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Bill, la cinquantaine passée, coule des jours paisibles dans un coin du Médoc. Épris de liberté, il subsiste derrière les arpents de vigne d’un grand cru classé loin du tumulte des villes et de la technologie. Il n’a plus de famille et cela ne le chagrine pas. Cependant, l’âge avançant, il s’interroge sur la vacuité de son existence tranquille et sans attache. L’arrivée d’un jeune garçon cherchant de l’aide pour retrouver sa mère disparue va bousculer ses certitudes. Que s’est-il donc passé pour que Gala ne donne plus signe de vie ? Une femme introuvable, des décès suspects… Ces événements conduiront les deux hommes dans un road trip sur les routes du Sud-Ouest et bien au-delà.
À PROPOS DE L'AUTRICE
Lisa M. Esqurial a débuté l’écriture dès l’adolescence. Depuis 2014, elle a publié six ouvrages dont Première génération, Prix du jury Saint-Estèphe 2017, Autre monde ou la quête d’Elaia, Suivre l’étoile, tous appartenant à la catégorie policier/aventure.
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Seitenzahl: 155
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Lisa M. Esqurial
Silences
Roman
© Lys Bleu Éditions – Lisa M. Esqurial
ISBN : 979-10-422-3824-7
Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.
À ma fille, Manon
À ma famille et mes amis
Peut-être est-il des mots qui ne peuvent jamais être prononcés ni chuchotés, des mots qu’il faut écrire sur une feuille de papier que l’on plie pour faire un bateau qui voguera sur un ruisseau pour se faire avaler par les vagues.
R. J. Ellory, Seul le silence
J’espère que vous savez ce que vous risquez en ouvrant les écluses de mon verbe ? Il y a deux façons de voir : l’homme silencieux est sage ou bien l’homme qui ne dit rien ne pense rien.
J.Steinbeck, À l’Est d’Eden
Je n’ai toujours été qu’un sale égoïste. Un putain de sale égoïste même.
Depuis peu, je le réalise amèrement. Il m’en aura fallu du temps pour constater le vide de mon existence. Qu’ai-je fait de toutes ces années ?
La réponse : rien. Je n’ai pensé qu’à moi. Ma vie s’est concentrée autour de mon nombril.
La liberté a guidé mes pas sur les routes et les chemins de traverse. J’avais quinze, vingt ans et mon avenir professionnel ne m’apparaissait dans aucun costume. Quelques tentatives ratées m’avaient vu enfiler bleu de travail, blouse blanche ou costume en pure perte. Tour à tour mécano, brancardier puis commercial en produits de luxe, pensant naïvement avoir gravi les marches tendant vers l’accomplissement, mes tentatives se soldaient inexorablement par un échec retentissant. Rien ne me satisfaisait pleinement. Et, apparemment, je ne parvenais à satisfaire personne.
Au fond de moi, je souhaitais beaucoup plus qu’un appartement high-tech où il m’arrivait d’organiser des apéros dînatoires passablement alcoolisés, des séances de badminton dans des salles de sport à la mode avec des potes insignifiants ou lourdauds, des rencards avec des nanas dont l’ultime but était de vivre une belle histoire d’amour alors que le mien se contentait d’essayer de ne pas poursuivre plus loin de peur de tomber dans le puits de cet attachement duquel il est extrêmement difficile de s’extraire.
J’ai cinquante-six ans.
Incroyable, mais vrai.
Dans mon esprit, il me semble toujours être à l’aube de quelque chose. La même sensation ressentie depuis mes dix-sept balais.
Je n’ai pas grandi. Je suis resté cet adolescent attardé dont les jeunes femmes s’éprennent, puis qu’elles délaissent pour d’autres, plus matures, lorsqu’elles se sentent en appétit de fonder une famille. Le temps a filé sans crier gare, emportant dans son sillage ma silhouette longiligne, recouvrant mes beaux cheveux châtains et soyeux d’une pellicule grisâtre. Bel homme encore, diraient certaines. L’image que me renvoient les miroirs me laisse dubitatif.
