Jeanne d'Arc Médium - Léon Denis - E-Book

Jeanne d'Arc Médium E-Book

Léon Denis

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Beschreibung

Jeanne d'Arc était-elle médium ? C'est la question au coeur de cet ouvrage de Léon Denis, philosophe français porte-parole du spiritisme après la disparition d'Allan Kardec. L'auteur a mis un soin certain à nous retracer la vie de La Pucelle, ses vertus et ses actions, de son enfance à Domrémy jusqu'à son dernier jour sur le bûcher de Rouen. Le but de cet ouvrage est de s'attacher à décrypter, d'un point de vue spirite, les phénomènes de visions, d'auditions et les prémonitions qui entourent la légende de Jeanne d'Arc. Sa médiumnité supposée alimente aussi le mythe construit au fil du temps autour de ce personnage historique et fait encore de nos jours l'objet de querelles d'experts. À travers une étude de la vie et de la médiumnité de Jeanne d'Arc, Léon Denis aborde l'histoire de cette importante figure du passé dont il révèle certains secrets. "Jeanne d'Arc Médium" est un ouvrage important pour tous ceux qui veulent comprendre l'histoire de la Pucelle et les nombreuses passions que celle-ci suscite.

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Table des matières

INTRODUCTION

PREMIÈRE PARTIE

I – DOMREMY

II – LA SITUATION EN 1429

III – ENFANCE DE JEANNE D’ARC

IV – LA MÉDIUMNITE DE JEANNE D’ARC ; CE QU’ÉTAIENT SES VOIX ; PHÉNOMENES ANALOGUES ANCIENS ET RÉCENTS

V – VAUCOULEURS

VI – CHINON, POITIERS, TOURS

VII – ORLÉANS

VIII – REIMS

IX – COMPIÈGNE

X – ROUEN ; LA PRISON

XI – ROUEN ; LE PROCÈS

XII – ROUEN ; LE SUPPLICE

DEUXIÈME PARTIE

XIII – JEANNE D’ARC ET L’IDÉE DE PATRIE

XIV – JEANNE D’ARC ET L’IDÉE D’HUMANITÉ

XV – JEANNE D’ARC ET L’IDÉE DE RELIGION

INTRODUCTION

Jamais la mémoire de Jeanne d’Arc n’a été l’objet de controverses aussi ardentes, aussi passionnées que celles qui s’élevèrent il y a quelques années autour de cette grande figure du passé. Tandis que d’une part, tout en l’exaltant, on cherche à l’accaparer et à renfermer sa personnalité dans le paradis catholique, d’un autre côté, par une tactique tantôt brutale avec MM. Thalamas et Henri Bérenger, tantôt habile et savante, et servie par un talent hors de pair avec M. Anatole France, on s’efforçait d’amoindrir son prestige et de réduire sa mission aux proportions d’un simple fait épisodique.

Où trouverons-nous la vérité sur le rôle de Jeanne dans l’histoire ? À notre avis, elle n’est pas plus dans les rêveries mystiques des hommes de foi que dans les arguments terre à terre des critiques positivistes. Ni les uns ni les autres ne semblent posséder le fil conducteur, qui permet de s’orienter, au milieu des faits qui composent la trame de cette existence extraordinaire. Pour pénétrer le mystère de Jeanne d’Arc, il nous paraît nécessaire d’étudier, de pratiquer longuement les sciences psychiques ; il faut avoir sondé les profondeurs de ce monde invisible, de cet océan de vie qui nous enveloppe, dont nous sortons tous à la naissance et où nous replongeons à la mort.

Comment pourraient-ils comprendre Jeanne, ces écrivains dont la pensée ne s’est jamais élevée au-dessus du cercle des contingences terrestres, de l’horizon étroit d’un monde inférieur et matériel, qui n’ont jamais abordé les perspectives de l’Au-delà ?

Depuis cinquante années, tout un ensemble de faits, de manifestations, de découvertes, apportent un jour nouveau sur ces vastes aspects de la vie, pressentis de tout temps, mais sur lesquels nous n’avions jusqu’ici que des données vagues et incertaines. Grâce à une observation attentive, à une expérimentation méthodique des phénomènes psychiques, une science large et puissante se constitue peu à peu.

L’univers nous apparaît comme un réservoir de forces inconnues, d’énergies incalculables. Un infini vertigineux s’ouvre à la pensée, infini de réalités, de formes, de puissances vitales qui échappaient à nos sens, et dont certaines manifestations ont pu être mesurées avec une grande précision, à l’aide d’appareils enregistreurs.

La notion du surnaturel s’écroule, mais l’immense nature voit reculer sans cesse les bornes de son domaine, et la possibilité d’une vie organique invisible, plus riche, plus intense que celle des humains, se révèle, régie par des lois imposantes. Cette vie, dans bien des cas, se mêle à la nôtre et l’influence en bien ou en mal.

La plupart des phénomènes du passé, affirmés au nom de la foi, niés au nom de la raison, peuvent désormais recevoir une explication logique, scientifique. Les faits extraordinaires qui parsèment l’existence de la Vierge d’Orléans, sont de cet ordre. Leur étude, rendue plus facile par la connaissance de phénomènes identiques, observés, classés, enregistrée de nos jours, peut seule nous expliquer la nature et l’intervention des forces qui agissaient en elle, autour d’elle, et orientèrent sa vie vers un noble but.

*

Les historiens du dix-neuvième siècle : Michelet, Wallon, Quicherat, Henri Martin, Siméon Luce, Joseph Fabre, Vallet de Viriville, Lanéry d’Arc, ont été d’accord pour exalter Jeanne, pour voir en elle une héroïne de génie, une sorte de messie national.

C’est seulement au vingtième siècle que la note critique se fait entendre. Elle est parfois violente. M. Thalamas, professeur agrégé de l’Université, est-il allé jusqu’à traiter cette héroïne de « ribaude », comme l’en accusent certaines feuilles catholiques ? Lui-même s’en défend. Dans son ouvrage : Jeanne d’Arc ; l’histoire et la légende (Paclot et Cie, éditeurs), il ne sort pas des limites d’une critique honnête et courtoise. Son point de vue est celui des matérialistes : « Ce n’est pas à nous, dit-il (p. 41), qui considérons le génie comme une névrose, de reprocher à Jeanne d’avoir objectivé en des saints les voix de sa propre conscience. »

Toutefois, dans ses conférences à travers la France, il fut généralement plus tranchant. À Tours, le 29 avril 1905, parlant sous les auspices de la Ligue de l’Enseignement, il nous rappelait l’opinion du professeur Robin, de Cempuis, un de ses maîtres, sur Jeanne d’Arc. Elle n’avait jamais existé, croyait-il, et son histoire n’était qu’un mythe. M. Thalamas, un peu contraint peut-être, reconnaît bien la réalité de sa vie, mais il s’attaque aux sources où ses panégyristes ont puisé. Il s’ingénie à rapetisser son rôle, sans s’abaisser à l’injurier. Elle n’aurait rien fait par elle-même ou bien peu de chose. Par exemple, ce sont les Orléanais qui ont eu le mérite de leur délivrance.

