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Sienna, compagne italienne d’un marin-pêcheur de Penmarc’h, disparaît brusquement, pourtant l’affaire est classée. Le commandant Guillerm invite la détective privée Léa Mattei à proposer ses services au compagnon de la disparue. Tout change lorsqu’une autre femme est retrouvée morte, dans une mise en scène macabre. Une course contre la montre s’engage pour découvrir qui est le meurtrier. Durant son enquête, la détective croise la route de Loïc et Grégoire, deux cousins cruellement éprouvés, et la voisine de l’un d’eux, grande amatrice de cidre breton ! Qui se cache derrière “l’Ogre de Saint-Gué” ? Et surtout, où est Sienna ? Une enquête de Léa Mattei, main dans la main avec la brigade de recherches pour une fois en proie au doute.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Née à Cherbourg,
Martine Le Pensec vit à Toulon. D’origines bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical, dans lequel elle a travaillé plusieurs années.
Elle signe, avec "L’Ogre de Saint-Gué", son vingt-deuxième roman policier.
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« Le maquillage est le linceul de la beauté. »
Tahar ben Jelloul
La famille est la seule vraie fortune… Je vous embrasse tous du plus jeune, Luc, à la plus âgée, maman !
À Jean-Marc, on fait le chemin ensemble… pour tous les voyages passés et à venir.
À mes quatre filles, Rose-May, Raphaëlle, Suzy et Cyrielle, soyez heureuses, trouvez votre bonheur !
Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
Elle aperçut le chat au dernier moment. Un éclair tricolore sur le bas-côté, entre les longues herbes du talus. Minette ! C’était le chat de sa voisine la mère Pimpon, ainsi nommée par son compagnon Loïc et une bonne partie de Kérity. Elle venait chaque jour se faire caresser et quémander quelques douceurs. Sienna marchait d’un bon pas, pressée de rentrer avant la nuit tombée. Elle s’était attardée à contempler la côte déchiquetée de Penmarc’h depuis le début d’après-midi. Le phare d’Eckmühl, la chapelle Notre-Dame-de-la-Joie puis Saint-Guénolé et ses rochers…
Elle était nouvelle ici. À peine un mois qu’elle vivait à Kérity chez Loïc Ronan, un enfant du pays. Ça la changeait de Florence, d’où elle venait, et des berges de l’Arno. La côte sauvage et ses rochers acérés comme des dents ne cessaient de l’ébahir.
Elle perdit de vue la chatte qui s’était coulée dans les buissons. Sienna s’était un peu perdue en rentrant à pied de Saint-Guénolé. Elle avait voulu couper par l’intérieur, mais elle avait raté un embranchement. Un froissement d’herbes et Minette réapparut. C’était bien elle. Sienna la reconnaissait à ses caractéristiques. Un semis de roux, noir et blanc. La marque des chattes isabelle qu’elle affectionnait. Elle s’approcha et tendit les doigts pour la caresser. Ils ne firent qu’effleurer la Minette qui sauta de côté et s’éloigna. À part Loïc, Minette était sa seule vraie compagne depuis son arrivée. Le soleil était très bas maintenant. La nuit allait tomber. Elle se remit à marcher, pressée de rentrer. Les habitations étaient clairsemées et personne à l’horizon. Elle fit quelques pas de plus et remarqua un portillon en bois plein, à la peinture décolorée par les ans et la pluie, miraculeusement entrouvert. Il y avait du mouvement derrière. Quelqu’un s’activait dans le jardin. Elle s’avança dans l’ouverture, poussa légèrement le portillon qui râpait le sol, et entra. Elle voulait demander son chemin, pas vraiment sûre de se trouver dans la bonne direction. Un homme allait et venait entre un vieil appentis et une tonnelle ancienne. Le visage de Sienna s’éclaira en reconnaissant la silhouette et elle s’apprêtait à le héler quand ses pieds ne rencontrèrent que le vide. Enfin, pas exactement. Elle avait trébuché d’une trentaine de centimètres, suffisamment pour manquer perdre l’équilibre. Mais surtout ils s’étaient enfoncés dans une substance semi-liquide dont le fond était résistant. Elle abaissa son regard. Ses yeux effarés découvrirent une main qui sortait de là, au bout d’un bras à demi relevé. L’image fracassa sa rétine devant cette allégorie de la mort. Elle mit plusieurs secondes à réaliser ce qu’elle voyait. Sienna poussa un cri perçant et sauta hors du trou rempli de ciment frais. Une de ses baskets rouges, parsemée d’étoiles, resta engluée. Elle balbutiait en italien « Dio mio, Madre di Dio », sans pouvoir s’arrêter de trembler, les mains devant les yeux.
