Bouillon de minuit au Conquet - Christophe Chaplais - E-Book

Bouillon de minuit au Conquet E-Book

Christophe Chaplais

0,0

Beschreibung

Arsène Barbaluc a changé de vie. Il a quitté son costume d’inspecteur gastronomique pour un tablier de restaurateur. Avec sa compagne Magali, il a ouvert L’Assiette du terroir à Brest. Cette nouvelle vie s’annonçait sous les meilleurs auspices, jusqu’à ce que leur ami et associé David Abilène soit accusé de plusieurs meurtres, dont celui de son ex-femme. Même si tout est contre son ami, Arsène Barbaluc n’hésitera pas à mener sa propre enquête. Grâce à ses méthodes peu orthodoxes, son entêtement et sa mauvaise foi habituelle, Arsène Barbaluc réussira à démêler le vrai du faux.
Le premier opus de cette nouvelle série des enquêtes d’Arsène Barbaluc a pour décor le Finistère Nord et tout particulièrement, Brest, Le Conquet et la côte des Légendes.


À PROPOS DE L'AUTEUR


Christophe Chaplais, né en 1965, partage son temps libre entre la Bretagne et la côte catalane. Après plusieurs années d’absence, il reprend les enquêtes d’Arsène Barbaluc, son héros favori, qui allie gastronomie et affaires criminelles. Intrigue aux petits oignons, personnages à la sauce aigre-douce, rebondissements entre la poire et le fromage… Rien de tel pour vous concocter des suspenses qui ne manquent pas de piment.

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern
Kindle™-E-Readern
(für ausgewählte Pakete)

Seitenzahl: 295

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Couverture

Page de titre

À Roselyne

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I POMMES D’AMOUR ET SABAYON DE CHAMPAGNE

En ce début de matinée, les quais à Brest étaient encore calmes. La journaliste du Télégramme, dos aux bateaux, examina avec attention les devantures. Sur sa gauche, le Kensington ne pouvait renier ses racines écossaises ou irlandaises avec ses baies vitrées à petits carreaux et ses larges panneaux en bois vert bouteille annonçant ses spécialités. Dans son prolongement, L’Assiette du terroir s’affichait en jaune vif avec de belles lettres à l’ancienne. L’établissement promettait une balade gastronomique à la découverte des provinces françaises. Avec son portable, elle prit plusieurs clichés et après les avoir vérifiés, satisfaite, elle se dirigea vers le pub.

En passant la porte, elle se crut transportée en un clin d’œil dans un pub de Glasgow, d’Aberdeen ou de Cork. Le fond était occupé par un très long comptoir où une douzaine de tireuses à bière trônaient devant une exposition impressionnante de bouteilles. De chaque côté, deux panneaux acajou listaient les nombreux whiskys et les bières à la disposition des clients. Sur les murs, le bois était partout, réchauffant l’atmosphère. De vieilles affiches, d’anciennes plaques de métal publicitaires, des tableaux, des photographies ainsi que des maillots de rugby se pressaient sur les parois. Le visiteur avait le choix entre de longues tablées et des box plus intimes. La musique folk irlandaise, distillée en sourdine à cette heure matinale, finissait d’habiller le lieu.

Un homme de grande taille et aux larges épaules s’avança vers la journaliste, tendant une main avec des bagues à chaque doigt. La petite cinquantaine, le crâne rasé, il arborait un large sourire au creux d’une belle et grande barbe rousse taillée avec soin.

— David Abilène, se présenta-t-il. Soyez la bienvenue au Kensington.

La voix était grave et chaleureuse.

— Anne Le Cloec, du Télégramme de Brest.

— Si vous me le permettez, je vous précède.

La journaliste suivit le géant avec son pantalon écossais, sa chemise noire aux manches retroussées laissant apparaître deux avant-bras musclés, couverts de tatouages. « So british, so rock and roll », pensa-t-elle. Il la fit passer par une petite porte, puis ils se retrouvèrent dans une vaste pièce où de larges fauteuils et des canapés club en cuir marron étaient rassemblés autour de petites tables basses. L’ambiance était plus calme, plus feutrée. Deux femmes et un homme l’attendaient presque au garde-à-vous.

— Je vous présente Magali Krommel, son mari Arsène Barbaluc et mon épouse Éva Archambaud. Je peux vous proposer quelque chose : café, thé… whisky, bière.

— C’est un peu tôt pour de l’alcool, s’amusa la journaliste. Mais un café avec plaisir.

— Johan ! Quatre cafés, s’il te plaît.

Un jeune homme aussi grand que mince s’exécuta.

— Installez-vous, je vous en prie.

— Alors, expliquez-moi votre concept, attaqua sans attendre Anne Le Cloec. Je dois dire que je m’y perds un peu.

— C’est vrai que de prime abord cela peut paraître un peu compliqué, s’amusa Magali Krommel.

