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Un mystérieux tueur en série sème le trouble à Quimper.
Quand Vincent débarque de Paris pour un reportage sur l'artisanat breton, la capitale de la Cornouaille déploie tous ses charmes. Et pourtant… Les serial killers ne hantent pas seulement les mégapoles américaines…
La nuit, dans les rues de Quimper, rôde un tueur mystérieux. Mystérieux car ni les policiers ni les journalistes - Vincent et son comparse Jean-Luc - ne parviennent à discerner le mobile des crimes qui se succèdent. Et c'est au moment où l'enquête semble sur le point d'être élucidée que la traque se révèle mortellement dangereuse.
Découvrez ce polar passionnant dans le décor de la Cornouaille !
EXTRAIT
Vincent se sentait dans l’état euphorique de quelqu’un qui s’était résigné à un médiocre repas, en tête à tête avec son assiette, et qui vient de faire un excellent dîner dans un endroit chaleureux et convivial.
« J’ai bien fait de refuser le taxi », pensa-t-il.
« J’ai trop mangé ; peut-être aussi, un peu forcé sur le vin. Excellent le Saint-Nicolas de Bourgueil conseillé par le patron… Et très sympathique, le patron… »
Il savourait le plaisir de cette marche solitaire et, pour mieux aspirer la fraîcheur nocturne, il écarta le col de son blouson, le vieux, son préféré, en daim beige, celui que Margot, deux ou trois fois par an, menaçait de jeter. Tout était silence dans la ville endormie et la nuit était douce…
Pourtant – il n’en prit conscience qu’au bout d’une minute ou deux – quelque chose gâtait la perspective tracée par la lumière des lampadaires. Une drôle de chose posée à même le sol. Il pressa le pas. Mais bien avant d’être arrivé à sa hauteur, il sut que ce gros tas sombre n’était ni un amas de détritus ni un paquet encombrant, abandonné au hasard. À mesure qu’il avançait, une forme humaine se dessinait. Un SDF endormi ? Il s’arrêta à deux pas du corps recroquevillé sur le côté.
Il s’approcha : une femme, une jambe repliée, l’autre bizarrement tendue. Du bout du pied, doucement, il repoussa la jambe. Aucune réaction. Il se pencha. Ce fut alors qu’il vit l’écharpe, dénouée sur l’épaule, maculée d’une tache noirâtre et la blessure, une estafilade tout autour du cou blanc.
CE QU’EN PENSE LA CRITIQUE
Editions Bargain, le succès du polar breton. –
Ouest France
À PROPOS DE L'AUTEUR
Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidélité à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres Modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires. Elle finit par succomber à sa passion pour la littérature policière, et publie ici son cinquième roman.
À PROPOS DE L'ÉDITEUR
"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." -
Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023
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Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.
« Je est un autre. »Arthur Rimbaud.
Vincent leva la tête vers le ciel. La nuit était belle, étonnamment claire. Les étoiles peut-être ? Et le quartier de lune là-haut… Mais aussi la lumière des réverbères qui bordaient les quais et allumaient des flèches d’argent dans les eaux sombres de l’Odet. Le boulevard de Kerguélen était complètement désert.
« Quelle heure peut-il bien être ? »
Il repoussa du doigt le bout de sa manche, leva le poignet pour mieux voir.
« Minuit trente-cinq… Si tard que cela… Je me suis vraiment attardé. Pas étonnant qu’il n’y ait plus un chat dans Quimper by night ! »
Vincent se sentait dans l’état euphorique de quelqu’un qui s’était résigné à un médiocre repas, en tête à tête avec son assiette, et qui vient de faire un excellent dîner dans un endroit chaleureux et convivial.
« J’ai bien fait de refuser le taxi », pensa-t-il.
