Tempête à Quiberon - Gisèle Guillo - E-Book

Tempête à Quiberon E-Book

Gisèle Guillo

0,0

Beschreibung

Il est de ces professions qui aimantent les confidences. Les dépositaires de ces secrets chuchotés seront-ils les garants de votre paix retrouvée ?

Le docteur Clément Martin-Déroches, psychiatre de son état, partage sa vie entre Morlaix où il exerce, et Carantec où il passe ses vacances en famille. Il a tout pour être heureux : une jolie jeune femme épousée en secondes noces, deux enfants intelligents et vifs. Est-ce le baccalauréat de son fils David qui trouble à ce point le médecin ? Le passé de sa compagne ? La souffrance d'un patient ? Clément Martin-Déroches est un homme trop discret… Hélas pour lui…
La nuit du 13 au 14 juillet, un second drame vient troubler la quiétude estivale.

Dépêchés à Carantec, le commissaire Le Gwen et le lieutenant Le Fur auront bien du mal à se mettre dans l'esprit d'un homme torturé…

EXTRAIT

C’était à marée basse qu’on avait localisé le corps. Il fallait faire vite car, avec le vent qui se levait de nouveau, on n’avait pas beaucoup de temps devant soi pour aller le récupérer au pied de la falaise et le remonter jusqu’au sentier côtier. Si seulement Grégoire, le fils de Bellon le ferrailleur, avait donné l’alerte plus tôt… Mais, une fois de plus, Grégoire était venu en cachette, “en infraction”, comme on le lui avait dit plusieurs fois. Il risquait une amende ; il le savait. Mais, malgré les menaces, sa passion de la moto – pour le moment, un simple cyclomoteur – était la plus forte. Et puis, le sentier qui longeait la Côte sauvage était l’endroit rêvé pour les rodéos.
Visage fouetté par le vent, on pouvait faire rugir le moteur et, dressé sur une roue, exécuter des sauts acrobatiques, foncer vers le bord de la falaise, amorcer, au dernier moment, des freinages en catastrophe. Grisant… Cela dégradait les bords du sentier et abîmait les touffes d’œillets sauvages qui s’incrustaient, bravement, dans les creux de rochers. Il le savait aussi.

CE QU'EN PENSE LA CRITIQUE

Éditions Bargain, le meilleur du polar breton. - Ouest France

À PROPOS DE L'AUTEUR

Gisèle Guillo fait partie des Bretons de Paris : carrière parisienne mais fidélité à ses racines bretonnes, notamment à Arradon où elle fait de fréquents séjours. Agrégée de Lettres modernes, elle a enseigné la littérature comparée et la linguistique, a publié des ouvrages scolaires et universitaires.
Elle finit par succomber à sa passion pour la littérature policière et se lance dans les polars.

À PROPOS DE L'ÉDITEUR

"Depuis sa création en 1996, pas moins de 3 millions d'exemplaires des 420 titres de la collection « Enquêtes et suspense » ont été vendus. [...] À chaque fois, la géographie est détaillée à l'extrême, et les lecteurs, qu'ils soient résidents ou de passage, peuvent voir évoluer les personnages dans les criques qu'ils fréquentent." - Clémentine Goldszal, M le Mag, août 2023

Sie lesen das E-Book in den Legimi-Apps auf:

Android
iOS
von Legimi
zertifizierten E-Readern

Seitenzahl: 255

Das E-Book (TTS) können Sie hören im Abo „Legimi Premium” in Legimi-Apps auf:

Android
iOS
Bewertungen
0,0
0
0
0
0
0
Mehr Informationen
Mehr Informationen
Legimi prüft nicht, ob Rezensionen von Nutzern stammen, die den betreffenden Titel tatsächlich gekauft oder gelesen/gehört haben. Wir entfernen aber gefälschte Rezensionen.



Nous remercions tout particulièrement Bernard GALÉRON, photographe à Quimper, pour sa participation (photographie de couverture).

Cet ouvrage de pure fiction n’a d’autre ambition que de distraire le lecteur. Les événements relatés ainsi que les propos, les sentiments et les comportements des divers protagonistes n’ont aucun lien, ni de près ni de loin, avec la réalité et ont été imaginés de toutes pièces pour les besoins de l’intrigue. Toute ressemblance avec des personnes ou des situations existant ou ayant existé serait pure coïncidence.

AVANT-PROPOS

Ami lecteur,

Si vous passez par Quiberon, ne cherchez pas trop longtemps l’hôtel “Santez Anna”.

La réalité n’est jamais aussi belle que lorsqu’on y ajoute un brin d’imagination.

