Salade russe aux noix de Grenoble - Christophe Chaplais - E-Book

Salade russe aux noix de Grenoble E-Book

Christophe Chaplais

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Beschreibung

Notre célèbre inspecteur gastronomique enquête sur le meurtre d'un ami...

Arsène Barbaluc, inspecteur gastronomique, retourne à Saint-Hippolyte-en-Royans, une bourgade à l'ombre du Vercors, mais c'est, hélas, pour y enterrer un ami, l'adjudant de gendarmerie Laurentis qu'il a aidé à confondre un empoisonneur.
À la sortie du cimetière, un ami du défunt lui transmet un message de ce dernier, écrit la veille de sa mort. Laurentis y révèle qu'il se sait en danger et lui demande de démasquer ses assassins. Voilà donc une nouvelle enquête que se doit de mener à bien Barbaluc, homme d'honneur…

Dégustez le tome 5 des enquêtes gourmandes d'Arsène Barbaluc ! Un polar de Christophe Chaplais qui ne manque pas de piment !

EXTRAIT

Arsène Barbaluc dévisagea un instant cet étrange messager puis examina avec attention l’enveloppe kraft. Chevauchant le rabat et le corps de l’enveloppe, il reconnut la signature de son ami. Le tout était protégé par un bout de bande autocollante transparente. Personne ne l’avait donc ouverte. Avec émotion, il décacheta l’enveloppe. Il en extirpa trois chemises : l’une rouge, l’autre bleue et la dernière jaune, accompagnées d’une lettre manuscrite. Il reconnut immédiatement l’écriture.
« Mon cher Arsène,
Si tu lis cette lettre, c’est que tu viens de me porter en terre. Tu me connais, je n’aime pas beaucoup les épanchements ni la débauche de sentiments. Je ne ferai donc pas dans le mélodrame. J’ai bien vécu, j’ai été heureux, j’ai connu plein de petits et de grands bonheurs. Alors, que mes funérailles ne soient pas trop tristes. Il faut de la convivialité et des rires pour cacher la tristesse, la rendre acceptable. Je souhaite que cet au revoir se déroule sobrement et sans excès.
»
Il s’agissait bien de l’écriture penchée si caractéristique de son ami. Il leva les yeux sur Olivier Renaud. Avec ses bottes en cuir et sa veste noire au col relevé, il avait une allure décalée. Il lui tournait le dos comme pour le protéger d’un mal inconnu ou, plus simplement, le prévenir de l’approche d’un curieux.
« Mais ce n’est pas pour cela que j’ai décidé de t’écrire. Si j’ai pris la plume c’est pour te dire que je ne suis pas mort accidentellement, mais que j’ai été assassiné… »

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Le menu que nous propose l’auteur est aussi sympathique que savoureux. Il n’oublie pas de l’épicer avec une bonne dose de rebondissements et de surprises. Très agréable ! - Claude Le Nocher, Rayon Polar

Éditions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

L’histoire est sympathique, avec une description du milieu grenoblois. - Socrate, Sens Critique

À PROPOS DE L'AUTEUR

Christophe Chaplais s’y connaît en recettes. Moitié breton, moitié dauphinois, pleinement bon vivant. Il sait comme personne, toutes papilles en action, faire d’un plat une poésie goûteuse. Mais tout cela serait vain si la gastronomie n’était prétexte à affaire criminelle. Intrigue aux petits oignons, personnages à la sauce aigre-douce, rebondissements entre la poire et le fromage, voilà le secret du "chef" Chaplais pour vous concocter un suspense qui ne manque pas de piment.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près, ni de loin, avec la réalité, et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

REMERCIEMENTS

Je tiens à remercier tous ceux qui ont bien voulu jouer un rôle dans cette pure fiction et :

Olivier Renaud, Didier Migaud, Marc Mingat, Bernard David-Cavaz, Christophe Gontard, Marie-Pierre et Patrick Pugin, Denis, Joël, Nadine, Muriel, Jérôme N, Karine, Sandra, Aurélie, Valérie, Christine, Jérôme B, Stéphanie, Alain, Anny… ; mais aussi à Bruno Garcia pour m’avoir autorisé à utiliser le texte de sa chanson C’est toi qui sais.

Remerciements également à Pascale Budzyn et à Valérie.

ITERRINE FROIDE DE POULET

— Nous sommes tous aujourd’hui rassemblés, famille, amis, collègues de travail de la brigade de gendarmerie de Saint-Marcellin, pour accompagner Kiriakos Laurentis sur son chemin vers le Seigneur…

L’évocation du véritable prénom de l’adjudant Laurentis arracha un sourire fugitif au visage triste d’Arsène Barbaluc. Si le gendarme était fier de ses origines grecques, les moqueries de l’enfance l’avaient poussé à changer de prénom pour s’auto-baptiser Ludovic. Arsène était bien certain que peu, dans cette église, connaissaient le petit secret du gendarme.

— …Il était aimé de tous. Sa dureté au travail n’avait d’égale que sa douceur et sa générosité, poursuivait le prêtre.

Arsène Barbaluc laissa aller ses souvenirs. Cela ne faisait que quelques années qu’il connaissait Laurentis. Alors qu’il était en tournée d’inspection pour le guide Le gastronome français, il avait été mêlé à une sombre histoire d’empoisonnement et avait participé activement à l’enquête dirigée par l’adjudant Laurentis pour aider à démasquer l’assassin. De cette traque, une solide amitié était née entre l’inspecteur gastronomique et le gendarme.

— …Lui qui a si souvent risqué sa vie pour protéger les autres aura abandonné la sienne sur une petite route de campagne…

À la pensée de quelques week-ends mémorables, de moments passés autour d’une bonne table, au souvenir de la convivialité et de la jovialité du défunt, Arsène Barbaluc sentit sa gorge se nouer et une larme couler sur sa joue. Il entendait encore sa voix lorsqu’ils discutaient de leur passion commune : les vieilles guimbardes ; lui de son roadster anglais ; Barbaluc, de sa vieille Volvo. Combien de balades avaient-ils faites ensemble ? Il le revoyait avec son mètre quatre-vingt-dix et son quintal jouer comme un gros ours avec ses enfants… désormais grands. Discrètement, Arsène Barbaluc sortit un mouchoir pour essuyer ses yeux. Judith, sa compagne, lui serra la main.

— La mort n’est qu’un passage. Un passage vers la plénitude, vers notre Seigneur qui l’accueillera…

— Tu parles, murmura l’inspecteur gastronomique. La mort est une fin. Comment peut-on croire à de telles fadaises ?