Quand elle les écarta, elle le vit. Il s’était retourné vers elle et la fixait de ses deux prunelles semblables à deux lacs insondables. Elle frissonna, poussa un autre cri encore plus aigu et chercha une issue du regard. Il était derrière elle et lui coupait le chemin pour revenir au portillon. L’adrénaline la projeta en avant. En claudiquant elle fonça vers le fond du terrain qu’elle apercevait à une vingtaine de mètres de là. Du coin de l’œil elle réalisa qu’il avait changé d’allée pour lui couper la route. Elle fit volte-face et courut vers le portillon. Sans se retourner elle sentit qu’il s’était jeté à sa poursuite. La gorge serrée elle força l’allure et attrapa la lourde porte qui grinçait. Avec l’énergie du désespoir elle se glissa dans la rue. Une main s’abattit sur son épaule gauche et elle poussa un cri étranglé. Sienna se débattit et lança son coude dans la figure de l’arrivant. Elle l’entendit grogner. Puis elle se dégagea en courant comme jamais elle n’avait couru. Elle se sentait talonnée dans l’obscurité de plus en plus prégnante. Pas de lumière pour lui indiquer une présence, une maison habitée. Les rares habitations semblaient calfeutrées, entourées de grands terrains. Impossible de s’arrêter pour sonner, elle serait rattrapée en deux secondes…
Elle sentait plus qu’elle n’entendait réellement les pas dans son dos. L’image de son visage restait imprimée sur sa rétine, ses larmes coulaient tandis qu’elle courait une main pressée sur son cœur prêt à éclater. La vie de Sienna venait de voler en éclats.
Léa Mattei déposa le plateau sur la table basse et jeta un regard attendri à Pascal Treguer, son procureur préféré, qui somnolait sur le canapé de l’appartement.
— Je t’ai préparé un café et Gloria vient d’arriver avec des douceurs. Tes comprimés sont à côté de ta tasse.
Elle s’écarta et Treguer vit sa fille entrer dans le salon avec un autre plateau garni de pâtisseries dont le fameux paris-brest dont il raffolait !
— Bonté divine, grommela-t-il, si ça continue je vais ressembler à un sumotori !
— Tsss, tsss, fit Gloria en déposant un baiser sur sa joue, tu as besoin de reprendre des forces.
Léa ne disait rien, mais son sourire attendri en disait long sur son émotion. Justement, parlons-en des émotions qui avaient joué les montagnes russes depuis que Gloria lui avait appris la disparition de Pascal au Vietnam. On peut dire qu’il revenait de loin ! Léa et Gloria s’étaient rapidement envolées pour Hanoï, puis elles avaient rejoint la baie d’Halong, lieu où il s’était évaporé comme par magie.
Face à la baie et ses milliers d’îles, Léa avait senti un profond vertige la secouer. Où, comment retrouver Pascal ? Par bonheur Gloria avait eu de l’énergie pour deux et l’aide des autorités l’avait soutenue.
Un jeune homme charmant, dont elles avaient loué les services, et son bateau à moteur pour sillonner tous les endroits possibles où Treguer aurait pu disparaître, avait été la seconde aide. Du matin au soir elles avaient montré une photo de Pascal dans tous les villages de pêcheurs alentour. En vain. Jusqu’au moment où le flair de Léa avait fonctionné devant un adolescent qui avait montré des signes de trouble évident face au portrait de Treguer. C’était dans un des villages de pêcheurs, le plus proche d’Halong, ce qui recoupait les dires d’Alessandra Desnouvelles, la collègue de voyage de Pascal. Elle affirmait qu’ils étaient tous deux partis dans cette direction, chacun avec son kayak, et que c’était par là qu’elle l’avait perdu de vue.