Grande, élancée, deux yeux vert scintillant, un visage aux traits particulièrement fins encadré par des cheveux blonds mi-longs, elle se cala dans son fauteuil avant de poursuivre.

— En fait, nous proposons, sur un même site, cinq lieux, cinq univers totalement différents. Vous avez le pub, où David vous a accueillie, où dans la journée on peut consommer les mêmes produits que dans n’importe quel autre bar et qui le soir devient un lieu plus festif qui programme régulièrement des groupes de rock et de musiques celtes, bretonnes, mais aussi irlandaises ou britanniques.

— La particularité, c’est notre carte, avec une centaine de bières différentes et un nombre équivalent de whiskys. Nous avons de grands classiques écossais, irlandais, mais aussi d’autres en provenance du Japon, de Nouvelle-Zélande ou encore de France, précisa David Abilène.

— Pour les amoureux de whisky, il y a cet espace où nous nous trouvons actuellement, qui se veut plus calme, plus soft, reprit Magali Krommel. Dans le prolongement, nous avons le salon de thé. Éva, peux-tu en dire un peu plus ?

La petite brunette se racla la gorge. Timide, d’une voix mal assurée, elle expliqua que ce salon de thé, ou bar à thé et à café, avait pour vocation, lui aussi, de présenter une palette très large et très complète de ces breuvages.

— Chaque thé, pour développer tous ses arômes, doit se préparer suivant des règles bien établies et nous les respectons scrupuleusement. Il en va de même pour les cafés et les chocolats que nous avons à notre carte.

La journaliste posa son stylo, avec lequel elle avait déjà noirci plusieurs pages de son carnet, et trempa ses lèvres dans son café, qu’elle trouva particulièrement savoureux.

— Et L’Assiette du terroir ? demanda-t-elle.

— Arsène, tu veux répondre ?

— Non, non, continue, tu es parfaite, assura celui-ci en décochant un large sourire à sa compagne.

— L’idée de départ est que nous avons la chance en France de posséder un patrimoine gastronomique unique. Chaque région, presque chaque ville a ses spécialités culinaires. Notre carte propose une quinzaine d’assiettes régionales : l’Armoricaine, la Bretonne, la Catalane, la Dauphinoise, la Lyonnaise, la Gersoise, l’Auvergnate, la Provençale… Chacune est composée de vraies spécialités locales, y compris pour le fromage et, si le client le souhaite, accompagnée d’un vin de la région en question.

— L’important, c’est la qualité et l’authenticité, prolongea Arsène Barbaluc. Nous ne servons pas de produits issus de l’industrie. Nous nous fournissons exclusivement chez de petits producteurs que nous connaissons. Il en va de même pour l’accompagnement. Les légumes sont de saison et nous nous tournons vers des producteurs locaux qui ont fait le choix du bio ou de la production raisonnée.

— Et puis, il y a l’épicerie, ajouta Éva Archambaud de sa petite voix.

— C’est-à-dire ?

— Eh bien, tout ce que vous consommez dans notre établissement, et d’autres produits, vous pouvez l’acheter dans notre épicerie, expliqua Arsène Barbaluc. Que ce soient les whiskys et les bières de David, les thés et les cafés d’Éva ou ce qui est à la carte de L’Assiette du terroir. Venez, nous allons vous faire visiter !

Alors qu’ils étaient debout dans l’épicerie, Anne Le Cloec s’étonna de la richesse des rayons. Laissant filer ses doigts sur les bouteilles d’huile de noix, de noisette, d’olive, sur celles de vinaigre de banyuls, de cidre, balsamique… Un peu plus loin, elle s’arrêta devant la banque réfrigérée ou du jésus de Lyon, des boudins blancs et noirs catalans, des poissons fumés, de la soubressade, du chorizo, un saucisson de sanglier aux noisettes, des rillettes de maquereaux, du jambon noir du Pays basque… attendaient le client. Il en allait de même pour les fromages ou plus d’une trentaine de variétés étaient présentées à la vente.

— Cela ne doit pas être simple à gérer.

Magali Krommel éclata de rire.

— Ça, c’est le rayon d’Arsène.

— C’est vrai ! Comme nous ne nous adressons qu’à de petits producteurs locaux, il nous arrive parfois d’être en rupture de stock et de manquer de telle ou telle marchandise. L’approvisionnement est un véritable casse-tête.

— Vous les connaissez tous ?

— Tous sans exception. Certains depuis très longtemps. Une semaine par mois environ, je suis sur la route pour découvrir de nouveaux produits, de nouveaux artisans de génie qui, tels des alchimistes de la cuisine nous offrent de nouveaux goûts, de nouvelles saveurs. Si nous considérons que le produit correspond à nos critères, nous l’intégrons dans notre carte.

— Mais comment des gens comme vous, qui ont un parcours professionnel d’exception, décident du jour au lendemain de changer de vie ?

