Les Amants terribles de la Trinité - Gisèle Guillo - E-Book

Les Amants terribles de la Trinité E-Book

Gisèle Guillo

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Beschreibung

Une ruée vers l'or qui n'épargne rien ni personne sur son passage...

Depuis des siècles, le mythe de l’or, “le fabuleux métal”, exerce sa fascination sur l’imaginaire des hommes, excite leur convoitise. La ruée vers l’or est toujours d’actualité. Et les Conquistadores des temps modernes, en quête d’eldorados sous-marins, sont d’autant plus à craindre qu’ils se présentent parfois en costume cravate et en voiture de luxe.
Vincent et son vieux copain Jean-Luc sont bien loin de s’en douter, lorsqu’ils débarquent à La Trinité-sur-Mer, pour suivre un stage de voile, seuls, entre hommes.
Mais, au fil des jours, ils vont découvrir qu’il existe des requins plus redoutables que les prédateurs des grands fonds…
Que si la fièvre de l’or continue de faire rêver, il arrive parfois que les rêves virent au cauchemar.

Un polar où tous les coups sont permis !

EXTRAIT

L’air était vif mais, peu à peu, les nuages du matin se dissipaient. Vincent consulta sa montre : à peine plus de midi. Il décida de s’accorder un moment de promenade et de partir à la découverte de La Trinité-sur-Mer dont un de ses collègues de Télé-Média lui avait assuré qu’il allait tomber amoureux. Il arriva au cours des Quais et s’arrêta pour admirer le paysage. À sa gauche, le pont de Kerisper qui enjambe ce que l’on appelle la rivière de Crach. À ses pieds, la rivière s’élargissait en estuaire. Le courant tirait vers la pleine mer que l’on devinait sur la droite. Il remonta le quai jusqu’à la hauteur de l’École de voile, flânant devant les boutiques qui se succédaient. Les vitrines étaient alléchantes : du sportswear chic, des marques connues. Il ne résista pas, s’offrit une paire de chaussures de bateau et se promit de revenir pour faire un cadeau aux enfants. Il était en vue de l’École de voile. Un petit creux dans l’estomac lui rappela qu’il était temps de dénicher un bistrot sympathique. Il fit un brusque demi-tour et bouscula quelqu’un venant en sens inverse et qui marchait sur ses talons. Il bafouilla quelques mots d’excuse, dans le vide, tandis qu’une longue silhouette encapuchonnée de blanc s’éloignait rapidement. Un quart d’heure plus tard, attablé devant une assiette d’huîtres, il était en train de beurrer sa troisième tartine lorsque son portable sonna.

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidélité à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires. Elle finit par succomber à sa passion pour la littérature policière et a signé plusieurs polars.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

À Alexandre Luthi et Hervé FoissacMes amis suisse et français,pour leurs précieux conseilsen matière de plongée sous-marine.

REMERCIEMENTS

- À La Trinité-sur-Mer :

- Au restaurant L’Azimut

- À l’hôtel Les Hortensias

- À L’Office de Tourisme, pour leur accueil et leur gentillesse.

« Ils allaient conquérir le fabuleux métalQue Cipango mûrit dans ses mines lointainesEt les vents alizés inclinaient leurs antennesAux bords mystérieux du monde occidental… »

José-Maria de HérédiaLes Conquérants - (in Les Trophées)

I

Vincent rabattit le battant de fer du portail et prit les clés qu’on venait de lui confier.

— Prenez-en grand soin, avaient-ils dit. Ne les perdez pas car il n’y a pas d’autre jeu. Si vous les égarez, vous devrez passer la nuit à la belle étoile ou louer une chambre d’hôtel.

— Ne craignez rien !

— Surtout si vous faites de la voile. Les débutants ne se rendent pas compte… Un geste maladroit, le sac tombe à l’eau. Et c’est irrécupérable.

— Nous ferons attention.

— Celle-ci, c’est la clé du garage. Une seule clé et la place pour une seule voiture, la vôtre, je crois. Nous sommes bien d’accord ?

— Tout à fait.

— Pour votre ami…

— Il va me rejoindre en train. Une seule place, cela nous suffit.