Léa avait discrètement photographié les lieux et surtout l’individu, grâce à son matériel de détective, avant de le remettre aux autorités. Elle l’avait vu sauter sur les maisons flottantes et rejoindre un homme. Leur attitude lui avait paru suspecte. Des échanges véhéments, visiblement ils n’étaient pas d’accord et le plus jeune semblait effrayé. De quoi s’interroger. Freinée par la barrière de la langue elle se sentait impuissante. Heureusement la police locale l’avait écoutée (du moins son traducteur) et rapidement avait lancé une opération massive sur le village de pêcheurs. Ils n’avaient pas trouvé Treguer, mais Léa, qui avait obtenu d’être présente pendant l’opération de fouilles, avait reconnu la pochette étanche où Pascal rangeait son téléphone et ses clés, aisément reconnaissable car siglée de Brest !
Arrêtés, les deux hommes avaient fini par reconnaître l’agression de Treguer pour le voler, attirés par sa superbe montre Rolex. Sa disparition ayant fait un peu de bruit dans le coin, la photo du notable français avait été diffusée ici, ils avaient tenté de se débarrasser de lui. Transporté sur un des innombrables îlots inhabités puis abandonné en limite de la forêt vierge qui en garnissait les deux tiers de sa surface, après avoir été une nouvelle fois assommé, déshabillé pour retarder son identification au cas où quelqu’un le découvrirait.
Pensaient-ils l’avoir achevé avec ce nouveau choc sur la tête ? Mystère. En tout cas la déshydratation avait bien failli le faire. Retrouvé inanimé sept jours après sa disparition, dans le coma, Pascal avait été sauvé de justesse. Il souffrait d’insuffisance rénale aiguë qui avait nécessité de le mettre sous dialyse, sans compter le trauma crânien. Affaibli, confusionnel, il était resté deux semaines au VinMec International Hospital de Hanoï avant de pouvoir supporter un rapatriement en France.
Heureusement ce n’était plus qu’un mauvais souvenir. Pascal était sorti du coma une semaine après sa découverte. Rassurée, Gloria avait repris l’avion pour la France. Léa était restée auprès de lui. Après la disparition tragique de Patrick Mérieux, son précédent compagnon, elle n’aurait pas supporté celle de Pascal.
Son cabinet de détective en veilleuse, ses jumeaux confiés à leur père le commandant de gendarmerie Marc Guillerm, elle s’était consacrée à veiller Pascal jour après jour, surveillant les progrès de celui-ci. Encore affaibli, il avait été transféré de l’hôpital de Hanoï à celui de la Cavale-Blanche à Brest pour consolider son état rénal. Il en était ressorti quinze jours après et reprenait ses marques chez Léa. Encore faible, il suivait un traitement, mais le pire était derrière eux.
Bon, soyons réalistes, ce n’était pas le meilleur des malades, mais quel homme l’est réellement ? Il ronchonnait pas mal et Léa devait insister pour la prise de ses médicaments ou le respect de ses plages de repos. Encore sous le coup du trauma crânien, il fatiguait vite.
On pense que les pluies tropicales ont contribué à sa survie. L’eau avait certainement ruisselé sur lui à plusieurs reprises et il avait dû en avaler, voire boire dans une flaque d’eau, avant de sombrer complètement. Ses souvenirs, morcelés, se bornaient aux deux premiers jours où il était resté sous une bâche dans une barque sans boire ni manger. Il avait seulement bu l’eau douce qui stagnait au fond. Le reste, il n’en avait aucun souvenir.
Enfin il était de retour à Brest et le cœur de Léa exultait de bonheur.
— Tu as encore de la marge pour le poids, le rassura Gloria, avec tout ce que tu as perdu là-bas…
C’était vrai. Son aventure lui avait coûté neuf kilos.
— … et puis tu ne vas pas nous empêcher de te cocooner un peu, quand même ! Après la peur que tu nous as faite… de toute façon c’est un ordre de la médecine, Alex a dit que tu dois te remplumer !
