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Drames en série au cœur de la Bretagne, autour d'un crash aérien et de meurtres d'enfants grimés.
Claire, ancienne convoyeuse militaire récemment installée à Paluden, sur l'Aber Wrac'h, aimerait bien recouvrer la mémoire : elle n'arrive pas à dissiper le brouillard qui entoure son ultime rencontre avec son amie Carole… Celle-ci, hôtesse de l'Air, vient de périr dans un crash aérien tout près d'Ouessant et Claire est contactée par le lieutenant Marc Guillerm, chargé d'éclaircir les étranges circonstances de ce drame.
Au même moment, une série de meurtres d'enfants, bizarrement grimés en personnages de contes, bouleverse la région.
Et si derrière tous ces drames se cachait un seul et même criminel ? Quel serait alors le mobile d'une mise en scène aussi machiavélique ?
Le premier tome des enquêtes de Léa Mattei vous offre une intrigue passionnante à ne rater sous aucun prétexte !
EXTRAIT
"Soudain, une information tomba, la faisant tressaillir :
« — Dernière nouvelle : un avion Fokker de la compagnie Iroise Air, qui effectuait un vol touristique avec trente-trois personnes à bord, a disparu des écrans de contrôle cet après-midi à 15 heures 37. Des recherches sont mises en place pour retrouver le vol IA122. »
Claire frissonna. C’était le vol de sa vieille copine, Carole. Elles avaient été convoyeuses ensemble pendant des années et Carole avait raccroché deux ans plus tôt. Elle s’était fait embaucher par cette petite compagnie aérienne bretonne qui assurait la liaison quotidienne Brest-Ouessant ainsi que des circuits touristiques."
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
"Éditions Bargain, le succès du polar breton." - Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEURE
Née à Cherbourg, Martine Le Pensec vit à Toulon où elle travaille dans le secteur public. Mère de quatre filles, d’origine bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical où elle a travaillé plusieurs années. Elle signe, avec Terminus à Lannilis, son septième roman aux Éditions Alain Bargain.
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
« Le battement d’aile d’un papillon au Brésil peut-il provoquer une tornade au Texas ? »
Edward Lorenz
— Putain… je l’ai perdu !
La consternation, mêlée d’incrédulité, se lut sur le visage du contrôleur aérien de l’aéroport de Brest. Désemparé, il tourna la tête vers ses collègues qui, eux aussi, scrutaient l’écran désespérément vide. Quelques secondes auparavant, le signal sonore du Fokker 50 se dirigeant vers l’aéroport d’Ouessant, avec 29 passagers à son bord et 4 membres du personnel navigant, clignotait encore.
L’absence soudaine de trace du petit avion créa un silence lourd comme une chape de plomb au sein de la salle de contrôle. Le technicien en charge du vol activa plusieurs touches et lança un message :
— Fred, la météo ?
L’homme à sa droite lui jeta quelques paramètres qui ne le rassurèrent pas.
— Rien qui justifie de perdre son signal… L’animation qui régnait quelques minutes auparavant dans la salle semblable à une fourmilière s’était éteinte. Tous les techniciens s’étaient statufiés et retenaient leur souffle.
Le contrôleur aérien renouvela son appel au vol Iroise Air, IA 122, patienta quelques secondes, les épaules crispées et la nuque raide. Puis il se retourna et dit d’une voix sépulcrale :
— Les gars, c’est cuit. Le vol IA 122 ne répond plus…
À quelques miles d’Ouessant, l’hôtesse de l’air, Carole Dorner, vacilla et se rattrapa au siège de droite. Le temps n’était pourtant pas aux turbulences. Pas d’orage. Du gris, entrecoupé de trouées bleues, comme d’habitude à proximité de l’île.
Le passager du siège qu’elle tenait paraissait réjoui de la balade. Elle le détailla rapidement. « Pas un habitué des vols aériens, c’est sûr », songea-t-elle. Il semblait s’amuser comme un gosse. Elle lui donna la quarantaine griffée par l’alcool, c’était indéniable. Elle nota au passage ses yeux bruns quasi jaunes qui surprenaient dans son visage. Elle se pencha vers lui et répondit à sa question en lui montrant Molène, l’île toute proche d’Ouessant. Puis elle continua sa remontée des sièges passagers, accompagnant son passage d’un mot gentil à chacun. Un bruit insolite la fit se retourner. Le passager aux yeux jaunes s’agitait. Inquiète, elle revint vers lui. Il semblait bouleversé et agitait des billets, une réservation d’hôtel lui sembla-t-il et une carte d’identité. Il semblait si heureux quelques instants plus tôt… Elle entendit l’homme bafouiller et détecta sur son visage les stigmates de la peur. Il porta les mains à son visage, il semblait vouloir arracher quelque chose. Elle vit une feuille de papier tomber de ses genoux en tourbillonnant sur le sol de l’avion. Carole s’apprêtait à s’enquérir des raisons de son trouble ; soudain, elle fronça les sourcils. Quelque chose clochait. Le signal rouge de “position assise et ceinture bouclée” aurait déjà dû être allumé. Ce vol touristique ralliait Brest à Ouessant en passant par Penmarc’h, l’île de Sein, la Pointe du Raz, puis les îles de Béniguet, de Quéménès, Molène et Balanec.
