Cash-cash au Crouesty - Gisèle Guillo - E-Book

Cash-cash au Crouesty E-Book

Gisèle Guillo

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Beschreibung

Un suicide qui laisse perplexe...

« Lorsque mon heure aura sonné, j'irai mourir à Saint-Gildas. » C'est ce qu'il disait. Mais son heure avait-elle vraiment sonné ?
Lorsque l'on est dans la force de l'âge, que l'on a tout conquis : l'argent, les femmes, le pouvoir, est-il vraisemblable de mettre fin à ses jours ? Pour éclairer ce mystère, Vincent va repousser jusqu'à l'extrême les dangers du journalisme d'investigation au cours d'un va-et-vient haletant entre Paris et la presqu'île de Rhuys.

Ce polar nous entraîne à travers la France pour démêler une énigme surprenante !

EXTRAIT

Quand il commença à s’habiller, Vincent avait pris sa décision. Il avait quelques heures avant que la nouvelle s’ébruite. Il fallait en profiter sans perdre une minute.
« Ghislain Brieuc s’est donné la mort à Saint-Gildas-de-Rhuis. C’est de là qu’il faut partir pour remonter le fil. Il y a une faille. Je vais la trouver. Et vite ! »

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Editions Bargain, le succès du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidèle à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres Modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires. Elle finit par succomber à sa passion pour la littérature policière et signe ici son septième polar.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

I

La petite place est déserte. Au fond, les maisons aux façades blanches, sagement rangées l’une contre l’autre, semblent assoupies dans la tiédeur de ce début d’après-midi de mai. Sur le rebord d’une fenêtre aux volets mi-clos, un chat, étiré de tout son long, prend le soleil. En face, dans l’unique voiture en stationnement, l’homme, lui aussi, est immobile, mal assis entre le siège du conducteur et la place passager, la tête penchée sur le tableau de bord. Pourquoi restet-il dans cette position inconfortable ? On ne le saura jamais. Car l’homme est mort. Un trou dans la gorge. Le bras droit pendant. Une arme, à ses pieds, sur le tapis de sol.

Un bruit de moteur brisa le silence. Une voiture de la gendarmerie arrivait en trombe. Une portière coulissa. Un gendarme sauta et alla sonner à la porte d’une des maisons. Un homme, en bras de chemise, apparut.

— Monsieur Le Drennec ?

— C’est moi.

— C’est vous qui nous avez appelés ?

— Oui.

— Quand avez-vous découvert qu’il y avait un mort dans cette voiture ?

— Découvert… c’est beaucoup dire… Au début, je…

— Donnez-moi les circonstances, interrompit le gendarme, juste l’essentiel. Pour le reste, on verra quand vous viendrez signer votre déposition.

Le Drennec se rembrunit, inquiet :

— Ça ne va pas me prendre beaucoup de temps au moins ? Parce que…

Le gendarme balaya la question d’un revers de main impatient. Il jetait des coups d’œil à son collègue qui tournait autour de la voiture, essayant une à une les quatre portières.

— C’est bouclé de l’intérieur.

— Appelle le poste. Dis qu’on nous envoie une ambulance tout de suite.

Il revint à son interlocuteur.

— Alors, quand avez-vous vu cette voiture pour la première fois ?

— En allant à mon bureau. J’ai deux boutiques de vêtements de sports…

— Où ça ?

— Port-Navalo et Le Crouesty. C’est fermé le lundi. J’en profite pour faire la comptabilité, dans mon bureau…

— Où le bureau ?

— Ici ; je loue un rez-de-chaussée à deux pas…

— Donc, vous avez remarqué la voiture ?

— Dame, une bagnole comme ça, une Volvo de ce calibre, on en voit, l’été. Mais hors saison, c’est rare.

— Vous êtes allé la voir de près ?

— Pas du tout ! J’avais du boulot.

— Quelle heure était-il ?

— Dix heures, dix heures et demie…

— Dix heures ou dix heures et demie ?

— Je n’en sais rien, fit Le Drennec, agacé ; je n’ai pas regardé ma montre.

Imperturbable, le gendarme prenait des notes :

— Vous aviez remarqué la position du conducteur ?

— Oui. J’ai pensé qu’il se reposait, qu’il dormait.

— Ensuite ?

