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Comment redonner un sens à son existence lorsque la solitude a étendu son voile sombre sur vous ? Après avoir vécu un drame, Suzanne s’est progressivement repliée sur elle-même, rompant les liens avec son passé. Dès lors, difficile de retrouver une raison d’être lorsque plus rien ne vous anime. Pourtant, il suffit parfois d’un coup de pouce du destin et de quelques rencontres impromptues pour recréer du lien social et retrouver la force d’avancer. Et si un nouveau départ était enfin possible ? Bien plus qu’une histoire de résilience, ce livre est avant tout un hymne à la vie.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Lisa M. Esqurial, originaire de Bordeaux, a débuté l’écriture dès l’adolescence. Depuis 2014, elle a publié cinq ouvrages dont "Première génération", Prix du jury Saint-Estèphe 2017, "Autre monde ou la quête d’Elaia", "Suivre l’étoile", tous appartenant à la catégorie policier/aventure. "Bordeaux - De l’ombre à la lumière" explore des thèmes plus intimes, marquant ainsi un tournant dans son écriture.
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Seitenzahl: 108
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Lisa M. Esqurial
Bordeaux
De l’ombre à la lumière
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lisa M. Esqurial
ISBN : 979-10-422-0858-5
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma fille, Manon
À ma famille et mes amis pour leur soutien
« Beaucoup de mes amis sont venus des nuages
Avec soleil et pluie comme simples bagages
Ils ont fait la saison des amitiés sincères
La plus belle saison des quatre de la terre
Ils ont cette douceur des plus grands paysages
Et la fidélité des oiseaux de passage
Dans leur cœur est gravée une infinie tendresse
Mais dans leurs yeux parfois se glisse la tristesse
Alors ils viennent se chauffer chez moi
Et toi aussi tu viendras… »
(« L’amitié » Françoise Hardy,
paroles de Jean-Max Rivière)
Les rues s’étendent à l’horizon, semblables, ne menant nulle part et partout à la fois, entrecoupées, entrecroisées, grises et laides, couvrant les jours d’un voile de brume. La vie, à travers elles, dispense la couleur de l’ennui à l’infini. Elles sont mortelles, mais tellement indispensables que personne n’y songe vraiment.
Dieu que c’est laid une rue comparée au charme discernable d’un chemin de campagne suivi simplement pour le mystère de son sol rocailleux ! Bordeaux n’est plus un chef-d’œuvre historique. La ville a perdu son port, à tout jamais noyé dans l’amertume et l’indicible horreur de ses quais touristiques bétonnés, reflets de cette société sans âme. Bordeaux la douce cité, Bordeaux au fleuve flambant où passèrent des navires chargés de richesses, Bordeaux traversée par l’histoire, Bordeaux au passé trouble ne ressemble plus à rien. Tout semble aseptisé, policé.
Cette ville a englouti mes plus belles espérances comme ce visage cher à mon cœur et qui le demeurera jusqu’à la fin de ma vie. Elle fut pourtant merveilleuse lors des trop courts jours de bonheur pourtant, désormais, ses charmes me révulsent. Comme la vie entière, je ne peux m’en défendre, la ville qui m’a cueillie depuis ma naissance me laisse désarmée.
Partir, partir loin d’ici. Partir vers ces pays de rêve, ces rivages lointains bordés de mystère et d’amour. Là où la vie paraît encore supportable malgré ce nuage noir menaçant de s’abattre.
Peut-être partir avec Sylviane, l’amie de quelques jours, apparue dans ma vie comme tonne l’orage, les yeux mouillés de larmes. Sylviane, l’orpheline, cherchant désespérément à combler son manque d’affection. Elle croit avoir trouvé en moi une sœur.
Depuis combien de temps déjà ai-je choisi de vivre pour les autres ? Àtravers les autres. De leur donner un peu de cette tendresse dont mon cœur déborde. J’ai parfois l’impression de la distribuer tel un poste d’essence, égrenant les litres contre de la menue monnaie. Comment suis-je payée en retour ? D’infidélité, de fuite. Qu’importe, je n’ai rien demandé à ces amis de passage, seulement le plaisir de les voir me quitter heureux. Mon bonheur se résume au sourire glissant un soir d’hiver sur le visage d’une personne qui ne savait plus ce que joie voulait dire et découvre, avec étonnement, qu’elle peut encore donner de sa chaleur une preuve incontestable. C’est leur présence qui me tient en vie.
Oui, à vingt-quatre ans maintenant, je réalise que cela fait deux ans que j’existe pour mes amis. Ceux de mon enfance bien sûr, mais surtout les autres, ceux d’un soir, d’un jour ou d’une semaine, qui demeurent près de moi le temps de panser leurs blessures.