Une nouvelle secousse agita le Fokker tandis qu’elle remontait l’allée d’un pas décidé. Elle franchit la porte qui la séparait du poste de pilotage et resta sidérée devant le spectacle qui s’offrait à elle. Le pilote et son copilote gisaient sans connaissance sur leurs fauteuils. Un froid glacial envahit Carole tandis que ses oreilles tintaient. Tout son corps était en alerte. Elle s’avança et secoua énergiquement les deux hommes. Ils demeurèrent inertes, insensibles à sa détresse. Un moment de profonde solitude pour la jeune femme qui sentit l’aile de la mort la caresser furtivement. Une nouvelle secousse. Bon sang, il fallait faire quelque chose ! Un fluide glacial avait envahi son cerveau, brouillant sa pensée. Elle tenta de se remémorer les consignes de sécurité malgré son trouble. Elle fit demi-tour et chercha du regard l’interphone qui permettait de s’adresser aux passagers. Elle ne se voyait pas les affronter du regard. Pas tout de suite… Elle respira un grand coup et maintint la touche enfoncée tandis que sa voix s’élevait dans la cabine du Fokker :
— Mesdames, Messieurs, merci de votre attention. Nous avons besoin immédiatement d’un médecin. Je répète, urgent, si un médecin se trouve à bord, qu’il me rejoigne en cabine de pilotage.
Carole reposa le combiné, épuisée. Les deux hommes n’avaient pas bougé. Elle s’obligea à affronter les passagers et ouvrit la porte. Une clameur la submergea. Des hommes gesticulaient devant elle, dont le passager agité à qui elle venait de parler. Dans le tumulte, elle ne comprit pas ce qu’il lui disait, mais la terreur exsudait de son regard qu’elle croisa. Quelque chose la surprit en lui. Un détail dans ses yeux qui la mit mal à l’aise. Pressée par le temps, elle dut expliquer la situation. Deux passagers foncèrent avec elle vers les pilotes. L’un d’eux les détacha et entreprit de les gifler consciencieusement. Quoi qu’il leur fût arrivé, coma ou simple perte de connaissance, rien ne parvenait à les sortir de cet état. Carole ouvrit une bouteille d’eau et en aspergea généreusement ses collègues. En elle montait une prière informulée.
Un homme lui secoua le bras et désigna les instruments. « La radio ! », cria-t-il. Un brouhaha avait envahi le Fokker. Il sembla à Carole que la mer s’était dangereusement rapprochée. Elle saisit le micro et actionna le commutateur de la radio. Ses yeux balayaient les instruments, cherchant l’anomalie. L’un des pilotes, en perdant conscience, s’était affalé sur le tableau de bord. Carole se demandait ce qui avait pu être ainsi modifié. Avait-il coupé involontairement une commande ?
Une nouvelle secousse les fit trébucher. La mer se rapprochait à une vitesse prodigieuse. Une image s’imposa soudain à l’hôtesse de l’air. L’homme dans la cabine avait changé de regard et pour cause, ses yeux, emplis de terreur, étaient devenus bleus. D’un bleu délavé qui lui allait beaucoup mieux. Elle entendit la radio grésiller et lança un dernier « Mayday, Mayday, Mayday ! »
Claire Penven gara sa voiture dans l’allée devant sa maison. Elle admira le bleu profond des hortensias qui décoraient l’entrée, encadrant la porte blanche. La construction ancienne avait du cachet et ressemblait à une maison de poupée posée dans un écrin de verdure. Claire se félicita de l’avoir dénichée à Paluden, en lisière de Lannilis. Une affaire qu’elle devait au départ précipité de sa propriétaire, âgée et malade, chez son fils. Les soixante-dix mètres carrés de la petite maison lui convenaient à merveille. Aussi était-elle en pleine installation. Elle sortit un carton de son coffre de voiture et sursauta. Deux jeunes adolescents venaient de débouler dans le jardin, Claire ne leur donna pas plus de treize ans.
— Bonjour ! s’exclamèrent-ils d’une seule voix qui la fit sourire.
La fille lui tendit un paquet dissimulé par un linge blanc.
— Tenez, c’est pour vous. Maman vous l’offre en cadeau de bienvenue…
Surprise, Claire posa son carton et découvrit le présent. Une somptueuse tarte aux pommes caramélisées se dissimulait sous le torchon. Elle tourna un regard surpris vers les enfants.
— Vous inquiétez pas ! dit le garçon, elle fait toujours ça aux nouveaux arrivants.
La fille ajouta :
— On habite la maison d’en face. Maman est psychothérapeute et elle y a son cabinet.
Claire recouvrit la tarte et remercia chaleureusement de l’attention, se promettant d’aller le faire prochainement de vive voix auprès de la généreuse cuisinière.
— Comment vous appelez-vous ?
— Nous, c’est Lou et Léo Guellec. La louve et le lion, dirent-ils à l’unisson. Et nos parents, c’est Viviane et Nathan.
Leur bel ensemble avait de quoi désarçonner. Des jumeaux, vraisemblablement. Encore que la ressemblance ne fût pas si frappante. De faux jumeaux sûrement. Lui avait une tignasse noire et indisciplinée, des lunettes d’intello sur le nez et un petit air sérieux. Elle, fine et racée, avait des cheveux caramel, lisses, qui affleuraient ses épaules. Seuls, les traits du visage et leur accord parfait trahissaient leur gémellité.
