Le Cobra de Brest - Martine Le Pensec - E-Book

Le Cobra de Brest E-Book

Martine Le Pensec

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Beschreibung

Une série de crimes frappent la ville bretonne de Brest

Deux femmes sont exécutées au cyanure, une troisième lutte contre la mort, comme cet inconnu retrouvé dans le coma à proximité du corps de la première victime... Un meurtrier en série frappe-t-il à Brest ?
À Léa Mattéi, adjudant de la BR de Brest, de faire la lumière sur ces crimes tandis que les drames s'accumulent, resserrant les pistes de l'enquête autour de la Cavale Blanche, l'hôpital brestois, avec l'accident mortel suspect d'un chirurgien et l'agression d'une secrétaire médicale.
La jeune enquêtrice et son commandant, Marc Guillerm, vont devoir démêler un imbroglio dans lequel un machiavélique Cobra semble mener le jeu, à un moment déjà difficile de leurs vies personnelles...

Plongez au cœur d'une énigme passionnante avec ce 5e tome des enquêtes de Léa Mattei !

EXTRAIT

Sans s’en rendre compte, il oscillait sur le trottoir comme un ivrogne. Il fit une pause pour laisser passer la nausée. Tandis qu’il s’appuyait sur le muret d’enceinte d’une entreprise, ses yeux furent attirés par le manège d’un homme. Accroupi entre deux voitures, il semblait guetter. Bizarre ! se dit-il. Il s’essuya le visage avec un mouchoir trouvé dans sa poche. Soudain, les choses se précipitèrent. Une femme arrivait d’un pas pressé. Elle sortait d’un des bâtiments et ses talons claquaient sur le bitume. Tac, tac, tac. Le bruit résonna dans sa tête à un point inimaginable. Il enflait démesurément jusqu’à la souffrance. Subitement, l’homme accroupi se jeta devant elle. « Désolé ! » eut-il le temps d’entendre tandis qu’il braquait quelque chose sur elle. La femme ouvrit des yeux stupéfaits, sa bouche s’arrondit de surprise, elle tenta un mouvement de recul avant de s’effondrer sans un cri.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. – Ouest France

Très bonne enquête. Des personnages intéressants. Une écriture plaisante. On a vraiment envie de lire d'autres romans de cet auteur. - serjyo, Booknode

À PROPOS DE L'AUTEUR

Née à Cherbourg, Martine Le Pensec vit à Toulon où elle travaille dans le secteur public. Mère de quatre filles, d’origine bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical dans lequel elle a travaillé plusieurs années. Elle signe, avec Le Cobra de Brest, son douzième roman policier.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

« Tout homme qui n’accepte pas les conditionsde la vie vend son âme. »

Les Paradis Artificiels - Charles Baudelaire

« Il faut dire à tout esprit naissant qu’aucunecause ne vaudra jamais la mort d’un innocent. »

Daniel Balavoine

I

L’avion venait d’atterrir sur l’aéroport Brest-Bretagne de Guipavas. Il consulta nerveusement sa montre. Le timing était juste pour son rendez-vous. En traversant la piste, il prit de plein fouet la pluie froide de janvier. Il serra les dents. Son mal de tête s’amplifia. Cela faisait deux jours qu’il ne le lâchait pas. Quelle guigne ! Pourtant, il avait vraiment besoin d’être en forme.

L’homme obliqua vers les toilettes de l’aéroport. Besoin de se rafraîchir. Il posa son sac à terre, près des lavabos, et ôta sa veste de costume pour la poser dessus. Son téléphone glissa de sa poche et, avec une pointe d’agacement, il le fourra dans le sac. Un coup d’œil à la glace lui confirma qu’il avait une tête de déterré. Pas le moment pourtant. Son mal de tête pulsait de plus en plus fort. Un gyrophare lumineux tournait dans son crâne. Horrible. Il prit un comprimé dans la poche extérieure du sac et l’avala avec une gorgée d’eau recueillie au creux de sa main. Fallait qu’il se calme sur les médocs ! Depuis deux jours, il en avait pris beaucoup. Bon, dès que le rendez-vous serait passé, il consulterait un toubib avant de repartir. Il remit sa veste. Les toilettes étaient vides et il laissa le sac dans un coin avant de rentrer dans un des WC. En ressortant, à peine trois minutes plus tard, celui-ci avait disparu. Il sentit le désarroi l’envahir. Il avait tout dedans ! Même son téléphone qu’il venait de glisser bêtement à l’intérieur ! Pendant qu’il était aux toilettes, il avait bien entendu la porte s’ouvrir et se refermer rapidement. Quelques secondes avaient suffi pour que disparaisse son sac… Il sentit une nausée l’envahir et une gorgée de bile remonter. Le mal de tête redoublait et une fine sueur froide mouillait ses tempes. Il courut dans le hall, cherchant des yeux le sac noir, sans signe distinctif, dans les mains d’un autre. En vain. Il se maudit de l’avoir choisi aussi neutre. Des cercles concentriques comme des ondes brillantes et floues voilaient sa vision et il secoua la tête pour les chasser. Du regard, il chercha un endroit où déclarer le vol et consulta ses poches en même temps. Il ne lui restait qu’un billet de vingt euros dans l’une d’elles. C’était tout.

