes là Mathilde ?

— …

— Mathilde ?

— …

— Mathilde ?

— Oui !... Je vous ai manqué ?

— Peut-être. Je ne sais pas. Oui, sûrement…

— Mon café coule et le vôtre ?

— Il est bientôt prêt. J’ai une cafetière italienne.

— Je vois…

— Il va falloir que j’y retourne.

— Moi aussi. Prenez votre temps. On a toute la nuit devant nous !

— J’y vais… »

Et Victor murmure : « On a toute la nuit devant nous… »

Il sent comme une douce chaleur envahir son corps, des ondes positives viendraient presque dans son cerveau.

Qui est donc cette Mathilde ?

Il a hâte de la retrouver…

« Victor, vous êtes là ?

— Oui, je suis là…

— Votre café vous le prenez avec du sucre ? Moi, c’est sans.

— Moi c’est avec.

— Nous ne sommes pas de la même école…

— Je crois.

— …

— Qui est donc ce David qui donne mon numéro ? Vous ne m’avez quasiment rien dit sur lui…

— David, parlons-en ! J’étais hier à une soirée un peu arrosée, même bien arrosée et un homme, cet homme, ce David, m’a carrément draguée, façon un peu lourde, mais sympa en même temps.

— Je vois.

— Non vous ne voyez pas… Parce qu’en prime, outre ses 40 ans, il n’est pas mal du tout.

— Bref un très beau mec !

— On peut le dire. Et au moment où je partais il me laisse son téléphone et moi le mien. Maintenant, on ne donne plus son fixe, on confie son numéro de portable. Et bien lui, non. Je lui demande pourquoi. Il me répond qu’il n’en a plus, qu’il se l’est fait voler la veille… Il ajoute avec un humour à couper au couteau : au moins, le fixe, il ne bouge pas !

— Je vois…

— Comme je vous l’ai dit il y a un instant, vous ne voyez pas.

— Qu’est-ce donc que je ne vois pas ?

— J’étais comme une adolescente de 15 ans devant ce bel éphèbe qui s’est bien moqué de moi : il devait sans faute m’appeler ce soir !

— Sans lui, vous ne me parleriez pas.

— C’est vrai. Et ce serait dommage… »

Victor allume sa dernière cigarette.

Il boit son café par petites gorgées et se sent étrangement presque bien.

Non il n’est pas bien.

Et Mathilde égrène les dix chiffres de son numéro.

Le lien devient enfin solide.

Le canot ne prend pas l’eau. Il est en confiance.

En confiance avec une inconnue dont il ne connaît que la voix et le prénom.

Le téléphone est devenu son radeau de survie dans l’océan démonté de sa tristesse et de sa solitude.

Cette pensée résonne en lui.

Mathilde.

Mathilde, tu es mon canot de sauvetage, ne me laisse pas, sont les mots qu’il pourrait dire.

Le fil avec elle est ténu : son numéro ne s’est pas affiché sur le combiné.

Elle doit être sur liste rouge.

Comme une transmission de pensée, elle lui dit :

« Victor, je vais vous laisser mon numéro. Je ne sais pas pourquoi, mais je vous fais confiance. Vous notez ?

— Merci Mathilde. Je dois juste trouver un stylo qui marche !
— Seriez-vous donc mal équipé ?
— Disons que c’est un peu le foutoir chez moi. Mais je vous écoute… »

L’océan est presque calme.

« Victor…

— Oui…
— Dites-moi ce qui vous fait mal. Avant ce café, vous m’aviez dit que vous pouviez raconter vos souffrances…
— Vous dire ? Je ne sais pas comment le formuler.
— Avec vos mots. Comme ça vient.
— Il y a un peu plus d’un an, ma femme m’a quitté, je ne sais même pas pourquoi. Elle est partie soi-disant chez un ami et moi je suis le dernier des connards.
— Mais non !
— Mais si, elle l’a dit au téléphone à cet ami avant de partir… je cite : tiens voilà mon connard de mari.
— Pourquoi ces mots ?
— Je ne sais pas, une heure après, elle partait. À Paris 20e, rue des Panoyaux. Tu parles d’une rue sordide !
— Même si je ne connais pas, je préfère mon Coubron !
— Enfin ce que je vous raconte, c’est plus compliqué et j’ai peur de vous ennuyer !
— Non Victor, je peux tout écouter. Je ne sais pas pourquoi, mais je me sens bien ce soir à vous entendre. Même si c’est triste et dur.
— C’était un mercredi soir. Il y a un tout petit peu plus d’un an… »

Victor sent que des images lui reviennent à l’esprit.

À profusion.

Des images violentes. Pas d’une violence physique. Non ! Une violence morale.

Il se dit que c’est peut-être pire.

Et que les plaies sont plus longues à cicatriser.