Henri Bérenger et d’autres écrivains ont abondé dans le même sens, et l’enseignement officiel lui-même a semblé s’imprégner de leurs vues, en une certaine mesure. Dans les manuels des écoles primaires, on a éliminé de l’histoire de Jeanne tout ce qui avait une couleur spiritualiste. Il n’y est plus question de ses voix ; c’est toujours « la voix de sa conscience » qui la guide. La différence est sensible.

Anatole France, dans ses deux volumes, œuvre d’art et d’intelligence, ne va pas aussi loin. Il ne peut s’empêcher de reconnaître la réalité de ses visions et de ses voix. Elève de l’Ecole des Chartes, il est trop documenté pour oser nier l’évidence. Son ouvrage est une reconstitution fidèle de l’époque. La physionomie des villes, des paysages et des hommes du temps y est peinte de main de maître, avec une habileté, une finesse de touche qui rappellent Renan. Pourtant cette lecture nous laisse froids et déçus. Ses jugements sont parfois faussés par l’esprit de parti, et, chose plus grave, on sent percer à travers ses pages une ironie subtile et pénétrante, qui n’est plus de l’histoire.

En réalité, le juge impartial doit constater que Jeanne, exaltée par les catholiques, est rabaissée par les libres penseurs bien moins par haine, que par esprit de contradiction et d’opposition envers les premiers. L’héroïne, tiraillée dans les deux sens, devient ainsi une sorte de jouet entre les mains des partis. Il y a excès dans les appréciations des uns et des autres, et la vérité, comme presque toujours, est entre les deux extrêmes.

Le point capital de la question, c’est l’existence de forces occultes que les matérialistes ignorent, de puissances invisibles, non pas surnaturelles et miraculeuses, comme ils le prétendent, mais appartenant à des domaines de la nature qu’ils n’ont pas explorés. De là, leur impuissance à comprendre l’œuvre de Jeanne, et les moyens à l’aide desquels il lui fut possible de la réaliser.

Ils n’ont pas su mesurer l’immensité des obstacles qui se dressaient devant l’héroïne. Pauvre enfant de dix-huit ans, fille d’humbles paysans, sans instruction, ne sachant ni A ni B, dit la Chronique, elle a contre elle sa propre famille, l’opinion publique, tout le monde !

Qu’eût-elle fait sans cette inspiration, sans cette vision de l’Au-delà qui la soutenaient ?

Représentez-vous cette fille des champs en présence des grands seigneurs, des grandes dames et des prélats.

À la cour, dans les camps, partout, simple roturière, venue du fond des campagnes, ignorante des choses de la guerre, avec son accent défectueux, elle doit affronter les préjugés de rang et de naissance, l’orgueil de caste, puis, plus tard, les railleries, les brutalités des hommes de guerre, habitués à mépriser la femme et ne pouvant admettre qu’une femme les commande et les dirige. Ajoutez à cela la méfiance des hommes d’église, qui, à cette époque, voient dans tout ce qui est anormal l’intervention du démon ; ils ne lui pardonneront pas d’agir en dehors d’eux, de leur autorité, et ce sera là surtout la cause de sa perte.

Imaginez la curiosité malsaine de tous, et particulièrement des soudards, au milieu desquels, vierge sans tâche, il lui faut vivre constamment, endurer les fatigues, les pénibles chevauchées, le poids écrasant d’une armure de fer, coucher sur la dure, sous la tente, les longues nuits du camp, avec les soucis, les préoccupations accablantes de sa tâche ardue.

Pendant sa courte carrière, elle surmontera tous ces obstacles, et, d’un peuple divisé, déchiré par mille factions, démoralisé, exténué par la famine, la peste et toutes les misères d’une guerre qui dure depuis près de cent ans, elle fera une nation victorieuse.

Voilà ce que des écrivains de talent, mais aveugles, affligés d’une cécité psychique et morale qui est la pire des infirmités intellectuelles, ont cherché à expliquer par des moyens purement matériels et terrestres. Pauvres explications, pauvres arguties boiteuses qui ne résistent pas à l’examen des faits ! Pauvres âmes myopes, âmes de nuit que les lumières de l’Au-delà éblouissent et troublent ! C’est à elles que s’applique la parole d’un penseur : Ce qu’elles savent n’est qu’un néant, et, avec ce qu’elles ignorent, on créerait l’univers !

Il est une chose déplorable : certains critiques de notre temps éprouvent le besoin de rabaisser, d’amoindrir, d’éteindre avec frénésie tout ce qui est grand, tout ce qui s’élève au-dessus de leur incapacité morale. Partout où un foyer brille, où une flamme s’allume, vous les voyez accourir et verser un déluge d’eau glacée sur ce rayon, sur ce flambeau.

Ah ! Comme Jeanne, dans son ignorance des choses humaines, mais dans sa profonde vision psychique, leur donne une magnifique leçon par ces paroles, qu’elle adressait aux examinateurs de Poitiers, et qui s’appliquent si bien aux sceptiques modernes, aux petits beaux esprits de notre temps :

« Je lis dans un livre où il y a plus de choses que dans les vôtres ! »

Apprenez à y lire aussi, Messieurs les contradicteurs, et à connaître ces problèmes ; ensuite, vous pourrez parler avec un peu plus d’autorité de Jeanne et de son œuvre.

À travers les grandes scènes de l’histoire, il faut voir passer les âmes des nations, des héros.

Si vous savez les aimer, elles viendront à vous, ces âmes, et elles vous inspireront. C’est le secret du génie de l’histoire. C’est ce qui a fait les écrivains puissants, comme Michelet, Henri Martin et d’autres. Ils ont compris le génie des races et des temps, et le souffle de l’Au-delà court dans leurs pages. Les autres, Anatole France, Lavisse et ses collaborateurs, restent secs et froids, malgré leur talent, parce qu’ils ne savent ni ne comprennent la communion éternelle, qui féconde l’âme par l’âme. Cette communion reste le secret des grands artistes, des penseurs et des poètes. En dehors d’elle, il n’est pas d’œuvre impérissable.

*

Une source abondante d’inspiration découle du monde invisible sur l’humanité. Des liens étroits subsistent entre les hommes et les disparus. Toutes les âmes sont unies par des fils mystérieux, et, dès ici-bas, les plus sensibles vibrent sous le rythme de la vie universelle. Tel fut le cas de notre héroïne.

