Dernier blues - Lisa M. Esqurial - E-Book

Dernier blues E-Book

Lisa M. Esqurial

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Beschreibung

Une rencontre fortuite aux détours d’une ruelle et la vie de Lili bascule une nouvelle fois dans le drame. La jeune femme croit reconnaître son ancien petit ami sous les traits d’un homme à l’allure misérable. Impossible car ce garçon est mort, plus de dix ans auparavant, des suites d’un accident de moto au cours duquel elle a également été gravement blessée ! Troublée, elle décide de se lancer sur les traces de l’inconnu.
Cette plongée dans le passé va contribuer à voir les événements s’enchaîner, l’horreur se perpétrer jusqu’au dénouement final… la découverte de l’implacable machination ourdie en cette funeste journée d’avril 1981.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Originaire de la région bordelaise, Lisa M. Esqurial exerce les fonctions d’ingénieur dans un laboratoire du CNRS. Passionnée de littérature dès son plus jeune âge, elle est particulièrement attirée par les romans policiers et thrillers. À ce jour, elle a publié quatre polars : Première génération (Prix du jury Saint-Estèphe 2017), Autre monde ou la quête d’Elaia, puis Suivre l’étoile et Sombre félicité.
Roman intimiste, paru en 2017, Des oiseaux de passage a reçu le Prix littéraire Saint-Estèphe 2018.

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Lisa M. Esqurial

Dernier blues

Roman

© Lys Bleu Éditions – Lisa M. Esqurial

ISBN : 979-10-377-0650-8

Le code de la propriété intellectuelle n’autorisant aux termes des paragraphes 2 et 3 de l’article L.122-5, d’une part, que les copies ou reproductions strictement réservées à l’usage privé du copiste et non destinées à une utilisation collective et, d’autre part, sous réserve du nom de l’auteur et de la source, que les analyses et les courtes citations justifiées par le caractère critique, polémique, pédagogique, scientifique ou d’information, toute représentation ou reproduction intégrale ou partielle, faite sans le consentement de l’auteur ou de ses ayants droit ou ayants cause, est illicite (article L.122-4). Cette représentation ou reproduction, par quelque procédé que ce soit, constituerait donc une contrefaçon sanctionnée par les articles L.335-2 et suivants du Code de la propriété intellectuelle.

« La vie, voyez-vous, ça n’est jamais si bon ni si mauvais qu’on croit. »

(Une vie, Guy de Maupassant)

« Il y a un meurtrier en chacun de nous. Trouvez la détente et le coup partira. »

(À l’Est d’Eden, John Steinbeck)

À ma fille, Manon

À ma famille et mes amis

Prologue

Avril 1981

Depuis plus d’une heure, la pluie déverse ses trombes d’eau tandis que le paysage se déroule sinistre des deux côtés de l’autoroute. Ils le perçoivent à peine à travers la visière de leurs casques. Les deux roues de la Yamaha adhèrent difficilement sur le bitume pourtant, sans se concerter, les voyageurs décident de poursuivre leur trajet jusqu’à la ville rose. Ils sont jeunes, beaux et pétris d’inconscience. Confiante, la passagère se serre un peu plus contre le blouson en cuir du conducteur. La jeune fille sent confusément qu’auprès de ce garçon elle pourrait aller au bout du monde sans nulle crainte. L’amour lui donne des ailes. Deux mois qu’ils ne s’étaient pas vus. Alors, il faudrait beaucoup plus qu’une simple averse pour les empêcher de partager ces délicieux moments de complicité.

Ils se rendent à une soirée. La prudence eût voulu qu’ils demeurent à Bordeaux et passent un moment tranquille, cependant les jeunes n’étaient guère dans cet état d’esprit. Pour eux, la vie se résumait en une sorte de tourbillon où ils manquaient se perdre et vers lequel, pourtant, ils s’élançaient sans crainte.

La vitesse les grise. Ils partagent ainsi des sensations bien plus fortes que celles proposées par la plus grandiose des attractions foraines : le cœur serré et l’adrénaline montant par bouffées presque délirantes.

