Alerte rouge à Brest - Martine Le Pensec - E-Book

Alerte rouge à Brest E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

Les affaires pleuvent sur la ville en même temps que se déchaîne la tempête.

Nouvelle venue à la Brigade de Recherche de Brest, Léa Mattei va devoir faire la lumière sur plusieurs enquêtes. Que se passe-t-il autour de Nadège, l’infirmière dont le bébé a disparu six mois plus tôt ? Qui s’acharne sur les femmes rousses de la région en les supprimant de la manière la plus cruelle qui soit ? Et cette série de morts mystérieuses qui frappe un club brestois de plongée sous-marine, est-ce une malédiction ? À moins que…
Une succession de drames distille la peur sur Brest, tandis qu’un marionnettiste fou manipule la gendarmerie qui tente de démêler cet écheveau cauchemardesque. Celle-ci parviendra-t-elle à interrompre la cavale du sinistre prédateur ?

Retrouvez Léa Mattei, gendarme et détective, dans une 3e enquête haletante et complexe pour mettre fin à une trop longue série de crimes dans la ville bretonne de Brest !

EXTRAIT

Enserrée de tous les côtés par la terre humide qui l’enveloppait comme un linceul, le souffle court, elle jetait ses dernières forces dans une pression désespérée sur le couvercle qui l’emprisonnait.
Ses doigts meurtris ne percevaient plus la douleur. L’exiguïté du lieu l’oppressait au point que le cœur lui manquait. Il battait lourd et fou dans sa poitrine. Un oiseau affolé se heurtant aux parois de sa cage. Elle ne sentait plus la sueur qui ruisselait de son front en assombrissant la racine de ses magnifiques cheveux roux, ni sa bouche sèche à force de terreur. Elle était au-delà de tout, galvanisée par la panique qui la gagnait. Elle forçait sur la paroi, s’arrachant les
ongles au passage. Elle sanglotait et hurlait à la fois, d’une voix cassée par la terreur.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née à Cherbourg, Martine Le Pensec vit à Toulon où elle travaille dans le secteur public. Mère de quatre filles, d’origine bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical dans lequel elle a travaillé plusieurs années. Elle signe, avec Alerte rouge à Brest, son neuvième roman policier.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute res-semblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Dès son berceau, l’enfant est secoué par lesorages secrets de la haine et de l’amour. »

Extrait de, Le mangeur de rêves.Henri René Lenormand - Éditions Albin Michel

Dédicace spéciale à mes filles chéries,Rose-May, Raphaëlle, Suzy et Cyrielle,et aux p’tits loups :Maëlle, Robinson et Clémentine.

À Jean-Marc, avec tendresse,À maman, Jacqueline Le Pensec,soutien de la première heure,À Marcelle Fauvel et Vonnette Lelaidier,les fidèles cousines,Et merci à ma belle-mère, Odette Santonipour ses calculs de probabilités !

I

Enserrée de tous les côtés par la terre humide qui l’enveloppait comme un linceul, le souffle court, elle jetait ses dernières forces dans une pression désespérée sur le couvercle qui l’emprisonnait.

Ses doigts meurtris ne percevaient plus la douleur. L’exiguïté du lieu l’oppressait au point que le cœur lui manquait. Il battait lourd et fou dans sa poitrine. Un oiseau affolé se heurtant aux parois de sa cage. Elle ne sentait plus la sueur qui ruisselait de son front en assombrissant la racine de ses magnifiques cheveux roux, ni sa bouche sèche à force de terreur. Elle était au-delà de tout, galvanisée par la panique qui la gagnait. Elle forçait sur la paroi, s’arrachant les ongles au passage. Elle sanglotait et hurlait à la fois, d’une voix cassée par la terreur.

Elle tenta de relever les genoux pour forcer sur le bois solide et ne parvint qu’à se blesser un peu plus. Une douleur vive irradia un genou. La notion de temps avait disparu. Elle ne savait plus depuis combien de temps elle se trouvait là ni comment. Des minutes d’éternité.

Des bribes de souvenirs flashaient son esprit en déroute. Un kaléidoscope de lumières, de sons, d’images. Un visage soudain troua le néant. Une bouche, des yeux s’imposèrent à sa conscience, suspendant ses mouvements anarchiques. Comme un pantin à qui on aurait coupé les fils. Le temps que la lumière se fasse, qu’elle comprenne l’impensable. Elle cria un prénom. Un rire de crécelle, en cascade, fraya sa mémoire. Elle frissonna. Ses oreilles tintaient au bord du malaise. Elle ne savait pas si elle était en proie à des hallucinations ou si le rire qui la poursuivait était bien réel. L’image soudaine d’une tombe ouverte zébra son esprit comme un éclair. L’espoir flancha. Elle murmura « enterrée vivante » entre ses dents, lâcha un cri de terreur, puis un voile rouge recouvrit sa vision.

II

Nadège Perrier s’essuya le front et fit quelques mouvements des épaules pour dénouer les tensions qui les durcissaient. Son service s’achevait dans une heure et la fatigue commençait à se faire sentir. Elle travaillait depuis quelques années au bâtiment 5 de l’hôpital Morvan de Brest. Rez-de-chaussée. Urgences pédiatriques. Pas le temps de souffler.

Implanté en plein cœur de Brest, l’hôpital jouxtait la faculté de médecine et comportait plusieurs plateaux techniques appréciés dans la région. Dans le bureau des infirmières, Nadège posa son front sur la vitre fraîche. Julie passa la tête par l’encadrement.

— Amène-toi. Une nouvelle arrivée…

Elle soupira et lui emboîta le pas.

— Défenestration, poursuivit sa collègue de travail tout en pressant le pas.

— Quel âge ?

— 4 ans. Tombé du deuxième étage.