Un bref passé de musicien m’a fait, un instant, caresser des rêves de gloire. Si je suis tout à fait honnête, je dois bien avouer que hormis quelques accords de base, mon doigté ne m’eut sans doute jamais permis de dépasser les limites des rares scènes minuscules sur lesquelles j’ai pu me produire avec mes deux compères. Incapable de composer, tout juste bon à effectuer des reprises de célèbres morceaux, j’ai pourtant fait chavirer nombre de nanas, des fans de la première et de la dernière heure d’ailleurs. Stratocaster = piège à gonzesses. Grand, chevelu, guitariste c’était alors le trio gagnant. Mes potes, respectivement batteur et bassiste-lead, de taille moyenne et prématurément chauves, n’ont jamais compté autant de succès féminins. C’est sûrement la raison pour laquelle le groupe s’est désagrégé après deux années d’existence. Nous avions fait le tour de tout ce que nous pouvions proposer et la jalousie des deux autres se muait en une sorte de haine à mon endroit. J’ai dû me séparer de mon instrument un soir de disette. De cette aventure, il doit me rester un ou deux médiators.
L’expérience musicale résume bien la vacuité de mon existence. Comme je l’ai déjà dit, j’ai cinquante-six ans (je suis toujours étonné par ce chiffre !) et je n’ai rien. Pendant que d’autres construisaient, à coups de reins ou à tour de bras, je vivotais dans une relative insouciance. Je me fais souvent la réflexion suivante : est-ce si important de posséder une maison, une voiture, une famille ? Au bout du compte, on se retrouve toujours seul face à soi-même. Seul avec la peur de crever, de souffrir, de finir dans une maison de vieux.
Je hais les vieux. Le fait de réaliser que la frontière se rapproche peu à peu entre l’homme expérimenté et le vieillard me noue le bide.
Le RSA – merci État-providence – me permet de subsister en tant que citoyen. Assez porté sur la bricole, comme tout bon garçon des seventies, je peux ainsi obtenir un complément de revenu substantiel. Non déclaré, cela va de soi. Au moins, notre éducation nous aura fait acquérir ces notions dont semblent dépourvues les nouvelles générations. J’ai plus d’une fois observé les jeunes dans leurs piètres tentatives. Ils ne sont pas à proprement parler « maladroits » non, je les pense plutôt sans envie, sans force. Ils ne hanteront pas les rayons de Castorama le samedi comme je le faisais avec mon paternel. « Il y a toujours quelque chose à réparer dans une maison ! » disait-il philosophe. De fait, les travaux succédaient aux travaux : peintures écaillées, tapisseries à changer, carrelage à mettre au goût du jour… Il s’agissait de notre seul lien. L’unique activité partagée entre père et fils. À cette époque, les « vieux » ne perdaient pas leur temps à véhiculer leurs mômes entre terrains de sport ou cours de musique. On s’élevait dans la rue, avec les autres. Nos semblables. Les gosses du quartier. On ne s’était pas choisis, on avait poussé là presque par hasard. Alors on se supportait, s’aimait, se haïssait parfois. Mais, au fond, on était heureux.
Donc, quand je n’étais pas à traîner dans les rues avec mes potes, je devenais l’apprenti de mon paternel. Il m’enseignait, parfois à coup de taloches, l’art d’encoller le papier peint, de maroufler, de découper des lés, de poser des carreaux de ciment, de réaliser un joint de plomberie. En ça, je le remercie. Par cet enseignement, mon père m’a sauvé la vie. Après le labeur venait le réconfort : un verre de Saint-Raphaël avec des Ritz. Toujours le même breuvage et les mêmes biscuits. Peu importait mon âge, j’avais le droit aussi de tremper mes lèvres dans l’alcool. Petit à petit, les rasades se faisaient plus importantes. J’aurais pu très mal finir, mais je n’ai jamais eu le goût de me mettre vraiment minable.
