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"Après la Mort", suivi de "L'Au-delà et la survivance de l'être" : Léon Denis, figure incontournable du spiritisme, nous offre dans ces deux textes des révélations importantes sur le mystère de la vie après la mort, en apportant notamment de nombreux témoignages visant à prouver l'existence d'un monde invisible.
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LEON DENIS
APRES LA MORT
INTRODUCTION
PREMIÈRE PARTIE
I
II
III
IV
V
VI
VII
VIII
DEUXIÈME PARTIE
IX
X
XI
XII
XIII
XIV
TROISIÈME PARTIE
XV
XVI
XVII
XVIII
XIX
XX
XXI
XXII
XXIII
XXIV
XXV
XXVI
XXVII
XXVIII
QUATRIÈME PARTIE
XXIX
XXX
XXXI
XXXII
XXXIII
XXXIV
XXXV
XXXVI
XXXVII
XXXVIII
XXXIX
XL
XLI
CINQUIÈME PARTIE
XLII
XLIII
XLIV
XLV
XLVI
XLVII
XLVIII
XLIX
L
LI
LII
LIII
LIV
LV
LVI
RÉSUMÉ
CONCLUSION
L'AU-DELA
L'AU-DELA
ETUDE SUR LA REINCARNATION
Notes de bas de page
Copyright © 2013 / FV Éditions
Image de la Couverture : [email protected]
ISBN 978-2-36668-725-5
Tous Droits Réservés
1846-1927
EXPOSE DE LA DOCTRINE DES ESPRITS
SOLUTION SCIENTIFIQUE ET RATIONNELLE DES PROBLEMES DE LA VIE ET DE LA MORT NATURE ET DESTINEE DE L'ETRE HUMAIN LES VIES SUCCESSIVES
Semper ascendens.
Aux nobles et grands Esprits qui m'ont révélé le mystère auguste de la destinée, la loi de progrès dans l'immortalité, dont les enseignements ont raffermi en moi le sentiment de la justice, l'amour de la sagesse, le culte du devoir, dont les voix ont dissipé mes doutes, apaisé mes soucis ; aux âmes généreuses qui m'ont soutenu dans la lutte, consolé dans l'épreuve, qui ont élevé ma pensée jusqu'aux hauteurs lumineuses où siège la vérité, je dédie ces pages.
J'ai vu, couchées dans leurs linceuls de pierre ou de sable, les villes fameuses de l'antiquité, Carthage, aux blancs promontoires, les cités grecques de la Sicile, la campagne de Rome, avec ses aqueducs brisés et ses tombeaux ouverts, les nécropoles qui dorment leur sommeil de vingt siècles sous la cendre du Vésuve. J'ai vu les derniers vestiges de cités anciennes, autrefois fourmilières humaines, aujourd'hui ruines désertes que le soleil d'Orient calcine de ses brûlantes caresses.
J'ai évoqué les multitudes qui s'agitèrent et vécurent en ces lieux ; je les ai vues défiler devant ma pensée, avec les passions qui les consumèrent, leurs haines, leurs amours, leurs ambitions évanouies, leurs triomphes et leurs revers, fumées emportées par le souffle des temps. Et je me suis dit : Voilà ce que deviennent les grands peuples, les capitales géantes : quelques pierres amoncelées, des tertres mornes, des sépultures ombragées de maigres végétaux, dans les rameaux desquels le vent du soir jette sa plainte. L'histoire a enregistré les vicissitudes de leur existence, leurs grandeurs passagères, leur chute finale ; mais la terre a tout enseveli. Combien d'autres dont les noms mêmes sont inconnus ; combien de villes, de races, de civilisations gisent à jamais sous la nappe profonde des eaux, à la surface des continents engloutis !