La critique peut s’attaquer à sa mémoire : ses efforts seront vains. L’existence de la Vierge lorraine, comme celle de tous les grands prédestinés, est burinée sur le granit éternel de l’histoire ; rien n’en saurait affaiblir les traits. Elle est de celles qui montrent avec le plus d’évidence, à travers le flot tumultueux des événements, la main souveraine qui mène le monde.

Pour saisir le sens de cette vie, pour comprendre la puissance qui la dirige, il faut s’élever jusqu’à la loi supérieure, immanente, qui préside à la destinée des nations. Plus haut que les contingences terrestres, au-dessus de la confusion des faits produits par la liberté humaine, il faut voir l’action d’une volonté infaillible qui surmonte la résistance des volontés particulières, des actes individuels, et sait faire aboutir l’œuvre qu’elle poursuit. Au lieu de se perdre dans le chaos des faits, il faut en embrasser l’ensemble, en saisir le lien caché. Alors apparaît la trame, l’enchaînement qui les unit ; leur harmonie se révèle, tandis que leurs contradictions s’effacent et se fondent en un vaste plan. L’on comprend qu’il existe une énergie latente, invisible, qui rayonne sur les êtres et, tout en laissant à chacun une certaine somme d’initiative, les enveloppe et les entraîne tous vers un même but.

C’est dans le juste équilibre de la liberté individuelle et de l’autorité de la loi suprême, que s’expliquent et se concilient les incohérences apparentes de la vie et de l’histoire, tandis que leur sens profond et leur finalité se révèlent à celui qui sait pénétrer la nature intime des choses. En dehors de cette action souveraine, il n’y aurait que désordre et chaos dans la variété infinie des efforts, des élans individuels, en un mot dans toute l’œuvre humaine.

De Domremy à Reims, cette action est évidente dans l’épopée de la Pucelle. C’est qu’alors la volonté des hommes s’associe dans une large mesure aux fins poursuivies d’en haut. À partir du sacre, l’ingratitude, la méchanceté, les intrigues des courtisans et des clercs, le mauvais vouloir du roi reprennent le dessus. Suivant l’expression de Jeanne, « les hommes se refusent à Dieu ». L’égoïsme, le dérèglement, la rapacité feront obstacle à l’action divine, servie par Jeanne et ses invisibles soutiens. L’œuvre de délivrance deviendra plus incertaine, parsemée de vicissitudes, de reculs et de revers. Elle ne s’en poursuivra pas moins, mais il faudra, pour son accomplissement, un plus grand nombre d’années et de plus pénibles labeurs.

*

C’est, nous l’avons dit, uniquement au point de vue d’une science nouvelle que nous entreprenons ce travail. Nous tenons à le répéter, afin qu’on ne se méprenne pas sur nos intentions. En cherchant à faire un peu de lumière sur la vie de Jeanne d’Arc, nous n’obéissons à aucun mobile intéressé, à aucun préjugé politique ou religieux ; nous nous plaçons aussi loin des anarchistes que des réactionnaires, à égale distance des fanatiques aveugles et des incroyants.

C’est au nom de la vérité, de la beauté morale, c’est aussi par amour pour la patrie française, que nous chercherons à dégager la noble figure de la vierge inspirée, des ombres qu’on a cherché à accumuler autour d’elle.

Sous prétexte d’analyse et de libre critique, il y a, disions-nous, à notre époque, une tendance profondément regrettable à dénigrer tout ce qui a fait l’admiration des siècles, à altérer, à ternir tout ce qui est exempt de tares et de souillures.

Nous considérons comme un devoir, celui qui incombe à tout homme capable, par la plume ou la parole, d’exercer quelque influence autour de lui, de maintenir, de défendre, de rehausser ce qui fait la grandeur de notre pays, tous les nobles exemples qu’il a donnés au monde, toutes les scènes de beauté qui enrichissent son passé et rayonnent sur son histoire.

C’est une mauvaise action, presque un crime, que de chercher à affaiblir le patrimoine moral, la tradition historique d’un peuple. En effet, n’est-ce pas là ce qui fait sa force aux heures difficiles ? N’est-ce pas là qu’il puise ses sentiments les plus virils au moment du danger ? La tradition d’un peuple, son histoire, c’est la poésie de sa vie, sa consolation dans l’épreuve, son espérance dans l’avenir. C’est par les liens qu’elle crée entre tous, que nous nous sentons vraiment les enfants d’une même mère, les membres d’une patrie commune.

Aussi, faut-il rappeler souvent les grandes scènes de notre histoire nationale et les mettre en relief. Elle est pleine de leçons éclatantes, riche d’enseignements puissants, et, en cela, peut-être est-elle supérieure à celle des autres nations. Dès que nous explorons le passé de notre race, partout, dans tous les temps, nous voyons se dresser de grandes ombres, et ces ombres nous parlent, nous exhortent. Du fond des siècles, des voix s’élèvent qui nous rappellent de grands souvenirs, des souvenirs tels, que, s’ils étaient toujours présents à notre esprit, ils suffiraient à inspirer, à éclairer notre vie. Mais le vent du scepticisme passe, l’oubli, l’indifférence se font ; les préoccupations de la vie matérielle nous absorbent, et nous finissons par perdre de vue ce qu’il y a de plus grand, de plus éloquent dans les témoignages du passé.

Parmi ces souvenirs, il n’en est pas de plus touchant, de plus glorieux, que celui de cette jeune fille extraordinaire, qui a illuminé la nuit du moyen âge de son apparition radieuse, et dont Henri Martin a pu dire : « Rien de pareil ne s’est produit dans l’histoire du monde. »

Au nom du passé comme de l’avenir de notre race, au nom de l’œuvre qui lui reste et accomplir, efforçons-nous donc de conserver, dans son intégralité tout son héritage moral, et n’hésitons pas à rectifier les faux jugements que certains écrivains ont formulés dans leurs œuvres. Travaillons à rejeter de l’âme du peuple le poison intellectuel qu’on cherche à y répandre, afin de garder à la France cette beauté et cette force qui la feront grande encore aux heures de péril, afin de rendre au génie national tout son prestige et son éclat, affaiblis par tant de théories malfaisantes et de sophismes.

La guerre de 1914 a fait taire les vaines polémiques, les critiques stériles. Au milieu de la tourmente la France ne se souvint de Jeanne que pour implorer sa protection, son secours !