— Quand je suis revenu, la voiture était toujours là. Et le conducteur dans la même position… Enfin, pour autant que je pouvais en juger, du trottoir. Ça m’a intrigué.

— L’heure ?

— Là, je peux vous le dire. Douze heures vingtcinq. Je m’arrange toujours pour avoir le rappel des titres à Europe 1 avant de me mettre à table. On a déjeuné avec ma femme. Mais ça me tracassait. Juste avant de prendre mon café, j’ai regardé par la fenêtre. La voiture était toujours là et l’homme, à l’intérieur, n’avait pas bougé. Je suis descendu, je me suis approché et j’ai compris qu’il y avait quelque chose de pas normal. C’est là que je vous ai appelés.

Le deuxième gendarme, portable collé à l’oreille, haussait le ton :

— Mais non, je vous dis… en plein bourg… oui, sur la place de Saint-Gildas-de-Rhuys.

— Et dis-leur de se grouiller, dit son collègue. La voiture est en plein soleil. Ça doit commencer à cocoter à l’intérieur…

Quelques passants s’étaient arrêtés. Les deux gendarmes peinaient à maintenir les badauds à distance lorsque le renfort arriva, suivi de l’ambulance. Quatre gendarmes s’activèrent autour de la voiture dont on venait de déverrouiller la portière avant. On avait exploré les poches du mort avant de l’installer sur le brancard. Le brigadier-chef examina le contenu du portefeuille :

— Dis donc, s’exclama-t-il, ça va faire du bruit ! Regarde-moi ça !

Il tendit le permis de conduire à son collègue qui y jeta un regard indifférent :

— Tu le connais, toi, ce type ?

— Évidemment ! Tout le monde, ici, connaît Ghislain Brieuc !

II

Vincent cessa de s’étriller, roula le drap de bain en boule, le jeta par terre.

« Si Margot voyait ça…

Et, pieds nus sur le carrelage mouillé…

On peut glisser et on met de l’eau partout, je sais… »

Il s’étira longuement, fit jouer ses muscles devant le miroir. Il passa les doigts dans l’épaisseur de sa chevelure sombre, striée de quelques fils argentés : le shampoing “volumateur”, conseillé par l’esthéticienne, faisait merveille. Il était d’excellente humeur. Il venait de prendre sa douche, une maxi-douche, comme il les aimait. Tranquillement, sans être dérangé. On a beau adorer sa femme, c’est agréable, de temps en temps, d’avoir la salle de bains pour soi tout seul.

Il enfila son peignoir éponge, tendit la main vers le flacon d’eau de toilette et s’arrêta en entendant un choc de vaisselle cassée, suivi d’une cascade d’éclats de rire. Cela venait de la cuisine où les enfants étaient en train de prendre leur petit-déjeuner en compagnie d’Albina, la jeune Croate qui remplaçait Paméla partie enterrer son grand-père à Santarem.

— Les enfants l’adorent, soupirait Margot, mais elle n’en fout pas lourd.

Possible, mais contrairement à Paméla qui laissait ronfler l’aspirateur pendant des heures, elle, au moins, ne faisait pas de bruit.

Sonnerie du téléphone dans la chambre. Vincent alla décrocher et s’exclama en reconnaissant la pointe d’accent quimpérois de l’ex-commissaire Gilbert.

— Gilbert ! Quel plaisir de vous entendre ! Vous êtes à Paris ?

— Pas du tout. Je suis dans le Morbihan.

— Vous faites des infidélités au Finistère ?

— Pour une semaine de thalasso, au Crouesty.

— Pas malade, j’espère ?

— Pas du tout. Mais de temps en temps, il faut décrasser la machine.

— À vous entendre, on a l’impression qu’elle tour-ne rond la machine !

— Vrai. Mais il ne s’agit pas de ma santé. Je vous appelle parce que j’ai un tuyau pour vous. Ghislain Brieuc… Vous situez ?

— Bien sûr.

— Il vient de se suicider. C’est tout frais. Ce ne sera pas sur les téléscripteurs avant plusieurs heures, peut-être plusieurs jours car il paraît que ça peut faire une tempête à la Bourse.

— Comment l’avez-vous appris ?