Bon sang, sa convocation était restée dans le sac avec son portefeuille, ses papiers, son téléphone et sa carte bleue ! Une catastrophe.

Il fut tenté de s’asseoir et de pleurer de dépit et de fatigue, mais l’heure tournait. Il se souvenait de l’adresse. C’était le plus urgent. Il n’allait pas aussi rater cela… Après, il aviserait.

Un bus partait pour Brest. Il sauta à l’intérieur, juste avant que les portes ne se referment. Assis sur un siège, il se sentait nu et désemparé. Son téléphone lui manquait. Il ne connaissait pas le coin et son GPS intégré lui aurait été utile. Heureusement, il avait mémorisé le nom de l’arrêt où descendre. C’était noté dans la convocation. Vingt minutes plus tard, il mettait pied à terre dans une zone industrielle. Il aperçut un hypermarché à proximité et des entreprises à perte de vue. il respira un grand coup. Se calmer. Il fallait qu’il se calme. Donner le meilleur de lui-même. Un petit rire étranglé lui échappa.

Il tourna sur lui-même pour s’orienter. Au pif, il prit à gauche. Il avait encore une heure devant lui. Il s’engagea dans une voie de traverse tout en cherchant son nom. Il déchiffrait celui des entreprises et cherchait à se souvenir à côté de laquelle se trouvait celle où il se rendait. L’endroit était désert et ce n’était pas ce temps pourri qui incitait les Brestois à la flânerie. Son stress grandissait. Le mal de tête jouait du tambour dans son crâne et cela devenait intolérable. Sans s’en rendre compte, il oscillait sur le trottoir comme un ivrogne. Il fit une pause pour laisser passer la nausée. Tandis qu’il s’appuyait sur le muret d’enceinte d’une entreprise, ses yeux furent attirés par le manège d’un homme. Accroupi entre deux voitures, il semblait guetter. Bizarre ! se dit-il. Il s’essuya le visage avec un mouchoir trouvé dans sa poche. Soudain, les choses se précipitèrent. Une femme arrivait d’un pas pressé. Elle sortait d’un des bâtiments et ses talons claquaient sur le bitume. Tac, tac, tac. Le bruit résonna dans sa tête à un point inimaginable. Il enflait démesurément jusqu’à la souffrance. Subitement, l’homme accroupi se jeta devant elle. « Désolé ! » eut-il le temps d’entendre tandis qu’il braquait quelque chose sur elle. La femme ouvrit des yeux stupéfaits, sa bouche s’arrondit de surprise, elle tenta un mouvement de recul avant de s’effondrer sans un cri. L’agresseur se rapprocha d’elle. Il le vit sortir quelque chose de sa poche et le porter à la bouche de la femme.

Dans sa tête, quelque chose lâcha au même moment. Il sentit un flottement bizarre. Tout lui semblait ralenti. « Distorsion du temps », songea-t-il. Il avait dû crier en tombant. L’homme s’était retourné vers lui. Il s’approcha, se pencha sur lui et ses yeux avant de se fermer captèrent un détail insolite.

II

Léa Mattei se présenta à l’entrée de la Cavale Blanche, l’hôpital brestois. L’entrée en avait été modifiée depuis l’année précédente pour réaliser le futur bâtiment des urgences. Les travaux changeaient considérablement l’organisation des accès ainsi que des stationnements. C’était aussi bien. Tout ce qui pouvait effacer les mauvais souvenirs était bienvenu. Léa Mattei était preneuse. Le travail appelait l’adjudant de gendarmerie ici, aujourd’hui, mais elle ne pouvait s’empêcher de songer aux jours noirs qui avaient précédé le décès de Claire Penven, la compagne de son chef, le commandant Marc Guillerm. C’était aussi une amie de Léa. Six mois déjà que la jeune femme calme et douce était partie dans un claquement de doigts. Ou plutôt emportée en moins de deux mois par une leucémie foudroyante. De quoi pétrifier tout son entourage. Cela ramenait Léa à la fragilité de la vie. On n’était que de passage…

Marc Guillerm s’était comporté avec courage, comme à son habitude, mais Léa avait perçu l’effroyable détresse de son chef devant la mort inéluctable de Claire. Celle-ci n’avait jamais évoqué son prochain décès, d’après Marc. Avait-elle eu le temps d’en prendre conscience ou avait-elle voulu épargner ses proches en éludant le sujet ? La question resterait désormais sans réponse. Les derniers jours, celle-ci n’était plus que l’ombre d’elle-même, le fantôme de la Claire d’autrefois. Marc était décidément peu heureux en amour. Sa première femme, Magali1, gendarme elle aussi, l’avait quitté après quatre ans de mariage pour rejoindre son Sud natal. Incompatibilité d’humeur entre la Marseillaise et le climat breton. Ensuite, il y avait eu les trois ans de sa relation avec Claire et de nouveau le silence assourdissant de la solitude.

Léa en avait le cœur serré pour lui. Marc s’était montré tellement attentif et présent lorsqu’elle avait traversé une épreuve l’an passé. Il avait été pour elle un soutien sans faille. Désormais, elle s’attachait à lui rendre la pareille.