— Certes, nous avons changé de vie, mais nous sommes restés dans le même univers. Éva est depuis longtemps considérée en France comme une spécialiste du thé et du café, tout comme David pour le whisky et la bière. Ils ont conseillé les plus grands dans leur domaine. David et Arsène se connaissent depuis plus de vingt ans. Et chacun de notre côté, nous réfléchissions à changer de vie. C’est comme cela que le projet est né.

— Mais vous-même, vous étiez une chef étoilée… insista la journaliste.

— C’est vrai, reprit Magali Krommel. Mais nous étions tous à des moments charnières de notre vie, tant personnelle que professionnelle. Pour moi, la course aux étoiles ou aux fourchettes, la pression qui l’accompagne ne m’attirait plus. Il y avait une sorte de lassitude.

— Et vous, monsieur Barbaluc ? Comment passe-t-on de l’autre côté de la barrière ?

— J’ai été très heureux en tant qu’inspecteur gastronomique. Mais ces dernières années, je tournais en rond. Il m’était de plus en plus difficile de prendre la route pour faire mes inspections… Il était temps de changer.

— Maintenant que vous avez sauté le pas, vous ne craignez pas les critiques de vos anciens collègues à quelques jours de l’ouverture ?

— Si nécessairement, mais c’est le jeu. Et puis, ce que nous revendiquons, c’est la qualité et l’authenticité de nos produits et sur ce point nous ne craignons personne. D’ailleurs, pour chacun de leurs achats, nous communiquons à nos clients leur provenance exacte et les coordonnées du producteur afin qu’ils puissent passer leurs propres commandes en direct.

— C’est un peu scier la branche sur laquelle vous êtes installé, non ?

— Je ne sais pas. Mais la transparence que nous devons à nos clients est à ce prix. Il faut être logique avec nous-mêmes. Tous les quatre, nous prônons les mêmes valeurs depuis des années, alors si nous n’allons pas au bout de notre démarche, nous nous mentirions.

— Mais pourquoi avoir choisi de vous installer à Brest ?

— Nous ne voulions pas rester dans le béton parisien, nous avions envie d’un lieu de vie plus agréable, expliqua Magali Krommel. C’est David qui a eu l’idée de venir ici.

— Je crois que vous avez passé votre jeunesse à Brest ?

— C’est exact. Je suis né ici et j’y suis resté jusqu’à ce que mon métier m’éloigne de Brest et de la Bretagne. Alors quand notre projet a pris corps, pour moi, c’est devenu comme une évidence. Et tout le monde a été enthousiaste.

— Vous-même, monsieur Barbaluc, vous connaissez bien la région.

— J’y ai mené de nombreuses inspections pour le compte du guide Le Gastronome français. C’est une région qui nous a toujours plu, à Magali et à moi, alors quand David nous a dit qu’il y avait un local susceptible d’accueillir notre projet sur les quais de Brest, nous n’avons pas hésité longtemps.

— Vous avez aussi été mêlé à plusieurs enquêtes criminelles dans la région, où vous avez, me semble-t-il, apporté un concours non négligeable aux autorités.

— C’est vrai, mais tout cela est de l’histoire ancienne.

II PIÈCE MONTÉE VANILLE ET CITRON

Les résultats dépassèrent toutes leurs espérances. Les quatre associés n’auraient jamais imaginé, même dans leurs rêves les plus fous, un tel succès. Ils avaient ouvert en juin. La saison estivale avait été particulièrement bonne et, en quelques mois, ils avaient déjà pris une large avance sur leur prévisionnel de chiffres d’affaires. Que ce soit le Kensington ou L’Assiette du terroir, ils ne désemplissaient pas. En proposant sur un même lieu des univers aussi différents, ils balayaient une clientèle très large. Les jeunes venaient s’amuser au pub, tandis que les hommes d’affaires se retrouvaient au bar à whiskys. La clientèle du salon de thé était plus calme alors que le restaurant accueillait le midi les Brestois travaillant dans le quartier. Le soir, l’ambiance devenait plus familiale. On venait aussi dîner entre amis et parfois on poursuivait la soirée au Kensington. L’accueil par la presse locale fut des meilleurs. La personnalité et le passé des quatre créateurs leur valurent aussi les honneurs de quelques médias nationaux ou spécialisés.

Magali et Arsène Barbaluc étaient ravis de leur nouvelle vie. Ils avaient quitté Paris pour la Bretagne avec bonheur. Ils travaillaient ensemble, ne se quittant que lorsque Arsène partait à la recherche de nouveaux produits. Arsène s’occupait de la gestion et, lors du coup de feu, servait en salle. Il venait aussi parfois en renfort à l’épicerie. Il adorait « jouer au marchand », comme il disait. Le couple avait acheté une jolie maison en pierre sur la côte à la sortie de Porspoder en direction de Lanildut. Il ne se lassait pas du paysage unique qu’il avait devant les yeux. La mer d’Iroise et ses reflets changeants, le phare du Four et ses éclats protecteurs, sans oublier Ouessant à l’horizon, qui parfois acceptait qu’on la devine. De la baie vitrée du salon, il apercevait les rochers de Mouzou Vraz. À marée basse, ils donnaient l’impression qu’un énorme dragon s’était endormi sous l’eau et que seules ses dorsales apparaissaient. Quand la tempête faisait rage, le spectacle était tout simplement fabuleux. Pas un jour, pas une minute, ils n’avaient regretté leur appartement parisien.