La pression de Judith sur sa main se fit plus insistante. Pourquoi les églises sont-elles toujours tristes ? Un lieu de recueillement et de prière ne pourrait-il pas être plus chaleureux ? Seuls, les rayons du pâle soleil d’hiver à travers les vitraux apportaient un peu de couleur sur les murs gris de la petite église. Même la poussière sentait le chagrin. Arsène Barbaluc laissa vagabonder son regard sur l’assistance. Les hommes de Laurentis étaient là. Les notables et personnalités du canton aussi. Il y avait bien sûr ses amis, nombreux, notamment Josiane la propriétaire du bistrot du village et de “l’Hôtel du Vercors”, et Tardieu, le chef renommé du restaurant “La Queue d’écrevisse”. Un peu plus en retrait, triturant sa casquette entre ses doigts, il reconnut Julien, le visage buriné par le grand air. Sous sa tignasse grise, le brave homme avait du mal à dissimuler son émotion. Julien, le braconnier qui avait passé sa vie à jouer à cache-cache avec Laurentis et ses hommes. L’homme des bois, malin comme un renard, pouvait exaspérer le gendarme et lui faire perdre son temps pour des peccadilles. Malgré tout, ce dernier passait le plus souvent l’éponge. « Que veux-tu, quand il exagère, je lui colle un PV. Mais je ne vais pas passer mon temps à lui courir après pour quelques lièvres pris au collet ou quelques truites attrapées à la main ! Lui, au moins, les poissons qui ne font pas la maille, il les remet à la rivière. Je préfère brûler mon énergie à mettre hors d’état de nuire le mari qui bat sa femme, la petite frappe qui bouscule une personne âgée pour lui piquer son sac ou l’enfoiré qui deale de la came à la sortie d’un collège ou d’un lycée », avait-il avoué un jour à son ami, l’inspecteur gastronomique. À droite du braconnier, Raoul Blanc, chargé de l’entretien du cimetière, surveillé par sa pipelette de femme. Quelques rangs en arrière, le docteur Rousset…

La famille était rassemblée devant l’autel. Les deux enfants de Laurentis avaient le visage inondé de larmes. À côté d’eux, sa mère, petite bonne femme fluette, semblait si fragile dans ses habits noirs. De sa place, Arsène Barbaluc apercevait aussi Mathilde, l’épouse du gendarme, qui serrait sa fille contre elle.

Il fut frappé par l’impassibilité de son visage. Certes, il ne la connaissait pas aussi bien que son mari, mais il l’aurait crue plus sensible. Le visage fermé, le regard noir, elle paraissait si sèche, si absente.

Sur la place de Saint-Hippolyte-en-Royans, les platanes grelottaient sous le vent du nord qui agitait des guirlandes aux ampoules multicolores. Au loin, le massif du Vercors disparaissait derrière les nuages. Lorsque le cercueil, porté par six gendarmes, apparut sur le perron de l’église, quelques vieux sortirent du “Café des Sports” pour se joindre au cortège de ceux qui accompagnaient Laurentis à sa dernière demeure. Qui relevait son col, qui vissait son chapeau sur sa tête ou encore s’emmitouflait dans une échappe, pour échapper à la froidure de la bise.

— Dire que nous ne sommes qu’à quelques jours de Noël, chuchota Judith.

— Ça change quoi, que ce soit Noël ou Pâques ? Rien. Il n’y a pas de bonne date pour mourir, grogna Arsène Barbaluc en haussant les épaules.

— Je ne sais pas ! Noël c’est un moment particulier. Il ne répliqua pas. Le défunt était un homme du Sud, né de l’autre côté de la Méditerranée. Il avait partagé son enfance entre Oran et Port-Vendres, en terre catalane. Il aimait profondément cette côte rocheuse. Arsène Barbaluc était d’ailleurs surpris qu’il n’ait pas choisi de se faire enterrer au cimetière de « son cher petit port » comme il se plaisait à l’appeler. « À moins que ce ne soit Mathilde qui en ait décidé autrement. » Mais cela l’aurait étonné. Le couple Laurentis était très uni et il n’imaginait pas cette femme faisant fi des dernières volontés de son mari. Tardieu, le propriétaire du restaurant La Queue d’écrevisse, se glissa jusqu’à Arsène Barbaluc. Il embrassa Judith et étreignit avec force l’inspecteur gastronomique.

— Vous êtes arrivés tout juste.

— Tu sais, depuis Paris, c’est quand même six cents kilomètres.

— Surtout avec ta vieille “trapanelle” ! Rassure-moi, tu l’as toujours ?

— Quelle question ! Elle marche même de mieux en mieux.

— J’aurais préféré prendre le TGV, remarqua Judith, mais…

— Je préfère la voiture au train, coupa Arsène Barbaluc. Et ma Volvo a beau avoir près de quarante ans, elle ne m’a jamais lâché.

Un énorme soupir souleva la carcasse de Tardieu.

— Je ne pensais pas vous revoir dans de telles circonstances, assura-t-il.

— Comment cela lui est-il arrivé ?

— Tout près d’ici. Il suivait la petite route qui longe l’Isère, en direction de Saint-Marcellin. Il était en congé et en avait profité pour sortir sa vieille MG. Bref, il a raté un virage pour plonger dans l’Isère. Il a réussi à se dégager et à se traîner jusqu’à la berge. Mais il a dû y rester un moment avant qu’on le trouve. Il est mort peu de temps après son arrivée à l’hôpital. Heureusement qu’il n’avait pas un de ses gosses avec lui…

Tardieu se tamponna les yeux.

Le corbillard s’ébranla enfin. D’un pas lent, ils ne tardèrent pas à rejoindre le petit cimetière de Saint-Hippo-lyte-en-Royans. En silence, chacun s’approcha. La main d’Arsène Barbaluc tremblait quand il lâcha une poignée de terre sur le cercueil de son ami. Alors qu’il quittait le petit cimetière avec Judith, une main se posa sur son épaule.

— Excusez-moi, vous êtes Arsène Barbaluc ?

— Oui.

— Pourrais-je vous voir quelques minutes ? Seul à seul.

IIMILLE-FEUILLE SAUCE POULARDE

Habillé de couleur sombre, les cheveux mi-longs légèrement grisonnants, l’homme pouvait avoir une petite cinquantaine.

— Je m’appelle Olivier Renaud. Ludovic Laurentis m’avait demandé de vous remettre cette enveloppe.

— Laurentis ? s’étonna Arsène Barbaluc.

— Il me l’a remise la veille de sa mort.

— Il ne vous a rien dit d’autre ?

— Je crois que vous feriez mieux d’en prendre connaissance.

Arsène Barbaluc dévisagea un instant cet étrange messager puis examina avec attention l’enveloppe kraft. Chevauchant le rabat et le corps de l’enveloppe, il reconnut la signature de son ami. Le tout était protégé par un bout de bande autocollante transparente. Personne ne l’avait donc ouverte. Avec émotion, il décacheta l’enveloppe. Il en extirpa trois chemises : l’une rouge, l’autre bleue et la dernière jaune, accompagnées d’une lettre manuscrite. Il reconnut immédiatement l’écriture.

« Mon cher Arsène, Si tu lis cette lettre, c’est que tu viens de me porter en terre. Tu me connais, je n’aime pas beaucoup les épanchements ni la débauche de sentiments. Je ne ferai doncpas dans le mélodrame. J’ai bien vécu, j’ai été heureux, j’ai connu plein de petits et de grands bonheurs. Alors, que mes funérailles ne soient pas trop tristes. Il faut de la convivialité et des rires pour cacher la tristesse, la rendre acceptable. Je souhaite que cet au revoir se déroule sobrement et sans excès. »

Il s’agissait bien de l’écriture penchée si caractéristique de son ami. Il leva les yeux sur Olivier Renaud. Avec ses bottes en cuir et sa veste noire au col relevé, il avait une allure décalée. Il lui tournait le dos comme pour le protéger d’un mal inconnu ou, plus simplement, le prévenir de l’approche d’un curieux.