Ce matin, il l’avait envoyée à l’hôpital pour une enquête. Deux semaines plus tôt, un inconnu avait été retrouvé sans connaissance dans la zone industrielle de Gouesnou. Effondré sur le trottoir d’une rue bordée d’entreprises. Pas de sacoche, pas de papiers, pas de téléphone portable. En costume et chemise. Dans une de ses poches, il avait un peu moins de vingt euros et un ticket de bus.

D’où venait-il ?

D’après les médecins, aucune trace d’agression. Mais il se trouvait depuis dans le coma.

Personne ne s’était manifesté à sa recherche. Il fallait passer à la vitesse supérieure pour mettre un nom sur cet homme.

Elle se présenta à la porte du service de réanimation et fut reçue par l’infirmière-chef. Une grande brune assez rigoureuse qui dispatchait les ordres dans le service.

— Tous les lits sont remplis, alors on n’a pas beaucoup de temps, s’excusa-t-elle.

— Ce ne sera pas long, la rassura Léa.

Elle passa nerveusement la main dans ses cheveux courts et bruns, qu’elle avait récemment éclaircis de quelques mèches dorées.

La femme l’amena à un lit de réa, abrité par des tentures en plastique. Les machines faisaient un bruit qui lui sembla assourdissant, et cliquetaient régulièrement. L’homme ne respirait pas seul et le souffle profond de la machine emplissait l’espace restreint, mettant l’adjudant mal à l’aise. Elle s’approcha du lit. L’homme, en partie relevé, avait les yeux mi-clos. Le tuyau d’intubation sortait de sa bouche, appuyant sur la commissure des lèvres. Son visage était de cire. L’infirmière releva avec douceur une mèche brune qui retombait sur son front.

— C’est un beau garçon…

Léa Mattei observa ses traits. Le coma modifie profondément les êtres.

L’immobilité fait fondre rapidement les muscles. Quant à l’absence de conscience, elle rend le visage énigmatique. Mais c’était vrai, l’inconnu devait avoir de l’allure. Un mètre quatre-vingt-trois, soixante-quinze kilos à son arrivée. Une taille athlétique. Brun aux yeux bruns. Rien de particulier à signaler. Pas de cicatrices. Une empreinte dentaire venait d’être faite. Cela servirait à consulter le fichier des personnes disparues. Si seulement celui-ci y figurait, cela faciliterait les choses, songea-t-elle. Mais quelque chose lui soufflait que ce n’était pas le cas.

Avec son appareil photo numérique, elle fit plusieurs clichés de l’homme sous différents angles.

— Il va se réveiller ? demanda-t-elle à voix basse.

L’infirmière fit la grimace.

— Impossible à savoir pour le moment. Tenez, voici le docteur Kergaradec…

Elle la confia au médecin. Celui-ci lui serra la main et l’entraîna un peu plus loin.

— Ah, vous êtes venue pour notre inconnu… Une situation pas banale, n’est-ce pas ?

— Comment va-t-il ?

— Globalement mieux, même s’il se trouve toujours dans le coma. Ses paramètres sont stables et son coma moins profond. Il remonte à la surface.

— Mais que lui est-il arrivé ? Pensez-vous qu’il ait pu être agressé ?

— Franchement non. Scan et IRM montrent un AVC, un accident vasculaire cérébral. Par contre…

— Oui ?

Léa avait senti un fléchissement dans la voix du médecin.

— Il montre des signes de paralysie.

— Ce n’est pas normal avec un AVC ? Je pensais que l’hémiplégie allait de pair…

— C’est exact. La plupart des graves AVC entraînent une hémiplégie, selon l’hémisphère du cerveau qui a subi l’hémorragie. Mais cet homme présente des signes de paralysie totale. Il s’agit vraisemblablement de ce qu’on appelle dans notre jargon médical un “locked-in syndrome”, autrement dit un syndrome d’enfermement.

Léa resta sans voix. Avant de repartir, elle repassa par le box et entrouvrit le rideau de séparation. Le souffle de la machine scandait toujours la respiration de l’inconnu. Ainsi perdu sur son lit médicalisé, il était émouvant et Léa se promit de lui rendre son identité.

1 Voir Terminus à Lannilis, même auteur, même collection.

III

« Je sais ce que tu caches. Ton masque tombera bientôt. À bon entendeur salut ! »

Le message anonyme était arrivé dans une enveloppe ordinaire à son intention. Glissé dans la pile habituelle du courrier.

Fasciné et terrorisé à la fois, il fixait les mots découpés dans des magazines. C’était le troisième de ce genre depuis Noël. Le premier lui avait fait l’effet d’un coup de tonnerre dans un ciel bleu. Peu à peu, il avait occulté l’événement jusqu’à pratiquement l’oublier. Rien dans ce message ne pouvait le mettre sur une piste. Qui d’autre savait ? QUI ?

Il froissa nerveusement le feuillet et le jeta de colère sur le sol. Quelques instants plus tard, il le récupérait et le défroissait nerveusement du plat de la main. Ensuite, il le rangea avec les autres dans sa sacoche fermée à clef.

*

— On tourne en rond, dit le commandant Guillerm d’une voix atone.