Et je me demandais pourquoi cette agitation des peuples de la terre, pourquoi ces générations se succédant comme les couches de sable apportées incessamment par le flot pour recouvrir les couches qui les ont précédées ; pourquoi ces travaux, ces luttes, ces souffrances, si tout doit aboutir au sépulcre. Les siècles, ces minutes de l'éternité, ont vu passer nations et royaumes, et rien n'est resté debout. Le sphinx a tout dévoré.
Où va donc l'homme dans sa course ? Au néant ou à une lumière inconnue ? La nature souriante, éternelle, encadre de ses splendeurs les tristes débris des empires. En elle, rien ne meurt que pour renaître. Des lois profondes, un ordre immuable président à ses évolutions. L'homme, avec ses oeuvres, est-il seul destiné au néant, à l'oubli ?
L'impression produite par le spectacle des cités mortes, je l'ai retrouvée plus poignante devant la froide dépouille de mes proches, de ceux qui partagèrent ma vie.
Un de ceux que vous aimez va mourir. Penché vers lui, le coeur serré, vous voyez s'étendre lentement sur ses traits l'ombre de l'au-delà. Le foyer intérieur ne jette plus que de pâles et tremblantes lueurs ; le voilà qui s'affaiblit encore, puis s'éteint. Et maintenant, tout ce qui, en cet être, attestait la vie, cet oeil qui brillait, cette bouche qui proférait des sons, ces membres qui s'agitaient, tout est voilé, silencieux, inerte. Sur cette couche funèbre, il n'y a plus qu'un cadavre ! Quel homme ne s'est demandé l'explication de ce mystère et, pendant la veillée lugubre, dans ce tête-à-tête solennel avec la mort, a pu ne pas songer à ce qui l'attend lui-même ? Ce problème nous intéresse tous, car tous nous subirons la loi. Il nous importe de savoir si, à cette heure, tout est fini, si la mort n'est qu'un morne repos dans l'anéantissement ou, au contraire, l'entrée dans une autre sphère de sensations.
Mais, partout des problèmes se dressent. Partout, sur le vaste théâtre du monde, disent certains penseurs, la souffrance règne en souveraine, partout l'aiguillon du besoin et de la douleur stimule la ronde effrénée, le branle terrible de la vie et de la mort. De toute part s'élève le cri d'angoisse de l'être se précipitant dans la voie qui mène à l'inconnu. Pour lui, l'existence ne semble qu'un perpétuel combat ; la gloire, la richesse, la beauté, le talent, des royautés d'un jour. La mort passe, elle fauche ces fleurs éclatantes et ne laisse que des tiges flétries. La mort est le point d'interrogation sans cesse posé devant nous, la première des questions à laquelle se rattachent des questions sans nombre, dont l'examen a fait la préoccupation, le désespoir des âges, la raison d'être d'une foule de systèmes philosophiques.
Malgré ces efforts de la pensée, l'obscurité pèse encore sur nous. Notre époque s'agite dans les ténèbres et dans le vide, et cherche, sans le trouver, un remède à ses maux. Les progrès matériels sont immenses, mais, au sein des richesses accumulées par la civilisation, on peut encore mourir de privation et de misère. L'homme n'est ni plus heureux, ni meilleur. Au milieu de ses rudes labeurs, aucun idéal élevé, aucune notion claire de la destinée ne le soutient plus ; de là, ses défaillances morales, ses excès, ses révoltes. La foi du passé s'est éteinte ; le scepticisme, le matérialisme l'ont remplacée, et, sous leurs souffles, le feu des passions, des appétits, des désirs a grandi. Des convulsions sociales nous menacent.
Parfois, tourmenté par le spectacle du monde et les incertitudes de l'avenir, l'homme lève ses regards vers le ciel et lui demande la vérité. Il interroge silencieusement la nature et son propre esprit. Il demande à la science ses secrets, à la religion ses enthousiasmes. Mais la nature lui semble muette, et les réponses du savant et du prêtre ne suffisent pas à sa raison et à son coeur. Pourtant, il est une solution à ces problèmes, une solution plus grande, plus rationnelle, plus consolante que toutes celles offertes par les doctrines et les philosophies du jour, et cette solution repose sur les bases les plus solides qu'on puisse concevoir : le témoignage des sens et l'expérience de la raison.