Ce matin-là, en démarrant sa vieille Opel Commodore, Arsène Barbaluc se dit qu’il n’avait peut-être jamais été aussi heureux dans sa vie. Tenant son blouson en jean au-dessus de sa tête pour se protéger des giboulées de mars fidèles à leur rendez-vous annuel, Magali se précipita dans la voiture. Magali, sans qui le bonheur n’aurait jamais existé. Il s’amusa à faire déraper le coupé sur les gravillons, s’attirant les foudres de sa passagère.

— On pourrait quand même acheter une voiture plus moderne.

— Mais on en a déjà trois dans le garage, s’étonna Arsène Barbaluc.

— Mais elles n’ont plus d’âge !

— Et alors ? Elles sont en parfait état et ne tombent presque jamais en panne. Et puis, excuse-moi, elles ont une autre gueule que les boîtes à chaussures aérodynamiques dessinées par ordinateur d’aujourd’hui. Tu nous vois rouler dans un SUV lourd et pataud qui ne va jamais sur un chemin de terre ?

— Je ne sais pas, mais il me semble que les voitures modernes sont plus confortables, avec un chauffage qui est efficace en quelques minutes et dont les vitres ne sont pas embuées à la moindre pluie.

Pour toute réponse, Arsène Barbaluc tripota une tirette et poussa la soufflerie à fond.

*

— Patron, vous vous souvenez de Sasha Haute-combe ? les accueillit Johan, l’un des serveurs qui avait fait l’ouverture du pub.

— Pour m’en souvenir, je m’en souviens.

— Eh bien, elle est morte, lui dit-il en lui tendant le journal du jour.

Magali et Arsène, comme à leur habitude, s’installèrent à une petite table. Ian, le double professionnel de Johan, leur servit un café. Ils étalèrent Le Télégramme de Brest devant eux. Le visage anguleux de la célèbre écrivaine les fixait de son regard noir sur quatre colonnes à la une sous le titre : « Sasha Hautecombe est morte. » En page intérieure, l’événement couvrait deux pages entières.

« Le corps de Sasha Hautecombe et celui de son mari ont été retrouvés hier soir sans vie à leur domicile du Conquet. C’est la femme de ménage, qui rapportait le linge dont elle avait la charge, qui a fait la macabre découverte. La gendarmerie a rapidement investi les lieux et, à l’heure où nous mettons sous presse, nous n’avons que peu d’information sur ce drame. Mais d’après nos sources, aucune piste n’est écartée par les enquêteurs. Tout le monde dans la région connaissait l’excentrique mais si sympathique écrivaine au succès mondial. Cette native du centre de la France avait découvert notre région avec ses parents lorsqu’elle n’était qu’une enfant. En effet, chaque été, elle passait avec eux ses vacances au Conquet. Dès ses premiers succès, la dame au chapeau, comme l’appelaient affectueusement ses voisins, avait choisi de s’installer définitivement dans le petit port finistérien. C’est au bureau de sa magnifique villa à la vue imprenable qu’elle a écrit les plus belles pages de son œuvre littéraire. N’oublions pas que, depuis presque trente ans, elle fait partie des auteurs français les plus lus au monde, que ses livres ont été traduits dans plus de vingt-cinq langues et que plusieurs de ses romans ont été portés à l’écran… »

— Pour David, ça va être un choc, murmura Magali.

— Johan ? Éva et David sont-ils arrivés ?

— Non, pas encore.