Vincent avait dû laisser échapper un geste d’agacement car le propriétaire avait cru bon de s’expliquer :

— Voyez-vous, mieux vaut mettre tout au point dès le départ. D’habitude, nous ne louons jamais quand nous nous absentons. Par les temps qui courent, on n’est jamais trop prudent… Vous comprenez…

Il comprenait. Il était prêt à tout comprendre pourvu qu’ils en finissent avec la litanie des recommandations. Enfin, sous le regard suspicieux de son mari, madame Brazec lui avait tendu la clé de garage et les deux trousseaux, comme à regret.

Vincent fouilla dans sa poche pour prendre le précieux sésame La clé butait dans la serrure. Il força un peu, à peine, comme on le lui avait fermement conseillé. La clé joua dans la serrure et Vincent ferma le portail. Avant de tourner les talons, il jeta un coup d’œil satisfait sur l’endroit où il allait vivre pendant une dizaine de jours : un jardin un peu ridicule avec ses allées garnies de gravier, ses quelques arbres fruitiers au milieu de plates-bandes tracées au cordeau. La maison, à laquelle on avait ajouté un étage qui jurait avec le rez-de-chaussée traditionnel, manquait de style… Mais, avec sa façade fraîchement recrépie de blanc, ses jarres de lauriers-roses encadrant le perron à trois marches, elle était quand même sympathique. Une fois, de plus, il regretta que Margot et les enfants ne puissent pas en profiter. Heureusement, Jean-Luc allait venir le rejoindre.

— Pourvu qu’il puisse se libérer… se dit-il.

On était mardi, jour de marché. Dans la rue, les passants se pressaient, chargés de cabas débordant de légumes. Gentiment, car ils étaient gentils finalement, les propriétaires l’avaient renseigné :

— Mais le marché au poisson a lieu tous les jours.

Vincent imaginait déjà les petits gueuletons de fruits de mer et de poisson qu’ils allaient se concocter, Jean-Luc et lui. Tout à ses pensées, il n’avait pas remarqué le passant qui, la tête encapuchonnée dans une parka blanche, s’était immobilisé sur le trottoir d’en face et l’observait depuis un moment. Vincent fit glisser les clés dans la poche de son jean et descendit en direction des quais.

Le promeneur à la parka blanche lui emboîta le pas.

L’air était vif mais, peu à peu, les nuages du matin se dissipaient. Vincent consulta sa montre : à peine plus de midi. Il décida de s’accorder un moment de promenade et de partir à la découverte de La Trinité-sur-Mer dont un de ses collègues de Télé-Média lui avait assuré qu’il allait tomber amoureux. Il arriva au cours des Quais et s’arrêta pour admirer le paysage. À sa gauche, le pont de Kerisper qui enjambe ce que l’on appelle la rivière de Crach. À ses pieds, la rivière s’élargissait en estuaire. Le courant tirait vers la pleine mer que l’on devinait sur la droite. Il remonta le quai jusqu’à la hauteur de l’École de voile, flânant devant les boutiques qui se succédaient. Les vitrines étaient alléchantes : du sportswear chic, des marques connues. Il ne résista pas, s’offrit une paire de chaussures de bateau et se promit de revenir pour faire un cadeau aux enfants. Il était en vue de l’École de voile. Un petit creux dans l’estomac lui rappela qu’il était temps de dénicher un bistrot sympathique. Il fit un brusque demi-tour et bouscula quelqu’un venant en sens inverse et qui marchait sur ses talons. Il bafouilla quelques mots d’excuse, dans le vide, tandis qu’une longue silhouette encapuchonnée de blanc s’éloignait rapidement. Un quart d’heure plus tard, attablé devant une assiette d’huîtres, il était en train de beurrer sa troisième tartine lorsque son portable sonna.

— Je viens aux nouvelles, dit Jean-Luc. Alors ce contrat de location, il est signé ?

— Oui, et pas sans mal.

— Raconte…

— Convaincre les propriétaires d’accepter des locataires en leur absence…

— Pourquoi en leur absence ?

— Il y a trois jours, on leur a appris qu’ils avaient gagné le premier prix d’un jeu télévisé, deux semaines dans un quatre-étoiles de l’Île Maurice. Mais il fallait partir tout de suite. Ils m’avaient promis l’appartement, ils n’ont pas osé se dédire. Mais tu n’imagines pas à quel point ces gens sont méfiants. La femme surtout. Quand elle a su que Margot était retenue près de sa mère avec les enfants, elle m’a tout de suite informé qu’il « n’était pas question que je reçoive des femmes dans leur maison… »

— Tu les as rassurés ?