Voilà plus de cent kilomètres qu’ils roulent sous ce crachin. Le garçon a embarqué sa passagère près de la cité, loin du champ de vision de ses parents. En effet, affolée devant le nombre croissant d’accidents de moto, sa mère lui a arraché la promesse de ne jamais circuler en deux-roues. Du coup, la gamine doit ruser : elle est censée dormir chez une copine. Majeur depuis peu, le jeune homme dispose d’une plus grande liberté. Ses vieux sont plus permissifs. Post soixante-huitards.

Toujours le même lieu de rendez-vous. Sauf que cette fois-ci, afin de partir au plus vite, elle a enfourché la bécane sans même que le conducteur ne daigne lui adresser la parole ni ne jette un regard dans sa direction. Décontenancée, elle l’a pourtant suivi sans discuter. Ils auront tout le loisir de se retrouver parvenus à destination.

Deux cents à l’heure, visibilité réduite, la moto décroche pour doubler une voiture. « Mauvais timing » diront certains, car il s’agit justement de celle d’un conducteur distrait s’apprêtant à faire de même avec le véhicule qui le précède.

Le choc. Brutal. Un grand saut dans le vide, un bruit puis un étrange goût de métal dans la bouche. Après, elle ne sait plus très bien. Son casque trop grand flotte autour de son visage. À peine consciente, la jeune fille essaie de bouger, mais son corps semble inerte. La voici qui glisse dans un semi-coma, percevant une douleur dans son crâne, diffuse, lancinante. Elle parvient à ouvrir les yeux, toutefois cela requiert un effort surhumain. Son cerveau, embrumé, intime pourtant l’ordre à sa main d’esquisser un mouvement pour tenter de se relever. À sa surprise, elle rencontre une résistance : le sol se dérobe sous ses doigts. Moelleux. En vain, elle essaie une nouvelle fois de bouger ses jambes. Angoisse. Le visage de sa mère passe un instant devant ses pupilles.

Bien plus tard, l’horreur la saisira dans toute sa cruauté. Pour l’instant, le corps rompu, l’esprit embrumé, la tête lourde, elle s’abandonne. Confusément, la jeune fille pressent déjà que rien ne sera plus jamais pareil.

1

Février 1992

Banlieue bordelaise. Route de Toulouse. Visages fermés, étrangers. Perdue dans ses pensées, elle presse le pas vers la boulangerie afin d’y acheter sa baguette quotidienne. Depuis toujours, le pain reste son aliment favori. Elle imagine déjà la croûte dorée – limite brûlée – craquante sous la dent et la mie encore chaude, fondante à souhait. Il lui arrive souvent de consommer la moitié de ce délicieux aliment à peine sortie du magasin. Croissants, chocolatines, beignets et autres chaussons aux pommes ne la séduisent jamais autant.

Grisaille sur façades noircies le long de cette artère encombrée. La plus laide « barrière » des boulevards. Ici, ça sent la pauvreté, la misère. Pourtant, rien n’y prédispose. Pourquoi s’y est-elle arrêtée ? Si loin de son quartier. Tout simplement car les commerces de proximité ont l’avantage d’être dotés de places de parking. Plus pratique. Elle n’a jamais aimé cet endroit. Ne saurait vraiment expliquer pourquoi. De la banlieue, c’est le coin le plus moche. Avec les cités du Dorat. Maintenant, elle habite dans une commune voisine où elle se sent bien. Un endroit qui semble l’avoir accueillie à bras ouverts, lui fournissant même de nouveaux amis. Un petit appartement douillet loin des échoppes surannées de son enfance.

Sur le trottoir, elle croise des passants – tout aussi pressés qu’elle – et un clochard. Sans l’avoir prémédité, son regard se fixe dans les prunelles marines. Les yeux. Ils sont vraiment le miroir de l’âme. Elle les reconnaîtrait entre mille, cent mille, vingt millions même. S’arrête, interdite.

— Jef !

L’homme tressaille et se retourne. Visage bouffi, rougeaud, cheveux fins et gras dépassant d’un chapeau noir informe, barbe de plusieurs jours et autant de nuits. L’odeur qui se dégage de ce long manteau, du jean crasseux et des baskets poussiéreuses lui soulève l’estomac et pourtant elle tente d’entrer en contact.