Arsène Barbaluc se souvint de la seule fois où il avait rencontré Sasha Hautecombe. C’était en novembre dernier. L’écrivaine à succès avait réservé le restaurant, mais aussi le pub, en exclusivité pour le dîner et la soirée à l’occasion de son quatrième mariage ! Cela leur avait fait une sacrée publicité. L’écrivaine n’avait pas choisi L’Assiette du terroir et le Kensington par hasard. David Abilène était son amour de jeunesse et avait été son premier mari. À cette découverte, Arsène Barbaluc en avait fait des tonnes et taquiné à l’excès son ami. Mais comme l’intéressé l’avait expliqué, c’était une erreur de jeunesse. Cela n’avait duré que quelques semaines. Ils avaient tous deux une vingtaine d’années et se connaissaient depuis qu’ils étaient adolescents. Ils s’étaient rencontrés au Conquet alors que celle qui allait devenir une célèbre écrivaine passait ses vacances avec ses parents et que lui-même passait ses journées d’été chez sa grand-mère. Ensemble, quelques années plus tard, ils étaient partis pour un séjour aux États-Unis. C’est à cette occasion qu’ils étaient tombés réellement amoureux l’un de l’autre. Ils avaient ponctué cette passion par un mariage express à Las Vegas. Mais d’après ce qu’avait compris Arsène Barbaluc, la jeune femme était plus amoureuse de David que l’inverse. Après quelques semaines d’une passion idyllique, de balade en Harley-Davidson, de soirées au casino et de nuits torrides, David avait eu du mal à accepter le caractère de sa jeune et charmante épouse. « J’avais l’impression d’étouffer », lui avait-il confié, le fameux soir où la noce battait son plein au Kensington. « Alors j’ai divorcé aussi vite que je m’étais marié », avait-il conclu. Sasha Hautecombe, de son vrai nom Pascale Vuibert, ne lui en avait d’ailleurs pas tenu rigueur puisqu’elle avait choisi son établissement pour son quatrième mariage, comme elle l’avait expliqué devant ses convives dans un petit discours d’accueil.

« Mes amis, je vous ai réunis aujourd’hui pour célébrer mon mariage avec Nicolas. Je tiens à remercier chaleureusement mon premier mari, David, et ses associés de nous recevoir chez eux. Je dois dire que le cadre est magnifique et que l’on m’a vanté la qualité aussi bien de la gastronomie que du service… Mais cela reste à ce moment de la soirée à vérifier. »

L’écrivaine avait agacé Arsène Barbaluc dès leur première entrevue. Il n’aimait pas le personnage. Son visage de fouine et ses yeux inquisiteurs le gênaient. Sans parler de sa manière de se comporter. Très sûre d’elle, elle n’avait pas arrêté de jouer les divas pour la composition du menu. Magali lui avait préparé et fait déguster au préalable des spécialités qui lui avaient permis d’acquérir les fameuses fourchettes du guide Le Gastronome français dans sa vie précédente, mais Sasha Hautecombe trouvait toujours quelque chose à redire. Barbaluc était étonné et épaté de la patience de sa compagne. Un soir qu’il lui en faisait la remarque, elle lui répondit que c’était Sasha Hautecombe.

— Ce n’est pas une raison pour se prendre pour la reine d’Angleterre et emmerder son monde comme elle le fait, s’était-il emporté. En plus, elle joue la connaisseuse et elle ne fait même pas la différence entre un bourgogne et un bordeaux.

— Peut-être, mais c’est une des écrivaines les plus connues de France et son aura dépasse largement les frontières de l’Hexagone. Elle est l’une des seules à savoir écrire sur les femmes, sur leurs problèmes, sur leur manière de penser. Je t’assure que ses livres sont magnifiques.

— Peut-être, sûrement même, si tu le dis, mais ce n’est pas une raison pour se comporter comme une enfant gâtée.

— En plus, cela nous fait une belle publicité.

Arsène Barbaluc ne trouva rien à répliquer. Sa compagne avait raison et il le savait. Il avait fallu encore plusieurs séances de dégustation avant finalement de se mettre d’accord sur le menu, sur les vins et sur la disposition des tables.

Sasha Hautecombe avait débarqué le jour de son mariage dans une voluptueuse robe noire, perchée sur de hauts talons.

— Pour toutes les femmes, le mariage, c’est la fin d’une certaine liberté. Le début d’un deuil, puisqu’il leur faut, à partir de ce jour, partager leur vie et leur intimité avec celui qu’elles ont choisi, avait-elle expliqué à Magali, qui l’avait accueillie sur le seuil du restaurant et qui s’étonnait de la couleur de sa tenue.

— Si c’est tellement insupportable, il vaut mieux ne pas se marier, lui avait rétorqué, acide, Arsène Barbaluc.

— Voilà bien l’avis d’un primate dégénéré, avait répondu Sasha Hautecombe en souriant. Les hommes sont prêts à assouvir leurs désirs sexuels de toutes les manières. Moi, je suis une femme qui ne s’est jamais donnée hors du mariage. Alors certes, je célèbre ma quatrième union, mais je suis restée fidèle à chacun de mes maris sans jamais m’écarter des promesses et des serments que j’avais faits. Je ne suis pas certaine que beaucoup d’hommes présents aujourd’hui puissent en dire autant.

L’assemblée avait éclaté de rire. Contente de son effet, l’auteure s’était retournée vers Arsène Barbaluc.

— David m’avait dit que vous étiez un vieux bougon, cela se vérifie, mais que vous étiez aussi un brave homme, cela reste à voir.

Et sans plus de cérémonie, elle l’avait embrassé avec fougue sur la bouche, avant de le laisser tout pantois et de rejoindre ses invités. Machinalement, il s’était essuyé la bouche. Il se souvenait s’être dit à ce moment-là que son haleine sentait les médicaments et aussi qu’il devait s’agir d’antidépresseurs.