Vincent entendit le rire chaleureux du commissaire Gilbert :

— Je fais mon aquagym, en piscine, avec un de mes anciens collègues de Vannes. Il a été averti tout de suite. Pour lui, les vacances sont finies.

— Ça date de quand ?

— Une petite heure.

— Comment est-il mort ?

— Il s’est tiré une balle dans la gorge.

— Et il est venu faire cela dans le Morbihan… Drôle d’idée !

— Pas tant que ça. C’est un enfant du pays. D’ailleurs, il possède, enfin il possédait, une grosse villa ici, du côté de Port-Maria.

Le téléphone dans une main, un pan de son peignoir éponge dans l’autre, Vincent essayait, sans succès, de se sécher les pieds :

— Vrai suicide ?

— Tout à fait. Il y aura autopsie bien sûr, mais le suicide ne fait aucun doute. Vous n’êtes pas spécialisé dans le people, mais j’ai pensé que cela pouvait vous intéresser.

— Je pense bien que ça m’intéresse !

— Attention, hein ! Je ne suis pas dans le coup, je ne vous ai rien dit. Mais comme je ne suis plus tenu par le secret professionnel, je peux me permettre de rendre de petits services aux amis…

III

Vincent raccrocha. Il réfléchissait tout en contemplant, sans les voir, les empreintes que ses orteils mouillés avaient laissées sur la moquette bleu ciel. Comment tirer le meilleur parti de ce qu’il venait d’apprendre ? La conférence de rédaction n’avait pas encore débuté. Il pouvait téléphoner, demander qu’on lui réserve deux minutes sur le vingt heures. Cela valait-il le coup ? “L’information exclusive” ne le resterait pas longtemps. Le commissaire Gilbert se faisait des illusions. La nouvelle allait forcément transpirer. Une personnalité comme Ghislain Brieuc ne pouvait pas disparaître sans qu’on s’en aperçoive très vite. Sans doute, déjà, une nuée de directeurs, de conseillers, d’assistants de tout poil essayaient-ils de comprendre pourquoi son portable ne répondait pas.

Une série de hurlements stridents interrompit ses réflexions. Cela venait de la chambre des enfants. À la voix, c’était Nicolas. Albina devait s’évertuer à l’habiller et il faisait de la résistance. Comme tous les matins, il prétendait aller au jardin d’enfants sans ôter son pyjama.

Vincent ouvrit la porte et cria à travers le couloir :

— C’est bientôt fini, ce vacarme ?

Silence. Généralement le coup de gueule paternel calmait le jeu pour cinq six minutes…

Il reprit le cours de ses pensées : Ghislain Brieuc… Il l’avait rencontré à deux reprises, aperçu plus exactement. Une première fois, de loin, à la cérémonie des “Césars”, dans les premiers rangs, à côté d’une très jolie femme, la sienne, lui avait-on dit. Une autre fois, à une réception, dans un de ces raouts fourre-tout où se côtoient le Cac 40, la politique et le show-biz. Ghislain Brieuc, très entouré, serrait des mains avec la courtoisie un peu distante que procure l’assurance d’avoir un physique de play-boy et la certitude d’être l’une des plus grosses fortunes françaises.

Vincent tendit l’oreille. Au fond du couloir, ça chahutait encore ; mais en sourdine. Il sourit en reconnaissant la voix d’Annick :

« Du haut de ses six ans et demi, elle sermonne son frère. Jouer à la grande personne, elle adore ça. »

Des portes claquèrent. Albina avait fini par avoir gain de cause et les emmenait à l’école.

Enfin tranquille pour se poser les bonnes questions. Et d’abord, les raisons de ce suicide. Il avait besoin d’en savoir plus et il disposait de son agence de renseignements personnelle : depuis qu’elle avait été promue rédactrice en chef de la section “Mode” d’un grand magazine franco-américain, Margot disposait d’une véritable banque de données sur les célébrités en tout genre. Elle était partie tôt : des rendez-vous toute la journée ; mais elle passerait d’abord au journal. Elle devait y être encore. Il appela :

— Pouvez-vous me passer Margot Hermelin… Non, maintenant… urgent, oui… de la part de son mari, de son mari, oui…

On le fit attendre. Quand enfin, elle fut en ligne, Margot semblait sur les dents :

— Dis vite… Ghislain Brieuc ? Mais non, je ne crie pas ! Qu’est-ce qui se passe ? Il doit y avoir des articles aux archives. Je vais envoyer la stagiaire… Comment ça, non ? Moi-même ! Tu rêves ! Je suis à la bourre, j’ai trois attachées de presse dans mon bureau. Confidentiel ? Top confidentiel ? Non, d’accord, je n’en parle pas. Tu me raconteras ce soir. Au fait, ça s’est passé comment les enfants ce matin ?