« Mais ce n’est pas pour cela que j’ai décidé de t’écrire. Si j’ai pris la plume c’est pour te dire que je ne suis pas mort accidentellement, mais que j’ai été assassiné… »

Une nouvelle fois, Barbaluc releva la tête et croisa le regard d’Olivier Renaud. Au loin, dans la foule de ceux qui quittaient le cimetière, il aperçut Judith, blottie sous un parapluie, en discussion avec Tardieu. Une dizaine de corbeaux s’abattirent en croassant sur les noyers tout proches.

« …Depuis quelques jours, j’essuie des tentatives répétées de meurtre. Par ailleurs, il y a peu, c’est un de mes jeunes collègues, Tanguy Lombard, qui a trouvé la mort. Tout comme les conclusions de l’enquête à son sujet, j’ai d’abord pensé qu’il s’agissait d’un accident. Aujourd’hui, je pense le contraire et je suis persuadé que sa mort et la mienne sont liées. Du coup, j’ai listél’ensemble des affaires sur lesquelles nous avons travaillé ensemble ces dernières semaines. Une seule me paraît suffisamment importante pour entraîner de telles conséquences. Elle s’est déroulée voilà quelques semaines. Au départ, un simple contrôle routier qui a mal tourné. Alors que nous étions en voiture avec Tanguy Lombard, nous avons contraint un automobiliste conduisant dangereusement à s’arrêter. Après une brève altercation, l’automobiliste nous a braqués avec son revolver puis il s’est encastré dans un mur au terme d’une courte poursuite. Si le passager a réussi à prendre la fuite, le conducteur, lui, est mort sur le coup. Dans le coffre, nous avons découvert une sacoche pleine de faux papiers : permis de conduire, passeports, cartes d’identité… Le chauffeur n’était autre que le frère de Pietro Bagnoregio qui, sous couvert de tenir une boutique de fringues appelée “Via Del Corso”, rue Paul Bert à Grenoble, est soupçonné de tremper dans l’immigration clandestine. Pour tout dire, le magasin semble même plutôt être la plaque tournante de l’organisation. Je suis persuadé que ce groupe de truands a décidé de nous supprimer, Lombard et moi. Je suppose que, lors de l’interpellation, nous avons vu ou entendu quelque chose que nous n’aurions pas dû. Ou alors Bagnoregio cherche à se venger de la mort de son frère, ce qui est peu probable. Les enjeux sont vraiment trop importants. Les patrons de Bagnoregio ne l’auraient pas laissé faire. Pour continuer leur petit trafic, ils ont besoin de tranquillité ; le risque d’attirer l’attention sur eux aurait été trop grand. Enfin, le marchand de fringues a pu aussi agir de sa propre initiative.

Le début d’enquête que j’ai mené sur cette affairelaisse de nombreuses zones d’ombre et je n’exclus pas une possible complicité, soit à l’intérieur même de la brigade, soit avec les membres d’autres services de police. C’est pour cela que j’ai choisi de ne rien dire et pourquoi j’ai décidé de faire appel à toi. Même si tu n’es pas un enquêteur professionnel, je t’ai vu à l’œuvre*. Je connais ta perspicacité et ton courage. J’en ai parlé aussi à Olivier Renaud, le porteur de cette lettre. C’est un ancien journaliste, particulièrement intelligent. Je le connais depuis longtemps. C’est une personne de ressource et tu peux avoir confiance en lui comme en moi-même. »

Arsène Barbaluc pensait bien connaître son ami Laurentis. Il avait du mal à l’imaginer se liant d’amitié avec un homme du genre d’Olivier Renaud. En matière d’humains comme pour un nouveau plat, l’inspecteur gastronomique se fiait souvent à sa première impression. Sans pouvoir dire pour quelle raison, dans le cas d’Olivier Renaud, cette première impression n’était pas à son avantage.

« Ce qui m’a également convaincu que tu étais l’homme de la situation c’est que la boutique de Pietro Bagnoregio se trouve juste en face de celle d’un caviste. En tant qu’inspecteur du célèbre guide Le gastronome français, tu pourrais peut-être trouver prétexte à y passer du temps et à surveiller le magasin de Bagnoregio. Bien sûr, je ne saurais trop te recommander la prudence. Les hommes à qui tu vas avoir affaire sont tous fichés au grandbanditisme. Ils sont dangereux, très dangereux. Alors, dès que tu as le début d’une preuve, tu arrêtes les frais et tu remets le tout aux autorités.

Ainsi, si tu le souhaites, tu peux m’aider à faire la lumière sur ces deux crimes et mettre fin à un trafic odieux. Connaissant ton caractère soupçonneux, je sais que tu ne vas pas pouvoir t’empêcher d’imaginer que je ne suis pas l’auteur de cette lettre. Alors, je vais te donner un détail connu uniquement de nous deux : lors de notre premier repas en tête-à-tête à L’auberge des trois roses, lors de l’affaire des empoisonnements de Saint-Hippolyte, nous avons bu beaucoup trop. Nous avons même fini à la Vulnéraire. »

C’était vrai, et il sembla à Arsène Barbaluc qu’il en avait encore le goût sur les papilles.

« Voilà, je t’ai tout dit. Je ne te ferai pas l’affront de te conseiller de ne parler de tout cela à personne. Sois gentil de jeter un œil discret sur Mathilde et les enfants, vois s’ils n’ont besoin de rien. Embrasse Judith. Sois prudent.

Saint-Marcellin, le 7 décembre 2005.

Signé : Kiriakos Laurentis. »

— Il a écrit cette lettre la veille de sa mort, murmura Arsène Barbaluc, la voix tremblante.

— Il a eu cet accident en revenant de chez moi, précisa Olivier Renaud. Il était venu me donner les deux enveloppes : une pour moi et une pour vous. À n’ouvrir et à vous remettre qu’après sa mort.

Il y avait trois post-scriptum à la lettre :

« PS 1 : Tu trouveras aussi dans l’enveloppe divers documents qui devraient t’aider dans ton enquête.

PS 2 : Je me répète, mais n’hésite pas à faire appel à Olivier Renaud. C’est un véritable ami.

PS 3 : Si tu décidais de ne pas mener cette enquête, brûle simplement ces documents. »

Arsène Barbaluc feuilleta rapidement le contenu des chemises cartonnées sans les voir. La lettre l’avait bouleversé. Il remit leur lecture à plus tard.

— Que décidez-vous ? le questionna Oliver Renaud.

— Comment ça, qu’est-ce que je décide ? s’étonna Barbaluc, comme si la réponse était évidente. Laurentis me demande d’enquêter sur sa mort, alors je vais enquêter.

Olivier Renaud laissa échapper un soupir de soulagement.

— D’après lui, je peux compter sur vous…

— Vous pouvez.

— Tant mieux.

— Par quoi on commence ? On essaie de fouiner du côté de la boutique de Bagnoregio ?

— Je… Je ne sais pas. Il faut que je prenne connaissance des documents laissés par Laurentis après, je pourrai me faire une opinion.

— J’ai les mêmes que vous, d’après la lettre qu’il m’a laissée…

— À ce propos, pourriez-vous me la montrer, cette lettre ?