Au moment même où le matérialisme a atteint son apogée et répandu partout l'idée du néant, une science, une croyance nouvelle, appuyée sur des faits, apparaît. Elle offre à la pensée un refuge où celle-ci trouve enfin la connaissance des lois éternelles de progrès et de justice. Une floraison d'idées que l'on croyait mortes, et qui sommeillaient seulement, se produit et annonce un renouveau intellectuel et moral. Des doctrines, qui furent l'âme des civilisations passées, reparaissent sous une forme agrandie, et de nombreux phénomènes, longtemps dédaignés, mais dont certains savants entrevoient enfin l'importance, viennent leur offrir une base de démonstration et de certitude. Les pratiques du magnétisme, de l'hypnotisme, de la suggestion ; plus encore, les études de Crookes, Russell Wallace, Lodge, Aksakof, Paul Gibier, de Rochas, Myers, Lombroso, etc., sur des faits d'ordre psychique, fournissent de nouvelles données pour la solution du grand problème. Des perspectives s'ouvrent, des formes d'existence se révèlent dans des milieux où l'on ne songeait plus à les observer. Et de ces recherches, de ces études, de ces découvertes se dégagent une conception du monde et de la vie, une connaissance des lois supérieures, une affirmation de la justice et de l'ordre universels, bien faites pour éveiller dans le coeur de l'homme, avec une foi plus ferme et plus éclairée en l'avenir, un sentiment profond de ses devoirs et un réel attachement pour ses semblables.
C'est cette doctrine, capable de transformer la face des sociétés, que nous offrons aux chercheurs de tous ordres et de tous rangs. Elle a déjà été divulguée en de nombreux volumes. Nous avons cru devoir la résumer en ces pages, sous une forme différente, à l'intention de ceux qui sont las de vivre en aveugles, en s'ignorant eux-mêmes, de ceux que ne satisfont plus les oeuvres d'une civilisation matérielle, toute de surface, et qui aspirent à un ordre de choses plus élevé. C'est surtout pour vous, fils et filles du peuple, travailleurs dont la route est âpre, l'existence difficile, pour qui le ciel est plus noir, plus froid le vent de l'adversité ; c'est pour vous que ce livre a été écrit. Il ne vous apporte pas toute la science, - le cerveau humain ne saurait la contenir, - mais il peut être un degré de plus vers la vraie lumière. En vous prouvant que la vie n'est pas une ironie du sort, ni le résultat d'un stupide hasard, mais la conséquence d'une loi juste et équitable ; en vous ouvrant les perspectives radieuses de l'avenir, il fournira un mobile plus noble à vos actions, il fera luire un rayon d'espérance dans la nuit de vos incertitudes, il allégera le fardeau de vos épreuves et vous apprendra à ne pas trembler devant la mort. Ouvrez-le avec confiance, lisez-le avec attention, car il émane d'un homme qui, par-dessus tout, veut votre bien.
Parmi vous, beaucoup peut-être rejetteront nos conclusions ; un petit nombre seulement les acceptera. Qu'importe ! Nous ne cherchons pas le succès. Un seul mobile nous inspire : le respect, l'amour de la vérité. Une seule ambition nous anime : nous voudrions, lorsque notre enveloppe usée retournera à la terre, que notre esprit immortel pût se dire : Mon passage ici-bas n'aura pas été stérile, si j'ai contribué à apaiser une douleur, à éclairer une intelligence en quête du vrai, à réconforter une seule âme chancelante et attristée.
Lorsqu'on jette un regard d'ensemble sur le passé, lorsque l'on évoque le souvenir des religions disparues, des croyances éteintes, on est saisi d'une sorte de vertige à l'aspect des voies sinueuses parcourues par la pensée humaine. Lente est sa marche. Elle semble d'abord se complaire dans les cryptes sombres de l'Inde, les temples souterrains de l'Egypte, les catacombes de Rome, le demi-jour des cathédrales ; elle semble préférer les lieux obscurs, l'atmosphère lourde des écoles, le silence des cloîtres à là lumière du ciel, aux libres espaces, en un mot à l'étude de la nature.