En ce moment, mon planning est vide. Du coup, je gamberge sur la vacuité de mon existence ou sur mon âge en regardant s’élever dans les airs les volutes de mes roulées. Pensif. La pandémie qui a déferlé sur notre continent au début de l’année 2020, désormais circonscrite, a laissé un tronçon du peuple hagard, assis sur les ruines de son passé. Je pense que cette absence de liberté – ou liberté surveillée – a laissé des traces dans les consciences des gens de ma génération. Elle a également permis à certains de mesurer l’absurdité des choses avec lesquelles nous nous plaisons à combler nos journées. Bon, j’étais avantagé. Il ne m’a pas fallu autant de temps pour le réaliser.
Cela fait maintenant huit ans que je vis ici, dans ce coin de campagne, gentiment coupé du monde. Ce besoin de fracture avec mes semblables, il me semble l’avoir toujours connu. J’étais celui perdu dans ses pensées au milieu du tumulte lors de soirées animées. J’adorais être entouré et me replier ainsi au fond de mon esprit. Du plus loin que je m’en souvienne, la solitude fut une fidèle compagne. Comme la liberté. Une chanson de Moustaki traverse mon esprit. « Ma liberté longtemps je t’ai gardée comme une perle rare, ma liberté c’est toi qui m’as aidé à larguer les amarres… » Après, je ne me souviens plus bien des paroles, mais le texte est très beau.
Bref, je vis ici dans ce bout de Médoc, près de Saint-Estèphe, derrière les arpents de vigne d’un grand cru classé, à l’abri des regards indiscrets. En location. Une petite bicoque tombant en ruine, retapée au fil des années pour devenir mon petit paradis. Le matin, je bois mon café en contemplant les rangées de ceps ondoyant sous le soleil levant. J’adore ce spectacle. Surtout au début de l’automne lorsqu’ils se parent de couleurs mordorées.
Je vis ici simplement, sans pollueurs modernes. Pas de télé, encore moins d’internet ou de réseaux « asociaux ». Jamais fréquenté les sites de rencontres. Pour moi, les seules intéressantes se trouvent sur le chemin au hasard de douces pérégrinations. Un vieux portable sans autre particularité que celle de maintenir le contact avec mes semblables. Un de ces modèles à clapet très en vogue au début des années 2000, complètement ringardisés par l’apparition des smartphones avec double – voire triple – appareil photo et dotés de moult applications dont l’utilité m’échappe. Je ne doute pas que d’ici quelque temps ce type de téléphone revienne à la mode.
Un modeste poste de radio dont les piles ont fondu les plombs et une platine laser-disque me permettent de me distraire. Et oui, je suis encore un acheteur patenté de CD et vinyles. Il s’agit, le plus souvent, d’albums rock ou pop des années soixante-dix. Ce que l’on veut bien nous vendre actuellement n’étant pas vraiment à mon goût.
Ah si, je peux me vanter d’être l’heureux propriétaire d’un carrelet en bord d’estuaire ! Un bien de famille, transmis sur trois générations. Je m’y rends de temps en temps pour plus de sérénité ou simplement pour pêcher, bien que désormais le poisson se soit raréfié.
Ah oui, je suis fils unique et mes parents sont morts.
Le peu de famille restant ne s’intéressant nullement à mon sort, il m’apparaît aisé de ne point l’encombrer inutilement.
Un dimanche matin comme un autre, enfin presque, on frappe à ma porte. J’imagine qu’il s’agit d’un de mes potes de beuverie – oui j’en ai quand même – en quête d’un quelconque service. Je n’ai pas envie de répondre. Dehors, il pleut à verse et, ce, depuis plusieurs jours. Sans discontinuer. Du coup, impossible de laisser divaguer ses pensées sur les rangs de vigne lourds de grappes noires. Les vendanges vont bientôt commencer là où ma tranquillité va s’arrêter. J’irai sans doute dans mon carrelet attendre que l’orage s’éloigne. Vendangeuses et saisonniers sont souvent trop bruyants.