Pour l’instant, Sylviane m’accompagne, hésitant à s’échapper, revenant chercher la quiétude de mon petit meublé, réapprenant, comme après une chute, à tenir sur ses jambes pour avancer. Sylviane retrouvera le goût de vivre, je ne m’en fais pas pour elle. Sa force de caractère la maintiendra à la surface de l’eau saumâtre dans laquelle elle manquait se noyer. Non, je m’inquiète pour Yann. Voilà bientôt six mois que celui-ci a purement et simplement disparu.
Yann c’est un peu mon frère. Depuis dix ans, nous nous sommes mutuellement encouragés, soutenus, mêlant nos fragilités. Nous subsistons dans cet univers rude en nous épaulant. Yann, si vulnérable sous ses airs assurés, fait de contradictions, calme et violent à la fois, choisissant les chemins de traverse. Yann, vivant sur le dos des autres, empruntant sans voler – telle est son expression – ce qui ne peut décemment lui appartenir, adorant les charnières, épris de liberté.
Nous avons le même âge, de l’admiration l’un pour l’autre, mais aussi une certaine crainte face à nos réactions. Je n’apprécie pas les cadeaux qu’il me fait. Tous ces objets hétéroclites à la provenance suspecte, je les ai toujours refusés.
Je sais bien que la société est injuste. Pour s’en sortir, il faut parfois vivre d’expédients. Ou du moins, en épousant la marginalité. Yann n’a sans doute pas vraiment eu le choix : scolarité bancale, milieu familial défavorisé, manque de repères. Mais un idéal : la liberté. Il a horreur de la pitié.
Tout comme lui, je déteste la charité. Ce sentiment d’avoir commis une bonne action pouvant un jour susciter récompense. Je me contente d’aider ceux qui passent près de moi avec leur soif et leur faim nichées au fond de leur cœur. J’ai, un temps, songé à m’expatrier, rejoignant le lot des bénévoles, m’affranchissant de cette sécurité, mais le courage m’a manqué.
Mana est partie seule faire le bien ailleurs. Mana, née au Népal, un peu par hasard, de mère française, de père indien, vivant à Paris, attirée comme un aimant vers le pays de ses ancêtres. Mana, écartelée entre la capitale, sa vie paisible auprès de ses amis et l’Inde. J’ignore si elle est parvenue à s’épanouir dans cet oubli de soi. J’attends, en vain, de ses nouvelles. Mes oiseaux de passage sont ainsi, ils n’écrivent pas, ne téléphonent pas, mais reviennent simplement passer une soirée, partager un instant, déversant les mots non transcrits en flots à mes oreilles attendries.
Avoir un but dans la vie n’est pas chose aisée. Longtemps, comme tant d’autres, j’ai cru que l’amour suffisait. Je me loverais avec délices dans ses promesses si rien n’était arrivé. Depuis ce choix de s’oublier en se consacrant aux autres, je me sens importante, comme investie d’une mission.
Avec Sylviane – trouvée en pleurs devant la porte de mon immeuble –, je passe des soirées tranquilles remplies de confidences. Sans travail, sans argent, elle tentait de faire la manche en sanglotant. Depuis, elle a repris pied, et envisage l’avenir avec sérénité.
Si ce n’est le destin qui l’a ainsi mise sur mon chemin, à qui puis-je attribuer cette rencontre ? Elle me fut en tout cas salutaire. L’histoire de Sylviane n’est ni plus triste, ni plus terrible que tant d’autres. Et pourtant, elle m’a touchée.
— Je pars demain chez une cousine ! m’a-t-elle déclaré hier.
Son visage serein m’a rassurée et comme à chaque fois mon cœur s’est serré à l’idée de la solitude que je ne peux supporter, mais imagine déjà. Aucune explication : si elle part, c’est qu’elle en a la force. Deux mois auparavant, elle souhaitait en finir pour de bon. Le chemin fut long jusqu’à l’acceptation, mais la voici parvenue à l’orée du champ des possibles.
— Tu ne me demandes pas où je vais ?
Son regard m’interroge, mais je ne sourcille pas. Plongée dans ma couture comme s’il s’agissait d’une tâche importante, je lui réponds :
— Si tu veux me le dire, je t’écoute. Mais tu n’es pas obligée.
— À Nice, lâche-t-elle vexée devant le peu d’intérêt que sa petite personne suscite à mes yeux.
Je saurai désormais, lorsque j’évoquerai Nice, que mes pensées iront à Sylviane. Tout comme l’Inde me suggère Mana.
— Pourquoi tu ne t’intéresses pas plus à moi ? Je t’ai raconté ma vie et j’ignore tout de toi. Tu es tellement étrange.