Un premier examen, une comparaison superficielle des croyances et des superstitions du passé conduit inévitablement au doute. Mais, si l'on écarte le voile extérieur et brillant qui cachait à la foule les grands mystères, si l'on pénètre dans le sanctuaire de l'idée religieuse, on se trouve en présence d'un fait d'une portée considérable. Les formes matérielles, les cérémonies des cultes avaient pour but de frapper l'imagination du peuple. Derrière ces voiles, les religions anciennes apparaissaient sous un tout autre aspect ; elles revêtaient un caractère grave, élevé, à la fois scientifique et philosophique.
Leur enseignement était double : extérieur et public, d'une part ; intérieur et secret, de l'autre, et, dans ce cas, réservé aux seuls initiés. Celui-ci a pu, dans ses grandes lignes, être reconstitué récemment, à la suite de patientes études et de nombreuses découvertes épigraphiques1. Depuis, lors, l'obscurité et la confusion qui régnaient dans les questions religieuses se sont dissipées, l'harmonie s'est faite avec la lumière. On a acquis la preuve que tous les enseignements religieux du passé se relient, qu'une seule et même doctrine se retrouve à leur base, doctrine transmise d'âge en âge à une longue suite de sages et de penseurs.
Toutes les grandes religions ont eu deux faces, l'une apparente, l'autre cachée. En celle-ci est l'esprit ; dans celle-là, la forme ou la lettre. Sous le symbole matériel, le sens profond se dissimule. Le brahmanisme dans l'Inde, l'hermétisme en Égypte, le polythéisme grec, le christianisme lui-même, à son origine, présentent ce double aspect. Les juger par leur côté extérieur et vulgaire, c'est juger la valeur morale d'un homme d'après ses vêtements. Pour les connaître, il faut pénétrer la pensée intime qui les inspire et fait leur raison d'être ; du sein des mythes et des dogmes, il faut dégager le principe générateur qui leur communique la force et la vie. Alors on découvre la doctrine unique, supérieure, immuable, dont les religions humaines ne sont que des adaptations imparfaites et transitoires, proportionnées aux besoins des temps et des milieux.
On se fait, à notre époque, une conception de l'univers absolument extérieure et matérielle. La science moderne, dans ses investigations, s'est bornée à accumuler le plus grand nombre de faits, puis à en dégager les lois. Elle a obtenu ainsi de merveilleux résultats ; mais, à ce compte, la connaissance des principes supérieurs, des causes premières et de la vérité lui restera à jamais inaccessible. Les causes secondes, elles-mêmes, lui échappent. Le domaine invisible de la vie est plus vaste que celui qui est embrassé par nos sens ; là, règnent ces causes dont nous voyons seulement les effets.
L'antiquité avait une tout autre manière de voir et de procéder. Les sages de l'Orient et de la Grèce ne dédaignaient pas d'observer la nature extérieure, mais c'est surtout dans l'étude de l'âme, de ses puissances intimes, qu'ils découvraient les principes éternels. L'âme était pour eux comme un livre, où s'inscrivent en caractères mystérieux toutes les réalités et toutes les lois. Par la concentration des facultés, par l'étude méditative et profonde de soi-même, ils s'élevaient jusqu'à la Cause sans cause, jusqu'au Principe d'où dérivent les êtres et les choses. Les lois innées de l'intelligence leur expliquaient l'ordre et l'harmonie de la nature, comme l'étude de l'âme leur donnait la clef des problèmes de la vie.
