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Écartelé entre passé et présent, comment comprendre où se trouve le vrai danger ?
Quel est ce parfum d'angoisse et de mort qui flotte autour de Cathy, une infirmière de Penmarc'h ?
Des années plus tôt, elle a vécu un drame inconcevable et perdu l'étincelle qui fait vibrer la vie. Le passé resurgit brusquement sous la forme d'une lettre et des événements troubles se produisent autour d'elle. Qui est cet inconnu débarqué à l'automne à Penmarc'h ? Un meurtre se produit et la vie de Cathy bascule soudainement dans l'incompréhension.
Un thriller au suspense haletant, qui allie intrigue et rebondissements !
EXTRAIT
Un froid inconnu l’envahissait rapidement. Son corps se détachait de son esprit ou était-ce le contraire ?
L’homme, penché sur elle, lui parlait mais les mots ne lui parvenaient plus qu’à travers un épais brouillard.
Du coton.
Le grondement dans ses oreilles s’amplifiait.
Elle entendait la corne de brume rappeler les bateaux.
Le sauveteur s’affairait, gonflait le tensiomètre en interpellant le conducteur.
— Plus vite… Elle va… passer… ici… sept… six… Je… la… perds !
Un voile rouge puis noir obscurcit la vision de Cathy.
CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE
Éditions Bargain, le succès du polar breton. -
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Née à Cherbourg,
Martine Le Pensec vit à Toulon où elle travaille dans le secteur public. Mère de quatre filles, d’origine bretonne et normande, elle puise son inspiration dans l’Ouest et le domaine médical où elle a travaillé plusieurs années.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
« L’angoisse, atroce, despotique, sur mon crâne incliné plante son drapeau noir. »
Les Fleurs du Mal – LXII SpleenCharles BAUDELAIRE
Le deux-tons de l’ambulance résonnait curieusement dans sa tête.
Objectiver… objectiver… objectiver…
Le terme tournait en boucle dans son esprit, grondait par moments à son oreille.
Il enflait, décroissait, remontait.
Le pompier, debout à ses côtés, transpirait sous l’effort. Une goutte de sueur brillante roulait sur son front et se perdait dans ses sourcils. Obnubilée par son trajet, elle la voyait progresser par à-coups, à chaque cahot.
Un froid inconnu l’envahissait rapidement. Son corps se détachait de son esprit ou était-ce le contraire ?
L’homme, penché sur elle, lui parlait mais les mots ne lui parvenaient plus qu’à travers un épais brouillard.
Du coton.
Le grondement dans ses oreilles s’amplifiait.
Elle entendait la corne de brume rappeler les bateaux.
Le sauveteur s’affairait, gonflait le tensiomètre en interpellant le conducteur.
— Plus vite… Elle va… passer… ici… sept… six… Je… la… perds !
Un voile rouge puis noir obscurcit la vision de Cathy.
Le voile de Nephtys fut sa dernière pensée avant l’inconscience tandis que l’ambulance pénétrait dans la cour du centre hospitalier.
Cathy rejeta la mèche que le vent agitait devant ses yeux, tout en cherchant ses clefs de voiture. Sa journée de travail touchait à sa fin. Elle venait de refaire le pansement de monsieur Ganet. Cet ancien marin de quatre vingt-huit ans à la peau plus parcheminée qu’un vieux cuir bougonnait toujours pour la forme mais Cathy savait qu’elle était son infirmière préférée.
Elle huma l’air et se dit que les beaux jours étaient derrière. Octobre fraîchissait l’atmosphère de ce petit port de la côte atlantique et un vent coulis balayait sèchement les feuilles dans les rues.
Les touristes s’étaient envolés depuis la rentrée des classes et la commune de Penmarc’h avait retrouvé l’allure d’un bourg paisible.
La marée montante faisait danser les bateaux dans le port, au rythme des rouleaux de plus en plus prononcés. En passant sur le quai, elle aperçut Alan qui inspectait ses filets. L’homme profita du ralentissement pour se diriger vers elle. Grand et blond, le visage tanné par le large, Alan Pasquier approchait la quarantaine. Son visage sérieux s’éclaira d’un sourire en reconnaissant Cathy.