Judith et Tardieu les interrompirent.

— Qu’est-ce que tu fais ? lui demanda Judith.

— Je discutais avec un vieil ami de Kiriakos.

Arsène Barbaluc fit les présentations.

— Allez les enfants, ne restons pas sous la pluie ! Josiane nous attend dans son bistrot. Et puis Arsène, tu pourras nous raconter tes dernières trouvailles culinaires. Histoire de nous changer les idées.

Arsène, lui, n’avait aucune envie de parler bonne bouffe ni grands vins !

Voir Pâté de Corbeau aux amandes amères, même auteur, même collection.

IIIBLANC LIMÉ ET CACAHUETES

Tardieu et sa femme étaient passés bien vite de l’autre côté du comptoir pour seconder Josiane. La patronne du Café des sports ne savait plus où donner de la tête. Comme toujours, les sorties d’enterrement signifiaient une affluence record dans le petit bistrot. Les blancs limés concurrençaient les pressions. On se bousculait pour s’approcher du zinc, on se hélait, on parlait haut, on riait fort, trop fort, comme pour chasser la peine, chasser la mort. Dans un coin, Julien le braconnier faisait animation. Aidé par quelques verres de vin, il racontait avec moult mouvements de bras comment il parvenait régulièrement à échapper aux gendarmes.

— Ce n’était pas plus tard qu’il y a une dizaine de jours. Cette fois-là, je l’ai roulé dans la farine…

— Dis donc, à t’entendre il ne t’a jamais pincé, Laurentis. Moi j’ai le souvenir que tu t’es fait chopper quelquefois, lui fit remarquer le gardien du cimetière.

— Pas tant que ça ! Pas tant que ça ! Je dirais d’ailleurs…

Le maire de Saint-Hippolyte-en-Royans mit fin à cette discussion en annonçant une tournée générale qui fut accueillie par une bruyante approbation.

Le coup de feu passé, Tardieu avait rejoint Judith, Arsène Barbaluc, Olivier Renaud et le docteur Rousset ainsi avec sa femme, déjà installés par Josiane à une table à peu près tranquille. Ils avaient discuté de Laurentis, s’étaient inquiétés du devenir de sa femme et de ses enfants. À la dérobée, Arsène Barbaluc examina Olivier Renaud. En une demi-heure, celui-ci utilisa à trois reprises son téléphone portable.

— Vous êtes drôlement occupé ! se moqua l’inspecteur gastronomique. Remarquez, c’est le métier de journaliste qui veut ça…

Olivier Renaud ne releva pas le sarcasme.

— Je ne suis plus journaliste. Je travaille à la Communauté d’agglomération de Grenoble comme directeur général adjoint et, effectivement, j’ai pas mal de boulot. Il va falloir d’ailleurs que je rentre sur Grenoble. J’aimerais bien vous parler avant de partir. Vous m’accompagnez jusqu’à la voiture ?

Dans une petite rue descendant vers l’Isère, Olivier Renaud ouvrit la porte de sa Triumph Herald.

— Vous aussi vous avez le virus de la voiture ancienne ?

— Eh oui ! C’est grâce à nos vieilles bagnoles qu’on s’est connus avec Kiriakos. Après, l’amitié s’est tissée au fil du temps.

Il se pencha dans sa voiture et prit dans la boîte à gants une enveloppe de papier kraft en tous points semblable à celle qu’il avait remise à Barbaluc au cimetière. L’inspecteur gastronomique la parcourut rapidement sans rien apprendre de plus.

— Quand vous l’a-t-il remise ?

— En même temps que la vôtre, jeudi dernier. Il savait que j’étais en congé et il est venu chez moi à Pont-en-Royans. C’est sur la route du retour qu’il s’est foutu en l’air.

— Et à ce que m’a dit Tardieu, on n’a pas trouvé la raison pour laquelle il a perdu le contrôle de sa voiture.

— Non. L’autopsie n’a rien donné et, d’après ce que je sais, l’examen du cabriolet non plus.

— Qu’est-ce que vous pensez de toute cette affaire ?

— Rien, mais j’avais hâte que vous soyez là. À deux, le poids est moins lourd. Mais ne vous inquiétez pas, je ferai ce que j’ai à faire. Je tiens tout autant que vous à retrouver les assassins de Laurentis. La seule difficulté, c’est mon boulot. Dans la période actuelle, je ne peux pas me permettre de poser une longue période de congé, mais j’essaierai de me rendre le plus disponible possible.

Arsène hocha la tête. Ne pas trop l’avoir sur le dos n’était pas pour lui déplaire.

— Ne vous faites pas de soucis ! On s’arrangera.

— On peut se retrouver demain matin sur Grenoble pour que je vous emmène chez le caviste, face à la boutique de ce Bagnoregio…

— Je préférerais à midi. Je voudrais examiner la MG de Laurentis.

— Dans sa lettre, Kiriakos insiste sur l’urgence de mettre sous surveillance ce Bagnoregio…

— Certes, mais l’expérience de quelques affaires criminelles m’a appris à ne rien négliger, le coupa Arsène Barbaluc de manière très péremptoire. Il remarqua qu’Olivier Renaud se mordait les lèvres pour ne pas répliquer.

— Donc, reprit-il, je vais examiner cette MG. Laurentis était un bon conducteur. Il n’a pas pu se foutre en l’air tout seul. Soit la voiture était trafiquée, soit une autre voiture l’a contraint à plonger dans la rivière. Savez-vous où elle est stockée ?

— Oui, les flics l’ont ramenée dans un garage à la sortie de Saint-Marcellin, sur la route de Grenoble.

IVPOITRINE FUMÉE AU SAINT-AMOUR

— C’est la même chambre que lors de votre première visite à Saint-Hippolyte-en-Royans. Vous vous en souvenez ?

Arsène Barbaluc hocha la tête.

— J’espère que vous serez bien. S’il vous manque quoi que ce soit, n’hésitez pas !

— Ne vous inquiétez pas, Josiane. C’est parfait. On passe vous prendre pour aller chez Tardieu.

La patronne de l’Hôtel du Vercors s’éclipsa pour servir les derniers clients du Café des Sports. Elle laissa derrière elle un sillage de parfum bon marché.

— C’est la même chambre que lors de votre première visite, singea Judith. Oh, cette Josiane !

— Quoi “cette Josiane” ?

— Elle ne te parle pas, elle te dévore des yeux. Et quelle allure ! Avec sa permanente blond décoloré et ce chemisier trop petit de deux tailles au moins qui boudine sa poitrine…

— Écoute, tu ne vas pas être jalouse de Josiane !

— Non, mais… on ne sait jamais…

— Au lieu de dire n’importe quoi, lis ça !

Judith prit la lettre de Laurentis des mains d’Arsène.

Au milieu de sa lecture, Judith s’assit sur le lit.

— Qu’est-ce que ça veut dire ?

— Je n’en sais pas plus.

— Qui t’a remis cette lettre ? Ce monsieur Renaud qui ne t’a pas lâché depuis la sortie du cimetière ?

— Tout juste.

— Es-tu certain que c’est bien Kiriakos qui l’a écrite ?