— Jef ! Ce n’est pas possible…

— Y’a erreur, maugrée-t-il d’une voix cassée. Abus de nicotine.

Bien sûr qu’il s’agit d’une erreur. Jef est mort depuis plus de dix ans. Les dernières images défilent sous ses yeux. Toutes ces années, elles n’ont cessé de la hanter. Elle était là aussi. Comment se peut-il…

— Pardon, excusez-moi ! Bredouille-t-elle alors qu’il se détourne pour reprendre sa route.

Interdite, elle le suit des yeux un long moment jusqu’à ce que la silhouette disparaisse au coin d’une rue perpendiculaire. Quelques images du passé affleurent à la surface de sa mémoire. Justement, celles qu’elle s’interdit d’évoquer depuis de nombreuses années afin de ne pas sombrer.

Faire abstraction de certains pans de son existence lui fut salutaire. Cela lui permit de continuer à avancer, d’y croire encore malgré tout. Mais elle ne maîtrise plus les battements de son cœur. Tente de retrouver un peu de sérénité en faisant appel aux exercices respiratoires enseignés par un psychiatre, une technique de relaxation lorsque l’angoisse monte. Peine perdue. Sur ce bout de trottoir, la jeune femme se sent de nouveau irrémédiablement seule.

2

Août 1979

Une plage. Un de ces sites de vacances familiales au bord de la Méditerranée où chacun peut trouver son compte. Farniente. Animations. Chouchous grillés le long du bord de mer. Campings. Bars avec pistes de danse essaimant l’artère principale. Alors que les parents paressent sur la plage, les jeunes dans les bras de Morphée récupèrent de leurs soirées et lorsque les plus vieux dorment, leur progéniture se déchaîne toute la nuit sur des musiques actuelles.

L’été de ses seize ans. Ce soir, elle a obtenu la permission de minuit et accompagne une copine rencontrée, peu de temps auparavant, au camping le plus proche. Avec ses parents et son petit frère, la jeune fille séjourne pour une quinzaine au motel du village. Les premiers jours, elle traînait son ennui entre l’appartement, la piscine et la plage, écrivant de longues lettres à sa meilleure amie. Elle aurait voulu passer ses vacances dans son quartier avec ses copains de baby, flippers et autres billards. Impossible de déroger aux sempiternels congés payés, période bénie, jetant sur les routes dès le 1er août, au même moment – parfois au même endroit – la plus grande partie de la population française. D’habitude, ils partaient tout un mois ainsi. Cela lui semblait infini. Trente longs jours loin de son univers. Le plus souvent, en location dans une maison. Donc éloignés des autres vacanciers qu’ils retrouvaient cependant sur la plage quotidiennement. Pour eux, du début de l’après-midi jusqu’à la soirée. Sa mère se prélassait sur sa serviette, radio distillant les derniers succès à la mode, tandis qu’elle barbotait des heures dans l’eau avec son frangin.

Finalement, ce lieu de villégiature se révèle plutôt intéressant. De plus, elle n’en a pas encore pris toute la mesure au moment où elle s’assoit avec son coca, pose son paquet de cigarettes sur la table et commence à discuter avec Fanny. Les deux jeunes filles se sont déjà trouvé énormément de points communs : le premier, vivre la nuit et dormir la journée ; le second, les mecs. Pourtant, elles n’y songent pas vraiment en cet instant. Son amie tente de la convaincre de rejoindre la piste de danse sommairement aménagée au milieu du troquet. Elle décline : la musique ne la séduit pas.

— Je ne peux pas si je n’aime pas le morceau ! Répond-elle laconiquement alors que l’autre la presse.

— Mais si, Lili, viens. Tu vas voir ça va être sympa. On s’en fout de la musique. J’ai envie de bouger.

Déployant toute une série d’arguments, Fanny parvient à la décider au moment où « Good night tonight » des Wings se termine, suivi de près par « I was made for loving you » de Kiss. Les jeunes filles se laissent emporter au son des accords, clope à la main, nuque penchée, cheveux lancés de droite à gauche et de gauche à droite en un mouvement saccadé. De vraies rockeuses. Moment hors du temps. Lâcher-prise total. Oubli des soucis, des doutes. Et puis, brusquement, les riffs cèdent la place au tube du moment « Je l’aime à mourir ». C’est le temps des slows. D’un commun accord, elles rejoignent leur table pour la trouver envahie de casques intégraux et… de garçons. Ceux-ci galamment leur rendent leurs sièges pour en récupérer d’autres et s’asseoir à côté.