I

C’était à marée basse qu’on avait localisé le corps. Il fallait faire vite car, avec le vent qui se levait de nouveau, on n’avait pas beaucoup de temps devant soi pour aller le récupérer au pied de la falaise et le remonter jusqu’au sentier côtier. Si seulement Grégoire, le fils de Bellon le ferrailleur, avait donné l’alerte plus tôt… Mais, une fois de plus, Grégoire était venu en cachette, “en infraction”, comme on le lui avait dit plusieurs fois. Il risquait une amende ; il le savait. Mais, malgré les menaces, sa passion de la moto – pour le moment, un simple cyclomoteur – était la plus forte. Et puis, le sentier qui longeait la Côte sauvage était l’endroit rêvé pour les rodéos.

Visage fouetté par le vent, on pouvait faire rugir le moteur et, dressé sur une roue, exécuter des sauts acrobatiques, foncer vers le bord de la falaise, amorcer, au dernier moment, des freinages en catastrophe. Grisant… Cela dégradait les bords du sentier et abîmait les touffes d’œillets sauvages qui s’incrustaient, bravement, dans les creux de rochers. Il le savait aussi.

— Et alors ? Les œillets, surtout sauvages, ça repousse, non ?

D’ailleurs, la préservation de la flore et toutes les foutaises du Conservatoire du littoral, c’est simple, il n’en avait rien, mais alors rien, à cirer.

Pourtant, vaguement conscient que cette grande forme sombre qu’il avait cru distinguer dans les remous du ressac n’était peut-être pas tout à fait normale, il avait lâché le morceau en rentrant du collège.

Comme prévu, le Père Bellon avait poussé un grand coup de gueule :

— Espèce de sale petit couillon ! Cette fois, l’amende, on n’y coupera pas. Ta moto, tu n’es pas près de l’avoir, c’est moi qui te le dis !

Et il avait appelé la gendarmerie.

Une heure plus tard, jugeant que le coup de tabac était passé, Grégoire était là, avec deux copains, pour assister au repêchage.

Les pompiers s’évertuaient : il fallait manier la gaffe pour dégager le corps coincé entre les rochers, le charger sur un brancard et le hisser en profitant des brefs répits que laissaient les vagues de plus en plus fortes. Quand ils atteignirent le sentier et avant qu’on eût lancé une couverture sur le brancard, un des copains de Grégoire se rapprocha :

— T’as vu le bras ? Il tient presque plus au reste !

Il se rapprocha encore :

— Et sa tête ? T’as vu sa tête ? Dites donc, il n’est pas beau à voir le pèlerin !

Grégoire haussa les épaules :

— Forcément, c’est plein de crabes par ici…

À distance, ils suivirent les pompiers jusqu’à la route. Comme on finissait de charger le brancard dans la fourgonnette, on vit arriver les correspondantes d’Ouest-France et du Télégramme, dans la même voiture. Dame… Il faut bien s’entraider, surtout à cette saison. Il ne se passe pas grand-chose, à Quiberon, en automne…

— On sait qui c’est ? demanda une des journalistes.

— Non. On l’a fouillé rapidement. Pas de portefeuille, aucun papier. Mais il y a des étiquettes sur les vêtements ; ça ne devrait pas être trop difficile de l’identifier.

La fourgonnette démarra. Le vent redoublait. On se dispersa…

II

Margot avala une gorgée de thé, posa sa tasse sur sa soucoupe et leva les yeux. À travers les baies qui l’éclairaient sur trois de ses côtés, la salle à manger de l’hôtel semblait s’ouvrir sur le large. Au delà de la haie d’arbousiers et du moutonnement des dunes, le regard se perdait dans le gris du ciel à peine moins sombre que celui de la mer.

Ronronnement feutré des conversations, tintement des couverts sur les porcelaines, le bruit de fond était assourdi par l’épaisse moquette. Margot soupira d’aise : passer deux semaines dans ce havre de raffinement, cela allait être – elle chercha le mot – paradisiaque… c’est cela, paradisiaque. Et pourtant, elle avait hésité avant de décider de prolonger, à ses frais, ce déplacement professionnel. Elle avait bien fait de s’offrir ce cadeau. Pas bon marché, le cadeau… Mais, bah… on n’a pas tous les jours trente-cinq ans.

Un bruit léger lui fit tourner la tête. Poussé avec maestria par l’un des serveurs, le chariot des pâtisseries circulait entre les tables. Chariot des tentations… À son approche, les conversations baissaient d’un ton. Sur le plateau du haut s’offrait une débauche de gâteaux, babas, diplomates, tartes et charlottes nappées de coulis ; à l’étage au-dessous, les viennoiseries, fraîchement sorties du four, exhalaient une odeur irrésistible.

Margot fit face, bravement. Elle n’était pas descendue au “Santez Anna” de Quiberon pour s’infliger des tortures. Gâteaux à la crème au milieu de l’après-midi ? Quand même pas… Elle se fit servir une brioche et, aussi, pour une fois… un palmier. Puisqu’elle avait cédé à la tentation, autant s’abandonner à la volupté du péché. Margot savoura sa brioche, moelleuse à souhait, et entama le palmier au feuilletage aérien.