— Il n’y a que lui qui connaisse le “détail” de la Vulnéraire. Et puis, j’ai suffisamment lu de notes manuscrites de sa main, à une époque, pour reconnaître maintenant son écriture. Non, je n’ai pas de doute sur l’authenticité de cette lettre.

Judith soupira.

— Et qu’est-ce que tu vas faire ?

— Je vais faire ce qu’il me demande : coincer celui ou ceux qui l’ont tué.

Judith se leva et alla se poster devant la fenêtre. La pluie avait redoublé. La nuit tombait doucement. Elle aperçut deux ombres qui traversaient la place en titubant. Quelques instants plus tard, elle crut reconnaître le gardien du cimetière et sa femme. Elle, devant, marchant d’un pas énergique ; lui, derrière, du pas traînant et mal assuré de celui qui a trop bu.

— Alors je reste avec toi.

— Tu restes avec moi. Pour quoi faire ?

— Pour t’aider. J’aimais bien Kiriakos, alors si je peux aider à retrouver son meurtrier…

Barbaluc était décontenancé. Il n’avait pas imaginé un seul instant que Judith prendrait cette décision.

— Ça peut-être dangereux !

— Raison de plus.

— Comment ça, raison de plus ? s’énerva-t-il.

— Si c’est pour rester à me morfondre et à crever de peur en attendant le retour d’Arsène “le guerrier”, j’ai déjà donné. Quitte à avoir peur, je préfère être dans l’action avec toi.

— Mais…

— Il n’y a pas de “mais”. Si tu restes, je reste.

Il n’insista pas. Il connaissait Judith depuis trop longtemps pour ne pas savoir que, pour le moment, sa décision était prise. S’il voulait la faire changer d’avis, il faudrait revenir à la charge… un peu plus tard !

Comme à son habitude lorsqu’il recevait des amis, Jules Tardieu avait mis les petits plats dans les grands. S’il avait exceptionnellement fermé son restaurant pour les obsèques de son ami Laurentis, la cuisine était restée ouverte.

— Un jour comme ça, on n’a pas d’appétit, alors il faut soigner le palais si l’on veut réussir à avaler quelque chose, avait-il expliqué à sa poignée de convives.

Jules avait hérité de La Queue d’écrevisse de son père. D’une bonne table, il avait fait un restaurant reconnu qui comptait deux fourchettes dans le guide Le gastronome français. Arsène Barbaluc lui reconnaissait un talent qui n’avait d’égal que sa grande gueule légendaire dans le village.

Mathilde Laurentis et son fils ne restèrent que quelques minutes, prétextant qu’il y avait de la famille à la maison.

Personne ne l’exprima, mais tous furent soulagés. Arsène Barbaluc embrassa la femme de son ami avec tendresse. Ils n’échangèrent que quelques mots, mais, une nouvelle fois, il la trouva étrange, comme mal à l’aise. Lorsqu’il s’en ouvrit à Judith, celle-ci le remit à sa place.

— Tu ne voudrais pas qu’elle pleure comme une madeleine ? Tu la connais non ? Mathilde a du caractère. C’est une femme qui ne veut rien laisser paraître.

— Oui, mais quand je lui ai dit notre intention de passer la voir avant de quitter la région, elle m’a répondu qu’elle serait ravie, mais qu’elle serait certainement très occupée…

— Et alors ? coupa Judith. Face à la mort d’un proche, chacun réagit différemment.

— Il n’empêche que je la trouve bizarre.

— Tu trouves toujours tout bizarre, lui rétorqua la jeune femme qui tourna les talons pour aller aider madame Tardieu.

L’atmosphère lourde du début de soirée se dissipa rapidement avec les fameuses “Écrevisses à la Émile” et les langues se délièrent grâce à un Châteauneuf-du-Pape blanc à la rondeur parfaite. Au deuxième verre, madame Rousset, la femme du docteur, avait déjà les pommettes toutes rouges…

Madame Tardieu papillonnait autour de son mari. Replète, très coquette, elle avait le don de l’exaspérer dès qu’elle était en cuisine.

— Au royaume des casseroles, des poêles et des sauteuses, le roi, c’est moi ! Toi, tu règnes sur l’administratif, moi sur les fourneaux, alors je t’en prie, ne t’occupe pas de mes assiettes…

— Mais, mon chéri, c’était pour t’aider…

— Je sais, mais ça ne m’aide pas, ça m’énerve. Allez zou ! Porte les assiettes aux invités !

Les cuisseaux de lièvre aux champignons des bois étaient merveilleux.

— Trompettes-chanterelles, chanterelles, trompettes de la mort et pieds de mouton, “made in Julien”, plaisanta Tardieu.

— Il est toujours ton fournisseur officiel ? s’étonna Arsène Barbaluc.

— Eh oui, mais il n’est pas le seul.

— Vous n’avez pas honte ! Un hors-la-loi…

— Un hors-la-loi ? Allons, madame Rousset, il ne faut pas exagérer. Certes, Julien braconne tout au long de l’année, mais ce n’est pas un meurtrier tout de même !

— Je pensais que tu l’inviterais ce soir, avoua l’inspecteur gastronomique.

— C’était prévu. Il est d’ailleurs arrivé quelques minutes avant vous. Mais il était rond comme une queue de pelle. Je l’ai renvoyé chez lui cuver son vin. Il a dû descendre ta réserve de Viognier à lui tout seul, ajouta-t-il en s’adressant à Josiane.

— Tout de même pas ! répondit-elle en souriant.

— Quel scandale ! Elle devrait avoir honte d’abuser de ces ivrognes, murmura Judith.

Ce qui lui valut un coup de coude appuyé de son compagnon.

Il se tourna vers la patronne de l’Hôtel du Vercors, mais Josiane continuait à papoter avec madame Tardieu comme si de rien n’était.

— Il avait une véritable amitié pour Laurentis, poursuivit le patron de La Queue d’écrevisse.

— C’est étonnant !

— Pas tant que ça ! Certes, il lui faisait la chasse, et bien souvent c’est lui qui avait le dessus. Mais tant que Julien ne dépassait pas les limites, il le laissait en paix. Et puis, Laurentis l’a vraiment sorti du bousin une ou deux fois. Julien a bien des défauts, mais c’est un brave homme qui a la reconnaissance du ventre.

— Je sais que c’est lui qui réglait ses notes de pharmacie, avoua le docteur Rousset qui, lui, n’avait jamais fait payer une consultation au braconnier.

Le dîner se déroula agréablement, ponctué de quelques piques que Judith ne pouvait s’empêcher d’envoyer à Josiane, sous l’œil noir de Barbaluc.

On parla bien sûr de Laurentis. On évoqua une nouvelle fois l’enquête menée par le gendarme et Arsène Barbaluc lors de son premier séjour à Saint-Hippolyteen-Royans.

On essaya de faire parler l’inspecteur gastronomique sur les surprises de la nouvelle édition du Gastronome français, sous presse d’ici quelques jours. Mais Arsène Barbaluc ne lâcha rien. On se souvint enfin de quelques repas mémorables où le coup de fourchette de Laurentis avait fait merveille.

— C’est vrai qu’il avait un sacré coup de fourchette le père Ludovic… Enfin je veux dire Kira… Kiri… ânonna Tardieu.

— Kiriakos, épela Arsène Barbaluc.