« J’ai trop mangé ; peut-être aussi, un peu forcé sur le vin. Excellent le Saint-Nicolas de Bourgueil conseillé par le patron… Et très sympathique, le patron… »
Il savourait le plaisir de cette marche solitaire et, pour mieux aspirer la fraîcheur nocturne, il écarta le col de son blouson, le vieux, son préféré, en daim beige, celui que Margot, deux ou trois fois par an, menaçait de jeter. Tout était silence dans la ville endormie et la nuit était douce…
Pourtant – il n’en prit conscience qu’au bout d’une minute ou deux – quelque chose gâtait la perspective tracée par la lumière des lampadaires. Une drôle de chose posée à même le sol. Il pressa le pas. Mais bien avant d’être arrivé à sa hauteur, il sut que ce gros tas sombre n’était ni un amas de détritus ni un paquet encombrant, abandonné au hasard. A mesure qu’il avançait, une forme humaine se dessinait. Un SDF endormi ? Il s’arrêta à deux pas du corps recroquevillé sur le côté.
Il s’approcha : une femme, une jambe repliée, l’autre bizarrement tendue. Du bout du pied, doucement, il repoussa la jambe. Aucune réaction. Il se pencha. Ce fut alors qu’il vit l’écharpe, dénouée sur l’épaule, maculée d’une tache noirâtre et la blessure, une estafilade tout autour du cou blanc.
Cette femme, il en était sûr, il la reconnaissait à son écharpe, faisait partie du groupe qui avait dîné bruyamment au fond de la salle. Toute la compagnie, un peu éméchée, avait quitté le restaurant bien avant lui.
Il esquissa un geste et s’arrêta :
« Surtout, ne toucher à rien », se dit-il.
Il sortit son portable et composa le 17…
Vincent avait toujours les yeux rivés sur la femme qui gisait à ses pieds lorsque la lumière bleue des gyrophares l’aveugla.
Deux policiers sautèrent de la voiture. L’un s’accroupit pour examiner le corps. L’autre, sans perdre une seconde, apostrophait Vincent :
— C’est vous qui l’avez trouvée ?
— Oui.
— Il y a combien de temps ?
— Je ne sais pas. Trois, quatre minutes à peine. Je vous ai appelé tout de suite. Vous avez fait vite.
— Vous avez vos papiers, s’il vous plaît ?
Une deuxième voiture arrivait, suivie d’une ambulance tandis que Vincent extirpait difficilement son portefeuille de la poche arrière de son jean, celle dont la fermeture éclair se grippait toujours.
Le policier s’était emparé des papiers qu’il examina longuement dans la lumière des phares. Il se retourna vers Vincent.
— Vous la connaissiez ?
— Moi ? Pas du tout. Mais je crois que je…
— Qu’est-ce que vous faisiez là, à une heure pareille ?
— A une heure pareille ! fit Vincent suffoqué. Il est un peu plus de minuit ! Je m’étais attardé au restaurant…
Le policier fit signe à l’un de ses collègues qui composa immédiatement un numéro sur son portable, tandis que les questions pleuvaient :
— Où alliez-vous ?
— A mon hôtel.
— Quel hôtel ?
— L’Hôtel Gradlon.
— A pied ?
— A pied, oui.
Vincent sentait la moutarde lui monter au nez et sa voix monta d’un cran :
— Ce n’est pas interdit, je suppose ?
— Personne ne vous dit cela. Je suis obligé de noter les circonstances sur mon procès-verbal, voilà tout.
Le ton du policier s’était un peu radouci, ce qui n’empêcha pas Vincent de se féliciter de n’avoir pas pris sa voiture :
« Ils m’auraient fait le coup de l’alcootest », pensa-t-il…
Un peu inquiet, il lorgna le policier qui avait toujours ses papiers à la main. On avait chargé le corps sur la civière. Deux pieds, étroitement moulés dans le collant clair, dépassaient de la couverture jetée à la hâte. Un des brancardiers trébucha et la couverture glissa découvrant un genou blanc sous le collant déchiré.
— Elle est morte, n’est-ce pas ? demanda Vincent.
— Ça en a tout l’air, dit le policier en lui rendant ses papiers.
Enfin ! Vincent les rangea dans son portefeuille.
— Vous n’avez plus besoin de moi ?
— Pour ce soir, non. Mais demain matin, nous aimerions vous entendre au commissariat ; juste pour préciser des détails. Huit heures et demie, neuf heures, ça vous va ?
— Disons neuf heures.
L’ambulance démarrait. Le policier se dirigea vers la dernière voiture.