— J’ai cru bien faire en leur disant que j’allais partager l’appartement avec un ami. Alors là, la gaffe !

Vincent entendit le rire de Jean-Luc à l’autre bout de la ligne :

— Ils ont pensé que tu étais homo ? C’est ça ?

— Je crois, oui… Et, de toute évidence, ils n’ont pas les idées larges… Il fallait voir leur air soupçonneux « vous êtes marié et vous passez vos vacances avec un ami… » J’ai dû leur expliquer que toi aussi tu étais marié, qu’Anne-Marie et toi étiez nos meilleurs amis, que c’était toi qui m’avais fait entrer à Télé-Média… Ils ont fini par s’excuser : « Vous comprenez, avec les journalistes, surtout les gens de télévision, on peut s’attendre à n’importe quoi. » Mais tout s’est arrangé quand j’ai dit que j’aimais les chats…

— Pourquoi ?

— Parce qu’ils ont un chat et que nous sommes chargés d’assurer l’intendance pendant leur absence. C’est moi qui m’en occuperai. Enfin, j’ai les clés, on peut s’installer. Au fait, monsieur et madame Brazec, ce sont les propriétaires ; la maison s’appelle Kervonnick. Quand arrives-tu ?

— Pas avant trois jours. Je suis sur un gros contrat, j’ai besoin d’au moins quarante-huit heures.

— Oh, fit Vincent déçu, mais je nous ai inscrits au Club de voile…

— Eh bien, quand j’arriverai, tu auras deux jours d’avance sur moi ! En attendant, repère les bonnes adresses de restaurants !

Quand Vincent sortit, le soleil brillait dans un ciel à présent dégagé. Il faisait presque chaud. Son blouson sur le bras, il traversa pour longer les bassins au plus près. Dans la darse centrale, des bateaux de toutes sortes, de toutes tailles étaient amarrés aux pontons. Il poussa jusqu’à la cale de mise à l’eau et traversa de nouveau. Il se trouvait au bout du cours des Quais dans la partie qu’il n’avait pas encore découverte. Une galerie exposait des photos de marine qui étaient de véritables œuvres d’art. Il se souvint qu’il était chargé par les enfants de trouver une idée de cadeau pour la Fête des mères.

— Une de ces magnifiques photos, pensa-t-il, ferait sûrement plaisir à Margot. Et à moi aussi…

Il entra, demanda les prix, dit qu’il repasserait. Au moment où il sortait de la boutique, à quelques pas de lui, passa le promeneur, un adolescent sans doute, qu’il avait bousculé le matin. Machinalement, il suivit des yeux la longue silhouette filiforme.

— Se promener avec un capuchon sur la tête… Par un temps pareil ! Il faut vraiment être dingue.

L’instant d’après, il n’y pensait plus. Quelques pas encore et nouvel arrêt. Cette fois, devant un magasin de “cycles et motos”. Vincent tomba en admiration devant les machines galbées comme des chevaux de course, qu’on apercevait à travers les parois vitrées. Depuis trois ans, il avait renoncé au métro et aux taxis pour ses déplacements dans Paris. Il était revenu à ce qui avait été une passion de jeunesse, les scooters, puis les motos, de préférence les grosses cylindrées. Impossible de ne pas entrer. On le laissa admirer les machines rutilantes, puis un vendeur s’approcha.

— Je peux vous renseigner ?

— Oh, je ne suis pas acheteur, dit Vincent ; ma bécane est récente, mais j’admire.

— En ce moment, il y a une forte demande pour les trois-roues.

Le vendeur était aimable, disponible. Il avait tout de suite compris qu’il avait affaire à un vrai amateur. Ils bavardèrent longtemps.

De l’autre côté du quai, le promeneur à la parka blanche s’était immobilisé et ne les perdait pas des yeux.

II

Le lendemain matin, il était dix heures passées lorsque Vincent se décida à sortir de Kervonnick. Il s’était levé tard, de mauvaise humeur après une nuit où, à plusieurs reprises, il s’était réveillé pour regretter ce début de séjour en solitaire. Il prit une douche rapide et passa dans la kitchenette.

— C’est petit, mais il y a tout le nécessaire pour faire la cuisine, avait affirmé la propriétaire.