Il poursuit :

« C’était un mercredi. Je n’avais pas travaillé…

— Vous êtes prof ?

— En quelque sorte mais j’étais en congé ce jour-là. Je vous raconterai… »

Victor vient de se rendre compte qu’il a écrasé dans le cendrier sa dernière cigarette. Il a le choix : rester en communication avec Mathilde sans fumer ou descendre au café de la Place du Jourdain encore ouvert et acheter un paquet.

Et peut-être perdre Mathilde.

Même s’il a son numéro.

La perdre pour ce soir où il a vraiment besoin d’elle.

Celle-ci sent un trouble étrange dans sa voix.

Elle lui demande :

« Victor, que se passe-t-il ?

— Je n’ai plus de clopes…

— Je ne peux pas vous en passer. J’ai arrêté de fumer il y a dix ans.

— Je pense que je peux m’en sortir… Enfin j’espère !

— Courage… je suis là !

— Je sais et je vous en sais gré.

— Vous disiez que c’était un mercredi…

— Oui, en janvier. J’étais sorti avec ma fille au parc des Buttes Chaumont. Il faisait beau. On était allé au Guignol. Qu’est-ce qu’elle avait pu rire. Puis j’étais passé à la librairie Place du Jourdain et j’avais acheté un livre pour ma femme et un pour ma fille. Et puis… Et puis… C’est con et nul à la fois.

— Cela je ne le crois pas ! Nul, ça veut dire que toute votre histoire n’est rien. Votre souffrance est bien là…

— Vous avez peut-être raison.

— J’ai raison ! Vous disiez ?

— Emma, c’est le prénom de ma femme, est rentrée vers dix-huit heures dans un drôle d’état.

— Elle avait bu ou fumé ?

— Non elle était tout excitée. Elle nous a dit à peine bonsoir, a regardé en soupirant le livre que je lui avais offert, sans le moindre remerciement et s’est enfermée dans la chambre pour téléphoner.

— Elle ne voulait pas être dérangée… C’est…

— C’était la première fois qu’elle s’enfermait ainsi dans la chambre. Comme si on n’existait plus… Comme s’il y avait quelque chose d’urgent.

— Et puis ?

— Une demi-heure a passé. J’ai fini de préparer le dîner et commencé à donner à manger à Louise. Quand elle eut fini son dîner, je suis allé à la chambre chercher Emma. J’ai ouvert la porte et c’est là où elle a sorti à son interlocuteur : tiens, voilà mon connard de mari… Comme pour annuler l’instant, j’ai refermé la porte et je me suis servi un verre de whisky. Un verre bien tassé.

— Vous ne lui avez donc rien dit quand elle vous a traité de connard ?

— Non ! J’étais sur le cul… »

Victor, à ces mots, a le réflexe de chercher une cigarette dans son paquet.

Son paquet vide…

Il se tait et entend dans le combiné la respiration de Mathilde.

« Vous êtes là Victor ?

— …

— Victor ?

— Oui, je suis là et je me demande bien pourquoi je vous raconte tout ça…

— Vous avez peut-être besoin d’en parler.

— Sûrement. Je ne l’ai jamais raconté à quiconque.

— Vous avez bien des amis ?

— Non !

— C’est-à-dire ?

— J’ai des copains, des relations de travail mais je n’ai pas de vrai ami.

— Pourquoi donc ?

— Je n’ai plus de place pour l’amitié.

— Mais encore ?

— Mathilde, il est vingt-trois heures cinquante. Je n’en peux plus… J’ai trop besoin d’une clope. J’en ai pour cinq minutes à aller chercher un paquet au café du coin avant qu’il ne ferme.

— Et vous vous demandez si je vais vous attendre ?

— M’attendre ? Je ne sais pas. Mais est-ce que je peux vous rappeler ?

— Dépêchez-vous et rappelez-moi quand vous revenez.

— Vous êtes un amour !

— Il paraît ! »

C’est presque en courant que Victor va jusqu’au café de la place du Jourdain.

Il est encore ouvert !

À un prix prohibitif, il achète deux paquets de Marlboro et sous le manteau une bouteille de whisky…

Il remonte quatre à quatre les trois étages, balance son blouson sur un fauteuil et allume une cigarette.

Il tire trois longues bouffées, prend son téléphone et compose le numéro de Mathilde.

Une sonnerie, deux, trois, quatre puis cinq…

« Décroche… murmure-t-il dans un soupire. »

C’est ce qu’elle fait à la sixième sonnerie.

« J’étais dans ma cuisine à me resservir un café.

— J’ai eu peur que…

— Je suis une femme de parole. Vous avez vos cigarettes ?

— Oui, j’en ai même pris deux paquets !

— Quitte à s’empoisonner, autant voir les choses en grand !