— On vous ramène à votre hôtel…
Cela sonnait comme un ordre plutôt que comme une formule de politesse…
— Pas la peine, dit Vincent, je vais appeler un taxi.
— A cette heure-ci, il n’y a plus de taxi. Nous sommes en province, vous savez, fit le policier avec un bref sourire. Et puis, c’est la moindre des choses, nous vous avons beaucoup retardé.
Les coudes appuyés sur les accoudoirs de son siège, Vincent examinait alternativement le bout de ses mocassins maculés de cambouis – « Où ai-je bien pu faire cela ? » – et le décor de la pièce où il attendait d’être reçu : local exigu mais repeint à neuf, cela se voyait au brillant des murs. Pas mal l’hôtel de police pour une petite ville comme Quimper… Levant les yeux, il se vit dans une glace durement éclairée par la lumière du plafonnier. Le bronzage, ramené d’une semaine de ski de printemps, tenait le coup mais dissimulait à peine les poches sous les yeux bruns.
« Pas des poches, des valises ! » bougonna Vincent. Pas étonnant, j’ai trop festoyé hier soir et, en plus, j’ai à peine dormi.
Il examina d’un œil critique les fils argentés qui tranchaient sur la chevelure sombre : « Margot a beau dire que cela me va bien… »
La porte qui s’ouvrait interrompit ses réflexions. La pièce où on l’introduisit, avec son bureau fonctionnel et ses sièges confortables aurait pu faire envie aux occupants des cagibis poussiéreux du Quai des Orfèvres. On lui désigna un fauteuil et les questions commencèrent. Vincent s’attendait au pire, après la séance de la veille au soir ; mais tout se passait plutôt bien. L’officier de police qui lui faisait face interrogeait posément. D’abord, il procéda aux vérifications d’identité :
— Hermelin Vincent. Nationalité française. Vous faites du judo ?
— Oui. Pourquoi ? C’est défendu ?
Le policier lui tendit un petit carton plastifié.
— Tenez ; il y avait votre carte de club sous votre carte d’identité. Moi, je fais du karaté. Taille, un mètre soixante-quinze. Le policier leva les yeux avant de poursuivre : c’est bien ça ?
— Oui, fit Vincent, agacé. Vous voulez vérifier ?
Le policier haussa les épaules et enchaîna :
— Nationalité française. Journaliste. Adresse : Paris, rue de la Folie Méricourt…
— J’ai déménagé, coupa Vincent. A présent, c’est rue de la Convention, cent quarante-cinq.
— C’est une adresse provisoire ?
— Mais non, fit Vincent, c’est mon adresse actuelle ; j’ai déménagé. C’est un problème ?
Le policier leva le nez.
— Il faudra penser à mettre votre carte à jour et aussi à la faire refaire ; elle est tout près d’être périmée.
Il transcrivait les réponses en tapant laborieusement sur le clavier de son ordinateur avec un seul doigt, l’index de la main droite ; ce qui laissait à Vincent le temps de récupérer son calme entre chaque question.
Parce qu’il y avait de quoi le perdre son calme. Fastidieuses, les questions ! On lui faisait répéter ce qu’il avait déjà dit la veille.
Non, il ne connaissait pas la victime ; oui, il était passé là par hasard ; non, il n’avait rencontré personne sur son chemin ; non, il n’avait rien vu, rien entendu de suspect avant d’arriver près du corps ; non, il n’avait touché à rien ; oui, il venait de sortir du restaurant…
— A quelle heure exactement ? Je ne sais plus…
— Vous nous avez appelé à zéro heure cinquante, dit le policier en s’arrêtant de taper sur son clavier. Vous avez quitté le restaurant peu après vingt-quatre heures trente-cinq. Cela nous a été confirmé par le patron. Il a fermé juste après votre départ.
Vincent sentit l’impatience monter.
— Puisque vous le savez, pourquoi me le demander ? Vous pensez que je vous raconte des histoires ? Et pourquoi le ferais-je ?
— Mais non, fit le policier ; c’est la routine. On vérifie tout.
Il recommença à malmener son clavier d’un doigt hésitant.
— Vous êtes journaliste ? Vous venez de Paris ? Vous avez retenu une chambre à l’Hôtel Gradlon pour trois nuits, c’est bien cela ?