— Finie la journée ?
La jeune femme hocha la tête.
— Bonne pêche ?
— Ça peut aller. Bouge pas, je t’ai mis du crabe de côté.
Agile, il sauta sur le chalutier et disparut dans la cabine pour réapparaître quelques instants plus tard, un sac en plastique à la main.
— C’est du frais, dit-il en le lui tendant. Cuis-le en rentrant.
Un tourteau de belle taille s’agitait dans le sac.
— Merci Alan, il ne fallait pas…
Confuse, elle écourta le moment.
— Il ne fait pas chaud. Je rentre, la journée a été bien remplie. A plus tard. Merci encore !
Dans son rétroviseur, elle vit le pêcheur suivre des yeux sa voiture.
Ce n’était un secret pour personne qu’Alan avait un faible pour elle. Il était attirant mais la vie sentimentale de Cathy était au point mort depuis longtemps.
La petite ville se traversait vite. Elle appréciait sa propreté et ses maisons de pêcheurs, blanches aux volets bleus qui lui conféraient tout son cachet. Elle ralentit pour laisser le bus stationner à son arrêt. Il débordait un peu sur la chaussée et elle dut patienter car d’autres véhicules arrivaient en face. Deux grands-mères en descendirent, suivies d’un inconnu, sac au dos.
Le car reprit sa route vers le bourg suivant. L’homme passa près de Cathy et elle eut le temps d’apercevoir l’éclat de ses prunelles grises. Il avait l’allure d’un routard, avec un petit quelque chose de différent.
« Ce n’est plus tellement la saison », pensa-t-elle en reprenant son chemin. La route serpentait vers le quartier excentré du phare où elle demeurait, à quelques distances du bourg. Le chemin longeait la côte découpée, comme déchiquetée par des récifs acérés. Elle habitait là, entre la plage du Steir et celle de la Joie, ces étendues de sable fin qui faisaient la joie des touristes à la saison, mais qui aujourd’hui étaient désertées.
Sa petite maison se dressait seule au bord de l’eau, face à la mer. On aurait dit une maison de poupée. Le ciel s’était obscurci en quelques minutes et le remontant apportait des nuées sombres, annonciatrices d’un grain. Quelques gouttes s’écrasèrent sur le pare-brise au moment où Cathy rangeait sa voiture dans l’abri en contrebas de la petite maison de pierre. Elle n’eut que le temps de courir sur le chemin s’élevant vers l’entrée avant qu’un premier éclair ne zèbre le ciel d’orange. La porte se referma derrière elle sous la poussée du vent et elle posa ses sacs sur la table. L’air sentait l’iode et l’ozone. Un volet claqua violemment.
Cathy se dépêcha de le raccrocher tandis que des bourrasques de pluie giflaient son visage.
Les cheveux défaits, elle se mit à l’aise et rangea sa mallette d’infirmière à côté de la porte, après en avoir retiré son téléphone portable. Elle posa une marmite d’eau salée sur la plaque pour cuire le tourteau et rangea rapidement deux ou trois objets. Du regard, elle fit le tour de son habitation. Elle s’y sentait aussi bien qu’elle pouvait l’être quelque part. La maison de pierre exhalait, malgré sa petite taille, une impression de solidité.
L’entrée donnait directement sur la seule pièce de la demeure. A gauche, dans un renfoncement, se tenait un coin cuisine composé d’un évier, d’une cuisinière électrique, d’un combiné frigo-congélateur et d’un lave-linge. Trois meubles de rangement en chêne étaient posés au-dessus de l’électroménager. Devant, une table ronde en bois sombre et trois chaises complétaient l’ensemble.