— Toutes les stars en prennent, avait-il chuchoté à Magali avec sa mauvaise foi habituelle. Comment David avait-il pu tomber un jour amoureux d’une telle femme ?

Dans sa mémoire, le reste de la soirée s’était déroulé sans encombre. Il y avait eu une franche rigolade au moment des toasts, quand la mariée avait fait lever chacun de ses ex-maris, tous invités et tous présents.

— Je vous demande de les applaudir. Car, au-delà de m’avoir supportée, ils m’ont donné la matière pour écrire mes nombreux romans. Il y eut d’abord David Abilène, qui nous accueille aujourd’hui au Kensington. Il a été mon premier amour. Le seul d’ailleurs qui m’ait plaquée. Je lui en ai longtemps voulu, avant de le remercier. En effet, sans lui, je serais devenue médecin, comme on m’avait programmée, et non pas écrivaine. C’est le chagrin qu’il m’a donné qui a nourri la plume de mon premier roman. Et je l’en remercie depuis un peu plus chaque jour.

David Abilène était rouge comme un coq et se tenait maladroitement devant la reine de la soirée. Elle présenta ensuite Bernard Borvan, soit son deuxième mari. Un homme qui avait déjà dépassé les soixante-quinze ans se leva et se courba devant la mariée.

— Il est beaucoup plus vieux qu’elle, murmura Magali à l’oreille d’Arsène.

— Ben, nous aussi, on a une différence d’âge. À ma connaissance, cela ne t’a jamais gênée ?

— Une dizaine d’années, ce n’est pas un quart de siècle.

Il y eut ensuite Jocelyn Marcellien, le troisième homme de Sasha Hautecombe, comme elle le présenta elle-même. Une sorte d’ectoplasme au visage maladif, aux cheveux longs et sales, qui passait plus de temps à l’extérieur à griller cigarette sur cigarette qu’à l’intérieur. De ce que comprit Barbaluc, il était le traducteur attitré de Sasha Hautecombe pour la langue de Shakespeare. Elle était restée six ans avec lui.

— Et maintenant, il y a Nicolas, dit-elle avec des yeux brillants de plaisir.

Une rumeur d’approbation courut parmi les convives. Le jeune homme d’une vingtaine d’années assis à côté d’elle déposa sur sa joue un tendre baiser.

— Elle l’a rencontré dans un magasin de fringues, avait expliqué David Abilène à Arsène Barbaluc. Elle a eu le coup de foudre.

— Je n’arrive vraiment pas à t’imaginer avec une femme comme elle, lâcha pensivement le patron de L’Assiette du terroir.

— Tu sais, Arsène, là, Sasha est en représentation, elle joue un rôle. Oui, elle est excentrique, oui, elle est particulière, oui, c’est une personne tyrannique et qui peut parfois être déplaisante, mais au fond, c’est une femme qui a toujours été très seule et qui est profondément généreuse.

Arsène Barbaluc afficha une moue dubitative. Il allait répliquer que lui la trouvait surtout insupportable, lorsque la mariée reprit la parole.

— Vous vous dites que le monde de Sasha est un univers idéal où, à la différence de la majorité de ses contemporaines, elle est capable de s’entendre avec ses anciens maris. C’est vrai, mais s’ils sont ici, c’est qu’il y a une raison. Comme je vous le disais précédemment, je suis devenue ce que je suis, grâce à eux. Ils ont été eux-mêmes et les tranches de vie que j’ai partagées avec chacun d’entre eux une source d’inspiration très importante. Sans nos relations, Sasha Hautecombe l’écrivaine n’aurait jamais existé. Qu’ils en soient remerciés, finit-elle sa tirade en envoyant à chacun un baiser soulevant les applaudissements.

— Mais il y a une autre raison à leur présence, assura-t-elle en affichant un sourire carnassier.

Aujourd’hui, pour mes ex, comme on dit, est un jour funeste. J’ai toujours déclaré que, pour les raisons déjà évoquées, à ma mort, ceux qui seraient encore vivants se partageraient mon héritage, leur part baisse donc aujourd’hui un peu plus. Mais qu’ils soient rassurés. Comme je suis une femme économe, ils toucheront tout de même un joli pactole… mais pas tout de suite ! C’est une bonne raison pour ne pas fâcher Sasha Hautecombe et être présent quand elle vous invite, ne croyez-vous pas ?

Il y eut quelques secondes d’un silence malsain, avant que la cinquantaine d’invités n’éclate de rire.