Vincent opinait de la tête.
— On peut vous demander le motif de votre séjour à Quimper ?
— Je prépare une série d’articles sur le renouveau de l’artisanat traditionnel.
La porte s’ouvrit et un grand gaillard en bras de chemise fit trois pas dans la pièce.
— Salut, patron, fit le policier sans lever le nez de son clavier.
— Tout va bien ?
— Ça va.
— Je suis le commissaire Châtrier, dit le nouveau venu. Je regrette qu’on vous ait dérangé ce matin. Mais c’est…
— C’est la routine, je sais, dit Vincent.
Le commissaire ne parut pas se formaliser de l’ironie évidente de la réplique. Il lisait par dessus l’épaule de son subordonné.
— Vous êtes journaliste… Et qu’est-ce qui vous amène à Quimper ?
— Je viens de le dire à votre… collaborateur : un reportage sur l’artisanat breton, les vieux métiers d’art. La faïencerie surtout.
— Je vois, dit le commissaire ; mais, dites-moi, vous êtes grand reporter à Télé-Major ?
— Comment le savez-vous, ? coupa Vincent.
— Eh bien, hier soir, mes hommes, c’est normal, ont examiné vos papiers… la carte de presse… Ce matin, on s’est renseigné… la routine, toujours. Alors, un grand reporter qui rentre juste d’Ouzbékistan et qui part, la semaine prochaine, pour le Venezuela…
— Le Guatemala, rectifia Vincent.
— Le Guatemala, soit – c’est ce que nous a indiqué votre rédaction – eh bien, on ne s’attend pas à le voir s’intéresser à la faïence quimpéroise. Cela nous flatte, croyez-le bien mais ça nous étonne aussi…
Le sourire du commissaire avait quelque chose de sarcastique. Vincent croisa et décroisa les jambes, comme toujours lorsqu’il ne maîtrisait pas son impatience.
« Il faut que je me calme », pensa-t-il, « sinon ils ne me lâcheront pas. » Et il ajouta à haute voix :
— Il arrive qu’on ait envie de s’intéresser à autre chose qu’aux malheurs de la planète… et puis…
Il se carra sur son siège, bien décidé à ne plus se laisser intimider, et poursuivit :
— Et puis, j’avais quelques jours de creux et, comme la plupart de mes collègues, je fais parfois des extra.
Le clic-clac du clavier s’était ralenti. Vincent devinait ce que pensaient les deux policiers : « Grands reporters à la télévision… ils font des extra… avec tout le fric qu’ils gagnent ! »
— Je comprends, dit le commissaire. Et encore toutes nos excuses, je crois que mes hommes vous ont un peu rudoyé hier soir. Il faut les comprendre. Ils sont surchargés de travail avec ces deux crimes en moins d’une semaine…
— Deux crimes ?
— Oui. On a trouvé une femme morte, il y a quatre jours, au petit matin, tout près de la gare.
— Une série ? demanda Vincent.
Ce fut au tour du policier de laisser percer de l’agacement.
— Mais non ! Maintenant on voit des tueurs en série partout. C’est une vraie manie ! La première victime n’était pas d’ici ; même pas française. Une jeune fille, probablement des pays de l’Est, entrée clandestinement sur le territoire. Elle avait pris le train à Lorient ou peut-être à Vannes.
— Vannes…
— Vous connaissez ?
— Un peu, dit Vincent.
— Plusieurs voyageurs l’ont formellement reconnue. Tout indique qu’elle se prostituait en douce. Il paraît qu’elle avait même essayé dans le train. On l’a trouvée assommée, sans papiers ni argent. Rien à voir avec l’affaire de cette nuit.
— Et la femme de cette nuit, qui était-ce ? demanda Vincent.
— Maryse Grall. Elle était assistante sociale, dans une petite commune des environs.
— Quel âge ?
— Cela vous intéresse ? Ne me dites pas, fit le commissaire, goguenard, qu’en plus des faïences, vous vous intéressez aussi aux faits divers de Quimper !
Vincent sentait, de nouveau, l’exaspération monter.