Vite dit. Après deux ou trois tentatives pour apprivoiser une cafetière asthmatique, il abandonna et descendit prendre son petit-déjeuner dans un café voisin. Puis, presque sans y penser, il prit le même chemin que la veille.

« Tu es un flâneur impénitent », soupirait Margot.

C’était vrai. Contrairement à Margot, infatigable lorsqu’il s’agissait de découvrir des sites, des églises, des monuments, Vincent, dès qu’il était en vacances, se sentait pris d’une indolence à laquelle il ne résistait guère.

« C’est l’atavisme, disait-il, n’oublie pas que je suis du Sud… »

Il remonta le cours des Quais, et, devant le bâtiment de l’École de voile, il hésita. Prendre un premier contact avec un des moniteurs ? Seul, cela ne le tentait pas. En fait, c’était Jean-Luc qui tenait à perfectionner les premières notions acquises lors du stage qu’ils avaient fait ensemble aux Glénan, l’année précédente. Il dépassa le bâtiment, se retrouva sur le Terre-plein des Américains, s’arrêta un moment pour admirer le cours de la rivière à marée basse. Des reflets moirés couraient sur l’étroit chenal où un bateau, toutes voiles affalées, remontait le courant au moteur, vers la pleine mer. Sur la droite, un sentier longeait une crique. Un panneau signalait que la promenade offrait des points de vue intéressants. C’était tentant, mais il remit la découverte à plus tard. Bien qu’il n’eût aucune envie de se retrouver seul dans la maison vide, il lui fallait se débarrasser de la corvée qu’il remettait depuis la veille, défaire sa valise, s’installer en attendant l’arrivée de Jean-Luc. Il demanda son chemin, remonta la rue des Frères Kermorvan, traversa une ruelle, une autre. Mais alors qu’il arrivait à Kervonnick, il s’arrêta net devant un drôle de véhicule, en stationnement sûrement interdit et qui occupait toute la largeur du trottoir.

Il s’approcha de l’engin pour mieux l’examiner. Ce n’était pas un trois-roues ordinaire. Pas de doute, ce qu’il avait devant les yeux, c’était un véritable sidecar, un engin passé de mode depuis longtemps. Mais celui-là était un modèle récent, flambant neuf. Vincent en fit le tour, admirant le gros phare à l’avant, les chromes étincelants et le siège du passager, le “panier”, avec son fauteuil rétro à souhait.

— Ça vous plaît ?

Vincent se retourna. Derrière lui, un grand gaillard, du genre costaud, le considérait avec un sourire amusé.

— J’admire. Vous permettez que je regarde de plus près ?

— Je vous en prie…

Vincent tournait autour de l’engin. Il éprouva de la main la stabilité du siège du conducteur, effleura du doigt les courbes du “panier”.

— Alors ? Votre avis ?

— C’est une belle bête, dit Vincent. Je suis bluffé. Je n’imaginais pas qu’on fabriquait encore ce type de moto…

— Mais ce n’est pas une moto !

— Je sais, c’est…

— Un « tue-belle-mère », comme on disait autrefois. C’est un side-car, un vrai.

— Il est à vous ?

— Il est à moi.

— Et ça roule ?

L’inconnu éclata d’un grand rire.

— Bien sûr que ça roule ! Cela dit, ce n’est pas fait pour les amateurs de vitesse. Mais il y a des avantages, aucun frais de carburant.

Vincent le regarda, interloqué. « Il se fout de moi », pensa-t-il.

Comme s’il l’avait deviné, l’inconnu reprit :

— Mais non, je suis sérieux ; ça roule à l’électricité. Il y a une batterie, amovible. Quand je ne fais qu’une petite course, comme aujourd’hui, je la démonte ; ça allège, on roule mieux. Cela vous amuserait de l’essayer ? Je peux vous emmener faire un tour si vous voulez…

Vincent regarda sa montre.

— Là tout de suite, je ne peux pas. Il faut que je rentre, j’ai un rendez-vous téléphonique. Je suis arrivé hier, et je n’ai pas encore défait ma valise…

— Vous n’êtes pas du coin ?

— Je viens de Paris, faire un stage de voile.

— Moi de Toulouse, essayer mon nouveau bateau. Mais on peut se revoir demain si vous voulez ?