Au milieu de la pièce, un canapé, face aux deux fenêtres jumelles de l’habitation, permettait de profiter du spectacle ininterrompu de l’océan. Adossé à l’évier, un coin toilette minuscule, constitué d’une cabine de douche et d’un lavabo gris perle, était isolé du reste de la pièce par une porte paravent dépliable. De trois quarts face au canapé, un poste de télévision trônait sur un meuble d’angle. Entre les deux fenêtres un ordinateur était posé sur une table toute simple. Il servait à sa comptabilité et, depuis quelque temps, la connexion à Internet lui permettait de s’évader sur la toile, au gré de ses contacts.
Sur le mur de droite, aveugle comme son vis-à-vis, était adossée une desserte ancienne. Un meuble servait de bureau à proximité de la porte d’entrée. Dans l’angle de la cuisine, à gauche de l’entrée, un poêle Godin dispensait sa chaleur.
Le plafond était assez haut, laissant apparaître poutres et solives. Un angle en était occupé par une mezzanine en bois. Un escalier y menait. Bordé d’une rambarde toute simple, il était constitué d’un plancher de bois épais. On ne pouvait pas y circuler debout. Un matelas recouvert d’une couette confortable servait de literie et recouvrait la quasi totalité de sa surface. C’était là que Cathy dormait. L’œil-de-bœuf, au-dessus de la porte d’entrée, déversait une lumière chiche sur l’endroit.
En bas, un escalier s’ouvrait directement dans le sol, dans l’angle droit de la façade donnant sur la mer. Il laissait sourdre une humidité fraîche malgré la lourde porte de bois qui le fermait en bas des marches.
Il descendait vers le sous-sol qui était la curiosité de cette maisonnette. Derrière la porte, un coin WC avait été ajouté. Le reste de l’espace contenait une barque échouée entre deux bouts de quai cimentés. Une porte de hangar fermait le tout. Un espace suffisant permettait à la marée haute de s’infiltrer et de remplirles lieux afin de remettre l’embarcation à flots. Un mini hangar à bateaux, en quelque sorte, qui, du temps de son précédent propriétaire, lui permettait de rentrer et sortir directement de sa maison en barque. Des filets de pêche et deux gilets de sauvetage étaient amarrés aux murs. Vestiges d’autrefois.
Cathy ne s’était pas servie beaucoup de son bateau depuis qu’elle avait hérité de cette maisonnette d’un grand-oncle sans descendance.
C’était le jeune frère de sa grand-mère maternelle. Célibataire, il avait quitté le berceau familial, un peu plus haut en Bretagne, pour s’établir dans ce petit port de pêche.
Quelques économies et sa part d’héritage à la mort des parents lui avaient permis d’acheter cette petite maison de pierre. Il l’avait habitée seul une grande partie de sa vie, ne s’étant jamais marié. Il n’avait qu’une sœur, trois petits frères n’ayant jamais atteint l’âge adulte, et Cathy était sa seule petite-nièce.
La mère de Cathy était morte poitrinaire comme on disait dans le temps, et son père avait disparu en mer peu après. C’était le lot commun des pêcheurs. La dîme prélevée par la mer toute puissante.
Elle n’avait pas – ou peu – connu sa famille paternelle. Dans ce pays rude aux mentalités fortes, les conflits étaient fréquents et les séparations souvent définitives. Sa grand-mère l’avait élevée avec juste ce qu’il fallait de rudesse pour l’endurcir et beaucoup d’affection. Une affection sans faille, à l’image de ce pays granitique qui l’avait vue naître, entre le Raz et Audierne.
La jeune femme mit le crabe à refroidir sur une assiette. Son repas du lendemain était prêt. Ce soir, une tranche de jambon de pays et quelques feuilles de laitue feraient l’affaire.
L’avantage d’une aussi petite demeure – elle ne devait pas mesurer plus de quarante mètres carrés de surface, mezzanine comprise – c’était que l’entretien en était vite fait. Les murs intérieurs étaient en pierres apparentes. Cathy avait conservé quelques jolis filets accrochés aux murs entre lesquels elle avait intercalé des toiles anciennes. Essentiellement des marines. L’une d’elles représentait la maison, juchée sur son petit tertre et battue par les vents. Cathy l’avait dénichée chez un brocanteur de passage l’été sur le marché, deux années plus tôt.