— Enfin, cette femme a dîné à quelques mètres de moi…
— Justement, coupa le commissaire, c’est ce que nous avons appris au restaurant ; pourquoi ne nous l’avez-vous pas dit, hier soir ?
— Mais je l’aurais dit si vos collègues ne m’avaient pas systématiquement coupé la parole !
Le commissaire leva la main en guise d’excuse.
— Et, reprit Vincent, après tout, c’est moi qui l’ai trouvée…
— Je comprends, dit le commissaire qui redevint sérieux. Elle a… elle avait trente-deux ans. Elle venait de passer la soirée avec les membres de son association, un groupe folklorique. Elle rentrait chez sa sœur qui habite rue Saint-François, à deux pas du boulevard de Kerguélen. C’est là qu’elle logeait quand elle passait la soirée à Quimper.
— A quelle heure a-t-elle été tuée ?
— Trop tôt pour savoir, on attend l’autopsie. Mais on a une fourchette. Elle a quitté ses copains vers vingt-trois heures et vous nous avez appelés une heure et demie plus tard. Elle a dû être attaquée très vite ; trois entailles sur le haut du bras, en plus de la blessure mortelle au cou ; elle a sûrement couru pour tenter d’échapper à son agresseur.
— Qu’est-ce qui vous fait croire cela ?
Le commissaire ignora la question.
— Elle a été rattrapée. Un couple de ses amis avait proposé de la raccompagner, paraît-il. Elle avait refusé.
— Dommage, dit Vincent, si j’étais passé par là un peu plus tôt, si…
— Avec des “si”… dit le commissaire.
Il jeta un coup d’œil sur l’écran de l’ordinateur.
— Bon… On ne va pas vous retenir plus longtemps ; je crois qu’on a tous les renseignements…
— Pour moi, c’est terminé, dit le policier.
Le commissaire se dirigea vers la porte et, arrivé sur le seuil, décocha un sourire.
— Et bon voyage au Venezuela !
Vincent lui rendit son sourire.
— Ce n’est pas le Venezuela, c’est le Guatemala !
— C’est vrai ; eh bien, bonne chance là-bas et merci pour votre collaboration !
Une demi-heure plus tard, Vincent prenait son petit-déjeuner à la terrasse du Café de l’Épée. « S’asseoir à une terrasse ensoleillée d’où l’on peut suivre le va-et-vient des passants, c’est la meilleure façon d’apprivoiser une ville inconnue. » C’est ce que lui avait appris son grand-père, enchanté par les bistrots français, lorsque, cinquante ans plus tôt, il avait débarqué de sa Sardaigne natale. Vincent vida sa tasse de café – « Remarquable ce café ! » – puis héla le garçon :
— S’il vous plaît ! Vous me remettez la même chose.
En sortant de l’hôtel de police, il avait acheté Le Télégramme et Ouest-France. Il recula un peu sa chaise pour se mettre dans l’ombre du store, déploya les pages consacrées à Quimper : rien sur le crime de la nuit.
« Normal, c’est trop tôt. » Presque machinalement, il chercha aussi, dans les autres pages s’il était question de la prostituée assassinée quatre jours plus tôt. Sans rien trouver. « Normal, c’est trop tard. »
Le garçon arrivait, virevoltant entre les tables avec son plateau. Vincent huma le café fumant pendant qu’on disposait beurre et petit pain sur son guéridon. Il soupira d’aise et se fit une tartine qu’il entama aussitôt, avec délice. Il fit signe au garçon.
— Qu’est-ce que c’est ce beurre ?
— Il n’est pas bon ?
— Succulent, tout simplement ; qu’est-ce que c’est ?
— Mais… du beurre d’ici, du beurre de baratte.