Alex Bertillon était le compagnon de Gloria.
— Ordre de la médecine ? répliqua Treguer. Hum… venant d’un médecin légiste j’ai des doutes !
Les deux femmes interloquées éclatèrent de rire.
— Pas de doute, mon chéri, le cerveau va beaucoup mieux !
Sienna était parvenue jusque chez Loïc, par un miracle qu’elle ne s’expliquait pas. Avec une seule basket et talonnée par un individu qui avait essayé de l’agresser, elle avait dû courir plus de deux kilomètres ! Elle s’était jetée sur le portillon qui – ouf ! – n’était pas verrouillé, puis elle avait grimpé quatre à quatre les marches de la maison ancienne située impasse Rulenn. En courant elle avait saisi sa clé dans sa poche et l’inséra précipitamment dans la serrure, ouvrit la porte et la referma brutalement. Elle donna un tour de clé et se jeta dans la petite pièce à gauche de l’entrée. La porte par où elle venait d’entrer était vitrée sur sa partie haute et elle ne voulait pas être vue.
Elle respira à fond pour calmer son cœur affolé et tendit l’oreille. Elle réalisa soudain qu’il n’y avait pas de bruit. Son compagnon n’était pas là ! Pourtant il était plus de 20 heures. Peut-être était-il encore au “Dauphin Bleu”, sur le quai, à boire un coup avec ses copains ?
Elle sortit la tête doucement et regarda vers la porte, s’attendant à voir surgir son agresseur. Mais non, il n’y avait personne derrière la vitre. À peine rassurée elle s’avança dans la pièce principale et aperçut un mot sur la table. « Cara mia, je suis désolé, mon téléphone est tombé et l’écran est HS. Je file à Quimper le faire réparer. Au passage je m’arrêterai chez Gabriel et Rose. Ça fait longtemps que je ne les ai pas vus. Si le repas s’éternise je dormirai là-bas. Je connais mon frère… Ne m’attends pas pour manger. Encore désolé. Je t’embrasse fort. Loïc. »
Les larmes lui montèrent aux yeux. Il lui faisait brutalement défaut au pire moment ! Seule dans cette maison qu’elle n’habitait pas depuis longtemps elle ne se sentait pas rassurée. Les habitations autour de celle-ci avaient été vendues à des touristes qui ne venaient qu’à la belle saison. On était fin octobre… Il n’y avait que la mère Pimpon, en face, mais elle était sourde comme un pot et à l’abri de ses murs de clôture. Une autre résidente à l’année habitait le fond de l’impasse, mais elle travaillait vers Quimper et rentrait tard.
L’absence de Loïc lui avait assené un coup au moral. Après la peur sidérante qu’elle avait ressentie et sa course effrénée dans l’obscurité elle éprouvait le besoin de se jeter dans ses bras et d’exorciser les images du cadavre qui s’accrochaient à son esprit. La porte d’entrée de l’étage où elle se trouvait l’angoissait. Une simple porte en bois sur sa partie basse surmontée d’une vitre ordinaire. Très facile à casser. Encore sous le coup de la terreur elle n’osait pas redescendre pour fermer le portillon à clé. Ça l’aurait rassurée, mais descendre les deux volées de marches dans le noir était au-dessus de ses forces. Elle décida, après avoir examiné la pièce, de pousser un gros fauteuil devant la porte.
La maison était composée d’une cour cimentée, qui donnait en bas sur un cellier, puis il y avait les marches qui permettaient l’accès à l’étage de vie. L’intérieur se composait d’un petit bureau, un salon, une cuisine et une chambre. Le tout sans porte entre les diverses pièces. C’était la maison des parents de Loïc, dont il avait racheté sa part à Gabriel. Depuis deux ans l’endroit était resté en l’état. Sur le côté droit du salon un escalier en bois, assez raide, conduisait à un étage mansardé. Un petit studio sous les toits, aménagé par le père de Loïc, pour accueillir leurs petits-enfants plus tard. Avec toutes les imperfections du bricoleur amateur. Le robinet, dans le coin salle d’eau, mal centré ne tombait pas bien dans la vasque. Sinon c’était chaleureux, si on prenait garde à ne pas se cogner la tête ! Il n’y avait de hauteur suffisante qu’au milieu des pièces. Avec son mètre soixante Sienna s’en sortait bien, mais Loïc, plus grand de quinze centimètres, râlait souvent quand il s’aventurait là-haut !