— Très bien, dit Vincent en raccrochant.

Bon, Un coup de téléphone pour rien. Se débrouiller seul, il n’y a que ça de vrai. Il passa au salon où s’empilaient, en vrac, des revues, récentes ou périmées. Il feuilleta, allant droit aux rubriques people. Des potins, des échos, des photos : Ghislain Brieuc, en smoking, sortant d’une soirée privée à l’Opéra, au bras de sa femme. Lui encore, en pantalon blanc et col roulé, sur son yacht. Négligemment assis sur un coin de bureau, en train de répondre aux questions d’un journaliste financier ; une autre encore, datant de l’hiver dernier, sortant de l’hôpital de Saanen : « un accident de ski qui le tiendra éloigné des pistes de Gstaad jusqu’à la fin de la saison… »

Et le suicide dans tout cela ? Quand on a atteint le sommet de la réussite, quand on a tout conquis, le pouvoir, l’argent, les femmes, qu’est-ce qui peut bien vous amener à vous tirer une balle dans la gorge ? Où est la faille ? Car il y en a une, forcément. Débusquer le mystère caché derrière la façade dorée ! C’est dans ces moments-là que le journalisme d’investigation prend tout son sens, devient excitant.

Quand il commença à s’habiller, Vincent avait pris sa décision. Il avait quelques heures avant que la nouvelle s’ébruite. Il fallait en profiter sans perdre une minute.

« Ghislain Brieuc s’est donné la mort à Saint-Gildas-de-Rhuis. C’est de là qu’il faut partir pour remonter le fil. Il y a une faille. Je vais la trouver. Et vite ! »

IV

Quand il l’avait rappelé, à mi-parcours, Gilbert lui avait donné des indications claires ; d’ailleurs, avait-il ajouté, à Saint-Gildas, tout le monde connaît la villa de Ghislain Brieuc. Si vous hésitez, demandez votre chemin sur place. Ce que Vincent avait fait. À l’épicerie du coin, on lui avait indiqué la direction, assortie d’une précision :

— Je crois que ça s’appelle Doaren Braz. C’est une grande baraque avec une tourelle sur un des côtés.

Vincent conduisait rêveusement. La route étroite, à peine plus large qu’un chemin, descendait en pente douce, longeant des jardins où des troènes en fleur répandaient leur odeur sucrée. Il roulait au pas :

— Ça ne devrait plus être bien loin…

Quelques mètres encore et, tout à coup, la mer fut devant lui. Vincent gara sa voiture sur un coin du terre-plein et sortit. La matinée était radieuse et il était seul pour admirer le panorama. Un luxe. On était à marée basse. Dans la crique, des rochers affleuraient sur l’eau scintillante. Au large, le regard se perdait dans un halo de brume légère. Quelques mots lui revenaient à la mémoire :

« Ce toit tranquille où marchent des colombes… Ça sort d’un poème ; lequel ? Aucune importance. »

Au bout de quelques minutes, il s’arracha à sa contemplation. Il fit quelques pas sur le chemin côtier qui surplombe la plage de Port-Maria. Le paysage était superbe, mais il était là pour travailler, pour découvrir les secrets de Ghislain Brieuc… Et d’abord sa maison. À maintes reprises, Vincent avait pu le vérifier, une maison, toujours, reflète peu ou prou la personnalité de ceux qui l’habitent. Il tourna le dos à la mer et entreprit d’inspecter les alentours. Surplombant la plage, un long mur de granit envahi de lierre courait le long du sentier côtier. Vincent le suivit, caressant de la main des moellons grossièrement ajustés où se nichaient des touffes de fleurs sauvages.

« Si les enfants étaient là, Margot leur dirait que c’est un mur pour château de contes de fées. »

Il arriva jusqu’à une porte à peine visible sous la végétation qui dissimulait un écriteau aux lettres délavées que Vincent déchiffra :

— Doaren Braz.