— Quel étrange prénom ! Comment ça se fait que toi tu connaisses son vrai prénom et pas moi ?

— Parce que moi j’étais un vrai ami, assura Arsène Barbaluc, le sourire en coin.

— Qu’est-ce que t’es con ! Allez, je vais préparer le café. Ça vaut mieux que d’entendre tes sottises.

La pluie avait cessé. Devant la baie vitrée du restaurant, la terrasse détrempée luisait sous la lune. Jules Tardieu avait servi à Barbaluc une eau de vie d’abricot.

— C’est ma dernière trouvaille, dégotée au fin fond de l’Ardèche. Tu m’en diras des nouvelles…

L’inspecteur gastronomique trempa ses lèvres.

— Tu as raison. Elle est fruitée. Elle ne brûle pas. Elle ne dégouline pas de sucre. Te connaissant, tu dois déjà avoir ta petite idée quant à son apparition dans la carte de La Queue d’écrevisse.

— Ça mûrit tout “doucettement”.

— Mais encore…

— Secret d’état, chuchota-t-il à l’oreille de son ami. Je ne vais pas me confier à un inspecteur du Gastronome français, plaisanta Tardieu.

Le restaurateur remplit à nouveau les verres.

— Dis-moi que penses-tu de cet Olivier Renaud ?

— C’est un ami de Laurentis.

— Il n’en avait jamais parlé.

— Rien d’étonnant, tu ne passes pas ta vie ici. Quand tu passes trois fois dans l’année à Saint-Hippolyte c’est le bout du monde.

Arsène Barbaluc avala une rasade d’alcool.

— Qu’est-ce que tu lui veux à Renaud ?

— Rien. On a eu l’occasion de bavarder à la sortie du cimetière. Il est plutôt sympathique.

— Oui, c’est un bon vivant. Tu devrais bien t’entendre avec lui, il a lui aussi la folie des tacots. Une Triumph, je crois.

— Je sais. Il est de Grenoble, non ?

— Oui, et il dispose aussi d’une maison de week-end à Pont-en-Royans. Mais pourquoi toutes ces questions ?

— Pour rien.

Arsène Barbaluc, sentant Tardieu devenir soupçonneux, changea de conversation.

VSOUPE AUX AILERONS DE REQUINS

Une fois dans leur chambre, Arsène avait essayé à nouveau de dissuader Judith de rester. En vain. La jeune femme s’était mise en colère et, après un vif échange, l’inspecteur gastronomique avait dû céder.

Allongés tous les deux sur le lit, ils examinaient les différents documents qui accompagnaient la lettre de Laurentis. Arsène Barbaluc prit la note sur les trafiquants de faux papiers.

« Depuis quelque temps, de nombreux services de police et de gendarmerie soupçonnent Abdelkader Bouhami et Djorje Ranovic de faire entrer sur le territoire français des clandestins et de leur fournir des papiers d’identité. On ne sait pas comment ils s’y prennent, mais il semble que la boutique de mode Via Del Corso de Pietro Bagnoregio soit la plaque tournante de ce trafic. Bagnoregio est par ailleurs le beaufrère de Bouhami. Il est marié à sa jeune sœur Azima Bouhami. »

Avec sa note, Laurentis avait agrafé une fiche sur chaque personne suspectée. Il dressait pour chacun un portrait précis accompagné d’une photographie.

« Abdelkader Bouhami : né à Alger le 30 septembre 1966.Arrivé en France avec ses parents en 1978. La famille s’installe à Toulon avant de déménager en 1983 pour la région grenobloise. Il est arrêté une première fois pour vol de voiture la même année, mais relâché faute de preuves. En tout et pour tout, deux condamnations à ce jour. L’une, pour tentative de vol à main armée en 1986 : deux ans fermes, purgés à Varces. L’autre en 1990 : huit ans pour trafic de drogue. Depuis sa sortie des Baumettes en 1998, le calme plat. En fait, on sait qu’il est de nouveau actif mais on ne peut rien prouver. »

Arsène Barbaluc s’intéressa à la seconde fiche.

« Djorje Ranovic : 40 ans, ancien capitaine de l’armée serbe. A été inquiété un moment par le tribunal de La Haye pour ses agissements pendant la guerre des Balkans, mais a été blanchi. Il a quitté l’armée en 1999. Après avoir monté un restaurant à Belgrade puis fait faillite, il s’est mis au service de la pègre serbe, avant, semble-t-il, de voler de ses propres ailes. On le suspecte d’avoir trempé dans plusieurs affaires de trafic d’armes, notamment lorsqu’il était installé à Istanbul. C’est là qu’il a connu Mehmed Günaltay (voir fiche n° 3). »

Arsène Barbaluc s’y reporta. Le portrait de ce Turc de trente-quatre ans ne valait pas beaucoup mieux que celui de ses deux compagnons : proxénétisme, soupçons de meurtres… Laurentis avait également résumé la vie de Pietro Bagnoregio et de sa femme, Azima Bouhami. Il les présentait plutôt comme des combinards, moins dangereux que les trois autres, mais leur étant totalement inféodés.

« En résumé, je pense que cela fait plus de deux ans que cette bande mène son petit trafic. Vu les détails de cette affaire, je ne vois pas comment ils peuvent agir sans complicité. À mon avis, ils sont protégés. Il pourrait donc exister un ou plusieurs policiers ou gendarmes ripoux. Attention ce sont des dangereux. Comme je te le dis dans la lettre, tu refiles le “bébé” dès que tu as des preuves », concluait Laurentis.

Arsène Barbaluc soupira et posa les documents sur la table de chevet.

— Ça ne va pas ? s’inquiéta Judith.

— Si effectivement Laurentis a vu juste, c’est-à-dire si on doit se frotter à ces truands, cela ne va pas être facile. Il s’agit de véritables mafieux. Je n’ai jamais été confronté à ce genre d’adversaires.

— Peut-être que Laurentis s’est trompé. Après tout il n’était pas infaillible.

— C’est vrai, mais, tu sais, c’était un bon enquêteur. As-tu trouvé autre chose ?

— Malheureusement non, avoua Judith en lui tendant une liasse de papiers. Si l’on part du principe que le mobile de ceux qui ont tué Kiriakos est professionnel, je ne vois pas vraiment d’autres pistes possibles, poursuivit-elle.

— Continue.

— Les affaires dont se sont occupés ensemble Laurentis et le gendarme Lombard paraissent effectivement bien banales : accidents de la route, cambriolage raté d’une épicerie, affaire de femme battue…

Arsène Barbaluc leva un œil.

— Non, d’après Laurentis, le mari, récidiviste, est sous les verrous.

La jeune femme reprit son énumération : vol à la tire, vol de voiture, découverte d’une sacoche de la poste vieille de près de vingt ans… C’est étonnant comme histoire.

— C’est-à-dire ?

— Il s’agit d’un couple qui a acheté une maison de campagne à La Sône… Où est-ce ?

— Près de Saint-Marcellin, sur les bords de l’Isère. Et alors ?

— Donc un couple de Lyonnais achète une vieille maison. Et en fouillant leur grenier, il découvre une sacoche de lettres datant de mars 1986 qui ont été oblitérées à La Sône, mais qui n’ont jamais été expédiées.

— Et pourquoi ?