— J’accepte, dit Vincent. On se donne rendez-vous ici ?

— Non, parce que, comme vous voyez, il me faut de la place. Vous connaissez le Terre-plein des Américains ?

— J’y étais, il y a dix minutes.

— Alors, au Terre-plein. Là-bas, on peut se garer. Demain, onze heures, ça vous va ?

— C’est parfait pour moi. Alors à demain.

Ils échangèrent une poignée de main avant de se séparer.

Margot, toujours exacte, appela à l’heure convenue. Elle allait bien, elle s’ennuyait un peu.

— Et les enfants ?

— Je les occupe comme je peux. J’ai inscrit Annick à un stage de danse et j’ai déniché un cours de judo pour Nicolas. À l’entendre, il est plus fort que tous les autres. Tu le connais…

— Mais c’est peut-être vrai. Pour huit ans, il se débrouille remarquablement.

— Sauf à l’école, rectifia Margot. Et puis, je les emmène à la piscine tous les jours ; bref, ils vont bien. Quant à Maman…

— J’allais te demander de ses nouvelles.

— L’opération s’est très bien passée. C’était une fracture simple. On m’a dit qu’elle pourrait rentrer chez elle dans une dizaine de jours.

— Tant que ça ! fit Vincent, déçu.

— Ensuite, il va falloir que je me débrouille avec sa femme de ménage.

— Justement, puisqu’il y a sa femme de ménage, tu ne pourrais pas…

— Non, Chéri, impossible de laisser Maman seule dans cette situation. Comprends-moi…

Le ton de Margot était catégorique. Vincent sentit qu’il était inutile d’insister.

— Tu me manques, soupira-t-il.

— Toi aussi, tu me manques, dit Margot. Mais je te promets que cet été, pendant une semaine, nous confierons les enfants à Jean-Luc et Anne-Marie. Ils ne demandent que cela et on fera un voyage à deux, en amoureux.

Vincent laissa échapper un soupir.

— Alors, en attendant cet été, à demain, au téléphone.

Il posa son portable sur un coin de table. Tout en défaisant sa valise, il inspecta le logis qu’il allait partager avec Jean-Luc. Ce que les propriétaires appelaient pompeusement l’appartement du premier étage était en fait des combles aménagés. Assez joliment, d’ailleurs. Toutes les parois étaient revêtues de bois, de la frisette peinte en blanc ; ce qui donnait à l’ensemble un aspect à la fois moderne et chaleureux. Il y avait une salle de bains confortable, une kitchenette ouverte sur le palier desservant l’escalier et deux chambres. Vincent avait laissé la meilleure à Jean-Luc. Celle qu’il s’était attribuée était exiguë mais elle avait une jolie vue sur un coin de ruelle. Le tout était fortement mansardé, meublé avec sobriété et, somme toute, accueillant.

Il avait fini de ranger ses affaires mais, avant de sortir déjeuner, il devait remplir son office au rez-de-chaussée. Les propriétaires avaient un chat, un matou tigré.

« Vous seriez assez gentil pour vous en occuper ? » avaient-ils demandé. Vincent aimait les animaux, les chats en particulier. Il avait accepté de bonne grâce.

Il descendit. Le rez-de-chaussée était plongé dans l’obscurité, sauf l’entrée partiellement éclairée par l’imposte de la porte donnant sur le jardin. Vincent passa dans la cuisine, ouvrit le placard où madame Brazec lui avait montré la provision de croquettes. Elle avait vu grand. Il en versa généreusement dans l’assiette, déboucha une bouteille d’eau minérale.

— Surtout pas d’eau du robinet, avait dit madame Brazec. Barnabé est très délicat, il ne supporte que l’eau minérale. Et il boit beaucoup.

Vincent versa l’eau minérale dans l’écuelle de faïence prévue à cet effet. Les instructions de madame Brazec étaient précises : il devait placer l’écuelle d’eau sur le rebord de la fenêtre pendant la journée et la déposer sur le sol de la cuisine, le soir, lorsque Barnabé rentrait pour la nuit.

La fenêtre de la cuisine était garnie de solides barreaux à travers lesquels le chat pouvait aller et venir à sa guise. Le matin, Vincent devait ouvrir un seul battant et les deux, tout grand, l’après-midi.

— L’après-midi seulement, n’est-ce pas, lui avait-on dit, car Barnabé est frileux.