Léa lui jeta un regard furtif. Elle le connaissait suffisamment pour savoir qu’il était au fond du trou. Seul le travail dans lequel il se plongeait jour et nuit, lui permettait de rester debout. Elle lui trouva les yeux un peu trop brillants et le teint un peu trop blême. Un élan de tendresse l’envahit et elle eut l’envie subite de passer sa main dans ses cheveux blonds. Difficile de garder la bonne distance entre l’amitié et la rigueur professionnelle. Elle le savait réservé et ne voulait pas l’embarrasser. Connaissant la douleur de perdre quelqu’un, le vide affreux qui serre la gorge et le monde décoloré par l’absence, elle aurait voulu adoucir sa peine.

Elle revint à des considérations plus professionnelles en constatant que Marc avait levé la tête et attendait sa réponse. Il parlait du meurtre inexpliqué d’une femme, quinze jours plus tôt.

— Anne Audier, récita-t-elle, née le 13 septembre 1984. Employée d’un laboratoire d’analyses médicales installé en zone industrielle.

Marc continua :

— Elle a été retrouvée à 12 heures 02 sur le parking, allongée entre deux voitures. Mort instantanée. D’après le légiste, la victime avait d’abord été neutralisée avec un appareil de type Taser. On a retrouvé la marque de deux petits points sur son torse. Ensuite, et là ça devient carrément glauque, la mort serait due à l’ingestion de cyanure.

— Plutôt inhabituel comme mode opératoire, commenta Léa.

— On se perd en conjectures. Aucun fait saillant dans la vie d’Anne Audier. Vingt-neuf ans et des poussières. Mariée, sans enfant. Le mariage date de deux ans et le couple s’entendait à merveille selon les témoignages.

— Le mari a un alibi imparable. À l’heure du crime, il se trouvait embarqué sur le sous-marin Le Terrible, basé à l’Île Longue dans la rade de Brest. Lequel était de sortie au large.

— Côté travail, c’était une laborantine appréciée de ses collègues et de ses employeurs.

— Autant dire le “pot au noir” pour nous, conclut sombrement Léa. Pas l’ombre d’un début de piste. Mais cela ressemble furieusement à une élimination en règle. Celui qui lui a fait ça voulait absolument qu’elle meure. Avec le cyanure, il ne lui a laissé aucune chance…

Marc Guillerm se frotta les yeux d’un air las. « Doit pas beaucoup dormir », songea Léa. Changeant de sujet, son chef lança :

— Et l’inconnu de la Cavale Blanche, ça avance ?

L’adjudant secoua la tête.

— Pas mieux. Je suis allée le voir en réa. Le pauvre gars est dans un sale état, selon le toubib.

— Son état ne s’est pas amélioré ?

— Si, la phase critique est passée, mais le doc pense qu’il est totalement paralysé.

— Ah oui, quand même !

— J’ai fait diffuser des photos. Rien dans ses poches pour l’identifier. À l’hosto, ils ont fait un panoramique de sa dentition. On soumet aux dentistes du coin. Encore faudrait-il qu’il soit brestois…

— Il n’y a vraiment aucun témoignage sur lui ? Personne ne l’a vu ?

— Non, répondit Léa sombrement. Pas plus que pour le meurtre d’Anne Audier. Par contre, j’ai relu le PV. Les pompiers l’ont récupéré dans la rue à une dizaine de mètres de la victime. Coïncidence ou pas ? Tel qu’il se trouvait, il a pu voir ce qui s’est passé, à condition bien sûr qu’il soit arrivé à ce moment. La seule inconnue c’est cela : soit il était déjà tombé avant le meurtre et, à terre, caché par le muret de clôture, le meurtrier ne l’a pas vu, soit il a eu son attaque alors que la victime était déjà à terre et morte. Mais il y a une fenêtre de temps où il a pu arriver dans la rue au moment du meurtre. D’ailleurs, qui sait si l’émotion n’a pas pu provoquer son AVC ?

Songeur, Marc Guillerm ajouta :

— C’est vrai qu’il a pu faire une crise cardiaque sous le coup de la peur, effectivement.

— Ce n’est pas une crise cardiaque, corrigea Léa. Les toubibs parlent d’un AVC.

— OK. Même ça, c’est possible. Une poussée d’hypertension sous le coup d’une émotion forte, ça arrive et ça fait claquer un vaisseau.

— Hou ! Tu t’y connais un peu, on dirait !

Léa se mordit la langue.

Marc venait de passer trois ans avec Claire, une ancienne infirmière militaire.

— Ça se tient. Surtout que s’il est arrivé avant, cela aura pu gêner le meurtrier.

— D’accord avec toi. Ce serait plus plausible qu’il soit tombé après, tout dépend combien de temps après…

— Ce serait bien qu’il sorte du coma pour lui poser quelques questions.

— Ainsi tu ferais d’une pierre deux coups en lui redonnant une identité et en obtenant des détails sur le meurtre. Petite futée !

Marc avait souri franchement et cela fit chaud au cœur de Léa. C’était devenu tellement rare depuis l’été dernier…

IV

Cela faisait près d’une heure qu’il l’attendait en face du cinéma. Il s’était posté près de l’arrêt de bus, à l’angle de la rue Jean-Jaurès et de la rue Jules-Ferry. La fraîcheur de la nuit le faisait frissonner et il faisait les cent pas pour se réchauffer. Sa montre indiquait minuit 10. Elle n’allait pas tarder à sortir. La dernière séance s’était terminée vingt minutes plus tôt. Le temps de nettoyer rapidement la salle des débris de pop-corn et elle serait là.