La porte ne comportait aucune poignée mais résistait fermement à la poussée. Un peu plus loin, le mur formait un angle droit. Vincent le longea et finit par arriver à un large portail à doubles vantaux de fer rouillé. Le seuil envahi d’herbes folles indiquait que personne, ni à pied ni en voiture, ne passait par là.

« Par où alors ? Comment entre-t-on là-dedans ? » Le mur était trop haut pour que l’on pût voir autre chose que les cimes d’un bouquet de pins maritimes mais il comportait suffisamment de saillies et de creux pour en faciliter l’escalade. Bientôt Vincent, juché sur le faîte, put regarder à l’intérieur du jardin. Non pas un jardin, plutôt un parc planté d’arbres de haute futaie, des pins, mais aussi des hêtres rouges et des chênes. À travers les frondaisons, on devinait un toit pointu, la tourelle sans doute. Bien décidé à jeter au moins un coup d’œil à la maison, Vincent sauta à terre. Une allée se dessinait, il la suivit. Aucun signe de vie sinon les piaillements aigus d’une nuée de passereaux nichée dans une charmille. Quelques pas encore et il aperçut la maison, grise, tous volets fermés.

Ce fut à ce moment que, levant la tête, il vit le petit rectangle noir abrité dans ce qui avait l’air d’une mangeoire à oiseaux : une caméra de surveillance.

« Normal, se dit Vincent, dans une résidence secondaire dont les propriétaires habitent Paris. »

Il était arrivé à hauteur d’une sorte d’abri de jardin sur le toit duquel il vit une autre caméra. Il regarda plus attentivement autour de lui et découvrit une troisième caméra dans le tronc d’un arbuste à une vingtaine de mètres de la maison. Télésurveillance, soit ; mais, même pour une maison peu habitée, le réseau était plutôt corsé. Il était inutile de se faire remarquer en mettant le système en branle. Il était temps de rebrousser chemin.

— Vous cherchez quelque chose ?

La voix avait jailli derrière son dos. Vincent se retourna d’un bloc.

Deux molosses à moins de trois mètres. Arrivés sans le moindre bruit. Un peu en retrait, un homme, en vareuse, avec une poche dangereusement gonflée et, pendant à la ceinture, un étui bien visible, un étui à matraque. Un silence.

Vincent jugea prudent de ne pas le prolonger :

— On m’a indiqué une maison à vendre ; j’ai cru que…

— Il n’y a rien à vendre ici.

La voix était froide sans aucune inflexion, le regard déterminé. Vincent esquissa un mouvement pour retourner d’où il était venu. Les chiens se rapprochèrent, babines retroussées, sans aboyer, sans gronder. Dressés, prêts à l’attaque.

— Pas par le mur, dit l’homme. Ils n’aiment pas ça, fit-il en désignant les chiens. Suivez-moi.

Ils contournèrent la maison. Sans oser se retourner, Vincent sentait le souffle des deux molosses sur ses talons. Ils arrivèrent, à l’arrière, jusqu’à un large portail, équipé de deux caméras De sa poche, l’homme tira une télécommande. La porte bascula en silence.

— Excusez-moi de vous avoir dérangé, bredouilla encore Vincent. Je me suis trompé, je…

— N’y revenez pas, dit l’homme. Je ne suis pas toujours là pour retenir les chiens.

V

« Ce type n’a pas cru une seconde à mon histoire de maison à vendre. Pour quelqu’un qui ne veut pas se faire remarquer, c’est plutôt raté ! Et, en plus, j’ai bien failli me faire escagasser par les chiens. »

Vincent soliloquait tout en marchant pour aller reprendre sa voiture. Il avait son idée : aller faire un tour du côté du Crouesty, le plus grand port de plaisance de Bretagne et peut-être même de France. Or, Ghislain Brieuc, d’après les magazines, avait une réputation de marin accompli. Il y avait sûrement quelque chose à glaner par là. Il se mit au volant sans cesser de réfléchir.