Claire avait sorti ses clefs et ouvert la porte de sa nouvelle demeure. Elle leur proposa d’entrer, mais le frère et la sœur refusèrent et s’éclipsèrent en sautillant.
« Une belle paire », songea-t-elle. Elle déposa la tarte sur la table et programma d’aller remercier sa voisine le lendemain. Son regard fit un tour d’horizon rapide. L’installation était loin d’être finie. Claire fit la grimace en jaugeant la tapisserie antique qui recouvrait les murs du salon. Elle avait bien trente ans au bas mot…
À plusieurs endroits, des pans de papier pendaient, trahissant l’humidité et les quelques mois où la maison avait été fermée, avant sa vente. Tout cela avait besoin d’un bon coup de propreté et de peinture, se dit-elle. Il n’y avait que cinq jours que Claire était arrivée ici. Une ombre passa dans ses beaux yeux gris lorsqu’elle se remémora les dernières semaines. Tout ceci était encore frais et elle ressentit une crispation douloureuse à l’estomac en revivant l’instant fatidique, celui où elle avait poussé la porte de l’appartement de Villacoublay, qu’elle partageait avec Hans depuis trois ans. Dans l’ombre, elle avait traversé l’entrée et pénétré dans le salon. Avant même d’avoir allumé la lumière, l’atmosphère lui avait paru différente, l’appartement, comme déserté. Ses yeux avaient vu sans que son cerveau comprenne ce qui se passait. Une tache blanche au mur révélait l’absence d’un tableau ; là, c’était un meuble qui avait disparu. L’ordinateur n’était plus à sa place. L’idée du cambriolage s’était imposée tout de suite à Claire. Elle n’avait pas repéré immédiatement les incohérences de cette pensée. L’appartement soigneusement fermé à clef, le rangement impeccable… Ce ne fut qu’une fois dans la chambre qu’elle avait pris la mesure des choses. Dans le dressing ultramoderne ne manquaient que les affaires de Hans. Hébétée, Claire avait erré dans l’appartement, à la recherche d’un indice qui lui aurait prouvé le contraire. Mais non, rien de ce qui lui appartenait n’avait disparu. Seuls, les effets personnels et les meubles de son compagnon manquaient. Prise de frénésie, elle avait retourné les lieux. Une lettre. Il y avait forcément une lettre pour expliquer cela. Mais non, Hans était parti sans un mot.
En état de choc, elle avait fait sonner longuement son téléphone portable, mais la messagerie s’enclenchait sans fin.
À bout de nerfs, elle était partie à la pêche aux renseignements. Elle connaissait un collègue de travail de Hans, trader comme lui dans une grande banque. Non, il ne savait rien, lui avait-il dit au téléphone. Mais Claire n’avait pas été convaincue par son intonation. Quelque chose de faux filtrait derrière les dénégations.
Hans le Hollandais avait été un énorme coup de cœur pour Claire. Elle l’avait rencontré sur le parvis de Notre-Dame de Paris. Une bourrasque avait arraché son foulard et, d’un bond, le géant blond l’avait rattrapé. Éclats de rire, remerciements. Ils avaient fini devant un café dans un bar voisin. Trente-trois ans tous les deux. Lui cachait, derrière la réserve du Capricorne, un caractère passionné. Elle, sa cadette d’un mois, son signe aérien de Verseau l’avait conduite dans l’armée de l’Air. Il jonglait avec des millions d’euros chaque jour, toujours sur la brèche. Elle sillonnait la planète, convoyant les troupes armées, réconfortant les blessés.
Claire était convoyeuse de l’air. Une spécialité de l’armée de l’Air. Infirmière diplômée dans le rapatriement et l’évacuation sanitaire par voie aérienne. Toujours sur le qui-vive. Une sorte d’hôtesse de l’air militaire, l’assistance médicale en plus. Elle était basée à Villacoublay dans l’escadrille aéro-sanitaire. Claire avait bien des anecdotes à son actif, que ce soit au Kosovo, à Banghi ou à Sarajevo. Évacuations sanitaires de militaires mais aussi de ressortissants. Un quotidien dicté par les soubresauts de la planète mais qui lui convenait. Hans avait été fasciné par sa personnalité et son métier. Trois mois plus tard, ils avaient pris ensemble un bel appartement à proximité de la base pour lui permettre de répondre rapidement aux départs inopinés.
Claire s’était installée dans cette vie à deux comme on enfile une paire de chaussons confortables. Hans la rassurait. Il était volontiers silencieux, mais Claire pensait que c’était une réaction à l’agitation frénétique de son métier. Une profession où l’adrénaline joue à fond. Plus d’un y avait laissé sa santé.
Elle n’avait pas vu passer les trois ans. L’idée d’un enfant blond avec Hans l’effleurait de temps à autre. De plus en plus souvent d’ailleurs… Le temps approchait où elle devrait faire un choix entre métier et maternité et Claire s’était dit que Hans pourrait bien être celui qui convenait pour ce changement de vie.
Ce temps n’était pas venu.