— Tout est-il à votre goût, Madame ?

Margot tourna la tête. Le maître d’hôtel s’inclinait vers elle. Le ton était respectueux tandis que le regard vérifiait l’éclat de l’argenterie et l’agencement du bouquet posé sur la table.

Margot déglutit le plus élégamment possible.

— Tout est absolument délicieux.

— Je le dirai au chef, cela lui fera plaisir.

Margot abandonna son palmier sur l’assiette.

— Parce que c’est à la qualité des pâtes que l’on reconnaît le talent d’un pâtissier.

— Si je puis me permettre, je suis tout à fait de votre avis, Madame.

Il souriait sans cesser de surveiller les évolutions du chariot.

« Un vrai professionnel », pensa Margot.

Un autre personnage venait de faire son entrée dans la salle à manger : grand, mince, épaisse chevelure blanche. Margot reconnut Stéphanopoulos, le directeur de l’hôtel qu’on lui avait présenté, à son arrivée, deux heures plus tôt. Il s’approcha :

— Je vois que vous avez fait la connaissance d’Édouard. Édouard est notre bon génie, il est partout, il veille à tout. Si vous avez besoin de quoi que ce soit, adressez-vous à lui ; il fera l’impossible pour vous satisfaire.

Édouard s’inclina de nouveau et s’éloigna.

Margot saisit la balle au bond :

— Pour demain, ce qui me serait très utile, ce serait de disposer d’un coin tranquille où je puisse traiter mes notes au fur et à mesure du défilé.

— On va essayer de vous trouver cela.

— Un coin tranquille, poursuivit Margot, mais à proximité de la cabine des mannequins…

Le directeur fit la grimace :

— Là, je ne vous promets rien ; on nous a demandé une salle d’essayage, une cabine de maquillage ; on va réquisitionner le bureau des secrétaires pour le transformer en salon de coiffure…

Margot ne se tint pas pour battue :

— Vous comprenez, pour mes lectrices, ce qui se passe en coulisses est aussi intéressant que ce qui défile sur le catwalk…

— Le catwalk ?

— Le podium où défilent les top models. Je crois que je suis seule à couvrir l’événement pour la presse féminine…

Et, un rien allumeuse, histoire de faire chatoyer le blond cendré de ses cheveux, elle fit valser sa queue de cheval et décocha un de ses sourires à fossettes, généralement très efficace.

En effet, Stéphanopoulos, vaincu, soupira :

— Je vais avertir la gouvernante de vous libérer l’annexe de la lingerie.

Et avec une amabilité qui n’était pas que commerciale, il ajouta :

— J’apprécie, croyez-le bien que, pour la première fois que j’accueille une présentation de haute couture, on nous ait envoyé la rédactrice en chef de Personna.

— Je ne suis pas rédactrice en chef, protesta Margot.

— Pas encore, dit-il, mais cela viendra, et vite !

Margot sentit peser sur elle un regard qui la jaugeait.

Elle le regarda continuer son tour de salle, avec un mot aimable à chaque table, courtois sans servilité, très grand seigneur.

— Un homme à femmes, jugea Margot. Et beau mec, avec cela…

Son goûter terminé, elle alla dans le hall d’entrée où, sur une console, s’empilaient les journaux mis à la disposition de la clientèle. Par curiosité, elle jeta son dévolu sur Ouest-France, chercha la page consacrée à Quiberon :

— Qu’est-ce qu’on peut bien raconter, au mois d’octobre, dans la rubrique locale d’une petite ville ?

En effet, pas grand-chose. On donnait les heures des marées, le programme du cinéma ; on annonçait la présentation de haute couture du lendemain. Le gros titre était celui d’un fait divers :

« FATALE IMPRUDENCE : UN PROMENEUR SE NOIE SUR LA CÔTE SAUVAGE. »

III

Margot balaya du regard le grand salon de l’hôtel “Santez Anna”. Tout était prêt pour le défilé de haute couture : fenêtres occultées par d’épais doubles-rideaux, lustres étincelant de tous leurs feux. Guéridons, fauteuils et canapés avaient disparu, remplacés par des rangées de petites chaises volantes à dossiers noirs et sièges de velours rouge de style Napoléon III. À part le premier rang, réservé, lui avait-on dit, aux “personnalités” représentant les municipalités et la Chambre de commerce, la salle était comble. L’assistance était très différente de celle des grands shows parisiens : peu de professionnels, et, en majorité, la clientèle habituelle des hôtels de luxe, celle du “Santez Anna” et du “Sofitel”, le célèbre hôtel de thalassothérapie, situé de l’autre côté de la presqu’île.