*

Il faut reconnaître que dans le monde catholique, mieux que partout ailleurs, on a su rendre à Jeanne de solennels hommages. Dans les milieux croyants, on la loue, on la prie après l’avoir béatifiée. De leur côté, les républicains libres penseurs ont contribué à fonder en son honneur une fête annuelle, une fête nationale, qui est en même temps celle du patriotisme. Mais, dans un camp comme dans l’autre, on n’a guère réussi à comprendre le véritable caractère de l’héroïne, à saisir le sens de sa vie.

L’histoire de Jeanne est comme une mine inépuisable d’enseignements, dont on n’a pas mesuré toute l’étendue, dont on n’a pas tiré tout le parti désirable pour l’élévation des intelligences, pour la pénétration des lois supérieures de l’âme et de l’univers.

Il est, dans cette vie, des profondeurs qui peuvent donner le vertige aux esprits mal préparés ; on y rencontre des faits susceptibles de jeter l’incertitude, la confusion, dans la pensée de ceux qui n’ont pas les données nécessaires pour résoudre ce problème grandiose. De là, tant de discussions stériles, tant de polémiques vaines. Mais, pour celui qui a soulevé le voile du monde invisible, la vie de Jeanne s’éclaire, s’illumine. Tout en elle s’explique, se comprend.

En effet, parmi ceux qui louent l’héroïne, combien de points de vue divers, combien d’appréciations contradictoires ! Les uns cherchent, avant tout, dans sa mémoire une illustration pour leur parti ; d’autres, par une glorification tardive, songent à dégager certaine institution séculaire des responsabilités qui ont pesé sur elle.

Il en est qui ne veulent voir dans les succès de Jeanne que l’exaltation du sentiment populaire et patriotique.

On peut se demander si, à ces éloges qui montent de tous les points de la France vers la grande inspirée, il ne se mêle pas bien des intentions égoïstes, et des vues intéressées. On pense à Jeanne, sans doute, on aime Jeanne, mais, en même temps, ne pense-t-on pas trop à soi-même ou à son parti ? Ne cherche-t-on pas, dans cette vie auguste, ce qui peut flatter nos sentiments personnels, nos opinions politiques, nos ambitions inavouées ? Bien peu d’hommes, je le crains, savent se hausser au-dessus du parti pris, au-dessus des intérêts de caste ou de classe. Bien peu cherchent à pénétrer le secret de cette existence, et parmi ceux qui l’ont pénétré, aucun, jusqu’ici, sauf en des cas restreints, n’a osé élever la voix et dire ce qu’il savait, ce qu’il voyait et comprenait.

Quant à moi, si mes titres sont modestes pour parler de Jeanne d’Arc, du moins il en est un que je revendique hautement. C’est d’être affranchi de toute préoccupation de parti, de tout souci de plaire ou de déplaire. C’est dans toute la liberté de ma pensée, dans l’indépendance de ma conscience, libre de toute attache, ne cherchant, ne voulant en tout que la vérité, c’est dans cet état d’esprit que j’aborde ce grand sujet, et vais rechercher le mot du mystère qui plane sur cette destinée incomparable.

PREMIÈRE PARTIE VIE ET MÉDIUMNITE DE JEANNE D’ARC

I – DOMREMY

La vallée est charmante ; un flot éblouissant s’y joue aux feux du jour : c’est la Meuse.

SAINT-YVES D’ALVEYDRE

Fils de la Lorraine, né comme Jeanne dans la vallée de la Meuse, mon enfance a été bercée par les souvenirs qu’elle a laissés dans le pays.

Pendant ma jeunesse, j’ai visité souvent les lieux où elle a vécu. J’aimais à errer sous les grandes voûtes de nos forêts lorraines, qui sont autant de débris de l’antique forêt des Gaules. Comme elle, j’ai bien des fois prêté l’oreille aux harmonies des champs et des bois. Et je puis dire que je connais aussi les voix mystérieuses de l’espace, les voix qui, dans la solitude, inspirent le penseur et lui révèlent les vérités éternelles.

Devenu homme, j’ai voulu suivre, à travers la France, la trace de ses pas. J’ai refait, presque étape par étape, ce douloureux voyage. J’ai vu ce château de Chinon, où elle fut reçue par Charles VII et qui n’est plus qu’une ruine. J’ai vu, au fond de la Touraine, la petite église de Fierbois, d’où elle fit retirer l’épée de Charles Martel, et les grottes de Courtineau où elle se réfugia pendant l’orage ; puis, Orléans et Reims, Compiègne où elle fut prise. Pas un lieu où elle ait passé où je ne sois allé méditer, prier, pleurer en silence.

Plus tard, c’est dans cette cité de Rouen, au-dessus de laquelle plane sa grande ombre, que j’ai terminé ce pèlerinage. Comme les chrétiens qui parcourent pas à pas le chemin qui mène au Calvaire, j’ai suivi la voie douloureuse qui conduisait la grande martyre au supplice.

Plus récemment, je suis retourné à Domremy. J’ai revu l’humble maisonnette où elle a reçu le jour ; la chambre à l’étroit soupirail dont son corps virginal, promis au bûcher, a frôlé les murs, l’armoire rustique où elle déposait ses hardes, et la place où, ravie en extase, elle écoutait ses voix ; puis l’église où, si souvent, elle a prié.

De là, par le chemin qui gravit la colline, j’ai gagné le lieu sacré où elle aimait à rêver ; j’ai revu la vigne qui fut à son père, l’arbre des fées et la fontaine au doux murmure. Le coucou chantait dans le bois chenu ; des senteurs d’aubépine flottaient dans l’air ; la brise agitait le feuillage et éveillait comme une plainte au fond du hallier. À mes pieds se déployaient les prairies riantes, émaillées de fleurs, qu’arrosent les méandres de la Meuse.

Au loin, des coteaux boisés, des ravins profonds se succèdent jusqu’à l’horizon fuyant ; une douceur pénétrante, une paix sereine planent sur tout le pays. C’est bien là le lieu béni, propice aux méditations ; le lieu où les vagues harmonies du ciel se mêlent aux murmures lointains et apaisés de la terre. Ô âme rêveuse de Jeanne ! Je cherche ici les impressions qui t’enveloppaient, et je les retrouve saisissantes, profondes. Elles étreignent mon esprit ; elles l’emplissent d’une ivresse poignante. Et ta vie entière, épopée éblouissante, se déroule devant ma pensée comme un panorama grandiose, couronné par une apothéose de flammes. Un instant j’ai vécu de cette vie, et ce que mon cœur a ressenti, aucune plume humaine ne saurait le décrire !…

Derrière moi, comme un monument étranger, note discordante dans cette symphonie des impressions et des souvenirs, se dressent la basilique et le monument théâtral où l’on voit Jeanne à genoux, aux pieds d’un saint Michel et de deux images de saintes éclatants de dorures. La statue de Jeanne, seule, riche d’expression, touche, intéresse, retient le regard.