Elle aimait bien s’y réfugier. Le studio disposait de deux lucarnes de toit, une dans la chambre et une dans la kitchenette. Sienna adorait regarder la course des nuages, et les orages vus de là étaient impressionnants. Les éclairs de chaque côté illuminaient l’étage, donnant une allure de boîte de nuit à l’endroit, et le crépitement de la pluie sur les fenêtres de toit remplissait tout l’espace.
De la lucarne de la cuisine, qu’elle relevait légèrement pour y voir mieux, elle observait le nid de goélands sur une cheminée juste en face. Loïc lui avait expliqué qu’ils revenaient tous les ans au mois de mars pour nicher pendant trois mois. Elle attendait avec impatience de suivre la croissance des petits.
Elle venait ici dessiner les modèles de bijoux qu’elle créait. Souvent Loïc passait la tête en rentrant du travail et lui disait en riant.
— Encore dans ton perchoir ?
À cet instant précis elle ne savait que faire. Impossible d’appeler Loïc dont le téléphone était HS. Elle ne connaissait pas encore Gabriel et Rose et n’avait pas leurs numéros de téléphone. Terrée dans la cuisine elle scrutait tous les bruits de la nuit, sans savoir que faire. Ses tremblements nerveux se calmaient petit à petit. Il lui restait une sourde angoisse qui la maintenait en état d’alerte. Il lui semblait que ses oreilles prenaient tout l’espace et scannaient le moindre frémissement. Les minutes passant, elle finissait par penser qu’elle avait semé son poursuiveur. Elle chauffa de l’eau, prit une tasse et versa deux cuillerées de café en poudre. Son estomac noué n’avait pas faim, mais elle n’avait rien avalé depuis plusieurs heures et elle se força en attrapant le sachet de gressins au sésame. Elle en trempa un dans le café et s’efforça de faire le vide dans son esprit. Le café lui fit du bien. Il diffusait une douce chaleur dans son organisme épuisé. Elle n’aspirait qu’à dormir. Ses paupières se baissaient de plus en plus souvent. Elle termina sa tasse, la posa dans l’évier. Un couteau traînait sur le plan de travail et elle le prit. Un bruit soudain la fit sursauter. Elle crispa ses doigts sur la lame coupante et une fine ligne rouge apparut sur l’un d’eux. Elle grimaça, posa sa main sur la paillasse carrelée et y laissa une fine trace de sang. Les oreilles toujours en alerte elle se déplaça un peu pour surveiller la porte. Personne. Elle soupira de soulagement. Elle avait toujours la lame en main. Rester là lui paraissait impossible. Elle avait l’impression d’être en exposition à cet étage. Elle avança un peu et réalisa qu’elle claudiquait toujours. Son unique basket avait laissé des traces brunes sur le plancher clair.
Elle se rendit dans la chambre et attrapa une autre paire de chaussures qu’elle enfila. L’épuisement se faisait sentir de plus en plus fortement. Elle décida de se réfugier à l’étage. Après un dernier coup d’œil apeuré à la porte d’entrée elle monta rapidement l’escalier et referma la porte derrière elle. Elle s’assit sur le lit, la couette moelleuse lui tendait les bras. Elle se laissa tomber sur le côté, le visage sur l’oreiller et elle sombra immédiatement, les doigts toujours serrés sur le couteau.
Quelque chose forçait le passage dans son esprit. Un bruit agaçant et comme l’impression qu’on lui criait dans les oreilles. Réveille-toi ! Réveille-toi ! Son subconscient lui hurlait de se lever.
Sienna ouvrit les yeux subitement, tous les sens en alerte. Elle perçut un craquement caractéristique provenant de l’escalier en bois. Une des marches craquait. Elle se figea, une sueur froide glissant dans son dos.