La chaleur devenait suffocante. Margot surprit le geste d’un garçon s’essuyant discrètement le front tandis qu’il distribuait à chaque spectatrice une rose rouge offerte par la Direction.

Se rapprocher de la cabine d’habillage n’allait pas être une mince affaire… Margot se glissa dans l’étroit passage ménagé entre le mur de côté et les rangées de chaises. Elle dut se plaquer contre la paroi pour laisser passer deux garçons portant à bout de bras des sièges supplémentaires, le temps de repérer quelques visages connus : deux acheteuses parisiennes qui n’avaient pas hésité à faire le déplacement à Quiberon afin d’être les premières à choisir les modèles à succès pour les boutiques branchées de Saint-Germain et du Marais. Quelques pas encore en direction de la porte et elle s’immobilisa de nouveau pour céder le passage à un troisième porteur de sièges. Elle se trouvait à la hauteur du premier rang – celui des officiels – où une spectatrice, casquée d’une opulente chevelure d’un roux ardent, avait pris place. Édouard surgit aussitôt ; sa mimique était éloquente : il tentait de déloger l’intruse. Mais celle-ci faisait de la résistance. La flamboyante chevelure s’agitait, faisait des signes de dénégation. À ce moment, Stéphanopoulos intervint. Margot le vit chuchoter quelques mots à l’oreille d’Édouard et s’incliner profondément pour saluer la spectatrice.

Margot parvint à la porte du hall. Amusée, elle se retourna pour dévisager l’héroïne de l’incident. Elle ne vit qu’un visage dérobé par d’énormes lunettes sombres et la rose rouge, agrafée en guise de broche, qui traçait sur le noir de la robe comme une traînée de sang. Dans le hall d’entrée, des hôtesses filtraient les invités parmi lesquels des curieux tentaient leur chance. Stéphanopoulos et son adjoint accueillaient les invités au milieu des flashes : faute de pouvoir approcher les top models, les photographes se rabattaient sur les officiels qui arrivaient par petits groupes. On commentait la noyade de la veille, l’imprudence de certains promeneurs, malgré les mises en garde des autorités. Margot fendit la foule, à la recherche de Louise, l’attachée de presse avec qui elle avait déjà travaillé. Elle la trouva au salon de coiffure où elle s’était fait faire un brushing.

— Profite de l’aubaine, dit Louise ; Alexandre coiffe divinement. Il en a terminé avec les filles. Je lui demande de te faire un “brush-express” ?

Margot secoua la tête :

— Les pourboires des brushings gratuits… Je connais le tarif… Merci bien !

Sans écouter les protestations de Louise, Margot changea de sujet :

— Et le défilé, ça se présente bien ?

— Tu veux rire ! Comme d’habitude, on est en plein drame. Salviati n’a pas daigné faire le voyage. Il a envoyé Gaëtan. Tu le connais, Gaëtan ?

— Bien sûr, fit Margot.

— En ce moment, Salviati ne jure que par lui. À la dernière minute, Gaëtan a chamboulé tout ce qui avait été décidé au fitting. Il a décrété que Sarah était la seule à sentir l’esprit de la collection. C’est elle qui présente toutes les robes du soir. Elle aura à peine le temps de se changer. Shirley est verte de rage et Katouchka a piqué une crise de nerfs.

— Formidable, dit Margot avec gourmandise. Ça va beaucoup plaire aux lectrices, ça…

Devant la cabine d’habillage, Gaëtan montait la garde. Il s’était fait un look d’enfer : jean pailleté, taille basse qui lui découvrait un nombril bronzé, agrémenté de piercings ; autour de la tête, un turban à la corsaire avec un anneau à l’oreille gauche. Il entrouvrit la porte :

— On se presse là-dedans ? On commence dans trois minutes !

L’un des mannequins criait qu’elle allait téléphoner à son agence.

— Ta gueule, ma beauté ! dit Gaëtan avec un sourire suave.

Katouchka éclata en sanglots.

— C’est pas possible, rugit le maquilleur, c’est la troisième fois que je lui refais les yeux. Si vous n’arrêtez pas, je ne réponds plus de rien.

Cela prenait bonne tournure. Margot, très satisfaite, s’éclipsa pour prendre ses premières notes.

Le “coin tranquille” qu’on lui avait ménagé était squatté par des confrères de la presse locale, pressés de téléphoner à leur rédaction la nouvelle du jour : la police venait de communiquer l’identité du noyé de la Côte sauvage. On allait présenter, en avant-première, un grand show de la mode internationale et ils ne s’occupaient que d’une noyade accidentelle…

« C’est beau la province ! » pensa Margot.