À la place, dévastée par la fuite de son compagnon, elle avait fait le siège de sa banque. Il s’était envolé. Muté à Londres. Elle avait fini par comprendre, par recoupements et aussi grâce à Steeve, son copain de travail. Hans avait rencontré une autre femme, six mois plus tôt. Un coup de foudre, selon Steeve. Une fille de son milieu professionnel. Il avait fait les allers et retours sur Londres pendant les absences de Claire. Puis il avait organisé son départ. Sa lâcheté avait ravagé Claire pour qui ce genre de comportement était inconcevable. Comment avait-il pu ne pas l’affronter ? De plus, Claire avait découvert que Hans n’en était pas à son coup d’essai. Il avait fait la même chose à sa femme et sa fille, restées à Amsterdam, pour vivre avec elle. Elle était restée avec ses rêves, un peu groggy. En 15 jours, sa décision avait été prise. Quelque chose en elle était cassé. Un ressort. Après 15 ans de service, Claire avait décidé de terminer sa carrière. Changer de vie. Quitter la région.
Sa retraite lui permettrait de vivre en attendant de retrouver une activité complémentaire. Elle s’était sentie l’envie de quelque chose de plus calme. Depuis longtemps, la photographie était une passion. Elle en avait de très belles ou insolites à son actif. C’était le moment de s’en servir.
En trois mois, tout avait été bouclé. Retraite et achat de cette maison à proximité de Lannilis. Les abers lui avaient paru un coin suffisamment sauvage pour abriter son spleen et construire une nouvelle vie. Tout était à faire ici. Retaper la maison et développer le petit atelier de photo qu’elle comptait ouvrir par la suite. Un programme suffisamment chargé pour chasser les ombres malfaisantes qui l’entouraient depuis ces derniers mois.
À trente-sept ans, Claire Penven tournait la page.
La journée passée à travailler dans la maison pour la rendre présentable l’avait fatiguée, aussi se laissa-t-elle tomber sur un des fauteuils posés dans le séjour. Rien n’était vraiment rangé ici. Toutes les pièces avaient besoin d’être rafraîchies. Elle appuya machinalement sur le bouton de la télécommande et le son du journal télévisé s’éleva dans le salon. Claire se releva et alla examiner le contenu de son frigo. Heureusement que la voisine avait pensé à elle ! La tarte allait composer l’essentiel de son menu du soir. Elle revint, munie de couverts et d’un verre. Elle poussa les affaires qui encombraient la table pour s’installer. Soudain, une information tomba, la faisant tressaillir :
« — Dernière nouvelle : un avion Fokker de la compagnie Iroise Air, qui effectuait un vol touristique avec trente-trois personnes à bord, a disparu des écrans de contrôle cet après-midi à 15 heures 37. Des recherches sont mises en place pour retrouver le vol IA122. »
Claire frissonna. C’était le vol de sa vieille copine, Carole. Elles avaient été convoyeuses ensemble pendant des années et Carole avait raccroché deux ans plus tôt. Elle s’était fait embaucher par cette petite compagnie aérienne bretonne qui assurait la liaison quotidienne Brest-Ouessant ainsi que des circuits touristiques. C’est ce qu’elle devait faire cet après-midi même. Départ de Brest, survol de la Pointe du Raz et de l’île de Sein, puis l’avion devait longer la côte par Camaret, Le Conquet et enfin les îles de Béniguet et Balanec, puis arrivée à Ouessant. Une balade d’une heure trente. Claire le savait. Le matin même, elle s’était rendue à Brest faire des achats pour son installation dans des grands magasins de la zone de Gouesnou, toute proche de l’aéroport. De là, elle avait appelé Carole pour savoir si elle était disponible. Elles s’étaient retrouvées au bar de l’aéroport car son amie devait décoller juste après. Elles avaient eu trente minutes pour discuter avant que Carole commence l’embarquement. Claire sentit une boule d’angoisse serrer son estomac et des larmes perler à ses paupières tandis que l’image d’un Fokker s’abîmant en mer s’imposait à son esprit.
Claire se réveilla un peu groggy. La nuit avait été mauvaise. Sommeil agité, parcouru de cauchemars. La pensée de Carole et des autres passagers de l’avion ne l’avait pas quittée. Un coup d’œil au réveil lui donna l’heure. 7 heures 40. Elle se força à quitter le lit, pressée d’avoir des nouvelles de l’avion. Elle frissonna en posant ses pieds nus sur le carrelage froid et humide et son premier mouvement fut d’allumer la radio posée dans la cuisine. Des roses mauves au parfum envoûtant avaient poussé devant la fenêtre, occultant en partie la lumière. Claire se dit qu’elle devrait s’atteler à tailler les rosiers et attacher les plus grosses tiges chargées de fleurs. L’absence d’entretien de ces derniers mois avait rendu le jardin à l’état sauvage. Claire promena son regard sur le fouillis fleuri et odorant qui entourait la maison. Par endroits, l’herbe grasse atteignait près d’un mètre. Elle vit la silhouette d’un félin s’y couler prestement en quête de discrétion. La profusion donnait un côté jardin anglais à l’endroit.