Tout en savourant une deuxième tartine, il contemplait le paysage : au premier plan les quais, les passerelles enjambant la rivière et, sur l’autre rive, le lacis des ruelles escaladant le Mont-Frugy. Le charme du panorama ne parvenait pas à effacer le souvenir des événements de la nuit. Il y avait à peine quelques heures que, tout près de là, un peu plus haut sur le quai, il avait découvert la femme à l’écharpe…
« Quand je pense que si j’avais dîné une demi-heure plus tôt… »
C’était étrange ce sentiment qu’il éprouvait :
« Culpabilité ? Non ! Responsabilité peut-être ? C’est idiot, je n’y suis pour rien N’empêche… si je ne m’étais pas attardé à bavarder au restaurant… »
Le commissaire avait évacué les “si” d’une pichenette de la main avec autant d’assurance qu’il avait écarté l’hypothèse d’un lien quelconque avec l’autre crime… cette inconnue qui avait pris le train à Lorient ou à Vannes. « D’ailleurs, qu’est-ce que ça peut bien me faire ? Ce n’est pas mon boulot. »
Vannes… Vincent avait des souvenirs là-bas, des relations dans la police aussi. C’était à Vannes qu’il avait fait la connaissance du commissaire Gilbert1 qui coulait à présent une paisible retraite du côté de Concarneau…
— Et si j’appelais Gilbert pour lui dire un petit bonjour. Je lui dois bien cela, il m’a donné un sacré coup de main, il n’y a pas si longtemps.2
Était-ce vraiment pour lui dire bonjour qu’il téléphonait à Gilbert ? Vincent remit la réponse à plus tard. Au bout du fil, Gilbert était comme d’habitude, enjoué, amical.
— Cela fait plaisir de vous entendre. Que faites-vous à Quimper ?
— Je vous expliquerai mais d’abord les choses sérieuses : quand déjeunons-nous ensemble ?
— Vous êtes là pour longtemps ? s’enquit Gilbert.
— Pour trois jours et si Quimper n’est pas trop loin pour vous, on se voit demain ?
— C’est la porte à côté. Demain, j’ai une partie de pêche avec mon beau-frère. La pêche, c’est sacré, vous comprenez…
— Je comprends très bien. Après-demain ?
— Après-demain, ça marche. On se retrouve où ?
— Au Café de l’Épée, vous connaissez ?
— Tout le monde connaît. Mais vous ne m’avez toujours pas dit ce que vous faites à Quimper ?
— Un papier sur le renouveau des métiers traditionnels.
Le rire de Gilbert faisait plaisir à entendre.
— J’ai peine à vous croire.
— J’ai quelques jours avant de partir pour l’Amérique centrale avec Jean-Luc ; vous vous souvenez de Jean-Luc Ménand ?
— Parfaitement.
— Donc, je fais quelques extra… disons alimentaires parce que la famille va s’agrandir…
— Dites donc, c’est une bonne nouvelle, cela ! En tout cas, cela vous change de vos sujets habituels !
— Vrai. Mais il y a autre chose.
— Je m’en doutais ; allez-y.
— On me dit, qu’il y a quatre jours, une femme a été retrouvée assommée, à la gare de Quimper…
— Nous y voilà ! C’est pour cela que vous êtes de nouveau parmi nous ?
— Pas du tout. Elle avait pris le train à Vannes.
— A Lorient, rectifia Gilbert.
— Donc vous êtes au courant ?
— Vaguement.
— Si vous aviez des tuyaux…
— Quoi exactement ?
— A vrai dire, je ne sais pas trop. Une idée comme cela… ces deux meurtres…
— Comment cela, deux meurtres ?
— Figurez-vous que, la nuit dernière, je suis tombé, par hasard, sur une femme assassinée, ici, sur les quais de l’Odet. C’est moi qui l’ai trouvée. C’est peut-être pure coïncidence mais deux meurtres à Quimper… je ne peux pas m’empêcher de faire le rapprochement. On en reparlera après-demain, d’accord ?
— Si vous voulez.
Vincent se confectionna une troisième tartine qu’il entamait en contemplant les frondaisons du Mont-Frugy lorsque la sonnerie du portable l’arracha à sa dégustation.
— Oui ?
— Ici l’hôtel de police de Quimper. Je vous passe le commissaire Châtrier.
— Monsieur Hermelin ?
— Oui. Comment avez-vous eu mon numéro de portable ?
— Disons… par votre rédaction. Juste une précision : la nuit dernière, vous avez bien dit à mes hommes qu’après avoir découvert le corps vous n’avez touché à rien ?
— Absolument à rien. Pourquoi ? Il y a un problème ?