Vincent s’exécuta. Puis il sortit sur le perron, ferma la porte à clé et s’éloigna à travers le jardin. Un soudain coup de vent fit claquer un des volets. Il revint sur ses pas pour fixer les battants dans les crochets fichés dans le mur. Soigneusement, comme on le lui avait montré.

« C’est curieux, pensa Vincent, il me semblait les avoir bien accrochés ce matin. » Malgré toutes les recommandations, il avait oublié. Il traversa le jardin en se promettant d’être plus attentif à l’avenir.

III

Le side-car tanguait à chaque bosse de la route. Agrippé des deux mains aux rebords du “panier”, Vincent s’efforçait d’anticiper les virages en s’appuyant de côté pour maintenir l’équilibre.

— Où allons-nous ?

— J’avais pensé à Carnac.

Le vent ne facilitait pas la conversation.

— Carnac ? C’est ça ?

— Oui, la grande plage, si vous êtes d’accord.

— D’accord.

— Mais on peut pousser jusqu’à Port en Dro, si vous voulez ?

— Non, non, la grande plage, c’est parfait.

Le vent, de plus en plus frais, les giflait par à-coups. Vincent lâcha un instant le rebord du siège pour rajuster son écharpe, ce qui valut au conducteur et à son passager une embardée très sportive.

— Ça secoue, hein ?

— C’est le moins qu’on puisse dire !

Les premières gouttes de pluie leur arrivèrent alors qu’ils entraient dans l’avenue des Druides.

— On va se garer, cria le conducteur. Il y a des parkings tout le long des dunes de la plage. À cette saison, et par ce temps, il y a toutes les places qu’on veut. Et, tout de suite, on se cherche un restaurant bien abrité. Toujours d’accord ?

— Tout à fait, fit Vincent qui regrettait amèrement de n’avoir pas prévu de ciré.

Quelques minutes plus tard, ils s’installaient dans la salle quasi déserte d’un restaurant du boulevard de la Plage.

— Je manque à tous mes devoirs ; je ne me suis même pas présenté : Benoît Verdier, conseiller financier.

— Moi, c’est Vincent Hermelin. Nous habitons Paris. Je suis journaliste.

— À la télévision, n’est-ce pas ? Il me semble que je vous ai vu à…

— À Télé-Média. Et vous, vous habitez Toulouse, m’avez-vous dit ?

— Oui, vous connaissez ?

La réponse resta en suspens car le serveur arrivait. Ils commandèrent une soupe de poisson.

— Bien chaude, s’il vous plaît, dit Vincent.

— Je suis confus, reprit Benoît Verdier en riant, je vous embarque dans une machine qui vous secoue comme un prunier, pour une balade sous la pluie. D’ailleurs, je me dis qu’au prix où il vend sa bécane, le constructeur pourrait aussi fournir les parapluies.

— Récapitulons, dit Vincent qui, maintenant qu’il se réchauffait, s’amusait lui aussi. Cela tient plus de la bicyclette améliorée que d’une vraie moto ; ça ne roule pas vite, ça ne tient pas la route, conducteur et passager sont livrés aux intempéries et en plus, vous dites que c’est cher. Alors, entre nous, pourquoi l’avez-vous acheté, cet engin ?

Benoît Verdier fit une drôle de grimace.

— Vous ne devinez pas ?

— Non, enfin, si peut-être… Plus de points au permis ? C’est ça ?

— C’est ça.

— Mais cela se rattrape… on peut faire des stages…

— Je sais, mais moi, c’est la troisième fois en deux ans que je perds tous mes points ! Un accrochage idiot où j’avais tous les torts. Et puis, je suis incorrigible… Les excès de vitesse, quand on a une voiture rapide, on ne s’en rend pas compte…

— Qu’est-ce que vous avez comme voiture ?

— Une Porsche.

— La 911 ?

— Oui, la 911 Carrera 2. Bref, j’ai écopé d’une suspension de permis pour six mois.

La conversation roula pendant le repas.

— Journaliste, disait Benoît Verdier, c’est un métier qui m’a toujours fait rêver. Vous êtes grand reporter, je crois ?

— On va dire reporter, tout court. En fait, ma vraie spécialité c’est le journalisme d’investigation.