— D’après les explications de Laurentis, au moment où il a écrit sa note, il n’en savait rien. En revanche, il précise que les courriers en question ont tous été acheminés par la poste. Il y a même la liste des destinataires en annexe.

— Combien y avait-il de lettres en instance ?

— Tiens, regarde toi-même, proposa Judith en bâillant. Arsène Barbaluc examina rapidement la liste avant de redonner le document à la jeune femme.

— Il y en a une bonne trentaine tout de même !

— Cela doit être étrange de recevoir une lettre avec dix-huit ans de retard…

— Certainement, mais ce n’est pas ce qui va faire avancer notre enquête. Je crois que Kiriakos avait raison, poursuivit l’inspecteur gastronomique. Effectivement, à part l’affaire Bagnoregio, le reste est bien mince.

— Alors on fait quoi ?

— On va suivre les conseils de Laurentis et essayer de surveiller la boutique de ce Bagnoregio. Je ne vois rien d’autre à faire. Demain, on s’installe à Grenoble, comme convenu avec Olivier Renaud.

Arsène Barbaluc s’étira avant de reprendre :

— Et la note sur la mort du gendarme… Lombard, Tanguy Lombard. Pas grand-chose à retenir. Tiens ! Lis toi-même.

Le corps de Tanguy Lombard avait été retrouvé par des promeneurs le samedi 1er décembre dans la matinée. Le gendarme gisait au pied d’un des escaliers du fort de la Bastille sur le chemin en direction de la Porte de France. D’après le médecin légiste, la mort remontait à la veille vers 19 heures.

Pour les enquêteurs, Tanguy Lombard aurait glissé dans cet escalier. Il avait plu toute la journée et sa tempe gauche aurait violemment heurté l’arête d’une des marches de pierre. Le jeune homme serait mort sur le coup. Laurentis soulevait plusieurs questions. « Qu’est-ce que Tanguy Lombard allait faire à la Bastille à cette heure-là ? Il y a trois accès possibles pour monter là-haut : à pied, par le téléphérique, en voiture. Il n’a pas pris le téléphérique car le préposé aux billets ne l’a pas reconnu. Or, vu la faible fréquentation ce jour-là, il l’aurait certainement remarqué. Il ne s’y est pas rendu en voiture – du moins pas avec la sienne – puisque son véhicule a été retrouvé en centre-ville. Il y est donc allé à pied. Je reformule ma question : qu’est-ce qui a poussé, par une si vilaine journée de décembre, Tanguy Lombard à grimper jusqu’à la Bastille ?… »

Arsène Barbaluc connaissait mal Grenoble et ne voyait pas exactement à quoi ressemblait cette Bastille. Il abandonna la note sur la mort de Tanguy Lombard pour se concentrer sur le document relatant les agressions subies par Laurentis les jours précédant sa mort. À ses côtés, Judith s’était endormie.

Arsène Barbaluc examina la note rapidement. Comme l’avait prévenu Judith, il n’y avait pas grand-chose à en tirer. Tout avait commencé le lundi 4 décembre, soit le surlendemain de la mort du gendarme Tanguy. Lors de la pause-déjeuner, alors qu’il sortait de son restaurant habituel, Laurentis évitait de justesse un sac de ciment tombé de l’échafaudage d’un immeuble en cours de ravalement. Pas de témoins. Puis, à deux reprises dans la soirée du 5 décembre, on tentait de le renverser dans une petite rue de Saint-Marcellin alors qu’il rentrait chez lui. S’il identifia bien un véhicule de marque Seat, modèle Toledo de couleur claire, il ne réussit pas à en déchiffrer la plaque minéralogique. Le lendemain encore, on bricolait le placard électrique, à l’extérieur de sa maison. Si en rentrant de la brigade, il n’avait pas surpris quelqu’un en train de le trafiquer, un court-circuit aurait certainement provoqué rapidement un incendie. L’homme s’est enfui sans laisser de trace…

VISALADE DE POULPES ET FRASCATI

Arsène Barbaluc s’était réveillé tôt, après un sommeil agité. Il était inquiet. Inquiet, car affronter la bande décrite par Laurentis lui faisait froid dans le dos. Inquiet aussi de la décision de Judith de rester. Judith qui dormait tranquillement à côté de lui. Judith sans qui la vie ne serait pas possible. Délicatement, il caressa ses cheveux avant de se coller contre elle. Il resta ainsi un long moment, sans bouger, de peur de la réveiller, à respirer son odeur et à goûter la douceur de sa peau.

Quand Arsène Barbaluc jugea enfin l’heure suffisamment décente pour un réveil, il commença son rite matinal. De petites manies du matin qui lui valaient les moqueries continuelles de sa compagne. Il passa sous la douche, d’abord chaude, puis froide ; se rasa et appela Josiane pour qu’elle leur monte le petit-déjeuner. Lorsque la patronne de l’Hôtel du Vercors tapota discrètement à la porte de la chambre, Judith émergeait tout juste.

Elle déposa le plateau sur une petite table.

— Je suppose que vous n’avez rien changé à vos habitudes. Un café noir et rien d’autre ? appuya-t-elle avec un grand sourire.

— C’est parfait !

Arsène était persuadé que Josiane avait fait exprès. Elle n’avait pas sitôt quitté la chambre que Judith s’énerva.

— Pour se souvenir que tu ne prends qu’un café noir au petit-déjeuner, cette femme a une mémoire d’éléphant. Remarque, comme elle en a déjà le physique…

Arsène Barbaluc préféra ne pas relever.

Alors que Judith s’habillait, il essaya une nouvelle fois de la convaincre de rentrer à Paris.

— Pour te laisser seul avec cette mangeuse d’hommes…

— C’est à cause d’elle que tu souhaites rester ? Mais tu es complètement folle, ma pauvre ! s’emporta Barbaluc.

Judith l’attira contre elle.

— Mais non, ce n’est pas à cause d’elle. Je ne veux tout simplement plus vivre les angoisses que tu m’as fait subir, pendant que tu jouais les détectives privés. Je vais sûrement avoir la peur de ma vie, mais, au moins, je serai avec toi. C’est tout.

Elle l’embrassa tendrement puis ajouta en souriant :

— En fait, je m’en fous, de Josiane. Ce soir, on dort à Grenoble, alors Josiane… Elle sera loin !

Un pâle soleil d’hiver essayait de colorer la campagne. La neige tombée dans la nuit avait blanchi le Vercors et les coteaux, au-dessus de Saint-Marcellin. Il ne faisait pas chaud et, si la vieille Volvo Amazon de Barbaluc démarra au quart de tour, il fallut tout de même un bon moment pour réchauffer l’habitacle.

— Quand te résoudras-tu à acheter une voiture moderne ?

— Pour la millième fois : jamais. C’est à la fois sentimental et philosophique. Certains sont attachés à une maison, moi, c’est à une vieille Volvo de 1968.

Après avoir pris congé de Josiane, sous la haute surveillance de Judith, Barbaluc se rendit au garage où était entreposé le petit cabriolet de Laurentis. La jeune femme avait retenu le garagiste dans son atelier. Malgré cela, Arsène n’avait pu examiner que très rapidement la carcasse de la MG. L’avant était particulièrement endommagé. Le pare-brise avait éclaté et l’intérieur avait souffert de son immersion. Les sièges en cuir étaient maculés de limon. Les deux côtés portaient des traces de chocs. Il ne releva cependant rien de particulier. Ils apprirent du mécanicien que le roadster serait rendu dans la matinée à la famille.