Une ride soucieuse barra le front de la jeune femme. Les pompiers arrivaient en même temps et ouvraient les portes du véhicule. Le médecin du SAMU descendit avec l’enfant. Nadège vit un petit visage blême aux yeux mi-clos passer dans son champ de vision. Tout en débitant son rapport, le toubib du SAMU continuait à stimuler le petit. L’urgentiste de Morvan prit la relève et Nad lui emboîta le pas. Du coin de l’œil, elle aperçut un couple affolé qui arrivait. Les parents sûrement, qui avaient suivi l’ambulance. Julie lui souffla :

— Laisse, j’y vais !

Elle remercia silencieusement sa collègue. La jeune Julie, avec ses vingt-cinq ans, conservait une énergie qui semblait inépuisable. Nadège venait de fêter ses trente-sept ans et quelquefois une certaine lassitude l’habitait face à l’ogre insatiable que représentaient les accidents de la vie. Soutenir des parents désorientés face à l’accident ou la maladie de leur enfant tout en assurant les soins demandait un équilibre à toute épreuve et des nerfs d’acier.

Nadège ne se sentait plus aussi forte qu’avant, fragilisée par un drame personnel qu’elle s’efforçait de surmonter au quotidien. Elle chassa les pensées parasites et se concentra sur l’image de Luc. Des yeux verts, des cheveux blonds et l’air sain de quelqu’un qui vit au grand air. Elle sourit intérieurement. Le déchoquage du petit était en cours. Elle jeta un coup d’œil à sa montre. La relève arrivait. Elle allait pouvoir rentrer.

Pendant ce temps, Léa Mattei prenait ses marques à la BR de Brest. Récemment mutée de Marseille, la jeune femme, originaire de Bastia, avait rejoint Marc Guillerm dans son unité. La présence du gendarme n’avait pas été étrangère à son choix. Non pas qu’elle eût des vues sur le militaire, mais elle l’avait connu par le biais de son ex-femme, Magali, marseillaise pur jus. Celle-ci travaillait aussi au sein de la gendarmerie, mais, après quatre ans de mariage et de crachin breton, avait déclaré forfait et repris la direction du Sud. Il est des greffes qui ne prennent pas. Léa avait apprécié le jeune homme pendant cette période. Le couple l’avait reçue à Brest et lorsque le besoin de mutation s’était fait sentir, elle avait aussitôt pensé à lui et choisi Brest. Marc était quelqu’un de bien. Calme et posé. Elle était heureuse pour lui qu’il ait retrouvé l’amour auprès de Claire Penven1, une ancienne hôtesse de l’air militaire, reconvertie dans la photographie. Même si Léa était toujours amie avec Magali, elle n’en appréciait pas moins Claire.

Cela faisait un mois que Léa était arrivée et son quotidien prenait forme. Technicienne en Identité Criminelle (TIC), elle servait comme adjudant au sein de la BR. Ses tâches consistaient essentiellement à organiser les constatations sur les lieux d’un crime, rechercher les preuves matérielles et exploiter les résultats des analyses scientifiques réalisées par le laboratoire de la gendarmerie. Elle était championne en prélèvement d’indices, dixit ses collègues. Côté cœur par contre, ça allait moins bien. C’était d’ailleurs la raison de sa venue en Bretagne.

Léa avait eu une liaison avec le commandant de son unité à Marseille. Un gros coup de cœur qui avait duré trois ans. Mais l’homme n’assumait pas. Marié, deux enfants. Une double vie. La situation avait laminé Léa, pourtant résistante. Il y a trois mois, elle avait mis Gilles au pied du mur.

Il fallait qu’il choisisse. Elle ne voulait pas passer sa vie dans l’ombre. Il lui fallait de la lumière. Mais elle avait vite compris qu’il en était incapable. Alors, elle avait tranché pour lui. À trente-quatre ans, elle ne souhaitait pas jouer les Back Street toute sa vie. Partir loin était plus facile que de demander une mutation dans la même région.

La tentation de se revoir malgré tout aurait été trop forte des deux côtés et ils auraient pu se retrouver au gré des enquêtes. Un choix chirurgical que Léa assumait, même si son cœur saignait encore. L’idée de repartir en Corse, son île natale, l’avait effleurée. Bastia lui aurait tendu les bras, mais elle avait besoin d’un changement radical. Heureusement pour elle, Marc avait fait tout son possible pour l’intégrer rapidement à la BR et qu’elle s’y sente bien. Léa avait emménagé dans son petit logement de fonction, tout près des locaux de la brigade. Très vite, elle avait contacté le groupe de “Guérilla Gardening” breton. C’était sa passion, la nature et les fleurs. Elle y oubliait les turpitudes de l’existence que son métier de gendarme lui faisait découvrir. D’ailleurs, elle devait y retrouver d’autres personnes après son service. Ce mouvement utilisant le jardinage comme mouvement d’action environnementale, pour défendre le droit à la terre, a débuté officiellement en 1973 à New York. Mais il s’est étendu dans le monde et la Bretagne n’est pas en reste. Il consiste à occuper des endroits abandonnés, privés ou publics, pour y planter des légumes ou des fleurs. Créer une biodiversité en ville. Léa adorait patrouiller à plusieurs, munis de leurs “armes vertes”, sachets de graines ou de petites plantes. Au gré des lieux, elle semait dans les coins les plus insolites. La moindre parcelle de terre au pied d’un mur était exploitée. Quel plaisir d’y revenir et de voir la nature reprendre ses droits sur le béton ! Elle avait œuvré en ce sens à Marseille, elle reprenait du service à Brest. Et puis s’intégrer à ce groupe lui permettait de lier des connaissances en dehors de la gendarmerie. Elle avait besoin de se changer les idées.