*

Maud renvoya les mèches blondes qui lui tombaient devant les yeux d’un geste habituel. Elle sourit toute seule à cette idée. Fabrice adorait ce geste et ne se lassait pas de la regarder le faire. Ils s’étaient rencontrés six mois plus tôt et ne se quittaient plus. Maud Servain était ouvreuse au Nordic, un cinéma de Brest, depuis dix ans. Elle cumulait cet emploi avec des heures de ménage. Rien d’extraordinaire, mais elle s’en sortait. Fabrice était agent de sécurité et travaillait souvent le soir et la nuit. Elle fit la grimace à l’idée de rentrer seule. Elle se hâta de finir la grande salle et rangea son chariot de nettoyage. Elle embrassa Pedro, le gars de la sécurité, et Michel qui comptait la caisse, avant de se faufiler dans la nuit rejoindre sa voiture. Le temps était au froid et elle ferma soigneusement sa veste. C’était le cœur de l’hiver et il n’était pas tendre à Brest. L’air frais la gifla désagréablement. Fatiguée, elle avait hâte de se glisser dans la tiédeur de ses draps. Avant, il fallait qu’elle traverse la ville. Les derniers spectateurs s’étaient dispersés depuis longtemps et la rue était déserte. Elle la traversa en biais, la tête baissée. Il lui sembla percevoir un mouvement sur sa gauche. Alors qu’elle s’apprêtait à dépasser l’arrêt de bus, un homme habillé de noir surgit sur le côté. Elle enregistra pêle-mêle son bonnet de mer enfoncé profondément sur sa tête et ses yeux froids tandis qu’il pointait quelque chose vers elle. Maud sursauta, mais il ne cherchait pas à s’approcher d’elle. Il s’était arrêté à trois mètres. Que voulait-il ? Une sueur froide lui coula dans le cou. Un pressentiment. Il y avait tellement de malades maintenant… Elle capta un détail sur son cou. Deux dards jaillirent et s’accrochèrent à elle avant qu’elle ait eu le temps de réagir. Une douleur violente la suffoqua. Le système nerveux paralysé, elle s’effondra en arrière.

Recroquevillée sur elle-même, la jeune femme n’était que souffrance. Tout son corps lui semblait bizarrement engourdi. L’individu s’approcha enfin d’elle. Maud hurla dans sa tête car aucun son ne sortait de sa gorge. Elle sentit qu’elle bavait. Il tira sur des fils accrochés à ses vêtements, puis il la traîna à l’abri des regards, derrière l’abribus. Dans l’angle mort où on ne pouvait pas l’apercevoir aisément.

Maud Servain tentait de mobiliser ses muscles choqués par la décharge électrique. Elle venait de comprendre que son agresseur s’était servi d’un Taser. Fabrice lui en parlait quelquefois. Ce foudroyeur, considéré comme une arme de quatrième catégorie, envoie une décharge électrique de plusieurs dizaines de milliers de volts pour bloquer le système nerveux. Un joujou capable de maîtriser un homme. Son cerveau fonctionnait au ralenti après le choc, mais elle se demandait quel était le but de l’agresseur. Car il avait forcément une idée en tête ! On ne se servait pas d’un Taser comme cela, gratuitement, sur une femme. Engluée par le choc, il semblait à Maud que le temps s’étirait comme un fil, mais, en réalité, l’homme n’avait pas perdu de temps pour ranger les électrodes et la déplacer. Tout aussi rapidement, il avait extrait un flacon de sa poche. Les yeux exorbités par la terreur, elle le vit en retirer des cristaux avec une pince à épiler. Il appuya sur la commissure de ses lèvres pour lui faire ouvrir la bouche et glisser le produit sur sa langue. Elle sentit une odeur d’amande amère.

— Désolé, souffla-t-il.

Une terreur abjecte l’envahit et elle tenta une nouvelle fois de s’échapper, mais ses mouvements anarchiques restaient sans effet. Une faiblesse générale l’envahit, suivie d’un vertige profond. En quelques secondes, sa respiration venait de se bloquer. Elle suffoqua et perdit conscience tandis que de violentes convulsions l’agitaient sur le sol.

V

Maud Servain fut découverte trois heures plus tard au passage des éboueurs. L’homme, choqué, ne cessait de répéter en boucle :

— J’ai cru que c’était un paquet posé par terre. Quand je me suis approché pour l’attraper, j’ai eu la peur de ma vie ! Ses yeux…

Il revivait interminablement l’instant où il avait croisé le regard de la morte.

— Odeur d’amande amère, commenta Marc Guillerm, d’après les premières constatations. Même scénario que la première fois. Taser plus cristaux de cyanure. Mort quasi instantanée.

Léa Mattei fronça les sourcils.

— Espérons qu’on n’a pas affaire à un malade qui fait ça pour se distraire, sinon on a un sacré problème sur les bras ! Qui est la victime ?

— Maud Servain, l’ouvreuse du cinéma en face de l’endroit où elle a été découverte. Une femme née en 1984. Elle venait de terminer son service. En couple depuis quelques mois avec un agent de sécurité. Hors de cause. Il travaillait cette nuit sur un site, en équipe. Il a fallu l’hospitaliser sous calmants.