La maison était meublée simplement. Il y avait juste le nécessaire. Elle avait restauré la desserte de l’oncle ainsi que la table et les chaises. Quelques travaux de plomberie et d’électricité avaient apporté le confort minimum. Seul manquait un chauffage central mais le poêle à bois et charbon faisait son office. Il ne faisait jamais très froid ici. Les toilettes du sous-sol avaient été posées par le vieil homme ainsi que la mezzanine. Elle n’avait eu qu’à la nettoyer car elle servait de grenier pour le matériel de pêche.
Là, dans cette maison cocon, elle se sentait comme une tortue dans sa carapace. Un peu à l’écart du bourg, elle pouvait contempler les mouvements des marées et le vol des oiseaux de mer. Le sifflement, presque perpétuel, du vent dans les ardoises du toit était sa musique.
Cathy se contentait de cela, de cette vie de recluse, pour une femme encore jeune. Elle n’avait que trente-neuf ans, mais un passé si lourd que son âme aspirait à se perdre jusqu’à l’oubli dans la solitude et la contemplation des éléments.
Elle aurait voulu s’y absorber.
Tout entière rentrer dans l’onde grise et s’y fondre.
Se diluer entre mer et ciel.
Mais la vie était là.
Elle avait choisi de ne pas mourir autrefois, pas complètement.
Alors, elle vivait… un peu.
Infirmière libérale le jour, enveloppe désincarnée le reste du temps.
Son visage ne laissait rien voir. Toujours d’humeur égale. Sa gentillesse attirait les sympathies. Elle avait le don pour repérer les failles, les douleurs, les nondits, un sixième sens.
Elle était fracturée de l’intérieur. Depuis longtemps déjà.
Elle était là et pas là. Quelque chose en elle était mort mais pourtant elle vivait, parlait, mangeait, travaillait… Elle avait le sentiment de deux plans différents, de deux vies, sans lien entre elles, juxtaposées l’une à côté de l’autre.
Elle avait eu une autre vie avant – quatorze ans déjà – un mari, un fils. L’image des boucles brunes de Loïc lui serra le cœur.
Elle avait aimé, s’était mariée, était devenue mère. Elle savait qu’elle avait été heureuse, un temps, mais elle ne parvenait pas à s’en souvenir. Son esprit avait occulté ces moments-là. Les images étaient lointaines, sans vie, comme des clichés sépia. Le bonheur l’avait fuie un jour. Elle ne saurait dire quand. L’amour s’était éteint comme une bougie vacillante. Mauvais choix, usure des caractères ?
Elle s’était sentie à la remorque d’un mari qui occupait le devant de la scène. Elle ne jouait qu’un rôle secondaire dans le couple, celui de l’épouse, de la mère. De temps en temps, elle glanait un compliment sur un repas, une décoration mais elle était écartée des sujets importants. D’autres auraient qualifié son mari de macho. Elle ne savait pas ce que cela signifiait, mariée trop jeune, maman à vingt ans.
Le temps s’était écoulé dans le sablier de la vie. L’amour, le sien, s’était délité. Cathy s’était fixé des objectifs.
— Quand Loïc ira à l’école, je travaillerai.
Elle avait repris ses études, voulait gagner son indépendance. Elle ne savait pas encore à quel prix. Il n’avait pas supporté. Une femme ne pouvait qu’être soumise. Elle ne pouvait exister par elle-même. La séparation s’était imposée. Il perdait ses repères. Elle n’était plus la femme qu’il avait épousée et façonnée, n’obéissait plus. Son diplôme d’infirmière en poche, elle avait déménagé avec Loïc. Il venait le chercher un week-end sur deux.
Son caractère, difficile, s’était aigri. Tout tournait autour de lui. Il ne pouvait accepter l’échec, la fin de son univers personnel.
Deux mois après la séparation, en plein juillet, un dimanche inondé de soleil, la vie de Cathy s’était arrêtée. Net. A l’heure du goûter, le téléphone avait résonné dans son petit appartement. C’était lui.