À quelque distance de Domremy, sur un raide coteau, au milieu des bois, se cache la modeste chapelle de Bermont. Jeanne y venait chaque semaine ; elle suivait le sentier qui, de Greux, se déroule sur le plateau, fuit sous les ombrages et passe près de la fontaine de Saint-Thiébault. Elle gravissait la colline pour s’agenouiller devant l’antique madone, dont la statue, du huitième siècle, y est encore vénérée de nos jours. J’ai suivi, pensif, recueilli, ce sentier pittoresque ; j’ai parcouru ces bois touffus où chantent les oiseaux. Tout le pays est plein de souvenirs celtiques ; nos pères avaient dressé là un autel de pierre. Ces fontaines sacrées, ces ombrages austères furent témoins des cérémonies du culte druidique. L’âme de la Gaule vit et palpite en ces lieux. Sans doute elle parlait au cœur de Jeanne, comme elle parle encore aujourd’hui au cœur des patriotes et des croyants éclairés.

J’ai porté mes pas plus loin ; j’ai voulu voir dans les environs tout ce qui a participé à la vie de Jeanne, tout ce qui rappelle sa mémoire : Vouthon, où naquit sa mère, et le petit village de Burey-la-Côte, qui possède toujours la demeure de son oncle Durand Laxart, celui qui facilita l’accomplissement de sa mission en la conduisant à Vaucouleurs, près du sire de Baudricourt. L’humble maison est encore debout, avec les écussons aux fleurs de lis qui en décorent le seuil, mais elle est changée en étable. Une simple chaînette en fixe la porte ; je la détache et, à ma vue, un chevreau, blotti dans l’ombre, fait entendre sa voix grêle et plaintive.

J’ai erré en tous sens dans ce pays, m’enivrant à la vue des sites qui servirent de cadre à l’enfance de Jeanne. J’ai parcouru les vallées étroites, latérales à celle de la Meuse, qui se creusent entre les bois sombres. J’ai médité dans la solitude, le soir, à l’heure où les étoiles s’allument au fond des cieux. J’y prêtais l’oreille à tous les bruits, à toutes les voix mystérieuses de la nature. Je me sentais, en ces lieux, loin de l’homme ; un monde invisible planait autour de moi.

Alors la prière jaillit des profondeurs de mon être ; puis j’évoquai l’esprit de Jeanne, et aussitôt je sentis le soutien et la douceur de sa présence. L’air frémissait ; tout semblait s’éclairer autour de moi ; des ailes invisibles battaient dans la nuit ; une mélodie inconnue descendait des espaces, berçait mes sens, faisait couler mes pleurs.

Et l’ange de la France m’a dicté des paroles que, suivant son ordre, je retrace ici pieusement :

Message de Jeanne :

« Ton âme s’élève et sent en ce moment la protection que Dieu jette sur toi.

« Avec moi, que ton courage augmente et, patriote sincère, aime et désire être utile à cette France si chère, que, d’en haut, en Protectrice, en Mère, je considère toujours avec bonheur.

« Ne sens-tu pas, en toi, naître des pensées de douce indulgence ? Près de Dieu, j’ai appris à pardonner, mais ces pensées, toutefois, ne doivent point en moi faire naître la faiblesse, et, don divin, je trouve en mon cœur assez de force, pour chercher à éclairer parfois ceux qui, par orgueil, veulent accaparer mon souvenir.

« Et quand, par indulgence, j’appelle sur eux les lumières du Créateur, du Père, je sens que Dieu me dit : « Protège, inspire, mais ne fusionne jamais avec tes bourreaux. Les prêtres, en rappelant ton dévouement à la patrie, ne doivent demander que le pardon pour ceux dont ils ont pris la succession. »

« Chrétienne pieuse et sincère sur la terre, je sens dans l’espace les mêmes élans, le même désir de prière, mais je veux que mon souvenir soit libre et détaché de tout calcul ; je ne donne mon cœur, en souvenir, qu’à ceux qui ne voient en moi que l’humble et pieuse fille de Dieu, aimant tous ceux qui vivent sur cette terre de France, auxquels je cherche à inspirer des sentiments d’amour, de droiture et d’énergie. »

II – LA SITUATION EN 1429

Or, la France gisait au tombeau ! De sa gloire, Que restait-il ? À l’Ouest, une urne en pleurs : la Loire ; Une ombre, à l’Est : le Dauphiné.SAINT-YVES D’ALVEYDRE.

Quelle était la situation de la France au quinzième siècle, au moment où Jeanne d’Arc va paraître sur la grande scène de l’histoire ?

La guerre contre l’Angleterre dure depuis près de cent ans. Dans quatre défaites successives, la noblesse française a été écrasée, presque anéantie. De Crécy à Poitiers, et des champs d’Azincourt à ceux de Verneuil, notre chevalerie a jonché le sol de ses morts. Ce qu’il en reste est divisé en partis rivaux, dont les querelles intestines affaiblissent et désolent la France. Le duc d’Orléans est assassiné par les estafiers du duc de Bourgogne, et celui-ci, un peu plus tard, est mis à mort par les Armagnacs. Tout cela s’accomplit sous l’œil de l’ennemi, qui s’avance pas à pas et envahit les provinces du Nord, alors que, depuis longtemps déjà, il occupe la Guyenne.

Après une résistance acharnée, au cours d’un siège qui surpasse en horreur tout ce que l’imagination peut enfanter de lugubre, Rouen a dû se rendre. Paris, dont la population est décimée par les maladies et la famine, est aux mains de l’Anglais. La Loire le voit sur ses rives. Orléans, dont l’occupation livrerait à l’étranger le cœur de la France, résiste encore, mais pour combien de temps ?

De vastes étendues de notre pays sont changées en désert. Plus de cultures ; les villages sont abandonnés. On ne voit que ronces et chardons poussant à l’envi, des ruines noircies par l’incendie ; partout, les traces des ravages de la guerre, la désolation et la mort. Les habitants des campagnes, désespérés, se cachent dans des souterrains ; d’autres se réfugient dans les îles de la Loire ou cherchent un abri dans les villes, où ils meurent de faim. Souvent, pour échapper à la soldatesque, ces malheureux se sauvent dans les bois, s’organisent en bandes, et deviennent bientôt aussi cruels que les routiers devant lesquels ils ont fui. Des loups rôdent aux abords des cités, y pénètrent la nuit et dévorent les cadavres laissés sans sépulture. C’est là, comme ses voix le disent à Jeanne, « la grande pitié qui est au royaume de France ».