On montait.
Marche par marche.
Elle jeta un regard désespéré autour d’elle et aperçut une lourde malle ancienne dans un renfoncement du couloir. Loïc y rangeait des couvertures et des couettes. Elle la tira et la plaqua contre la porte.
Juste à temps.
La poignée s’agita.
Quelqu’un essayait d’entrer.
Elle courut vers la kitchenette, ouvrit grand la lucarne, positionna une chaise dessous. Elle monta en s’arc-boutant sur ses bras pour soulever son corps et se glisser sur les ardoises du toit en pente.
Celle-ci était très forte et elle s’obligea à ne pas regarder en bas, prise d’un vertige. Le bruit enflait derrière la porte. Elle se pencha et repoussa la chaise contre la table puis elle descendit la lucarne en position fermée. Elle jeta un coup d’œil à l’intérieur. De grands coups secouaient la porte. Elle la vit s’entrouvrir et elle se rejeta en arrière. La malle en bois fermait encore le passage, mais il n’allait pas tarder à la repousser complètement. Elle avait eu le temps d’apercevoir une main et reconnu la couleur d’un vêtement. Un pull vert-kaki.
Elle n’avait pas d’autre issue que de fuir par les toits.
Dieu merci, elle n’avait pas ôté sa veste à capuche depuis son retour chez Loïc ! La peur l’ayant glacée elle n’avait pas songé à se déshabiller. Sienna percevait un remue-ménage dans les combles aménagés. C’était certain, il n’allait pas tarder à repérer les lucarnes et comprendre qu’elle s’était envolée par-là ! Elle jeta un regard affolé autour d’elle.
En face, séparés par une cour cimentée en bas, une autre bâtisse au toit pentu et la fameuse cheminée abritant le nid de goélands. Bien trop loin pour sauter et s’y accrocher. À sa droite elle aperçut une terrasse sur le côté du mur aveugle de la maison de Loïc, en contrebas. Un vertige la saisit en évaluant la hauteur à franchir. Et pourtant… Collée à la pente du toit elle rampa dans cette direction la gorge serrée. Le vide tout proche l’attirait. Arrivée au bout elle se força à regarder en bas. Il y avait bien cinq mètres à franchir. Par chance, son cœur fit un bond de joie en le découvrant, il y avait une échelle sommaire fixée dans le mur. Des barreaux en ferraille scellés dans les pierres du mur. Une ancienne échelle destinée à atteindre le haut de la cheminée. Les niveaux étaient très espacés, calculés pour des jambes d’homme. Le plus difficile, là où elle se trouvait, étant d’attraper le premier. À plat ventre sur les ardoises, à l’angle de la maison, elle s’étira au maximum pour saisir le plus haut barreau. Elle repéra aussi une pierre inégale qui dépassait du mur. Cette aspérité lui permettrait de poser un pied dessus.
Sienna ferma les yeux et s’élança. Son poignet droit accusa douloureusement le choc quand elle attrapa une des marches en ferraille, avant que le gauche ne vienne le soulager. Elle se mordit les lèvres pour ne pas crier. Ses pieds raclèrent le mur et elle entendit du salpêtre se détacher et tomber sur la terrasse en dessous. Elle prit appui sur la pierre qui dépassait et tendit l’oreille. À travers le grondement du sang dans sa tête elle entendit l’ouverture brutale de la lucarne et se pétrifia. Il était là et scrutait la nuit.
Elle bénit l’obscurité et se fit toute petite contre le pignon, retenant sa respiration et priant pour que son échelle de fortune tienne. Un nuage passa devant la lune obscurcissant le ciel.
Elle percevait son souffle, puissant comme celui d’un taureau. Toute la colère qui l’animait émanait de lui. De la lucarne, s’il n’avait passé que le torse, il ne pouvait pas l’apercevoir collée sur l’autre versant. Elle pria pour qu’il ne monte pas sur la toiture. Cela lui parut une éternité. Son souffle dans la nuit et elle tétanisée contre la paroi.