1 Voir Terminus à Lannilis, même auteur, même collection.

III

Son service terminé, Nadège avait couru au point de ralliement. Elle était aussi une adepte de “Guérilla Gardening”. Cela faisait trois ans qu’elle militait dans le groupe et plus d’un recoin garni de pourpiers ou de capucines le devait à sa main décidée. Ces marches dans la ville par deux ou trois l’aidaient à surmonter les tensions de son métier d’infirmière. Elle se détendait en conversant avec ses amis, tout en repérant les endroits qui avaient besoin d’être plantés. Sa main pour enfouir une jeune plante était aussi douce qu’avec les enfants du service dont elle s’occupait. De toute façon, à la maison, la nature et les plantes étaient une religion. Elle vivait avec Luc, jardinier paysagiste et élagueur, depuis plusieurs années. Son mari s’était mis à son compte voici quelques années, mais les temps étaient durs. Pas facile de tenir une entreprise sur fond de crise. Cela le rendait soucieux. Il n’y avait pas que cela. Nadège eut un pincement de cœur en y songeant. La douleur était encore vive. Le temps l’avait à peine émoussée. Déjà six mois… C’était elle qui avait découvert le petit berceau vide à 4 heures du matin. La fenêtre ouverte qui battait. Une sensation de fraîcheur étrange qui était parvenue jusqu’à sa chambre et l’avait réveillée. Son bébé de trois semaines. Sa petite fille. Disparue. L’impensable. La sensation de couler comme une pierre au fond d’une eau noire. Elle revoyait Luc, sorti du sommeil, désemparé. Et puis l’arrivée de la police, l’interrogatoire interminable, les gyrophares bleus qui jetaient des ombres fantomatiques dans la fin de nuit, la petite chambre examinée dans les moindres recoins et elle, ravagée de douleur, quasi asphyxiée par le manque physique de sa fille. Déconnectée, elle répondait aux enquêteurs tout en suivant, seconde par seconde, son bébé par la pensée. Mon Dieu, elle allait avoir faim, réclamer son biberon et puis, il fallait la changer ! Luc l’avait fait sortir de la chambre et avait appelé une voisine pour la soutenir, qui était arrivée aussitôt, en robe de chambre. Puis tout s’était brouillé dans sa tête. Pourquoi Flora ? Pourquoi eux ? SOS médecins était arrivé pour une piqûre salvatrice qui l’avait plongée dans une brume cotonneuse, puis l’enchaînement des comprimés l’avait empêchée de sombrer complètement. Pétrifiée de douleur, elle avait vécu cette période comme un zombi. Les recherches sans résultat. Aucune piste. Et ensuite, les bras vides, désespérément vides.

Luc s’était consacré à son entreprise, s’attardant au travail. L’enquête continuait, elle le savait mais aussi que les quarante-huit premières heures sont déterminantes dans le cas d’enlèvement d’enfant. Flora avait été inscrite au fichier des personnes recherchées, sans résultat. Rien. Le néant. Quelqu’un était entré chez eux et avait dérobé leur enfant sans laisser la moindre trace.

Nadège avait repris son travail après quelques mois d’arrêt. C’était son choix, sinon elle serait devenue folle. Le chagrin ne rapproche pas toujours. Il sépare plutôt. Luc et Nadège vivaient toujours ensemble, mais le petit fantôme de Flora flottait entre eux. Le silence avait remplacé la gaîté. Mais c’était décidé, Nadège avait choisi la vie. Elle avait pensé mourir. La douleur était si atroce. Elle s’était laissée couler comme une pierre pendant plusieurs semaines. Ensuite, elle était remontée. Elle le devait à Flora. Son bébé lui soufflait de vivre. La petite Flora resterait toujours dans son cœur comme une écharde, mais elle voulait un autre enfant avant qu’il ne soit trop tard. C’était un besoin physique pour reprendre pied dans la vie. Malgré l’appréhension, elle allait en parler à Luc.

* * *

Ils se retrouvaient tous chez Fanny, une grande bringue qui enseignait la danse moderne, pour organiser les futures actions. Une ambiance bon enfant. Il y avait aussi Alain, le postier, et Yves, l’employé d’EDF, ainsi que Mary et Hervé, un couple d’enseignants. Depuis peu de temps, Léa s’était jointe à eux. Nadège aimait bien la nouvelle. Une fille du Sud à l’accent traînant mais aux allures décidées. Pas comme elle qui jouait plutôt du registre de la discrétion. Elle avait toujours été comme cela, Nadège, effacée, tout en repli. Et la dernière épreuve n’avait rien fait pour arranger ce travers. Ce soir, elle n’avait guère la tête aux achats de graines que Fanny tentait de planifier.

Léa lui souffla dans le cou :

— Je ne te sens pas très attentive, ce soir… Des soucis ?

Elle sursauta et haussa les épaules.

— Non, rien de particulier. La fatigue sûrement.

Léa hocha la tête, pas convaincue. La séance se levait et Nadège sauta sur ses pieds, pressée de retrouver Luc.

IV

Marc Guillerm était soucieux. Le signalement fraîchement tombé sur le bureau indiquait une nouvelle disparition. Et pas le moindre indice pour orienter les recherches. Le militaire fronça les sourcils. Trois disparitions de femmes en neuf mois. Étaient-elles liées ?