L'âme, croyaient-ils, placée entre deux mondes, le visible et l'occulte, le matériel et le spirituel, les observant, les pénétrant tous les deux, est l'instrument suprême de la connaissance. Suivant son degré d'avancement et de pureté, elle reflète avec plus ou moins d'intensité les rayons du foyer divin. La raison et la conscience ne guident pas seulement nos jugements et nos actes ; ce sont aussi les moyens les plus sûrs pour acquérir et posséder la vérité.
La vie entière des initiés était consacrée à ces recherches. On ne se bornait pas, comme de nos jours, à préparer la jeunesse par des études hâtives, insuffisantes, mal digérées aux luttes et aux devoirs de l'existence. Les adeptes étaient choisis, préparés dès l'enfance à la carrière qu'ils devaient fournir, puis entraînés graduellement vers les sommets intellectuels d'où l'on peut dominer et juger la vie. Les principes de la science secrète leur étaient communiqués dans une mesure proportionnée au développement de leur intelligence et de leurs qualités morales. L'initiation était une refonte complète du caractère, un réveil des facultés endormies. L'adepte ne participait aux grands mystères, c'est-à-dire à la révélation des lois supérieures, que lorsqu'il avait su éteindre en lui le feu des passions, comprimer les désirs impurs, orienter les élans de son être vers le Bien et le Beau. Il entrait alors en possession de certains pouvoirs sur la nature et communiquait avec les puissances occultes de l'univers.
Les témoignages de l'histoire touchant Apollonius de Tyane et Simon le Mage, les faits, prétendus miraculeux, accomplis par Moïse et le Christ, ne laissent subsister aucun doute sur ce point. Les initiés connaissaient le secret des forces fluidiques et magnétiques. Les phénomènes du somnambulisme et du psychisme, au milieu desquels se débattent les savants de nos jours, dans leur impuissance à les expliquer ou à les concilier avec des théories préconçues2, ce domaine, la science orientale des sanctuaires l'avait exploré et en possédait toutes les clefs. Elle y trouvait des moyens d'action, devenus incompréhensibles pour le vulgaire, mais dont les phénomènes du spiritisme nous fourniraient aisément l'explication.
Dans ses expériences physiologiques, la science contemporaine est arrivée au seuil de ce monde occulte connu des anciens. Jusqu'ici, elle n'a pas osé y pénétrer franchement ; mais le jour est proche où la force des choses et l'exemple des audacieux l'y contraindront. Alors elle reconnaîtra qu'il n'y a, dans ces faits que régissent des lois rigoureuses, rien de surnaturel, mais, au contraire, un côté ignoré de la nature, une manifestation des forces subtiles, un aspect nouveau de la vie qui remplit l'infini.
Si du domaine des faits nous passons à celui des principes, nous aurons tout d'abord à retracer les grandes lignes de la doctrine secrète. D'après elle, la vie n'est que l'évolution, dans le temps et dans l'espace, de l'esprit, seule réalité permanente. La matière est son expression inférieure, sa forme changeante. L'Etre par excellence, source de tous les êtres, est Dieu, à la fois triple et un, substance, essence et vie, en qui se résume tout l'univers. De là, le déisme trinitaire qui, de l'Inde et de l'Égypte, est passé, travesti, dans la doctrine chrétienne : celle-ci, des trois éléments de l'être, a fait des personnes. L'âme humaine, parcelle de la grande âme, est immortelle. Elle progresse et remonte vers son auteur à travers des existences nombreuses, alternativement terrestres et spirituelles, et par un perfectionnement continu. Dans ses incarnations corporelles, elle constitue l'homme, dont la nature ternaire, corps, périsprit et âme, devient un microcosme ou petit monde, image réduite du macrocosme ou Grand Tout. C'est pourquoi nous pouvons retrouver Dieu au plus profond de notre être, en nous interrogeant dans la solitude, en étudiant et en développant nos facultés latentes, notre raison et notre conscience. La vie universelle a deux faces : l'involution, ou descente de l'esprit dans la matière par la création individuelle, et l'évolution, ou ascension graduelle par la chaîne des existences, vers l'Unité divine.