L’auteure avait également rendu hommage à son éditrice, Marie-Josée Polanquard, et à son équipe. Une femme imposante par ses rondeurs, habillée d’un pantalon informe et d’un chemisier à fleurs datant des années soixante-dix, lui avait rendu son salut. La soixantaine, son visage chaussé d’énormes lunettes était remarquable par d’impressionnantes bajoues. Ses cheveux très fins étaient retenus par un étrange serre-tête violet surmonté d’une sorte de papillon mordoré. Son côté négligé tranchait avec le style BCBG de ses deux adjoints : une jeune femme en tailleur gris aussi stricte que son visage de porcelaine et un homme d’une quarantaine d’années tout de cuir vêtu avec des pattes taillées en pointe qui lui mangeaient les joues. Ces trois-là passèrent leur soirée avec un petit groupe de personnes que Barbaluc considéra comme appartenant au milieu littéraire branché parisien.

Plus les heures passaient, l’alcool aidant, plus Sasha Hautecombe s’était humanisée. À deux reprises, elle avait échangé avec Arsène Barbaluc, qui avait découvert une femme plus fragile qu’elle ne le laissait voir et surtout un puits de culture.

— Vous voyez, monsieur Barbaluc, un roman c’est comme un plat. Pour être réussi, il doit absolument raconter une histoire, créer et dégager une atmosphère. Si ce n’est qu’une succession d’états d’âme, cela ne marchera pas longtemps. Vous ne réussirez pas à embarquer votre lecteur.

— Pour un livre, je ne sais pas, mais pour un plat, j’en suis convaincu.

Elle laissa errer son regard sur la carte de L’Assiette du terroir.

— Alors, monsieur Barbaluc, quelle histoire me raconterez-vous avec l’assiette catalane, par exemple ?

L’ancien inspecteur gastronomique sourit.

— Cette assiette, si elle est réussie, doit vous faire voyager au soleil. Le boudin blanc de montagne vous promène sur les contreforts des Pyrénées par une douce matinée d’été à l’ombre des chênes-lièges. Un endroit discret, tout en nuances. En contrebas, vous apercevez la mer. Le fouet, un peu plus corsé, rappelle la châtaigne et vous engage à descendre vers le littoral. La puissance des épices de la soubressade et le goût fort des anchois vous réveillent. Ce mélange terre-mer vous fait découvrir tous les contrastes du Pays catalan. Il ressemble à un déjeuner entre amis où l’on parle haut et fort. Le tupi, fromage de chèvre dont la fermentation s’accompagne d’eau-de-vie, vous convie ensuite à une sieste au bord de l’eau, ou sous une pinède. Si en plus vous avez arrosé le tout d’un bon collioure rouge ou rosé, vous ferez des rêves ensoleillés. En ajoutant un peu de chocolat noir avec un vieux banyuls, je ne vous raconte même pas.

Sasha Hautecombe applaudit en silence.

— Je reviendrai vous voir, monsieur Barbaluc, vous n’avez pas votre pareil pour provoquer la gourmandise. Je crois que j’aurai besoin de quelques leçons pour apprivoiser la nourriture. Toute ma vie je me suis nourrie, mais je ne me suis jamais régalée.

— C’est dommage ! Bien manger, découvrir de nouveaux mets, de nouveaux plats, c’est un bonheur.

— Je vous rendrai visite, répéta-t-elle.

Arsène Barbaluc regarda s’éloigner la frêle silhouette perchée haut sur ses talons. « Elle ne doit pas beaucoup manger », songea-t-il. Sa maigreur lui paraissait excessive.

Avant de s’éclipser, avec son jeune époux, Sasha Hautecombe fit le tour de l’équipe, les remercia chaleureusement et laissa des pourboires plus que généreux à chaque membre des équipes de L’Assiette du terroir et du Kensington.

— Mes chers amis, je vous remercie de nouveau d’avoir été avec nous en ce jour si particulier, si important pour Nicolas et moi. Je vous invite à continuer à faire la fête jusqu’au bout de la nuit. Vous nous excuserez de vous quitter, mais j’ai sept ans de chasteté à rattraper, scanda-t-elle dans une ultime provocation.

C’est Magali qui le tira de ses souvenirs en lui agitant le bras.

— Tu dors, s’inquiéta-t-elle.

— Non, je me remémorais le mariage de Sasha Hautecombe.

— Sors de ta rêverie. Le pub est plein de journalistes.

— Qu’est-ce qu’ils veulent ?

— Ils disent que David a été arrêté par la police.

— Arrêté ?

— Pour le meurtre de Sasha Hautecombe et de son mari.

III BŒUF À LA FICELLE SAUCE ÉCOSSAISE

Arsène Barbaluc avait dû faire face aux journalistes qui voulaient les interroger sur David Abilène et ses relations avec la victime.

— Stop ! avait finalement crié le patron de L’Assiette du terroir. Nous ne répondrons à aucune de vos questions. Nous ne savions même pas que David avait été arrêté, c’est vous qui nous l’apprenez. Alors nous n’avons rien à vous dire, si ce n’est que je connais David Abilène depuis de très longues années, et je ne crois pas une seule seconde à sa culpabilité.