À ce stade-là de l’enquête, le gendarme l’ignorait encore. Trois jeunes femmes volatilisées sur l’aire brestoise. Aucune demande de rançon, pas de corps retrouvés ni d’indices permettant de remonter une quelconque piste. L’homme détailla la photo de la dernière disparue : Anne Lenormand. Il sonda le regard clair de la jeune femme. Que lui était-il arrivé ? La fiche indiquait son adresse. Un immeuble de Saint-Pierre-Quilbignon près du Valy Hir. Vingt-sept ans. Célibataire. Esthéticienne en centre-ville. Inconnue des services de police, jusqu’à présent. Les conditions de sa disparition étaient obscures. Elle avait travaillé la semaine dernière et rendu visite à ses parents à Roscoff le samedi, mangé avec eux, le midi. Repartie vers 17 heures, elle était bien arrivée à Brest car son père lui avait demandé d’appeler pour les rassurer. Ce qu’elle avait fait. Elle ne leur avait pas parlé de projets particuliers pour le week-end. Un peu de rangement dans son appartement était prévu. Peut-être voir une copine… Elle ne s’était pas présentée à son travail le lundi. Sa patronne avait appelé plusieurs fois, très inquiète. Anne était, selon elle, une fille fiable, qui n’aurait pas manqué une journée de travail sans prévenir. Régulièrement, elle lui confiait la responsabilité du cabinet d’esthétique. C’était elle qui avait déclaré sa disparition. Une visite à son appartement l’avait montré vide et rangé. À part une armoire dont elle avait visiblement entrepris le tri. Quelques sacs de vêtements posés à côté du lit le prouvaient et quatre piles laissées en attente sur la couette. Elle n’avait pas fini. Sa voiture ne se trouvait pas sur le parking de sa résidence mais avait été localisée en centre-ville. Depuis, plus rien.

Ses parents ne connaissaient pas ses fréquentations. Les voisins avaient confirmé qu’elle vivait seule et ses deux amies de l’école d’esthétique, avec lesquelles elle sortait quelquefois, ne l’avaient pas vue du week-end. Une énigme. Le seul détail que sa patronne avait pu rapporter était qu’Anne souffrait d’un poignet depuis quelques jours. Une foulure, ou plus, après avoir glissé dans son escalier. C’était le poignet gauche, mais cela la gênait pour les massages faciaux. Elle avait prévu de consulter mais elle ignorait si elle l’avait fait durant le week-end. Marc Guillerm se frotta les yeux. L’enquête promettait d’être ardue, sauf miracle. Celui d’un témoignage qui viendrait éclairer les faits et gestes de la jeune femme. Qu’avait-elle fait entre samedi soir et lundi matin ? Les enquêteurs étaient sur le terrain. Un travail de fourmi qui s’avérait souvent payant. En tous les cas, il était heureux de l’arrivée de Léa Mattei. Une mutation inattendue et rapide.

C’était une recrue solide. La technicienne maîtrisait son métier. Elle était capable de faire parler le moindre indice trouvé sur une scène de crime. Comme c’était au départ une amie de Magali, son ex, Marc avait été un peu gêné de la présenter à Claire, sa compagne. Mais les deux femmes s’étaient tout de suite entendues. D’ailleurs, il était prévu que Léa vienne manger à Lannilis. Marc avait toujours son logement de fonction à la BR de Brest mais il squattait plusieurs fois par semaine la petite maison de Claire. La solitude était derrière lui.

V

Nadège était rentrée chez elle. Au passage, elle avait acheté le journal et le titre « UNE NOUVELLE DISPARITION À BREST » avait attiré son regard. « Allons bon, s’était-elle dit, cela en fait plusieurs, j’espère qu’on n’a pas hérité d’un tueur en série dans le coin ! » La jeune femme avait frissonné à cette idée. Elle avait poussé la porte de son pavillon de banlieue. Une maison mitoyenne d’un côté, avec trois chambres. « À quoi bon ? », songea-t-elle tristement, puis elle se secoua. Ce n’était pas le moment pour la mélancolie. Sa décision de refaire un enfant était prise et elle devait communiquer son enthousiasme à Luc. Il fallait de la gaîté et des rires autour de ce nouvel enfant. Un nouveau départ pour leur couple après cette chape de plomb qui leur était tombée dessus. Difficile de se remettre d’un drame pareil. D’échapper aux questions sans réponses qui tournaient dans leurs têtes, à la suspicion des enquêteurs reprenant vingt fois les mêmes interrogations. Elle avait bien compris que les parents sont les premiers soupçonnés dans le cas d’une disparition d’enfant. Soupçons de maltraitance ayant mal tourné et de corps dissimulé.

Ils avaient été interrogés séparément et les enquêteurs étaient longuement revenus sur leurs emplois du temps. Sans résultat. Cette perte de temps avait rendu Nadège folle de colère. Pendant qu’ils les soupçonnaient, Luc et elle, Flora était dieu sait où ! Derrière quels murs ? Morte ou vive, morte ou vive, morte ou vive ? Ce leitmotiv ne la quittait jamais. De quoi se taper la tête contre les murs.

Le jardin était petit mais bien conçu, et abrité des regards du côté de la terrasse. Luc, qui était jardinier, avait laissé libre cours à son imagination et le résultat était plutôt concluant. Un jardin anglais où se côtoyaient hortensias, rhododendrons, azalées et magnolias. Un nid de verdure. Luc n’arriverait que plus tard. Elle avait le temps de fignoler un repas de circonstance. Pour aborder un sujet important, rien de mieux que de le faire autour d’un bon plat. Elle rangea sa veste sur un cintre et son sac sur le meuble de l’entrée. Avant de se plonger dans la cuisine, elle se dirigea machinalement vers la chambre de Flora, comme aimantée par le lieu. Elle ressentit un pincement de culpabilité, mais c’était plus fort qu’elle. « Encore une fois, pensa-t-elle, ensuite, je rangerai la pièce… »

La petite chambre à l’étage était plongée dans l’obscurité. Son cœur ne put s’empêcher de sursauter en voyant le petit lit. Celui-là même où elle avait découvert l’absence de Flora. Elle porta une main à sa poitrine en revivant l’instant où tout s’était écroulé. Des pleurs d’enfant s’élevèrent dans sa tête. Elle les entendait tout le temps. Partout. Des pleurs fantômes. Soudain, ses yeux s’écarquillèrent, puis elle fronça les sourcils. Ce n’était pas possible !