Elle regagna le salon alors que s’allumaient les spots braqués sur le podium. Le défilé commençait. Sur fond sonore psychédélique, les tops avançaient jusqu’au bout du catwalk, virevoltaient et repartaient : épaules carrées, tailles de guêpe, jambes interminables, regard lointain et démarche d’extraterrestres.

Dans la salle, les messieurs à cravate s’empourpraient tandis que les femmes chuchotaient que c’était “im-por-table”. On fit silence lorsque Sarah passa les robes du soir. Noire, lumineuse, aérienne, elle semblait ne pas toucher terre avec une grâce de gazelle éthiopienne.

— La beauté à l’état pur, murmura quelqu’un.

On avait respecté la tradition : la robe de mariée clôturait le défilé. Pas vraiment virginale, la robe ; plutôt provocante… C’était Shirley qui la passait, seins dévoilés sous la dentelle et jupe à volants formant traîne par-derrière et, par-devant, retroussée en chou jusqu’au pubis. Elle fut très applaudie.

Sans attendre, Margot fila jusqu’à son bureau improvisé pour rédiger et faxer son papier. Lorsqu’elle revint, au bout d’une demi-heure, le cocktail battait son plein. Devant un parterre impressionné, Gaëtan terminait son numéro de “jeune styliste génial qui monte, qui monte”.

Margot se fit servir un gin-tonic et deux canapés.

— Chic ! C’est du foie gras et il est bon !

Elle avait parlé tout haut. Une dame en tailleur sombre “amincissant” la regardait avec envie.

— Vous ne prenez rien, demanda Margot ?

La dame en tailleur baissa le nez vers son Perrier-citron.

— Je suis en cure diététique.

Un des journalistes d’Ouest-France s’approchait.

— Alors, lui dit poliment Margot, ce noyé ? On sait qui c’est ?

— Oui, un vétérinaire de Rennes, en retraite, qui venait de s’installer à Quiberon.

Son confrère du Télégramme renchérit :

— Il paraît qu’il y a à peine un mois qu’il habitait ici… Pauvre type !

— Un vétérinaire ? Qui a dit que c’était un vétérinaire ?

Ils se retournèrent, tous. Margot avait immédiatement reconnu celle qui venait de parler. C’était l’intruse du premier rang, la femme à la rose. Elle avait gardé ses lunettes à travers lesquelles on devinait ses yeux – noirs peut-être… La voix était chaude, un peu rauque, avec un léger roulement des “r”.

— Mais la police ! dit un des journalistes.

L’inconnue paraissait s’amuser. Un sourire se jouait sur ses lèvres pleines, charnues, intensément maquillées, du même rouge que la rose qui pendait maintenant sur la robe :

— Il arrive que la police se trompe…

Des serveurs circulaient. Au passage, la femme à la rose cueillit une coupe avant de s’éloigner en roulant les “r” de plus belle :

— Pauvrre vétérrinairre, comme c’est trriste !

— Vous savez qui c’est, demanda Margot ?

— Aucune idée, répondit le journaliste.

IV

Sur le point de sortir de l’ascenseur, Margot se contempla un instant dans le grand miroir, plutôt satisfaite de sa nouvelle tenue de jogging. Le blouson était peut-être un peu ample…

— Mais c’est vrai que ça amincit les hanches… Anne-Marie a bien fait de me conseiller le rose, ça donne bonne mine.

À cette heure matinale, le hall de l’hôtel commençait à peine à s’animer.

À chaque fois que les portes extérieures s’ouvraient, une bouffée d’air marin s’engouffrait. Margot savoura à l’avance la promenade qu’elle allait faire.

Les portes se rouvrirent largement pour laisser passer un arrivage d’Anglais bardés de sacs en tous genres et une rafale balaya les dépliants posés sur la console de l’entrée.

— Bien dormi ?

Debout, accoudé au comptoir d’où il donnait des instructions aux réceptionnistes, Stéphanopoulos la saluait.

« Il y a des hommes que les cheveux blancs rajeunissent, se dit Margot. Ce n’est pas juste ! »

Elle savait, par la femme de chambre ensommeillée qui lui avait apporté son thé que, pour le personnel et son directeur, la nuit avait été brève, écourtée par les remerciements à toute l’équipe de la maison de couture qui avait regagné Paris le soir même et en ordre dispersé. Mais Stéphanopoulos avait la pêche ! Aucune trace de fatigue sur son visage bronzé. Œil vif et sourire éclatant, il saluait au passage les premiers clients qui se dirigeaient vers le buffet du petit-déjeuner.

— Tout s’est bien passé hier ? s’enquit aimablement Margot.

— Il me semble, oui. J’ai ramené le styliste, Gaëtan…

— Gaëtan Strecher ?

— C’est cela. Je l’ai ramené à Lann-Bihoué. Il paraissait très satisfait.