— Salut, moi c’est Jef ! Lui lance son voisin.

Saisie, elle le considère un instant avec de répondre. Il est magnifique. Brun avec des cheveux noirs aux épaules, une peau pâle où scintillent, tels deux saphirs, les plus beaux yeux bleus qu’elle ait jamais vus. Détail suprême, le keffieh négligemment jeté autour du cou et porté sur un perfecto. Les soirées sont un peu fraîches en moto.

— Salut. Lili. En fait, c’est Élisabeth mais…

Il enchaîne.

— Désolé d’avoir squatté votre table, mais finalement je suis plutôt ravi.

Le sourire accompagnant ces mots ne laisse planer aucun mystère. Elle lui plaît. Et c’est réciproque, pour une fois ! Oh oui, elle en est déjà dingue. Ils échangent ensuite sur des sujets aussi divers que la plage, la moto, les parents, leurs groupes favoris. Ils se découvrent la même passion pour Genesis. Tout paraît tellement évident.

Billy Joel succède à Cabrel avec « Honesty ». Ils se sourient. Les mots n’ont aucune importance. Leurs regards s’attirent, s’hypnotisent, se coulent l’un dans l’autre. Marine dans noisette. Noisette dans marine.

Jamais, par la suite, elle ne ressentira une telle sensation : celle d’avoir trouvé son alter ego. Plus tard, lorsqu’elle fera l’inventaire de ses conquêtes, la jeune fille réalisera le caractère unique de cet instant. Au premier mot, cette perception est encore plus frappante. Comme si les deux protagonistes de cette histoire d’amour se connaissaient depuis fort longtemps. Comme si un lien ténu déjà les unissait.

Lorsque la vie vous adresse ce cadeau, il faut l’accepter sans se poser de questions. Et c’est ainsi qu’elle fit. Elle prit le garçon, ses cheveux de jais, ses yeux marine, son sourire, sa Yamaha, ses roulées et ses joints, son addiction à la vitesse, aux expédients, ses angoisses et, du haut de sa jeunesse passionnée, le vêtit des effets d’un prince.

À partir de cet instant, il n’y eut plus que Jef. Le monde entier tournait autour de lui. Comment avait-elle pu vivre avant ? Ses anciennes activités lui parurent dérisoires. Avant lui, elle sirotait des cafés ou des cocas avec des potes, jouait à des jeux d’enfants, prenait quelques cours de guitare sans grande conviction (ou plutôt si, elle ne serait jamais une grande musicienne), voire cumulait flirts inavouables ou décevants.

Ils s’étaient donc rencontrés sur « je l’aime à mourir ».

Cela aurait dû les interpeller. Moins naïfs, ils auraient pu sentir le mauvais présage. Hélas, les tourtereaux n’avaient rien capté. Glissants confiants sur les pavés de leurs existences d’adolescents, les jeunes gens respiraient le présent chargé d’embruns, d’effluves de tabac, de tours de roues, d’accords plaqués sur des guitares saturées, sans se projeter vers l’avenir.

Et pourtant, ils s’étaient rencontrés sur « je l’aime à mourir ».

3

Février 1992

Bordeaux. Bassin à flot. Près de la grue Wallace, l’un des derniers bastions d’une époque industrielle révolue, dressant sa silhouette métallique tordue et sanguinolente dans cet univers désolé de grisaille. Il fut un temps où l’activité portuaire se déployait sur ces mêmes pavés désormais désertiques.

— Ce n’est pas beau à voir ! Remarque le légiste pourtant habitué aux sombres découvertes.

Inspecteur, commissaire et substitut du procureur se penchent sur le cadavre en retenant leur respiration. L’odeur est insoutenable, même à l’extérieur. Les dégâts sont incommensurables. Un homme entre trente et quarante ans, mains et pieds sectionnés, bouillie rouge d’un visage écrasé, mâchoire broyée et édentée. Cependant, sa tenue ne laisse aucun doute sur la précarité de son existence. À moins qu’il n’ait été sciemment vêtu de ces hardes râpées et nauséabondes. Pas de papiers ni d’argent.