— Viens chercher ton fils, furent ses seules paroles.
C’était laconique, inhabituel. Brice devait ramener l’enfant à l’heure du dîner. Cathy sentit instantanément une ombre noire se poser sur son épaule. Un sombre pressentiment l’avait poussée à parcourir sans retard les kilomètres la séparant de la villa que son mari avait conservée au bord du lac.
Personne n’avait répondu à son coup de sonnette. La porte d’entrée n’était pas verrouillée. Elle était entrée. La porte-fenêtre restée grande ouverte laissait les rideaux voler dans le courant d’air. Le jardin était désert mais la barque, amarrée sur la descente en ciment, n’était plus à sa place.
D’un coup, elle l’avait vu, dans l’embarcation, au milieu du lac. Il l’attendait et la fixait intensément. Elle avait crié, certaine de l’horreur qui allait se produire. Il avait ramé plus loin, vers l’endroit le plus profond, et s’était levé lentement.
Ses bras tenaient un corps endormi. Lentement, très lentement, il l’avait élevé afin qu’elle le vît et, d’un geste décidé, l’avait jeté loin de la barque. Elle avait vu son fils monter dans le soleil, décrire un arc de cercle, avant de plonger dans l’eau noire. Le corps avait coulé comme une pierre. Cathy était morte à cet instant, foudroyée par la douleur.
Il était demeuré prostré dans le canot, au milieu de l’eau. C’est là que les gendarmes étaient venus l’arrêter. Il n’avait pas tenté de fuir ni de se suicider. En avait-il seulement eu l’idée ?
Le lac était très profond. Le fond, accidenté, était obscur, rempli de vase et de branchages. Loïc n’avait pu être retrouvé. Il avait quatre ans.
Il y avait quatorze ans de cela. Cathy aurait pu mourir. Elle l’aurait voulu. Son tempérament de granit l’en avait empêché. Elle était revenue en Bretagne, auprès de sa grand-mère et, redevenue Cathy Marc’h, elle travaillait comme infirmière libérale.
Elle avait survécu à tout – la mort de son fils, le procès de Brice, sa haine proche de la folie. Ses sentiments étaient morts aussi. Quelquefois, elle entrapercevait le souvenir d’un éclat, d’une émotion, mais de façon lointaine, détachée. Elle n’avait plus de larmes. Son petit garçon n’était plus qu’un pantin qui bougeait au ralenti dans le film de sa mémoire. Les moments heureux, car il y avait bien dû y en avoir, étaient enfouis sous les sédiments de la douleur. Il ne lui restait rien, que de la grisaille et un album de photos du petit garçon, rangé dans un meuble.
Cathy n’avait pris que le nécessaire pour survivre. Elle n’avait pas refait sa vie. Elle en était incapable. Elle l’avait continuée.
L’ombre descendait sur la plage. Le front appuyé sur la vitre constellée de pluie, elle regardait les flots gris s’avancer vers la maison. Encore deux heures et la marée serait haute. Éternel mouvement pendulaire. De part et d’autre de la pointe, des rochers semblaient monter la garde. Une silhouette penchée pour se protéger des bourrasques avançait sur le rivage, gênée par le vent debout. De loin, il lui sembla reconnaître l’inconnu du car, aperçu un peu plus tôt.
« Ce n’est pas le lieu et l’heure pour une promenade », pensa-t-elle, en accrochant ses lourds volets de bois.
C’était son week-end de liberté. Caroline, son associée, assurerait les soins qui ne souffraient pas d’interruption. Son métier d’infirmière occupait une grande partie de son temps mais Cathy préférait cela à une profession qui lui aurait laissé trop d’heures vides à remplir. Qu’en aurait-elle fait ?
Elle s’était condamnée à vivre, elle ne savait trop pourquoi. Peut-être pour expier. Il fallait bien une cause, une raison, un pourquoi à la mort du petit Loïc. Elle s’était condamnée à perpétuité, à survivre à son enfant pour se punir d’avoir cessé d’aimer son père. Était-elle coupable ? Il y avait tellement de nuances de gris entre le blanc et le noir. Avait-elle péché par légèreté ? Son fils avait-il payé de sa vie son désir personnel d’autonomie ? Son besoin de se sentir plus “vivante” ?