— Au fait, dit Margot, je ne vous ai pas encore remercié pour votre accueil ; les fleurs et surtout la chambre avec vue sur mer… je ne m’attendais pas à cela.

— Nous ne sommes pas encore en pleine saison ; alors, quand on peut faire plaisir… Et puis, dans votre métier, on côtoie beaucoup de monde. Si vous êtes satisfaite de votre séjour au “Santez Anna”, si vous le faites savoir…

— Comptez sur moi ! dit Margot.

La porte de l’ascenseur s’ouvrit et, dans le groupe qui en descendait, Margot reconnut la “femme à la rose”, sans la rose, en pantalon et pull-over. Elle fila vers la console où l’on avait disposé les journaux du matin.

— Qui est-ce ? chuchota Margot.

— Vous ne l’avez pas reconnue ?

— C’est elle qui voulait s’asseoir au premier rang, parmi les personnalités…

— Mais, c’est une personnalité !

Stéphanopoulos chuchotait, lui aussi :

— C’est Francesca Verani-Gobi.

Margot laissa passer un silence interrogateur…

— Vous aimez l’opéra ? demanda Stéphanopoulos.

— Pas beaucoup… enfin… non, pas vraiment.

Le sourire du directeur se teinta d’une nuance de condescendance :

— De toute manière, vous êtes trop jeune pour l’avoir entendue au temps de sa notoriété. Il y a une dizaine d’années, elle régnait encore sur toutes les grandes scènes internationales. Elle avait le don d’enflammer le public.

À ce moment, Francesca Verani-Gobi leur tournait le dos mais, comme aimantée par les regards qui pesaient sur elle, elle pivota, enleva ses lunettes sombres et les fixa.

— Venez, dit Stéphanopoulos, je vais vous présenter…

Immobile, elle les regarda venir à elle et coupa court aux présentations :

— Nous avons fait connaissance, hier soir, au cocktail.

Et sans laisser à Margot le temps de discuter :

— Suivez-moi, nous allons prendre le petit-déjeuner ensemble.

Elle avisa un jeune serveur aux cheveux frisés :

— Jérrôme, préparez-nous une table. Thé ? Café ?

Margot tenta de protester :

— J’ai déjà pris un thé, j’allais courir un peu sur la plage…

— Vous courrez bien mieux après un solide breakfast ; il ne faut jamais faire d’effort physique sans avoir mangé.

Le ton était sans réplique. Margot se laissa entraîner. D’ailleurs, quelque chose dans cette femme l’intriguait. À table, elle la dévisagea. Cheveux en liberté, à peine maquillée, elle paraissait plus jeune que la veille : beau visage ravagé de rides, dévoré par les yeux sombres, immenses, largement cernés de bistre.

À la table voisine, un couple entre deux âges les gratifia d’un salut cérémonieux.

— C’est un colonel en retraite et sa femme, dit Francesca. Très ennuyeux et collants. À fuir comme la peste.

Un signe de la main et le serveur accourut :

— Jérrôme, pour le thé, si vous aviez du citrron verrt… Et se tournant vers Margot : c’est Jérrôme, il est adorrable !

Elle roulait de nouveau les “r”.

Francesca Verani-Gobi désigna les journaux :

— Ainsi, vous êtes journaliste ? J’espère que vous n’allez pas servir à vos lecteurs cette histoire de promeneur inconnu.

« Ça recommence, pensa Margot, c’est une obsédée. »

— Je suis chroniqueuse de mode. Je ne m’occupe pas des faits divers.

Francesca Verani-Gobi emplit les tasses, y plaça d’autorité deux rondelles de citron vert :

— Oh, c’est bien plus qu’un fait divers. C’est une mort dont toute la presse va faire ses choux gras !

— Mais enfin, dit Margot avec une pointe d’agacement, ce noyé, si ce n’est pas un inconnu, qui est-ce ?

Francesca regardait, à travers la baie, les arbustes ployés sous le vent. Elle se pencha par-dessus la table :

— Je ne sais pas pourquoi je vous parle de tout cela… peut-être parce que vous m’êtes très sympathique… C’est immédiat, la sympathie, c’est inexplicable…

Puis brusquement :

— Vous avez entendu parler d’Herman Sébastian ?

Margot n’hésita qu’une seconde :

— Le chef d’orchestre ?

— C’est cela. Vous aimez la musique, n’est-ce pas ?

Il y avait comme une prière dans la voix un peu rauque.

— N… Oui, mentit Margot. Mais, même si on n’aime pas la musique… Herman Sébastian est connu, c’est quelqu’un de tellement médiatisé…

Son interlocutrice semblait soulagée :

— Vous trouvez ? Vous avez raison. C’est pour cela qu’on hésite à révéler son nom. Vous imaginez la contre-publicité pour la station, pour l’hôtel !