Les peluches du bébé, posées religieusement sur le petit drap rose, ne s’y trouvaient plus ! Désarçonnée, elle tourna la tête et reçut comme un choc la vision des sept peluches entassées à la va-vite sur le fauteuil à bascule où elle se tenait avec Flora pour la bercer. L’une d’elles était même tombée sur le sol ! La stupéfaction se disputait à la colère. Qui avait pu ainsi profaner la chambre ? Nadège vit rouge. Elle se jeta sur les jouets qu’elle remit dans un ordre particulier. Celui qui existait le jour où Flora avait disparu.

Qui ? À part Luc ?

Pourtant, son mari évitait le sanctuaire. Il le fuyait même. Avait-il voulu lui faire passer un message ? L’émotion avait essoufflé Nadège qui scrutait la pièce à la recherche du moindre changement.

Abasourdie.

Émue.

Désorientée.

VI

Il avait encore dans la tête ses sanglots et ses supplications. Avant qu’elle ne sombre. L’excitation qui le faisait trembler un peu le disputait à la frustration. De quoi ? Il n’aurait su le dire. Il y avait quelque chose d’informulé qui flottait en lui et qu’il ne parvenait pas à saisir. D’un pas vif, il se rendit là où se trouvait la tombe. « Du bel ouvrage », songea-t-il en flattant le bois massif qui recouvrait le trou. Deux mètres de long sur quatre-vingts centimètres de large et quinze centimètres d’épaisseur. Du solide. Il avait mis des heures à creuser le sol de terre battue de la cave aux bonnes dimensions. Celles d’un corps. La planche de bois s’insérait parfaitement dans l’encoche prévue, la mettant, une fois en place, au même niveau que le sol. Du travail de précision. Par-dessus, une lourde plaque métallique qu’il tirait sécurisait et dissimulait le tout. Et il rajoutait une quinzaine de lourds agglos pour empêcher toute velléité de sortie. L’ensemble ne laissait échapper aucun bruit. La terre humide, le bois massif, le métal épais et les agglos absorbaient tous les sons.

Ensuite, il avait préparé la cave sombre et poussiéreuse en l’insonorisant et en matelassant les murs et la porte. Il avait fait des essais en enfermant une radio réglée sur le son maximum dans cette tombe. Rien n’avait filtré de la pièce. Il avait fait la même insonorisation dans une chambre de son appartement, à l’étage. Le reste n’avait pas été modifié. Qui aurait cherché quoi que ce soit là ?

Il chassa ses souvenirs pour se concentrer sur le présent et dégagea les agglos qu’il empila sur le côté, de même que la plaque métallique. Malgré la fraîcheur ambiante de l’automne, il sentait une fine pellicule de sueur chaude mouiller son front. Il essuya de sa manche les gouttes qui manquèrent de tomber sur le couvercle de bois et prêta l’oreille. Pas de bruit. Il le fit glisser et reçut de plein fouet l’image de la morte.

Son visage était pétrifié par la mort. Violacé. Il observa les pétéchies, ces petites taches rouges, dues à la rupture des vaisseaux capillaires.

Un rictus de souffrance découvrait un coin de sa bouche et ses doigts sanguinolents montraient son dernier combat.

La belle jeune femme qu’elle avait été s’était effacée derrière le cadavre supplicié qui émergeait du tombeau fraîchement ouvert. Une seule nuit avait suffi à transformer les choses.

« Le jour et la nuit, la vie et la mort », murmura-t-il entre ses dents.

Il récupéra un objet posé à la tête du capitonnage et fit quelques photos avec son téléphone, puis il tira sur le cadavre qui glissa avec un bruit sourd sur le sac mortuaire étalé sur le sol. Acheté sur Internet par le biais d’une entreprise chinoise. Livraison discrète.

Il disposa le corps et remonta la fermeture éclair. Elle avait cessé de l’émouvoir. Ce n’était plus qu’un corps dont il devait se débarrasser sans tarder.

VII

Nadège était restée prostrée de longues minutes dans la chambre du bébé pour reprendre son calme. La colère et la tristesse se disputaient en elle, avec un avantage pour la colère à cet instant précis. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il était temps de préparer le repas. Luc serait bientôt là. Un dernier coup d’œil à la chambre qui avait retrouvé son immuabilité, puis elle descendit.

Un appel soudain à la fenêtre de la cuisine la fit sursauter.

— Nadège ? Tu es là ?

Le visage de Karine, une de ses voisines, s’interposa entre elle et le soleil.

— Je m’inquiétais. J’ai vu ta voiture et sonné plusieurs fois !

Nadège secoua la tête et la fit entrer.

— Tout va bien ?

Karine la scrutait.

— Tu as l’air… bouleversée…

Nadège bredouilla.

— Oui, oui… enfin… non…

Avec un débit haché, elle lui relata la surprise désagréable qu’elle avait eue en rentrant. L’émotion perçait encore dans ses paroles. Karine l’écoutait calmement et posa sa main sur la sienne.

— Oh, je comprends que tu sois bouleversée, Luc a dû faire ça sans y voir de mal…

Nadège explosa :

— Mais il le sait ! Il sait que je déteste qu’on touche à la chambre de Flora !

En habituée des lieux, Karine lui servit un verre. Après la disparition du bébé, Nadège avait sombré dans une espèce de brume flottante. Son chagrin avait été contenu à coups de cachets. Un mois d’hospitalisation. Une cure de sommeil dont elle était sortie progressivement. Elle savait que sa voisine avait donné un coup de main à Luc au début, en assurant ses repas. Une aide dont elle lui était reconnaissante.

Lorsqu’elle l’avait remerciée, la jeune femme avait haussé les épaules.

— Ce n’est rien. Tu sais que j’ai le temps…

En effet, la jeune femme était seule avec son fils de huit ans. Elle travaillait à temps partiel pour la mairie, dans les écoles. Nadège se disait que c’était une drôle de vie pour la jeune femme. Elle n’avait fait la connaissance de Karine que quelque temps avant la disparition de Flora.