A cette philosophie se rattachait tout un faisceau de sciences : la science des nombres ou mathématiques sacrées, la théogonie, la cosmogonie, la psychologie, la physique. En elles, la méthode inductive et la méthode expérimentale se combinaient et se contrôlaient de façon à former un ensemble imposant et harmonique.
Cet enseignement ouvrait à la pensée des perspectives capables de donner le vertige aux esprits mal préparés. Aussi le réservait-on aux forts. Si la vue de l'infini trouble et affole les âmes débiles, elle fortifie et grandit les vaillants. Dans la connaissance des lois supérieures, ils puisent la foi éclairée, la confiance en l'avenir, la consolation dans le malheur. Cette connaissance rend bienveillant pour les faibles, pour tous ceux qui s'agitent encore dans les cercles inférieurs de l'existence, victimes des passions et de l'ignorance. Elle inspire la tolérance pour toutes les croyances. L'initié savait s'unir à tous et prier avec tous. Il honorait Brahma dans l'Inde, Osiris à Memphis, Jupiter à Olympie, comme des images affaiblies de la Puissance suprême, directrice des âmes et des mondes. Ainsi la vraie religion s'élève au-dessus de toutes les croyances et n'en proscrit aucune.
L'enseignement des sanctuaires avait produit des hommes vraiment prodigieux par l'élévation des vues et la puissance des oeuvres réalisées, une élite de penseurs et d'hommes d'action, dont les noms se retrouvent à toutes les pages de l'histoire. De là sont sortis les grands réformateurs, les fondateurs de religions, les ardents semeurs d'idées : Krishna, Zoroastre, Hermès, Moïse, Pythagore, Platon, Jésus, tous ceux qui ont voulu mettre à la portée des foules les vérités sublimes qui faisaient leur supériorité. Ils ont jeté aux vents la semence qui féconde les âmes ; ils ont promulgué la loi morale, immuable, partout et toujours semblable à elle-même.
Mais les disciples n'ont pas su garder intact l'héritage des maîtres. Ceux-ci étant morts, leur enseignement a été dénaturé, rendu méconnaissable par des altérations successives. La moyenne des hommes n'était pas apte à percevoir les choses de l'esprit, et les religions ont vite perdu leur simplicité et leur pureté primitives. Les vérités qu'elles apportaient ont été noyées sous les détails d'une interprétation grossière et matérielle. On a abusé des symboles pour frapper l'imagination des croyants, et bientôt, sous le symbole, l'idée mère a été ensevelie, oubliée.
La vérité est comparable à ces gouttes de pluie qui tremblent à l'extrémité d'une branche. Tant qu'elles y restent suspendues, elles brillent comme de purs diamants sous l'éclat du jour ; dès qu'elles touchent le sol, elles se mêlent à toutes les impuretés. Tout ce qui nous vient d'en haut se salit au contact terrestre. Jusqu'au sein des temples, l'homme a porté ses passions, ses convoitises, ses misères morales. Aussi, dans chaque religion, l'erreur, cet apport de la terre, se mêle à la vérité, ce bien des cieux.
*
* *
On se demande parfois si la religion est nécessaire. La religion3, bien comprise, devrait être un lien unissant les hommes entre eux et les unissant par une même pensée au principe supérieur des choses.
Il est dans l'âme un sentiment naturel qui la porte vers un idéal de perfection auquel elle identifie le Bien et la justice. S'il était éclairé par la science, fortifié par la raison, appuyé sur la liberté de conscience, ce sentiment, le plus noble que l'on puisse éprouver, deviendrait le mobile de grandes et généreuses actions ; mais, terni, faussé, matérialisé, il est devenu trop souvent, par les soins de la théocratie, un instrument de domination égoïste.
La religion est nécessaire et indestructible, car elle puise sa raison d'être dans la nature même de l'être humain, dont elle résume et exprime les aspirations élevées. Elle est aussi l'expression des lois éternelles, et, à ce point de vue, elle doit se confondre avec la philosophie, qu'elle fait passer du domaine de la théorie à celui de l'exécution, et rend vivante et agissante.