Manu Audicourt et Sylvain Redon se relèvent puis s’éloignent de quelques pas. Autour d’eux, policiers et scientifiques se déploient à la recherche du moindre fragment d’indice. La scène de crime sera passée au peigne fin. Rien ne devrait échapper aux spécialistes.

— Il semblerait que ce pauvre bougre soit un SDF. L’état sanitaire laisse sérieusement à désirer. Bien sûr, j’essaierai de vous en dire plus lorsque je l’aurais complètement examiné. Enfin, quand je dis complètement, je m’avance un peu vu ce qu’il reste du malheureux.

Le commissaire et son adjoint échangent un regard entendu. L’identification risque d’être compromise. Disparition des mains donc pas d’empreintes, des pieds donc pas de pointure, sans parler de la dentition inexistante. Reste l’ADN, à condition toutefois que la victime soit fichée.

— Qu’en déduisez-vous selon vos premières constatations ? S’enquiert Audicourt en resserrant son écharpe autour de son cou. Le commissaire sort juste d’une mauvaise grippe qui l’a cloué au lit une bonne semaine et dont il éprouve le plus grand mal à se remettre. Pour couronner le tout, il fait un froid de canard sur ce quai.

— Je dirais un homme entre trente-cinq et quarante ans. Le décès remonte à plus de vingt-quatre heures. Regardez, les plaies sont cautérisées.

— La cause de la mort ?

— Elle me paraît évidente, lance le médecin en jetant un regard éteint en direction du port. Noyade.

— Il serait mort noyé ! s’exclame Sylvain Redon surpris.

L’état pitoyable du cadavre ne laisse absolument aucun doute concernant l’homicide volontaire.

— Le tueur l’aurait maintenu sous l’eau jusqu’à asphyxie puis remis sur le quai pour le mutiler et le défigurer ?

— Cela me semble l’hypothèse la plus probable. L’agresseur s’est acharné sur sa victime, sans doute dans le but de vous compliquer la tâche.

— Espérons qu’il n’a pas complètement réussi son coup !

Les deux policiers s’engouffrent dans la voiture, direction le commissariat. Ils font équipe depuis plus de dix ans maintenant et, tel un vieux couple, se comprennent souvent sans avoir besoin d’échanger le moindre mot.

— Qu’en penses-tu ? demande pourtant Sylvain, rompant le silence.

Manu, pris d’une quinte de toux, ne parvient pas à articuler. Pour l’instant, son unique préoccupation consiste à reprendre son souffle. De plus, la vue du cadavre le perturbe énormément. La manière dont l’agresseur s’est attaché à effacer toute trace d’identification promet une enquête pour le moins difficile à résoudre.

— Espérons que quelque signe distinctif permette au légiste de nous donner un début de piste ! parvient-il à lâcher.

— On va tenter de recueillir les témoignages des voisins les plus proches mais dans ce no man’s land cela risque d’être mission impossible.

— Il doit bien avoir d’autres clochards susceptibles de l’avoir croisé dans un quelconque recoin de la ville.

— Sauf s’il a été déposé ici, mais n’est pas forcément originaire de la région.

— En tous cas, SDF ou pas, on traitera cette affaire de la même manière que les autres. On doit arriver à débusquer le meurtrier coûte que coûte.

Voilà ce que Sylvain souhaitait entendre. Jamais déçu par Manu depuis qu’ils bossent ensemble. C’est un homme de parole, un flic à l’ancienne, un solitaire complètement investi dans son travail. À quarante-deux ans, après plus d’une cinquantaine d’affaires résolues, une petite dizaine classée sans suite, sa fougue de justice ne l’a jamais abandonné. C’est là-dessus aussi qu’ils se rejoignent. Dans cette satisfaction du travail accompli malgré les aléas, les moments de doute, les atrocités ou les marques de désespoir auxquels ils sont quotidiennement confrontés. Le principal reste de mener le coupable à répondre de ses crimes.