— Pour l’hôtel ? Il était descendu au “Santez Anna” ?

Francesca se pencha un peu plus :

— Oui, c’est la troisième fois qu’il venait faire une cure au “Sofitel” de Quiberon. Il paraît que c’est ce qui se fait de mieux en thalassothérapie. Mais il logeait ici. Dès que ça va se savoir, les journalistes vont arriver en masse. C’est pour cela qu’au “Sofitel” comme au “Santez Anna”, on cherche à gagner du temps. C’est un tuyau, cela, non ?

Margot acquiesça.

— Mais, pour le moment, ne dites rien à personne. Le directeur serait furieux. Promis ?

— Promis, dit Margot en se levant, bien décidée à utiliser au plus vite le “tuyau”…

V

Premièrement, vérifier l’information, le b.a.-ba du métier. Le jeune serveur à la toison frisée débarrassait une table. Prêcher le faux pour savoir le vrai, c’était une méthode éprouvée.

— Jérôme !

— Ce n’est pas Jérôme, Madame, c’est Lucien.

— Ah, j’avais cru… c’est sans importance. Vous savez quand a lieu le concert ?

— Quel concert, Madame ?

— On m’a dit qu’il allait y avoir un concert, organisé par un client de l’hôtel, vous savez, le chef d’orchestre…

Le serveur ouvrit des yeux ronds, trop ronds…

— Je ne suis pas au courant.

Et il s’éclipsa. Raté. Au suivant. Margot louvoya entre les tables vers le maître d’hôtel.

— Édouard ?

— Madame ?

— Monsieur Stéphanopoulos m’a dit que vous pouviez tout.

Édouard s’inclina, souriant :

— Pas tout, mais presque…

— C’est au sujet d’Herman Sébastian.

Le sourire d’Édouard s’effaça.

— Je ne vois pas de qui vous voulez parler, Madame.

« Bon, pensa Margot. Il y a vraiment anguille sous roche. »

Elle retourna dans le hall où le directeur se disposait à regagner son bureau. Avec celui-là, le mieux était d’aller droit au but.

— J’ai besoin de vous. Voilà, je voudrais… je voudrais que vous m’aidiez à obtenir une interview d’Herman Sébastian.

Stéphanopoulos la toisa d’un regard presqu’admiratif :

— Eh bien, on peut dire que vous êtes douée ! Il n’y a pas vingt quatre heures que vous êtes ici et vous savez déjà ce qu’il ne faut pas savoir.

Il hésita un moment puis baissa la voix :

— Je vais vous dire la vérité. Herman Sébastian était attendu chez nous avant-hier. Il nous a fait prévenir qu’il aurait deux jours de retard. Il est arrivé tôt ce matin en compagnie de son secrétaire, comme d’habitude, et, comme d’habitude, il exige l’incognito le plus absolu. Il ne voit personne : on sert tous les repas dans sa suite. Il ne sort que pour aller faire sa cure au centre de thalassothérapie, en dehors des heures habituelles et toujours en taxi. Il reçoit tous les soins en cabine particulière. Là-bas, comme ici, le personnel a des consignes très strictes pour lui assurer une discrétion totale. Donc, pour l’interview, c’est “niet”.

Il fit trois pas en direction de son bureau et revint vers Margot :

— Un dernier mot. N’essayez pas de suborner le personnel. Ici, aucun employé ne se laissera corrompre ni par les cadeaux ni par les pourboires, même énormes. D’ailleurs, et il la toisa de nouveau d’un air amusé…

— D’ailleurs, enchaîna Margot, avec votre clientèle, pour les cadeaux et les pourboires, je ne ferais pas le poids.

Il se mit à rire :

— Non, peut-être pas.

Et il lui tourna le dos.

Le hall, à présent, bourdonnait d’allées et venues. Au comptoir, les réceptionnistes donnaient des renseignements, les bateaux pour Houat, Hoëdic, Belle-Île, les horaires des marées, les prospectus pour Carnac et la Trinité-sur-Mer. Du dehors arrivaient, des coups de bourrasque qui faisaient voltiger les papiers. Margot répondit à l’appel du vent. Elle sortit et aspira goulûment une grande bouffée d’air marin.

À chaque foulée, le sable fin crissait. Margot trottait le long de la grande plage et, dans sa tête, les pensées trottaient aussi.

« Drôle d’histoire… Herman Sébastian, noyé avant-hier, et arrivant, bien vivant, au “Santez Anna”, ce matin… »

« Est-ce que le directeur m’a menti ? Et, dans ce cas, pourquoi ? Ce motif de contre-publicité ne tient pas. Tout le monde peut se noyer, les chefs d’orchestre aussi. »

Elle s’arrêta pour rajuster son écharpe. Difficile. Elle avait le vent dans le dos. Elle dut se retourner pour en refaire le nœud. Elle reprit sa course et le fil de ses pensées.