Le pauvre Charles VI, dans sa démence, a signé le traité de Troyes, qui déshérite son fils et constitue Henri d’Angleterre héritier de sa couronne. Et lorsque, dans la basilique de Saint-Denis, sur le cercueil du roi fou, un héraut d’armes proclama Henri de Lancastre roi de France et d’Angleterre, les restes de nos rois, couchés sous les lourdes dalles de leurs tombes, durent tressaillir de honte et de douleur. Le dauphin Charles, dépossédé et appelé par dérision « roi de Bourges », se laisse aller au découragement, à l’inertie ; il manque de ressources et de vaillance ; ses conseillers pactisent en secret avec l’ennemi. Lui-même songe à gagner l’Ecosse ou la Castille, en renonçant au trône, auquel, pense-t-il, il n’a peut-être pas droit, car des doutes l’assiègent sur la légitimité de sa naissance. Et l’on n’entend plus que la plainte lamentable, le cri d’agonie d’un peuple que ses vainqueurs s’apprêtent à coucher dans le sépulcre. La France se sent perdue, elle est frappée au cœur. Encore quelques revers, et elle descendra dans le grand silence de la mort. Quel secours pourrait-on attendre en effet ? Nulle puissance terrestre n’est capable d’accomplir ce prodige : la résurrection d’un peuple qui s’abandonne. Mais il est une autre puissance, invisible, qui veille aux destinées des nations. Au moment où tout semble s’effondrer, elle fera surgir du sein des foules l’aide rédemptrice. Certains présages semblent en annoncer la venue.

Déjà, parmi tant d’autres signes, une visionnaire, Marie d’Avignon, s’était rendue près du roi ; elle avait vu dans ses extases, disait-elle, une armure que le ciel réservait à une jeune fille, destinée à sauver le royaume [1]. De toutes parts, on s’entretenait de l’antique prophétie de Merlin, annonçant une vierge libératrice qui sortirait du Bois Chesnu [2] . Et, comme un rayon d’en haut, au milieu de cette nuit de désolation et de misère, Jeanne parut.

Ecoutez, écoutez ! Du fond des campagnes et des forêts de la Lorraine, le galop de son cheval a retenti ; elle accourt ; elle va ranimer ce peuple désespéré, relever les courages abattus, diriger la résistance, sauver la France de la mort !…

III – ENFANCE DE JEANNE D’ARC

Au bruit de l’Angelus qui sonne, Sa mémoire céleste est vibrante et revit.SAINT-YVES D’ALVEYDRE

Au pied des coteaux qui bordent la Meuse, quelques chaumières se groupent autour d’une modeste église ; en aval, en amont, s’étendent de vertes prairies qu’arrose la petite rivière aux eaux limpides. Sur les pentes se succèdent des cultures et des vignes jusqu’à la forêt profonde, qui se dresse comme une muraille au front des collines, forêt pleine de murmures mystérieux et de chants d’oiseaux, d’où surgissent parfois, à l’improviste, les loups, terreur des troupeaux, ou les hommes de guerre, pillards et dévastateurs, plus dangereux que des fauves.

C’est Domremy, village jusqu’alors ignoré, mais qui, par l’enfant dont il vit la naissance en 1412, va devenir célèbre dans le monde entier.

Rappeler l’histoire de cette enfant, de cette jeune fille, est encore le meilleur moyen de réfuter les arguments de ses contempteurs. C’est ce que nous ferons tout d’abord, en nous attachant de préférence aux faits restés dans l’ombre, et dont quelques-uns nous ont été révélés par voie médianimique.

De nombreux ouvrages, chefs-d’œuvre de science et d’érudition, ont été écrits sur la vierge lorraine. Loin de moi la prétention de les égaler. Ce livre s’en distingue cependant par un trait caractéristique. Il est illuminé çà et là par la pensée de l’héroïne. Grâce aux messages d’authenticité, messages qu’on trouvera surtout dans la deuxième partie de ce volume, celui-ci devient comme un écho de sa propre voix et des voix de l’espace. C’est à ce titre qu’il se recommande à l’attention du lecteur.

*

Jeanne n’était pas de haute naissance ; fille de pauvres laboureurs, elle filait la laine aux côtés de sa mère ou gardait son troupeau dans les prairies de la Meuse, lorsqu’elle n’accompagnait pas son père à la charrue [3] .

Elle ne savait ni lire ni écrire [4] ; elle ignorait tout des choses de la guerre. C’était une douce et bonne enfant, aimée de tous, surtout des pauvres, des malheureux, qu’elle ne manquait jamais de secourir, de consoler. On raconte, à ce sujet, des anecdotes touchantes. Elle cédait volontiers sa couchette à quelque pèlerin fatigué, et passait la nuit sur une botte de paille, pour procurer le repos à des vieillards épuisés par une longue route. Elle soignait les malades, comme ce petit Simon Musnier, son voisin, qui grelottait la fièvre ; s’installant à son chevet, elle le veillait pendant la nuit.

Rêveuse, elle aimait, le soir, à contempler le ciel plein d’étoiles ou bien à suivre, le jour, les gradations de la lumière et des ombres. Le bruit du vent dans les branches ou les roseaux, le murmure des sources, toutes les harmonies de la nature l’enchantaient. Mais, à tout cela, elle préférait encore le son des cloches. C’était, pour elle, comme un salut du ciel à la terre. Et lorsque, dans la paix du soir, loin du village, dans quelque repli de terrain où s’abritait son troupeau, elle percevait leurs notes argentines, leurs vibrations calmes et lentes, annonçant le moment du retour, elle s’abîmait dans une sorte d’extase, dans une longue prière où elle mettait toute son âme, avide des choses divines. Malgré sa pauvreté, elle trouvait moyen de donner au sonneur du village quelque gratification, pour qu’il prolongeât la chanson de ses cloches au-delà des limites habituelles [5] .

Pénétrée de l’intuition que sa venue sur la terre avait un but élevé, elle plongeait par la pensée dans les profondeurs de l’invisible, pour discerner la voie où elle devrait s’engager. « Elle se cherchait elle-même », nous dit Henri Martin [6] .

Tandis que, parmi ses compagnons d’existence, tant d’âmes restent enfermées et comme éteintes en leur prison charnelle, tout son être s’ouvre aux hautes influences. Dans le sommeil, son esprit, dégagé des liens matériels, plane dans l’espace éthéré ; il en perçoit les clartés intenses, il se retrempe dans les courants puissants de vie et d’amour qui y règnent, et, au réveil, il conserve l’intuition des choses entrevues. Ainsi, peu à peu, par ces exercices, ses facultés psychiques s’éveillent et grandissent. Bientôt, elles vont entrer en action.