— Ce doit être passionnant…

— Pas autant qu’on le croit. Et, parfois, ce n’est pas sans risque. Ma femme n’aime pas ça.

— Ah, vous êtes marié…

— Oui, ma femme aussi est journaliste ; la rubrique “mode”, dans un magazine féminin.

— Des enfants ?

— Oui, deux. Et vous ?

— Oh moi, c’est beaucoup plus simple. Je suis juriste, spécialiste en ingénierie financière. Depuis trois ans, j’ai monté ma propre boîte, je travaille seul.

— Et ça marche ?

— Au-delà de mes attentes. Pour le reste, Pas d’enfant. Libre comme l’air. Divorcé, deux fois. Voyez-vous, je perds mes femmes aussi facilement que je perds mes points.

Des yeux très noirs, des dents très blanches, Benoît Verdier avait un rire communicatif et, malgré sa carrure de costaud, il avait l’air de quelqu’un qui s’amusait de tout.

— Cela n’empêche pas de trouver que la vie est belle.

— Donc, poursuivit Vincent, vous avez un bateau…

— C’est comme pour les femmes, j’en change de temps en temps. Là, je viens d’en réserver un qu’on me remet à neuf dans un chantier près d’Arradon. Mais la voile m’intéresse moins depuis que j’ai découvert la plongée sous-marine.

En revanche, concernant le stage de voile, Benoît Verdier était très réticent :

— Vous allez vous ennuyer, votre ami et vous. Barrer chacun son tour, tirer des bords, cela n’amuse que les gamins. Pour devenir un vrai voileux, croyez-en mon expérience, il n’y a qu’une méthode, apprendre sur le tas. Si mon bateau est prêt, je pourrai vous emmener faire une ou deux sorties dans le Golfe, votre copain et vous. À condition de bien connaître les courants, et par beau temps, le Golfe, c’est assez tranquille.

Ils avaient échangé leur numéro de portable. Ils bavardèrent longtemps sans se rendre compte que l’averse avait cessé.

Dans la soirée, quand, lors de leur rendez-vous téléphonique, Vincent raconta sa journée à Margot, il fut intarissable à propos de Benoît Verdier.

— Nous avons sympathisé tout de suite. C’est le type même du bon vivant. Et, figure-toi, il habite Toulouse, Pouvourville comme ta mère.

— Quelle coïncidence ! Tu lui as dit que tu connaissais l’endroit ?

— Pas eu le temps. C’est un bavard intarissable, toujours une histoire drôle à raconter.

— Vous allez vous revoir ?

— Oui. Il a une maison dans les environs. C’est une chance pour moi d’avoir fait sa connaissance. Parce que je commençais à trouver le temps long. Pour tout dire, en attendant Jean-Luc, je m’ennuie ferme ici.

— Qu’est-ce que tu fais demain ?

— Nous allons voir où en est la réfection de son bateau.

— Toujours en side-car ?

— Ah non ! Je lui ai dit que j’avais ma voiture et tous mes points au permis. Il est entendu que je l’emmène. Il a accepté. Je crois qu’il en assez de se traîner sur sa bécane.

— Et ce soir, tu dînes dehors ?

— Oui, je n’ai pas le courage de rester seul dans cette maison vide. Benoît Verdier connaît tous les bistrots de La Trinité, il m’a vivement recommandé une crêperie-restaurant ; bonne ambiance et nourriture excellente. Cela s’appelle Le Cabestan. Je vais l’essayer dès ce soir. Chérie, je te laisse, j’entends des miaulements en bas.

— Tu me rappelles en rentrant ?

— Promis.

Vincent attrapa son blouson et descendit quatre à quatre. Dans la cuisine, le chat tournait en rond en miaulant furieusement. L’assiette était encore à moitié pleine de croquettes.

— Donc, tu ne meurs pas de faim, fit Vincent.

Il tenta une caresse que le chat esquiva sans cesser de miauler. Les clés à la main, Vincent se disposait à partir. Mais le chat était de plus en plus agité. Vincent revint sur ses pas.

— Qu’est-ce que tu as, Barnabé ? Est-ce que tu aurais soif ?

Vincent s’aperçut que l’écuelle avait disparu. Il posa ses clés sur le rebord de la fenêtre, se pencha ; l’écuelle, renversée, était dans le jardin. Le chat avait dû la faire tomber.