L’eau frémissait dans la bouilloire. Claire la versa sur la poudre de café dans sa tasse, observant la mousse blanche qui s’y formait. La sonnerie du micro-ondes retentit, signalant la fin de la décongélation de son pain. Elle attrapa le beurre salé lorsque le jingle des informations retentit dans la cuisine. Claire se raidit :
« — Bonjour, il est 8 heures. Retrouvez toutes les infos sur votre radio. Dernier flash : l’avion Fokker d’Iroise Air, vol IA122, qui avait disparu hier après-midi des écrans de contrôle, a été localisé dans la soirée. L’appareil n’a pas atteint Ouessant où il devait atterrir. Pour une raison encore inconnue, il s’est abîmé en mer entre Molène et Ouessant. Sur les trente-trois passagers transportés, il semblerait que quatre corps aient déjà été récupérés par la Marine Nationale. On ignore s’il y a des survivants. »
Claire encaissa le choc. Le drame était consommé. Pourtant, ses années d’armée de l’Air l’avaient amenée sur de nombreux théâtres de drames et plusieurs de ses amies avaient péri en mission. Mais jamais elle ne s’y ferait. Carole avait quitté le service et n’assurait plus que des vols touristiques. Pourquoi le sort s’acharnait-il ainsi sur elle ? Elle se remémora les derniers instants avec elle. Leur échange. L’éclat de rire de Carole en la quittant. Que s’était-il passé ?
La nouvelle l’avait glacée. Elle imagina les dernières secondes de son amie. Avait-elle eu le temps de voir venir la mort ?
Un coup de sonnette la fit sursauter. Claire n’attendait personne.
Elle chercha des yeux une veste à enfiler sur son pyjama avant d’ouvrir. Un homme se tenait devant la porte.
— Claire Penven ?
Elle hocha la tête.
— Bonsoir Madame. Lieutenant Marc Guillerm de la Brigade de Recherches de Brest. Puis-je entrer ? lui demanda-t-il en rangeant sa plaque.
Ses pas l’avaient conduite jusqu’au pays des abers, la côte des Légendes, selon le guide touristique. Mais elle n’était pas ici pour du tourisme. Comme un chien, elle avait flairé sa trace partout où il était passé. Un chemin de larmes et de sang. Il lui avait pris sa vie, mais sa douleur l’avait rendue plus forte. Une statue d’airain animée par une quête que rien n’arrêtait. Cela faisait un an qu’elle avait mis sa vie au seul service de sa recherche. Elle ne vivait que pour cela et par cela.
Elle frotta machinalement la photo dans sa poche. Dirk aurait eu 9 ans hier. La douleur ne l’atteignait plus aussi vivement. Elle était comme un fauve assoupi. Elle la tenait sous contrôle. Quelque chose en elle s’était glacé. Durci.
Plus tard, lorsque tout serait fini, elle s’autoriserait de nouveau à pleurer sur sa tombe. Son petit garçon…
La surprise avait obligé Claire à s’asseoir après que l’homme lui ait expliqué les raisons de sa présence chez elle. Les informations tournaient en boucle dans sa tête. Mais tout était confus. Devant son malaise, Marc Guillerm lui avait servi un verre d’eau, conscient de l’impact de la nouvelle dont il était porteur.
— Je suis désolée, bredouilla-t-elle, à froid comme cela, je ne me souviens pas.
Elle se prit la tête entre les mains, essayant de retrouver les images de la veille, mais rien ne venait. Le trou noir.
— Calmez-vous, lui dit le gendarme. La mémoire va revenir dès que vous aurez surmonté le choc.
Claire acquiesça. Pour le moment, elle ne voyait que les images de Carole agonisant. Ce qu’elle venait d’apprendre l’avait stupéfiée.
Tard dans la soirée, quatre personnes avaient été remontées à bord d’un bâtiment de la Marine Nationale dépêché sur les lieux. À l’endroit supposé de la disparition du Fokker 50. Pour trois d’entre elles, c’était trop tard, la mort avait fait sont œuvre. Par contre, la quatrième vivait encore. Accrochée à un gilet de sauvetage, gravement brûlée et choquée, Carole Dorner respirait encore faiblement. Transportée à l’hôpital de La Cavale Blanche, à Brest, tout avait été mis en œuvre pour la sauver.
Mission impossible, vu la gravité de ses blessures. Le cœur avait lâché. Mais la courageuse Carole qui avait tenu plus de six heures dans les eaux froides du chenal du Four, avait repris connaissance pendant quelques minutes. Elle s’était agitée, voulait parler. Claire n’en revenait pas de l’énergie que son amie, mourante, avait dû déployer pour cela.
Patiemment, Marc Guillerm lui répéta les derniers mots de l’hôtesse de l’air, recueillis par les médecins à son chevet : « Pilotes évanouis ! Tous les deux ! Le crash ! Trop tard pour redresser ! Claire… il faut qu’elle se souvienne, dites à Claire de se souvenir. »
Après ces derniers mots, la vie avait quitté Carole. Un peu hébétée, Claire écoutait le gendarme sans se rendre compte des larmes qui coulaient librement sur ses joues.
Après la désertion de son compagnon au printemps, la perte cruelle de son amie était un nouveau coup du sort. Elle réalisa qu’elle pleurait, lorsque le gendarme lui tendit un mouchoir en papier, et s’essuya les yeux.
— Comprenez-vous le sens des paroles de votre amie ?
— Nooon… mais comment m’avez-vous identifiée ?
— Il a suffi d’interroger la liste des appels du téléphone de Carole Dorner. Vous êtes la seule Claire de ses contacts et vous vous êtes appelées hier midi.