Karine lui avait servi un doigt de whisky et l’alcool avait fait son effet, détendant un peu ses muscles crispés. Elles discutèrent encore quelques minutes, puis Karine s’était levée en regardant sa montre. C’était l’heure du repas de Loris, son fils.

L’intermède avait fait du bien à Nadège. Elle se lança dans la confection d’une salade composée, pas le temps de faire mieux, mais appétissant. Elle maria tomates, avocats, saumon fumé, œufs durs et thon en boîte. Puis elle décongela des petits pains et prépara une sauce pour la salade. La table était servie lorsqu’elle entendit Luc rentrer. Dans l’ombre du couloir, elle lui trouva les traits tirés. Il semblait plus voûté qu’avant, comme si quelque chose pesait sur ses épaules… Il l’embrassa distraitement et monta directement.

— Je prends une douche. Fatigué…

« Aïe », se dit-elle.

Tandis que l’eau s’écoulait, elle sentait l’appréhension lui titiller l’estomac, sans compter le whisky qui lui grisait l’esprit. Vingt minutes plus tard, Luc redescendit. Il avait enfilé un tee-shirt propre et un pantalon de jogging. Il sentait bon le gel douche à la bergamote.

La jeune femme servit rapidement le repas. Luc était peu loquace. Elle réalisa d’un coup que cela faisait déjà quelque temps qu’ils ne se parlaient plus. Elle se lança :

— Luc, j’ai réfléchi…

Son mari leva la tête.

— Oui, cela fait six mois pour… pour Flora.

Il hocha la tête. Son regard était inexpressif.

— Je voudrais recommencer, avoir un autre enfant, avant qu’il ne soit trop tard !

Voilà, c’était dit.

Le silence s’installa entre eux. Massif. Il tenait toute la place et Luc ne semblait pas disposé à répondre. Nadège sentit son cœur se serrer. Elle plaida sa cause :

— Tu sais… après autant de temps et malgré la douleur que je ressens en faisant cette constatation, je sais qu’il n’y a que peu d’espoir de la retrouver. Je… je ne veux pas rester figée dans cette douleur affreuse. Il faut… il faut avancer… revivre et ça ne pourra pas se faire sans un enfant !

Ses lèvres tremblaient tandis qu’elle faisait cette déclaration.

Les yeux de Luc ne semblaient pas la voir.

— Mais réponds-moi, bon sang !

La colère revenait. Il n’y avait que ce projet qui la fît tenir. Luc se secoua. Il était pâle et visiblement fatigué.

— Je ne sais pas… Ce n’est pas le bon moment, l’entreprise me cause des soucis.

Elle explosa :

— Quand alors ? Il y a TOUT LE TEMPS des problèmes avec la boîte ! Si j’attends que cela aille mieux, je serai… ménopausée ! jeta-t-elle avec rage. Et puis, qu’est-ce que tu as fait dans la chambre de Flora ? Tu sais que je déteste qu’on y touche !

Luc semblait abasourdi. Il reposa sa fourchette et répondit froidement :

— Je te remercie de l’intérêt que tu portes à mon entreprise. Quant à la chambre de Flora, de quoi parles-tu ? Je n’y ai pas mis les pieds depuis des semaines ! Je déteste ce mausolée à sa mémoire. Quant à avoir un autre bébé rapidement… je ne crois pas que ce soit une bonne idée, vu l’état nerveux dans lequel tu te trouves. Un enfant a besoin d’une mère équilibrée.

Il quitta brusquement la table en laissant Nadège désemparée. Son opération séduction avait échoué. Il faut dire qu’elle avait tout fait pour la torpiller.

VIII

Il remonta l’escalier en évitant soigneusement certaines marches. En même temps, il comptait dans sa tête à rebours de 11 en 11. La mélopée intérieure le calmait. Elle apaisait les tensions qui déchiraient ses nerfs, le rendant parfois sensible comme une corde à piano. Quand il poussa la porte, une bouffée d’eau de javel emplit ses narines. Deux bouteilles vides étaient posées dans l’entrée. Il traversa le hall d’entrée en sautant deux carreaux à chaque pas. Le rituel.

C’était sa prison intérieure. La somme de ce qu’il devait exécuter chaque jour comme rituels consommait tout son temps libre. Les médicaments n’y faisaient guère. Tout juste lui permettaient-ils de faire illusion durant son emploi. Pendant ses heures de travail, il allégeait ses rituels, se contentant de pensées magiques. Il se rattrapait au retour, se douchait jusqu’à ce que la peau le brûle comme un damné qu’il était. La javel rongeait ses mains. Il avait dû acheter des gants jetables par lot de cent pour se protéger. Une fois par mois, il voyait un psy. À Rennes. Il préférait cloisonner sa vie et éviter de tomber sur lui à Brest. Celui lui permettait tout juste de donner une image quasi normale. À l’intérieur, il se sentait divisé comme lorsqu’on regarde dans un kaléidoscope. Une myriade d’images qui bougent. Un Moi multiple et divisé.

L’aube pointait. Il sentait la fatigue, mais sa tâche était accomplie. Un mélange de sentiments l’habitait. Entre frustration et allégresse.

IX

Branle-bas de combat ! Marc Guillerm fonçait à travers les rues de Brest, gyrophare allumé. Léa Mattei s’accrochait à la place du passager. « La place du mort… » songea-t-elle avec humour. Le militaire pila à l’entrée du chantier. Rive droite. ZAC des Capucins. Un immense chantier entre Recouvrance, Quéliverzan et le centre-ville. Dans le petit matin automnal, un groupe de personnes stationnait devant les fondations d’un immeuble. Plusieurs mètres de profondeur, des flaques çà et là au fond, vestiges des récentes averses et un treillis d’armatures métalliques qui garnissait le fond des tranchées. Les gens échangeaient à voix basse, l’air choqué.