— Et ta maîtresse qui m’a dit que tu étais si soigneux !

Vincent sortit, ramassa le récipient, le rinça, le remplit d’eau. Barnabé avait cessé de miauler et suivait chacun de ses mouvements. À peine Vincent eut-il posé l’écuelle par terre que le chat se précipita pour boire.

— C’était donc ça. Tu avais soif ! Tu essaieras d’être plus adroit demain.

Calmé, Barnabé se léchait les pattes. Vincent ferma les volets, les fenêtres et sortit.

IV

Vincent jeta un coup d’œil circulaire sur la salle. Elle était pleine. On lui avait trouvé une place libre. Et encore, parce qu’il était seul.

— Je peux vous mettre là-haut, en mezzanine, la petite table du fond, si ça vous va ?

Cela lui allait très bien. Il s’était glissé de justesse entre la paroi et un dressoir de service, les genoux coincés ; mais il avait une vue superbe sur les coteaux de Saint-Philibert où s’allumaient les premières lumières. Il se félicita d’avoir suivi les conseils de Benoît Verdier qui lui avait signalé l’enseigne comme l’une des meilleures crêperies de l’endroit. Il se sentait bien. Il faisait chaud et cela sentait bon la crêpe. Un long moment se passa avant qu’on vienne s’occuper de lui. De temps en temps, la serveuse, une grande bringue manifestement débordée, lui faisait un petit signe pour lui faire comprendre qu’on ne l’oubliait pas. Mais Vincent attendait sans impatience. Autour de lui, beaucoup d’enfants ; c’était un endroit où l’on venait dîner en famille. Exactement ce qu’il lui fallait pour meubler sa solitude.

Enfin, la serveuse, essoufflée, arriva.

— Et pour vous, qu’est-ce que ce sera ?

— Je ne sais pas. Vous avez une carte ?

— Je ne vous l’ai pas donnée ?

— Non. Ce n’est pas grave. Qu’est-ce que vous avez de bon ?

— On a des grillades ou des crêpes. Tout le monde prend des crêpes ici.

— Alors, je vais faire comme tout le monde. Conseillez-moi…

Vue de près, la grande bringue était une assez jolie blonde, longue, très mince, étroitement moulée dans une sorte de combinaison en jean noire, un peu trop « slim » aurait dit Margot. Elle prit la commande et Vincent la regarda s’éloigner en ondulant entre les tables.

Le service, c’était vrai, laissait à désirer et il fallait s’armer de patience entre les plats. Chaque fois qu’elle posait sur la table l’assiette garnie d’une crêpe brûlante, la grande blonde avait un mot gentil :

— Excusez-nous ; il y a un monde fou, ce soir. On n’avait pas prévu…

La salle se vidait lorsqu’elle apporta enfin le dessert, une crêpe au rhum qu’elle fit flamber en se penchant juste assez pour laisser deviner qu’elle ignorait – superbement d’ailleurs – l’utilité d’un soutien-gorge.

— C’était bon ? demanda-t-elle.

— C’était délicieux, dit Vincent.

— Alors vous reviendrez ?

— Pourquoi pas…

Elle roulait les « r » de façon appuyée ; son accent – russe peut-être ? – était agréable. Vincent la regarda en souriant.

— Vous êtes bretonne ?

Elle lui rendit son sourire.

— Pas tout à fait ; ça s’entend, n’est-ce pas ? C’est cela que vous voulez dire ?

— Excusez-moi, je vous taquine.

— C’est plutôt gentil. Je viens du Nord, de Vilnius. Vous prenez un café ? C’est la maison qui vous l’offre pour nous faire pardonner l’attente.

Vincent croyait entendre Margot qui, parfois, avait la dent dure :« Quelle amabilité ! Elle a tout de suite repéré le client esseulé ! »

Il but son café, demanda la note, laissa un gros pourboire.

Sur le pas de la porte, la grande blonde lui souhaita une bonne soirée en lui dédiant un large sourire. « Un sourire au botox », aurait dit Margot.

Lentement, car la perspective de finir la soirée tout seul n’avait rien de réjouissant, à travers les rues désertes, il se dirigea vers Kervonnick. Le portail grinçait.

— Je pourrais acheter de l’huile, pensa Vincent, tout en se demandant si les propriétaires apprécieraient cette initiative prise en leur absence.