Cependant, ces impressions, ces rêveries n’altéraient pas son amour du travail. Assidue à sa tâche, elle ne négligeait rien pour satisfaire ses parents et tous ceux avec qui elle avait affaire. « Vive labeur ! » dira-t-elle plus tard, affirmant ainsi que le travail est le meilleur ami de l’homme, son soutien, son conseiller dans la vie, son consolateur dans l’épreuve, et qu’il n’est pas de vrai bonheur sans lui. « Vive labeur ! » c’est la devise que sa famille adoptera et fera inscrire sur son blason, lorsque le roi l’aura anoblie.

Jusque dans les humbles détails de l’existence de Jeanne se manifestent un sentiment très vif du devoir, un jugement sûr, une claire vision des choses qui la rendent supérieure à tous ceux qui l’entourent. On reconnaît déjà là une âme extraordinaire, une de ces âmes passionnées et profondes, qui descendent sur la terre pour accomplir une grande mission. Une influence mystérieuse l’enveloppe. Des voix parlent à ses oreilles et à son cœur ; des êtres invisibles l’inspirent, dirigent tous ses actes, tous ses pas. Et voilà que ces voix commandent. Des ordres impérieux se font entendre. Il faut renoncer à la vie paisible. Pauvre enfant de dix-sept ans, elle devra affronter le tumulte des camps ! Et à quelle époque ? À cette époque farouche où, trop souvent, les soldats sont des bandits. Elle quittera tout : son village, son père et sa mère, son troupeau, tout ce qu’elle a aimé, pour courir au secours de la France qui agonise. Aux bonnes gens de Vaucouleurs qui s’apitoient sur son sort, que répondra-t-elle ? « C’est pour cela que je suis née ! »

*

La première vision se produisit un jour d’été, à l’heure de midi. Le ciel était sans nuages, et le soleil versait sur la terre assoupie tous les enchantements de sa lumière. Jeanne priait dans le jardin attenant à la maison de son père, près de l’église. Elle entendit une voix qui lui disait : « Jehanne, fille de Dieu, sois bonne et sage, fréquente l’église [7], mets ta confiance au Seigneur [8] . » Elle fut saisie ; mais, élevant son regard, dans une clarté éblouissante elle vit une figure angélique, qui exprimait à la fois la force et la douceur, et qu’entouraient des formes radieuses.

Un autre jour, l’Esprit, l’archange saint Michel et les saintes qui l’accompagnaient, l’entretiennent de la situation du pays et lui révèlent sa mission. « Il faut que tu ailles au secours du dauphin, afin que par toi il recouvre son royaume [9] . » Et Jeanne, tout d’abord, se défend : « Je suis une pauvre fille, ne sachant ni chevaucher ni guerroyer ! » « Fille de Dieu, va, je serai ton secours », lui répond la voix.

Peu à peu ses entretiens avec les Esprits devenaient plus fréquents ; ils n’étaient pas de longue durée. Les conseils d’en haut sont toujours brefs, concis, lumineux. C’est ce qui résulte de ses réponses aux interrogatoires de Rouen. « Quelle doctrine vous montra saint Michel ? » lui demande-t-on. « Sur toutes choses, il me disait : Sois bonne enfant et Dieu t’aidera [10] … » Cela est simple et sublime à la fois, et résume toute la loi de la vie. Les Esprits élevés ne se répandent pas en longs discours. Aujourd’hui encore, ceux qui peuvent communiquer avec les plans supérieurs de l’Au-delà, n’en reçoivent guère que des instructions courtes, profondes et marquées au coin d’une haute sagesse. Et Jeanne ajoute : « Saint Michel m’a appris à me bien conduire et à fréquenter l’église. » En effet, pour toute âme qui aspire au bien, la rectitude des actes, le recueillement et la prière sont les premières conditions d’une existence droite et pure.

Un jour, saint Michel lui dit : « Fille de Dieu, tu conduiras le dauphin à Reims, afin qu’il y reçoive son digne sacre [11] . » Sainte Catherine et sainte Marguerite lui répétaient sans cesse : « Va, va, nous t’aiderons ! » Alors s’établissent entre Jeanne et ses guides des rapports étroits. Chez ses « frères de paradis », elle va puiser la résolution nécessaire pour accomplir son œuvre : elle en est toute pénétrée. La France l’attend, il faut partir !

*

Aux premières lueurs d’un jour d’hiver, Jeanne s’est levée ; elle a préparé son léger bagage, un petit paquet, son bâton de voyage ; puis, elle va s’agenouiller au pied du lit où reposent encore son père et sa mère, et, silencieuse, elle murmure un adieu en pleurant. Elle se rappelle, à cette heure douloureuse, les inquiétudes, les caresses, les soins de sa mère, les soucis de son père, dont l’âge courbe déjà le front. Elle pense au vide que va causer son départ, au chagrin de tous ceux dont elle partagea jusqu’ici la vie, les joies, les douleurs. Mais le devoir commande : elle ne faillira pas à sa tâche. Adieu, pauvres parents ! Adieu, toi qui as conçu tant d’inquiétudes au sujet de ta fille, vue, en rêve, en compagnie de gens d’armes [12] ! Elle ne se conduira pas comme tu en avais l’appréhension, car elle est pure, pure comme le lis sans tache ; son cœur ne connaît qu’un amour : celui de son pays.

« Adieu, je vais à Vaucouleurs », dit-elle en passant devant la maison du laboureur Gérard, dont la famille était liée à la sienne. « Adieu, Mengette », fit-elle à sa compagne. « Adieu, vous tous, avec qui j’ai vécu heureuse jusqu’ici ! »

Il fut pourtant une amie dont elle évita de prendre congé : sa chère Hauviette. Les adieux eussent été trop émouvants, Jeanne s’en serait peut-être sentie ébranlée, et elle avait besoin de tout son courage [13] .

Elle partit pour Burey où habitait un de ses oncles, pour, de là, gagner Vaucouleurs et la France. À dix-sept ans, elle partit seule, sous le ciel immense, sur une route semée de dangers. Et Domremy ne la revit jamais.

IV – LA MÉDIUMNITE DE JEANNE D’ARC ; CE QU’ÉTAIENT SES VOIX ; PHÉNOMENES ANALOGUES ANCIENS ET RÉCENTS

Debout, les yeux en pleurs, elle prête l’oreille A quelque messager des cieux !PAUL ALLARD

Les phénomènes de vision, d’audition, de prémonition, qui parsèment la vie de Jeanne d’Arc, ont donné lieu aux interprétations les plus diverses. Parmi les historiens, les uns n’ont vu là que des cas d’hallucination ; certains sont allés jusqu’à parler d’hystérie ou de névrose. D’autres ont attribué à ces faits un caractère surnaturel et miraculeux.

Le but essentiel de cet ouvrage est d’analyser ces phénomènes, de démontrer qu’ils sont réels et se rattachent à des lois longtemps ignorées, mais dont l’existence se révèle de jour en jour, d’une manière plus imposante et plus précise.