Les deux militaires sortirent de leur véhicule. Un homme se détacha du groupe. Le chef de chantier. Il entraînait un autre derrière lui, qui semblait avoir vu le diable. Ses yeux écarquillés mangeaient son visage parsemé de rougeurs.

Marc Guillerm se présenta.

— Content de vous voir ! C’est Roger Lebris qui a découvert le corps.

— Comment ça s’est passé ?

— Je venais pour la livraison de béton. Vous comprenez, on coule ce matin les fondations de l’immeuble.

Il montra de la main la noria de camions-toupies qui arrivaient sur le site.

— J’ai stoppé mon camion. Avant de commencer, j’ai sorti une cigarette, histoire d’en griller une. J’étais au bord du trou. J’avais rien vu.

Léa écoutait le récit du témoin, mais ses yeux avaient accroché une tache argentée plus bas.

— Mon téléphone a sonné. Ma femme, s’excusa-t-il d’un sourire contrit. J’ai sursauté et j’ai dû faire un faux mouvement en le sortant. Il a sauté dans l’trou !

Les deux militaires réprimèrent un sourire.

— J’pouvais pas le laisser là-d’dans, alors j’suis descendu.

— Alors ?

— Alors en arrivant en bas, j’suis tombé dessus !

— Sur quoi ?

— Ben, sur le corps !

— Comment se présentait-il ?

— Il était enfermé dans… dans… dans un sac à viande ! Un truc à fermeture éclair qu’on voit dans les hôpitaux et aux Pompes Funèbres. Sur le coup, ça m’a fait tilt. Qu’est-ce que ce truc foutait en bas ? J’ai descendu la fermeture et là… là j’ai eu la trouille de ma vie ! Une vision de cauchemar ! J’crois bien que c’est une femme. Aux cheveux, longs, roux. Ça m’a foutu un choc ! J’ai pas mis longtemps à r’monter, j’vous l’dit !

Léa avait sorti sa mallette de prélèvements. Marc posait les questions.

— Franchement, dit le chef de chantier, le paquet était bien dissimulé sous les treillis de fer à béton. Sur le bord. Pas facile à apercevoir. Si Roger n’avait pas laissé tomber son téléphone, dans une heure, il aurait été noyé dans le béton.

Marc Guillerm poussa un soupir de soulagement. À quelques secondes près, le ciel avait été avec eux !

Léa avait enfilé une combinaison de travail et s’apprêtait à descendre selon les indications des ouvriers, en se demandant bien ce qu’elle allait trouver en bas. Ce paquet représentait la somme de quelles souffrances ?

Elle allait faire les premières constatations avant que l’IML n’enlève le corps. Le stress montait comme à chaque fois, même si elle restait apparemment très calme. Le sol arriva plus vite qu’elle ne l’avait souhaité. L’instant où son regard croisait le visage de la victime était le plus dur. Ensuite, le professionnalisme reprenait le dessus. Elle déroulait la procédure. Une routine. Pas celle de madame tout le monde, bien sûr.

Avant d’ouvrir le sac qui contenait le cadavre, elle fit un tour de l’espace environnant, à la recherche de traces de pas ou autres indices susceptibles de guider l’enquête. Le fameux “échange de Locard” qui veut que tout individu, à l’occasion de son action criminelle, dépose et emporte, à son insu, traces et résidus.

Elle commença par localiser la scène d’un ruban jaune. Marc venait de la rejoindre. Près du sac déposé sous le treillis de fer à béton dans la terre ramollie par la pluie, elle distingua nettement une trace de semelle dont elle prit la photo. À comparer avec celle de Roger, le chauffeur, et aussi celles des ouvriers qui avaient travaillé sur le site. Surtout ceux qui avaient posé les treillis. Ça devait faire du monde, pensa-t-elle. Elle scruta les lieux à la recherche de fibres et autres objets susceptibles de se trouver là. Elle ne comptabilisa pas moins de quatre emballages de chewing-gum et une dizaine de mégots qu’elle rangea soigneusement dans des flacons étiquetés. Vraisemblablement, les ouvriers se servaient de ce trou gigantesque comme d’une poubelle mais… au milieu de tout cela, il y avait peut-être quelque chose provenant du meurtrier…

L’instant était arrivé. Elle respira à fond, dégagea une plaque de ferraille pour accéder au corps et descendit la fermeture éclair d’un geste ferme. Une mèche rousse se déroula et vint frôler sa main. Elle croisa le regard épouvanté de la morte qui filtrait à travers ses paupières encore ouvertes. Léa tressaillit. Elle souleva une des mains meurtries et comprit que la femme avait dû gratter sans relâche avant de mourir. Quoi ? Pas le plastique du linceul, alors, son cercueil ? Elle recueillit des fragments d’une purée rouge en grattant ce qui restait de ses ongles, qu’elle enferma dans une nouvelle fiole.

C’était une femme. Plutôt jeune. Autant que son visage supplicié le laissait deviner. Une chevelure rousse qui fit tilt aux deux militaires.

— Tu crois ? murmura Léa.

— Anne Lenormand ? Pas impossible. À vérifier.

Elle jaugea sa rigidité cadavérique.

— Elle est morte depuis moins de trente-six heures. La rigidité n’est pas encore installée. Au médecin légiste de préciser. Et pas de tache verte sur l’abdomen. Elle apparaît au bout de quarante-huit heures et signe le début de la putréfaction.

— Donc elle est morte récemment. Des signes particuliers ?

— Pas de trace d’arme blanche ni d’arme à feu, pas de traces de strangulation. On dirait que cette femme est morte de terreur, d’épuisement ou d’asphyxie. Ou des trois à la fois…

Marc hochait la tête devant le triste spectacle qui s’offrait à lui. Quel monstre était capable de commettre une telle atrocité ? Léa remonta la fermeture éclair. Le visage de la femme la mettait mal à l’aise. Une somme de souffrances incommensurables.