— Tu m’étonnes…

Au moins, cette nouvelle affaire avait le mérite d’occuper l’esprit de Marc et de le distraire de ses pensées moroses, songea Léa. Mais il ne faudrait pas que le meurtrier prenne trop goût à ce genre de mise en scène. Curieuse façon de procéder d’ailleurs. Elle passa en revue les différents types de meurtres. Trop froid et calculé pour un meurtre passionnel. Pas de sang. Et puis c’était le deuxième sur le même modèle. Le Taser servait à immobiliser la victime sans que le meurtrier n’ait à intervenir physiquement. Ensuite, lorsqu’elle était à terre, il n’avait plus qu’à lui glisser le cyanure entre les dents. Un produit qui n’était pas à la portée de n’importe qui. Très dangereux à manipuler. Les deux fois, le meurtre s’était passé à l’extérieur, à la merci d’un témoin. Cela laissait penser à Léa qu’il ne connaissait pas intimement ses victimes, sinon il aurait pu entrer à leur domicile et les tuer tranquillement à l’intérieur. De même, un meurtrier en série, obéissant à un rituel, aurait enlevé sa victime et s’en serait occupé tranquillement à l’abri des regards, en savourant le moment. Là, cela semblait un peu précipité à Léa. Bâclé, bien qu’obéissant à une certaine organisation. Un meurtre fait pour éliminer sans débordement, d’une froideur machiavélique.

Pourquoi avait-on voulu éliminer ces deux jeunes femmes ?

*

Cela faisait trois jours qu’il avait repris conscience. Harassé. Écrasé de fatigue. Il avait le sentiment de devoir enfoncer des pitons dans une paroi rocheuse pour se hisser à la force des bras.

Au moins, ses maux de tête épouvantables avaient pris fin. Il se sentait juste vide et terriblement fatigué. Ses yeux naviguaient d’un bord à l’autre de la pièce et ne reconnaissaient rien. Il entendait le souffle rauque des machines et sentait l’odeur caractéristique de l’hôpital. Petit à petit, la conscience lui revenait. Comme un puzzle éclaté, des bribes de souvenirs apparaissaient. Le choc d’un atterrissage, un ticket de bus, une rue vide et les maux de tête qui tapaient, tapaient…

L’irruption de l’infirmière le surprit au milieu de ses pensées. Elle lui braqua une lampe dans les yeux et s’adressa à lui :

— Bonjour ! Je suis Françoise. Comment ça va, ce matin ?

Elle observa sa réaction et reprit son monologue. Elle avait coupé le fil de ses souvenirs et il soupira intérieurement. Quelque chose clochait, mais il ne parvenait pas à comprendre quoi.

*

— Deuxième meurtre identique, dit Marc Guillerm en voyant Léa s’affaler sur la chaise en face de lui. Tes premières constatations ?

L’adjudant Mattei, réveillée aux aurores, s’était rendue sur les lieux du crime.

— Taser plus cyanure. Soit c’est un sacré malade soit un type extrêmement déterminé.

— Avons-nous un lien entre les victimes ?

— Pas encore. Toutes les deux nées en 1984. Rien d’autre. Deux métiers différents. Elles habitaient chacune à un bout de la ville. Apparemment, elles ne se connaissaient pas.

— Leurs conjoints ?

— Un militaire pour Anne Audier et un agent de sécurité pour Maud Servain. Pas de lien entre eux.

— Des activités identiques ? Club de sport, de loisirs ?

— On cherche, répondit sobrement Léa.

Celle-ci avait examiné le corps. Arrivée avant le légiste, elle avait détecté l’odeur caractéristique d’amande amère qui flottait autour de la victime. Vu aussi la couleur rose vif de son visage qui signait l’empoisonnement au cyanure. Elle était plus habituée aux meurtres par arme à feu et arme blanche, voire étranglement, que par ce procédé inhabituel et dérangeant.

— 1984, reprit Marc Guillerm. Elles sont de la même année. Tu as pensé au parcours scolaire ? Elles ont pu être dans la même école, le même lycée ou la même fac…

— Possible, cela fait partie de nos investigations. On ne va pas tarder à le savoir.

— En tous les cas, si ce n’est pas une vengeance et deux meurtres liés, on a un problème…

— Tu crois à un nouveau meurtrier en série ?

— Quelque chose me souffle que ça ne va pas s’arrêter si vite, conclut le commandant Guillerm avec lassitude.

*

Deux silhouettes venaient d’occulter son champ visuel. Il se sentit observé comme un cobaye.

— Bonjour, articula le plus âgé des deux hommes.

Cheveux grisonnants, large stature, air calme et blouse blanche. « Médecin », songea-t-il. Il était trop loin pour distinguer le nom marqué sur le badge accroché à sa blouse.

— Docteur Chazal, je suis neurologue et voici Laurent, votre kiné.

Il voulut répondre, mais rien ne sortait de sa bouche. Bon sang, qu’est-ce qui se passait ? Il essaya de lever la main pour attirer l’attention, mais son bras resta figé sur le drap. Il sentit une décharge de peur animale le traverser. Ça n’allait pas. Non, ça n’allait pas du tout ! Il voulut se débattre, mais tout son corps immobile le retenait prisonnier sur le lit. La terreur le submergeait. Une machine bipa. Le médecin se pencha vers lui et posa sa main sur son bras.