Sa jambe droite sans appui tirait. Ses muscles hurlaient de souffrance. Elle perçut un mouvement et l’entendit retomber sur le sol de la kitchenette. La sueur coulait entre ses omoplates. Elle attendit encore deux longues minutes, égrenant les cent vingt secondes dans sa tête, avant de tâtonner du pied pour attraper le barreau inférieur.
Laborieusement, Sienna descendit les mètres qui la séparaient de la terrasse et se laissa tomber à l’abri. Celle-ci semblait inutilisée depuis des lustres. Une enclave de béton entre les habitations qui avait dû abriter autrefois un étendoir à linge. Quelques vestiges y demeuraient. Elle reprit son souffle.
Comment faire maintenant ?
Quand il aurait fini de retourner chaque recoin de la maison et réalisé qu’elle ne s’y trouvait plus il comprendrait qu’elle s’était enfuie par les toits.
En bas il n’y avait pas trente-six sorties. Il lui suffirait de l’attendre devant le port. Sienna déplia ses bras et ses mains meurtris par la descente. Elle tremblait. Elle repéra dans le rebord en ciment un escalier qui affleurait. En se penchant elle distingua une douzaine de marches étroites, usées par les ans, qui descendaient au fond de l’enclave. Elle s’y aventura à pas précautionneux, sursautant au moindre bruit. L’escalier se terminait dans la cour cimentée agrémentée de quelques touffes de verdure.
L’endroit semblait à l’abandon. Trois murs aveugles et le quatrième muni d’une porte en bois solidement fermée. Elle aurait tout donné pour voir apparaître un visage ami. Sienna sentit le découragement l’envahir. Elle était piégée ici ! La cour ne devait pas mesurer plus d’une dizaine de mètres carrés. La nuit noire ne facilitait pas les choses même si elle la protégeait des regards. Elle en fit le tour en suivant les murs de la main et sentit le vide soudainement. Un espace d’une cinquantaine de centimètres, estima-t-elle. Elle colla son œil et perçut une faible lueur au fond. C’était un espace étroit, une séparation entre deux maisons. L’espoir revint au galop chez la jeune Italienne. Peut-être parviendrait-elle à passer là pour rejoindre la rue d’à côté ?
Elle respira un grand coup et s’enfonça de profil dans le couloir sombre. Elle se sentit immédiatement oppressée. C’était une sensation angoissante. Elle ressortit et enleva sa veste. Elle devait y arriver !
Tenant son vêtement dans la main droite elle recommença sa reptation. Ça lui avait donné un peu d’aisance. Pas suffisamment pour gommer la sensation terrifiante d’écrasement. Les murs, plus elle s’enfonçait, semblaient se rapprocher ! Sienna ferma les yeux et progressa centimètre par centimètre. Il lui sembla que cela dura des heures avant qu’elle ne parvienne au bout du couloir. Dans son avancée elle avait croisé des choses innommables. Toiles d’araignées, insectes divers grouillant entre les murs, flaque de boue d’où elle avait senti s’échapper quelque chose de vivant… Elle ne voulait pas savoir quoi !
Elle eut l’impression que les murs accouchaient d’elle-même quand elle déboula à l’air libre.
Sienna se pencha et vomit. La tête lui tournait. Elle regarda autour d’elle et reconnut la rue voisine. Elle se trouvait tout près du bar restaurant le Dauphin Bleu, lieu de rencontre des marins du coin, mais le silence l’accueillit. Elle réalisa qu’on était lundi, jour de fermeture.
Elle se sentit abandonnée.
Et maintenant qu’allait-elle faire ?
Sienna tâta la poche de sa veste qu’elle venait de remettre. Elle réalisa tout de suite l’absence de son téléphone portable. Explorant frénétiquement toutes ses poches elle dut se rendre à l’évidence. Il était resté dans le lit où elle s’était assoupie. Pendant sa laborieuse traversée entre les deux maisons elle s’était dit que le mieux serait d’appeler le 17. Elle venait de s’en souvenir, Loïc lui ayant fait, peu après son arrivée, un petit topo des numéros d’urgence en France. Son cœur battait la chamade.