Claire hocha la tête. Il fallait, en mémoire de son amie, qu’elle rassemble ses idées. Elle reprit son récit au début, au moment où elles s’étaient retrouvées dans le hall de l’aéroport de Brest-Bretagne. Elle revoyait Carole lui faire un signe joyeux du haut de l’escalator, sanglée dans sa tenue vert d’eau d’Iroise Air.
Ensuite, qu’avaient-elles fait ? Marché dans le hall en échangeant des nouvelles. Carole était ravie du rapprochement de Claire. Elles allaient pouvoir se rencontrer plus fréquemment. Brest, où elle habitait, n’était qu’à 25 kilomètres de Lannilis. Rien pour elles qui s’étaient habituées à sillonner la planète ! Ensuite, Claire se souvenait qu’elles s’étaient rendues au bar de l’aéroport. Carole avait salué les deux pilotes, installés à une table. Elle leur avait même serré la main. Difficile de songer que ces deux hommes étaient désormais morts. Sauf miracle. Elles s’étaient installées à proximité. Claire tournait le dos aux deux hommes et Carole avait échangé quelques plaisanteries avec eux. De quoi devait-elle se souvenir ? Pourquoi était-ce si important, au point que Carole y consacrât ses dernières forces ?
La journée de Claire s’était déroulée comme dans un rêve. Un mauvais rêve. Tous les gestes qu’elle faisait lui paraissaient étranges, comme déconnectés de la réalité. Une forme d’état de choc, avait-elle diagnostiqué. L’idée de ce qu’avaient pu être les dernières minutes du vol IA 122 l’obsédait. Qu’avait pensé son amie ? Avait-elle tenté une manœuvre désespérée ?
Évanouis ! Les deux pilotes étaient sans connaissance avant l’impact avec la mer. Comment interpréter cette donnée ? Toutes ces questions envahissaient l’esprit de Claire de manière incessante.
Dans un état second, elle s’était occupée de ranger sommairement le contenu de son déménagement. Claire s’était débarrassée des meubles qui lui rappelaient la vie avec Hans. Elle n’avait que le strict minimum ici. L’ancienne propriétaire n’avait emporté que ses effets personnels et sa chambre dans son nouveau logement. Du coup, son fils avait proposé à Claire de lui laisser le reste des meubles, s’ils l’intéressaient. La proposition lui avait convenu. Pour une modique somme, rajoutée au prix de la vente, elle n’avait pas eu à se préoccuper de meubler la maison. Peu en importait le style. L’échec de son couple, sur lequel elle avait tant misé, était encore trop frais. La fracture était récente et tout ce qu’elle recherchait c’était un abri pour panser ses plaies.
Il lui restait ainsi une cuisine en état de marche et un salon composé de trois fauteuils profonds et d’une table basse. L’ensemble était très différent du mobilier de son appartement ultramoderne, mais Claire appréciait le changement radical. Elle en avait besoin. Par contre, elle avait dû acheter un lit et une commode pour meubler la chambre vide.
Une fois le contenu de ses cartons rangé dans les meubles, elle s’était attaquée à la tapisserie du salon. Elle pendait par endroits et elle n’avait eu qu’à tirer. L’humidité aidant, tout était venu assez facilement. Maintenant, elle rassemblait tous les vestiges de l’ancienne décoration dans un grand sac-poubelle. Sale et poussiéreuse, elle sortit le déposer dans la rue, devant son portail. Elle n’avait pas arrêté de la journée et la sueur qui coulait lui piquait les yeux. Elle sursauta en entendant :
— Enfin, je tombe sur vous ! Vous vous faites plus rare que les beaux jours !
Claire se retourna et faillit heurter la femme qui lui parlait. Elle cligna des yeux tant la chevelure longue et bouclée de celle-ci était noire et brillante. Pas besoin de chercher de qui Léo était le fils ! Deux admirables yeux bleu clair complétaient l’ensemble. À un détail près. L’œil droit contenait une tache marron qui attirait le regard.
— Viviane Guellec, dit-elle en lui tendant la main. Claire hésita une seconde et s’essuya sommairement sur son pantalon avant de serrer la main tendue.
— Claire Penven. Vous êtes la…
— …maman des deux chenapans… oui !
— Pardonnez-moi, je ne vous ai pas encore remerciée pour votre cadeau de bienvenue. C’est… vraiment sympathique comme accueil.
— Ce n’est rien du tout. J’ai fait mes études aux États-Unis. Dans le Massachusetts exactement, et j’ai vraiment apprécié leur convivialité entre voisins. Je me suis promis de faire de même une fois rentrée en France !
— Excellente idée et tant mieux pour moi ! Cette tarte était délicieuse et elle est tombée à point nommé !
Un homme se montra au portail, de l’autre côté de la rue et fit un signe discret à Viviane Guellec.
— Ah, mon mari m’appelle. Ce doit être le téléphone, dit-elle avec un sourire contrit… Les patients… On se revoit très vite ?
Claire hocha la tête en souriant tandis que sa voisine traversait la rue.
« Dynamique », songea-t-elle. « Directive. Décidée aussi. » Viviane Guellec était une belle femme, qui aurait eu toutes les dispositions pour être top-model, si ce n’était que la naissance de ses jumeaux avait laissé des traces sur ses hanches et une bonne dizaine de kilos en trop. Claire lui donnait la quarantaine déjà bien entamée. Une personnalité en tous les cas qui, le pressentait-elle, allait animer sa vie au bord de l’aber.