Brice avait été condamné à dix-huit ans de réclusion criminelle. Le choc provoqué par le divorce ayant constitué, aux yeux du jury, une forme de circonstance atténuante, malgré l’horreur du crime. Cathy frissonna et resserra les pans de sa veste grise autour d’elle en repensant aux détails sordides de l’affaire.
Il avait prémédité son acte, elle en était certaine, achetant un hypnotique pour endormir le petit garçon. Puis il l’avait appelée, demeurant dans la barque le temps nécessaire à son arrivée, savourant par avance l’instant ultime de sa victoire.
Où s’arrêtait la responsabilité, où commençait la folie ?
Cathy avait souffert le procès dans sa chair et son âme. L’homme, prostré sur son banc d’accusé, n’avait plus rien à voir avec celui qu’elle avait aimé un jour. Seuls, ses yeux, quand elle parvenait à accrocher son regard, la toisaient d’une étincelle victorieuse. D’une lueur de haine aussi. C’était furtif, l’espace d’une seconde, mais Cathy le prenait de plein fouet à chaque fois. Ainsi semblait-il dire, tu vas devoir vivre avec ça, te dire, à chaque minute, que c’est à cause de toi. Je t’ai vaincue malgré tout.
Son avocat avait axé sa plaidoirie sur la douleur causée par la rupture de son couple. Il s’était montré brillant, émouvant même, brossant un portrait honorable de Brice. Cathy avait senti le regard pesant de l’assemblée et du jury sur elle. Le mot coupable n’avait pas été prononcé ouvertement mais suggéré… Si Brice n’était pas totalement coupable de ce meurtre, il fallait donc qu’elle le soit un peu !
Son ex-mari avait échappé à la perpétuité qui guetteles assassins d’enfants. Dix-huit ans fermes. Avec les remises de peine, cela ferait… quinze ans, peut-être.
Un nouveau frisson la prit. Ainsi, il sortirait un jour et continuerait à vivre alors que Loïc dormait depuis des années dans son cercueil d’eau et de vase. Cathy n’avait plus jamais remis les pieds là-bas. Sa belle-famille lui avait tourné le dos en prenant ostensiblement la défense de Brice.
Seule, Emma, sa belle-sœur, l’avait soutenue discrètement. Elle ne voulait pas ajouter à la peine de ses parents. Lorsque, quelques années plus tard, Brice avait été transféré dans une autre prison, elle l’avait prévenue. Cathy n’était jamais allée le voir en cellule. Pour avoir vécu sept ans avec lui, elle savait que son ego surdimensionné avait causé ce drame affreux. Elle s’en voulait de n’avoir pas su prévoir ce qui avait suivi. Si seulement elle s’était douté de sa réaction à leur rupture, elle n’aurait pas divorcé ainsi. Elle serait restée avec lui jusqu’à ce que Loïc soit grand. Si seulement…
A la fin du procès, elle l’avait entendu débiter quelques phrases où il exprimait des regrets, mais Cathy savait que ces mots lui avaient été dictés par l’avocat. Rien de vrai n’était venu de lui. Il était emmuré dans son crime et dans sa haine de Cathy, qui lui avait échappé. Jamais il ne s’était adressé à elle durant le procès. Il avait laissé faire son défenseur. Pas un mot d’explication à son égard, aucun courrier ne lui était parvenu. Brice avait choisi de garder le silence sur sa folie meurtrière. Cela n’aurait pas atténué la douleur de Cathy, de toute façon. Brice était devenu un mort-vivant dont elle ne voulait plus jamais entendre parler.