— Calmez-vous…

Il entreprit de l’ausculter tandis que le kiné massait doucement son épaule. Le médecin reposa le stéthoscope. Ses yeux semblaient tristes. Il se racla nerveusement la gorge.

— On vous a trouvé sans connaissance le 24 janvier. Ça fait maintenant dix-huit jours. Vous vous trouviez dans une rue de la zone industrielle de Gouesnou.

Il s’interrompit pour juger de l’effet de ses paroles. Il le fixa sans ciller.

Nouveau raclement de gorge.

— Mais vous n’aviez rien sur vous permettant de vous identifier. Pas de papiers d’identité, très peu d’argent dans votre poche.

Des images affluaient dans sa tête. Comme un album photos dans le désordre. Elles passaient sans se fixer. Le médecin appuya un peu plus sa main sur la sienne. Il percevait sa chaleur.

— Vous êtes resté deux semaines dans le coma. Apparemment, les examens ont montré un AVC, un accident vasculaire cérébral. Seulement… il hésita un instant… cette hémorragie a endommagé le tronc cérébral. C’est le nœud de la communication entre le cerveau et la motricité. Ceci explique que vous ne puissiez plus bouger. Vous souffrez de locked-in syndrome, littéralement de syndrome d’enfermement.

Une bouffée de chaleur rougit son visage. Un malaise l’envahit tandis qu’un papillon lumineux explosait dans son esprit. L’obscurité suivit car il avait perdu connaissance.

VI

Depuis quinze jours, date du dernier meurtre, les enquêtes piétinaient. Même lorsque Léa se trouvait au repos, elles parasitaient son esprit. Deux femmes supprimées purement et simplement sans qu’on ait retrouvé de dénominateur commun entre elles, c’était une pensée irritante pour l’adjudant Mattei. Pas mieux concernant l’inconnu de la Cavale Blanche. Les relevés dentaires n’avaient pas trouvé d’écho chez les dentistes. Pourtant, il portait deux couronnes et des plombages. De quoi laisser des traces chez les praticiens. Il fallait qu’elle se fasse une raison, ainsi que son intuition le lui avait soufflé, il n’était pas d’ici.

La diffusion de son portrait et le croisement avec le fichier des disparus n’avaient pas donné plus de résultats. L’homme était un mystère. Personne ne le recherchait.

Léa était revenue le voir après avoir appris qu’il avait repris conscience. Réveillé, oui. Mais enfermé à l’intérieur de lui-même comme dans un scaphandre. D’ailleurs, c’était le titre d’un ouvrage à succès Le scaphandre et le papillon écrit par un homme atteint de cette pathologie. Un LIS, locked-in syndrome. Le neurologue qui suivait l’inconnu avait détaillé à Léa son atteinte neurologique. Il était entièrement paralysé, incapable de faire un mouvement à part avec les paupières, mais son cerveau devait fonctionner normalement dans sa prison. Un état qui avait effaré Léa.

— Quelle vie attend cet homme ?

Le spécialiste avait hoché la tête.

— Impossible pour lui de parler d’où la nécessité de mettre en place un code fondé sur le regard. C’est un long chemin. Certains s’en sortent ou du moins retrouvent une certaine qualité de vie, toute relative. Il faut avoir une sacrée volonté…

— Il remarchera ?

— Ah ça… non, sauf miracle. Mais grâce à une prise en charge rééducative bien conduite, kinésithérapie, orthophonie, ergothérapie, des progrès appréciables sont possibles. Au mieux, il pourra retrouver la déglutition, respirer sans assistance, retrouver la mobilité d’un membre ou articuler quelques mots. Des progrès qui semblent minimes aux valides mais qui pourraient éclairer sa vie.

Léa avait été catastrophée par le tableau brossé par le spécialiste.

— Quel âge a-t-il ?

— Entre trente et trente-cinq ans vraisemblablement.

Une vie fauchée, avait-elle songé.

— Quand pensez-vous pouvoir communiquer avec lui ?

— Soyez patiente, Adjudant, il vient à peine de remonter à la surface…

*

Yvette Morin posa son sac de courses en ronchonnant. Pas facile de vieillir !

À soixante-treize ans, l’ancien substitut du procureur, en retraite, était une connaissance de Léa Mattei. Celle-ci souriait en la voyant approcher. Un phénomène, Yvette. Un regard bleu glacier sous un casque de cheveux blancs impeccablement coiffés. Un mètre cinquante-cinq de volonté et de culture cachées derrière un caractère bien trempé et volontiers bougon. Léa s’était attachée à elle et réciproquement. Après avoir habité longtemps Nantes et Paris, l’ancienne magistrate avait pris sa retraite à Penmarc’h. Mais l’endroit, superbe, manquait de commodités pour une personne seule et vieillissante.

« L’âge, ma fille, l’âge ! »

En effet, elle ne rajeunissait pas et ses articulations se rappelaient à elle de plus en plus souvent au cours de crises douloureuses.