Mais, pour exercer une influence salutaire, pour redevenir un mobile d'élévation et de progrès, la religion doit se dépouiller des travestissements qu'elle a revêtus à travers les siècles. Ce qui doit disparaître, ce n'est pas son principe ; ce sont, avec les mythes obscurs, les formes extérieures et matérielles. Il faut se garder de confondre des choses aussi dissemblables.
La vraie religion n'est pas une manifestation extérieure, c'est un sentiment, et c'est dans le coeur humain qu'est le véritable temple de l'Éternel. La vraie religion ne saurait être ramenée à des règles ni à des rites étroits. Elle n'a besoin ni de formules, ni d'images ; elle s'inquiète peu des simulacres et des formes d'adoration, et ne juge les dogmes que par leur influence sur le perfectionnement des sociétés. La vraie religion embrasse tous les cultes, tous les sacerdoces, s'élève au-dessus d'eux et leur dit : La vérité est plus haute !
On doit comprendre cependant que tous les hommes ne sont pas en état d'atteindre ces sommets intellectuels. C'est pourquoi la tolérance et la bienveillance s'imposent. Si le devoir nous convie à détacher les bons esprits des côtés vulgaires de la religion, il faut s'abstenir de jeter la pierre aux âmes souffrantes, éplorées, incapables de s'assimiler des notions abstraites, et qui trouvent dans leur foi naïve soutien et réconfort.
Toutefois, on peut constater que le nombre des croyants sincères s'amoindrit de jour en jour. L'idée de Dieu, autrefois simple et grande dans les âmes, a été dénaturée par la crainte de l'enfer ; elle a perdu sa puissance. Dans l'impossibilité de s'élever jusqu'à l'absolu, certains hommes ont cru nécessaire d'adapter à leur forme et à leur mesure tout ce qu'ils voulaient concevoir. C'est ainsi qu'ils ont rabaissé Dieu à leur propre niveau, lui prêtant leurs passions et leurs faiblesses, rapetissant la nature et l'univers, et, sous le prisme de leur ignorance, décomposant en couleurs diverses le pur rayon de la vérité.
Les claires notions de la religion naturelle ont été obscurcies à plaisir. La fiction et la fantaisie ont engendré l'erreur, et celle-ci, figée dans le dogme, s'est dressée comme un obstacle sur le chemin des peuples. La lumière a été voilée par ceux qui s'en croyaient les dépositaires, et les ténèbres dont ils voulaient envelopper les autres se sont faites en eux et autour d'eux. Les dogmes ont perverti le sens religieux, et l'intérêt de caste a faussé le sens moral. De là un amas de superstitions, d'abus, de pratiques idolâtres, dont le spectacle a jeté tant d'hommes dans la négation.
La réaction s'annonce cependant. Les religions immobilisées dans leurs dogmes comme des momies sous leurs bandelettes, alors que tout marche et évolue autour d'elles, s'affaiblissent chaque jour. Elles ont perdu presque toute influence sur les moeurs et la vie sociale, et sont destinées à mourir ; mais, comme toutes choses, les religions ne meurent que pour renaître. L'idée que les hommes se font de la vérité se modifie et s'élargit avec les temps. C'est pourquoi les religions, qui sont des manifestations temporaires, des vues partielles de l'éternelle vérité, doivent se transformer dès qu'elles ont fait leur oeuvre et ne répondent plus aux progrès et aux besoins de l'humanité. A mesure que celle-ci avance dans sa voie, il lui faut de nouvelles conceptions, un idéal plus élevé, et elle les trouve dans les découvertes de la science et les intuitions grandissantes de la pensée.