« Qu’est-ce qu’il peut bien y avoir dans cette baraque pour justifier un pareil système de surveillance ? Ni bijoux ni argent ; on met ça dans un coffre à la banque. Des œuvres d’art ? Peu probable dans une maison qu’on n’habite que de loin en loin. Un mobilier luxueux, du matériel high-tech ? Sûrement. Mais avec une bonne assurance… Alors pourquoi cette profusion de caméras, ces chiens d’attaque, ce gardien armé jusqu’aux dents ? »

En arrivant au Crouesty, Vincent se fit indiquer un parking : longer le centre de thalassothérapie, dessiné comme un paquebot, traverser les jardins du Blue Park, descendre quelques marches avec, en ligne de mire, le clocher d’Arzon. Il déboucha sur les quais. Par où commencer ? Sur la gauche, il repéra le bâtiment de la capitainerie. Il opta pour la droite et commença à déambuler. Les darses n’étaient qu’une forêt de mâts : des bateaux de tout tonnage, coque contre coque. De l’autre côté, c’était l’alternance du granit et de l’ardoise coiffant les toits pointus ; l’alignement des façades aux couleurs pastel était rythmé par les balcons et les décrochements des bow-windows.

Il s’arrêta devant une vitrine où s’alignaient des boussoles, des cordages agrémentés de nœuds compliqués : un shipchandler. Il n’eut même pas à trouver un prétexte pour entrer. Le marchand, debout sur le pas de sa porte, guettait d’improbables clients.

— Ghislain Brieuc ? Oui, je sais qu’il a une maison dans le coin. Mais, moi, voyez-vous, les célébrités, ça ne m’intéresse pas.

Vincent, fermement décidé à en savoir un peu plus, aiguilla la conversation sur le yacht. Le marchand opina du chef : des fournitures pour son bateau ? Oui, il était déjà arrivé qu’on lui passe des commandes, de loin en loin, par téléphone. C’était un employé qui venait les chercher. Toujours le même. Un grand type, plutôt costaud, avec une balafre sur le cou, pas très sympathique. À vrai dire, pas sympathique du tout. À peine merci, bonjour, bonsoir, pas un mot de plus.

Mentalement, Vincent se remémora le gardien, cou dégagé dans sa vareuse, sans la moindre trace de cicatrice.

— Justement, dit-il, je suis chargé de mener à bien une affaire immobilière et c’est avec lui qu’on m’a conseillé de prendre contact.

Le marchand eut l’air étonné :

— Une affaire immobilière avec lui ? Ce n’est pas le genre. Mais vous pouvez aller faire un tour au Cap Horn, c’est à deux pas. Là, vous voyez, le bar-restaurant qui fait l’angle. Il paraît que le balafré va y casser la croûte quand il est dans le coin.

Cela tombait bien. Il était presque l’heure du déjeuner.

VI

Ignorant les galettes et les inévitables pizzas, le Cap Horn proposait une carte alléchante : produits du cru, poissons et fruits de mer. La terrasse, ensoleillée, avec vue sur la capitainerie, était engageante, mais Vincent jugea prudent de ne pas renouveler ses exploits du matin et de jouer la carte de la discrétion. Il s’installa. Quelqu’un, à l’intérieur, derrière le comptoir, cochait fiévreusement des chiffres sur un journal. Vincent lui fit signe, l’homme arriva avec le menu.

— Beau temps, fit Vincent. Et pas trop de monde, c’est agréable…

— Ah, ça n’est pas encore la cohue de l’été ; mais ça commence… Un peu doucement, à notre goût…

Vincent sourit :

— Je parie que c’est vous le patron ?

— Non. Il n’est pas là aujourd’hui.

Vincent, négligeant la carte, commanda une poêlée de coquilles Saint-Jacques dont il savait qu’il n’avait aucune chance de l’obtenir.

— Ce n’est plus la saison, dit le serveur.

Vincent qui emmenait, tous les dimanches matins, les enfants au marché Raspail, le savait fort bien. Mais cela permettait d’engager la conversation.

— Ce n’est plus la saison, expliqua le patron, et ici, pas de surgelés, on ne travaille que des produits frais. J’ai des moules extra, si vous aimez.

— Eh bien, d’accord pour les moules.

— Marinière ou poulette ?

— Marinière.

En chemin, Vincent avait peaufiné sa “couverture” : il était en repérage en vue du tournage d’un téléfilm. Sa maison de production l’avait envoyé dénicher une villa avec un grand parc. On lui avait parlé d’une maison à Saint-Gildas, Port Epar… Douarez Pare…

— Doaren Braz ?