Cathy se releva du sable où elle s’était allongée, à l’abri du vent. Elle venait souvent, quelle que soit la saison, rêver là. Ses pensées vagabondaient et la ramenaient toujours à autrefois. Demain lui paraissait si dénué de réalité… Elle n’avait plus d’avenir. Juste un passé et un présent. Les yeux vers le ciel, environnée de sable et d’eau, elle suivait régulièrement la course des nuages. Le petit gros, là, se mettait à ressembler à un éléphant, mais déjà sa trompe s’allongeait, se rompait et une girafe apparaissait. Parfois, aussi, l’ombre de Loïc se manifestait et elle le regardait jusqu’à ce que ses yeux n’y voient plus ou qu’il disparaisse dans le champ mouvant des nuages. Son petit garçon des étoiles… Il serait un homme maintenant. Comme une litanie, les mots de l’enfant lui revenaient. Quand il pleuvait dru le soir, il lui prenait la main et lui disait d’un air sérieux : « Tu as vu maman, ce sont les larmes des étoiles… »
Des petits ruisseaux coulaient sur le sable tassé par les marées, formant un réseau. Quelques rochers, découverts par le baissant, montraient leur chevelure d’algues.
Aux grandes marées, Cathy pêchait la crevette avec une épuisette dans les mares remplies de varech au pied des rochers. La pluie de la veille s’était arrêtée dans la nuit. Seul demeurait un vent frisquet dans un ciel de traîne. Pas loin de là, les rouleaux argentés venaient se briser sur le sable mouillé. Cathy croisa un habitué qui ramenait sa pêche du jour. Ils se saluèrent en silence. Elle appréciait cette discrétion des gens habitués à vivre au rythme de l’océan, qui lui permettait de rester dans son univers mental. Sa prison était intérieure et, pour elle, nulle remise de peine ne viendrait un jour en écarter les barreaux.
Seul, son travail constituait un dérivatif à sa mélancolie. Elle laissait derrière elle, en fermant sa porte, les fantômes du passé pour se consacrer aux vivants. Son expérience de la douleur l’avait rendue experte dans l’art de déceler les malaises et les chagrins. Sans trop de mots, son regard attentif aidait les gens à s’exprimer. Ils savaient, intuitivement, que tout ce qui se disait resterait entre eux.
Elle retourna quelques pierres au passage, attentive à les remettre en place pour préserver l’environnement. Elle ne trouvait pas grand-chose aujourd’hui, mais elle était plus sortie pour s’aérer que pour ramasser des coquillages. Elle respira à fond l’air iodé, face à l’océan, avant de remonter vers sa maison. Au passage, elle jeta un coup d’œil au rivage désert. A trois cents mètres environ s’élevait un amas de rochers.
Au fil des années, les générations précédentes avaient organisé là un refuge, une sorte d’abri. Elle s’était aventurée une fois à l’intérieur mais n’avait pas osé dépasser la première salle. Une ouverture semi-circulaire, entre deux rochers, permettait de voir à cent quatre-vingt degrés, de part et d’autre de la plage. Le sol de la roche descendait vers le fond, au-dessous du niveau de la grève, et les blocs de roche brisés laissaient entrevoir une autre pièce, mais y accéder lui aurait paru trop dangereux. Un filet de fumée s’échappait de l’ouverture, pourtant il n’y avait pas de groupes de jeunes, comme en été. Octobre avait rendu les lieux déserts. Elle s’approcha de l’endroit, mue par une curiosité inhabituelle chez elle. La fumée s’était faite odorante.
— Bah, pensa-t-elle, quelqu’un pique-nique ! De l’extérieur rien ne transpirait de l’obscurité du lieu. Elle monta vers l’entrée, penchée en avant et se heurta à un homme. Confuse, elle rougit subitement en reconnaissant l’inconnu aperçu la veille.
— Excusez-moi, j’ai vu de la fumée et je me demandais…
— Pas de problème, répondit-il. Ne vous inquiétez pas pour le feu, je suis à côté. Juste le temps de cuire…
— Bien sûr, nous ne sommes pas en été ! Mais le feu inquiète toujours quand on ne voit personne à côté. Vous avez réussi à pêcher quelque chose ? demanda-t-elle pour masquer sa gêne.