Ma liberté passe aussi par le fait de ne pas répondre si je n’en éprouve guère l’envie. Et, précisément, ce matin, je me sens l’âme ermite. Qu’ils aillent au diable ! Ou mieux, qu’ils aillent emmerder quelqu’un d’autre. Oui, en vieillissant, je mesure l’étendue du désastre : je suis devenu un vieux con. Après les avoir abondamment fustigés, me voici désormais dans leur camp. Comme la vie vous rattrape tout de même.
Mes compagnons de picole sont pour la plupart célibataires ou divorcés. S’assumer seul semble très compliqué pour eux, alors ils se connectent via des sites avec l’amère illusion de trouver l’amour, une maman, une bobonne ou un plan cul c’est selon. Après quelques verres dans le nez, les voici s’épanchant sur leurs trouvailles. Rien de bien réjouissant. Lorsque je les écoute, je me demande souvent où sont les fous. Pas forcément dans les asiles, mais à coup sûr sur lesdits sites. Ils semblent farcis de bipolaires, alcoolos, paranos et autres pervers narcissiques… de quoi vous vacciner à jamais. C’est ce qu’ils disent. Et pourtant ils y retournent toujours. On ne sait jamais… des fois que…
Lors de mes errances, il m’est arrivé de croiser la route d’une fille plus ou moins détraquée. Ce fut le cas très jeune. Peut-être cette histoire a-t-elle forgé mon avenir sentimental ? Je n’ai jamais pu arriver à trouver un semblant de stabilité dans une quelconque relation. Dès que celle-ci me paraissait s’inscrire dans la durée, et alors même que je m’en sentais satisfait, un vent mauvais me poussait à rompre sur le champ pour courir vers d’autres aventures pleines de sève. Une certaine résignation m’amène à penser que je suis un cas désespéré.
L’amour est un leurre.
Une pure invention fondée sur l’alchimie entre deux êtres et tendant à les ranger dans des cases pour le bien de la société. Une simple affaire de chimie où, passées les douces années suivant la rencontre, chacun prend son mal en patience en attendant la fin. Il y a des résistants, mais ils sont peu nombreux. Ils persistent à chercher le bonheur et y mettent tant d’ardeur qu’ils finissent par en être parfaitement convaincus lorsque se pointe une jolie frimousse. « Il n’y a pas d’amour heureux » disait Aragon et comme je lui donne raison. Au vu des statistiques et un tant soit peu d’observation, force est de constater que peu de couples survivent assez longtemps pour nous prouver le contraire. Du temps de mes parents, notamment, il n’était pas vraiment aisé de se séparer. Les femmes d’alors, maîtresses de maison ne percevant aucun salaire pour tout le travail fourni, ne pouvaient guère prétendre à l’indépendance face à leurs maris. Elles restaient donc puisque tel était leur destin, pour leurs enfants, pour pouvoir exister. Sauf mes parents. Eux, ils avaient franchi le pas et ma mère dut se contenter d’un boulot précaire jusqu’à la fin de son existence. En l’occurrence, elle n’avait guère eu le choix, car le daron s’était amouraché d’une jeunette pour laquelle il tira un trait sur sa moitié de vie passée et se replia lâchement auprès de sa nouvelle famille. Ma mère n’avait jamais refait sa vie, comme ils disent.
Donc, l’idée qu’un être en particulier nous soit destiné, je n’y adhère absolument pas.
En tous cas, jusqu’à ce jour, je n’ai pas encore croisé la route de ma soi-disant « moitié ».
Contre le bois, ça tambourine de plus en plus fort. « Y’a quelqu’un ? » « Y’a quelqu’un ? » Un timbre inconnu, une voix jeune, presque adolescente. Loin de celles de mes assoiffés perpétuels. Intrigué, je m’interroge sur le bien-fondé d’une réaction de ma part. Dois-je porter secours ? L’idée même de sacrifier ma matinée me révulse. Alors, je m’indiffère.