— Oui, c’est ça.

Torchon en main, le serveur essuya la table d’un geste sans réplique :

— Doaren Braz, ce n’est pas le genre de maison qu’on peut louer.

— Mais ce n’est pas pour la saison ; juste pour trois semaines.

— Même pour trois semaines ; faut pas y compter.

— Attendez ! s’écria Vincent. À la télé, on ne lésine pas sur les moyens. La production paie au prix fort.

L’autre s’esclaffa :

— Le prix ! Vous savez à qui elle appartient cette maison ?

— Non.

— À Ghislain Brieuc !

— Ghislain comment ?

— Pour quelqu’un de la télé, vous devriez connaître ! Voyons, la banque Harris et Chang, la compagnie Trans-Petroleum, les plantations à Madagascar, sans compter les vignobles dans le Bordelais et en Champagne, et j’en passe ! Un homme qui brasse des milliards ! Alors, le prix, vous pensez, c’est le cadet de ses soucis !

Vincent, à présent, affichait un air désappointé, plus vrai que nature.

— Je vais quand même tenter ma chance…

— On n’entre pas à Doaren Braz, coupa le serveur. Personne. Sauf l’entreprise de jardinage. Et encore, seulement dans le parc. Jamais dans la maison.

— Je vais quand même tenter ma chance, dit Vincent.

— Vous perdez votre temps.

— On m’avait conseillé de prendre contact avec son intermédiaire, un homme qui a une cicatrice…

— Ludovic ? Il habite Paris lui aussi. Chaque fois que Ghislain Brieuc vient à Saint-Gildas, il est du voyage ; c’est son homme à tout faire.

— Ça arrive souvent ?

— De temps à autre ; et jamais pour longtemps.

— On peut s’entendre avec lui ? Comment est-il ce Ludovic ? demanda Vincent.

— Pas causant. Pas désagréable non plus. Il faut le connaître. C’est un baroudeur, ça se voit tout de suite. À mon avis, ancien légionnaire ou quelque chose comme ça.

— Vous savez où on peut le joindre ?

— Moi, non. Mais vous pourriez essayer l’entreprise de jardinage qui entretient le parc. Je vais voir si j’ai une carte.

Il n’en avait pas. Il griffonna une adresse au dos d’un bout de la nappe en papier ;

Il ne restait plus qu’à discuter des mérites respectifs des rougets de Méditerranée et de leurs congénères du Golfe.

Vincent commanda un dessert auquel il toucha à peine, un café qu’il dégusta avant d’aller régler sa note dans l’arrière-salle où le serveur s’intéressait de nouveau à l’amélioration de la race chevaline. Il lui serra la main.

— Les moules étaient très bonnes. Je reviendrai. Et merci pour l’adresse.

Qu’avait-il appris ? Pas grand-chose. Des ragots, des détails apparemment anodins mais intrigants tout de même.

Son intuition, que l’expérience lui avait appris à écouter, lui disait qu’il fallait poursuivre le jeu de piste.

VII

Sur le bout de papier donné à Vincent, le serveur du Cap Horn avait esquissé un plan assez confus. Il fallait retourner en direction de Saint-Gildas jusqu’au rond-point du Net, contourner l’étang de Kerpont, ensuite, prendre la rue où une maison à toit de tuiles faisait l’angle.

— Les toits de tuiles, ce n’est pas courant ici ; vous trouverez sans peine.

C’était vite dit… Vincent dut effectuer un certain nombre de marches avant marches arrière dans une série de ruelles qui se révélaient parfois être des impasses, avant de tomber dans l’une d’elles sur une benne débordant de feuillage fraîchement coupé.

— Ce doit être ici.

Il franchit un porche grand ouvert sur une cour au fond de laquelle un garçon en salopette rinçait des outils à grande eau.

— Monsieur Le Dross ?

Un homme sortit d’un appentis.

— C’est moi.

Dès qu’il eut commencé à exposer le but de sa visite, Vincent s’entendit confirmer ce qu’il savait déjà. On n’entrait pas à Doaren Braz sans montrer patte blanche ; et encore… Il n’avait donc aucune chance de visiter la propriété.

— Mais, pour le tournage, insista Vincent, c’est seulement le parc qui nous intéresse.