Nous sommes arrivés à une heure de l'histoire où les religions vieillies s'affaissent sur leurs bases, où un renouveau philosophique et social se prépare. Le progrès matériel et intellectuel appelle le progrès moral. Un monde d'inspirations s'agite dans les profondeurs des âmes, fait effort pour prendre forme et naître à la vie. Le sentiment et la raison, ces deux grandes forces, impérissables comme l'esprit humain, dont elles sont les attributs, forces jusqu'ici hostiles et qui troublaient la société de leurs conflits, tendent enfin à se rapprocher. La religion doit perdre son caractère dogmatique et sacerdotal pour devenir scientifique ; la science se dégagera des bas-fonds matérialistes pour s'éclairer d'un rayon divin. Une doctrine va surgir, idéaliste dans ses tendances, positive et expérimentale dans sa méthode, appuyée sur des faits indéniables. Des systèmes opposés en apparence, des philosophies contradictoires et ennemies, le spiritualisme et le naturalisme, par exemple, trouveront en elle un terrain de réconciliation. Synthèse puissante, elle embrassera et reliera toutes les conceptions variées du monde et de la vie, rayons brisés, faces diverses de la vérité.
Ce sera la résurrection, sous une forme plus complète, rendue accessible à tous, de la doctrine secrète qu'a connue le passé, l'avènement de la religion naturelle, qui renaîtra simple et pure. La religion passera dans les actes, dans le désir ardent du bien ; l'holocauste sera le sacrifice de nos passions, le perfectionnement de l'esprit humain. Telle sera la religion supérieure, définitive, universelle, au sein de laquelle se fondront, comme des fleuves dans l'océan, toutes les religions passagères, contradictoires, causes trop fréquentes de division et de déchirement pour l'humanité.
Nous avons dit que la doctrine secrète se retrouvait au fond de toutes les grandes religions et dans les livres sacrés de tous les peuples. D'où vient-elle ? Quelle est sa source ? Quels hommes, les premiers, l'ont conçue, puis transcrite ? Les plus anciennes Écritures sont celles qui resplendissent dans les cieux4. Ces mondes stellaires qui, à travers les nuits silencieuses, laissent tomber leurs tranquilles clartés, constituent les Écritures éternelles et divines dont parle Dupuis dans son ouvrage sur l'origine des cultes. Les hommes les ont sans doute longtemps consultées avant d'écrire, mais les premiers livres dans lesquels se trouve consignée la grande doctrine sont les Védas. C'est dans les Védas, dont l'âge n'a pu être établi, que s'est formée la religion primitive de l'Inde, religion toute patriarcale, simple comme l'existence de l'homme dépourvu de passions, vivant d'une vie sereine et forte, au contact de la nature splendide de l'Orient.
Les hymnes védiques égalent en grandeur, en élévation morale, tout ce que le sentiment poétique a engendré de plus beau dans la suite des temps. Ils célèbrent Agni, le feu, symbole de l'Éternel Masculin ou Esprit créateur ; Sômâ, la liqueur du sacrifice, symbole de l'Éternel Féminin, Ame du monde, substance éthérée. Dans leur union parfaite, ces deux principes essentiels de l'Univers constituent l'Être suprême, Zyaus ou Dieu.
L'Être suprême s'immole lui-même et se divise pour produire la vie universelle. Ainsi le monde et les êtres, issus de Dieu, retournent à Dieu par une évolution constante. De là, la théorie de la chute et de la réascension des âmes, que l'on retrouve en Occident.
Le sacrifice du feu résume le culte védique. Au lever du jour, le chef de la famille, à la fois père et prêtre, allumait la flamme sacrée sur l'autel de terre, et, avec elle, montait, joyeuse, vers le ciel bleu, la prière, l'invocation de tous à la force unique et vivante que recouvre le voile transparent de la nature.
Pendant que s'accomplit le sacrifice, disent les Védas, les Asouras, ou Esprits supérieurs, et les Pitris, âmes des ancêtres, entourent les assistants et s'associent à leurs prières. Ainsi la croyance aux Esprits remonte aux premiers âges du monde.
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