— Non ; pas du tout. Simplement, la victime a dû perdre ses chaussures en tombant. J’ai envoyé deux de mes hommes sur place ; on en a récupéré une mais on n’arrive pas à retrouver l’autre. Ça ne vous dit rien ?
— Rien du tout.
— C’est tout ce que nous voulions savoir ; on ne vous dérange plus.
Vincent mastiquait machinalement sa tartine qui avait perdu toute saveur.
Les images… il y a des moments où elles vous traversent l’esprit, comme des pensées. Vincent revit la civière qu’on emportait, les deux jambes, gainées de clair qui pendaient sinistrement dans le vide.
Sous le coup d’une brusque inspiration, il rappela Gilbert :
— Au fait, la prostituée, celle qui avait pris le train à Lorient, je voudrais savoir… quel genre de chaussures avait-elle aux pieds ?
Un silence… Puis Gilbert reprit la parole, lentement, comme s’il réfléchissait en même temps qu’il répondait :
— C’est amusant que vous me parliez de cela… Quand je dis amusant, c’est une façon de parler… J’aurais pu avoir le tuyau au commissariat de Quimper mais j’ai appelé Lorient ; j’ai un vieux copain là-bas. Alerte tous azimuts dans le coin, tout le monde est sur les dents, police, gendarmerie. On vient de retrouver un cadavre de femme sur une plage, près d’ici, à Loctudy. Elle était en tenue de jogging, sans chaussures. Elle était pieds nus…
1 Lire Dernier rendez-vous à Vannes, même auteur, même éditeur.
2 Lire La Belle de Carnac, même auteur, même éditeur.
Je viens de me replonger dans la lecture de Marcel Proust : « Longtemps, je me suis couché de bonne heure… » Ce début de “La Recherche” me trotte dans la tête. Moi aussi, comme le narrateur, longtemps, pendant des années, je me réveillais la nuit. J’ai souffert d’insomnies. Souffert, c’est bien le mot. J’ai beaucoup souffert. De tout. Cela s’est arrangé lentement, au fil des années, au fur et à mesure que l’issue, la seule issue possible, m’apparaissait, prenait corps. Mais qu’il y a loin de la résolution à l’action ! Il m’a fallu du temps, des années, de longues années. Je savais ce que je devais faire. Je ne savais pas comment m’y prendre ni même si j’aurais, un jour, le courage de le faire.
C’est à cette période que j’ai pris l’habitude des distractions que je jugeais “instructives”. Je voyais beaucoup de films “noirs”. Je dévorais les magazines dédiés aux faits divers, Détectives, Les grandes enquêtes, etc. Des polars aussi, des thrillers surtout, sanglants de préférence.
Mais déjà, par prévoyance, je prenais des précautions. Mes magazines, mes livres, je les achetais ailleurs, dans des endroits où je savais qu’on ne me connaissait pas, au cours de mes voyages, dans des kiosques de gare, à Montparnasse par exemple, juste avant de prendre le train pour rentrer. Et je prenais grand soin, en arrivant, de dissimuler mes lectures dans mon sac ou, mieux, de les abandonner sur une banquette.
Je me félicite d’avoir, de longue date, fait preuve de cette extrême prudence, même si, à cette époque, je ne craignais rien… Depuis, j’ai perdu l’habitude, le goût même, de tout cela. Je n’éprouve plus le besoin de fréquenter, par lectures interposées, mes confrères et mes consœurs du crime. Plus besoin, non plus, de réfléchir à l’infinie variété des possibilités, de mesurer les risques, de soupeser les avantages, le poison, la strangulation, l’accident simulé ; sans parler des armes à feu ou des armes blanches…
A présent, lorsque le sommeil se refuse, je n’ai plus à lutter pour repousser mes idées noires, noires, c’est le cas de le dire… Je m’abandonne au silence et à l’obscurité. Dans la nuit complice, tout devient facile, je laisse libre cours à mon imagination, à mes fantasmes, comme diraient les psychiatres. Mes fantasmes – bénis soient-ils ! – m’assiègent mais ils ne me torturent plus. Ils sont devenus le stimulant dont j’avais besoin. Puisque, désormais, je sais que je suis capable de passer à l’acte.