Claire rentra chez elle. La rencontre lui avait fait oublier, quelques instants, le drame qui venait de se jouer la veille. L’image de Carole resurgit, attristant ses pensées. Avant de monter dans le Fokker, elle avait eu le temps de lui dire son bonheur. Depuis six mois, elle vivait avec un mécanicien de l’aéroport. Claire s’était réjouie pour elle et, maintenant, souffrait pour l’inconnu de ce bonheur brisé. Un inconnu qu’elle verrait pour la première fois aux obsèques de son amie. Un face-à-face qu’elle redoutait car, avant de se séparer, Carole avait projeté de le lui présenter la semaine suivante. Elle n’osait même pas imaginer l’intensité du chagrin de ce Laurent inconnu qu’elle pressentait cataclysmique. Y songer lui faisait venir la chair de poule sur les avant-bras. En plus, Claire était consciente de porter une lourde charge sur les épaules en représentant la dernière personne à avoir parlé à Carole sur terre ; quelles seraient les attentes de cet homme ?
Après sa douche, Claire alluma le poste de télévision. C’était le 20 Heures et le journal télévisé déroula son lot de malheurs ordinaires à travers la planète : guerres, attentats, épidémies, séismes, inondations et autres réjouissances du même type. Le crash du Fokker fut évoqué aussi. Actualité récente oblige. Pas d’autres corps récupérés. La liste des passagers était établie et consultable au numéro qui s’afficha au bas de l’écran de télévision. Spontanément, Claire le nota. Pourtant, à part Carole, elle ne devait connaître personne sur ce vol. Le présentateur continuait son monologue. Ce crash restait inexpliqué. Il dit soudain :
« — L’hôtesse de l’air décédée dans la catastrophe aurait parlé avant de mourir et mentionné la perte de connaissance des deux pilotes. Qu’a-t-il pu se passer dans la carlingue du Fokker ? Des sources bien informées disent que Carole Dorner aurait invoqué une amie avant de mourir et dit : « Il faut que Claire se souvienne… »
Claire tressaillit.
Marc Guillerm lui avait fixé rendez-vous à la Brigade de Recherches de Brest. Il s’occupait de l’enquête humaine autour du crash, contrairement au BEA (bureau d’enquêtes et d’analyses de l’aviation civile, basé près de Paris) orienté sur la technique. Une enquête technique a pour seul objet de collecter et d’analyser les informations utiles et de déterminer les circonstances et les causes possibles de l’accident. Claire savait tout cela pour y avoir été confrontée durant sa carrière. Pour l’instant, elle avait bien compris que les derniers mots de Carole avant de mourir intriguaient les enquêteurs. D’où la convocation pour l’interroger. Quel rapport entre le verre pris à l’aéroport avec son amie et l’évanouissement supposé des pilotes ? Claire n’en avait aucune idée, d’autant qu’ils ne l’avaient pas vraiment consommé ensemble. Et rien de ce court moment ne lui revenait en mémoire. Trou noir.
Elle allait tout de même se rendre à la BR, soucieuse d’obtempérer à la demande du lieutenant. Malgré la distance réglementaire due à sa fonction et le chagrin que Claire ressentait, elle l’avait trouvé attirant. Un éclair dans le regard. Un charme contenu derrière la rigueur militaire. Encore que les enquêteurs de la BR pouvaient travailler en civil, ce qui avait été le cas de Marc Guillerm lors de sa visite chez elle.
Claire avait rapidement parcouru la distance entre Paluden et Brest. Sortir lui faisait du bien. Sa petite maison était en chantier ; « comme moi », songeat-elle. Elle allait profiter de cette sortie pour faire la vidange de sa voiture. C’était le moment. Avant de partir, elle avait pris rendez-vous dans un garage de Saint-Pierre. En deux heures ce serait fait.
Elle repéra l’enseigne et déposa sa voiture devant le pont. Le mécanicien prit les clés et lui indiqua l’heure où elle serait prête. Claire attrapa son sac et chercha de la monnaie pour payer le bus. Une vingtaine de minutes plus tard, elle se retrouva au quartier Buquet, lieu de la BR. Le planton appela le service et elle vit apparaître dans l’allée le lieutenant, en tenue cette fois-ci. Cela le changeait de son habillement précédent, plus détendu. Mais Claire dut s’avouer qu’il portait bien l’uniforme. Une taille moyenne qu’elle situait entre 1 mètre 75 et 1 mètre 78, les cheveux blonds et de superbes yeux gris qui la sondaient calmement avec une ébauche de sourire. Elle serra la main tendue et le suivit. Les locaux de la BR occupaient visiblement d’anciens logements de fonction. Dans une pièce qui semblait avoir été une cuisine, elle distingua du matériel d’analyse et un militaire, les mains gantées, occupé à examiner des scellés. Dans une autre pièce, à la tapisserie désuète, trônait une antique IBM. Marc Guillerm lui fit un sourire d’excuse en remarquant son étonnement.
— Eh oui, malgré nos besoins, on n’est pas les mieux placés pour l’équipement…
Claire ne releva pas et fit une grimace de compréhension. Le lieutenant avait pris place à un bureau et lui avait fait signe de s’installer en face de lui. Il interpella un autre gendarme qui revint, quelques minutes après, avec deux cafés fumants.
— Du sucre ?