Magali de son côté avait essayé de joindre Éva, l’épouse de David. En vain. À chaque appel, elle basculait sur son répondeur. Une fois débarrassé de la presse, Arsène Barbaluc rassembla son équipe ainsi que celle du Kensington et du salon de thé-café.

— Il s’est manifestement déroulé un drame. La police semble penser que David a quelque chose à voir avec la mort de madame Hautecombe. Nous allons donc devoir très certainement répondre aux questions des enquêteurs, mais ce n’est pas un problème. Nous n’avons rien à cacher, et David non plus, j’en suis certain. Mais le temps que ce malentendu se dissipe, nous allons devoir faire face aussi aux simples badauds, dont la curiosité est sans bornes quand ils sentent l’odeur du drame et du sang. Il est donc impératif que nous nous serrions les coudes. Ma consigne est simple, nous ne parlons ni de David ni de cette affaire à quiconque.

— On reste ouvert, Patron ? demanda Demba, l’un des serveurs du Kensington qui travaillait en général en soirée.

Il est vrai que son calme et sa carrure avaient été une aide appréciable les quelques fois où il avait été nécessaire de montrer le chemin de la sortie à des clients passablement énervés après une consommation d’alcool excessive.

— Bien sûr ! C’est notre manière d’apporter notre soutien à David et à Éva. Et je vous le rappelle, en France, tant que vous n’êtes pas jugé coupable, vous êtes innocent. La présomption d’innocence est même l’un des piliers de notre justice.

— De toutes les manières, ce ne peut être qu’une erreur. David ne serait pas capable de faire du mal à une mouche, affirma avec force la petite Gwenn.

Un murmure d’approbation parcourut le groupe.

Pendant que Magali réorganisait les équipes pour assurer les différents services, Arsène Barbaluc fila chez Éva et David. À Lampaul-Ploudalmézeau, il prit une petite route encaissée entre deux talus envahis de fougères. Par intermittence, il apercevait les plages des Trois Moutons, puis celle de Coulouarn. Enfin, il découvrit les véhicules de gendarmerie stationnés devant la maison de ses amis. Un militaire lui fit signe de passer son chemin. Il baissa sa vitre.

— Il faut circuler, Monsieur !

— Je suis l’ami et l’associé de David Abilène et de son épouse, tenta-t-il d’expliquer.

— Certainement, mais vous ne pouvez pas rester ici. Monsieur et madame Abilène ont été transférés et ils ne rentreront pas de la journée. Il ne sert donc à rien de les attendre ici. De plus, c’est une zone d’enquête criminelle.

— Vous pouvez tout de même me dire de quoi il retourne ?

— Je ne peux rien vous dire, si ce n’est que votre associé est dans de sales draps.

La gendarmerie appela le Kensington dans l’après-midi. C’est Magali qui prit l’appel téléphonique. Éva Archambaud allait être remise en liberté et l’officier demandait si quelqu’un pouvait l’accueillir pour quelques jours.

— Le temps que les investigations à son domicile soient terminées, vous comprenez ?

— Bien sûr. Elle logera chez moi à Porspoder.

Éva Archambaud débarqua à L’Assiette du terroir en début de soirée. Le policier qui la déposa eut l’intelligence de passer par la porte arrière pour plus de discrétion. La femme de David Abilène avait une mine défaite. Ses yeux étaient rougis par les larmes. Elle s’installa à l’étage dans le local administratif. Elle ne voulut rien manger. Nolwen, qui la secondait au salon de thé, lui apporta une tasse de son thé préféré. En bas, c’était le coup de feu au restaurant et les nuiteux commençaient à investir le Kensington. Nombreux furent ceux qui questionnèrent le personnel au sujet de l’arrestation du patron du pub, mais ils se heurtèrent à un mur de silence poli. L’équipe était solidaire et ne compta ni ses efforts ni son temps pour que tout soit parfait et comme si rien ne s’était passé. Les derniers clients de L’Assiette du terroir partis, Arsène Barbaluc apporta son aide au Kensington. Ce n’est que peu après minuit que chacun put rejoindre ses pénates.

Arsène Barbaluc et Magali Krommel emmenèrent Éva. Durant tout le trajet, ils gardèrent le silence. Comme ils le craignaient, deux voitures de journalistes les attendaient devant chez eux. Les flashs crépitèrent.

— Allons, Messieurs ! Je vous en prie, laissez-nous rentrer chez nous. S’il vous plaît !

— Est-ce que la femme de David Abilène est avec vous ? Nous aimerions lui poser quelques questions ainsi qu’à vous-même.

— Il est tard, la journée a été fatigante pour tout le monde et nous aimerions pouvoir nous reposer.

— Oui, mais nous devons absolument vous poser quelques questions, insista l’un des journalistes. Vous comprenez, les gens ont le droit d’être informés. Je m’appelle François Piqueux, je représente plusieurs magazines parisiens…