J’attrape ma cafetière italienne et me sers une bonne tasse de pur arabica. Puis, j’allume une clope. Je saisis l’un de ces extraordinaires moments où s’entrecroisent l’arôme du café et les volutes d’une blonde. Toutefois, j’essaie de faire le moins de bruit possible afin de ne pas trahir ma présence.
Contre la porte, les coups de pied succèdent aux poings en accentuant la pression. Décidément, je ne resterai pas tranquille ! La voix se fait implorante. Non-assistance à personne en danger. On peut être bien emmerdé pour un tel motif. Cela me semble suffisant pour accéder à la demande de l’importun.
Je me décide à ouvrir. À peine le temps de distinguer les traits du personnage que celui-ci me pousse vers l’intérieur. Il s’avance, regard fou, les cheveux trempés aux épaules. Je recule, surpris. Il agite ses bras en tous sens et me lance :
— Je suis le fils de Galatée !
Et voilà comment cette histoire a commencé un dimanche matin pluvieux et venteux de septembre dans un coin du Médoc.
Avec le gamin, nous nous dévisageons un instant, interdits. Il paraît aussi surpris que moi. C’est étrange. Il a un beau visage aux traits fins malgré ses cheveux pendouillant raides et sombres sur ses épaules frêles. Plutôt grand et mince, maigre serait le terme exact, il me scrute de ses prunelles noires. Nous n’avons pas grand-chose en commun. À part la taille, peut-être. Mes yeux sont clairs, mes cheveux plutôt souples se parant d’éclats dorés. Enfin, avant qu’ils ne prennent cette teinte gris-blanc.
Inutile de feindre l’amnésie, de s’insurger « quoi, mais je ne sais pas qui est cette personne ? » Car je sais très bien de qui il s’agit. Par contre, la raison de cette irruption m’échappe.
— Vous avez compris, Bill ? Son ton se veut implorant.
Il semble surexcité et je demeure d’un calme olympien. Il me répète la même phrase plusieurs fois comme si j’étais le dernier des abrutis. À travers ses tremblements, je perçois son angoisse.
D’un signe, je l’invite à s’asseoir. Il semble hésiter et son regard fait le tour de la modeste pièce dans laquelle je passe le plus clair de mon temps. J’envisage sa déception. Un fatras d’objets hétéroclites et disparates jonche la table en bois sur laquelle je prends mes repas. Il me suffit de pousser le bazar pour installer mes couverts, déguster le contenu d’une boîte de conserve ou un petit plat concocté à ma façon, lire un journal ou même bricoler. Cette maison n’est composée que de deux pièces : la chambre avec sa douche et la cuisine-salon dans laquelle nous nous trouvons en ce moment.
Finalement, il se décide à prendre place sur l’unique fauteuil en cuir vieilli chiné dans une brocante. Sans cesser de me fixer, il ôte son blouson.
— Un café ?
Ma proposition semble le surprendre.
— Vous ne paraissez pas étonné de me voir ? lâche-t-il d’une voix grave.
Cela fait longtemps que je ne m’étonne plus de rien. À force d’en voir de toutes les couleurs sur la société et nombre de ses brebis galeuses, on finit par développer un antidote nous permettant d’envisager l’avenir avec une certaine sérénité. Cela vient sans doute avec la maturité. Bien sûr, il ne peut pas comprendre. Le gamin est encore à un âge où l’on se révolte, s’insurge contre toutes sortes de choses dérangeantes : la faim dans le monde, la misère, les inégalités sociales, la destruction de l’environnement…
— Comment va-t-elle ? finis-je par m’enquérir tout de même.
— Vous n’êtes pas au courant ?
— Au courant de quoi ?
— Ah ben, bien sûr que vous ne savez rien, vous vous souciez si peu d’elle !