« Cette Verani… comment déjà ? D’où tient-elle ses informations ? Et pourquoi s’intéresse-t-elle tant à cette noyade ? Et moi ? Pourquoi cela m’intéresse-t-il ? Une interview d’Herman Sébastian ? C’était un prétexte pour faire réagir le directeur. Mais, maintenant, j’ai envie d’en savoir plus. Déformation professionnelle… »

Elle s’arrêta de nouveau, leva le nez, cligna des yeux.

« Et pourtant, on ne voit pas le soleil. »

Les nuages laissaient filtrer une lumière diffuse qui rendait le sable blanc presqu’aveuglant.

« Demain, il faudra que je prenne mes lunettes noires. »

Un peu essoufflée, elle arriva au bout de la plage.

« Je dois être à la hauteur de Beg er Vil, d’après ce que m’a dit le portier. »

Au delà, c’était la plage du Goviro et l’hôtel “Sofitel Thalassa”, but de son jogging matinal. Elle contempla le long bâtiment blanc. Là, si le directeur avait dit vrai, Herman Sébastian commencerait sa cure dès cette après-midi.

« À quel moment a-t-il le plus de chance de ne faire aucune rencontre ? À l’heure du déjeuner. Les repas, c’est la grande distraction des curistes. D’autant, qu’au “Sofitel”, la cuisine, même diététique, est, paraît-il, délicieuse. »

La décision fut vite prise. Assez couru pour ce matin. Rebrousser chemin, déjeuner sur le pouce, dans un café, puis revenir au “Santez Anna” pour guetter la sortie de Sébastian.

Elle reprit le trajet en sens inverse, mais, cette fois, vent debout, comme disent les marins. Elle quitta la plage pour monter sur le boulevard Chanard. Là, ça soufflait un peu moins fort.

Encore une centaine de mètres et, lasse de lutter contre les rafales, elle se laissa tenter par la salle illuminée d’une brasserie.

— Une omelette-salade et un café.

— Une omelette-salade ? C’est dommage ! dit le patron. Ça ne vous dirait pas des moules marinière ? On vient de les faire.

— Des moules marinière ? Pourquoi pas…

— Vous allez vous régaler, dit le patron.

Il avait dit vrai. Tout en dégustant ses moules, Margot écoutait. Seules, quelques tables étaient occupées. Pour les habitués, les conversations se faisaient au comptoir. Il n’était question que du noyé de la Côte sauvage.

— La police, elle, n’avait pas traîné pour découvrir qu’il s’agissait d’un vétérinaire de Rennes.

— Comment on l’avait su ?

— Par sa femme de ménage qui avait signalé sa disparition.

Margot n’avait pas à tendre l’oreille. Au comptoir, on avait le verbe haut.

— Le vétérinaire, il vivait seul ?

— Oui, il était veuf.

— Il venait de vendre son cabinet. À ce qu’on dit, il y avait à peine un mois qu’il s’était installé à Quiberon

— Pauvre type ! En voilà un qui n’aura pas profité longtemps de sa retraite.

VI

En sortant, Margot acheta les journaux locaux. La noyade de Quiberon figurait en bonne place à la rubrique des faits divers. On avait identifié la victime grâce à ses vêtements et à ses papiers repêchés le lendemain de l’accident. L’identification avait été confirmée par un neveu venu de Rennes reconnaître le corps à la morgue de Vannes. Les articles concluaient sur l’imprudence de la victime et de tous les curieux qui, malgré les mises en garde, s’aventuraient sur la Côte sauvage les jours de tempête.

Dix minutes plus tard, Margot traversait le hall du “Santez Anna”. Elle ne fit que passer dans sa chambre, juste le temps de prendre son appareil-photo, un cadeau de Vincent, du temps de leurs amours… Avec cette petite merveille, le développement suivait immédiatement la prise de vue.

Négligeant l’ascenseur, elle emprunta l’escalier qui débouchait dans le couloir des bureaux et sortit par une des portes de service. Elle se retrouva dans une cour qui longeait toute la façade nord de l’hôtel, celle que ne voyaient jamais les clients. Au ronflement des machines, elle situa une buanderie, jouxtant la lingerie. Sur la droite, il y avait une sortie de garage ; elle jeta un coup d’œil : des machines de jardinage et des véhicules utilitaires. C’était le seul endroit où une voiture, venant de l’extérieur, pouvait stationner sans se faire remarquer. Margot consulta sa montre : douze heures cinquante. C’était le bon moment. Elle décida d’attendre, planquée derrière un muret contre lequel s’adossaient d’énormes poubelles. Le vent soufflait moins fort mais, de là à dire qu’il faisait chaud… Les mains dans les poches, elle se recroquevilla dans sa doudoune.