Claire hocha la tête et il laissa tomber une pierre dans sa tasse. Enfin, il ouvrit un dossier devant lui.
— Alors, mademoiselle Penven, avez-vous réfléchi à votre dernière rencontre avec Carole Dorner ?
— Je n’ai fait que cela, répondit tristement Claire. Plus j’y songe et plus cette dernière rencontre m’apparaît dans une bulle de brouillard. Tout est flou autour de moi, sauf la voix de Carole que j’entends distinctement.
— Racontez-moi un peu tout cela, reprit Marc Guillerm. Le contexte. Comment vous vous êtes connues. Depuis quand vous ne vous étiez pas revues. Pourquoi ce jour-là en particulier. De quoi vous avez parlé. Qui vous avez vu pendant que vous étiez ensemble… A-t-elle adressé la parole à quelqu’un en particulier ?
Claire leva les mains en signe de reddition.
— Doucement ! Cela fait beaucoup de questions en même temps.
— Commençons par le début, alors…
Claire s’exécuta. Elle relata comment Carole et elle s’étaient connues comme CVA, le sigle des convoyeuses de l’air, dans l’escadrille aéro-sanitaire. La lueur d’intérêt qui s’était allumée dans l’œil de Marc Guillerm l’engagea à développer le sujet. Elle lui parla de leurs trois casquettes, d’infirmière, d’hôtesse de l’air et de parachutiste et de leur appartenance à l’armée de l’Air.
— Militaire aussi ? dit-il en souriant.
— Ancienne. Je viens de poser ma retraite récemment.
— Une bien jeune retraitée !
Claire continua, brossant un portrait posthume de Carole. Puis elle survola la fin de son contrat, éludant les raisons de sa fuite en Bretagne, mais elle vit passer une ombre dans les yeux gris du lieutenant. « Il n’est pas dupe », pensa-t-elle furtivement.
Enfin, elle en arriva à sa reprise de contact avec Carole qui s’était installée ici avant elle. Elles ne s’étaient pas revues depuis Noël. Avant le départ de Hans…
Puis elle en vint à cette dernière journée fatidique. Marc Guillerm jetait des notes dans un carnet en cuir noir. Claire en était au moment où elles prenaient ce dernier verre avant le vol. Il sortit deux photos d’un dossier et les posa devant Claire. Une bouffée d’émotion l’envahit en reconnaissant les deux pilotes qu’elle avait brièvement côtoyés. Elle avait serré la main de ces deux inconnus une heure trente avant leur mort.
— Souvenez-vous de tous les détails, insista le lieutenant. Où étaient-ils installés ? Que buvaient-ils ? Y avait-il d’autres personnes avec vous ?
Claire tenta de revoir la scène, mais une brume opaque se levait, envahissant sa mémoire. Elle secoua la tête, les larmes aux yeux.
— Je n’y arrive pas… je n’y arrive pas…
Marc Guilerm la rassura :
— Calmez-vous. Respirez doucement et dites-vous que ce brouillard va se lever.
— Mais pourquoi me posez-vous toutes ces questions ? C’est le BEA qui enquête normalement…
— Oui, pour tout ce qui est technique. Mais ici, les derniers mots de votre amie laissent penser qu’il s’est passé quelque chose d’anormal au niveau des pilotes. Un évanouissement suspect. Pour quelle raison ? C’est ce que je m’efforce de trouver. Sans leurs corps pour des analyses toxicologiques, on est dans le flou.
Claire acquiesça.
— Et puis surtout, elle vous a nommée, en insistant… Elle voulait que vous rassembliez vos souvenirs…
— Si je pouvais…
Il regarda Claire droit dans les yeux et elle sentit un frisson remonter le long de son épine dorsale, tandis qu’il prononçait les mots suivants :
— Carole Dorner a songé à vous avant de mourir. C’est forcément important. Elle a voulu faire passer quelque chose de capital à ses yeux. Peut-être avez-vous été témoin d’un fait important, sans le savoir. C’est la raison pour laquelle je suis missionné dans cette enquête. On n’est plus sur un rapport technique de l’aviation civile, mais sur de l’humain.
Qui avait interféré dans ce vol et portait d’une manière ou d’une autre la responsabilité du crash ?
Claire était ressortie de la BR de Brest un peu sonnée. Les points sur les “i” étaient mis et, selon le lieutenant de gendarmerie, il était possible que quelqu’un ait drogué les pilotes, créant l’accident.
Le tout était de savoir si c’était au moment où elle se trouvait en compagnie de Carole. À moins que ce ne soit avant, pendant leur repas, ou encore au début du vol…
Marc Guillerm était un homme sympathique mais, Claire l’avait bien senti, c’était avant tout un enquêteur. Or, sa présence auprès de l’équipe navigante juste avant le vol la rendait suspecte. Elle était la dernière à les avoir vus vivants, hormis les passagers.
Certes, les mots de Carole ne l’accusaient pas directement. Ils demandaient qu’elle se souvienne. De quoi ? se demandait Claire en boucle. Mais elle était nommée et comment les dernières paroles d’une mourante pouvaient-elles être interprétées ?
Elle en était là de ses pensées lorsque son bus arriva pour la ramener à Saint-Pierre. Claire monta machinalement dedans.
Une petite pluie fine et froide s’était levée, noyant le paysage. Une météo semblable à son moral.