Objectif premier : identifier la victime. Mais Marc avait sa petite idée là-dessus. L’IML descendait. Il était temps de laisser la place. Ils dégagèrent soigneusement le sac et l’entourèrent d’un nouveau linceul pour le transporter. Les hommes peinèrent sur l’échelle pour l’extraire de son tombeau improvisé. Enfin, il fut en haut. Avant de remonter, le regard de Léa fut attiré par une touffe de fibres prises entre deux fers à béton. Elle la dégagea précautionneusement.

Elle estima la hauteur et se dit que cela pouvait provenir d’une chaussette qui se serait prise dans la pointe du fer. L’examen des fibres lui dirait si son intuition était la bonne.

Un dernier tour d’horizon et elle remonta à la surface.

X

Nadège vérifia sa coiffure dans la petite glace de la tisanerie et fit la grimace. Il était temps de refaire sa couleur. Les racines fauves réapparaissaient. Pas le temps d’aller chez une coiffeuse. Elle s’arrêterait en sortant, à l’hypermarché, pour acheter une couleur. Brune. C’était ainsi qu’elle se sentait le mieux. Il y avait longtemps qu’elle recouvrait sa couleur d’origine.

Une lumière s’alluma au tableau et elle sortit du local des infirmières. Elle faillit heurter Tony et un brancardier. Le premier, technicien en radiologie, travaillait comme elle au rez-de-chaussée du bâtiment. Il venait de ramener un petit patient. L’autre ne travaillait que de temps à autre depuis quelques mois. Un intérimaire. Elle ne l’apercevait que l’après-midi.

— Ça va, les garçons ?

— Super, répondit Tony en levant le pouce avec un clin d’œil. Par contre, toi, petite mine…

Elle connaissait le jeune homme depuis qu’il avait intégré le service, un an plus tôt. Toujours célibataire à trente-cinq ans, Tony Neuvic ne parlait pas beaucoup de sa vie sentimentale, mais ses cernes, parfois, trahissaient les soirées en boîte de nuit. De taille moyenne, c’était un assez beau garçon au charme atypique. L’autre était très discret et silencieux. Nadège ne connaissait pas le nouveau venu et n’avait jamais croisé son regard. Il paraissait avoir dans les trente-huit ou quarante ans. Des cheveux presque rasés, un visage triangulaire. Un côté féminin dans son allure. Tony était cruciverbiste et emmenait partout son recueil de jeux. Il lança :

— Mauvaise mère en sept lettres ?

Nadège sourit et se dirigea vers la chambre qui avait appelé. Sur le seuil, elle se retourna et dit :

— Marâtre !

— Impec ! fit-il sans se retourner.

La jeune femme avait ruminé le refus de Luc, une partie de la nuit. Elle savait pertinemment que son attitude à fleur de peau ne contribuait pas à rassurer son mari et lui redonner l’envie d’un nouvel enfant. Sa collègue, à la relève, lui glissa à mi-voix :

— Il paraît qu’on a retrouvé une femme assassinée dans les fondations d’un immeuble de la ZAC des Capucins ! Juste avant qu’elle ne soit recouverte par des tonnes de béton !

Nadège frissonna.

— On l’a conduite à l’IML, ce matin. Un des gars du service m’en a parlé. Quelle horreur…

Nadège hocha la tête. Elle avait bien remarqué les disparitions de femmes rousses sur l’aire brestoise ces derniers mois et se félicitait de sa décision prise autrefois. Ainsi, elle se fondait plus facilement dans la masse. Un coup d’œil à sa montre lui indiqua qu’il était temps de se presser. Elle traversa les espaces verts de l’hôpital, côté rue de Kerabecam, et sortit par l’accès principal. La grille franchie de quelques mètres, son pied heurta un objet qui glissa devant elle sur le bitume. Surprise, Nadège chercha des yeux l’origine du bruit. Sur l’instant, elle ne vit rien, mais son regard finit par accrocher un rectangle gris foncé, à peine visible sur le gris du trottoir. Elle se pencha et ramassa le téléphone portable. Elle demeura quelques instants indécise. L’idée de le reposer l’effleura. Elle tourna sur elle-même mais ne vit personne à qui s’adresser. Celui ou celle qui l’avait perdu n’était plus là. Elle ignorait quelle direction il avait pris. Songeuse, elle le tournait en se mordant les lèvres. Finalement, elle le fit glisser dans sa poche. Elle s’en occuperait plus tard.

XI

Il s’était glissé dans sa tenue néoprène et enfilait ses chaussons. Il vérifia son détendeur et ajusta son embout. Tout était OK.

À distance du groupe, il surveillait, du coin de l’œil, leurs préparatifs. Il vit l’embarcation décoller du quai et perçut les derniers éclats de voix emportés par le vent. Il se hâta et son Zodiac 40 CH prit la même direction que l’Atlantis 4, le bateau du club de plongée. Il se tenait à distance raisonnable. Suffisamment loin pour ne pas être repéré mais assez près pour ne pas le perdre dans les bancs de brume effilochés qui sourdaient de l’océan. Des creux d’un mètre secouaient l’embarcation. Direction la Cormorandière. Un rocher à l’entrée du goulet de Brest. Les plongeurs y descendent dans les laminaires à trente mètres. Il regarda le coefficient des marées. Un détail important car, selon le coefficient, ça dépote dans le coin et il faut veiller à ne pas se laisser embarquer. Ça devait aller pour aujourd’hui…

Il se remémora le site et visualisa le tombant de soixante-dix mètres un peu après les laminaires. C’était juste ce qu’il lui fallait. Il se concentra sur sa filature. Le bateau des plongeurs venait de ralentir et mouillait l’ancre. Il perçut des mouvements sur le pont. Pas de problème, il s’était déjà préparé. À qui le tour aujourd’hui ?