À mesure que s’accroît la connaissance de l’univers et de l’être, la notion du surnaturel recule, s’évanouit. On le comprend désormais : la nature est une ; mais, dans son immensité, elle recèle des domaines, des formes de vie qui ont longtemps échappé à nos sens. Ceux-ci sont des plus bornés. Ils ne nous laissent percevoir que les aspects les plus grossiers, les plus élémentaires de l’univers et de la vie. Leur pauvreté, leur insuffisance s’est révélée surtout au moment de l’invention des puissants instruments d’optique, le télescope et le microscope, qui ont élargi dans tous les sens le champ de nos perceptions visuelles. Que savions-nous des infiniment petits avant la construction des appareils grossissants ? Que savions-nous de ces innombrables existences, qui pullulent et s’agitent autour de nous et même en nous ?

Ce ne sont là pourtant que les bas-fonds de la nature et, pour ainsi dire, le substratum de la vie. Mais, au-dessus, des plans se succèdent et s’étagent, sur lesquels se graduent des formes d’existences de plus en plus subtiles, éthérées, intelligentes, d’un caractère encore humain, puis angélique à certaines hauteurs, appartenant toujours, par leurs formes, sinon par leur essence, à ces états impondérables de la matière que la science constate aujourd’hui sous plusieurs de leurs aspects, par exemple dans la radioactivité des corps, les rayons Rœntgen, dans tout l’ensemble des expériences faites sur la matière radiante.

Au-delà des formes visibles et tangibles qui nous sont familières, nous savons maintenant que la matière se retrouve encore sous des états nombreux et variés, invisibles et impondérables, que peu à peu elle s’affine, se transforme en force et en lumière, pour devenir l’éther cosmique des physiciens. Dans tous ces états, sous tous ces aspects, elle est encore la substance dans laquelle se tissent d’innombrables organismes, des formes de vie d’une ténuité inimaginable. Dans cet océan de matière subtile, une vie intense s’agite au-dessus et autour de nous. Par-delà le cercle étroit de nos sensations, des abîmes se creusent, un vaste monde inconnu se déroule, peuplé de forces et d’êtres que nous ne percevons pas, mais qui cependant participent à notre existence, à nos joies, à nos souffrances et, dans une certaine mesure, peuvent nous influencer, nous secourir. C’est dans ce monde incommensurable qu’une science nouvelle s’efforce de pénétrer.

Dans une conférence faite à l’Institut général psychologique, il y a quelques années, le docteur Duclaux, directeur de l’Institut Pasteur, s’exprimait en ces termes : « Ce monde peuplé d’influences que nous subissons sans les connaître, pénétré de ce quid divinum que nous devinons sans en avoir le détail, est plus intéressant que celui dans lequel s’est jusqu’ici confinée notre pensée. Tâchons de l’ouvrir à nos recherches : il y a là d’immenses découvertes à faire, dont profitera l’humanité. »

Chose merveilleuse ! Nous appartenons nous-mêmes, pour une partie de notre être, la plus importante, à ce monde invisible qui se révèle chaque jour aux observateurs attentifs. Il est, en chaque être humain, une forme fluidique, un corps subtil, indestructible, image fidèle du corps physique et dont celui-ci n’est que le revêtement passager, la gaine grossière. Cette forme a ses sens propres, plus puissants que ceux du corps physique ; ceux-ci n’en sont que le prolongement affaibli [14] .

Le corps fluidique est le véritable siège de nos facultés, de notre conscience, de ce que les croyants de tous les âges ont appelé l’âme. Celle-ci n’est pas une vague entité métaphysique, mais plutôt un centre impérissable de force et de vie, inséparable de sa forme subtile. Elle préexistait à notre naissance, et la mort n’a pas d’action sur elle. Elle se retrouve au-delà de la tombe dans la plénitude de ses acquisitions intellectuelles et morales. Sa destinée est de poursuivre, à travers le temps et l’espace, son évolution vers des états toujours meilleurs, toujours plus éclairés des rayons de la justice, de la vérité, de l’éternelle beauté. L’être, perfectible à jamais, recueille dans son état psychique, agrandi, le fruit des travaux, des sacrifices et des épreuves de toutes ses existences.

Ceux qui ont vécu parmi nous et poursuivent leur évolution dans l’espace, ne se désintéressent pas de nos souffrances et de nos larmes. Des plans supérieurs de la vie universelle découlent sans cesse sur la terre des courants de force et d’inspiration. De là viennent les illuminations soudaines du génie, les souffles puissants qui passent sur les foules aux heures décisives ; de là, le soutien et le réconfort pour ceux qui ploient sous le fardeau de l’existence. Un lien mystérieux relie le visible et l’invisible. Des rapports peuvent s’établir avec l’Au-delà, à l’aide de certaines personnes spécialement douées, chez qui les sens cachés de l’âme, les sens psychiques, ces sens profonds qui dorment chez tout être humain, peuvent s’éveiller et entrer en action dès cette vie. Ce sont ces aides que nous nommons des médiums.

*

Au temps de Jeanne d’Arc, on ne pouvait comprendre ces choses. On ne possédait sur l’univers et sur la véritable nature de l’être, que des notions confuses, et, sur bien des points, incomplètes ou erronées. Cependant, depuis des siècles, l’esprit humain, malgré ses hésitations, ses incertitudes, a marché de conquêtes en conquêtes. Aujourd’hui, il commence à prendre son essor. La pensée humaine s’élève, nous venons de le voir, au-dessus du monde physique et plonge dans les vastes régions du monde psychique, où l’on commence à entrevoir le secret des causes, la clé de tous les mystères, la solution des grands problèmes de la vie, de la mort et de la destinée.

Nous n’oublions pas les railleries dont ces études ont été l’objet au début, ni combien de critiques visent encore ceux qui, courageusement, persévèrent dans ces recherches, dans ces relations avec l’invisible. Mais n’a-t-on pas raillé, même au sein des sociétés savantes, bien des découvertes qui, plus tard, se sont révélées comme autant de vérités éclatantes ! Il en sera de même de l’existence des Esprits. L’un après l’autre, les hommes de science sont obligés de l’admettre, et souvent à la suite d’expériences destinées à en démontrer le peu de fondement. Sir W. Crookes, le célèbre chimiste anglais, dont ses compatriotes font l’égal de Newton, fut de ceux-là. Citons aussi Russell Wallace, O. Lodge ; Lombroso, en Italie ; les docteurs Paul Gibier et Dariex, en France ; en Russie, le conseiller d’Etat Aksakof ; en Allemagne, le baron du Prel et l’astronome Zöllner [15] .