« Ça m’a coûté de quitter ce coin sauvage auquel je m’étais attachée… Mais tu comprends, avait-elle ajouté, les deux dernières crises d’arthrose m’ont bloquée un mois à la maison ! Il vaut mieux que je sois en ville et proche des commodités. »

Yvette était ainsi faite. Une femme de décision. En trois mois, elle avait vendu sa maison proche de l’océan et racheté un F3 confortable à Brest. Pas facile de retrouver ses marques à son âge, après un déménagement. Passionnée de plantes et de verdure, elle avait rejoint le groupe de guerilla gardening1 de Léa. Des gens de tous horizons qui s’employaient à planter tous les recoins libres de la ville. Même les plus infimes. Les deux femmes éprouvaient du plaisir à voir s’épanouir un bouquet de fleurs d’une anfractuosité dans le goudron. Leurs deux caractères forts s’étaient accordés dans cette occupation.

Pour Yvette, célibataire, qui avait vu s’éclaircir les rangs de ses proches avec les années, Léa faisait l’effet d’un bouquet de fraîcheur. La fille qu’elle n’avait pas eue. Elles s’affrontaient parfois, mais leur amitié était solide.

— Ah, te voilà, toi !

— Bonjour Yvette, je vais bien, merci ! répondit Léa avec humour, tout en attrapant le sac d’Yvette pour la soulager.

Yvette lui jeta un regard noir.

— Faut qu’on parle.

Léa porta le sac dans la cuisine et commença à sortir les denrées.

— Je ne comprends pas que tu te charges comme cela alors qu’il suffirait que tu te fasses livrer.

— Ch’uis pas encore grabataire !

— Bon, allez, dis-moi ce qui ne va pas…

— Quand j’aurai servi le café. Va t’installer.

Le ton ne souffrait pas de réplique. « Elle aurait pu être gendarme, songea l’adjudant, ça ne devait pas rigoler tous les jours au tribunal… » Mais elle savait qu’Yvette avait un cœur d’or sous sa carapace. Celle-ci arriva quelques minutes plus tard dans le salon, avec un plateau.

— Voilà jeune fille, café et tarte aux pommes. Maison !

— Hum ! J’adore ça !

— Tarte aux pommes à la compote, se rengorgea Yvette. La meilleure.

Elles dégustèrent en silence. Après un soupir d’aise, Léa attaqua :

— Bon, allez, Yvette, ne me fais pas languir !

— Tu te souviens de ce que tu m’as demandé ?

Elle fronçait les sourcils tout en scrutant Léa.

— Bien sûr, c’est même pour cela que je suis ici.

— Oui, eh bien, tu aurais pu te renseigner ! Ça m’aurait évité de me déplacer et de perdre mon après-midi dans les bus !

— Comment ça ?

— Ton client a été transféré. Il n’est plus en réanimation.

— Déjà ? Ils n’ont pas perdu de temps ! laissa échapper Léa. Il est où ?

— Alors tu comprendras que la Cavale Blanche, pour m’entendre dire qu’il a été transféré ailleurs, et un retour à la maison pour téléphoner où il était soi-disant parti, plus un retour à la Cavale Blanche, finalement, ça commence à faire, à mon âge !

— Oh, pardon Yvette, je n’étais pas informée !

Mais le demi-sourire d’Yvette démentait ses sourcils froncés.

— Oui, bon, ça va. Il a été transporté hier. Il est toujours à la Cavale Blanche, mais dans un autre service. Je l’ai su par l’infirmière-chef. Pas de bol, j’étais tombée sur une dinde qui m’a baladée… Heureusement que j’avais ma carte des visiteurs des hôpitaux et cliniques, sinon j’aurais pu me brosser !

— Alors ?

— Bon, tu t’en doutes, ton gars, il n’est pas au mieux de sa forme, hein…

« C’est le moins qu’on puisse dire », songea Léa.

— Je l’ai aperçu mais pas eu le temps d’établir un contact. On m’a conseillé d’attendre deux ou trois jours.

— OK, merci Yvette.

— C’est bien pour toi tout ça, grommela l’ancienne magistrate, parce que je me demande ce que je vais bien pouvoir faire. Et en plus, il me file le bourdon, une vraie statue sur son lit !

— Je suis sûre que tu feras des merveilles.

Cette idée était venue brusquement à Léa après avoir parlé au neurologue de l’inconnu. Elle s’était renseignée sur le syndrome d’enfermement. De nombreux sites indiquaient que le meilleur moyen d’entrer en communication avec le patient était d’utiliser des codes alphabétiques. Un moyen fastidieux, certes. Il fallait d’abord distinguer le oui du non et bien les différencier. Il lui avait surtout fallu convaincre Yvette de s’y coller car elle-même ne disposait pas du temps nécessaire.

— Tu veux quoi ? avait sursauté la vieille femme. Que j’installe un moyen de communication avec ce gars ? Tu as peur que je m’ennuie ou quoi ?

— C’est pour une bonne cause, Yvette, avait-elle plaidé. Redonner une identité à cet inconnu le plus vite possible. Il a sûrement une famille qui l’attend et toi, tu as du temps…

Yvette avait bougonné pour la forme, mais Léa la savait prête à s’investir pour une bonne cause. Ensuite, elles avaient réfléchi à la meilleure façon de procéder. Léa lui avait recommandé de définir le oui et le non, essentiels à toute communication.

— D’après les différents articles, c’est les yeux fermés pour le non et levés au ciel pour le oui.

— Pourquoi tu ne laisses pas faire le corps médical ? Ils vont bien essayer d’entrer en contact avec lui ? Toi, tu as une idée derrière la tête !