— Tu vois que je peux être utile, lui avait-elle fait remarquer.

— Je te le concède. Je crois que ce soir nous rendrons une petite visite à Mathilde Laurentis. Histoire de voir la MG d’un peu plus près.

Avant de prendre la route de Grenoble, ils se rendirent sur les lieux de l’accident. Les traces laissées sur la rive gauche de l’Isère ne laissaient aucun doute. Laurentis n’avait pas réussi à négocier le virage pour prendre le pont, avait heurté le talus et traversé les broussailles, pour plonger dans la rivière. L’absence de traces de pneumatiques étonna l’inspecteur gastronomique. Même si ces voitures anciennes n’étaient pas réputées pour la qualité de leur freinage, il paraissait étrange que Laurentis n’ait pas bloqué les roues, pour éviter le plongeon. On l’avait peut-être poussé, ce qui pouvait expliquer les traces sur les flancs de la MG. Mais ces traces pouvaient aussi bien être dues à des branches d’arbres. Arsène et Judith restèrent un long moment à regarder couler l’eau grise. Ils avaient du mal à imaginer que leur ami avait perdu la vie à cet endroit précis. Ils quittèrent l’endroit à regret pour prendre la route de la capitale des Alpes.

Alors qu’ils attendaient Olivier Renaud dans un café de la place Grenette, au centre-ville de Grenoble, ils appelèrent leurs employeurs respectifs. La jeune femme expliqua qu’elle avait besoin de quelques jours de congé ce qui ne posa pas de problème. Arsène Barbaluc se garda bien de demander à parler à André Gibon, directeur et fondateur du Gastronome français. Il laissa le message à sa secrétaire. S’il s’entendait parfaitement bien avec le vieil homme, il savait pertinemment que lui parler de vacances, encore plus de celles non prévues, était un sujet tabou. Il serait toujours temps de lui expliquer. Plus tard !

Olivier Renaud était à l’heure. Il les avait conduits dans un petit restaurant italien, situé dans une rue piétonne, à deux pas de la Place aux Herbes.

— Une cuisine un peu moins sophistiquée vous changera de vos menus gastronomiques, s’était-il moqué.

— Allez, mon bon ! Emmenez-nous chez le bas-peuple, avait rétorqué Barbaluc avec acidité.

Olivier Renaud piqua un fard.

— Pourquoi es-tu si désagréable avec lui ? chuchota Judith.

— Il m’agace prodigieusement. Je ne sais pas pourquoi, mais il m’agace.

Lissant la nappe à carreaux rouges et blancs du plat de la main, Olivier Renaud semblait hésiter.

— Je crois que nous sommes partis du mauvais pied tous les deux, se décida-t-il enfin.

— C’est possible.

— On pourrait peut-être corriger le tir. Si on est ici, c’est parce que Kiriakos l’a voulu. Alors, si on doit faire équipe pour retrouver son meurtrier, mieux vaudrait essayer de s’entendre.

— Je vous l’accorde.

Olivier Renaud commanda une bouteille de Frascati à la belle robe dorée.

Le tintement des verres scella ces bonnes résolutions. Le vin blanc du Latium, épanoui et moelleux comme il se doit, fit le reste…

— Au fait, avant de parler de l’affaire, je vous ai réservé une chambre d’hôtel. J’espère qu’elle vous conviendra.

— J’espère qu’elle “nous” conviendra, reprit Judith.

— Comment ça, nous ? s’étonna Olivier Renaud.

— Eh oui ! La nouvelle du jour, c’est que Judith a décidé de rester.

— Mais c’est dangereux. Je ne suis pas sûr que votre place soit…

— Comment ça ma place ? s’insurgea la compagne de Barbaluc. Parce que vous faites partie de ces types qui pensent que les femmes sont mieux à la maison, pour faire la cuisine, le ménage et torcher les gamins ?

— Pas du tout, mais…

— Vous abordez un terrain glissant, mon cher Olivier, s’amusa Arsène.

— Ce n’est pas à vous de décider ce que je dois faire ou pas. Il vous faudra donc composer avec moi.

— Excusez-moi, la coupa Olivier Renaud, mon portable vibre.

Pour ne gêner personne, il sortit du restaurant. Quand il revint, il avait retrouvé son large sourire.

— C’étaient mes enfants. Excusez-moi pour tout à l’heure. Je voulais juste vous mettre en garde, car les types soupçonnés par Laurentis ne sont pas des tendres. Mais si vous souhaitez rester, cela ne me regarde ni ne me gêne en aucune façon.

Judith et Arsène Barbaluc commandèrent la même chose : salade de poulpes et saltinbocca avec ses petits légumes.

— Vous allez voir, avait prévenu Renaud. C’est de la cuisine familiale mais c’est fameux.

Il ne les avait pas trompés. L’inspecteur du Gastronome français se régalait.

— Alors, ça a donné quoi au garage ?

— Rien. Je n’ai pas eu assez de temps. Mais la MG est rapatriée chez les Laurentis aujourd’hui. J’ai bien envie d’y faire un saut en fin de journée, pour la voir d’un peu plus près.

— Vous ne croyez pas que l’urgence est de mettre en place la surveillance de la boutique de ce Bagnoregio ?

— Si, mais chercher à découvrir comment s’est déroulé l’accident et pourquoi Laurentis a plongé dans l’Isère, est à mon avis tout aussi important.

Olivier Renaud ne fit pas de commentaire.

— Rassurez-vous, cet après-midi, je vais essayer de me faire embaucher par le caviste.

— Vous avez une petite idée sur la manière dont vous allez vous y prendre ?

— On verra bien… En revanche, j’aurais besoin que vous me montriez la Bastille. J’ai du mal à comprendre les interrogations de Laurentis au sujet de la mort de son collègue Lombard.

Ils finirent tranquillement de déjeuner, puis Olivier Renaud les conduisit sur les quais de l’Isère.

— C’est ça la Bastille.

Devant eux, de l’autre côté de la rivière, s’élevait, en pente raide, un éperon rocheux sur lequel courait un dédale de fortifications. Un téléphérique reliait le haut du fort à la ville.

— Où est-ce qu’on a retrouvé le corps exactement ? demanda Judith.

— Légèrement au-dessous de la gare du téléphérique, sur la gauche. En fait, il était sur le sentier qui relie la Bastille à la Porte-de-France par le parc Guy Pape. Je me demande ce qu’il foutait là-bas à cette heure. Laurentis est dans le vrai quand il affirme qu’il faut une bonne raison pour se rendre là-haut un soir d’hiver, sous la pluie.

Arsène Barbaluc se promit d’aller sur place dès que possible. Avant de rejoindre son bureau, Olivier Renaud les conduisit à leur hôtel, situé à deux pas du Jardin de Ville. Il avait bien fait les choses. Il leur remit un plan de Grenoble et aussi un appareil numérique, au cas où Barbaluc arriverait à photographier les allées et venues de la boutique. « Il est petit, discret et simple d’utilisation », avait-il précisé.

VIIFLAN AUX POMMES.