Sylviane, une fois guérie de ses blessures, désire me venir en aide. Mais non, désolée, j’ai choisi de ne pas divulguer mes secrets. Pour l’instant, seuls mes proches et Yann connaissent mon passé. Nous ne l’abordons jamais.
— Je ne souhaite pas en parler pour pouvoir oublier. D’ailleurs, ce n’est pas important. J’ai tourné une page du livre de ma vie. Mais grâce aux autres, à toi notamment, je parviens à survivre.
Je ferme les yeux sur mes larmes, serrant mes cils les uns contre les autres comme on ferme une grille à la lumière du jour. Sylviane me considère, mais elle respecte mon silence et je l’en remercie.
Elle se lève, passe dans la cuisine pour préparer le dîner et, sans savoir pourquoi, le sourire me vient aux lèvres. L’amitié est un petit bijou.
Sylviane est partie depuis deux jours après un laconique « au revoir » sur le pas de la porte. Depuis, je réapprends à vivre seule, parler seule, à regarder passer les jours seule, les mois seule, les ans seule, et mon miroir reflète l’image de mon visage, seul.
La solitude reste supportable lorsqu’elle ne s’éternise pas. Je commence déjà à prier pour qu’un nouveau personnage apparaisse. Et ce quelqu’un c’est Yann. Revenu de son errance, le visage tanné par le soleil, avec les poches remplies d’histoires à me conter. Àlui, je peux tout dire sans m’apitoyer sur mon sort. Il sait tout.
Ses yeux reflètent la candeur de la jeunesse malgré tout. Candeur que j’ai perdue. Il m’assure que j’ai l’air d’une adolescente, surtout lorsque je ris. Sans doute extérieurement. Je parais quinze ans, mais en compte dix de plus. Je sais le mal de vivre et la souffrance morale alors qu’adolescente, je ne soupçonnais même pas ces sentiments.
Yann, donc, est revenu. Les cheveux aux épaules, clairs et blonds, les yeux, immense étendue bleutée, le sourire franc. Je le revois en classe, trublion, désespoir des profs, bête noire des plus faibles. Il savait en imposer. Je ne l’ai jamais craint. Un jour, il est venu vers moi, ou plutôt nous sommes allés l’un vers l’autre, sans trop savoir pourquoi. Je l’admirais secrètement. Ce parfum de liberté m’attirait. Son insolence aussi. Plutôt timorée, mais si fière, j’ai toujours développé une certaine résistance à la stupidité ambiante. Je pense qu’il l’a perçu.
C’est un peu la passion de la mécanique qui guide sa vie. Il bricole tout ce qui lui tombe sous la main : les motos, les bagnoles. Il est tellement adroit que je n’arrive pas à comprendre pourquoi il n’utilise pas plus souvent ses talents et s’obstine à traverser en dehors des clous. Les mains de Yann sont de véritables machines de précision. À côté, les miennes paraissent minuscules et terriblement gauches. Je pourrais discourir des journées entières sur ces deux paumes ouvertes. Je pourrais aussi parler de Yann sans me lasser, raconter ses mensonges, ses difficultés, parler de l’enfance, de l’école, de sa dureté et de son orgueil au-delà de tout.
Pour l’instant, je l’écoute me conter son prochain périple à travers la Pologne. Sans guide touristique et les poches vides. Parfois, il me décrit une fille, rencontrée au hasard d’un chemin. Il aurait aimé mieux la connaître. Ses secrets, il les dévoile au fil de l’eau, comme il lirait un livre chapitre après chapitre, étonné, mais sachant pertinemment qu’ils n’existent que pour être dévoilés.
Je l’ai déjà dit, les rues grises et sombres sont mon lot. Ce petit meublé, niché en plein centre d’une grande ville, ma terre d’abordage. Je chéris bien plus tous les endroits de providence où j’ai laissé un peu de moi à chaque rencontre ou moment de bonheur. Car le bonheur existe, éphémère, bijou d’une seconde, il entre par la porte sans frapper et l’on en garde la nostalgie longtemps.
Mon bonheur, pour l’instant, se résume au dialogue toujours plus passionnant que je tiens avec mon ami. En arrivant ici, il a pu combler sa soif de bricolage : le chauffe-eau méritait réparation ainsi que l’une des prises de la cuisine.
— Ma parole, tu l’as fait exprès ! déclare-t-il en riant, déjà tout à son bonheur entre vis et boulons.
— Dis, plutôt, que ce sont eux qui, voulant saluer ta venue, se sont mis en grève.
Il a déjà le tournevis en main et feint de vouloir m’en asséner un coup sur le front.
— Heureusement que je reviens de temps en temps. Une femme seule ne prévoit pas les dégâts, elle les provoque.