Alors il ne lui restait plus qu’à frapper à la première porte qu’elle trouverait. Mais elle consulta sa montre. Il était très tard. Qui allait lui ouvrir à cette heure-ci ? Elle s’épousseta encore une fois et s’apprêtait à remonter la rue voisine par où elle était ressortie, quand elle le vit ! Immobile, il lui fermait le passage vers le quai, là où elle aurait eu le plus de chance de voir passer quelqu’un. Son cœur battait la chamade. Elle envisagea une seconde de repartir en arrière, s’enfoncer à nouveau entre les deux maisons, mais se dit que ce serait une erreur. Un piège sans issue.
Sans le quitter des yeux elle recula lentement, le dos collé au mur. Elle se souvenait de la venelle des Mareyeurs. Il ne bougeait pas, guettant ses mouvements. Tout doucement elle fit encore deux pas en reculant puis elle partit en courant et se jeta dans le passage entre les habitations.
Elle n’entendait rien d’autre que ses propres pas. La poursuivait-il ? Au bout de la venelle elle ne réfléchit pas et tourna à gauche. Le quai ne lui offrirait pas de cachette, prise entre les constructions et le port. En plus elle se dit qu’il l’attendrait sûrement là.
Elle courut longtemps avant de se jeter dans un bosquet pour reprendre son souffle. La nuit était silencieuse à part quelques cris de chats-huants. Sienna se sentait totalement seule.
Avoir senti son regard impassible sur elle la plongeait dans la terreur la plus pure. Il émanait de lui une noirceur qui la terrifiait. Elle savait instinctivement que tomber entre ses mains l’amènerait à finir comme le corps entrevu quelques heures plus tôt. Il fallait qu’elle tienne jusqu’au retour de Loïc. Et lui, serait-il aussi en danger maintenant que l’individu connaissait leur domicile ?
Tout se bousculait dans sa tête. À l’abri du feuillage elle résista à la tentation de s’endormir là et oublier. Elle perçut un pas élastique, pas très bruyant. On marchait puis on s’arrêtait. Elle tressaillit. Cela ressemblait à quelqu’un qui sondait la nuit à intervalles réguliers.
Impossible de regarder sans risquer de se faire repérer. Tétanisée, ses bras enserrant ses genoux relevés, la tête posée sur ceux-ci, elle suivait sa progression à l’oreille. Lorsque les pas se furent suffisamment éloignés elle se releva et observa longuement l’extérieur puis s’éloigna dans l’autre sens. Une idée lui était venue entre-temps. Le froid humide était tombé et, épuisée par la fatigue, elle claquait des dents. Cet après-midi, ça lui paraissait tellement lointain, Sienna avait observé un bon moment les bateaux au port de Saint-Guénolé. Des gros et des petits. Elle se dit qu’arriver à se glisser dans l’un d’eux serait une bonne idée pour passer la nuit.
Ragaillardie par sa décision elle pressa le pas. Sienna avançait mécaniquement, avalant la distance et sursautant au moindre bruit. Enfin en vue du port elle passa résolument devant le Comptoir de la mer et poursuivit sur le quai jusqu’aux derniers pontons qui abritaient une douzaine de petits bateaux. La marée ayant baissé elle descendit sur un des pontons et monta sur le dernier bateau. Elle n’y connaissait pas grand-chose, mais celui-ci, assez ancien, lui semblait accessible. Elle n’eut qu’à forcer la serrure, avec le couteau qu’elle avait gardé avec elle depuis l’intrusion de l’homme chez elle, pour faire coulisser un des panneaux de porte.
Elle la referma rapidement et resta plusieurs minutes à attendre, reprenant son souffle et guettant chaque bruit. Rien ne vint troubler la nuit. Elle n’osait pas se réjouir ouvertement, mais on aurait bien dit qu’elle l’avait semé ! Ensuite elle s’autorisa à faire le tour de la cabine et dénicha une couverture dont elle s’enveloppa. Elle fit l’inventaire des lieux, s’excusant mentalement auprès du propriétaire, et trouva trois paquets de biscuits, de quoi faire du café et des bougies. Dans sa situation c’était un cadeau du ciel !